études
Luca Pietro Nicoletti
La revue XXe Siècle de Gualtieri di San Lazzaro : du « papier collé » au « relief »
1. L’objet et la matière Dans la seconde partie de Parigi era viva, roman autobiographique écrit à la troisième personne, publié une première fois en 1949 et revu et approfondi en 1966, l’éditeur et critique d’art Gualtieri di San Lazzaro1 évoque sa rencontre avec Carl Einstein et Juan Mirò, survenue vers 1934, année de la parution de la monographie d’Einstein sur Braque aux prestigieuses éditions Chroniques du jour, fondées et dirigées par San Lazzaro. Les deux hommes, raconte San Lazzaro, avaient « une grande idée » à lui proposer : « un livre, à tirage limité, mais illustré avec de très originaux collages »2. L’éditeur, jeune à l’époque, ne se souvenait pas précisément du déroulement de leur conversation, mais se rappelait les explications du peintre catalan pour réaliser les collages de ce livre : « […] trouver des boîtes de conserve, en récupérer le fond et coller celui-ci avec une colle spéciale sur des planches en carton qui comporteront déjà d’autres collages de vieilles étoffes, de rubans, de fragments de verre, de papiers colorés et de quelques signes graphiques ». L’idée ne lui avait pas plu : le moment, dit-il, n’aurait pas été propice ; mais il craignait surtout, d’après ses souvenirs, les libraires, sur lesquels se basait la distribution de ses rares et luxueuses éditions, qui auraient pu penser qu’il avait sombré dans la folie. Ce projet, à nouveau évoqué dans le roman pour offrir non pas tant un éloquent témoignage mais plutôt une note colorée aux conséquences comiques, n’aboutit pas bien sûr. D’ailleurs, au cours de ces années-là, San Lazzaro avait formulé un jugement très sévère à l’égard de Mirò, mais il se serait rapidement ravisé. Dans Cinquant’anni di pittura moderna in Francia, courte synthèse sur l’histoire de la peinture à Paris de Cézanne à l’École de Paris, il avait en effet écrit qu’« […] un tableau de Mirò nous donne une joie identique à celle que nous procure la projection d’un dessin animé de Walt Disney : aucune autre comparaison n’est possible3 ». Un jugement sévère, qui n’était sans doute pas sans lien avec l’attraction envers le fantastique, l’irrationnel et le merveilleux offerte par Fantastic Art, Dada, Surrealism, l’exposition organisée au MoMA de New York entre décembre 1936 et janvier 1937, dans le catalogue de laquelle était notamment reproduit, à côté d’une sculpture de Calder et d’autres expressions du fantastique, un photogramme d’un dessin animé de Walt Disney. L’ironie était d’ailleurs la clé la plus adaptée, selon San Lazzaro, pour interpréter le surréalisme du peintre catalan, et la courte et heureuse définition de Mirò exprimée par Raffaele Carrieri, un autre ami italien et fraternel, dans son Brogliaccio de 1950, lui semblait appropriée : « L’arbre de tes petits poissons calligraphes continue de fleurir dans mon regard. La chenille et la comète sont les larves d’une même astronomie. Le sang de l’homme a, en Mirò, son firmament4. » En quelques années seulement, San Lazzaro allait changer d’opinion sur Mirò qui allait petit à petit tenir un rôle important dans la revue de l’éditeur et critique d’art italien, désormais établi de manière définitive à Paris. De ce point de vue, il est donc HISTOIRE DE L’ART N°78 2016/1
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