Du temps qu on existait Defalvard

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gris, gris, gris, gris, un peu noirs, gris, gris, gris, gris, gris, gris, un peu blancs, gris, gris, gris, gris, gris, un peu bleus, gris, gris, gris, gris, gris. Un peu verts. Reims, à nouveau, la cathédrale dans la nuit noire. La montagne de Reims, comme une couverture orange qui paraît noire et qu’on jette au-dessus de nous, dans les draps, dans la nuit. Châlons, boue silencieuse, à la louche. Toutes les autres villes. Et Paris, le flux éternel des périphériques. La Terre, c’est l’évidence, n’avait pas fini de tourner. Six jours après cette fête, celle qui nous avait réunis mourut. Ça ne faisait jamais qu’un enterrement de plus. Je partis pour Coucy. Ces départs furieux, entêtés, j’en avais beaucoup vécu. Partir pour Coucy, se dessouder de son socle ; j’étais reparti à Tours, depuis Lyon, seize ans plus tôt. J’étais venu à Lyon en train, en étais parti en voiture, dans sa voiture qui remontait vers Paris et me déposait à Orléans, d’où je prendrais le train. Je me souviens la route nationale, les régions laides traversées, les villages souillés, crochus, à se tirer une balle dans la tête. Et maintenant que j’avais pris la route une fois de plus, tous ces voyages, ces moments silencieux partagés avec moi-même sur les rails, les routes, me revenaient au cœur. Je me rappelais le retour de Lyon. C’était l’automne 1986. Et, sur cette époque triste, le souvenir de ce Lyon-Tours s’étendait affreux, un ami m’avait emmené dans sa voiture jusqu’à Orléans, et j’avais dû y prendre le train, avec l’appréhension double de retrouver la micheline d’il y a un an et la ville d’il y a six, huit, douze, quinze. Le train : le même que dix mois plus tôt, train d’octobre qui perçait le duvet arrêté et verdâtre de cette arrière-saison glauque, sans souffle… Partis de Lyon direction Roanne, je me souviens que nous roulions fenêtres grandes ouvertes, qu’on avait froid mais sinon on se sentait enfermés, emprisonnés dans la carcasse de la Renault 20, d’un blanc cassé morbide, mais même cela ne nous apaisait pas, je n’avais pas l’impression d’être en plein air, parce que l’air poissait, trop collant, trop décoloré quand le mot plein air, vigoureux, lumineux, m’évoquait de grands chemins légers et libres ; nos cheveux volaient au vent comme les herbes du bord de la chaussée. L’égrènement des maisons, des gens, inlassable. Tarare. Saint-Symphorien-de-


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