DIALOGUANT AVEC
NIETZSCHE PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL
2014-2015 édition corrigée, traduite du portugais par Oleg Almeida) (2e
poexílio
« cet ami de l´inconnu » Guyan « La philosophie la plus avancée du XXe siècle se tient en deçà de l’horizon que Nietzsche embrassa au XIXe » Flavio R. Kothe « (...) si l’on comprend que l’œuvre de Nietzsche englobe une philosophie de la nature, une philosophie de l’esprit et une théorie de la connaissance, encore qu’elles soient toutes tournées à l’envers, on pourra peut-être le nommer alors un penseur systématique » Scarlett Marton « À quoi sert un livre qui n’est pas capable de nous transporter audelà des livres ? » Nietzsche
Quand j’étais un garçon de 14 ans et que j’habitais à Rio de Janeiro, la bibliothécaire du quartier se plaignit auprès de ma mère de ce que je lisais un livre « inconvenant », L’Antéchrist de Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900). Ce titre-là faisait partie de l’Index librorum prohibitorum. Ma mère expliqua que j’étais un lecteur vorace, que je lisais toutes sortes de livres, y compris ceux qui traitaient d’autres religions, de même que les œuvres philosophiques jusqu’aux textes sur le bouddhisme zen. Quant à Nietzsche, c’était un auteur démonisé, méchamment associé au nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce fut notre critique Antonio Candido qui s’engagea dans la défense du grand philosophe, écrivant en 1946 pour les journaux de l’époque. Rappelons-nous un de ses passages : « Cet antipangermaniste convaincu doit être considéré comme celui qu’il est en réalité : un des plus grands inspirateurs du monde moderne, dont la doctrine, loin d’être épuisée, peut servir de guide à plusieurs problèmes de l’humanisme contemporain ».
Il y a de nombreux textes qui défendent Nietzsche contre ces infamies. Nul doute. La science lui doit cette vision qui culminera, quelque temps après, par la conception des « conjectures et réfutations » de Karl R. Popper, sans oublier que Freud doit beaucoup à Nietzsche, lui aussi, en ce qui concerne la construction de sa psychanalyse. Une autre accusation fausse, celle d’avoir été un machiste. Je lis et relis l’auteur du Gai Savoir et d’Ecce Homo, portant un intérêt toujours renouvelé à ses diverses traductions, car l’allemand que j’ai étudié autrefois ne me permet pas d’en lire les originaux... En voilà un travail de Sisyphe : on n’en vient jamais où l’on veut en venir. Il y a une pierre au milieu du chemin, comme l’a prophétisé Drummond... On ne monte donc la colline qu’en montant celle de Mangueira pour entendre le piano de Tom Jobim jouer et les interprètes de sambas chanter. Un poète de la « Génération 45 » écrivit une thèse entière afin de prouver qu’il n’y avait que de la poésie dans la littérature. Quelle bévue, aurait sans doute dit Ledo Ivo, mon cher défunt... Il y a assurément de la poésie dans la littérature, mais il est possible d’en chercher aussi dans d’autres manifestations culturelles... Ce fut la nietzschéenne Scarlett Marton, l’auteure de la thèse « Nietzsche : des forces cosmiques aux valeurs humaines », qui éclaira le chemin ; tout en développant les idées de Deleuze, elle affirma que le créateur de Zarathoustra « avait privilégié l’aphorisme et le poème »... Réitérant ensuite : « La façon dont il écrivait était importante à l’égal de ce qu’il écrivait, de sorte que ce serait indispensable de remettre en question les formes littéraires qui tendaient à soutenir le contenu philosophique »
– réaffirma-t-elle, citant à l’appui
Deleuze, Derrida et Foucault. On finit par préconiser « la suppression des frontières entre la philosophie et la littérature ».
Cette auteure soulève en outre une question fondamentale : la distance entre « interpréter », ce qui rend possible une pluralité des interprétations suivie du droit à l’usage de paraphrases, et « commenter », ce qu’elle préfère elle-même par le fait qu’on se concentre ainsi davantage, méthodologiquement, sur « l’objet de la connaissance » lequel doit être construit par le chercheur. Il est certain que les « interprétants » divaguèrent et accaparèrent les textes de Nietzsche jusqu’en sens contraire aux idées du philosophe. Ce fut le cas du nazisme qui traita les questions de la « volonté de puissance » et du « surhomme » de manière idéologique, voire raciste... Toutefois, j’ai opté, moi aussi, pour cette voie interprétative dans le but de transposer Nietzsche à l’époque actuelle, sans jamais prétendre « l’actualiser ». Je me base sur la conception de Gilvan Fogel relative au « droit à l’interprétation » vu comme : « la promotion du sens [dans lequel] s’opère le mouvement de modification, de variation et de transformation du sens, c’est-à-dire la création. Un tel sens persiste, perdure, se perpétue à mesure et seulement à mesure qu’il se transforme, se modifie, varie... enfin, qu’il devient ou constitue une création. »
Un poète, qui est en même temps un philosophe, vient de publier un livre destiné à « prouver » qu’il n’est pas possible de concilier la poésie et la philosophie, dont les domaines sont indépendants l’un de l’autre. C’est vrai : chacune d’elles suit son propre chemin, mais elles sont nées ensemble et leurs parcours sont jumeaux maintenant et le seront toujours. « René Char publia dans la revue “La Révolution surréaliste” deux articles sur Héraclite dit l’Obscur, qui l’avait convaincu d’une seule chose : la poésie n’est rien du tout, à moins qu’elle propose une vision du monde ; elle naît avec la philosophie et n’en peut être dissociée » (CASTRO, Gustavo de ; DRAVET, Florence. Comunicação e Poesia: itinerários do aberto e da transparência. Brasilia : Editora UnB, 2014, p. 46).
Castro et Dravet en vont même au-delà, affirmant que « Hölderlin ne croyait pas qu’une philosophie pût naître sur un terrain qui n’eût pas été arrosé par la poésie » (Op. cit., p. 68).
Le livre que voici est une tentative de poésophie, une combinaison du poïésis et de la philosophie. Pourquoi pas ? Si je n’y réussis guère, c’est autre chose... Je n’ai été le premier ni ne serai le dernier à poursuivre cet idéal. C’est un livre d’auto-assistance... seulement, je l’ai tourné à l’envers. De même que cela se produit dans les textes de Nietzsche, je me propose d’éviter un discours totalement linéaire, fondé sur la logique, d’essayer des ruptures, de sauter d’un thème à l’autre et d’en mélanger plusieurs, d’interrompre le raisonnement pour semer le doute et le non-sens... J’ai recours aux ressources paralinguistiques :
les couleurs, le déploiement de mots dans l’espace, les vers rimés sans l’unique prétention d’élargir le sens du texte, mais quelquefois avec l’intention de contredire ou de réfuter, les parataxes et les hypotaxes... Ou bien « l’envers à travers le vers », comme l’a défini Emanuel Dimas de Melo Pimenta. L’herméneutique est la clé de l’interprétation, sans dogmatismes religieux ni méthodologiques. Compte tenu de cette remarque de Pierre Lévy en défense de l’équanimité herméneutique : « La clôture herméneutique (par opposition à l’ouverture herméneutique) doit être ici comprise comme l’exclusion a priori des autres interprétations au profit de l’“unique vrai sens” d’un événement, d’un phénomène ou d’un texte en général. » (LÉVY, Pierre. A esfera semântica. 2014, p. 26).
Lévy qu’on vient de citer nous conduit vers une dimension dépassant les objectifs du présent livre, laquelle ne se tient cependant pas, d’une manière sous-jacente et provocante, trop loin des spéculations nietzschéennes : « La liberté était-elle essentiellement une ouverture à la multiplicité ou bien une unité forgée dans l’indépendance et l’autonomie ? Ou bien encore quelque chose comme un équilibre dialectique entre ces deux moments ? Et l’ouverture à la multiplicité pouvaitelle être pensée hors d’une universalité capable de la contenir sans la contraindre ? » (Ibidem, p. 31). [« Il est probable qu’aucun autre philosophe n’ait été aussi paradoxal, sous l’aspect stylistique, que Nietzsche »,
affirme Jorge Luiz Viesenteiner. Nietzsche
confirme, lui : « Il est difficile de me comprendre, et je serais un sot, moi, si je ne donnais pas à mes amis une marge d’action pour le cas de malentendus, et si je n’étais pas de bon gré reconnaissant à une certaine liberté d’interprétation ».]
Nietzsche se montre encore plus radical pour ce qui est de la possibilité de compréhension : « Celui qui a cru avoir compris quelque chose de moi s’est refait à mon image... » Clairvoyant comme il l’était, il se classait parmi « les hommes posthumes »... Sans une ombre d’affectation. Je n’y présente qu’une seule version. Comme il s’agit d’un processus, on n’en prévoit pas de conclusions... Ce serait possible de composer par dérivation des centaines d’autres poèmes... et de les refaire infiniment. Des versions, des interprétations. Non seulement l’œuvre de Nietzsche est ouverte, mais encore elle est kaléidoscopique ; ses textes sont holographiques, c’est une sorte de mœbius qui se nourrit de soi-même, d’une façon polyphonique et multifacette ! Je continuerai certainement à réviser mes textes et à les réécrire tant que je le pourrai. Les critiques seront bienvenues. Antonio Miranda
PRÉMONITOIRE C’est un jeu d’échecs sans pièces, rien que des mots. Pas de victoire : un acte continu – de l’épistémè à la doxa. C’est un paradoxe. Infini, jusqu’à ce que... jusqu’à quand... pour qui croit à l’Apocalypse. Ellipses, subterfuges, déguisements, malentendus, affrontements. Le dit par le non dit – le maudit et la foi sans questionnement. Croi (x/se) ment. « La douleur de Dieu est plus profonde, ô étrange monde ! » « Ô hommes supérieurs, que vous en semble ? Suis-je un divinateur ? Un rêveur ? Un rebelle ? Un interprète des songes ? Une cloche de minuit ? » D’Ainsi parla Zarathoustra
Nietzsche a pleuré, j’en ai retiré les larmes du texte ! Nietzsche a agonisé là-dedans, j’en ai décanté le sens. Désolé, il nous a promis, avec véhémence, le pire. J’en ai éventé la satire.
1 APPRENDRE À VOIR « apprendre à différer le jugement, à cerner le cas particulier au plus près et à le saisir de tous les côtés » De la patience face à tout : chaque chose est une chose à découvrir, à comprendre en silence et à distance, sans s’en délivrer ! S’y livrer : impulsion sans contention ni précipitation. Réagir. Aller vers l’autre, pénétrer et partager, sans forcer. Nous évoluons en compétition, contrôlant notre instinct.
2 TÉLÉOLOGIE « qu’est-ce qui devait être fait (...) pour que le chaos devînt un cosmos ? » Si tout est un mélange, être refait ; si tout est un (perpétuel ?) devenir, en mouvement (permanent), indifférent puisqu’il est différent : être existant. Le blanc se fait noir, le léger se condense et le dur tombe en poussière – rien à faire. En ex p a n s i o n jusqu’aux con/fins des temps : le mouvement d’un papillon se transforme en tsunami, l’ouragan perd sa force et s’endort. Pure poésie, pur vœu. Tout en feu.
3 FEU VIVANT « et de même que jouent l’enfant et l’artiste, joue le feu éternellement vivant » À l’instar de la mer qui fait et défait : écume et sable ; à l’instar de l’impulsion ludique de l’artiste et de l’enfant – béatitude sans certitude –, au-delà des préceptes éthiques, sinon au moyen de la délivrance esthétique ou bien artistique. « Pourquoi les hommes sont-ils si stupides et méchants ? » – demande Héraclite. Nous sommes égaux, mais tout en différant l’un de l’autre : nous sommes bons et méchants, nous alternons. « Le désir et la haine constituent le monde » – ponctue Parménide. Être et non-être : perversion de notre pensée, survenance des contraires dans un équilibre impossible. « On était », « on sera » : s’engendrer soi-même. Raison et contradiction. Oui et non. Résolution : le « non-être » n’existe pas... En effet ! acquiesce le physicaliste.
4 PENSER DIALECTIQUE « cette même lucidité qu’a le poète dramatique lorsqu’il se métamorphose » Vers du poète & penser dialectique du philosophe ; pour traduire ce qu’on a vécu en geste et musique : le contemplé, médité, mais manifesté – métaphorique, le devenir à travers d’autres corps ! Mais toujours indéterminé, mais celui qui se veut déterminé, terminé : la matrice de toutes les choses ! Ou bien une « chose en soi ». Malédiction éternelle, ce devenir périssant et puis renaissant, existant. Héraclite : « Je ne vois rien que le devenir ».
5 SAVOIR EN ACTION « utilisant ce qu’on a appris pour la vie, non pas pour la connaissance érudite » Plus que les origines du savoir valent ses déploiements – la philosophie est surmontable, elle aussi ! Les religions aussi se métamorphosent, quand elles ne se fossilisent pas, aliénantes ; le savoir est insatiable et irréfrénable ; il sert à vivre, non (seulement) à mourir. Action et civilisation.
6 SISYPHE « Toute la petite philosophie moderne (...) se borne aux académies, coutumes, modes, lâchetés des hommes. Mais si... » Savoir de sapio, de savourer, déguster ! Avec son envie d’apprendre, la science surabonde en recherches sans fin – « convoitise aveugle » –, et la philosophie – avec sa morale et son esthétique – fait l’essai des conceptions, entravant les préconceptions – reflets de ce monde : liaison ou combinaison... avec des finalités et des casualités.
7 NOÛS « alors le noûs se remettra en mouvement et, non plus divisé lui-même, vaguera par le monde... » Le vouç qui dirige tous les processus de l’Univers, vers à vers, en nous unissant à tous et à tout : ceux et celles, dans sa compréhension de la vie – signification. Intelligentsia. Noûs, mens, nous, vous, eux – l’esprit actif d’Anaxagore. Néoplatoniciens, néobaroquistes, non. De l’uNique au multiple, lorsque ou quoique – activités de l’être... paraître : ravissements. Du Bien au Zen, sans reflux, un flux infini : matière et forme, formation, oui et non. Pourquoi non ? Parce que oui. C’est ainsi : actif et passif – transitif.
8 SUBORDI-NATIONS « les Romains et les Étrusques tranchaient le ciel avec de strictes lignes mathématiques et, dans un espace ainsi délimité, ils enfermaient un dieu comme dans un temple » Comment édifier un discours sur des fondements mobiles, créant des hiérarchies et des métaphores ? Édifier des langages, créer des lois et des privilèges – sortilèges – des subordinations, des démarcations, des institutions ! C’est pourquoi nous sommes des humains ! – assure-t-on. Chaque dieu est sur son territoire, chaque homme en ses lieu et moment, comme un facteur survenu, migratoire. Anthropologique, anthropomorphique : homo sapiens, mesure de toutes les choses, une « chose » éloignée de cette Origine qui prétend dévoiler et puis dominer.
9 IL EST INTERDIT D’INTERDIRE « je parle immoralement, extramoralement, par-delà le bien et le mal » Esprits libres, ceux d’Humain, trop humain. Vie artificielle, contre la maladie et l’isolement : « établir l’emprise de l’art sur la vie » ; « cette splendeur des institutions métaphoriques ». Déguisé, Nietzsche cherche ses pareils ou tente de se reproduire en eux ; il égalise les inégaux en les transformant. Si c’est possible une fois, que ce soit possible de se maintenir, de reproduire, de multiplier. Peu de gens peuvent en changer beaucoup ! Il n’y eut que 100 hommes qui forgèrent Athènes ; la Renaissance dépendit d’une poignée d’hommes. Combien sont ceux qui forgent le Nouveau Temps ? Quelle Histoire sera la nôtre dans la mémoire des peuples, quelles traces vont persister ? Et les plus illuminés, les créateurs, qui vivent toujours dans l’avenir ? Il est interdit d’interdire : on marche vers l’impossible.
10 L’ILLOGIQUE NÉCESSAIRE « il n’y a pas de faits éternels, de même qu’il n’y a pas de vérités absolues » La « supériorité » du prédicateur, prestidigitateur, des aeternae veritates, quelque chose qui reste immuable dans le culte marmorisé de notre foi : « témoignage sur l’homme d’un espace de temps très limité », sacrosaint. La Sainte tunique, la raison ritualisée. L’apparence au lieu de l’essence. Le langage en tant que connaissance du monde... « Seules les désignations ». Seules, veules, les représentations ! Et se sentir humain ! « Des peurs superstitieuses et religieuses » – délivrance de la peur et du péché originel ! « Manque de finalité ultime de l’homme ». « Les poètes savent toujours se consoler ».
11 ENNOBLISSEMENT PAR DÉGÉNÉRATION « c’est de ces individus les plus dissociés, beaucoup plus indécis et moralement plus faibles, que dépend le progrès spirituel » C’était Nelson Rodrigues qui disait acquiesçant : « Toute unanimité est niaise ! » Consacrées les « natures dégénérées » qui déstabilisent les hégémonies, selon Nietzsche, qui transforment (je ne sais si c’est pour le bien ou pour le mal : je persisterai à chercher la réponse...). Ce qu’on se propose c’est de continuer à lire cet auteur d’Humain, trop... chez qui l’on rencontre : « Tout progrès sur une vaste échelle doit être précédé d’un affaiblissement partiel ». Sans crise il n’y a pas de changement. Faut-il de l’entêtement ? « Les natures les plus fortes raffermissent le type, les plus faibles aident à l’améliorer ». Or, je me tais. Entêtés et dégénérés, unissez-vous ! Dans un équilibre instable : enseigner à questionner, tandis qu’on se (re) construit. Nietzsche avertit : « la plus dangereuse compagne de toute continuité, l’autorité se défendra contre cela ». Et c’est pour cela...
12 SUCCOMBER AU LIEU DE SE... « les âmes de tous ces prétendants à la vérité étaient totalement imprégnées de jalousie et d’écume » Ayant surmonté « la civilisation d’hommes », les Grecs (au sixième et au cinquième siècles av. J.-C.) « n’eurent jamais plus de traitement aussi amoureux ». Les éphèbes ! Les femmes dans le processus de procréation ! « Rien de plus n’était pris en considération ». Il restait pour les femmes « des cultes religieux ». Il y avait des personnages féminins dans leurs tragédies, mais interprétés par des acteurs, hommes chaussés de cothurnes, élevés au-dessus des autres. Le danger « de ces communautés puissantes », basées sur des individus homogènes, contre la liberté de la majorité dissipée capable d’« accueillir cette nouveauté » et de prospérer. « C’est de ce hasard précis que la vie émane, vieille comme Hérode, mais avec l’amnésie des débuts » (Eduardo Mondolfo).
13 ESPRITS SUBVERSIFS « la religion rassérène l’esprit de l’individu en temps de perte (...) pour atténuer les souffrances de son âme » La religion est une arme dont l’État fait usage pour maintenir la foule dans la soumission. Ou bien, à sa place, les idéologies et les règlements, la supervision, la censure, la socialisation... Oui ou non ? « Les intérêts du gouvernement tutélaire et ceux de la religion marchent main dans la main ». Avec « le doigt de Dieu » – Dieu m’en garde ! –, nous sommes tous sujets aux dispositions qui viennent de « là-haut »... Du « haut » du Pouvoir terrestre, ce « tuteur au nom d’une foule incapable ». Et si la Religion devenait un sujet privé ? Sans l’institution de l’État ni de l’Église ? N’y aurait-il pas une foule de sectes radicales, voire terroristes ? Ça ressemble un peu à l’époque que l’on vit.
14 FRAGILITÉ DES VALEURS « Rien n’a coûté plus cher que ce grain de raison et de liberté qui nous enorgueillit aujourd’hui » Sans doute toutes les choses « bonnes » « ont-elles été mauvaises autrefois, tout le péché originel transformé en vertu originelle ». C’est de lui que nous provenons (il y en a qui y croient). Le mariage était un délit... la procréation, pas question ! Toutefois, les plus humbles procréent comme des lapins, comme si c’était un dessein divin. Il n’y aura pas d’espace pour tous, annonce un nouveau Malthus. Les enfants sont élevés (croit-on) dans des conditions (im)possibles. Sacrifice humain, votif, vomitif. Est-il primitif ? Avortement ? Contrôle de natalité ? On améliore les végétaux pour qu’ils se multiplient : ô la faim !!! On clone des animaux et des gens afin de combiner les gènes et non seulement les prénoms et les noms.
15 ANTICIPATIONS « Ce qui est grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but » « J’aime Celui qui ne réserve pas une seule goutte de son esprit pour lui-même, mais qui veut être tout entier l’esprit de sa vertu : c’est ainsi qu’il passe en esprit sur le pont » ZARATHOUSTRA En fait, c’est ainsi : Celui, avec ce C majuscule, comme un dieu pour lui-même, qui s’assume. Nietzsche voyait Zarathoustra comme un « soi » hors de soi, transcendant, divin et affirmatif, doué d’une âme qui « se prodiguait » sans quêter de gratitude. Il tenait ses promesses. Il vivait dans l’avenir en s’extériorisant, en s’y retrouvant. Il est parmi nous, et nous sommes avec lui.
16 CREDO QUIA ABSURDUM EST « La conviction c’est la croyance qu’en un point donné de la connaissance on possède la vérité inconditionnée » Croire aux méthodes parfaites d’accéder à la vérité. La pensée scientifique ? Mourir par les certitudes du moment. Expression dogmatique, non pas scientifique ! Seuls les fanatiques ont foi en leurs croyances. Des idéologies sans espace pour le contradictoire. « Ce ne fut pas le combat des opinions qui rendit l’Histoire tellement violente ; ce fut le combat des croyances en ces opinions ». On offrait des sacrifices. Sermon vs Sinon. Si... quelque questionnement l’admettait, « quel aspect pacifique aurait l’Histoire de l’humanité » ? Conjectures et réfutations.
17 JUS PRIMAE NOCTIS1 « La douleur passait alors pour vertu, la vengeance pour vertu, le renoncement à la raison pour vertu, le bien-être passif pour danger, le désir de savoir pour danger, la paix pour danger, la miséricorde pour opprobre, le travail pour démérite, la démence pour quelque chose de divin, la conversion pour immoralité et la corruption pour quelque chose d’excellent » (de « La Généalogie de la Morale ») Vendre et se vendre, s’approprier. Ensuite, se soumettre au droit ! Ce n’est plus vetitum, une innovation, un délit institué avec violence et outrage. Renoncer à la vengeance. « Rien n’a coûté plus cher que ce grain de raison et de liberté qui nous enorgueillit aujourd’hui ».
1
Droit du seigneur féodal à la « première nuit » du mariage.
18 LA VOLONTÉ, IN EXEMPLAR « inconditionnée / liberté et irresponsabilité de la volonté » La « volonté » qui met tout en mouvement et hors d’ordre. Mais contre le sentiment de Culpabilité. Nier le Péché. « Dieu, le pécheur, et l’homme, le rédempteur ». Contre cet homme agneau « qui traîne les péchés du monde », sans salut. Néga(c)tion ! Oui ou non ? Fausse et aveugle commisération. D’après Lawrence Sterne, « tout ce qui se trouvait entre le sublime et le vil lui était familier ». De la volonté à volonté. [Je vois par son entremise, je prévois.]
19 POUR LES ESPRITS LIBRES « On doit parler seulement lorsqu’on ne peut se taire, et parler seulement de ce qui s’est surpassé, le reste étant de la logorrhée, de la “littérature” » Ne plus croire en rien ! C’est « sur vérité et mensonge au sens extramoral » qu’écrivit Nietzsche. Défiant, cheminant vers soi-même, évitant tout et n’importe quel conformisme. Ainsi donc : « parler de l’ermite », « gratitude à l’égard de la vie », mais la regardant de travers... « Déchaînement » des envies. « C’est ainsi que quelqu’un se parlait à soi-même ». (Mais je vais avec lui, sans qu’il me voie).
20 APPRENDRE À DÉSAPPRENDRE « pour en arriver enfin, peut-être trop tard, à changer notre façon de sentir » Bénéfices intellectuels et mentaux « qui apportent avec eux une solitude profonde ». Liberté de devoirs et de mœurs, s’isoler du « dehors ». « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » hurla Christ sur sa croix. Sainte Croix ! Comme Don Quichotte, contre ces moulins de la pensée. Désolation et solitude, mais tout en recouvrant sa vision du monde. Je dis donc : qu’on vienne me défendre contre moi-même, qu’on me sauve de moi-même. Je veux être innocent, sans péché, ressuscité et en train de me transformer.
21 LES MOIRES GRECQUES « Les Grecs donnaient à ce royaume de l’incalculable, [du hasard] et de la sublime niaiserie éternelle le nom de Moires (...) » Rêvant au crépuscule des dieux, se délivrant de la peur de vivre. Redoutant que tout accident ou rachat vienne de Lui ! Fuir la « fantaisie excitable de la peur » sans subir l’exil ni l’isolement, et que « chacun s’aide soi-même » sans se moquer des souffrances d’autrui. Ma l(h)eur. Et alors ? L’auto-assistance ? L’abnégation, sentiment confus et diffus. Comment s’élever au-dessus de la morale ?
22 ACCOUTUMÉS À LA NÉCESSITÉ « nos élans vers la connaissance sont trop forts pour que nous soyons encore capables d’estimer un bonheur sans connaissance » Croire : la connaissance est capable de tout – notre passion et notre réalisation, toutes deux suprêmes. Seule une commisération sans rémission des péchés. Quelle est la connaissance que nous acquérons et puis partageons ? A-t-on fait naufrage dans l’infini ? En voir davantage et d’une autre façon ? La nécessité (actuelle) d’une logique, ou non, en opposition – « des êtres intuitifs ». Veut-on de la philosophie ou recherche-t-on de la religion ? Il « attend et accepte ce qu’il y a de meilleur de la grâce et de l’amour divins », non des siens, le chrétien. « D’autres oiseaux voleront plus loin ».
23 LE PENSEUR MALADE « il se peut que les penseurs malades en viennent à devenir prépondérants dans l’histoire de la philosophie » Ceux qui emploient la philosophie pour se rendre compte de leur malheur humain y voient un médicament et leur dernier refuge. Il y en a tellement ! La pensée soumise à la maladie. Ils prétendent encore guérir tous les autres. Leur propre corps en observation. Pourquoi pas ? Un cobaye pour soi-même. Si le corps est malade, l’esprit est-il sain ? L’esprit sage, réflexif : « l’un à part et l’autre au-dehors ». La physio-logique, l’expéri-actualité. Quelle est la valeur réelle de l’existence ou de la faillite de l’être ? L’idéelle.
24 DUALITÉS « Comment faire du bien et vouloir du bien à ceux qui dépendent de nous » Il est plus manifeste, le mal que l’on fait... que le bien qu’on pratique distrait. On suscite, on provoque, on agit : sentiment de puissance ou de sacrifice. Métier de qui rentre, soumis, au bercail, risqué et téméraire, ou bien solidaire. Vision de l’égalité ou de la supériorité, commisération, piété ou insanité. « Habitués (nous le sommes) à la doctrine de l’égalité des hommes, mais non pas à l’égalité comme telle ». La puissance du philosophe à la grecque : « l’esclave est tout un chacun qui n’est pas philosophe », y compris le Puissant... Humanité et bestialité : dualité.
25 LE RÉEL « l’apparence (...) finit (...) par se transformer en essence, et elle produit ses effets comme telle ! » On vit d’apparences. Des noms au lieu de choses. Peu importe ce qu’elles sont... Réputation construite, projetée ou perdue. Une garde-robe en mouvement, un catalogue exposé, simulacre et projection créée. Nietzsche préfère l’effectivité, lui : production d’un effet (Wirkung) au lieu d’une réalité, à en croire Héraclite. « S’effectuer » comme l’a voulu Schopenhauer. Comme une « phrase d’effet », des « effets spéciaux ».
26 DIEU EST MORT « on naît déchiffreur d’énigmes ». « On se sent, apprenant que “le vieux Dieu est mort”, comme illuminé par les rayons d’une nouvelle aurore ». « toute audace de connaisseur est de nouveau permise » Réaction dans une université chrétienne américaine : « Nietzsche est mort. Signé : Dieu ». Qui est convaincu de quoi ? Les convictions sont passagères, fugaces, quelque durables qu’elles soient. Fruition, stupéfaction, oubli. Hypothèses hypothéquées, presque des affiquets, mais qui valent autant qu’elles durent ! La science présuppose-t-elle la croyance (éthérée) ? Mais avec les assises de l’avenir. « Défiant, inconditionnel ou confiant inconditionnel ? » Et ce qui est accidentel ? Eurêka ?! Par contre, « la volonté de vérité ». Une croyance métaphysique !!! D’après Platon, Dieu serait la vérité divine – ou ce mensonge-là, généreux et consolateur ? [Si Dieu est mort, c’est qu’il avait existé]. Oh pardon : en voici une métaphore mal venue.
27 CONVICTION EN TANT QU’AFFECTION « sous l’emprise d’une certaine morale (...) diverses superstitions populaires de l’Europe chrétienne » : « renoncement à soi-même aboutissant à la négation de soimême, au sacrifice de soi-même (...) » Aurait-il sa morale, un consensus universel ? « Tu dois », c’est ainsi, il le faut... « Une morale pourrait avoir dérivé d’une erreur ». Valeur curative ou fatale. Moralisme, nihilisme... Qu’il nous domine : un Dieu, un politicien, un confesseur, un médecin, un professeur... Par-delà notre volonté, au-delà de la liberté, « le fanatisme à l’époque où la volonté s’assoupit », comme la protection ou l’orientation des « faibles et indécis ». Partout où l’homme en arrive à la conviction fondamentale qu’il faut bien qu’on le commande, il devient un « croyant ». Sur quoi fonde-t-on la morale ?
28 CONSCIENCE DE SOI « Conscience : en quelle mesure pourrait-on s’en passer ? » « le raffinement et la force de la conscience sont toujours en proportion avec l’aptitude à communiquer que possède un être humain » La conscience serait née de la nécessité de communiquer, de se refléter, du lien « entre homme et homme » (ou femme...) ou, pour mieux dire : s’extérioriser, se faire comprendre en se persuadant de sa propre conscience-existence. En quelle mesure serait-elle intelligible et nécessaire ? Pensée consciente (ou bien indulgente), pensée exprimée par des mots, de dedans en dehors. (Mais pas nécessairement due à notre raison...)
29 LA VITRE « méfiez-vous de tous ceux dont la volonté de punir est puissante ! » « On domine celui qui ne peut obéir à soimême » ZARATHOUSTRA On doit se méfier de ceux qui parlent beaucoup de la justice comme telle. Ceux qui dominent en portant le fardeau de ceux qui obéissent. Il y a toujours un péril pour qui domine et un autre, plus grand encore, pour qui obéit. Même « quand on se domine soi-même »... Et pis que cela : « un bien et un mal qui soient impérissables, il n’y en a pas ! » D’où cette erreur de se tromper soi-même. La volonté de puissance. Être une vitre et son éclat. La volonté de vaincre sans dominer à son corps défendant. Mieux vaut être suivi sans se soumettre.
30 ANTICIPATIONS « c’est de compagnons de voyage que j’ai besoin, et qu’ils soient vivants (...) parce qu’ils veulent aller, de par euxmêmes, où je veux aller, moi » ZARATHOUSTRA Nietzsche, un prophète, un pasteur – en voilà une drôle d’histoire ! Fuyant les troupeaux en quête de compagnons. Contre les croyants, quelle que soit leur croyance. Brisant les valeurs, les questionnements. « Je veux » AU LIEU DE « Tu dois ». Être libre pour de nouvelles créations. « Un tout nouveau commencement », « un grand oui à la vie ». Ainsi parla Zarathoustra. Nous n’aurons qu’à...
31 VOLONTÉ DE PUISSANCE « rien d’autre n’est donné pour réel, si ce n’est notre monde des appétits de passions » (...) « précisément la réalité de nos impulsions » « Volonté de puissance » ou, mieux encore, celle de dominer – pour vaincre le nihilisme – vitale et affirmative, valeur biologique de la connaissance, fonction de la vie ! Étendre toujours ! Une vérité métaphysique, transformatrice, dynamique. Non seulement le devenir de l’être, cette « essence intime de l’être ». Pathos. En opposition à la « volonté de vérité ». Par-delà le bien et le mal. Instinct. Intention. « Curieux jusqu’au vice, inquisiteurs jusqu’à l’atrocité » ; « c’est cette espèce d’hommes que nous sommes, nous, libres d’esprit ». Libér a(u)teurs.
32 PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL « attendre l’avènement d’une nouvelle espèce de philosophes (...), inverse à celles qui ont déjà existé, espèce de philosophes du dangereux sous tous les aspects » Contre les jugements synthétiques a priori que l’on croit justes ! Émis par ceux qui imposent leurs pré/conceptions... « Admettre » donc « la contrevérité comme une condition de vie ». Ce pourraient être des jugements faux, impossibles, ceux d’une « croyance de façade ». « Le Malade imaginaire » (Molière), virtus dormitiva. Des principes téléologiques superflus ! Séduction des paroles... Penser comme on le veut (peut-être), comme on le sent. Mentir.
33 APPARENCES « Est-ce que c’est seulement de la conception de “soi” que découle, comme son dérivé, le concept d’“être”... ? » Les éléates croyaient – comme beaucoup d’entre nous, d’ailleurs – que nous étions venus du divin, car nous sommes doués de raison ! Concept d’être : le langage en tant que raison de savoir. L’artiste enclin à se fier aux apparences : création nouvelle et perfectionnée – « le vrai monde se tourna en parabole »... « Le » dionysiaque, paradisiaque, aphrodisiaque... « moi, Platon, je suis la vérité » (...).
34 CONTRADICTIO « Les agnostiques adorent-ils maintenant le point d’interrogation à l’égal de Dieu ? » « Chaque opinion est aussi une cachette, chaque mot est aussi un masque » L’interprétation peut être aussi une falsification. Croyance en une valeur métaphysique, mais aussi en son opposé. La réciproque tenue pour vraie... Contre la vérité divine. Idéal ascétique. Contradictoire quant aux fonctions de la vérité. Le début et la fin, si le penser est ontologique. Mettre en question la valeur de la vérité – pourquoi pas ? –, un des préceptes du Gai Savoir. La science en tant que créatrice de valeurs. Jeu de masques. Quelle horreur, cette dogmatisation. Elle est intouchable, la vérité.
35 CONTRE-NATURE « nous autres, les immoralistes, avons (...) notre cœur ouvert à toute forme de compréhension » « les affirmatifs » Contre la négation « de la volonté de vivre », celle des trappistes qui s’imposent des mesures « de castration, d’extirpation ». Non et non ! Une rébellion contre la vie, des guérisons radicales. « La vie se valorise elle-même à travers nous autres, quand nous en établissons les valeurs ». La « liberté intelligible » de Kant. De Platon. Nietzsche. « On est en tout », libre de la fatalité. « Le concept “Dieu” fut jusqu’ici l’objection maximale contre l’existence... » Apaiser l’homme bestialisé moyennant « le perfectionnement ». Animaux mis en cage pour l’apprivoisement. Cette morale-là qui esclavage ceux qu’elle veut libérer. (« Que notre Reich arrive ». Gérard Lebrun).
36 ANTICIPANT LE JUGEMENT DERNIER « Être prêt à sacrifier des êtres humains, sans exception pour soi-même, à sa cause » « à cinq pas de la tyrannie, sur le seuil de la servitude menaçante » Le Jugement dernier est une condamnation annoncée, « une vengeance ». Dernier, il anticipe sur le Péché. Porter la croix de son impureté originelle. Transformer le condiment de sa vie en poison. Vertus conditionnées, bontés imposées, égalités simulées, progrès caduc. « Le libéralisme : terme allemand, bestialisation en troupeau... » La liberté : « quelque chose qu’on possède et qu’on ne possède pas, qu’on désire et qu’on conquiert... »
37 FAIRE LE NON « ce n’est pas l’impuissance face à la nature, mais l’impuissance face aux hommes qui suscite l’amertume la plus désespérée face à l’existence » Cette façon primitive de se soumettre au mal (religion et morale) pour se justifier. Vertu en tant que ruse et théodicée. Jusqu’à quand peut-on supporter la « vérité » ? Entre le « oui » dionysiaque et le « non » démoniaque. Sans la « volonté de puissance », succomber, se résigner, se faire humble et indécis... Ceux qui ont besoin d’articles de foi poussés à l’extrême. Ainsi le mal est-il justifié en tant que punition...
38 ERREURS « Abstenons-nous de dire qu’il y a des lois dans la nature (...) elle n’a rien qui commande, rien qui obéisse, rien qui transgresse » Il n’y a pas de finalités ni de hasard. Ni de mort qui s’oppose à la vie. Ni de substances éternelles, bonnes pour nous et en soi. Raison en tant qu’activité libre, originaire d’elle-même. Jugements et convictions en tant que « vérités ». Connaissance et erreur en combat. D’où vient-elle, la logique que nous soutenons ? Dans quelles hypothèses serions-nous égaux ? Nietzsche : « Nous voulons devenir ceux que nous sommes » !
39 S’IMITER (PORTRAIT DE NIETZSCHE 1) « tout idéalisme est une tartuferie face au nécessaire, mais l’aimer... » Nietzsche a insisté sur une « transvalorisation des valeurs ». Il était « sain dans ses bases ». Volonté de vivre. Il a eu recours à de mauvaises choses « pour son avantage ». En sommant toutes les choses. Tout ce qu’il entendait, voyait et vivait. Toujours en sa propre compagnie. Sans culpabilité ni péché, « quitte envers soi ». Sublimé dans l’intimité de Wagner. Des instants profonds, des hasards sublimes. Allemand par antonomase, toujours étranger. Ces petites choses, si importantes, vitales. Contraire au fanatisme, supposé sain. Souffrir à cause de la multitude, sortir du troupeau. « Je suis une chose, moi ; mes écrits sont autre chose ». Pour ne pas être confondu, il tâchait de ne pas confondre.
40 S’IMITER (PORTRAIT DE NIETZSCHE 2) « L’impossibilité d’une unique interprétation du monde » Non à l’existence vue comme un châtiment – « une estimation morale des valeurs ». Dépouiller la science de toute valeur morale ! En faveur d’une critique sévère de la morale chrétienne. Échapper à une certaine autorité surhumaine : « plus la morale s’émancipe de la théologie, plus elle devient impérative » ; « la forme la plus extrême de nihilisme : le rien (le non-sens) éternel ! » Annihiler le fanatisme avec du bonheur. Chaque événement vu comme un trait fondamental de l’être, « chaque instant de l’existence universelle ». Un intemporel qui habite l’avenir. Zarathoustra ne cherchait pas d’épigones.
41 PRÉ-JUGÉS « Toute morale est (...) une partie de la tyrannie contre la “nature” et contre la “raison” aussi (...) » « nous sommes depuis nos origines, depuis l’Antiquité, habitués à mentir » Ce serait (c’est, dit Nietzsche) « l’hypocrisie de qui commande ». Et qui ment... Tout en servant les troupeaux qu’il dit protéger. Mentir comme une forme de survivance ; vivre d’apparences... Des masques. Nos « valeurs » tenues pour vraies, reconnues comme des vérités et vertus : « Une nouvelle espèce de philosophes : ceux du dangereux, peut-être sous tous les aspects »...
42 JUGEMENT À PRIORI « survoler ce qui est entièrement contradictoire ou bien en passer à côté... » « quelle origine ont-ils proprement, notre bon et notre mauvais ? » Nietzsche a cherché sa réponse à lui. Immoraliste, tout en séparant « le préjugé théologique du moral », il n’a plus scruté « l’origine du mal ». Dieu en tant qu’origine du bien et/ou du mal ? Le bon et le mauvais favorisent-ils l’humanité ou l’entravent-ils ? Ascension ou dégénération de la vie ? Elles sont venues, les réponses et les nouvelles questions... Croyances et méfiances... Méfiances, divergences. La violence. Précepte versus préjugé.
43 VALEUR ET VALORISATION « cette théorie recherche le point d’apparition de la conception du “bon” au lieu de l’“erroné” proprement dit » Jugements suprêmes : la bonté qu’on attribue aux nobles, la méchanceté dont on accuse les plébéiens, hommes ordinaires... Sentiments inférieurs... Valeurs autoproclamées. Hiérarchie et pouvoir, valeurs et... compétiteurs. Pas de pardon pour le non ! Bon et mauvais, le bien et le mal. Le langage en tant que puissance des dominants, quant à la société, au gouvernement et aux religions. Les généalogistes de la morale tenus pour égoïstes... Un troupeau. La parole comme une forme de domination, sacrée, consacrée ou bien dégradée. Instinct et valeur, est-on maître de soi ? Maître de qui ? Ces valeurs augustes. Vétustes... « La rédemption du genre humain (c’est-à-dire sa rédemption en qualité de “maîtres”) est sur le bon chemin », ironise Nietzsche. Qu’elle soit théocratique, qu’elle soit laïque... Dire oui à soi-même, c’est noble : « la morale des esclaves dit non ».
44 CULPABILITÉ ET DETTE « Le sentiment de culpabilité, celui d’obligation personnelle (...) eut pour origine (...) la plus ancienne et la plus originaire des relations interpersonnelles (...) celle d’acheteur et de vendeur, de créancier et de débiteur... » Mesurer la valeur, l’estimer (!), acheter et vendre. Serait-ce différent dans une institution religieuse ? Je donne, tu reçois ; elle se dit magnanime, altruiste... mais elle attend sa récompense, une reconnaissance. Serait-ce une offense ? Châtier, réclamer son dû. La douleur d’autrui, rédemptrice... et des sacrifices. Ces mutilations propres aux religions, ces exorcisations. « Ce ne fut point par ingénuité que l’Église postconciliaire (...) changea le texte de Notre Père, remplaçant “remettez-nous nos dettes” par “pardonnez-nous nos offenses” »... tant d’idées fixes. Lois divines et humaines. Culpabilité et dette. Le don de la vie. Nous en sommes les débiteurs. Plus nous payons, plus grande devient notre dette. Devrons-nous nous rendre ?
45 LES CROYANTS « La volonté de vérité nécessite une critique » ; « la valeur de la vérité doit être pour une fois, expérimentalement, remise en question » Les idéalistes, les ascètes radicaux, ces « impies » sont croyants eux aussi. Ils prétendent expliciter leurs croyances... « l’invraisemblance » de ce qu’ils croient vrai ! Ils se considèrent comme fortunés par rapport aux croyants. Ils constituent une « vraisemblance », celle du leurre. « Ces sceptiques (...), pâles athées, antéchrists, immoralistes, nihilistes (...) », affirme Nietzsche, « ils sont encore loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... » Lorsque rien n’est vrai, tout est-il permis ? Lorsque le « non » est prohibé avec la même rigueur du « oui ». On peut donc se méfier de toute espèce de croyants. Et si Dieu n’est-il que « le mensonge le plus long » ?
46 LE MONDE VRAI « C’est seulement de la conception de “soi” que découle, comme son dérivé, le concept d’“être” » « Le bonheur équivaut à l’instinct » Le monde vrai est celui que nous habitons. Le soi-disant monde « apparent » de Kant : la « réalité », « mais triée, renforcée, corrigée », garantit Nietzsche. Ce « vrai monde »-là inatteignable, il est en outre inconnu. Inutile. Une idée futile. Si l’on nie le vrai monde où l’on vit, quelle sera la réalité qu’on habitera ?
47 CURES ET SINÉCURES « la négation de la volonté de vivre – c’est l’instinct de la décadence en soi qui se change en impératif : “Coule à pic !” – , elle est le jugement des condamnés » Les immodestes manquent de modestie, pas de cruauté. Il y aurait de la sincérité dans leur crédulité, leur ingénuité, leur bonne volonté... Une « cure » pour eux ! Car ils prêchent, eux, toutes les cures ! Et les sinécures. « Castration, extirpation, dation et absolution ». Préjudices incomptables, avantages intégraux. Le jugement d’un condamné : « Non ! L’homme devrait être fait d’une autre manière ». « Il sait (...) comment il devrait être, ce pauvre petit bigot » (Nietzsche, Le Crépuscule des idoles).
48 RIEN N’EST RESTÉ INTACT « La croyance tenue pour impérative est un veto à la science – in praxi, un mensonge à tout prix » L’Église a falsifié l’histoire de l’humanité « comme étant la préhistoire du christianisme » : le créationnisme. « Rien n’est resté intact ». Former des troupeaux, « tyranniser les masses » ; « la preuve de vie est encore celle du rédempteur ». Résurrection. Sujétion au Jugement : « l’immortalité » placée là d’où l’on ne revient pas, là où l’on ne se rachète pas, et le feu éternel de la punition. Une mort immatérielle et surnaturelle, la vie condamnée à « là-bas » ; « la vie a été privée de sa gravité ». Une âme immortelle ? Antinaturelle. Spectrale. « Personne ne me sauvera du mal ».
49 OFFRANDE EN VIE « (...) il faut qu’un sens, premièrement (...), ait déjà été introduit » Réalité et vie : in statu nascendi – l’essence même de l’être et sa compréhension. Son mouvement naturel, qu’il fait de par soi-même – la psyché. Le fondement. En tant que réalité et tant qu’il est réel. Interpréter ! Assumer, responsable de soi et indépendant, conséquemment. « Les instances de génération, de genèse ; somme toute, de Vie » (Gilvan Fogel). Offrande, don, tension, considér/a(c)tion !
50 SÉLECTION EN TANT QUE SALUT « toutes les valeurs auxquelles l’humanité rattache maintenant sa désirabilité la plus haute sont celles de la décadence » Pourquoi l’homme est-il si corrompu ? – demande Nietzsche, suggérant la réponse : « lorsqu’il perd ses instincts (...), lorsqu’il préfère ce qui lui est pernicieux ». Pour lui, la vie vaut bien comme « un instinct de croissance, d’allongement, d’accumulation de forces, de puissance. Le déclin a lieu où il manque la volonté de puissance ». Le nihilisme, « sous les noms les plus saints », on le domine. Le christianisme dépressif et compatissant ; la force dépérie, le sentiment communicatif et passif. Aristote « considérait la compassion comme un état maladif et dangereux ». « Schopenhauer a raison : vu la compassion, la vie est niée, elle devient plus digne d’être niée, la compassion étant la praxis du nihilisme ». La sélection serait donc le salut de l’individu.
51 OFFRANDE EN VIE « (...) il faut qu’un sens, premièrement (...), ait déjà été introduit » Réalité et vie : in statu nascendi – l’essence même de l’être et sa compréhension. Son mouvement naturel, qu’il fait de par soi-même – la psyché. Le fondement. En tant que réalité et tant qu’il est réel. Interpréter ! Assumer, responsable de soi et indépendant, conséquemment. « Les instances de génération, de genèse ; somme toute, de Vie » (Gilvan Fogel). Offrande, don, tension, considér/a(c)tion !
52 DIEU ANTHROPOMORPHE « La croyance au corps est mieux fondée que la croyance à l’esprit » Dieu « est-il » un esprit à la ressemblance de nous autres ? Est-il un homme, un garçon ou une femme ? Est-il vrai ou ne fait-il que passer pour vrai ? Laisser nos raisons de côté et « nous élever » par nos émotions : « à l’aide des sentiments et non pas des raisons ».
53 INTERTEXTUALISANT « la volonté inconditionnée de ne rien simuler et de voir la raison en réalité, et non pas dans la “raison” comme telle ni, moins encore, dans la “morale”... » Nietzsche, apparenté à Thucydide et à Machiavel. (Existe-t-il une cure à l’idéalisme et au christianisme ?) Il était disciple du philosophe Dionysos : il aimait mieux être un satyre que de passer pour un saint... Ecce Homo. La satire Ménippée, les satires de Varron... Nietzsche se défiait des Juifs, mais il critiquait plus encore le romantisme exacerbé des Allemands. Ce fut par des Juifs que Platon apprit, en Égypte, un préchristianisme... L’idéalisme. « Un pont qui menait à la croix ». « Celui qui, prêt à souffrir, / chercha pour vous des abris et qui, souffrant à grands cris, / en vint pour vous à mourir ! (...) Ah si, de tout ce tourment / qu’il avait soutenu, Le moindre cri seulement / vous était parvenu... » (Gregorio de Mattos)
54 CONVICTIONS, NOS PRISONS « C’est quelque chose qui ne voit pas suffisamment loin... » « La conviction en tant que moyen. À l’inverse, la nécessité d’une croyance, d’un inconditionné du oui et du non (...), une nécessité d’être faible » Disconvenance, dépendance et obéissance... Incapable « de se proposer comme une fin (...), de proposer des fins en partant de soi-même ». Privation de soi ; mais cela nous envoûte dès la banqueroute. Il y a beaucoup de leaders, de convaincus et de fanatiques. Il y a des dogmatiques, des « invaincus », des martyrs. « Foi aveugle, couteau tranchant » – dit Joao Cabral. Porter des visières, c’est moi qui le dis. Les sceptiques sont des esprits libres. Zoroastre, avec emphase : « Le “croyant” ne s’appartient pas ».
55 MENTIR CONSCIEMMENT « Un enfant (...) ment avec toute son innocence » « (...) il dit toujours, de façon involontaire, ce qui correspond à son intérêt » Mentir toujours, à dessein, et croire à son propre mensonge. Reconnaître qu’on ment toujours et qu’on est sincère en cela ! Et c’est pour cela que nous sommes humains... Par pure convenance, notre survivance. Croire à l’âme immortelle, à la divine providence, à l’existence d’un dieu et ainsi de suite. Et le dogmatisme qui s’ensuit « est proportionnel à l’ignorance » – pressent Flavio R. Kothe. Nietzsche résume, lui : « Le mensonge principal est celui que nous racontons à nous-mêmes ».
56 AGIR (CONSCIEMMENT ?) « Pour quelles raisons agit-on dans le champ moral ? » « Pour quelles raisons doit-on agir, c’est ce que nous demandons, nous » Nous avons des raisons d’agir : nous sommes donc actifs. Quels appellatifs, quels lénitifs ? Les moralistes se différencient : les uns observent comment les êtres humains agissent. Les autres réagissent : pour quelles raisons agissent-ils, proactifs ? « Un paysage moral : agit-on et en a-t-on besoin ? », ce fait-là n’explique rien. Un présupposé commun : « Qu’on agisse pour quelque raison ». Nietzsche doute qu’on agisse pour quelque raison : on agit parce qu’on vit. Survivance. Conscience ? Avenir. À venir. « Nous avons tous une raison majeure d’agir ».
57 COGITO « La croyance au corps est mieux fondée que la croyance à l’esprit » « Par la voie cartésienne, on n’arrive pas à une certitude absolue » J’existe, donc je pense. Je n’en sais pas le pourquoi : si je pense, c’est par voie de dénomination, de domination. Un être qui constitue le « moi ». Il n’existe pour nous que les choses auxquelles nous pensons... Nous nous défions d’autre chose. « Il existe » ce que je représente, c’est-à-dire qu’il existe aussi cette chose représentée. Si elle est permanente, je la crois véritable... Réel comme véritable. Le réel est une existence de valeur (véritable) ou sans trop de valeur. Est-ce qu’à chaque action correspond un auteur ? Je ne connais que l’effet... Où en est la cause ?
58 CHOISIR ? LEITMOTIV « Les morales sont aussi une mimique des affections » « Les morales, comme des pantomimes des affections (...) » Qu’est-ce qu’un individu cherche parmi les actions morales ? C’est Nietzsche qui le demande, c’est à toi de choisir : – « justifier l’auteur par-devant les autres » ; – « le calmer et le laisser satisfait » ; – « se clouer soi-même sur la croix » ; – « exercer sa vengeance sur les autres » ; – « se cacher » ; – « on se procure la gloire, par-devant soi-même ou les autres » ; – « on veut obéir » (...) ; – « on veut dominer et humilier » ; – toutes les options précédentes.
59 CE QUE JE VOIS DE JUSTICE « Là où je vois de la bonté, j’y vois autant de faiblesse. Là où je vois de la justice et de la compassion, j’y vois autant de faiblesse » ZARATHOUSTRA On s’est changé en animal domestique et l’on anticipe sur la bonté en échange de la bonté. On dit que c’est une vertu (échangée...). Zarathoustra, ce sans-Dieu-là, en quête de son semblable. Aimant son prochain et s’aimant lui-même. Il espère qu’on lui fera confiance, fortuné « comme les poètes, déchiffreurs d’énigmes et rédempteurs du hasard : je leur ai appris à créer l’avenir et tout ce qui s’en était allé, à se rédimer en créant ». « Et c’est seulement pour créer que vous devez apprendre ». Ainsi parla Zarathoustra.
60 TU DOIS, IL TE FAUT « mon torrent d’errances et de carences » « un “il faut” inconditionné, ce n’est que rarement que je puis m’en réclamer... c’est la vanité qui veut qu’un seul “il faut” soit le besoin de tout le monde ! » On ne prenait pas les êtres humains totalement au sérieux. Pourquoi ? Dans quel but ? Que la forme ne soit pas uniquement uniforme. Que « je veux » ne se transforme pas en « il me faut ». Au lieu de la préservation de l’espèce, la supplantation de l’espèce ! Un puits sans fond, des astres qui gravitent tout autour de nous, en prêtant leur voix à l’instinct. « Pensée et sentiment ».
61 JE ME SUIS DÉPASSÉ « pour moi, j’ai inventé une flamme plus claire » « Je me suis dépassé » « Tu es encore pour moi un prisonnier qui pense à sa liberté » ZARATHOUSTRA Dans les terres que Zarathoustra, ce nomade-là, parcourut, il trouva des œuvres (valeurs) de ceux qui aiment, mais pourvues d’un sens. Celui qu’on consent. « Chez qui s’est élevé, l’âme devient gaie ». Et qui se veut délivrée. « Les vents viennent de l’avenir avec de mystérieux battements d’ailes ». Nietzsche, le pessimiste, se rachète : « c’est de vous, qui vous élirez vous-mêmes, qu’un peuple élu descendra ». Ainsi parla Zarathoustra.
62 PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL « je ne saurais pas vivre si je n’étais pas un visionnaire de ce qui est encore à venir » ZARATHOUSTRA Répondre avec des questions. Et un poète, qu’est-ce qu’il devient ? « Je marche entre les hommes, comme s’ils étaient des fragments de l’avenir, de cet avenir-là que je vois ». Énigme et hasard. Qu’est-ce qui nous enchaîne encore ? « ... maintenant je suis dévoré par une soif, par une aspiration qui ne cessera jamais ». Aucune volonté éternelle. Et qu’on se délivre de la servitude des fins : « Tout mon bon et tout mon mauvais ont crié en moi ». Ainsi parla Zarathoustra.
63 OMBRE ET CLARTÉ « Ô Zarathoustra, tu es plus dévot que tu ne le crois, malgré une telle incroyance ! Ce fut quelque Dieu en toi-même qui te convertit à l’athéisme » Dieu de soi-même. Moi, le Dieu : « ta loyauté démesurée te conduira encore au-delà du bien et du mal ». Un sans-Dieu, un dieu de soi-même, prophétisant, lui, la croyance « aux paroles et valeurs ». « Où est-elle, cette mensongère innocence que j’ai une fois possédée ? » Celui qu’il a déjà été, il reconnaît, résigné : « J’ai pensé maintes fois à mentir et, voyons donc, ce n’est qu’alors que j’ai trouvé la vérité ». Puis, il conclut : « Hélas, celui qui sait où il se rend est le seul à savoir quel vent est propice et quel est le vent de son voyage ». « Avez-vous dit une seule fois oui à quelque plaisir ? Alors, mes amis, vous avez dit oui également à toute la douleur ». D’Ainsi parla Zarathoustra
64 VOLONTÉ DE PUISSANCE « Toute force impulsionnelle est la volonté de puissance » « L’essence intime de l’être » Pathos. Transmission des valeurs : « transvalorisation ». En plus de la volonté de vérité... Vérité ? Ce désir-là, celui d’aller en delà, de se dépasser. Conforme à la nature, à la société, impérieux et informe qu’il est. Vital comme il l’est, mais déterminé, pour ce qui est de la connaissance, et final ! Biologique, organique en fonction de la vie – à la fin, logique. Non seulement exister... mais pourquoi exister ? Et augmenter. Rien de passif ni de réactif : proactif, actif... Il ne tend à se domestiquer soi-même ni n’est seulement individuel. Non, il est duel ! Une force universelle ! Plus qu’elle n’est vitale. Par-delà le bien et le mal. Ce n’est pas un principe ni une force physique. Point final... Quanta de force. Dynamique. Devenir en plus d’exister.
65 SENS « Une chose en soi est quelque chose d’aussi absurde qu’un sens en soi » (...) « il faut toujours qu’un sens ait déjà été préalablement introduit » Le sens, cela vient de ce que j’ai senti. Passé, vécu, pressenti. Le sens, c’est l’orientation ; l’orientation indique l’orient, l’orient, où le jour commence, c’est le commencement, c’est un fondement défini à priori, aporie sur laquelle je m’appuie. Possibilité d’exister en existant, en allant vers soi-même, en partant de soi-même, d’avoir été en étant. Je comprends ! En voilà un non-sens que de vivre sans sens.
66 INTER(PRÉT)A(C)TION « On n’a pas le droit de demander “Qui interprète ?”, mais l’interprétation elle-même, en tant que forme de volonté de puissance, a sa propre existence (non pas comme un être, mais comme un processus, comme un devenir) en tant qu’affection » Une propre façon d’être vivant et de se mouvoir. Non pas au hasard. Pro-mouvoir ! Existence, essence. Interpréter : un verbe, une activité, une action. Être ! La vie en tant qu’interprétation. Être en action, en étant ; interpréter en interprétant. L’interprète, l’interprétable, l’interprété. Entendement et savoir, l’histoire de la vie. En-tend(r)e-ment de l’être interprétant, de la chose comme telle, dans un sens interposé. Dans son propre sens originel. Jamais imposé au texte sous aucun prétexte !
67 LA MORALE « la vie ne doit pas être niée, car la morale n’est pas audessus de la vie » « Il faut nous délivrer de la morale pour que nous puissions vivre moralement » Il n’existe pas, pour Nietzsche, de phénomènes moraux, mais seulement une interprétation morale des phénomènes. Il y en a encore moins : une espèce de ventriloquie... une espèce d’alchimie relative à la chimie qui parle pour nous, mais sans notre aval. La morale amorale, ce n’est pas si mal... « Les personnes morales ont leur vanité dans leurs scrupules ».
68 VESTALES MORALES « évaluer la morale... en accord avec quoi ? » « aucune échelle de valeurs n’est restée debout » « Toute morale n’est en fait qu’un raffinement des règles de mesure (...) » Des contradictions aux superstitions... Cela servirait seulement à louer et à inculper... L’obéissance et la loi sont imposées toutes deux, d’où la pénitence. Va-t-on renoncer à la vie en raison de l’insatisfaction morale ? Mais Kant a prêché les paramètres du Bien et du Mal. « On ne doit pas chercher de morale chez les auteurs d’écrits moraux »... (Nietzsche !) Moralistes déprimés, « impuissants rancuniers »... L’instinct devient un monument sur son piédestal : ce furent les guerres religieuses qui engendrèrent des vestales.
69 INSTINCT DE TROUPEAU « Le pasteur est un instrument doré du troupeau » « (...) c’était moi qu’on méprisait, et le troupeau s’élevait au-dessus de tout » « Oublie-toi en faveur du troupeau ! Aime le pasteur et honore la morsure du chien » « Je suis » mon chemin. Ou je meurs pour mon individualité ! Ou faut-il obéir ? Croire et suivre le troupeau, ou « être au-dessus de l’humain » et « avoir un but ». Un but personnel. Une « reconstruction créative ». Et la souffrance « de qui cherche à connaître » ? Me transformer ! Et, en guise de conclusion : « Autrefois, j’étais caché au sein du troupeau ; maintenant, le troupeau est encore caché en moi ». Moi, pouah ! Dire : ça vaut pas la peine d’y fourrer mon nez...
70 SE MARIER ? « Vouloir aimer, cela révèle de la fatigue et de la saturation en soi » « (...) celui qui veut être aimé voudrait qu’on lui fasse cadeau de lui-même » Que l’amour ne soit pas un « péché » dans ses origines ni dans ses finalités. La chasteté ? Oui à la sensualité ! Affection en tant que « repos », irrationalité. Que « se marier » ne vienne pas avant de « s’aimer », rappelle-nous Nietzsche. Que cela ne soit pas une « sujétion »... une obéissance... Qu’on ne se marie qu’au bout de sa furie...
71 SOUFFRANCE ET RÉMISSION « L’ascète considère la vie comme un chemin erroné » La vie doit être vécue. En vain ? Souffrance en tant que rémission ? Mission ? Valeurs de conservation, idéaux ; obéissance inconditionnée, renonciation. Chasteté vs sexualité. Reproduction égotiste, à dessein... Amortissement du sentiment de vie, apprivoisement et sujétion... Un bonheur amoindri, un être grégaire. Finitude et indignité. L’énorme agonie du martyr bienheureux : soulager sa douleur en assumant sa faiblesse, harassé comme il l’est de sa pénitence.
72 AUTOSUPPRESSION (Selbstaufhebung) « Tous les instincts qui ne se tournent pas en dehors s’en retournent en dedans – (...) l’intériorisation de l’homme » Nietzsche : auteur et personnage – l’homme est un animal malade – acquiesce : un animal en transformation. Une action continue, expérimentale ; une émulation. L’homme veut dominer l’homme, la nature et même les dieux ! La foi qui prétend démolir... la foi. L’autoconnaissance ? Qu’est-ce que c’est ? Paradoxe : chercher l’autoconservation. Sujet au hasard, à l’instinct, « le plus malade, le plus indécis, le plus changeable, le plus flexible des animaux » ! Une humanisation stressante, ressentie ; la conscience de sa culpabilité. Sa souffrance. Son expiation. Sa transformation en « pécheur ». Sa douleur. Un troupeau apprivoisé, pénitent. Un enfer sur terre : en dedans...
73 ANIMA / A(C)TION « Le style doit prouver que le sujet croit à ses pensées, en les pensant et qui plus est, en les ressentant » Des signes conventionnels nous unissent et nous séparent. Opérationnels. Connaître pour s’organiser, s’ordonner, pour se donner une direction/un sens. Des nécessités vitales, instru mentales. Le corps a besoin de se traduire, de se communiquer, de se comprendre. Et l’inconscient ? Il est immanent. Des forces organiques divergentes. Qui garantit « que tous pensent avec les mêmes mots » ? Différentes interprétations : pas de vérités universelles. Des suppositions, des superstitions. Des formulations conscientes. Divergentes.
74 LE CORPS PENSE « Tout ce qu’on appelle conscience est un commentaire à peu près fantastique sur un texte inconnu, voire inconnaissable » Le corps pense tout entier, le corps s’approprie le monde. Le corps se transforme en langage intelligible. Moyennant des codes, des symboles, des signes. Des impulsions, des instincts, des interprétations. Le corps en tant que texte appréhendable et déchiffrable. Placé au-delà de la conscience, sujet à l’instinct. Impulsions vs fonctions conscientes. Au-delà de nos connaissances. Les mots ne suffisent pas. Mais « un même nombre d’expériences récurrentes (...) sur la base de cette prompte compréhension, les personnes s’unissent (...) ».
75 PENSER AVEC DES PAROLES « Nous exprimons toujours nos pensées avec des paroles qui sont à la portée de nos mains » On pense avec des paroles que l’on connaît. Dans les langues qu’on maîtrise, extension de l’apprentissage et de la mémoire. Familiarité avec les paroles, capacité d’expression ; possibilités... Diversité et styles ; singularité. Fablier. Les paroles repoussent les limites de la communication. (Nous élargissons, nous aussi, le sens des paroles ou bien nous les réinventons, ou nous en crions de toutes neuves...). Que nous sauvent les métaphores ! Interprétations, sensations, états extrêmes de nos corps. La pensée sans le centre physique d’appui. Aporie. La pensée sans fondement, des signes qui apparaissent organiquement : un intellect sans la base physique définie. Un mystère insondable. Et les images ? Des mirages, des gestes, des onomatopées. Pré-jugés dans leur perspective. Quand on est en train d’oublier ou qu’on n’a plus de paroles...
76 SIGNE, SIGNIFICATIF, SIGNIFICATION « Le monde (...) est interprétable de plusieurs façons : il n’y a aucun sens caché là-dedans, mais d’innombrables sens » Relation institutive de l’interprète. L’interprétable donne lieu à des interprétations. In f i n i e s. Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ! Impulsions. Nos impulsions nous guident aux interprétations. Puis aux actions. De l’inconscient au conscient. Volonté de puissance. Plus physiologique qu’elle n’est logique. La lutte. Entre l’apollinien et le dionysiaque. Interprétabilité du monde. Une perspective. Ad infinitum. Et des valeurs. « (...) le sens des valeurs du monde est contenu dans notre interprétation (...) » Vania Dutra de Azevedo.
77 SIGNIFIER « Cela est (...) l’unique sens possible : cela signifie... » « cette innocence-là, celle de croire à l’intelligibilité des concepts » Inventions : « le sujet, le moi ». Ce n’est jamais... cela signifie. Dans un monde d’apparences, « on se tient pour vrai ». Parce qu’on désigne le reconnaissable, lequel « persiste »... même en transition ; imperceptible, quoique sensible. On dérive les concepts des images pour la connaissance. Connaissance ? Préceptes, préjugés. « La véracité serait une tendance contre la nature ». Mots en tant que signaux et non pas vérités, c’est ce qu’on désigne. Le transcendant tenu pour vrai, au lieu de l’apparent pour le croyant. En un mot : l’utile à la place du vrai, quoiqu’il soit futile.
78 PSYCHOPHYSIOLOGIE « Toute logique se résume, dans la nature, à un système de plaisirs et de douleurs » « Les lois humaines de la vie communautaire équivalent à celles du règne animal : la croissance permanente et le dépassement de son propre niveau » Les processus culturels et vitaux s’entremêlent, se joignent, se complètent : des « impulsions physiologiques ». Ce ne serait pas un devenir : il vit de par lui-même [ce monde-ci], il subsiste, il vit d’excréments. Autodépassement continu, dépassement de soi-même. Ou décadence. Conscience en tant qu’évolution organique. Nous sommes multiples, dans différentes étapes. D’autre part, « nous pensons sans savoir » : part inconsciente, émergente, contradictoire. Bloquer, empêcher, encercler la conscience ! Et même l’oublier, volontaire/ment... Un « moi » multiple, varié, mécaniciste et atomiste... « Fort et faible sont des concepts relatifs » ? As-tu bien compris ?
79 VÉRITÉS I « Qu’est-ce donc que la vérité ? Un bataillon mobile de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes (...) les vérités sont des illusions (...) les métaphores qui s’usent et n’ont plus de force sensible (...) » Les vérités en tant que créations des circonstances, fruits contingents et empiriques de l’expérience vitale ; jamais elles ne sont historiques, éternelles, absolues. Fixations, résultats du développement humain, évidents et héréditaires. Transformations de concepts biologiques en concepts philosophiques. Méta-compréhensibilité... supra-individuelle ou même inversion de la compréhensibilité : on prétend qu’il existe une compréhension universelle... Nietzsche met en doute le consensus sapientium, comme une preuve de la vérité... Si tous se comprennent mutuellement, sont-ils donc face à face avec la vérité ?
80 VÉRITÉS II « Si les choses ont en elles une nature indépendante de l’interprétation et de la subjectivité, c’est une hypothèse entièrement oiseuse (...) » Compréhension univoque ? Système de concepts ? Pré-jugés auxquels on serait sujet ? Vulgarisation ? Quelque chose de commun entre nous ? Nietzsche instaure la philosophie de l’interprétation. Le monde se révèle dans une infinité de relations. Perspectives ! Plus ample est une perspective, plus elle est objective. La vérité ne nous est pas octroyée, mais créée. Transformée. Puissance en mouvement. Vérité en tant que fiction. La « morale » de l’histoire : l’utile n’est pas tenu d’être vrai, mais ce qui paraît être vrai devient à la longue utile... L’utile est faux, et la vérité serait le privilège des esprits libres... Puissance, mutation. Revaloriser les valeurs.
81 LA VÉRITÉ OU LE VRAI « Rien qu’on puisse appeler connaissance n’existerait, si la connaissance ne commençait point par transformer le monde en “choses”, en une substance identique à elle-même. C’est grâce à la pensée que le non vrai existe » « La connaissance est en soi une représentation contradictoire » Nous croyons vrai ce que nous créons : connaissance en tant que parabole. Nous connaissons ce que nous manions et déterminons. Y aurait-il une connaissance de la connaissance ? « La connaissance est le jugement ». Obéir au lieu d’examiner. Nous créons la croyance hors de la science. « Il est donc nécessaire qu’il y ait des choses tenues pour vraies, non pas des choses vraies ».
82 LA SCIENTIFICITÉ DE LA PHILOSOPHIE « Le monde qu’on voit de dedans, ce monde déterminé et désigné avec son “caractère intelligible” ne serait tout au plus qu’une “volonté de puissance” » Nietzsche a cherché la scientificité de la philosophie. Antidogmatique et antimétaphysique. Conséquente avec la nature, l’organique et l’inorganique étant conjugués ; notre existence, plutôt qu’une simple survivance, en quête du dépassement. On répète : se dépasser au lieu de chercher à se conserver. Conception de la vie biologique et généalogie de la morale. Expansion de la volonté de puissance : l’unique référence possible pour notre vie. La seule manière de fonder le monde. La science et la philosophie, plus l’esthétique ; production culturelle. Références scientifiques en tant que métaphores pour la philosophie.
83 DÉCHIFFRANT NIETZSCHE « (...) le monde (...) suit un parcours “nécessaire” et “calculable”, mais ce n’est pas que les lois y règnent : c’est que les lois y manquent absolument (...) » Tout étant une « interprétation », ça aussi, c’est une interprétation. Pourquoi non ? C’est de la perspective d’un auteur, avec sa « volonté de puissance », qu’on tire sa conséquence. Qui philosophe ici, ce sont nos impulsions ! Où sont-elles, l’objectivité et l’impersonnalité du texte ? Depuis la polysémie du lexique jusqu’au message univoque : un abîme. Fuir les éléments précis, aller vers les éléments possibles... D’où le « regard »...
84 RUMINER « Écris avec du sang, et tu sauras que le sang est l’esprit » ZARATHOUSTRA « En dernière instance, personne ne peut en apprendre des choses, notamment des livres, plus qu’il n’en sait déjà » Comme des vaches qui paissent, ruminer... En repos, pour pouvoir interpréter. De la complicité à l’impartialité. Et vice-versa, une nouvelle version... Acceptation, sans conclusion définitive. « Il est éternel, pendant qu’il perdure... » (Vinicius). Une nouvelle herméneutique, une propédeutique... Expérimenter avec la pensée ! L’éprouver. Mais on n’arrive à apprendre que de l’expérience.
85 LECTURE DU MONDE « et plus nombreuses seront nos affections que nous laisserons parler d’une chose, plus nombreux seront nos yeux, ces différents yeux dont nous saurons nous servir en la regardant, plus complets seront notre “concept” de cette chose-là et notre “objectivité” » Nos affections, à mesure qu’elles se multiplient, influencent et déterminent notre vision. Plus « objective » se fait alors notre interprétation : notre système sémantique fait de nos affections. Perspectivisme. Activisme sémantique. Condition de l’humain. Expressivité. Perception évaluative. Lecture active.
86 WILLE ZUR MACHT ET LA CONNAISSANCE « De l’état conscient proviennent d’innombrables erreurs qui font un animal, un être humain, succomber avant même que ce soit nécessaire, “contrariant le destin” comme le dit Homère » Paradoxe : la seule vérité consiste à affirmer qu’il n’y a pas de vérité. Mais... il n’existe nulle vérité finale et ultime... Sans qu’on tombe dans le relativisme... S’abandonner à la volonté de puissance ! Dans cette contradiction qui impulse un devenir : une perspective. Paradigme épistémologique : flux d’opposés de la vie. Quanta de puissance. Connaissance vivante. Cognition. Devant un miroir, en tant que déformation ou inversion : ad-vient ce qui se reflète... ré-flexion au lieu du réel. « L’homme fut élevé par ses erreurs (...) ». « La majeure partie de notre être nous est inconnue ». Qui en doute ?
87 ÊTRE « Sans plaisir, il n’y a pas de vie ; la lutte pour le plaisir, c’est la lutte pour la vie » « Tout, dans le domaine de la morale, est devenu changeable et l’est (...) » Affirmation de la vie. Contre les équivoques de la morale occidentale, sources de tout le mal. Nous délivrer de la culpabilité et du péché – « erreurs de la raison ». Colère divine. Flagellation. Expansion de la vie : « tout est une nécessité – ainsi le dit la nouvelle connaissance ». « Sentiment de notre pouvoir ». Contre un Être étrange, motiver notre propre être. « Être, ou ne pas être, telle est la question » (Shakespeare).
88 ÉGOÏSME « L’égoïsme n’est pas un principe, mais, seulement et uniquement, un fait » D’après Wollf, fondateur de la secte des « égoïstes », rien n’existe en dehors de la conscience de l’égoïste. Rien, à portée de la vue... Je suis égoïste, toi aussi : nous sommes tous égoïstes, mille fois merci ! Il n’existe que le « moi », sans plus. Solipsisme : en dehors de l’individu, il n’existe que des fantômes, vaticine Schopenhauer. (Nietzsche met en doute, lui, le concept d’« individu »). Autant d’égoïsmes que d’êtres humains... « L’amour pour soi-même » (Aristote). L’amour envers soi ? Et l’Amour en soi, s’il vous plaît ! Mon/ton « goût » en tant que critère esthétique pour les autres. L’égotisme (Unamuno) exalté, il va toujours monter. Et l’espace pour la critique et l’autocritique ?
89 HÉMIPLÉGIE DE LA VERTU « L’homme bon qui a abjuré le mal, atteint comme il l’est de cette hémiplégie de sa vertu (...) ne cesse pas, néanmoins, de faire la guerre, d’avoir des ennemis, de dire non, de “faire non” » Pour le chrétien, « le monde déborde de choses odieuses », dignes d’être combattues et punies. « On est bon à condition de savoir être mauvais, on est mauvais parce qu’autrement on ne saurait être bon ». Personne n’est bon en entier ni mauvais en entier. Sujet à la condition morale... J’accepte volontiers les « vertus dianoétiques » d’Aristote, intellectuelles qu’elles sont. Et la vertu (peu) vertueuse de Machiavel, l’éclairé. Vertu en tant que coutume, non spontanée (Schiller) X Virtus en tant que puissance, celle de Nietzsche. Celle qui polit, transforme, « bénit » ?! Façon d’être ? Seul le vertueux est-il bienheureux ? Et l’idiot, qu’est-ce qu’il est ?
90 L’HOMME RELIGIEUX « La religion avilit la notion de l’homme ; son extrême conséquence, c’est que tout bien, toute grandeur et toute vérité sont surhumains et octroyés par la grâce » Je quitte la scène, je me tais et je laisse Nietzsche argumenter : l’homme « passif » et « souffrant », sans l’unité personnelle ; l’altération de sa personnalité – ce qui est surhumain en vient à avilir l’homme. « L’homme s’amoindrissait, divisant ses deux aspects – l’un d’eux méprisable et faible, l’autre fort et surprenant – entre les deux sphères et appelant l’une d’elles “homme” et l’autre “Dieu” ».
91 POUVOIR SACERDOTAL « à quel prix se fait la réforme morale ? » La sagesse politique : qui veut la fin veut les moyens. Éliminant la raison, se réduisant à l’appréhension, illusion d’un salut : « La soumission est une tutelle sacerdotale » – le sacerdoce est irréprochable et inattaquable –, une fois claire la volonté divine ; « un faux savoir au lieu de l’analyse et de l’expérience » – comme si « l’on doit faire ceci » et « l’on ne doit pas faire cela » avaient été prédéterminés ; – la loi « divine » en arrive à être une fin suprême ou cette punition qui conduirait à la perfection ; – « l’aspiration à la vérité se change en étude de l’Écriture ». La créature sous l’épée de son Créateur et l’entremise sacerdotale en tant que cure et salut.
92 DIFFÉRENCES ET CROYANCES « Les qualités sont nos limites infranchissables » « Les qualités sont notre idiosyncrasie humaine la plus authentique » Nous ne connaissons que ce qui est quantifiable. Nos sentiments sont attachés à nos qualités : ils sont donc intransférables. Ces qualités non généralisables nous différencient. Les croyances prétendent, à leur tour, nous égaliser. Nous pouvons imiter, plagier, suivre des exemples... et pourtant nous serons toujours différents. Nous le sommes et nous devons continuer de l’être. « (...) exiger que ces interprétations et ces valeurs humaines (...) soient nos valeurs générales (...) cela fait partie des folies de l’orgueil humain ».
93 DIVERSITÉ « L’humanité, ce n’est pas un tout ; c’est une multiplicité inextricable des processus vitaux ascendants et descendants » Qui le dément ? Avons-nous vraiment la même origine ? L’humanité est multiple, variée, diverse, dissemblable, diversifiée. Différents sont les âges et les origines, les races, les cultures, les étapes civilisatrices. – « L’unité dans la diversité », c’est ce que Gilberto Freire voulait pour la multiracialité brésilienne. Quelle hégémonie politique ou idéologique, quelle unification religieuse, quelles philosophies de vie seraient donc possibles ? Pourquoi et pour qui ? Quelles croyances, quels dieux, quelles valeurs ? Fondamentalismes. François, le Pape : « Ce n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour être une bonne personne » (...) « En quelque sorte, l’idée traditionnelle de Dieu n’est pas actualisée » « Il y en avait dans l’Histoire qui ne croyaient pas en Dieu, tandis que plusieurs des pires actes ont été commis en son nom ».
94 MÉDIOCRITÉ « Les médiocres l’emportent sur les autres et font triompher leurs critères de valeur » « une crise morbide (...) l’unique vérité, selon laquelle qui ne possède rien n’est rien » (...) « insérer les fins dans le troupeau et non pas dans les individus » Jésus-Christ n’a pas laissé d’écrits. On l’a décrit en prose et en vers, on l’a déifié et puis décrié. Textes réécrits et textes rejetés. « L’Église est un épisode du triomphe de l’antichristianisme » – dénonce Nietzsche. On ne voit que ce Christ crucifié, ses miracles, la pénitence et la foi avec révérence. L’Église aurait adopté la doctrine de la récompense et du châtiment. Cette récompense-là qui permet d’éviter le châtiment... La « vie éternelle » contre la vie personnelle, réprimée. Comment a-t-il été, le Christianisme originel, celui du Christ ? « Le “christianisme” s’est transformé en quelque chose d’absolument différent par rapport à ce que son créateur avait fait et voulu ».
95 MONDE MONDE VASTE MONDE... « Le monde n’est rien que des pensées » Si la nature n’est pas réglée par ses fins, le penseur « trouvera », lui aussi, sans chercher. La méthode contribue, mais ne résout pas ou, pis encore, ne conduit qu’à ce qu’on a pressenti... Nous gagnons le monde avec tous nos sens (élargis, investis du pouvoir). Les hypothèses « ne font que » nous orienter. Y aurait-il un « mouvement antitéléologique » ? Cependant, Nietzsche maintient en nous « la fin » et « le désir » comme une illusion... Cette question est-elle physiologique ou bien esthétique ? Est-elle chimique, mécanique ou métaphysique ? Notre corps en tant que gourou : observant le monde réfléchi dans notre propre miroir... Vérités provisoires...
96 PUISSANCE DE LA VOLONTÉ « Ce qui est le mieux développé chez l’homme, c’est sa volonté de puissance » « Nos instincts sont réductibles à la volonté de puissance » L’« être » se réalise dans le fait de « vivre ». « Rien n’est imaginé que matériellement ». En m o u v e m e n t, la pensée... créer des désirs et la volonté de pouvoir et de dominer. Le « mobile » du monde organique et... inorganique : – « même l’explication mécaniciste du monde requiert, elle aussi, son mobile ». Nous sommes des DIEUX, parties de l’univers, et vers l’univers nous allons moyennant nos désirs. « On n’accède à l’univers qu’à travers soi-même » !
97 CROÎTRE « La mécanique est une simple sémiotique des conséquences » « le plaisir n’est qu’un symptôme de la sensation d’avoir atteint sa puissance » (...) « le plaisir accompagne l’acte, mais ne le met pas en mouvement » La vie : en venir à être et cesser d’être. Cependant... et par conséquent... il n’y en a pas tant. Casualité ? Hérédité. Accumulation de forces, dilapidation et conservation – volonté « de croître en quantité et en force ». S’alimenter : non seulement pour survivre. Spinoza prêchait « la conservation en soi-même ». Nietzsche réfute : « ce n’est pas pour se conserver, c’est pour croître ». Le monde : « une mer de forces tempétueuses en flux perpétuel ». « Ce monde-ci est le monde de la volonté de puissance, sans plus. Et vous autres, vous êtes aussi cette volonté de puissance, sans plus ».
98 CORPORE SANO « Toute espèce d’attirance, d’amitié, d’amour est en même temps physiologique. Personne d’entre nous ne sait en quelle profondeur ni en quelle altitude on parvient à la réalité physique » « Je suppose que chez tout être organique la mémoire soit une espèce d’esprit ». Relation entre les corps : affection et répulsion, assimilation et reproduction. « Nous avons fondu la réaction avec cette chose qui agissait en nous ». Vie/amour en tant que maintien de l’équilibre entre les formes, stabilité des contraires = négociation ou supéditation nécessaires. L’amour est une forme d’aliment de l’être. Puissance, exigence, croissance. Sens/a(c)tions tactiles.
99 SÉMI-O(P)TIQUE « l’état véritable des choses est une invention du sujet qui se les représente et qui ne pourrait se représenter rien du tout sans cette fiction-là » On pense avec des options de représentation des choses. Un monde extérieur, celui de l’imagination, au lieu de l’« inconscient ». On voit (on perçoit) et l’on comprend seulement si l’on s’intéresse. À ce qu’on recherche. « La pensée consciente consiste à choisir entre les diverses représentations ». C’est par comparaison à ce qu’on conserve qu’on s’identifie. Les nuances de cette relation se rapportent à la sémiotique. L’optique. Relation entre le sujet et l’objet.
100 INDIVIDU ET DEVENIR « Les fins de l’individu sont-elles nécessairement celles de l’espèce ? Non... » La valeur du monde dépend des interprétations possibles, impossibles au sein d’un troupeau. « L’homme exige qu’on triomphe des interprétations les plus étroites » ; volonté de puissance et résistance : existence. L’invention du monde, vraie en tant qu’essence et conscience. Et notre capacité d’absorber autrui, de l’intégrer à notre « caractère de l’être ». Valoir par attribution, dépassement et plaisir. Devenir. Mallarmé : « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard... » Nietzsche l’avait devancé ayant prononcé : « La morale individuelle : en conséquence d’un lancer de dés occasionnel, il existe un être à la recherche de ses conditions d’existence » (...)
ANTONIO MIRANDA (Antonio Lisboa Carvalho de Miranda), poète, sculpteur et dramaturge brésilien, est né au Maranhao, en 1940, allant vivre, âgé de sept ans, à Rio de Janeiro. Pendant la période de la dictature militaire au Brésil, il s’est rendu au Venezuela où il s’est vu décerner le grade de licencié en bibliothéconomie. Il a obtenu sa maîtrise en sciences de l’information en Angleterre et son doctorat en sciences de la communication à l’Université de Sao Paulo. Il a travaillé à l’Entreprise brésilienne de recherche agricole (Embrapa), au Ministère de l’Éducation du Brésil (MEC) et au Conseil national du développement scientifique et technologique (CNPq) avant d’être nommé professeur à l’Université de Brasilia (UnB) dont il est devenu par la suite professeur titulaire et professeur émérite. Actuellement, il est directeur de la Bibliothèque nationale de Brasilia. Il a écrit plus de 50 livres de poésie, récits, nouvelles et ouvrages scientifiques et techniques, en outre de centaines d’articles scientifiques, d’essais littéraires, de chroniques journalistiques et de préfaces aux livres d’autrui. Maintes œuvres d’Antonio Miranda ont été traduites en espagnol, italien et russe et publiées dans divers pays. Il a créé les troupes théâtrales Rajatabla (au Venezuela) et Cuatro Tablas (au Pérou) ; sa pièce de théâtre Ton pays est bien loti (éditée en 1969 et transformée en spectacle musical et poétique en 1971) a été mise en scène dans plusieurs pays latino-américains et européens, recevant d’importants prix littéraires. Depuis 2003, il gère le Site de la Poésie ibéro-américaine (www.antoniomiranda.com.br), lequel a comptabilisé plus de 18 millions de visites jusqu’en 2016.
COLOPHON La 1re édition de ce livre – DIALOGUANT AVEC NIETZSCHE PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL –, écrit entre 2014 et 2015, a été originalement publiée par les Éditions Patua, dans la ville de Sao Paulo, en 2016. On y a détecté a posteriori un problème : les textes des poèmes 44 et 49 étaient les mêmes, une question qui serait résolue si l’on en faisait un nouveau tirage (celui de l’édition originale étant de 100 exemplaires seulement). Dans la présente version, convertie en format numérique, on remplace le texte du poème 49 par un autre texte rédigé dans le but de le remplacer.