Options 580 - octobre 2012

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occupe

BALAZS GARDI / EPA / MAXPPP

pourvu que l’on s’en

L’exploit individuel de Felix Baumgartner n’est possible que grâce à des millions d’heures de travail consacrées à la recherche et à la fabrication de produits de pointe.

OPTIONS N° 580 / OCTOBRE 2012

Malgré des discours tenus depuis quelques années par des responsables politiques sur la « redécouverte » de l’industrie, on est toujours marqué par cette conception. C’est ce que révèlent les débats sur la priorité accordée à la réduction des déficits publics, alors qu’il faudrait tendre à articuler leur résorption sans compromettre par une politique d’austérité le levier que constitue la consommation pour la croissance par la production. Le défi, ici, a une dimension européenne prononcée ; l’Europe doit s’attaquer au déficit de liquidités qui asphyxie le crédit privé et le financement des Etats. Faute de quoi, les investissements à long terme resteront insuffisants. Mais c’est surtout d’un projet politique que l’industrie a besoin. D’un projet qui redonne confiance et permette l’épanouissement de la créativité, de l’initiative, de la participation des travailleurs, qu’il s’agisse de la vie professionnelle, des conditions de travail, de la gouvernance de l’entreprise. Non pour faire dans

le politiquement correct, mais parce que cela correspond aux défis contemporains – on pense notamment aux grandes questions portées par la transition écologique – qu’affrontent nos sociétés et qui seront impossibles à relever sans une industrie moderne et créative. Il est clair qu’une telle industrie ne peut surgir du néant. Toute l’histoire industrielle atteste de continuités : l’industrie pharmacochimique suisse doit énormément aux teinturiers de l’époque protoindustrielle ; l’industrie aéronautique – grosse consommatrice de fibres de carbone – doit beaucoup aux classiques métiers à tisser, et les prochaines grandes industries d’une économie décarbonée résulteront de la reconversion d’industries déjà existantes et réceptrices de savoirs, de savoir-faire et de compétences partagés. C’est si vrai que les actuels pôles de compétitivité ont été créés sur des sites de « vieilles » industries et en articulation avec le capital humain et technologique qu’elles recèlent. Un tel projet doit nécessairement contribuer à civiliser la mondialisation en rapprochant les standards sociaux et environnementaux par la fiscalité, les normes et les technologies, et en dotant l’Europe d’outils offensifs équivalents à ceux d’autres pays industrialisés comme, par exemple, les aides aux entreprises, la constitution de grands groupes européens, l’accompagnement des mutations industrielles, l’application d’un principe de réciprocité dans le cadre des appels d’offres. Il doit avoir une dimension européenne, à la fois pour dégager des moyens financiers, travailler à une efficacité d’ampleur continentale, en exploitant le fait que l’Europe bénéficie d’un gigantesque marché intérieur, éviter enfin l’illusion doublement coûteuse d’un rapatriement total des activités qui ont été dispersées. Il doit également avoir une forte dimension territoriale en organisant de grands projets territoriaux mobilisateurs et structurants en coopération avec les collectivités territoriales, financer la nouvelle croissance en réorientant l’épargne des ménages et la valeur ajoutée des entreprises vers l’investissement productif, les compétences et la qualité. Il ne peut s’envisager qu’à travers une mobilisation forte du mouvement syndical ainsi que de l’Etat stratège, organisateur des acteurs de l’économie – territoires, entreprises et partenaires sociaux – et opposant comme projet d’intérêt général face à la crise ses projets aux niveaux européen et mondial. Gilbert MARTIN 23


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