Les naufragés du lagon

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Taslia ALI

LES NAUFRAGÉS DU LAGON

©4 Étoiles Éditions, 2020 4etoiles.editions@gmail.com



Sommaire L’auteur ............................................................... 6 Glossaire .............................................................. 7 Comment en est-on arrivé là ? Quelques dates clés pour aider à mieux comprendre la situation actuelle ............... 9 État des lieux : indifférence générale et mépris total pour les « étrangers » dans le 101e département français. ............................................................. 16 « Revenez demain ! » .......................................... 24 Les demandeurs d’asile légitimes… et les autres. ..... 26 « Kaitsokiri » ...................................................... 28 La maison est rose et le sommeil est gris. ............. 39 L’attente et la souffrance latente ........................... 44 Les mères en mer ............................................... 48 « Des enfants papiers » ....................................... 54 Les « fous » ........................................................ 64 « L’examen de votre vie » en visioconférence ........ 67 Les rejetés en danger .......................................... 69 Mayotte : une prison à ciel ouvert, un enfer pourtant d’apparence paradisiaque ..................................... 72 Transcription de l’entretien avec Nacera et Louise : . 80 ACRONYMES ET SIGLES UTILISÉS : ..................... 117


État des lieux : indifférence générale et mépris total pour les « étrangers » dans le 101e département français. Zénabou2 a 35 ans. Mère de deux enfants, elle est de nationalité comorienne et sollicite l’asile sur l’île de Mayotte. Arrivée en janvier 2019 avec ses enfants, elle fut arrêtée par la Police aux Frontières au mois de février, et fut intégrée, sans ses enfants, au Centre de Rétention Administrative, alors qu’elle était en attente d’un rendezvous à la préfecture pour enregistrer sa demande d’asile. Zénabou ne bénéficiera donc jamais de ce rendez-vous, et devra introduire sa demande d’asile au Centre de Rétention. Finalement, elle recevra après cinq jours d’enfermement loin de ses enfants, une réponse négative à sa demande d’asile et sera reconduite dans la même journée vers les Comores, sans qu’elle n’ait pu exercer son droit à un recours. Zénabou risquera donc sa vie une nouvelle fois en empruntant le kwassa-kwassa pour revenir à Mayotte et formuler un recours à sa décision de rejet de demande d’asile. À son arrivée, elle obtint un premier récépissé de demandeur d’asile d’un mois, mais ne parvint pas à la renouveler : inscrite sur une liste d’attente pendant des mois, elle ne recevra jamais d’appel de la préfecture pour un rendez-vous. Finalement, elle fera l’objet d’un contrôle d’identité avec ses enfants. Elle expliquera être en attente de rendez-vous mais sera une nouvelle fois intégrée au centre de rétention et tous les trois seront expulsés le lendemain vers les Comores.


Ils sont des milliers, comme Zénabou, à emprunter chaque année le kwassa-kwassa, au péril de leur vie, pour s’établir à Mayotte, dans l’espoir d’améliorer leur vie. À leur arrivée sur l’île aux parfums, ce n’est pas une meilleure situation qu’ils rencontrent, mais l’humiliation quotidienne, la course infernale face à la police aux frontières, la peur au ventre à la moindre sortie, la crainte, à moitié avouée, de l’enfermement et l’expulsion vers les Comores, le mépris de l’administration, des Mahorais. Il y a un paradoxe bien étonnant, où le français métropolitain, blanc, ne parlant pas un mot de shimaoré, venu seul à Mayotte pour profiter du soleil et de sa vie d’expatrié, vivant dans un quartier ségrégué, est considéré chez lui alors que le Comorien, maitrisant la langue, vivant sur place avec toute sa famille, est considéré étranger et doit agir comme tel. Ne pas faire de vagues, ne pas se faire remarquer pour être considéré légitime par l’administrateur blanc. Il y a sur le 101e département français une atmosphère tendue, où on fait comprendre au Comorien qu’il n’est pas chez lui, qu’il ne fait qu’occuper un territoire qui n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais sien. Bien sûr, quelques heures passées à Mayotte suffisent à se rendre compte que la réalité est autre, que les Mahoraises et Mahorais parlent une langue bantoue bien loin du français parisien, que chaque Mahorais a un ancêtre né sur les îles voisines, ou est lui-même né sur une île voisine. « À force de chasser nos cousins, nous avons perdu notre identité » est un tag inscrit sur plusieurs murs à Mayotte. Et pour cause. Il y a une indéniable similarité culturelle,


un amour, désamour, entre Mahorais et personnes de nationalité comorienne des autres îles. Des cousins, siamois, inséparables. Une île sœur où l’État français a autorité, où il déshumanise les personnes de nationalité comorienne, où il accueille le mzungu comme un roi mais confine les personnes de nationalité comorienne dans un entre-deux insupportable. Ni Français ni Mahorais. Les personnes arrivées avant l’âge de 13 ans à Mayotte et y étant resté de façon continue ne sont pas expulsables et sont légitimes pour obtenir un titre de séjour et être à posteriori naturalisé. On parle donc d’enfants ayant suivi les parents, au plus jeune âge, dans un kwassa-kwassa et ayant construit leurs vies à Mayotte sans jamais revenir aux Comores et sans rien connaître. Pour autant, ces enfants une fois majeurs sont renvoyés vers Anjouan, une île où ils ne connaissent personne, parce que l’accès au titre de séjour est mission presque impossible. Et si aujourd’hui, les gouvernements français et Comoriens se disputent souveraineté sur Mayotte, si aujourd’hui les débats se concentrent sur la supposée invasion de Mayotte par les personnes de nationalité comorienne, si aujourd’hui chaque Mahorais a un avis plus ou moins pertinent sur la question épineuse de l’immigration dite « clandestine » ; on oublie souvent de parler des femmes, hommes, enfants qui ont migré à Mayotte et y évoluent. Ils pleurent, rient, vivent, survivent, travaillent, étudient, courent après leurs rêves. Ils sont là, on ne parle que d’eux, mais paradoxalement, ils sont invisibles. En 2019, si on veut lire le témoignage


d’un Comorien ayant été expulsé de façon illégale, où allons-nous ? Avant de venir habiter à Mayotte, je n’en avais rencontré aucun. Je ne connaissais que les chiffres, erronés, publiés par le gouvernement français. Je ne connaissais que les discours anti-comoriens, qui eux sont repris et publiés de toute part. Je ne savais pas que chaque jour, même le jour de l’Eïd, même les jours fériés, même les dimanches, un bateau part à Anjouan avec en son sein des personnes expulsées par le gouvernement français. Je ne savais pas qu’à l’instant même où ils arrivent à Anjouan, ils organisent de nouveau un départ. Je ne pensais pas rencontrer des gens ayant emprunté le kwassa-kwassa non pas une fois, mais deux, trois, quatre fois. Je repense souvent à Faissoili, que j’ai rencontré un jour. Il est arrivé à Mayotte lorsqu’il n’était qu’un enfant. Ses parents ont été expulsés vers les Comores et ne sont jamais revenus. Il s’est construit tout seul. Aujourd’hui, il a 21 ans. Je l’ai rencontré, quelques semaines avant qu’il ne passe le bac. Je ne le reverrai que deux semaines plus tard. Il m’avouera avoir été expulsé pendant la semaine de ses épreuves, puis être revenu en kwassa le lendemain de son expulsion. Arrivé à Mayotte à 6 heures du matin, il est allé passer l’épreuve de mathématiques tout trempé, sortant du bateau. Puis, le jour des résultats, il sera de nouveau expulsé. Nous avions rendez-vous. Je l’ai appelé pendant plusieurs semaines, tombant sans cesse sur son répondeur. Je ferai les déductions moi-même. Et en effet, un jour il me rappellera. « Pardon mais j’ai été expulsé le jour des résultats. J’attendais d’avoir de l’argent pour


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