Littérature et société 2011-2012

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J'étais resté immobile pendant une bonne poignée de minutes. Je bougeai finalement ma main et me baissai pour toucher l'eau de mes doigts. Je frissonnai légèrement à son contact, non pas de froid, mais d'excitation ; brûlant d'anxiété dans cette eau glaciale, j'hésitais, je me demandais ce que j'allais décider. Je ne faisais plus totalement confiance à mon instinct, vu où il m'avait mené. Et pourtant, je lui avais accordé tellement d'importance. La rencontre de cette femme, de cette sorte de créature qui m'avait emmené là où je ne serais jamais allé, avait été le début de tout ; j'étais devenu si important, on me couvrait de compliments élogieux à tout moment. Mais, et cela personne ne le savait, je n'avais fait que profiter, mentir, me donner une autre vie. J'avais enfilé un masque et paraissais tout à coup l'homme le plus beau, le plus intelligent, le plus fort qui puisse exister. Moi, ça me plaisait. Je ne me posais aucune question. J'avançais, aveuglé par cette envie d'en avoir encore plus, aveuglé par elle, cette femme dont je dépendais. Tout allait bien, jusqu'au jour où elle m'annonça qu'elle partait. Qu'elle s'en allait pour toujours. Qu'elle emportait avec elle son argent et ma gloire, ou plutôt la gloire qu'elle m'avait offerte. Qu'elle prenait une partie de mon âme, en somme. Que dès lors je serais à nouveau seul, et que les autres se désintéresseraient de moi. Je levai la tête brusquement et regardai loin devant moi J'avais pris ma décision. De toute façon, je n'avais plus rien, plus personne ; j'étais libre. J'avais envie de profiter de cette liberté tant que je le pouvais. Je voulais voir les choses comme dans un rêve, comme dans mon rêve, pour pouvoir les réaliser. Alors, les jambes tremblantes, je commençai ma longue traversée, et m'avançai dans l'eau. Une brise s'éleva, et ignorant la froideur glaciale de l'eau en ce début d'hiver, je continuais, plus déterminé que jamais. Seul. Au calme, dans un silence profond et éternel, presque oppressant, mais seul. L'eau m'arrivait maintenant jusqu'au épaules. Je pris mon inspiration. Puis je fis un grand bond vers l'avant et fermai les yeux, comme pour avoir moins mal, car je ne savais pas nager. « Après tout, une vie, c'est comme une goutte d'eau : elle naît, elle fait son chemin, puis elle tombe et se meurt au milieu des autres sans qu'on la remarque. »

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Eléa


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