6 minute read
Gendarmerie sauce mexicaine ?
C’est ce que l’on pourrait imaginer en prenant connaissance du énième plan de repyramidage des grades et des responsabilités décidées pour 2022. Cette augmentation sensible des gradés semble être devenue nécessaire face à la désaffection du concours d’officier rang. En considérant le gendarme comme un exécutant, le taux d’encadrement de la Gendarmerie, au début des années 2000 était bien inférieur à celui des armées et de la police nationale. Parce que le projet des politiques était de faire baisser les effectifs d’agents de l’état à travers la RGPP et, de par son statut militaire, la gendarmerie était tenue de respecter les grilles indiciaires existant dans les armées, les technocrates ont imaginé un dispositif qui paraissait favorable aux gendarmes tout en préservant la nécessaire concordance entre tous les grades de toutes les armées, le plan d’adaptation de la Gendarmerie aux responsabilités exercées (PAGRE). Applicable dès 2004, il s’est traduit par la transformation d'emplois de sous-off iciers en emplois d'off iciers et d'emplois de gendarmes en emplois de sousoff iciers supérieurs. Il s'agissait ainsi de relever le niveau hiérarchique de commandement des unités élémentaires (communautés de brigades et brigades autonomes) en augmentant le taux d'encadrement supérieur à un niveau comparable à celui de la police nationale et d'améliorer les perspectives d'avancement pour les off iciers et les sousoff iciers en f in de carrière. A terme, l'objectif fixé est une augmentation globale de 5 000 off iciers pour atteindre le chiff re total de 9 000 off iciers de gendarmerie en 2012 et un repyramidage de 6051 sous-off iciers.
Les premiers OGR ont été désignés parmi les majors volontaires, puis parce que les syndicats de fonctionnaires ont trouvé anormal cette automaticité de promotion dans la catégorie A sans examen, un concours spécif ique a remplacé celui des majors. Dès 2008, des critères ont été ajoutés pour ne pas dévaloriser un corps qui ne laissait jusqu’alors peu de place aux sous-off iciers issus du rang. Le but f ixé était d’aboutir à l’horizon 2015, au chiffre de 9000 off iciers. Ce chiff re n’a jamais été atteint pour plusieurs raisons. La mobilité à intervalles réguliers constitue un f rein à l’accession à l’épaulette. Un adjudant-chef dont le prof il entre dans les critères aura tendance à privilégier sa situation géographique à une carrière plutôt courte d’off icier où tous les 4 ans, il oblige sa famille à déménager ou à choisir le célibat géographique. Si l’attractivité des postes à pourvoir semble être également un critère de choix, les responsabilités exercées sont plus précisément le point de blocage de cette possibilité de promotion. En effet, pour un major qui commande déjà une grosse unité, qui remplit parfaitement son rôle de chef et qui voit arriver, pour exercer son commandement un off icier issu du rang, souvent du même cursus professionnel constitue sans aucun doute une incompréhension dans la gestion RH. La faute en incombe aux technocrates, qui dans l’urgence, parce qu’il fallait compenser la baisse des effectifs (*), ont créé le plan d’adaptation. Si au tout début, le maintien sur place était le plus souvent adopté, les années qui ont suivi il a été utilisé les règles de gestion propres aux off iciers, à savoir, un choix de poste sur le plan national. Les majors ont été versés dans le corps des sous-off iciers et le concours a été supprimé. Les unités qu’ils pouvaient commander ont été revues à la baisse, en termes de nombre de personnels. Pour tenter d’unif ier un corps d’off icier qui comportait désormais une diversité de recrutement, les règles d’affectation en f in de cycle de formation ont également été revues. Le choix des f ilières a été généralisé à tous les lieutenants issus de l’EOGN. C’est ainsi que pour le même poste, commandant de brigade, de communauté ou de peloton de gendarmerie mobile par exemple, y était affecté indifféremment, un lieutenant du recrutement semi-direct, direct, universitaire ou rang. Si le contingent de ce prof il d’encadrement constitue la règle non établie, quelques off iciers issus de grandes écoles faisaient le choix de commander une unité élémentaire.
Advertisement
Pour le béotien qui ne connaissait pas l’Institution, ce mécanisme pouvait paraître innovant et tendre à récompenser les plus méritants, les plus compétents. La réalité c’est que sur le terrain, il fallait respecter les tableaux d’effectifs autorisés et dans les états-majors, les budgets réclamés auprès des politiques. En respectant le taux d’encadrement, on pouvait expliquer à ceux qui gouvernent que le plan était la solution à une modif ication non-off icielle de la grille indiciaire des gendarmes.
Après quelques années de mise en œuvre et des ajustements de postes ou de fonctions, ces mesures catégorielles ont entraîné un certain nombre de déf iciences, tant sur le plan managérial que sur le plan humain. Il a suscité une forme de déf iance vis-à-vis de l’autorité des jeunes off iciers, mais également des off iciers issus du rang qui du jour au lendemain se sont vus propulsés dans un emploi auquel ils n’étaient pas préparés ou calibrés. Mais le jugement est subjectif en la matière et la vision des uns peut être différente selon le degré d’acceptation de la contrainte.
Les conséquences d’une gestion aux forceps d’un nouveau mécanisme d’encadrement sont multiples et diversement analysées. La première d’entre elles est le choc que cela a provoqué sur les tableaux d’avancement. Ils n’ont jamais été aussi volumineux (personne ne peut s’en plaindre) au risque de tirer vers le bas l’ensemble de la charpente hiérarchique des sous-off iciers. En effet, dans la mesure où un grand nombre de postes de gradés supérieurs sont remplacés par des off iciers, un gradé supérieur ou un major remplacent un gendarme ou un gradé. Cette dévalorisation de fait de la mission se voit uniquement compensée par l’augmentation sensible de la solde. Pour celui qui aurait pu exercer des responsabilités dans un grade d’adjudant ou de major, savoir qu’il perçoit les mêmes revenus pour gratter du papier est devenu une f rustration, à défaut d’une satisfaction. Certains s’en contentent, d’autres, plus nombreux, y voient une dévalorisation du grade, voire une déconsidération. Le concours des majors avait cela de bien c’est qu’il donnait l’opportunité aux adjudants-chefs de parfaire leurs connaissances tout en prouvant leur expérience professionnelle. Aujourd’hui la promotion ne repose que sur l’avis hiérarchique et la décision d’une commission. Si cette nouvelle inf rastructure de l’avancement semble f inancièrement satisfaire le plus grand nombre, elle interroge sur ce qui faisait par le passé la f ierté d’une Arme inégalable par son caractère « militarocivil ».
En tirant vers le haut les promotions, on a vidé peu à peu de son intérêt la progression hiérarchique aux responsabilités assumées. La montée en puissance des postes occupés par des off iciers est un vecteur de f rustration pour certains qui voient dans l’accession à un corps de commandement et d’encadrement autre chose que des missions subalternes de rédaction ou de fairevaloir. C’est sans doute la rançon d’une absence de volonté politique pour faire enf in sortir d’une grille indiciaire commune à tous les agents de l’état, les gendarmes. Il faut cependant se rendre à la raison. Ce nouveau mécanisme d’avancement a le mérite de donner à tous les personnels militaires de la Gendarmerie la possibilité de jouir d’une pension de retraite d’un excellent niveau. Et tant pis pour l’attractivité des fonctions exercées.