LIVRES & MANUSCRITS - 20-02-2020

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289 SAINT-EXUPÉRY Antoine de (1900-1944). MANUSCRIT autographe (brouillon) avec 3 DESSINS, [Sur la télévision, vers 1939]; 5 pages in-4 ornées de 3 croquis à l’encre. Intéressant manuscrit sur l’avenir de la télévision. [C’est à partir du début de 1937 que les premières émissions de télévision furent diffusées tous les soirs, de 20 h à 20 h 30. La France ne compte alors qu’une centaine de postes privés. Les programmes se composent de variétés, d’interviews, d’actualités cinématographiques, de courts métrages et de documentaires.] Il est remarquable de voir Antoine de Saint-Exupéry s’intéresser à ce nouveau média, pressentir son développement futur et réfléchir avec une prescience étonnante à la question de son financement. D’emblée, l’écrivain pointe le cœur du problème : « Le progrès de la télévision est freiné par le problème du financement des émissions. La publicité, qui suffit en effet à couvrir les frais des émissions radiophoniques ne peut financer que des programmes de télévision relativement modestes ». Dans ces conditions, plusieurs solutions se présentent, comme instaurer une redevance sur la vente des postes de réception. Mais, « outre qu’il est impossible de contraindre un fabricant de postes de réception à se soumettre à cet impôt, il demeure que de telles recettes, d’une part seraient rapidement taries, et que d’autre part le partage de ces recettes entre les diverses sortes d’émissions présenterait des difficultés inextricables puisqu’il devrait se faire en proportion de leurs frais ». Il imagine alors le moyen de remédier à ce problème : « La solution idéale exigerait que les usagers paient une redevance afférente à chaque émission ». Et il détaille les avantages de cette solution : « L’usager paie une taxe proportionnée à la durée de la réception et variant selon le programme choisi »; il imagine les modalités de son application : « La réception d’un programme donné est impossible si la taxe n’est pas versée. […] Il est certain que si de telles conditions peuvent être réalisées les ressources apportées aux émissions seront sans limites car un programme tel que la première d’un grand film, un grand match », par le nombre de spectateurs qu’il attirera permettra de financer d’autres programmes… Le manuscrit est orné de trois dessins à l’encre. Le premier représente le visage de ce petit personnage aux yeux ronds, aux sourcils arqués, qui préfigure le Petit Prince; les deux autres montrent ce même personnage en pied, les bras le long du corps, vêtu d’une sorte de kimono. 3 000 - 3 500 €

« Je réponds parce que je vous estime et je ne me vexe pas de votre lettre parce que je ne me vexe jamais de rien. Si quelque personne m’est désagréable, je lui tourne le dos avec simplicité. La terre est grande. Comme la vôtre ne m’est pas désagréable je n’ai pas envie de vous tourner le dos. Mais je ne comprends pas à quelle opération elle répond. S’il s’agit de couper entre nous toute relation, il est plus simple de ne plus me voir. Il y a des tas de gens que je ne vois pas tout simplement. Et, à moins qu’ils ne viennent eux-mêmes me les demander, je ne leur donne jamais mes raisons [...] D’abord que je vous aime bien et regrette fort de vous avoir été désagréable. Je n’aime pas peiner qui j’aime bien [...] Je me sais dans un état de vive irritabilité due à des ennuis matériels proprement insurmontables, qui m’ont fait me coucher après dix jours sans sommeil, contre un travail idiot. Je ne supporte pas le manque de sommeil. Je suis naturellement agressif à la discussion, ayant mauvais caractère, mais je suis tout à fait d’accord sur le fait que j’ai été trop loin dans mes élans [...] Ça c’est pour la forme »… Puis Saint-Exupéry en vient au fond de leur désaccord : « En ce qui concerne le fond la seule phrase qui ait pu vous blesser est la suivante “vous allez nous raconter votre voyage en Allemagne”. J’ai regretté vivement la forme qui était en effet hargneuse. Je n’ai regretté en rien le fond. Quand j’ai en effet parlé du nazisme et de l’étonnement ahuri d’une jeunesse forcée à sacrifier sa vie pour un combat si peu satisfaisant, j’ai dit quelque chose qui signifiait “il est trop facile de donner les causes du succès dans le simple attrait du mal. On meurt par générosité’. Or la jeunesse crevait étouffée dans la poussière des valeurs de 1929. Toute mon expérience de la vie et des hommes me l’a enseigné. Je connais la Russie, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. J’ai discuté des nuits entières avec les communistes, les anarchistes catalans, les fascistes et les nazistes. Tout ce qui était jeune, sain et pur ou rangé s’était rallié à des mouvements extrêmes pour des raisons affectives et spirituelles rigoureusement identiques »… Il pourrait retourner les analyses de Garcia Torrès, Albert, Thomas, Sieburg ou Tartempion : « La part de critique d’un monde méprisable était identique. Et les jeunes qui ne connaissaient que leur appétit spirituel étranglé par le marécage 1925, leur besoin d’air pur, se rangeaient sous l’un ou l’autre de ces drapeaux selon la qualité des agents de recrutement et le hasard de leurs rencontres »... Mais Rougemont n’a pas voulu accepter ces explications : « Là-dessus cher ami vous m’avez répondu qq chose qui signifiait exactement […] “Taisez-vous. Le nazisme ça me regarde. Vous n’y connaissez absolument rien. Lorsque j’étais en Allemagne... » Chaque fois que Saint-Ex abordait l’origine du nazisme, Rougemont lui coupait la parole en lui disant : “C’est moi le spécialiste. J’ai vécu en Allemagne”. Vous ne l’avez jamais fait méchamment. Je ne vous en ai jamais voulu mais ça ç’a toujours été ainsi. Cette fois-là, une fois de plus, ça m’a agacé »… Etc. 2 500 - 3 000 €

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290 SAINT-EXUPÉRY Antoine de. L.A. (brouillon), [1941-1942], à Denis de ROUGEMONT; 4 pages et demie in-4 avec de nombreuses ratures et corrections Longue et passionnante discussion sur les origines du Nazisme, témoignant d’un vif débat avec Denis de Rougemont que Saint-Exupéry avait rencontré durant son exil à New York (1941-1943). L’écrivain et philosophe suisse avait étudié le nazisme dans son Journal d’Allemagne (1938).

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