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mardi 26 avril 2011 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

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Le centrisme, un courant en basses eaux électorales DESSIN JEAN DOBRITZ

Cette sensibilité est en quête d’un projet redéfinissant l’approche « libérale, sociale et européenne », à l’heure de la globalisation. plus d’un espace politique conséquent, « puisqu’un rassemblement à épicentre gaullien l’emportait à tous les étages », nous dit Jean-Pierre Rioux. Et pourtant, le centrisme va faire de la résistance. En 1965, Jean Lecanuet issu du MRP rassemble 15,6 % des voix face au général de Gaulle. Alain Poher, originaire de la même famille politique, attire 23,3 % des suffrages à l’élection présidentielle de 1969. À côté de ce centrisme qui cherche à maintenir l’idée d’une « troisième force » se développe un centrisme qui s’insère dans le jeu de la bipolarisation et rejoint la droite. Jacques Duhamel crée en 1969 le Centre démocratie et progrès et devient la troisième composante de la majorité avec l’UDR et les Républicains indépendants. Avec la victoire de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, la réunification des centres ne connaît plus d’obstacles et, en 1978, naît l’UDF, confédération « libérale, sociale et européenne ». Les modérés et les

PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

LA NOTORIÉTÉ de Jean-Louis Borloo a placé le centrisme au cœur du débat politique à droite. Une sorte d’exploit pour un courant idéologique qui se rêve en « troisième force », mais peine à trouver son espace dans le fonctionnement bipolaire de la Ve République. Pascal Perrineau met en perspective ce « courant historique qui a traversé les deux derniers siècles ». Il en pointe les faiblesses et les atouts. Cette formation a toujours su négocier sa survie soit « en faisant de la résistance »,soit en intégrant « le jeu de la bipolarisation et rejoindre la droite »(l’UDF au temps de Valéry Giscard d’Estaing, maintenant l’UMP de Nicolas Sarkozy). En l’état actuel, le centrisme est un « miroir brisé » : il y a ceux qui souhaitent rester dans la maison UMP, ceux qui, tels les amis du MoDem de François Bayrou, tâtent l’aventure de la force « indépendante ». Et puis, il y a aussi tous ceux qui préconisent l’autonomie en scellant ici et là des « alliances concurrentielles ». En pleines manœuvres de campagne présidentielle, l’UMP, déstabilisée par la percée du Front national, entend maintenir dans son giron une formation « en position centrale ». Au regard de l’opinion, elle cherche à retenir les franges électorales qui lui font le plus défaut : les sympathisants de droite, ceux du MoDem, les écologistes et la population sans préférence partisane. Il s’agit notamment de la classe d’âge des 25-34 ans. Toutefois, souligne Pascal Perrineau, faute de projet, et en l’état actuel de l’opinion, aucun des prétendants centristes intégrés jusqu’ici à l’UMP (Morin, Borloo) ne peut espérer « compter » et peser dans l’élection présidentielle. Il ne peut qu’en perturber les prémices. ! JOSSELINE ABONNEAU

ÉTUDE Le centrisme est un vieux courant de pensée qui a traversé les deux derniers siècles en connaissant plusieurs avatars. Jean-Pierre Rioux, dans son dernier ouvrage, Les Centristes. De Mirabeau à Bayrou (Fayard, 2011), en distingue trois : celui de l’âge libéral, de 1788 à 1870, celui de l’âge gouvernemental, de 1870 à 1958, et celui de l’âge présidentiel, depuis 1958. Les centristes du premier âge naissent de la volonté d’éviter une dérive despotique de la Révolution de 1789 qui, comme le rappelle ce révolutionnaire modéré qu’est Adrien Duport, était latente : « Ce qu’on appelle la Révolution est fait, les hommes ne veulent plus obéir aux anciens despotes ; mais si l’on n’y prend garde, ils sont prêts à s’en forger de nouveaux. » Il s’agit avant tout pour tous ces libé-

«

Avec l’âge présidentiel de la Ve République, le centre ne dispose plus d’un espace politique conséquent (...) Et pourtant, le centrisme va faire de la résistance

»

raux d’empêcher qu’un seul pouvoir en vienne à accaparer tous les autres, fût-ce au nom de la souveraineté du peuple et de développer une ligne de « juste milieu » entre l’ordre et la liberté. Avec les IIIe et IVe Républiques, le centrisme entre dans l’âge gouvernemental et est au cœur des formules de « concentration républicaine » qui enracinent la République loin des systèmes et des idéologies et fortifient un parlementarisme rétif aux grands affrontements bipolaires. « Opportunistes » centristes de droite, centristes de gauche, radicaux, démocrates, chrétiens se retrouvent en un commun attachement à la république parlementaire, à l’humanisme social et à l’esprit de modération et de consensus.

A

centristes associent leur sort et parviennent, dix ans plus tard, à un rééquilibrage avec le RPR puisqu’aux législatives de 1988 l’UDF compte 131 députés contre 130 au RPR. Mais les échecs répétés à l’élection présidentielle, les divisions internes et les différends stratégiques viennent à bout de cette puissance centriste retrouvée. Les échecs de Giscard en 1981, de Raymond Barre en 1988 et d’Édouard Balladur en 1995 minent une UDF sans chef reconnu et incontesté. Les libéraux reprennent en 1998 leur indépendance en détachant Démocratie libérale de l’UDF. En 2002, deux tiers des députés de l’UDF restante intègrent l’UMP à sa création. Quelques années plus tard, l’UDF maintenue sous la houlette de François Bayrou se déclare, au congrès de Lyon de janvier 2006, « libre et indépendante ». C’est le début de l’aventure soli-

vec l’âge présidentiel de la Ve République, le centre ne dispose

taire de Bayrou qui emmènera le MoDem, créé en 2007 sur les décombres de l’UDF, vers de nombreuses déconvenues électorales. Le centrisme est aujourd’hui un miroir brisé, éclaté entre ceux qui continuent à croire à un parti unique de la majorité au sein de l’UMP, ceux qui redécouvrent les vertus d’une alliance concurrentielle aux marges de l’UMP et ceux qui restent séduits par le superbe isolement d’un centrisme autonome et indépendant. Les premiers, peu ou prou, se retrouvent derrière Nicolas Sarkozy, les seconds observent attentivement les efforts de renaissance d’une nouvelle UDF portés par Jean-Louis Borloo ou Hervé Morin, les troisièmes espèrent renouveler en 2012 la « divine surprise » des 18,6 % de voix engrangées par François Bayrou en 2007.

et de l’incarnation de celui-ci restent essentielles. Au-delà des préoccupations tactiques (un ou deux candidats à droite, un ou deux partis…), ce vieux courant qu’est le centre doit retrouver le chemin du projet et redéfinir ce qu’est une approche « libérale, sociale et européenne », à l’heure de la globalisation. L’homme capable d’incarner cette nouvelle approche pourra alors « compter » dans une bataille présidentielle qui est toujours, dans la logique de la Ve République, la scène sur laquelle s’inventent les grands destins et renaissent les courants politiques anémiés. ■

P

our l’heure, les perspectives sont modestes et les sondages d’intentions de vote ne créditent aucun candidat du centre d’un score à deux chiffres. Dans le sondage d’intentions de vote Harris Interactive réalisé les 19 et 20 avril 2011 pour Le Parisien, François Bayrou est crédité de 5 % dans le cadre d’un premier tour où Martine Aubry serait candidate du PS (4 % seulement dans le cas où Dominique Strauss-Kahn le serait), JeanLouis Borloo attirant 9 % des intentions de vote (7 % si le patron du FMI était le candidat socialiste). Pour l’instant, le centrisme est dans une période de basses eaux électorales. D’autant plus qu’une candidature centriste semble être menaçante pour une droite contestée vigoureusement sur son flanc extrême par la dynamique du Front national de Marine Le Pen. 67 % des sympathisants de l’UMP, interrogés les 1er et 2 avril par Ipsos pour France 2, pensent que si Jean-Louis Borloo était candidat à l’élection présidentielle de 2012 ce serait plutôt un handicap pour Nicolas Sarkozy. Dans la même enquête, s’ils sont 29 % à souhaiter une candidature Borloo, ils sont 63 % à ne pas la souhaiter. La marge de manœuvre du centrisme est étroite. Les questions du projet

au pire 11 % (si Dominique Strauss-Kahn représentait le PS). Jean-Louis Borloo réalise ses meilleurs scores chez les 2534 ans (13 % dans le cadre d’un premier tour où Strauss-Kahn serait candidat socialiste), une tranche d’âge dans laquelle la droite est particulièrement faible. Il séduit

30%

Intentions de vote au 1 er tour de l'élection présidentielle de 2012

aussi les sympathisants de droite (13 %) ainsi que ceux sans préférence partisane (9 %). Il suscite aussi un écho chez les sympathisants du MoDem (6 %) et chez ceux d’Europe Écologie-Les Verts (6 %).

Surclasser François Bayrou Cette position très centrale de JeanLouis Borloo lui permet de surclasser pour l’instant un François Bayrou très enfermé dans le petit milieu des sympathisants du MoDem (59 %). Cependant

A

Nathalie Arthaud

4%

Olivier Besancenot

Jean-Luc Mélenchon

F. Bayrou

7%

4%

Sexe Hommes Femmes

6% 8%

3% 5%

Age 18-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50 ans et +

5% 13% 5% 7%

5% 5% 5% 3%

Catégorie sociale professionnelle (CSP) CSP + 7% CSP — 6% Inactifs 7%

3% 5% 4%

Proximité politique Total gauche Verts/Europe E. MoDem Total droite UMP Sans préf. part.

4% 6% 6% 13% 3% 8%

2% 6% 59% 0% 1% 9%

ÉVOLUTION DU POIDS ÉLECTORAL au 1er tour 32,6% de l’élection présidentielle

Giscard d'Estaing

23,3%

1965

1969

16,5%

Barre

10,7%

10

Bayrou + Madelin 1974

1981

1988

1995

2002

2007

Photos : Le Figaro

21%

7% 4%

Nicolas Hulot

F. Bayrou

Balladur

19%

Dominique StraussKahn

18,6%

18,6%

Poher

HYPOTHÈSE AVEC DOMINIQUE STRAUSS-KAHN

6% 4%

J.-L. Borloo Ensemble

28,3%

il est presque inexistant parmi les sympathisants de la droite et même devancé par le patron du Parti radical au sein des sympathisants 15,6% de gauche (2 %, contre 4 % Lecanuet tentés par Borloo).! P. P.

*Question posée aux inscrits sur les listes électorales

1% %

au 1er tour de l’élection présidentielle

Giscard d'Estaing

Jean-Louis Borloo séduit les 25-34 ans qui boudent la droite DANS L’ESPACE des centrismes, JeanLouis Borloo est aujourd’hui l’homme le mieux placé. Le sondage d’intentions de vote Harris Interactive réalisé les 19 et 20 avril pour Le Parisien le crédite de 7 à 10 % des intentions de vote (selon la personnalité du candidat socialiste : lire l’infographie ci-dessous) alors que François Bayrou oscille entre 4 et 7 %. À eux deux, les candidats centristes totaliseraient au mieux 17 % des intentions de vote (si Ségolène Royal était candidate),

PROFIL COMPARÉ DES INTENTIONS DE VOTE

François Bayrou

Jean-Louis Borloo

3%

Dominique de Villepin

1% Nicolas Sarkozy

Nicolas DupontAignan

Marine Le Pen

LUTTE OUVRIÈRE NPA FRONT DE GAUCHE PARTI SOCIALISTE ÉCOLOGISTE MODEM PARTI RADICAL RÉP. SOLIDAIRE UMP DEBOUT LA RÉP. FRONT NATIONAL Sondage Harris Interactive pour Le Parisien Aujourd’hui en France : sondage réalisé en ligne les 19 et 20 avril 2011 sur un échantillon de 926 individus inscrits sur les listes électorales issus d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région de l’interviewé et vote au 1er tour de l’élection présidentielle de 2007.


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