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festival • Un seul grand film (Tabu de Miguel Gomes), un palmarès ressuscitant les Taviani, et quelques gestes insolites à la Berlinale, du 9 au 19 février. À Berlin, le meilleur est Tabu

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inéphile du 21’ siècle se souciait encore des frères Taviani ? Avec cet Ours d’or qui les remet sur le devant de la scène après plusieurs décennies d’éclipse, la Berlinale 2012 aura distingué un come-back improbable et sympathique, mais déconnecté des enjeux les plus vifs du cinéma contemporain. Drôle d’objet que ce Cesare deve morire (où des détenus au lourd passé rejouent Jules César dans les espaces de la prison de haute sécurité de Rebibbia), qui surprend en ne ressemblant pas vraiment à un film des Taviani. Plus bref et ramassé que les autres titres des deux frères, plus abstrait aussi (le béton des espaces carcéraux, bien éloigné des vues du terroir, sert de support à une scénographie épurée et plutôt dynamique), le film ne manque pas d’énergie, mais, derrière celleci, pointe aussi un pittoresque nettement plus convenu: vieille mise en abyme entre passions shakespeariennes et trahisons mafieuses, défilé de trognes cabotines et discours attendu sur le théâtre comme vecteur de liberté.

parce que j’étais fauché à l’époque et très déprimé. Finalement,je me suis enregistré en ligne le dernier jour et je n’y ai plus pensé du tout. Un mois plus tard,j’ai appris que nous étions sélectionnés. Je ne savais même pas à quoi ressemblait un festival de cinéma.Je pensais juste qu’on allait prendre la voiture, rouler jusqu’en Utah, voir notre film sur grand écran et rentrer le lendemain. En fait, ce fut magique. A Los Angeles, personne ne voulait m’adresser la parole et, à Sundance, tout le monde voulait me rencontrer et produire mon prochain film. ,» Si Evan Glodell semble encore un peu éberlué de la tournure qu’a prise sa vie après Sundance, il ne semble pas pour autant céder aux sirènes d’Hollywood. Plutôt que de réaliser un film d’horreur ou une énième mouture de Fast and Furious, il rêve de posséder son propre studio. On ne serait guère étonné que celui-ci soit localisé à Ventura.

Stéphane du Mesnildot

Les films attendus: verdict

En dehors de cette relative surprise, la première étape des trois grands festivals de l’année a toujours le mérite de lever le voile sur certains des « filins les plus attendus de 2012»» (if. Cahiers nO 674, en janvier.) Si nous n’avons pas pu voir Aujourd’hui d’Alain Gomis, Captive de Brillante Mendoza déconcerte, parce qu’il a du mal à dépasser le spectaculaire de son pitch (la vie d’un groupe pris en. otage dans la jungle philippine par des terroristes du mouvement Abu Sayyaf) et de son dispositif (un tournage mi-guérilla,mi-happening tel que raconté par Isabelle Huppert dans nos colonnes). La triple ambition de Mendoza (si-gner à la fois un filin d’action, un filin politique et un filin intimiste) est aussi victime de la propre impétuosité du cinéaste. Entre les réels morceaux de bravoure, la caractérisation parfois fatalement schématique de certains personnages et des ellipses très arbitraires, le filin n’aboutit qu’à un agrégat de désirs fractionnés. Le «survival d’auteur»,le tableau de la confusion politique des Philippines et le huis dos en pleine jungle sur le syndrome de Stockholm restent finalement étanches les uns aux autres, faute peut-être d’une approche plus rigoureuse de chacun de ces trois tableaux. En un sens, Tabu de Miguel Gomes (seulement récompensé au bas du palmarès du prix Alfred-Bauer, «pour une œuvre ouvrant de nou-

velles perspectives dans l’art cinéma tographique») montrait qu’il était possible de se laisser guider par des désirs a priori divergents et de réconcilier malice et lyrisme. Une première partie, Paradis perdu, présente, dans l’hiver lisboète d’aujourd’hui, la vie de deux voisines d’un certain âge, l’une habitée par la dévotion, l’autre, plus misanthrope. Et c’est quand cette dernière meurt que sa voisine découvre son secret ouvrant la porte du Paradis,la seconde moitié du film: celui d’une passion scandaleuse et oubliée, vécue cinquante ans auparavant au Mozambique, dans la microsociété des colons et aventuriers. Comme tous les films de Gomes, il s’agit d’une fiction bicéphale qui construit son unité par de simples jeux d’échos et de résonances entre un quotidien d’aujourd’hui, une mythologie du passé, un pan de l’histoire du Portugal et des réminiscences cinéphiliques. Les esprits de Murnau (la force incantatoire du noir et blanc), Renoir (l’art de la fugue sensualiste), Sternberg (la narration en voix off comme dans Fièvre sur Anatahan) sont clairement convoqués, sans que le film ne soit ramené à un gênant pastiche. Un demisiècle et un continent ont beau séparer ces deux moitiés de récit (chronique ironique dans la première, récit sans dialogue uniquement raconté en voix off dans la seconde), leur imbrication dresse une cartographie d’un empire de la mélancolie, à la fois mental et fantasmatique. À lui seul, le travail virtuose de Rui Poças à l’image (noir et blanc profond pour densifier le quotidien de la première partie, nettement plus volatil pour donner une matière à la labilité du souvenir dans la deuxième) emblématise ce travail de décantation et de retour du souvenir juste avant sa fatale évaporation et son ultime extinction. Le filin tresse densité mémorielle, regard ironique sur l’imaginaire colonial et légèreté des rengaines pop pour produire sa propre étoffe filmique, entêtante et addictive. À côté des autres titres de la compétition qui sortent ces jours-ci (Les Adieux à la reine, À moi seule, L’Enfant d’en haut, Barbara), Werner Herzog présentait en séance Spéciale un projet parallèle à Into The Abyss (lui aussi décrit dans le nO 674): Death Row, quatre films de 45 minutes, très simples voire frustes dans leur facture, quatre portraits de condamnés à mort attendant la sentence fatale dans une prison texane. Chacun de ces quatre destins tortueux éclaire les mécanismes de la psyché humaine (pulsions de déni


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