Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France (extrait)

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LES ROTHSCHILD, UNE DYNASTIE DE MÉCÈNES EN FRANCE – VOLUME III

LES HÉRITIERS DU BARON ÉDOUARD DE ROTHSCHILD Marc Bascou

DONS 1949-1974 1949 C’est par un courrier adressé à Georges Salles le 4 novembre 1949 que Guy de Rothschild proposait le don d’une superbe peinture d’Antoon van Dyck (1599-1641) : « Au nom de ma mère, la baronne Édouard de Rothschild, et de mes sœurs Mesdames Gregor Piatigorsky et Donald Bloomingdale, aussi bien qu’en mon nom propre, j’ai l’honneur de vous prier d’accepter comme don au Louvre un portrait de la Marquise de Doria par Van Dyck. Nous offrons ce tableau en souvenir de mon père, le baron Édouard de Rothschild, pour exprimer sa gratitude et la nôtre pour le rôle joué par la Commission de Récupération Artistique dans la restitution de sa collection pillée par les Allemands » 1 (fig. 1). Ce somptueux portrait évoque les séjours génois de l’artiste dans les années 1620, une étape de sa brillante carrière qui n’était pas représentée au musée, pourtant riche d’une suite impressionnante de chefs-d’œuvre plus tardifs, venant essentiellement des collections royales 2. Il est sans doute identifiable avec le portrait de Van Dyck, provenant de Gênes, acheté par le baron Alphonse pour 290 000 francs en 1888, par l’intermédiaire du marchand Gauchez 3. Cet achat était particulièrement remarquable, sachant que ces commandes génoises conservées jusqu’au XIXe siècle dans des demeures ancestrales étaient bien moins connues que les innombrables portraits que Van Dyck a laissés de son passage en Angleterre 4. Au sein d’une petite douzaine de portraits en pied de grandes dames de la noblesse génoise, celui-ci est indéniablement l’un des plus réussis, que l’on peut rapprocher notamment des portraits aisément comparables de la marquise de Brignole Sale (Gênes, Palazzo Rosso, et New York, Frick Collection) ou de celui d’une dame non identifiée, conservé au Cleveland Museum of Art 5. L’identité du modèle du tableau donné au Louvre, provenant des collections Doria et Montaldeo à Gênes, reste également incertaine : est-ce la marquise Geronima Spinola Doria ou une dame de la famille De Mari ? La pose du modèle, vu de trois quarts, le port altier accentué par l’élongation du corps, l’arrière-plan architectural sombre, la vibrante harmonie colorée, le paysage éclairé d’une bande de ciel lumineux, révèlent bien davantage tout ce que le jeune Van Dyck doit à Titien, plutôt qu’à Rubens, qui, lors d’un passage antérieur à Gênes, avait également reçu des commandes de portraits de l’aristocratie locale.

Le majestueux portrait aujourd’hui au Louvre était assurément la plus belle œuvre de Van Dyck figurant dans les collections Rothschild 6. Il ornait avant-guerre le grand hall du château de Ferrières 7. 1974 À la suite de la disparition de la baronne Édouard, ses enfants, le baron Guy et ses sœurs, Jacqueline et Bethsabée, firent à nouveau preuve d’une grande générosité envers le Louvre en offrant des œuvres de tout premier plan héritées de leur grand-père, toujours dans l’idée de contribuer à enrichir les collections du musée de la façon la plus appropriée. Le baron Guy, pour sa part, prélevait dans les collections familiales le grand marbre de L’Amitié, sous les traits de Madame de Pompadour exécuté par Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785) 8 (vol. I, fig. 7, p. 28). La genèse de ce chef-d’œuvre de la statuaire du règne de Louis XV est bien connue : Pigalle en reçut la commande en 1749 pour agrémenter le bosquet de l’Amitié dans les jardins du château de Bellevue. L’artiste fit d’abord deux modèles – un réduit, puis un à grandeur – avant de lancer l’exécution du marbre, qui ne fut achevé qu’en 1753. Sous couvert d’une allégorie conforme à l’Iconologie de Ripa – figure habillée, sans parure, faisant le geste de l’offrande du cœur, et tenant un ormeau sec entouré d’un cep de vigne –, Pigalle a signé là un véritable portrait de la marquise, que l’on reconnaît aisément en comparaison du buste qu’il a fait d’elle à la même époque (New York, Metropolitan Museum). La couronne florale déposée à ses pieds était sans doute un détail voulu par la marquise elle-même, voulant signifier que l’amitié fleurit en toute saison. Ce portrait « politique » – qui devait faire pendant à une statue de Louis XV – ne resta pas longtemps à Bellevue. La marquise l’en retira dès 1758, après la vente du château au roi. Le marbre connut par la suite une nouvelle destination prestigieuse lorsqu’il fut acquis en 1764, à la mort de la marquise, par le duc d’Orléans, pour orner les jardins du Palais-Royal. Mis aux enchères avec les biens de Philippe-Égalité, il disparaît jusqu’au milieu du XIX e siècle, où on le retrouve dans la collection du marquis d’Hertford à Bagatelle, avant qu’il ne soit racheté en 1904 par le baron Alphonse 9. Dans l’hôtel de la rue Saint-Florentin, il était désormais à l’abri, placé dans une niche spécialement aménagée dans la grande salle à manger 10.

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