AF20.1 ART FRANCE 1960/1980

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Jean-Olivier Hucleux (1923)

Élisabeth Couturier

L’œuvre de Jean-Olivier Hucleux questionne les limites du regard. Elle occupe une place centrale dans l’histoire de l’art contemporain. À l’heure des débats qui animent la photographie plasticienne, la quête de cet artiste, un peu hâtivement classé comme hyperréaliste dans les années 70-80, pose, en fait, et très tôt, via une approche conceptuelle rigoureuse, le thème de l’aura perdue, si chère aux théoriciens de la chambre noire. Car les peintures et dessins réalisés d’après photographies par Hucleux, dégagent une dérangeante étrangeté. Exécutés avec un sens inouï du détail à l’aide d’une technique picturale lisse, ou graphiquement en utilisant la mine de plomb selon une approche pointilliste, ces images ultra-figuratives deviennent le théâtre d’une quête métaphysique. À travers une discipline digne des copistes du Moyen-Âge l’artiste parvient à donner une âme à ses modèles de papier glacé. Fascinant et vertigineux. Tout comme le sont, pour d’autres raisons, ses récents dessins abstraits, appelés Dessins de déprogrammation, réalisés, eux, sous la forme de cadavres exquis mais structurés comme les plans d’une cité futuriste. La contrainte chez Hucleux, n’est jamais signe de soumission. Si les protocoles engagés paraissent coercitifs, ils lui permettent, au contraire, de creuser les questions de l’empreinte et de la reproductibilité qui transcendent chacune de ses productions. Né en 1923 dans l’Oise, Hucleux entretient un rapport complexe avec la peinture qui le fascine depuis qu’il a dix-sept ans. Il commence comme retoucheur-photographe à une époque ou Photoshop n’existe pas. Puis il fait ses premiers essais en tant que peintre en 1940. Cinq ans après, des problèmes familiaux l’obligent à ranger ses pinceaux durant vingt ans. En 1968, il s’y remet et peint d’après photos comme on peint d’après nature. En 1971, il réalise une série de grands Cimetières qui pose un regard frontal et sans concession sur la mort et qui lui vaut d’être sélectionné, la même année, dans le saint des saints de l’avantgarde, à la Documenta V, à Kassel. Viendront ensuite ses fameux portraits grandeur nature d’artistes et de personnalités. En plein triomphe du minimalisme et de l’art conceptuel, son œuvre figurative s’impose : elle présente une distance critique vis-à-vis de la réalité. Aujourd’hui, les tableaux de celui qui déclare : « Quand on fait surgir un motif, cet instant ne doit être ni en avant, ni en arrière, mais juste à sa place, à son point de vibration… » n’ont pas fini d’être relus et commentés.

Jean-Olivier Hucleux’s work questions the limits of the gaze. It occupies a central place in the history of contemporary art. Though he was somewhat hastily classified as a Hyperrealist in the 70s/80s, his work may be seen as a rigorously conceptual research on the theme of the lost aura – so dear to the theoreticians of the camera obscura – at a time when the stakes of fine art photography are being debated. The pictures Hucleux paints or draws after photographs exude a disquieting strangeness. His ultra-figurative, incredibly detailed images, executed in a smooth pictorial technique or with lead mine in a pointillist style, are the setting of a metaphysical quest. With a discipline worthy of a medieval copyist’s, the artist manages to give a soul to his glossy paper models. Fascinating and vertiginous. As are, for other reasons, the recent abstract drawings he calls “de-programming drawings”, produced like exquisite corpses but structured like blueprints for a futuristic city. For Hucleux, constraints are never a sign of submission. The protocols he commits to seem coercive, but they allow him to explore the questions of imprint and reproducibility. Born in 1923 in the Oise, Hucleux has been fascinated by painting since the age of seventeen. He started out as a photograph retoucher and began experimenting with painting in 1940. Four years later, family issues forced him to put away his brushes for twenty years. In 1968, he resumed his career to paint after photographs as one would paint after nature. In 1971, he produced the large-scale “Cimetières” series, a frontal and uncompromising look at death which earned him a slot in the holy of holies of the avant-garde, the Documenta Kassel V. Hucleux went on to produce his well-known life-size portraits of artists and celebrities. At a time when Minimalism and Conceptual Art dominated the scene, his figurative work stood out by its critical distance towards reality. “When you make a motif appear, this instant must be neither forward nor backward, but at the right place, at its point of vibration…”, Hucleux declared. The rereading and discussion fuelled by his work have only just begun.

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