TTrioreau – architectures 2008-1997

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TT RIOREAU

HervĂŠ Trioreau

architectures 2008-1997 :

http://tt.rioreau.free.fr

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projet : ZadkineXtension, Musée Zadkine Xtension - proposition artistique pour le projet d'extension du Musée Zadkine / accueil - toit – verrière Quelle est la nature de l’espace construit ? Quels déplacements sont susceptibles de s’y produire ? Qu’en est-il du rapport entre intériorité et extériorité ? Voilà quelques unes des questions qui structurent les propositions de TTrioreau dont les travaux s’inscrivent de manière générale dans un champ de recherche dont le double horizon est celui de l’architecture et du réseau urbain. Ses installations interrogent notre confiance en la solidité structurelle du bâtiment, son immobilité et sa permanence, pour le décrire comme intervalle, passage, transition… Insérée dans le catalogue, la proposition artistique d’extension du musée imaginée par Hervé Trioreau à la demande de Noëlle Chabert, prévoit l’installation d’une surface légèrement réfléchissante à courbure variable où creux et bosses se succèdent en un chaos organisé de verre reflétant en de multiples fragments l’espace environnant du jardin, dispersion de la lumière en d’innombrables éclats, la limite intérieure/extérieure s’estompe au profit de l’interférence. Ce n’est pas tant la notion d’architecture en elle-même qui préoccupe l’artiste mais plutôt la façon d’agir directement sur notre perception du site.

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projet : HYPERCENTRE

« Un jeu de langage analogue à une partie d’un autre jeu de langage. Un espace projeté dans des fragments limités d’un autre espace. Un espace troué » Fiches - 648 Ludwig Wittgenstein

HYPERCENTRE : éléments contextuels Le projet HYPERCENTRE se positionne et s’oriente dans une continuité de recherches effectuées durant ces dix dernières années, sur la mobilité des structures architecturales, sur leurs spatialités extensionnelles, leurs déplacements, où les frontières deviennent un réseau de liens entre espaces publics et sphères privées. Mes réflexions se situent dans ces entre-deux architecturaux, ces espaces à caractère intermédiaire, où s’enregistrent toutes les modifications visuelles, physiques et sonores des transformations urbaines. Aujourd’hui, celles-ci s’inscrivent à l’intérieur des articulations de la ville de Nancy. HYPERCENTRE se veut un développement de propositions qui se nourrissent des spécificités du lieu, en inscrivant les circonstances de réalisation et de présentation du projet à la source même de sa conception. HYPERCENTRE exploite l’image projetée dans une logique autant spatiale que temporelle pour créer un paysage marquant. La projection n’est plus considérée comme un dispositif isolé, pensé dans un cadre souvent trop pragmatique, mais s’intègre aux réflexions sur son environnement à part entière. Dans le cadre de ces réflexions, le projet HYPERCENTRE et son espace projeté dépassent la simple question du dispositif technique, pour devenir celui d’un support polysémique élargi à l’échelle de la ville, de l’agglomération de Nancy, de l’urbain…

Vue panoramique du nœud centre – ville - gare à Nancy traversé par la ligne de tramway.

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HYPERCENTRE : en amont du projet Le projet HYPERCENTRE a pris place à Nancy dès le mois de septembre 2001, suite à une invitation du FRAC Lorraine par l’intermédiaire de Béatrice Josse et Morgane Estève, pour participer à une classe de sensibilisation à l’architecture (classe à PAC et atelier de pratiques artistiques) auprès des lycéens de terminale, section arts plastiques, du lycée Varoquaux. Cette sensibilisation à l’architecture s’est orientée à travers l’approche d’un circuit urbain, sur la ligne de tramway, et l’observation des éléments architecturaux importants, du lycée Varoquaux, en passant par le centre-ville de Nancy via l’Ecole d’architecture et son agglomération proche.

Vue de la ligne de tramway tranchant le centre-ville de Nancy

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Le parcours entre les données géographiques et urbanistiques de Nancy nous a permis de faire des repérages. Il en résulte le projet HYPERCENTRE, basé sur les liaisons et frontières situées entre la Meurthe, le canal, la ligne de chemin de fer et le centre ville de Nancy, celles-ci coupées par la ligne de tramway qui relie les agglomérations de Nancy (Essey-lès-Nancy, Saint Max, Villiers-lès-Nancy, Vandoeuvre-lès-Nancy) et tranche le centre de cette même ville.

Trajet du tramway (ligne rouge) reliant l’agglomération de Nancy et coupant le centre de cette même ville. Longueur du trajet : 6 kilomètres (soit 12 kilomètres aller-retour). Durée du trajet aller-retour 90 minutes.

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HYPERCENTRE : SpaceMaker, entre projet, projectile et projection, données théoriques et techniques Lors du TOURNAGE du projet HYPERCENTRE, une caméra vidéo, format BetaCam Digital 16/9ème, est installée sur les rails de la ligne de tramway traversant la ville de Nancy, pour lui permettre un mouvement, un glissement à l’intérieur de cette même ville : travelling. La caméra englobe la totalité de l’espace dans une vision à 360°, grâce à son positionnement face à une structure conçue spécialement, intermédiaire entre l’objectif de la caméra et l’environnement (maquette aux façades à la fois opaques et transparentes à l’instar de certains immeubles). La structure est constituée de trois façades : une transparente en verre, encadrée de deux parois opaques en angle recouvertes de miroirs. Cette structure-interface, aux propriétés dislocantes1, permet d’obtenir une image fracturée, tramée2, aux particularités panoptiques et panoramiques, dans une sorte de rétro-vision. Le travelling crée un mouvement de liaison entre l’objectif de la caméra et son environnement : le paysage. Il développe un défilement dans un continuum ininterrompu, sans accroc, sans rupture, dont la caméra, par son mouvement, opère à une lente traversée optique dans l’architecture et provoque, de surcroît, un glissement du regard. Celle-ci effectue une circonscription du paysage en mouvement, dans une exploration triangulaire de l’espace qu’elle enregistre. Ainsi, elle a le pouvoir de modifier, de renverser les perspectives et de réduire les distances. Grâce à la maquette – structure - interface, les hors-champs et les vides périphériques de l’objectif de la caméra deviennent visibles.

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Voir le livre de Benoît Goetz, La Dislocation, architecture et philosophie, les édition de la passion, 2001. Voir le texte de Jacques Derrida dans Psyché, Maintenant l’architecture, éditions Gallilé.

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Champ de vision panoramique de la camÊra BetaCam Digital 16/9ème au travers de la structure-interface

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Structure-interface intermédiaire entre l’objectif de la caméra et l’environnement permettant un regard à 360° (travelling)

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Effets miroirs de la structure-interface permettant à la caméra et au regard d’observer le hors-champ du travelling

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Essais de quadrillages visuels de la maquette – structure - interface permettant d’observer le devant et l’arrière-plan lors du travelling de la caméra BetaCam Digital 16/9ème

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HYPERCENTRE : images du pré-tournage + prototype de la « maquette – structure – interface », Nancy Production FRAC Lorraine, juin 2002

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Lors du MONTAGE, le film vidéo BetaCam Digital est transféré, par kynescopage, sur pellicule 16 mm, associant la fragmentation de l’image filmée (structure) à celle de la pellicule (support). Un montage sonore est effectué dans une volonté de partition dont le dispositif perceptif propose la diffusion sonore sous la forme de séquences sur une grille (nom de la partie sonore : HYPERCENTRE - PRYSM). La multiplicité sonore remodèle l’appréhension de l’espace pour lui faire prendre de nouvelles positions.

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Lors de l’INSTALLATION, la projection devient architecture : elle dessine une paroi sans épaisseur (écran de projection) qui ouvre cependant l’espace, en jouant avec la tridimensionnalité fictive de l’image projetée et aussi, en associant l’image fluide de la forme architecturale produite à sa projection. C’est une installation d’implications réciproques entre le dispositif, éminemment mobile et instable, d’enregistrement des images (le tournage, le travelling) et le dispositif quant à lui fixe et statique, qui en assure la projection (le projecteur 16 mm, l’écran). La projection assure un déploiement, un étirement spatial de l’œuvre et un transport de celle-ci d’un lieu à un autre transformant l’architecture - monument en architecture-événement. Les rapports du mobile (dispositif de tournage, travelling) et de l’immobile (écran, dispositif de projection) trouvent leurs liaisons dans leur même temporalité : temps réel du travelling = temps réel du film. L’écran devient une frontière, un entre-deux où se déplacent, s’éclatent et se fragmentent les éléments architecturaux qui recréent un nouveau contexte de réflexions critiques dont le spectateur est le point nodal. Ainsi, le spectateur peut se glisser dans ces lignes de fractures visuelles et dans le hors-champ constitué comme un split-screen coulissant et mettant à nu la déchirure du regard. Le split-screen morcelle les différents niveaux de réalité qui entrent ainsi en résonance. L’installation établit un environnement singulier de relations spatiales entre la projection, l’écran et l’espace d’exposition qui force le spectateur comme partie prenante de la situation en lui donnant, au travers un déplacement circulaire, une vision fragmentée par l’architecture, ses piliers, le film projeté sur l’écran et son environnement sonore. HYPERCENTRE est projeté en boucle (avec un boucleur 16 mm) lui permettant de circonscrire, par la répétition d’un même mouvement, un espace vide qui tantôt absorbe la présence spectateur, et tantôt, la maintient à distance. Le passage de la ligne à la boucle conduit le récit cinématographique à sa limite dans un mouvement continu, infini, rapprochant ses deux points extrêmes. Il privilégie l’émoussement des repères spatiaux et l’errance du spectateur hors de toute stabilité d’un point idéal de vision.

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HYPERCENTRE : lieu d’exposition

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Ecran coupant, à l’instar d’une lame, l’espace circulaire du lieu d’exposition Dimensions de l’écran : 9 mètres par 3 mètres Recul du projecteur 16 mm : 15 mètres

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http://www.p-o-s.org / http://www.p-o-s.fr.st Initié par Bernard Calet, Sammy Engramer, TTrioreau et Frédéric Tétart, « Plan d’Occupation des Sites » est un laboratoire artistique permanent sur l’espace urbain de la ville de Tours et de son agglomération. Son objectif : instaurer et développer une recherche sur l’appréhension de ce territoire du quotidien au-delà de son identité matérielle et statique. Déterritorialisée sur la toile, la dimension physique de la ville disparaît ici au profit d’espaces critiques et utopiques, de sites alternatifs. Trame, texture, carte, image, texte, son, la ville est traitée comme un matériau à la fois vivant et inerte, noble et dénaturé. Imaginer l’ailleurs dans l’ici, ouvrir l’ici à son ailleurs, cette démarche émet des hypothèses sur une autre lecture du réel et de ses composantes. Conçus à partir des modèles déambulatoires propres à l’hypertexte, les projets de chaque artiste se découvrent à travers des parcours disséminés et fragmentaires. La mutation rhizomatique de l’urbain contemporain trouve une transposition possible dans les nœuds, liens, déplacements et renvois du net. L’urbanisme du « Plan d’Occupation des Sites » se déploie ainsi grâce à la liberté des choix, des comportements et des désirs. Comme un champ de pensée et d’action qui nécessite et intègre la pensée et l’action de l’autre, des autres. Parce que faire, refaire, défaire la ville à travers des processus virtuels est une façon de la retrouver, de la comprendre, de la revendiquer. Lieu prospectif, espace de projection, laboratoire de recherche, le site http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st est pensé comme évolutif, susceptible d’accueillir d’autres interventions d’artistes, autour de l’architecture, de la cité, de l’espace, de la perception et des N.T.I.C. Le site Internet trouve alors sa dimension de véritable espace critique. http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st propose donc d’installer sur le réseau Internet une collectivité réelle, qui se définit à la fois à travers son inscription locale et tourangelle, mais aussi son ubiquité et son indépendance. Des enjeux plus larges se dessinent ici : faire valoir une autre culture du local, basée sur la participation plus que sur la consommation, et, en parallèle, garder une tension entre le réel et le virtuel. Investissant l’outil Internet sans aucune complaisance technologique, les artistes (Bernard Calet, Ewen Chardronnet, Sammy Engramer, Thierry Joseph, Frédéric Tétart, Hervé Trioreau, …) proposent une sorte de parcours multiple, une déambulation aléatoire dans la ville de Tours, envisagée comme un site générique à travers sa virtualisation. Internet offre la possibilité de déplacer des éléments réels de la ville et de les mixer, de les mélanger avec d’autres dont les origines sont variées, pour redéfinir un autre espace, infiniment démultipliable et souple. Le projet artistique du collectif http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st transforme le plan d’occupation des sols en plan d’occupation des sites ! Un lieu d’échanges et de recherche, sur Internet, autour des questions de l’espace urbain et de l’utopie. Le site http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st propose un parcours multiple dans la ville de Tours, ponctué d’interventions artistiques qui portent un autres regard sur cet espace du quotidien. La configuration urbaine, comme l’usage et les fonctions des sites, cristallise les strates des évolutions sociales, politiques et économiques spécifiques à chaque ville. A Tours, dans le cadre du réaménagement de la ville, qui prévoit la création d’une ligne de tramway, Bernard Calet observe que les pavements des trottoirs de l’artère la plus commerçante dessinent des motifs identiques à ceux que l’on trouve dans les tapis. Il s’agit d’un rappel historique choisi par les habitants : Tours est une ville carrefour entre l’axe Nord / Sud et l’axe Nantes / Lyon. Pendant la Renaissance, ces axes constituaient la route de la soie. Déplacement, tressage, maillage, ces termes ne sont pas sans rappeler les notions de circulation et de passages propres à l’architecture d’Internet. C’est à partir de ce motif que http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st est conçu, comme une extension de ce système microscopique du pavé tourangeau mais à une échelle planétaire de circulation macroscopique : celle d’Internet. L’armature du site reproduit ce système de maillage, reliant entre elles les interventions de chaque artiste tout en laissant ce système ouvert aux interventions futures. En déplaçant la trame du tapis vers des espaces périphériques de la ville, Bernard Calet introduit des décalages qui font sens dans le langage symbolique de l’urbanisme. Ces installations fragilisent les frontières entre espace public et espace privé, attribuant à ce cadre statique et décoratif la qualité du signe d’un espace de réception, d’un lieu d’accueil. Sammy Engramer s’intéresse également aux marges de la cité et imagine des stations vertes au sein des lotissements en expansion. Il repère des terrain à bâtir qu’il propose d’utilise comme des espaces de convivialité : aménagements de places, esplanades, lieux de vie collective… TTrioreau3 intervient sur le mode du parasitage, par intrusion de panneaux publicitaires à l’intérieur d’autres propositions. Relevant d’une certaine esthétique du chantier, ces panneaux affichent des photographies prises pendant les travaux de la Rue Nationale. Il s’immiscent également dans l’espace sonore public en squattant, virtuellement, les haut-parleurs qui diffusent musique commerciale et slogans publicitaires les jours de grande braderie et d’émulation consumériste. Frédéric Tétart utilise des stratégies d’infraction dans les projets des autres artistes qui lui offrent des fragments de matière pour construire des architectures de fortune. Il joue ainsi sur les notions de propriété et de pouvoir qui régissent la morphologie de la ville comme l’espace d’Internet. Du privé au collectif, http://www.p-o-s.org, http://www.p-o-s.fr.st établit les conditions d’échange et de mobilité, de rencontre et de fragilité qui fondent la notion d’espace public. Le projet se situe ainsi au confluent de plusieurs problématiques actuelles, liées d’une part à l’aménagement urbain, et d’autre part au développement des nouvelles technologies. Il est possible de penser des utopies au présent, des utopies appliquées, avec une conception décomplexée de l’espace-temps, sans caution de l’ancien ni dictature du nouveau…

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Les dispositifs de TTrioreau agissent sur les zones urbaines, sur leurs murs et leur mémoire. Cherchant à inclure tous les possibles ou devenirs, il crée des territoires hybrides qui se constituent par défaut ou hégémonie et mettent le corps à l’épreuve en le privant des partitions habituelles. Ce sont des espaces transgressés ou transgressifs qui n’offrent pas d’équilibre définitif puisque la limite s’estompe au profit de l’interférence. Si le changement paraît toujours imminent, il est en réalité déjà effectif : sans véritable lieu d’existence, il investit l’ensemble d’un territoire, le transforme en une zone hybride d’où les frontières se retirent.

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projet : New Territories, extensible apartment, Hong Kong project Depuis plusieurs années, Hervé Trioreau témoigne d’une démarche pluridisciplinaire inédite, associant à sa pratique artistique une réflexion sur l’architecture et l’urbanisme. Son travail est largement présenté en France et à l’étranger, et engage des compétences touchant à de nombreux champs de la création contemporaine, installations, interventions, projets architecturaux, textes, vidéos, recours aux nouvelles technologies. L’urbain est ici entendu comme un « territoire » à la fois géographique, social, politique, jamais figé, toujours problématique. Les interventions de TTrioreau l’appréhendent comme une interface en devenir, aux prises avec la mobilité humaine. Les propositions d’interventions de cet artiste se situent dans un entre-deux, voire dans un enchevêtrement des espaces privés et publics dont il retourne comme un gant les codes, ainsi son intervention à « La Box », Ecole nationale supérieure d’art de Bourges, où l’exposition se donnait dans la continuité de l’espace urbain. Le passant se retrouvait spectateur, à l’intérieur d’une galerie « dans » la galerie d’exposition et le spectateur, passant, projeté mentalement et physiquement dans l’espace de la ville. Comme dans la plupart des œuvres de TTrioreau, les logiques du regard étaient inversées, l’intérieur et l’extérieur échangeaient leurs dimensions. En 1997, il met en route un nouveau projet suite à son séjour à Hong Kong. Espace greffé, nomade, extensible, ce projet n’est pas sans rapport, non seulement avec l’utopie d’une architecture mobile des années 60, ouverte à l’appropriation de ses habitants, mais aussi avec la démarche de nombreux jeunes architectes actuels, sur un plan international, en quête d’alternatives. Ce projet de TTrioreau est par essence hybride, entre l’habitat et l’urbain, le sédentaire et le nomade, entre l’espace privé et social, en quête de nouvelles modalités d’interaction avec les habitants, interrogeant la ville ici et là-bas, dans une métropole telle que Hong Kong parmi les plus fascinantes. Entre la fictionnalisation croissante de l’espace urbain, pris dans sa médiatisation par l’image, et le questionnement de ce que peut encore signifier aujourd’hui l’intériorité, les projets de TTrioreau se donnent fondamentalement dans leurs dimensions d’expérimentation, considérant l’architecture comme un outil de prospection de la complexité de notre rapport au monde. Marie-Ange Brayer Directrice du FRAC Centre, Orléans, France.

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Dans un texte désormais célèbre, Michel Foucault opposait au XIXème siècle, période obsédée par l'histoire et les thèmes de la crise et du cycle, notre époque, désormais engagée dans une redéfinition de l'espace. « L'époque actuelle serait plutôt l'époque de l'espace. Nous sommes à l'époque du simultané, nous sommes à l'époque de la juxtaposition, à l'époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. Nous sommes à un moment où le monde s'éprouve, je crois, moins comme une grande ville qui se développerait à travers le temps que comme un réseau qui relie des points et qui entrecroise son écheveau. Peut-être pourrait-on dire que certains conflits idéologiques qui animent les polémiques d'aujourd'hui se déroulent entre les pieux descendants du temps et les habitants acharnés de l'espace4. » A sa suite, on pourrait maintenant affirmer que nous vivons dans une époque de la dissémination, une époque enfermée dans la trop grande visibilité spatiale de certains phénomènes qui, bien que locaux, s'inscrivent dans une dynamique aux dimensions planétaires. Mais là ou Michel Foucault repérait les règles de formation des discours du pouvoir étatique comme mécanisme d'exclusion, il est désormais possible de dire que le pouvoir de l'état, en tant que médium d'organisation de la société, s'est en partie dissous dans la constitution de sphère d'échanges économiques directement issues des théories néo-libérales. Concevoir l'économie comme unique régulateur des rapports sociaux nécessitait deux choses. Il fallait en premier lieu ôter aux Etats-nations toute possibilité d'influer sur la constitution de nos identités. Ensuite, il s'avérait nécessaire de jeter le discrédit sur le modèle démocratique actuellement en court afin de mettre en place une « démocratie du management » propre à assurer les besoins des masses. Pour cela, coloniser l'espace public (espace social, politique et territorial) par un système communicationnel propre à transformer le citoyen en consommateur devait se révéler une arme imparable. Tel serait sans doute le rôle aujourd'hui dévolue aux mass médias. Or, cette théorie ne fonctionne pas aussi idéalement que voulu. Détruire l'espace du dialogue social a directement conduit à la construction d'appartenances identitaires et aux rattachements communautaires. La question n'est donc plus de savoir si il faut ou non lutter contre cette idéologie régressive mais bien de voir et comprendre les conséquences définitives que ce processus a eu sur la hiérarchisation des territoires économiques, sociaux et identitaires. Ce questionnement, cette interrogation sur la notion d'identités à l'heure de la mondialisation, est au cœur de la stratégie artistique de TTrioreau5. Hong-Kong, la ville qui ne s'appartient pas comme disait Serge Daney6. Si ce territoire constitue le prototype de cette ville mondialisée dont on nous parle tant, c'est que son destin s'est toujours joué ailleurs. Londres, Pékin, autant de centres économiques et politiques qui délibérèrent à son sujet. Ce n'est donc pas un hasard si l'une des pièces les plus importantes de TTrioreau s'inscrit dans ce contexte urbain. Ici, centre et périphérie ne forment plus qu'un amas d'où émergent, telles des bornes incertaines, quelques tours, véritables icônes surmontées de logos lumineux et dont les façades de verre réfléchissent le chaos du schéma urbain. Ici, plus qu'ailleurs, l'espace fait déficit. Il suffit de regarder les personnages qui peuplent son cinéma ou de croiser plus simplement les habitants de la ville réelle ; le sentiment d'espace aveugle prévaut. Les corps se glissent dans chaque interstice sans se voir, sans même se croiser. Et lorsque les êtres se heurtent, c'est pour quelques rencontres aussi exclusives et provisoires que le destin de cette ville. Nos années sauvages (1992) et Chungking Express (1993) de Wong Kar-wai, montraient de façon exemplaire ce motif obsessionnel de la recherche d'un autre perdu dans une densité urbaine qui semble échapper à ses habitants7. L'espace à Hong Kong dissocie les habitants du réel. Cette ville est bien une colonie, un cul-de-sac pour immigrants, lucioles attirées par l'éclat de promesses jamais tenues. Cette colonie, comme toute les colonies, est aussi un décor. Sa beauté se trouve dans ces grands murs rideaux qui habillent les buildings des compagnies internationales. Construits à grands frais, ils en constituent l'ossature visible. Mais son sang, ses tripes, sa merde se trouvent ailleurs, sans doute dans ses milliers d'HLM sordides où s'entasse une population corvéable à merci. De tout ces lieux échoués, Kowloon est sans doute le plus célèbre. L’histoire de ce quartier débute dans les années 50, époque où la ville doit faire face à plusieurs vagues d'immigrations. Ce qui compte alors, c'est la réussite financière de la colonie, l'intégration de celle-ci dans le concert économique de la zone asiatique. Les bidonvilles prolifèrent sur les moindres parcelles disponibles. Qu'importe l'absence d'eau potable, de sanitaires, d'infrastructures, le rêve semble au bout de l'aventure. Le tout se brise en 1952 et 1953. De violents incendies rasent nombres de ces quartiers de tôles et de bois. Le gouvernement improvisent quelques solutions d'urgences. On bâtie à la hâte de grands HLM pour reloger ces dizaines de milliers d'habitants laissés à l'abandon par ces sinistres. Désormais, les communautés feront défauts. La misère loin de s'étaler trouve une nouvelle dimension : les étages, les coursives et sous-sols de ces constructions déjà insalubres. Entouré d'immeubles lépreux qui en constituent l'enceinte, Kowloon se transforme en un labyrinthe de boyaux inextricables d'où suintent toutes les corruptions. Juridiquement, le territoire est une enclave chinoise échappant ainsi à la police de Hong Kong. En son centre, Walled City, le repaire de la pègre et des triades. Dans les plis et replis de la nouvelle cité interdite fleurissent les commerces illicites : prostitution, marché libre de la drogue et des armes. Ce quartier, depuis nettoyé par des autorités chinoises soucieuses d'ordre, constitue un lieu exemplaire à partir duquel il était possible de construire une critique de ce fétichisme urbain aujourd'hui tant à la mode. La pièce de TTrioreau pose le problème de la ville, le problème de l'urbain dans une cité à la fois intégrée au système économique international tout en produisant simultanément des logiques d'appropriation du territoire différentes de celles de l'occident. Mais ne nous y trompons pas, ici, le thème de la ville n'est finalement que prétexte, illustration parfaite et conventionnelle d'un problème plus vaste : celui de notre devenir au moment où le vivre en commun des hommes se trouve soudainement mis en crise.

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Michel Foucault, Des espaces autres, in Dits et écrits (1954-1988), tome IV, p.752, Gallimard, 1996. Initialement protaTTrioreau (Vincent Protat et Hervé Trioreau). Libération, 1986. 7 C'est ce qu'indiquait d'ajlleurs sur un mode allégorique Ghost in the shell (lshii Manuro) où les réseaux télématiques devenaient plus réels que le territoire urbain. La mutation d’une entitée virtuelle issue des réseaux informatiques en conscience intelligente trouvait son origine dans une organisation aléatoire de toutes les informations du net sur le modèle des structures anarchiques des quartiers de Hong Kong. La vie émergeait de la densité du chaos. Cette mutation avait pour toile de fond plusieurs récits dans lesquels des personnages tentaient de définir leur entité à travers le regard des autres, malheureusement toujours absents, comme en retrait de la vie de chacun. 5 6

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New Territories, extensible apartment, Hong Kong project se compose d'une structure mobile installée dans un appartement quelconque situé dans les étages supérieurs d'un immeuble. Vidé de ses cloisons, l'espace devient cube de béton dans lequel s'insère très exactement une structure aux murs et plafonds transparents, sorte de seconde peau. Des rails au sol permettent à l'ensemble de coulisser au-dessus de l'espace de la rue. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project se déploie, investit provisoirement le vide laissé béant entre les immeubles. Le mobilier toujours présent suit le mouvement et devient signe d'occupation de cet espace privé. Exposé aux yeux de tous, c'est à dire exposé aux regards des locataires des immeubles voisins, la structure ouvre sa sphère de l'intime dans l'espace public. L’extrême visibilité des fonctions de l'habitat pourrait laisser supposer que la pièce est conçue comme un lieu de rencontre et d'échange entre les habitants du quartier. Il n'en est rien. L’ensemble est clos sous la transparence de ses parois vitrées. En prenant la fonction d'un cadrage simple et neutre, New Territories, extensible apartment, Hong Kong project détermine déjà un contexte urbain particulier : une ville qui plus que toutes autres est ouverte aux expérimentations anarchiques de ses habitants et simultanément totalement enserrée dans une projection rationaliste régulée par les instances politiques et économiques. Ouvert et clos, mobile et pourtant si tributaire d'une structure architecturale, l'œuvre modélise donc un territoire en posant clairement la question de l'espace public. L’espace public est-il encore l'espace utopique de l'échange et de la médiation, ou bien porte-t-il en germe la possibilité d'une guerre entre des forces d'où l'humain est exclu. Cet ensemble de questions venait d'être posées d'une manière plus abstraite, quelque temps plus tôt, par Jüngen Habermas8 dans un ouvrage consacré à l’histoire de l’espace public9. Il affirmait, entre autre, que le caractère patriarcal de la famille restreinte, attribut de la bourgeoisie occidentale, avait permis au XVIIIème siècle la constitution de la sphère privée. La spécificité de ce territoire reposait sur le simple fait qu'il constituait un nouveau lieu de formation pour des expériences psychologiques, répondant ainsi à l'apparition d'une subjectivité totalement centrée sur elle-même. L’ancienne famille élargie, communauté de soutien des individus entre eux, commençait à disparaître. En démontrant que la propriété privée et le patriarcat constituait le fondement du public, Jüngen Habermas établissait également que l'instauration d'un nouvel espace public au XVIIIème, siècle répondait bien aux mutations de l'Etat et de l'économie. Que ce nouveau public réclame une participation accrue aux affaires de l'Etat, rien de plus normal. Dorénavant, l'espace public pouvait être perçu selon une double acceptation dont chaque terme est complémentaire de l'autre. L’espace public est évidemment un territoire spatial qui se définit comme un domaine non privatif (les rues, les places) régi par un ensemble de règles et de lois. C'est aussi et surtout un espace de médiation, un espace fictif (les journaux, les salons littéraires) entre les citoyens et l'Etat, désormais perçu comme médium d'organisation démocratique de la société. La structure de cet espace résulte de la libre circulation d'une information à la fois objective et échappant à toutes censures. L’espace public est donc un espace d'information et de médiation. On comprend ainsi mieux pourquoi, les grands enjeux du XIXème siècle furent bien la question du droit de vote et de la liberté de la presse. Toutes inflexions sur l'un des deux termes influaient directement sur la structure de cet espace. Ainsi, on peut désormais percevoir dans l'urbanisation de Paris par Hausmann, une réponse directe à la reprise en main du droit de la presse et au relatif élargissement du droit de vote. Mais ce que Jüngen Habermas repérait soudain dans l'époque contemporaine, la société des années 60, c'était bien une nouvelle transformation structurelle de la sphère de l'intime et de l'espace public. On assistait alors à une privatisation de l'espace public sous les effets d'une culture libérale nourrie de motivations et d'orientations normatives non sans conséquences sur les termes de la démocratie. Entre le siècle des Lumières et la fin des années 60, l'information était devenue un droit pour tous. Désormais, elle pouvait intégrer la sphère consumériste. Conscient de cet état de fait, les luttes pour les droits civiques de la fin des années soixante aux Etats-Unis s'appuyaient aussi sur une production alternative de l'information. De même, la révolte hippy en refusant l'ordre établi attestait non seulement d'un engagement pour réaffirmer la citoyenneté comme contre-pouvoir face aux décisions de l'administration (guerre du Viêt-nam) mais aussi d'un grand embarras quant aux conséquences identitaires de ces phénomènes. Sur un mode plus humoristique, d'autres manifestations de la culture américaine enregistraient la même inquiétude face à ce phénomène insidieux. L'on pense notamment à certaines de ces productions hollywoodiennes qui, de Midnight Cowboy à Easy Rider, semblaient répondre aux idéaux de la contre culture. Afin de mieux comprendre la portée de New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, il convient d'évoquer Alteration to a Suburban House réalisée par Dan Graham en 1978. Dans cette œuvre, l'artiste avait transformé la façade d'une maison de banlieue en vitrine. Dan Graham utilisait ici l'un des matériaux de prédilection du mouvement moderniste : le mur en verre ou mur rideau. Ce qui participait initialement d'une utopie démocratique, montrer aux yeux de tous le fonctionnement de l'entreprise, se trouvait ici inversé. Rendre transparent la sphère de l'intime, l'ouvrir vers une plus grande visibilité, la transformer en scène pour l'espace public, démontrait surtout combien l'habitat occidental avait vu sa structure interne profondément modifié. L'ancien système. patriarcal faisait soudain défaut sous l'action d'une sphère marchande à même de déstabiliser les fondements de la structure familiale occidentale. L’ancienne ligne de partage entre un espace semi-privé (le salon), ouvert aux échanges et à la communication, et une sphère de l'intime réservée à l'affirmation de la subjectivité (la chambre, le boudoir), cédait la place à un territoire indifférencié puisque colonisé par les médias (la télévision). Désormais, salon et cuisine ne faisaient plus qu'un, le boudoir disparaissait définitivement et la chambre n'était plus que le territoire résiduel du sommeil et des pratiques sexuelles. Les échanges se déroulaient ailleurs, dans des lieux publics et commerçants normalisés pour la circonstance (cinéma, restaurant, golf, …). Ce que Dan Graham venait de repérer intuitivement, d'autres artistes, à la même époque, l'enregistraient dans des pièces aux codes étrangement similaires. Les Non-sites de Robert Smithson, les interventions de Hans Haacke, certaines performances de Vito Acconci et le Slitting de Gordon Matta-Clark partageaient tous l'idée d'une soudaine dépréciation de la sphère de l'intime au profit d'une esthétisation de l'espace public. En ouvrant l'intérieur d'un pavillon aux regards des passants, Dan Graham instituait un double déplacement. Ce qui devait rester secret, ce qui habituellement participe de l'organisation sociale de la famille se trouvait soudain exposé au grand jour, comparable en cela à un spectacle. De même, la circulation dans l'espace public se retrouvait soudain projeté sur les murs du pavillon, tel un écran de cinéma au déroulement permanent. Vous l'aurez compris, la notion d'information et de spectacle étaient au cœur de cette pièce. Pour Dan Graham, l'information constituait une nouvelle

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Jurgen Habermas, Strukturwandel der öffentlichkeit, 1962. L’espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot.

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dimension propre à structurer la subjectivité de chaque individu. Quoique similaire sur les principes, New Territories, extensible apartment, Hong Kong project intègre désormais des variables ignorées de Dan Graham. Ces variables sont principalement au nombre de deux. La première, sans doute la Plus immédiate, revient à s'interroger sur la nature de l'espace public contemporain. Ses mutations attestent-elles de ruptures économiques, politiques ou sociales ? L'importance des notions d'espace public et de territoire urbain dans les discours contemporains n'est'il pas aussi le simple résultat d'une impossibilité à penser la complexité des forces qui régissent notre société ? La seconde interrogation de TTrioreau reposait sur la compréhension du rôle joué par l'information, en tant qu'élément structurant, dans notre monde contemporain. En liant dans une même problématique espace public et information, en transformant un habitat en support d'information, TTrioreau rompait avec un certain nombres de stéréotypes trop fréquemment entendus de nos jours. En effet, les thèmes de l'urbain et de la ville, thèmes du centre et de la périphérie, thèmes de la mobilité et des flux, thèmes des réseaux sont désormais au centre de tous les débats. Théorisée par les intellectuels, récupérée par les journaux, utilisée comme fond de commerce par une classe politique trop heureuse de se partager une thématique facilement solvable électoralement, la politique de la ville est désormais un élément essentiel de la pensée contemporaine occidentale. Bien qu'il existe un véritable florilège de discours, deux modèles principaux peuvent être repérées. Le premier pense la ville comme le territoire par excellence des principes de citoyenneté, d'émancipation des mentalités dans un espace placé sous contrôle de l'état. En se référant à la ville historique, cette analyse conçoit la politique comme instance de médiation et le fait social comme action de collaboration implicite. Dès lors pourquoi s'étonner si les maîtres mots de ce discours reste sociabilité directe, lien social, co-présence, co-visibilité, bref autant de concepts clés pour l'idéologie de l'être-ensemble. La ville devient alors un théâtre où se met en scène les rapports des citadins sous l'action civique et régulatrice de l'Etat. Cette approche de la ville perçoit son territoire comme une forme, un ensemble d'espaces signifiants, de lieux identitaires : le centre historique, les quartiers administratifs et financiers, les zones d'habitats populaires, la banlieue. Chacun de ces emplacements est porteur de signification qui s'imposent à ceux qui les fréquentent au point d'influer sur leurs représentations d'eux-mêmes et sur leurs rapports aux autres. Le second type de discours revendique une approche plus contemporaine du territoire urbain en proposant une lecture idéalisée de la ville et de ses mutations. Pour les tenants de ce modèle cinétique, la ville devient réseaux. Sa structure surgit spontanément sous l'action conjointe des technologies et de la révolution des communications. Au sein de cette ville-mégalopole, agglomérats de tissus urbains, des points d'ancrages sont encore repérables : centres historiques et centres symboliques, bref autant de points de connections dans une spatialité sillonnée de réseaux de communications, d'axes de circulations, de nœuds d'activités. La mobilité accrue de ses habitants modèle désormais un type de rapports sociaux inédits. Basés sur la performance, la recherche des partenaires les mieux adaptés à l'optimisation de l'activité professionnelle, ces rapports démontrent que la ville est maintenant un processus, un ensemble de flux et non une disposition de stocks (humains, financiers et marchands). Pour les héros de cette ville de la fluctuation et de la dissémination, sa puissance réside dans son incroyable capacité à démultiplier les échanges économiques, sociaux et culturels. Curieusement, le fait que cette exacerbation des processus concurrentiels appliqués à tous les domaines de la vie individuelle et collective aboutisse à une mercantilisation des rapports sociaux ne semble pas les gêner. Au contraire, le fait que la ville-réseaux conduise à des échanges humains basés sur la confrontation, n'est pour eux que la logique naturelle d'une pensée économique et politique individualiste, libérale et compétitive. Internet est un bon exemple de ce processus. Censé favoriser nos dons d'ubiquité et d'omniscience, ce médium démultiplie aussi les emplois à distance dans une optique proche du management libéral. Ce qu'il faut c'est morceler la cohésion sociale au sein de l'entreprise. Dès lors la solidarité primaire l'emporte sur les intérêts collectifs, l'adhésion politique cède la place à l'allégeance au groupe et l'égalité des conditions sur la liberté d'agir. Cette ville tant vantée, décriée par d'autres, est le siège d'une démocratie technologique de propriétaires et de consommateurs. Structuré par les signes de la distinction, par les codes de la mise en scène de soi, où derrière l'anonymat censé autoriser la liberté se profile en fait un mode d'adhésion très conformiste à une rhétorique du libre échange. Désormais, l'utilisateur et l'usager ne sont plus de mise. Or, ce que recherche en priorité TTrioreau c'est justement la possibilité de remettre l'homme au centre de ces stratégies en concevant l'espace comme un réservoir de pratiques potentielles. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project réfute tout autant la ville historique et sa mythologie d'un accomplissement citoyen de l'espace public que cette instrumentalisation de la circulation, de la communication et des technologies de l'échange. « Afin d'inventer des outils plus efficaces et des points de vues justes, il importe d'appréhender les transformations qui s'opèrent aujourd'hui dans le champ social et en particulier dans les cadres de médiations que sont l'architecture et l'urbanisme, de saisir ce qui a d'ores et déjà changé et ce qui continue à muer. La forme architecturale ne prend sa consistance et n'acquiert une réelle existence qu'au moment où elle met en jeu des interactions humaines, un dialogue, dans un espace de relations, un interstice, qui tout en s'insérant plus ou moins harmonieusement et ouvertement dans le système global, suggère d'autres possibilités d'échanges que celles qui sont en vigueur dans le système.» Dans ce cadre, Hong Kong est effectivement un prototype parfait. Cette mégalopole ne peut plus s'inscrire dans l'imaginaire occidental comme l'une de ses villes étendues de l'Orient où se superpose des cultes divers, des ethnies multiples et exotiques, des castes et des classes fortement différenciées. Au contraire, les marges de cette ville dépourvue de centre n'en finissent pas de montrer les stigmates d'une exclusion économique sans rémission. Hong Kong comme Caracas, Delhi et même Los Angeles est déjà une ville à l'abandon. Hormis quelques forteresses paradisiaques pour une bourgeoisie fortunée, on rencontre parfois une petite bourgeoisie qui encore et encore espère intégrer les cercles privilégiés du pouvoir. Le reste, une population frappée d'exclusion, une population qui survit avec moins de cinq dollars par jour. Désormais la périphérie devient centre, norme d'une spatialité que l'on doit percevoir non plus en terme d'harmonie, mais en termes de contrastes, de tensions, de discontinuités, de fragmentations, d'assemblages, de disséminations. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project déjoue sur un mode dramatique ces multiples discours qui oblitèrent notre compréhension des faits urbains et des rapports entre les hommes. Ici, l'exorcisme touche à ses limites. L'œuvre, ouverte à toutes les utilisations, ouverte à une compréhension technique des problèmes de surface dans une ville où celle-ci fait désespérément défaut, ouverte à la vue des autres, se révèle finalement impraticable. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project est une architecture d'intentions. Cette notion provient du fameux article de Nathan Silver qui, en 1969, déclarait : « l'intention

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de l'architecture signifie design (dessein, dessin) ; l'intention de l'utilisateur signifie préférence, souhait, désir. L'intention de l'un ou l'intention de autre fait de l’architecture10.» Nul habitant ne peut vivre dans cet appartement. Aucune famille ne peut y résider. L'espace y transforme l'intimité en spectacle. Le projet serait donc une simple projection artistique, objet à la validité incertaine. Rien n'est moins sûr. Au contraire, la solution, à y regarder de plus près, s'avère plus subtile qu'il n'y parait. « Mon projet repose sur l'observation des terrasses pirates, sortes d'extensions presque organiques de l'architecture existante, construites par les habitants de Hong Kong pour augmenter leur surface d'habitation.» Or ce que repère là cet artiste est bien un processus d'appropriation du bâtit. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, justement à cause de son impossibilité à être pratiqué, nécessite de la part de son occupant les plus audacieuses solutions aptes à sauvegarder sa sphère de l'intime. Aucun compromis ne lui est permis. Ses espoirs mais aussi ses maux s'inscrivent dans un environnement mobile. Dans son travail, l’artiste veille toujours à établir une stricte distinction entre espace et lieu. Michel de Certeau11 affirmait qu’un lieu est un ordre selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. S'y trouve donc exclue la possibilité pour deux choses d'être à la même place. La loi du propre y règne : les éléments sont les uns à coté des autres, chacun est situé en un endroit distinct qu'il définit. Un lieu est donc une configuration instantanée de positions. Il implique une indication de stabilité. Il y a espace dès que l'on prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et la variable de temps. L'espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l'ensemble des mouvements qui s'y déploient. Est espace l'effet produit par les opérations qui l'orientent, le circonstancient, le temporalisent et l'amènent à fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles. En somme l'espace est un lieu pratiqué. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project ne possède aucune des ambiguïtés d'une affectation. Ses mutations dues à des voisinages successifs défient la prétendue stabilité de l'espace public. Pour reprendre les termes de Merleau-Ponty, il est espace anthropologique puisque qu'il appartient à un type d'expérience au monde inédit. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project n'est qu'une solution transitoire qui par sa mobilité même joue le jeu d'un rationalisme réclamé par les autorités. Simultanément, il balaie toute frontière entre intériorité et extériorité. L'homme n'y est qu'un élément, un objet dans un espace cinétique. Renversant les observations couramment admises, l'appartement est un lieu qui devient espace au sein d'un espace désormais perçu comme un lieu : la ville de Hong Kong. Puisqu'il est aujourd'hui impossible de croire que la mise en conformité de l'espace de la ville puisse faire advenir une conformité sociale, puisque l'espace est désormais vécu comme un inducteur de vie individuelle et collective, l'œuvre de TTrioreau développe une pensée de la vie urbaine comme bigarrure, entrecroisement permanent d'activités, de relations, dans des espaces différentiels. Concevoir un appartement mobile et transparent, un appartement ouvert à toute les manipulations, une sorte d'espace de réserve puisque non conforme et non contrôlé par les raisonnements gestionnaires, revenait à construire un pur espace de médiation entre deux registres qui bien que distincts structurent aujourd'hui la forme de la société. Le premier est le modèle de compensation dans la sphère publique d es tyrannies domestiques. Centrées sur la recherche d'une identité bloquée par la volonté de réussite individuelle et la tentation du réconfort communautaire, ce modèle repose sur la mise en représentation de l'individu et de son environnement. Le second consiste en cette neutralisation des handicaps sociaux et des inégalités économiques dans la sphère privée. L'espace public est l'appartement. Il offre la possibilité d'exposer au grand jour ces fameuses tyrannies domestiques. Sa trop grande visibilité ne cache plus rien. Tout est présenté. L'individu se trouve transporté sur une sorte de scène où le public serait toujours mouvant ou absent. Le public idéal serait celui sans cesse mouvant de la rue. L’intimité se trouve dépourvue de son cadre secret. L’inégalité devient toile de fond. Certains ont cru percevoir dans cette pièce un métaphore de la maison-cerveau. Or, l’agencement simple de l’espace ne peut en aucun cas s’apparenter à un symbolisme ésotérique de l’univers. Il ne fait que reprendre sur un mode dramatiquement banal l’idéologie de la transparence qui modèle notre société. Alors que l’œuvre de Dan Graham esthétisait un rapport entre deux types d’espaces, New Territories, extensible apartment, Hong Kong project joue pleinement le jeu des puissances libérales. Puisque le marché doit être ouvert, puisque les secrets doivent désormais être bannis, exposons jusqu’à l’absurde les conséquences de cette idéologie. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project est bien l’antithèse absolue de ces cabinets de curiosité du XVIème et XVIIème siècles censés représenter dans un vaste panorama d’objets les mystères de la nature et de l’univers. L’homme y était platonicien. Aujourd’hui, l’appartement extensible est vide. Rien ne peut s’y inscrire durablement. Tout reste en suspension, sans fixation aucune. Le déploiement de cette architecture est un leurre. Elle singe désespérément les modalités d’allégeances à la nouvelle élite internationale, celle des banques et des grandes entreprises. Ce n’est pas pour rien, que malgré la rétrocession, Hong Kong reste encore l’une des principales places financières de la zone asiatique et la ville la mieux dotée en capacité télématique de toute l’Asie. La greffe de l’appartement extensible ne pouvait se produire que dans un lieu à la fois totalement modelé par ces flux financiers et en même temps capable de générer, grâce à son prolétariat, une culture spécifique. L’art des installations humaines est riche de rebondissements, de tours et détours, d’appropriations heureuses face à un ordre régnant. C’est en partie la leçon laissée par la banlieue française avec ses zones, ses terrains vagues et ses marges. Loin de vouloir encenser cet exemple (les conditions de vie étaient parfois effroyables), les années 30 sont aujourd’hui perçues par certains historiens comme l’époque où une certaine stratégie de récupération permettait aux plus démunis de trouver les conditions d’une décence qui leur était normalement refusée. En inscrivant leur objet architectural dans une métropole asiatique, TTrioreau refuse toute esthétisation des marges territoriales. Ici, l'œuvre n'illustre pas un propos, aussi séduisant soit-il, sur la beauté et la misère de ces populations oubliées. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project investit un territoire déjà occupé, un territoire déjà surpeuplé, un territoire où l'on ne s'amuse pas à laisser un espace vide, sans locataire. La gratuité du geste au sein d'une situation d'urgence transforme justement l'œuvre en terrain libre et ouvert. Transformation puissante puisqu'elle engage des hommes, des habitants, des corps, des habitudes. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project n'est pas une œuvre liée à l'actualité. Elle est machine. Machine d'actualisation de situations désespérées. De telles machines, parce qu'elles introduisent un objet inédit dans l'espace urbain, parce qu'elles déjouent toute logique de rationalisation, parce qu'elles produisent une information distanciée et dramatique sur l'état de notre monde, ces machines donc ne peuvent être acceptées par l'institution et le pouvoir. C'est bien pour cette raison, et nulle autre, que 10 11

Nathan Silver, L’architecture sans bâtiment, in Le sens de la ville, Seuil, 1972. Michel de Certeau, L’invention du quotidien, in Les arts de faire I, Gallimard, 1990.

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New Territories, extensible apartment, Hong Kong project ne fut jamais réalisé. Seul subsiste une maquette à l'échelle 1, maquette présentée à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Tours12 : enveloppe éphémère d’une inscription non encore réalisée. Que sommes-nous en ce temps qui est le nôtre ? Question obsédante s'il en est dans un monde où les mutations ouvrent sur un avenir qui parait on ne peut plus incertain pour nombre de nos contemporains. Il est vrai que la crise yougoslave mais aussi les tensions continuelles en Asie centrale semblent présager d'un nouvel âge où la multiplication de guerres restreintes semblent l'unique réponse aux différentes crises identitaires. Dans ce cadre qu'en est il exactement de New Territories, extensible apartment, Hong Kong project ? Quelle place trouve cette œuvre non réalisée dans la continuelle symphonie de faits politiques, économiques et sociaux ? La question peut paraître dérisoire. Elle possède pourtant un mérite. Celui de poser clairement les termes des relations entre art et politique. En d'autres termes, elle permet de s'interroger sur l'empreinte que peut laisser une œuvre dans un contexte donné. Travailler sur l'espace, perturber le territoire des humains, réfléchir sur l'art des installations humaines n'est pourtant pas un geste anodin. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project possède plusieurs mérites qui en font une œuvre de tout premier plan. Outre le fait qu'elle insiste sur le fait que l'ancienne dichotomie entre espace public et sphère de l'intime n'a désormais plus lieu d'être, elle ouvre aussi sur des failles qui aujourd'hui se font de plus en plus insistantes. Ainsi New Territories, extensible apartment, Hong Kong project porte atteinte à des oppositions que nous admettons comme toutes données. Par exemple entre l'espace de la famille et l'espace social, entre l'espace culturel et l'espace utile, entre l'espace des loisirs et l'espace du travail, entre l'espace de la culture et l'espace de la pratique et de la communication. Toutes ces oppositions sont là, présentes, dans cette pièce unique. Il convient aussi d'insister sur un autre point, non encore abordé dans ce texte. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project parle aussi de notre espace du dedans. Cet espace chargé de qualités, empli de nos fantasmes et de nos rêves, cette espace où nos perceptions premières nourrissent notre imaginaire. En juxtaposant en un seul lieu réel plusieurs emplacements à priori incompatibles, en organisant un espace d'ouverture et de fermeture qui isole et rend pénétrable l'appartement, TTrioreau indique que cette œuvre se déploie entre deux pôles extrêmes : celui d'un espace d'illusion qui dénonce comme plus illusoire encore l'espace réel et un espace qui est simultanément un espace bien réel, aussi méticuleux et transparent que le nôtre est désordonné, mal agencé, sujet à tous les dégradations. Etre sur la corde raide entre ces deux pôles revient bien à créer une grande réserve pour l'imaginaire. Et si somme toute l'unique fonction de cette œuvre n'était pas de rester à l'état de projet pour mieux captiver notre pouvoir à nous évader, notre pouvoir à construire des architectures de rêves, comparables en cela au travail que nous effectuons devant ces ruines antiques où nous prenons un tel plaisir à recréer et reconstruire par la pensée une cité que l'on sait fausse mais tellement utile pour nos fantasmes et nos voyages intérieurs. Mais ici nulle nostalgie. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project n'est que le prototype de ruines à venir. C'est sans doute sa force, sa faiblesse aussi. Damien Sausset Critique d’art, Art Press, Connaissance des Arts, …, Paris, France.

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Exposition BP 1152, 37011 TOURS CEDEX 1, 1998 (avec Vincent Protat, protaTTrioreau, Ecole supérieure des beaux-arts de Tours, en collaboration avec le Ministère de la Culture et de la Communication, la D.R.A.C. Centre et le Conseil Général d’Indre et Loire.).

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« Les logement de la maison hélicoïdale auront la forme d’une tranche de gâteau. Il pourront être agrandis ou diminués à volonté par le déplacement des cloisons mobiles. La graduation par demi-étage évite de limiter le nombre de pièces, le locataire pouvant demander à utiliser la tranche suivante en surplomb ou en contrebas. Ce système permet de transformer en six heures trois appartements de quatre pièces en un appartement de douze pièces ou plus13. » L’ensemble de mon travail s’ordonne comme réflexion critique sur la question des limites ou des clôtures architecturales, et par extension sur celle d’un territoire et de ses frontières. La dimension politique des projets apparaît explicitement, servie par l’utilisation régulière de l’urbanisme et des systèmes de vidéo-surveillance comme supports ou matériaux privilégiés. L’enjeu est de définir, à partir de l’extension du concept de frontières, de nouveaux territoires, des spatialités aux séparations désormais mobiles (interstices). Mes installations détournent l’image, sinon la réalité, des clôtures de sites urbains préexistants pour non plus penser la frontière comme séparation, mais comme mobilité, communication, porosité. Ces dispositifs de transgression s’expriment de façon privilégiée par des propositions de constructions architecturales mobiles (extensives), ou par des jeux sur les limites physique du bâtiment. Toutefois, la production de nouveaux territoires ne renvoie pas exclusivement à cet horizon politique. Les spatialités mises en œuvre relèvent d’architectures plus abstraites : il s’agit des superpositions plastiques de supports radicalement hétérogènes, construisant un nouvel espace où les séparations s’épuisent, s’étirent et s’extravasent dynamiquement, traitant les supports comme des territoires aux frontières ductiles, modifiant les configurations et étendant l’élasticité. Depuis 1995, ma démarche artistique se déploie dans une perspective explicitement politique. Prendre pour support l’architecture urbaine a immédiatement pour fin d’interroger, de façon critique, l’urbanisme comme champ de normalisation sociale et aménagement contrôlé d’un territoire. Dès mes premiers travaux, j’ai investi principalement des sites en marge des lieux traditionnels d’exposition. A l’intérieur du complexe urbain, mes installations se sont ainsi déployées au sein de zones d’indétermination, réelles anomies architecturales : des espaces provisoirement vacants, des bâtiments voués à la destruction. L’enjeu politique de la forme architecturale réside en effet dans son caractère intermédiaire. J’entend déjouer notre confiance dans la solidité structurelle d’une construction, pour en brouiller l’identité. Il s’agit de substituer aux signes du bâtir et à la permanence immobilière un processus de mobilité affectant l’architecture elle-même. Cette démarche exhibe donc les caractères socialement et juridiquement normatifs des concepts de limites ou de clôtures architecturales. L’intervalle entre la destruction d’un bâtiment et l’échéance d’immeuble à venir constitue une durée équivoque par excellence. La vacance désœuvrée d’un lieu, hors de toute finalité fonctionnelle, en fait provisoirement un territoire incertain, sans réel statut social. Cet espace, en suspens, manifeste le caractère transitoire de l’urbanisme, à rebours de l’identité contrôlée que lui assigne un champ de normalisation politique. Anomal, ce lieu ne s’inscrit plus dans le réseau urbain que comme vestige. Dès mes premiers projets, cette dimension politique apparaît manifestement : exhiber la production, immanente à l’espace urbain, d’éléments irréguliers, d’anomies architecturales. En 1998, l’exposition au sein de l’Ecole supérieure de beaux-arts de Tours, BP 1152, 37011 TOURS CEDEX 1, consistait ainsi en un prototype du projet New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, conçu en 1997 lors d’un séjour prospectif dans la ville chinoise. Il s’agit d’un projet de construction d’appartement extensible sur le modèle des structures illégales que les habitants, de fait, greffent à leur résidence. Des terrasses pirates couvrent les immeubles de Hong Kong et surplombent les rues, afin d’augmenter les surfaces habitables. New Territories, extensible apartment, Hong Kong project se définit tout à la fois comme excroissance physique d’un bâtiment hors de ses limites murales, et comme percée-transgression hors du champ de normalité que lui assigne un cadastre. La projection d’une terrasse mobile aux cloisons transparentes au-dessus de la voirie renvoie donc à une transgression polysémique du concept de limite architecturale. La discrimination entre intériorité et extériorité s’efface. L’espace privé s’extravase sur l’extérieur, pour définir un nouveau type d’espace intermédiaire, qu’il est possible de caractériser comme intervalle ou interstice. Les terrasses pirates, construites par les habitants de Hong Kong, constituent une multiplicité de stratégies individuelles et locales, formant un réseau d’a-normalisation du territoire. La transparence des cloisons prévues pour ce projet d’appartement extensible implique un nouvel usage de l’urbanisme, où les séparations se fluidifient, où les frontières disparaissent vers une composition protéiforme et modulable des espaces. L’enjeu politique de New Territories, extensible apartment, Hong Kong project consiste non seulement à exhiber la production immanente à l’espace urbain, d’éléments dysfonctionnants ou irréguliers, mais également à montrer que l’architecture n’est statique que du fait de l’identité contrôlée que lui assigne un champ de normalisation. De quelles mutations un bâtiment est-il capable ? Il s’agit d’expérimenter quel ensemble de dégradations, de transformations et d’agressions peut permettre un site préexistant. Il faut noter la place singulière que le projet à Hong Kong occupe dans man travail. Depuis 1995, celui-ci se concentre sur les détournements d’espaces : les bâtiments investis sont traités en tant que ready-made pour en permettre de nouveaux usages. Il s’agit moins de construire de nouveaux bâtiments, que d’élaborer et d’ouvrir de nouvelles pratiques au sein de ces constructions. Le projet à Hong Kong, s’il semble annoncer désormais mon orientation vers un travail de construction architecturale proprement dit, ne rompt pas pour autant avec la pratique du détournement. En effet, l’espace-interstice, intériorité ouverte sur l’extérieur, que doit définir l’appartement extensible préexiste déjà sous la forme des passerelles construites par les habitants de Hong Kong. Avec New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, il s’agit donc moins de signer une première œuvre architecturale, que de proposer le détournement d’un état de fait. Dans un très beau texte14, Jean-Luc Nancy énonce une étrange hypothèse : peut-être, un jour, ce que nous nommons ville oubliera jusqu’à ce nom de ville. Un nom, peut-être, disparaît. Certaines villes, Los Angeles, Hong Kong ou Singapour, donnent à voir ce processus singulier, qui peut s’étendre progressivement à l’ensemble des grandes villes 13 14

Guy Debord, Théorie de la dérive, Internationale Situationniste, n°2, décembre 1958. Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Paris, Mille et une nuits, collection La ville entière, 1999.

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industrialisées, chacune selon un configuration propre. Avec la discrimination tant visuelle que sociale qui ordonne les rapports entre centre et périphérie, entre bourg et faubourg, s’efface l’image que nous nous faisons d’une ville. Si la répartition géographique des villes européennes fonctionne évidemment comme discrimination inégalitaire, à Los Angeles il n’y a plus de centre. Sans doute, la discrimination sociale s’exerce toujours, par un ensemble de processus de refoulement et d’éloignement. Il s’agit désormais d’une politique de répartition et de séparation des corps tendant à l’invisibilité, à la discrétion : les remparts du bourg disparus ont fait place aux loyers, aux boutiques, aux codes de sécurité à l’entrée des résidences. Mais architecturalement, la ville bourgeoise n’existe plus. Les rues de Los Angeles disparaissent, par l’absence de murs. Les habitations forment de simples axes d’alignement et d’espacement refusant tous les signes du bâtir des villes européennes. Comme l’écrit Jean-Luc Nancy, cette mutation « opère une diffusion de la ville, son évaporation, sa dissipation de fonctions et de lieux dans les espaces périphériques qui deviennent moins périphériques à mesure que le centre s’y extravase, sans pour autant cesser d’être central15. » Par cette porosité croissante du centre ville et de sa banlieue, se dessinent de nouveaux territoires aux frontières labiles, mobiles, plastiques. La question n’est donc sans doute plus de s’interroger sur ce qu’est la ville, ou ce qu’elle devrait être, ou encore comment aménager l’urbanisme à la périphérie de nos villes pour en préserver le centre : autant de questions qui réitèrent la séparation obsolète et réactionnaire de la ville et de sa banlieue. La ville n’est pas avec ou sans banlieue ; la ville est dans sa banlieue. Aussi la question ne doit plus porter sur l’identité et la conservation des villes. Il faut bien plutôt se demander quelles relations peuvent être, à travers la ville, établies, inventées, multipliées, modulées. User toujours davantage de cet espace pour nouer une multiplicité de relations. Que peut une ville ? Quelles rencontres permet ou interdit-elle ? Quelles en sont les lignes de forces internes ? « … Les projets de TTrioreau se présentent comme des tentatives de dépassement des oppositions strictes attribuées à l’architecture : immobile-mobile, permanent-temporaire, dedans-dehors… Le statut de l’architecture est réexaminé par rapport à celui du monument, dont l’expression contemporaine est notamment celle du logement sacralisé, signe de la victoire de la sphère privée sur la sphère publique. A ce statut fixe, TTrioreau veut substituer un statut mobile : celui de la dimension futile et périssable des constructions humaines qui les ont amenés à intervenir dans des mégapoles (Hong Kong), des espaces délaissés (une maison abandonnée à Tours) ou encore dans l’étonnant bâtiment de l’école d’architecture de Nantes. Ce statut mobile implique également que l’architecture ne peut se réduire à une construction, à une forme figées, pour à tout moment devenir une image, une projection. Chaque espace objet d’intervention est ainsi éprouvé dans sa capacité à se transformer, pris dans des séquences, des récits qui mêlent films vidéo, photographie, maquettes ou élaboration de prototypes. TTrioreau s’intéresse aux constructions anarchiques, à l’architecture des non-architectes dans les villes, comme jeux sur leurs limites physiques : pour New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, il s’agit d’étudier des terrasses pirates, extensions de l’architecture existante construites par les habitants pour augmenter leurs surfaces d’habitation. Ce principe de greffe, d’excroissance, d’architecture-parasite, décliné notamment par le groupe Archigram dans les années soixante, est largement repris aujourd’hui par une nouvelle génération d’architectes dans des projets d’habitats « nomades », de cabanes ou de maisons mobiles (Philippe Grégoire et Claire Pétetin, Didier Fuiza Faustino, Archi Media, …). On retrouve chez TTrioreau la fascination pour la mobilité urbaine, l’idée d’architecture - dispositif, le principe de flexibilité des éléments assemblés, où l’architecture cherche à communiquer, en temps réel, avec les faits et les usages de son époque… »16 « … L’histoire jeune de TTrioreau17 commence quand deux tourangeaux passionnés d’architecture, Vincent Protat et Hervé Trioreau, se retrouvent dans un hangar voué à la destruction où ils élaborèrent ensemble leurs premières réflexions et expérimentations sur l’architecture urbaine et son rapport aux arts plastiques. De l’aventure architecturale à l’aventure du voyage, les voila déjà partis vérifier leurs concepts en examinant des appartements proliférant dans une grande métropole asiatique en mutation accélérée. Observant les gens qui y vivent, constatant l’organisation architecturale et spatiale des bidon-villes et la construction spontanée justifiée par la paupérisation, ainsi qu’ils l’ont entrepris à Hong Kong, ils en reviennent pour s’investir et l’appliquer dans le décalage de leur région. C’est à Tours dans une maison abandonnée près du Centre de Création Contemporaine qu’il monte un projet en apparence burlesque et qui permettait aux visiteurs de découper chirurgicalement le corps du bâtiment au scalpel visuel. L'intervalle, le passage, l’hybridation, le métissage, la prothèse architecturale, la géopolitique, l’interface sont autant de données qui fondent l’analyse entreprise dans leurs recherches. Une architecture modulaire qui procède par agrégats, raccordements, entassement, juxtapositions et qui trouvent ses applications artistiques dans une dimension humaine… »18 « … Le travail de TTrioreau s’inscrit dans une réflexion liée à la nature du réseau urbain. Leurs propositions agissent sur la structure même de l’espace construit. Elles mettent en place des déplacements qui en perturbent notre perception et désignent de façon politique le caractère normatif de l’architecture. Son travail intervient dans les intervalles urbains ; il établit des jonctions dans les rapports intériorité/extériorité. Prenant en compte les enjeux liés à l’urbanisme, et ne visant pas à la seule représentation, TTrioreau crée nécessairement in situ et principalement hors des lieux d’exposition. Il en va ainsi du projet New Territories, extensible apartment, Hong Kong project, conçu pour Hong Kong lors d’un premier séjour de prospection et qui ne peut prendre son sens que dans le contexte très particulier de cette ville. Ce projet d’appartement extensible repose sur l’observation des terrasses pirates, sortes d’extensions presque organiques de l’architecture existante, construites par les habitants de Hong Kong pour augmenter leur surface d’habitation. TTrioreau reprend ce phénomène unique et propose une construction qui s’y intègre, en accentuant l’idée de mobilité et d’ouverture sur l’extérieur. Espace d’observation de la ville, l’appartement extensible met également à nu l’habitat privé, dévoilé à la rue. Il constitue à la fois une architecture potentiellement fonctionnelle qui reconsidère les frontières des territoires publics et privés et un objet symbolique qui s’inscrit de manière politique dans l’urbanisme de cette mégapole… »19

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Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Paris, Mille et une nuits, collection La ville entière, 1999, p.36. Alice Laguarda, philosophe et architecte, éditions Jean-Michel Place, 2003. Initialement protaTTrioreau, 1995-1999. Frédéric Bouglé, directeur du centre d’art , Le Creux de l’Enfer, Thiers, France, 2001. Alain Julien-Laferrière, directeur du Centre de Création Contemporaine, Tours, France, 1999.

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« … Les espaces urbains en mutation prennent, depuis ses premiers projets, une place prépondérante dans le travail de TTrioreau. Il a un temps installé, avec Vincent Protat, son atelier dans un hangar rapidement voué à la destruction. Qu’à cela ne tienne : le lieu de travail devient, au fil du temps, la plate-forme d’un projet destiné à prévenir de la transformation prochaine du local. Quelques mois et un voyage dans les Nouveaux Territoires à Hong Kong plus tard, il réfléchit de manière plus précise sur la mobilité des structures architecturales. D’observation en questionnement, il constitue un prototype d’intervention qui a fait l’objet d’une présentation à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Tours20. Non loin de là et durant la même période, Hervé Trioreau, qui a fait de son nom la marque de fabrique TTrioreau, présente un projet entièrement autofinancé qui questionne sur l’espace intermédiaire. Dans une maison abandonnée proche du Centre de Création Contemporaine de Tours21, il a élaboré un processus visuel qui donne au visiteur l’impression de traverser littéralement tous les niveaux du bâtiment sans tenir compte des sols et plafonds. Depuis, cet artiste n’a qu’un rêve en tête : retourner à Hong Kong pour concrétiser ces structures qui viendraient se coller comme des parasites sur les parois des immeubles chaotiques… »22

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Exposition BP 1152, 37011 TOURS CEDEX 1, 1998 (avec Vincent Protat, protaTTrioreau, Ecole supérieure des beaux-arts de Tours, en collaboration avec le Ministère de la Culture et de la Communication, la D.R.A.C. Centre et le Conseil Général d’Indre et Loire.). 21 Exposition 35, RUE MARCEL TRIBUT, 37000 TOURS, 1998 (Centre de Création Contemporaine, Tours lors de l’exposition collective « BruitSecrets », Olivier Reneau et Céline Saraiva, commissaires de l’exposition, exposition collective avec B. Achour, S. Afif, R. Amae, R. Auguste-Dormeuil, T. Bauer, Berdaguer & Pejus, L. Bourgeat, B. Bui, S. Calais, A. Cefai, L. Chambert, D. Coindet, S. Comte, D. Courbot, A. Declercq, C. Familiari, M. Farell, P. Giner, F. Héritier, G. Janot, J. Kopp, B. Lamarche, M. Laurette, N. Lesueur, P. Malphettes, P. Martinez, M. Mercier, P. Meste, L. Moriceau, N. Moulin, V. Mréjen, D. Petitgand, R. Pinault, S. Raquin, B. Sarkevic, B. Serralongue, K. Solomoukha, S. Sorgato, Y. Toma et C. Tripp, en collaboration avec la D.R.A.C. Centre, l’Ecole supérieure des beaux-arts de Tours et l’entreprise Appydro hydraulique.). 22 Olivier Reneau, critique d’art, Paris, France, 1998.

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NEW TERRITORIES, EXTENSIBLE APARTMENT, HONG KONG project L’EXTERIORITE DE L’INTERVALLE (transversalités, réseaux, connections, déplacements, déambulations, marches, démarches) L’intervalle, écart entre action et réaction, est ce qui apparaît en des points quelconques de plan d’immanence pour permettre que s’y constituent les images, non pas espaces de représentation, mais plutôt espaces de conversion, un dispositif de passage, de transfert d’un mode d’appréhension à un autre, mouvement permettant de les entraîner vers la solution cinétique. « CECI N’EST PAS UNE REPRESENTATION »23 L’image se définie par une sorte de suspension temporelle qui fixe, à un moment, l’action sur une plaque sensible et l’y maintient pour elle-même, en l’arrachant à ses coordonnées d’espace et de temps, une délocalisation devenant événement et, de surcroît, une déterritorialisation24 éloignant le centre vers les périphéries, un déplacement de l’œil, une défocalisation. « VISION IN MOTION »25 Ex-situ car mobile et délocalisée, l’image / intervalle peut, à l’instar de l’interface, entretenir des connexions permettant un échange entre deux ensembles ne parlant pas le même langage, une communication, un interstice26 de relations, un espace–temps régis par une économie allant au-delà des règles établies concernant la gestion des espaces. L’intervalle se constitue comme espace, espace entre-deux, stratégique, dynamique, transitif, un dialogue non pas conçu comme un environnement monolithique de déterminations, mais comme un langage, un jeu de structures interdépendantes, une œuvre ouverte27 favorisant une multiplicité, voire une infinité d’interprétations de lecture et de déplacements : un hypertexte. Les lignes de conjugaisons entre divers modes de territoires tangentiels, entrecroisements d’assemblages de sousensembles formant des domaines intermédiaires, des zones liminaires28 de transitions, deviennent des liens, des relations entre les limites et frontières, des interrelations où l’espace se définit dans les « conflits » et les interstices, fonction de seuil, passage d’une spatialité à l’autre : communication. De ce fait, la forme ne prend sa consistance et n’acquiert une réelle existence qu’au moment où elle met en jeu des interactions, un dialogue, au sein duquel l’image assume le rôle de vecteur communicationnel apte à déterritorialiser notre perception avant de la rebrancher sur d’autres possibles, un opérateur de bifurcations dans la subjectivité. Cet ensemble combinatoire, dont les trajectoires obliques entraînent l’œuvre à se repositionner sans cesse, se réfléchit dans l’image de synthèse. Celle-ci, démultipliant au-delà de toute mesure la puissance de l’analogie, alors même qu’elle l’absorbe et la fait disparaître en l’arrachant à l’enregistrement du temps, flotte, se détruit, s’objectivise et s’autoreproduit comme le monde où elle se produit. Les images sont prolongées, étendues, transférées, hors de leur contexte, sont unies par contact, contiguïté, approximation, conjonction, prolongement, tension, extension, fracture linéaire et longitudinale, deviennent mobiles, légères, fluctuantes, versatiles, liquides où les contours disparaissent. Les surfaces glissent les unes par rapport aux autres, se superposent, un traitement par masses qui s’interpénètrent, topologies élastiques, territoires panoptiques d’expansion où les frontières sont inexistantes, espaces déformés où intérieurs et extérieurs se mêlent, où les structures sont toujours en décalage avec la façade29, où les concepts d’articulation des volumes et de répétition des éléments échappent aux conventions, cut-up30, origami31 et morphing spaces32, effet de distorsion cinématique33. Central et prescriptif, dans la perspective classique, l’œil est devenu mobile, face à une nature désormais fragmentaire et contingente : passage de la tavoletta12, le prototype par lequel l’espace moderne de la visibilité s’est trouvé institué, de façon à la fois historique et légendaire, au confluent de l’art et de la science, de la psychologie et de la scénographie (à l’origine de la perspective), à la quadratura34, une respiration spatiale, ouvrant un infini dans l’architecture, la dissolvant dans la lumière, où l’espace feint se confond avec l’espace réel, et, est conçu à travers un espace apparitionnel et relationnel comme opérateur complexe de visualisation et d’actualisation simultanée, un processus orienté sur les questions des problèmes de relation dans l’établissement d’un environnement singulier de relations spatiales entre l’objet et l’architecture qui force le « spect-acteur » comme partie prenante de la situation donnée35. De manière identique à l’image, l’architecture se transforme en actuation complexe des procédures de modélisation du territoire : elle ne s’érige plus d’un sol, mais à l’intérieur d’une expérience critique qui opère une mutation des

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Michel Foucault : ceci n’est pas une pipe (Magritte). Gilles Deleuze : Mille plateaux. Moholy Nagy. 26 terme utilisé par Karl Marx pour qualifier les communautés d’échanges échappant au cadre de l’économie capitaliste, car soustraites à la loi du profit. 27 Umberto Eco. 28 Genette : Seuils. 29 voir illustration de présentation. 30 William S. Burrough. 31 montage, pliage, art de plier le cœur. 32 Greg Lynn. 33 Marcos Novak (voir aussi le film de Dziga Vertov : L’homme à la caméra). 34 tavoletta : Brunelleschi (voir Raymond Bellour : L’entre-image 2). quadratura : usage de simuler sur les murs, à l’aide de la perspective, des décors scéniques qui prolongent artificiellement l’espace réel, inclusion de l’image dans l’architecture (exemple Andréa Pozzo : Sant’ Ignazio, Rome). 35 Thierry de Duve (définition de l’installation). 24 25

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paramètres contextuels36 et développe une dynamique du lien, de l’échange individuel et social, une communication composée, décomposée par des systèmes de transferts, de transits et de transmissions. Ces niveaux de transports et de transmigrations dont la configuration renouvelle celle de l’organisation cadastrale sont aussi réception collective simultanée37, de plus, ne pas la penser comme déconstruction isolée, mais comme partie intégrante du complexe urbain et du réseau de communication qui la constitue38. « PLUG-IN CITY »39 « Instant city »40 et trait d’union, l’architecture, manifeste de ces continuum topologiques, assemble des domaines intermédiaires, des zones de transitions qui réactivent aussi bien les fonctions que les logiques économiques, sociales ou proprement humaines41 en disloquant les espaces par asymétries42, multipliant ainsi métissages, greffes et parasitages. Le déplacement de ceux-ci se crée à cause de la division fonctionnelle de la structure urbaine, du développement parallèle des systèmes décentralisés jusqu’à la construction et l’extension globale des situations communicationnelles et pousse l’architecture vers son « devenir-image » dans l’entrecroisement et l’intersection des modalités du visible. « OPEN ARCHITECTURE »43 Afin d’inventer des outils plus efficaces et des points de vues justes, il importe d’appréhender les transformations qui s’opèrent aujourd’hui dans le champ social, et en particulier dans les cadres de médiations que sont l’architecture et l’urbanisme, de saisir ce qui a d’ores et déjà changé et ce qui continue à muer. La forme architecturale ne prend sa consistance et n’acquiert une réelle existence qu’au moment où elle met en jeu des interactions humaines, un dialogue, dans un espace de relations, un interstice, qui tout en s’insérant plus ou moins harmonieusement et ouvertement dans le système global, suggère d’autres possibilités d’échanges que celles qui sont en vigueur dans ce système. Vecteurs intersticiels, liaisons et transferts de plans de réalités opposés (intériorités et extériorités), véhiculent des rapports au monde à l’aide de signes, de formes, de gestes et/ou d’objets44. Ce « coefficient de l’art », terme duchampien, produit des rencontres d’entités hétérogènes sur un plan cohérent, où les limitations deviennent communications, rapprochements de la sphère privées vers l’espace public, et inversement, un va-et-vient où les frontières, domaines intermédiaires, transitent vers une élasticité, un coulissement entraînant une spatialité extensionnelle des différents territoires. La construction de situations45, cette interpénétration des espaces sans distinction entre public, privé et psychologique, amène l’architecture vers la solution cinétique, l’image et l’écran, son support, se meuvent ensemble et sont structurés, à l’instar de l’hypertexte, par un réseau de liens, interfaces et connexions : un urbanisme unitaire46. Dans cet entre-deux, l’architecture s’extériorise en constructions variables et en aménagements temporaires alliant la transparence spatiale à la mobilité, à la flexibilité, à la dynamique et à l’ouverture dans tous les sens du terme, ex-situ. La surface du volume se transforme en une membrane osmotique47, mouvante et influencielle, par détournements, inversions, transpositions, distorsions, superpositions, altérations, inclusions, mixages, collages, montages et devient un trait d’union dérivant entre les espacements, une combinaison dont les trajectoires obliques l’entraînent à se repositionner sans cesse. Ce questionnement sur la mobilité de l’articulation des périgraphies de l’architecture, zones intermédiaires qui l’entourent et lui permettent d’être accessible, se caractérise par des essais de coexistence des espaces distincts, fonction transitive du seuil, de médiations entre l’habitat, l’urbanisme et les problématiques des rapports de l’art avec ceux-ci. En passant, car le passage est relation, déplacement, transfert, par 4, RUE MONTAIGNE, 37000 TOURS48, où le périmètre d’un espace privé se fragmentait pour devenir support d’une structure de palettes, alliant transitivité et transport donc mouvement, où la rigidité architecturale, par cette installation prothétique, se muait pour créer une passerelle visuelle entre deux mondes opposés, par CARTON(s)49, une interrogation entre deux états, l’un utilitaire et public, en l’occurrence la création d’un mobilier se déplaçant dans un deuxième temps vers le lieu de monstration où le spect-acteur n’avait que visuellement accès au plan sol-plafond, par 114, RUE STEPHANE PITARD, 37000 TOURS50, la superposition de deux espaces différents donnant l’illusion au visiteur d’un morcellement physique et psychologique, devenant avec JARDIN FRANCOIS 1er, 37000 TOURS51, une enceinte architecturale en stockage, en attente d’un plan, d’une future cartographie, par 1, RUE SERAUCOURT, 18000 BOURGES52, le diagramme du pouvoir, œil panoptique sur

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Marie-Ange Brayer. Walter Benjamin. 38 Antonio Sant’ Elia : « les nécessités dynamiques de la vie moderne créeront une architecture évolutive » (manifeste de l’architecture futuriste, 1914). 39 Peter Cook (connecter, relier, brancher, agrégations de cellules entre elles articulant les niveaux d’une ville qui procèdent par raccordements, entassements, juxtapositions). 40 Archigram (notions de mobilités et de variations des fonctions de l’architecture, ville de l’instant conçue comme un réseau de communication). 41 MVRDV architectes. 42 Nishimoto architecte. 43 Karl Popper : Open society. 44 Nicolas Bourriaud : L’esthétique relationnelle. 45 Guy Debord : L’internationale situationniste. 46 idem. 47 Paul Virilio : L’insécurité du territoire. 48 exposition protaTTrioreau, 1995. 49 exposition protaTTrioreau, 1996. 50 exposition protaTTrioreau, 1996. 51 exposition protaTTrioreau, 1997. 52 exposition protaTTrioreau, 1997. 37

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l’environnement, gérant ou expulsant le citoyen, puis par 35, RUE MARCEL TRIBUT, 37000 TOURS53, où les multiplications d’échelles déplaçaient les supports, comme territoires stables et assignables, de leurs frontières en extériorités, et enfin par BP 1152, 37011 TOURS CEDEX 154, l’aboutissement de ces recherches sur la mobilité des structures architecturales, leurs spatialités extensionnelles, leurs déplacements s’inscrivant de manière politique dans l’urbanisme, NEW TERRITORIES, EXTENSIBLE APARTMENT, HONG KONG project s’est développé, pris consistance : intervalle constituant un rapprochement entre intériorités et extériorités, synthèse rassemblant la syntaxe grammaticale de l’architecture face à l’urbanisme et leurs liaisons communicatives, s’est extériorisé, un développement se rapprochant d’une véritable public-cité, plateforme multimodale orientée sur une constitution heuristique de l’architecture, une naissance d’espaces tangentiels de médiations où tous les échanges peuvent être possibles : extension et expansion synonymes de communication. « … le travail de protaTTrioreau s’inscrit dans une réflexion liée à la nature du réseau urbain. Leurs propositions agissent sur la structure même de l’espace construit. Elles mettent en place des déplacements qui en perturbent notre perception et désignent de façon politique le caractère normatif de l’architecture. Leur travail intervient dans les intervalles urbains ; il établit des jonctions dans les rapports intériorité / extériorité. Prenant en compte les enjeux liés à l’urbanisme, et ne visant pas à la seule représentation, protaTTrioreau créent nécessairement in situ et principalement hors des lieux d’exposition. Il en va ainsi du projet NEW TERRITORIES, EXTENSIBLE APARTMENT, HONG KONG project, conçu pour HONG KONG lors d’un premier séjour de prospection et qui ne peut prendre son sens que dans le contexte très particulier de cette ville. Ce projet d’appartement extensible repose sur l’observation des terrasses « pirates », sortes d’extensions presque organiques de l’architecture existante, construites par les habitants de HONG KONG pour augmenter leur surface d’habitation. protaTTrioreau reprennent ce phénomène unique et proposent une construction qui s’y intègre, en accentuant l’idée de mobilité et d’ouverture sur l’extérieur. Espace d’observation de la ville, l’appartement extensible met également à nu l’habitat privé, dévoilé à la rue. Il constitue à la fois une architecture potentiellement fonctionnelle qui reconsidère les frontières des territoires publics et privés et un objet symbolique qui s’inscrit de manière politique dans l’urbanisme de cette mégapole…55 ». NEW TERRITORIES, analyse décomposant tous les constituants des jonctions entre intériorité et extériorité si représentatives dans la ville de HONG KONG, une recherche, prenant en compte la dimension humaine de l’espace urbain par l’intermédiaire de l’observation d’éléments prothétiques, menée en relation avec les positions économiques, politiques et historiques de cette ville plurielle, tente de parler d’hyperarchitecture. Un pays, deux systèmes, EXTENSIBLE APARTMENT a été constitué en 1997, lors d’un séjour à HONG KONG, à partir de sa rétrocession à la CHINE mettant ainsi en parallèle, mais aussi en intersection, architecture et politique : la péninsule du « port des parfums » se retrouve dans la même situation que celle de l’appartement extensible, raccrochée comme une greffe à son arbre-tuteur, à l’architecture, son port d’attache. Celui-ci, du fait de sa transparence, devient une enseigne, une publicité, mais aussi un interstice faisant une liaison, un transfert et un rapport entre les deux systèmes cités ci-dessus, la limpidité du verre étant la seule limitation entre l’habitat privé et la rue, lieu public de déplacement. « CONURBATIONS »56. De ce fait, l’hyperarchitecture, infrastructure de communication (relations entre pouvoir public et publics divers, entre extériorités et intériorités), se constitue comme une prolifération en réseau où se réunissent et se cristallisent architecture, urbanisme, image et écran, dynamisée par l’interpénétration des espaces. Ces déplacements se créent à cause de la division fonctionnelle de la structure urbaine, du développement parallèle des zones décentralisées reliées par la construction et l’extension des raccords de communication : ex-situ entraînant des mutations périphériques, transformations urbaines liant public / privé, production / consommation, lieux de transbordements sociaux, économiques et politiques. L’architecture se détache de toutes fondations pour ouvrir et opérer un déplacement vers un espace hybride où elle peut naître d’un glissement du sol, plissement57 et décollement de plaques et bandes qui définissent l’ossature et la singularité du bâtiment, d’un « conflit » vers le mouvement d’une dimension ouverte, une échappée géométrique contre l’idée d’inscription territoriale, un déplacement, décentrement (délocalisation / défocalisation) qui ouvre de nouvelles possibilités, potentialités pour ces projets d’échanges image / architecture, de diffusions et débats dont les démarches s’entrecroisent et se chevauchent dans une même voie d’action / réaction : faire mentir le paragraphe 16758 et démontrer que les choses peuvent être au delà des codes assumés. Hervé Trioreau 1997.

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exposition protaTTrioreau, 1998. exposition protaTTrioreau, 1998. Alain Julien-Laferrière : texte tiré de la lettre adressée au programme l’Envers des Villes, AFAA / Caisse des Dépôts et Consignations, 1999. 56 Patrick Geddes : terme désignant la formation de masses urbaines qui dispersent dans tous les sens, prolifèrent et absorbent des « provinces » extérieures. 57 Gilles Deleuze : Le pli. 58 Guy Debord : La société du spectacle (167 : cette société qui supprime la distance géographique recueille intérieurement la distance en tant que séparation spectaculaire). 54 55

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project : Ghost House, La誰 Chi Kok, New Territories, extensible apartment, Hong Kong project

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