Trois Couleurs #137 - décembre 2015 janvier 2016

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le monde à l’écran

todd haynes 9 déc. 2015 – 2 fév 2016

Entretien avec le réalisateur de Carol

gaz de france

Rencontre avec Benoît Forgeard et Philippe Katerine

et aussi

L’Étreinte du serpent, Tangerine, Savages…

no 137 – gratuit

LE GRAND DÉCLOISONNEMENT

Vers un renouveau du cinéma français


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hiver 2015-2016


Sommaire

Du 9 décembre 2015 au 2 février 2016

À la une… 8

en ouverture

décryptage

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portrait

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Todd Haynes

Chef de file du New Queer Cinema dans les années 1990, le réalisateur américain a signé d’admirables portraits de femmes. Son nouveau film, le mélodrame raffiné Carol, relate la passion interdite entre une femme mariée et une jeune vendeuse dans l’Amérique des fifties.

entretien croisé

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Le Réveil de la Force Entre archéologie du mythe et passage de flambeau, retour sur les enjeux du revival confié à J. J. Abrams, qui réalise le septième épisode de la saga Star Wars.

Lola Kirke À 25 ans, l’actrice américaine campe une étudiante qui débarque à New York et découvre les joies et les peines de la vie d’artiste dans l’indé et spirituel Mistress America.

Benoît Forgeard et Philippe Katerine

© stéphane manel ; rda ; jeff vespa / wireimage ; antoine doyen ; d.r. ; matador records ; flavien prioreau

Dans Gaz de France, Benoît Forgeard imagine Philippe Katerine en président de la République extrêmement impopulaire, dans la France de 2020. Pour sauver son mandat, ses collaborateurs organisent une réunion d’urgence dans les sous-sols de l’Élysée, recréés numériquement pour l’occasion. Le film est à l’image des deux trublions : imaginatif, imprévisible et très second degré. On les a rencontrés pour parler politique, gastronomie et effets spéciaux.

souvenirs de tournage

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portfolio

Tangerine Tourné avec deux smartphones, le nouveau film de Sean Baker est une virée survoltée dans la vie de deux prostituées trans exerçant dans un quartier chaud de Los Angeles, un territoire peu exploré par le cinéma.

entretien

38 Ciro Guerra Dans L’Étreinte du serpent, le réalisateur colombien aventure son cinéma dans les territoires inconnus de l’Amazonie et livre une fascinante expérience mystique, dans un noir et blanc envoûtant.

musique

102 Savages Après le premier passage ravageur de la horde Savages, le rock pensait pouvoir reprendre son train-train casanier. Pas de chance, le quatuor féminin revient, la guitare post-punk en bandoulière et le cœur à vif.

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Nouvelles têtes Remarqués dans des films et séries récents ou à venir, ces jeunes comédiens incarnent à nos yeux le renouveau du cinéma français et sa revigorante diversité.


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… et aussi Du 9 décembre 2015 au 2 février 2016

Édito 7 Par tous les moyens Les actualités 12 Les rois du box-office, le cinéma pachtoune, Shia LaBeouf La polémique 18 Le numérique, ennemi du cinéma ? l’agenda 22 Les sorties de films de 9 décembre 2015 au 27 janvier 2016 histoires du cinéma 29 Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Sam Peckinpah p. 34, Comment c’est loin d’Orelsan p. 42, Le renouveau du cinéma français p. 44

les films

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Back Home de Joachim Trier p. 63 // Allende mon grand-père de Marcia Tambutti Allende p. 64 // Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin d’Amos Gitaï p. 68 // Le Grand Jeu de Nicolas Pariser p. 70 // The Big Short. Le casse du siècle d’Adam McKay p. 74 // Pauline s’arrache d’Émilie Brisavoine p. 74 // Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke p. 76 // Kalo Pothi. Un village au Népal de Min Bahadur Bham p. 78 // Toto et ses sœurs d’Alexander Nanau p. 82 // Le Garçon et la Bête de Mamoru Hosoda p. 84 // Je suis le peuple d’Anna Roussillon p. 86 // Spotlight de Thomas McCarthy p. 90 // Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase p. 94 // Experimenter de Michael Almereyda p. 96 // Les Filles au Moyen Âge d’Hubert Viel p. 96 // 45 ans d’Andrew Haigh p. 98 Les DVD 100 Coffret Frederick Wiseman. Intégrale Vol. 1. 1967-1979 et la sélection du mois

cultures 102 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

trois couleurs présente

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l’actualité des salles mk2

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« Sepik. Arts de Papouasie-Nouvelle-Guinée », « Chandigarh. 50 ans après Le Corbusier », François Morellet La sélection de Noël, Steve McCurry, COP21

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Olivier Bayu Gandrille ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Leslie Auguste, Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Adrien Dénouette, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Anne de Malleray, Stéphane Méjanès, Mehdi Omaïs, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Antoine Doyen, Flavien Prioreau PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) ASSISTANTE RÉGIE PUBLICITAIRE Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) ASSISTANT PARTENARIATS CULTURE Florent Ott CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Illustration de couverture © Cruschiform pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

Par tous les moyens PAR JULIETTE REITZER

C

ette caméra déconstruite, éclatée, qui se dresse fièrement sur la couverture de notre numéro double de décembre-janvier, est une manière de célébrer, au moment d’entrer dans une nouvelle année, ce qui nous semble le plus excitant dans le renouveau du cinéma français : une nécessité de réinventer les formes, de faire voler les règles en éclats, de fabriquer des films autrement (lire notre dossier page 44). Démocratisation des outils et des connaissances, décloisonnement des compétences, nouvelles manières de financer, de tourner, de diffuser… Les jeunes cinéastes sont impatients de s’exprimer et font preuve d’une belle inventivité pour y arriver – souvent avec les moyens du bord, en attendant mieux. En attendant, aussi, que les instances qui les encadrent prennent en compte cette diversité d’horizons et d’univers. Dans ce numéro, vous croiserez des réalisateurs qui s’essaient, dans des premiers ou deuxièmes films, à toutes sortes d’expérimentations, en investissant par exemple des genres délaissés par la fiction française : l’anticipation fantastique (Gaz de France de Benoît Forgeard), le thriller politique et romantique (Le Grand Jeu de Nicolas Pariser), l’étude historique et féministe jouée par des enfants (Les Filles au Moyen Âge d’Hubert Viel)… C’est de cet élan moderne et joyeux, et, il faut bien l’avouer, un peu bordélique, que nous avons eu envie de nous faire l’écho.

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l’e ntreti e n du mois

Todd Haynes

© stéphane manel

Le réalisateur filme un amour lesbien dans l’Amérique des fifties.

« le film questionne les différentes manières qu’ont les protagonistes d’incarner la féminité et de s’épanouir. » 8

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l’e ntreti e n du mois

Chef de file du New Queer Cinema dans les années 1990 aux côtés de Gregg Araki ou de Tom Kalin, Todd Haynes s’est souvent penché sur les problématiques liées au genre ou à l’homosexualité (Poison, Loin du paradis, I’m Not There) et a signé d’admirables portraits de femmes (Superstar. The Karen Carpenter story, Safe). Son nouveau film, le mélodrame raffiné Carol, relate la passion interdite entre une femme mariée, campée par Cate Blanchett, et la jeune et timide Therese (Rooney Mara, Prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes pour ce rôle) dans l’Amérique des fifties. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

a

près loin du paradis, dans lequel une femme au foyer surprenait l’infidélité de son mari avec un homme, vous racontez à nouveau dans carol un amour homosexuel aux états-unis dans les années 1950. qu’est-ce qui vous intéresse dans cette période ? Loin du paradis et Carol, s’ils partagent cette question de l’homosexualité dans les années 1950, ont des origines très différentes. Pour le premier, je voulais travailler sur l’imaginaire du mélodrame hollywoodien, en partant de l’impact d’un scandale domestique sur le personnage souvent considéré comme le plus passif dans le couple, l’épouse [campée par Julianne Moore, ndlr]. Au fur et à mesure, l’histoire du film se charge de problématiques liées au racisme, au genre et à la sexualité. Carol est l’adaptation, dans les cartons depuis des lustres, d’un roman de Patricia Highsmith publié en 1952 [le scénario, écrit il y a une quinzaine d’années par la dramaturge Phyllis Naggy, est passé entre les mains de réalisateurs tels que Stephen Frears ou Kenneth Branagh, ndlr]. Je n’ai donc pas choisi moi-même l’époque à laquelle se déroule l’intrigue. vos films mettent souvent en avant des femmes en prise avec un environnement social qui les empêche de s’épanouir : le monde du show-business dans superstar. the karen carpenter story, l’amérique provinciale et bien pensante des années 1950 dans loin du paradis… quel discours sur la condition féminine tenez-vous dans carol ? Évidemment, le New York des fifties est asphyxiant pour Carol et Therese. Mais, ce que je trouvais le plus intéressant, c’étaient les oppositions entre ces deux femmes : elles viennent de milieux différents, mènent des luttes différentes… Et puis Carol correspond à des canons de beauté et de féminité qui existent toujours aujourd’hui, tandis que Therese ne s’identifie pas à ces standards. Elle se demande si un jour elle s’y conformera, et, en prenant de plus en plus d’assurance, elle évolue physiquement. Sans apporter de réponse définitive, le film questionne ces différentes manières qu’ont les protagonistes d’incarner la féminité et de s’épanouir.

la rencontre entre carol et therese se déroule au rayon poupées d’un magasin de jouets. peut-on y voir une référence à votre film superstar. the karen carpenter story, entièrement tourné avec des poupées barbie qui symbolisaient l’idée de la manipulation ? C’est possible, oui. Même si j’étais très heureux d’être sur le tournage de Carol avec ces poupées, elles sont quand même très flippantes ! Les boîtes en plastique dans lesquelles elles sont parquées ressemblent à de petites prisons… Cette scène a été vécue par Patricia Highsmith elle-même. Elle a travaillé au rayon jouets du magasin Bloomingdale’s à New York en 1948, et elle y a rencontré une femme qu’elle a fantasmée en créant le personnage de Carol. Therese apparaît presque comme l’une des poupées. Venue acheter un baigneur à sa fille pour Noël, Carol choisit finalement de lui offrir un petit train électrique. À première vue, cela peut représenter une sorte de rébellion par rapport aux normes de genre, ce jouet étant alors plutôt associé aux garçons. Ce train convoque aussi l’idée de mouvement, une avancée. Mais ce mouvement, puisque le train circule en dessinant toujours le même cercle, suggère en même temps une forme de stagnation. tout au long du film, carol et therese manifestent leur amour de façon discrète, sans effusion. L’époque à laquelle elles vivent les contraint à ne pas sortir du placard. Mais les personnages hétérosexuels du film ne sont pas non plus très démonstratifs dans l’expression de leur amour. En regardant Carol et l’amour naissant qu’il raconte, on se demande comment ces deux femmes vont faire pour exprimer leurs sentiments, pour vivre leur amour interdit, si elles ressentent la même chose l’une pour l’autre… Mais on oublie que la société et les conventions de l’époque sont différentes de celles d’aujourd’hui. En 1953, deux femmes qui louent une chambre d’hôtel, c’est moins mal vu qu’un couple hétérosexuel non marié qui ferait la même chose. Carol et Therese sont parfois surprises des quelques libertés dont elles peuvent jouir. Cela va à l’encontre des schémas simplistes selon lesquels la société avance vers le progrès de manière linéaire, et cela bouscule aussi nos idées

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© ugc

l’e ntreti e n du mois

Rooney Mara et Cate Blanchett

« carol, en tant qu’objet du désir de therese, porte énormément de mystères. » préconçues sur la façon dont les lesbiennes et les gays interagissaient ou communiquaient à cette époque. le visage de carol est très fardé, assez inexpressif, presque figé. on ne peut y déchiffrer ses véritables sentiments. il y a, dans l’interprétation de cate blanchett, quelque chose de l’ordre du masque… Oui, tout à fait. Carol, en tant qu’objet du désir de Therese, porte énormément de mystères. Elle vous place constamment dans un état d’incertitude. Son visage est comme un écran qui révèle et dissimule sans cesse des informations, des sentiments qui, même par rapport à sa relation avec Therese, sont ambivalents. Mais cela lui confère un certain pouvoir. Quand vous tombez amoureux de quelqu’un, vous cherchez toujours à lire cet objet de votre désir. Les différents signaux que cette personne vous envoie peuvent être frustrants, parce qu’ils vous plongent dans un état d’incertitude. Carol joue sur cette confusion. au cours du film, therese devient photo­ reporter au new york times. mais, au départ, à l’exception de carol, elle préfère photographier des objets ou des paysages plutôt que des êtres humains. pourquoi ? Dans le roman, Therese est décoratrice de théâtre. Phyllis Naggy, la scénariste du film, en a fait une

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photojournaliste. J’aime beaucoup ce changement, car cela met le personnage hors d’une sphère artistique où une expérience lesbienne aurait peut-être pu être plus évidente. C’est par le biais de la photographie que Therese devient plus mûre et trouve sa place dans le monde. Elle gagne en confiance dès lors qu’elle photographie son premier sujet humain, Carol. Ce n’est pas seulement une manière de sublimer son désir, cela constitue aussi une façon pour elle de prendre confiance. Le rapport de force entre Carol et Therese change au cours du film, et c’est aussi une affaire de regard. À la fin, c’est Carol qui voit le reflet de Therese passer furtivement dans la fenêtre d’un taxi comme si elle lui échappait. vous filmez justement beaucoup vos personnages en reflets dans des fenêtres. pourquoi ? Cela crée une sorte de séparation entre Carol et Therese, entre ce qu’elles voient et ce qu’elles veulent. À mon avis, c’est dans cet éloignement que naît le désir ; et c’est celui-là même qui comblera la distance entre elles. Selon moi, le désir a besoin d’obstacles pour pouvoir être ressenti. Carol de Todd Haynes avec Cate Blanchett, Rooney Mara… Distribution : UGC Durée : 1h58 Sortie le 13 janvier

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e n bre f

Les actualités PAR JULIEN DUPUY, OLIVIER BAYU GANDRILLE, QUENTIN GROSSET ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

LES ROIS DU BOX-OFFICE Le site Internet « The Numbers » a établi le classement des acteurs qui, quand ils tiennent le premier rôle d’un film, génèrent le plus d’entrées aux États-Unis et au Canada. Tom Hanks, actuellement à l’affiche du Pont des Espions de Steven Spielberg, arrive en tête du classement avec 4,2 milliards de dollars de recettes pour quarante-deux films. Harrison Ford, qui reprend son rôle de Han Solo dans Star Wars. Le Réveil de la Force (en salles le 16 décembre), et Eddie Murphy, que l’on devrait retrouver en 2016 dans Le Flic de Beverly Hills 4, complètent le podium. O. B. G. & T. Z.

Tom Hanks HARRISON FORD

4,2 Mrd$ 42 films

3,6 Mrd$ 37 films

EDDIE MURPHY

3,5 Mrd$ 37 films

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Source : http://www.the-numbers.com/people/records/

> REPORTAGE

© afp d. r.

Le cinéma pachtoune, à toute épreuve Début décembre, l’AFP a publié sur son site un passionnant reportage intitulé « Pakistan : le cinéma pachtoune fait de la résistance ». Les Pachtounes vivent des deux côtés de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Depuis les années 1970, le cinéma pachtoune jouit d’une grande popularité, notamment à Peshawar, ville du nord du Pakistan. C’est là que deux salles de cinéma ont récemment subi des attentats meurtriers, vraisemblablement commandités par des islamistes radicaux. Malgré ces attaques, de nouveaux films continuent à sortir sur les écrans de la ville, même si les investisseurs sont encore peu enclins à ouvrir de nouvelles salles. La vidéo qui accompagne l’article détaille les canons de cette cinématographie dont les maîtres mots seraient « action », « romance » et « pilosité faciale. » Avec des effets spéciaux peu élaborés, ces films n’hésitent pas à aborder de front l’actualité. Dans Laissez les pauvres tranquilles, le réalisateur Arshad Khan évoque notamment le massacre qui a fait cent trente morts en 2014 dans une école de Peshawar. Q. G.

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e n bre f

> LE CHIFFRE C’est l’âge qu’aura Harrison Ford dans 7 ans. D’ici là, Steven Spielberg espère pouvoir diriger l’acteur dans un Indiana Jones 5, selon des propos recueillis par RTL. Ford a incarné l’aventurier pour la première fois en 1981 dans Les Aventuriers de l’arche perdue. Il avait alors 39 ans. O. B. G.

> DÉPÊCHES PAR O. B. G.

INÉDIT

FESTIVAL

CYCLE

Mysterious Object at Noon (2001), le premier long métrage d’Apichatpong Weerasethakul, sort en copie restaurée le 27 janvier. Le film est construit comme un cadavre exquis : en Thaïlande, des villageois prolongent une histoire contée par d’autres avant eux.

La 11e édition du festival Paris Courts Devant se tient du 10 au 20 décembre à Paris et en Île-de-France. Outre une compétition regroupant une centaine de courts métrages, des avant-premières, comme celle de Pitchoune (Reda Kateb), sont organisées.

Dans le cadre de la COP21, la Cinémathèque française propose, du 2 décembre au 22 janvier, un cycle sur la question du climat dans le cinéma. Au programme, une soixantaine de longs métrages, ainsi qu’une quarantaine de courts tournés par des enfants.

> LA PHRASE

> LA TECHNIQUE

Shia LaBeouf

Avec son look inspiré d’un ballon de foot, le robot BB-8 existait sous plusieurs formes sur le tournage du nouvel opus de Star Wars : une version statique, dont seule la tête pouvait pivoter ; une marionnette à tiges, manipulée par deux opérateurs ; et enfin un modèle radiocommandé. Pour concevoir ce dernier, l’équipe de Neal Scanlan (Prometheus, Babe) a placé à l’intérieur de la sphère principale un lourd chariot motorisé, équipé d’une roue également sphérique permettant au robot de se déplacer tout en faisant office de contrepoids. Fixée sur ce même chariot, une tige équipée à son sommet d’aimants permettait de garder la tête de BB-8, également aimantée, toujours au sommet du personnage. J. D. Star Wars. Le réveil de la Force de J. J. Abrams Sortie le 16 décembre

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Pendant trois jours d’affilée en novembre, l’acteur Shia LaBeouf a regardé d’une traite, dans un cinéma new-yorkais, les vingt-sept films dans lesquels il a joué. Intitulée #ALLMYMOVIES, la performance a été filmée et retransmise en direct sur le site NewHive, qui a interviewé le comédien, tout illuminé, le jour suivant.

© d. r.

© walt disney studios motion pictures

Comme sur des roulettes

« JE ME SENS PLUS LÉGER AUJOURD’HUI. JE RESSENS L’AMOUR. »


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décryptag e

Star Wars

Un mythe en héritage À l’heure où l’on écrit ces lignes, personne n’a vu Le Réveil de la Force, septième épisode de la saga Star Wars. Entre archéologie du mythe et passage de flambeau, retour sur les enjeux de ce revival confié à J. J. Abrams.

© ua / rda

© 2014 lucasfilm ltd. & tm. all right reserved

PAR LOUIS BLANCHOT

Chewbacca et Han Solo (Harrison Ford) dans Un nouvel espoir (1977) et Le Réveil de la Force (2015) : il y en a au moins un qui ne vieillit pas

L

e p ro g ra m m e es t d a ns le titre : Le Réveil de la Force semble en quête de l’émerveillement primitif qui, avec le premier Star Wars (Un nouvel espoir, 1977), fit basculer Hollywood dans une ère nouvelle du divertissement. Si l’intrigue de ce nouveau volet est tenue secrète, on sait tout de même déjà, quelques semaines avant la sortie du film, qu’il tirera de l’oubli les vieilles reliques de la saga – Luke (Mark Hamill), Leia (Carrie Fisher) et Han Solo (Harrison Ford) sont de la partie – pour transférer leur énergie dans les mains de jeunes pousses. C’est apparemment à Han Solo que revient l’honneur de jeter un pont entre les générations : la dernière bandeannonce le présente comme garant du souvenir des combats d’antan (« Le côté obscur… les Jedi… ils existent », l’entend-on dire) et guide des nouveaux héros, Rey (Daisy Ridley) et Finn (John Boyega). Un statut qui, à vrai dire, n’est pas de très bon augure pour lui, puisque chaque trilogie a fait périr son mentor dès le premier épisode… Mais dans Star Wars, on ne disparaît que pour renaître, et on ne renaît que pour passer le flambeau. Un programme qui coïncide avec une belle habitude du cinéma d’Abrams, qui n’a jamais cessé de lancer ses films sur les rails du deuil. Chez lui, chaque histoire est celle d’une

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génération qui éclaire la suivante mais disparaît trop vite, laissant aux orphelins la charge de raviver la flamme. Dans les quatre films qu’il a réalisés, il s’est toujours frotté à un imaginaire préexistant, de Mission: Impossible 3 (2006) à Star Trek (2009) et Star Trek. Into darkness (2013) ; même Super 8 (2011) ne faisait pas mystère de son modèle, en s’aventurant sans complexe sur les plates-bandes d’E.T. L’extraterrestre. Sa mission pour ce revival de Star Wars ? D’un côté, redonner à la carrosserie sa couleur particulière, retrouver le bruit d’origine du moteur ; de l’autre, en améliorer discrètement la mécanique, afin de l’adapter à une conduite plus moderne. Mais il faut ainsi voir dans ce Réveil de la Force une façon pour le cinéaste de préparer à son tour la transmission à la jeune garde de Hollywood, à qui seront confiées les clés des films suivants : Rian Johnson (Looper) pour l’épisode 8, Colin Trevorrow (Jurassic World ) pour l ’épisode 9, Gareth Edwards (Godzilla) pour Rogue One, le premier spin-off de la saga. Star Wars. Le réveil de la Force de J. J. Abrams avec Daisy Ridley, John Boyega... Distribution : Walt Disney Durée : 2h16 Sortie le 16 décembre

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la polé m iqu e

Le numérique, ennemi du cinéma ? Les réalisateurs de deux des films les plus attendus du bimestre, J. J. Abrams (Le Réveil de la Force) et Quentin Tarantino (Les Huit Salopards), ont opté pour des tournages à l’ancienne, c’est-à-dire en pellicule. PAR JULIEN DUPUY

OUI

A

lors que la très grande majorité des films est aujourd’hui tournée et projetée en numérique, une poignée de réalisateurs continue de défendre les vertus de la pellicule argentique. C’est le cas de Steven Spielberg, de Christopher Nolan, mais aussi de J. J. Abrams, qui a filmé Le Réveil de la Force en pellicule 35 mm, ou encore de Quentin Tarantino, qui a contraint des salles américaines à se rééquiper en projecteurs 70 mm pour exploiter Les Huit Salopards. Chez les pro-pellicule, on argue que cette méthode impose plus de rigueur, à la fois d’un point de vue technique (la pellicule est plus délicate à manipuler ; elle nécessite plus de lumière) et économique (chaque nouveau plan bouffe de la pellicule et a, par conséquent, un coût loin d’être négligeable). Mais l’argument le plus entendu est que la pellicule est une composante essentielle du septième art. Tarantino déclare ainsi au site Indiewire que « le numérique, c’est la mort du cinéma ». Quant à Nolan, lorsque Sam Mendes lui demande, dans les colonnes du magazine anglais Empire : « Argentique ou digital ? », il rétorque, cinglant : « Beurre ou margarine ? Notre art n’a-t-il pas pour nom filmmaking ? » Une conviction qu’il serait tentant de mettre au crédit de la cinéphilie de ces auteurs. Et pourtant, une mise en perspective de l’évolution du septième art fait pencher la balance en faveur des pro-numérique.

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David Fincher sur le tournage de L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2009)

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NON

Quentin Tarantino (à gauche) sur le tournage des Huit Salopards

© rda / everett

© snd

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nfant de la révolution industrielle, le cinéma a grandi en faisant dialoguer évolutions technologiques et aspirations artistiques. Au cours des cent vingt dernières années, les réalisateurs n’ont cessé d’imposer de nouvelles conventions : le son dans les années 1920, la couleur durant la décennie suivante, et plus récemment, le relief. Le numérique, avec sa souplesse d’utilisation et son faible coût, a déjà gagné cette bataille du point de vue économique et est en passe de vaincre sur le plan artistique : David Fincher, Michael Mann, Ang Lee ou Steven Soderbergh sont depuis longtemps convertis aux vertus de ce format, notamment parce qu’il permet de tourner avec une très faible lumière. Sur les sept derniers Oscars de la meilleure photographie, un seul récompense un film capté par photochimie. Mais même si les cinéastes adeptes de la pellicule n’enrayeront pas la marche du progrès, leur combat rappelle que chaque avancée ne devrait jamais effacer le précédent standard en vigueur. En cela, leur attitude tient surtout du travail de mémoire et démontre qu’en étant constamment en mouvement, le cinéma démultiplie d’autant ses moyens d’expression. Aujourd’hui, tourner en pellicule est devenu, comme le noir et blanc ou le recours au muet, une posture d’auteur. Encourager le progrès sans oublier le legs des œuvres passées contribue ainsi à la richesse et à la vivacité du cinéma.


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à su ivre

« Il y a tant à dire sur la manière dont on essaie d’avoir l’air différent de ce qu’on est vraiment… »

© jeff vespa / wireimage

Lola Kirke PAR JULIETTE REITZER

E

lles se ressemblent comme deux gouttes d’eau, mais il ne faut pas confondre Lola avec sa grande sœur Jemima, actrice elle aussi, connue pour son rôle dans la série Girls. « On vient d’un milieu très privilégié, explique Lola au téléphone, voix rocailleuse et ensommeillée. Nos parents ne nous ont pas élevées dans l’idée de devenir médecins ou avocats, mais nous ont encouragées à pratiquer toutes sortes de disciplines artistiques. » Le père est musicien, la mère possède une boutique de vêtements vintage à New York, dans le West Village, où Lola a affiné son style hors du temps, new age et lo-fi. À 25 ans, la jeune femme, vue l’an dernier dans Gone Girl de David Fincher, revendique d’ailleurs des références tout aussi chics et surannées : « Mes modèles ? Il y a beaucoup de femmes fortes autour de moi. Mais j’adore Sissy Spacek, Julie Christie et Natalie Wood. » Dans l’indé et spirituel Mistress

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America, en salles cet hiver, elle joue Tracy, une étudiante, aspirante écrivaine, qui débarque à New York et découvre les joies et les peines de la vie d’artiste aux côtés d’une trentenaire borderline (Greta Gerwig). À la jolie chronique de l’amitié féminine, le film ajoute une réflexion sur ce que l’on perd de soi-même à trop jouer le jeu des apparences. « J’ai quitté Instagram et les autres réseaux sociaux. Pour moi, ça n’avait rien d’amusant, au contraire. Il y a tant à dire sur la manière dont on essaie d’avoir l’air différent de ce qu’on est vraiment… » Dans un mélange séduisant de nonchalance et d’arrogance, Lola s’affirme décidément à contretemps.

Mistress America de Noah Baumbach avec Greta Gerwig, Lola Kirke… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h24 Sortie le 6 janvier

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ag e n da

Sorties du 9 déc. au 27 janv. Cosmos d’Andrzej uławski avec Sabine Azéma, Jean-François Balmer… Distribution : Alfama Films Durée : 1h42 Page 66

L’Attente de Piero Messina avec Juliette Binoche, Lou de Laâge… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h40 Page 70

Comment c’est loin d’Orelsan avec Orelsan, Gringe… Distribution : La Belle Company Durée : 1h30 Page 42

Vue sur mer d’Angelina Jolie Pitt avec Angelina Jolie Pitt, Brad Pitt… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h12 Page 66

La Chambre interdite de Guy Maddin et Evan Johnson avec Maria de Medeiros, Udo Kier… Distribution : Ed Durée : 1h59 Page 70

Back Home de Joachim Trier avec Isabelle Huppert, Gabriel Byrne… Distribution : Memento Films Durée : 1h49 Page 63

Oups ! J’ai raté l’arche… de Toby Genkel et Sean McCormack Animation Distribution : Paradis Films Durée : 1h26 Page 109

L’Humour à mort de Daniel et Emmanuel Leconte Documentaire Distribution : Pyramide Durée : 1h30 Page 70

Allende mon grand-père de Marcia Tambutti Allende Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h37 Page 64

Oncle Bernard L’anti-leçon d’économie de Richard Brouillette Documentaire Distribution : Les Films du Paradoxe Durée : 1h19

My Skinny Sister de Sanna Lenken avec Rebecka Josephson, Amy Deasismont… Distribution : Urban Durée : 1h35 Page 72

Un + une de Claude Lelouch avec Jean Dujardin, Elsa Zylberstein… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h53

La Vie très privée de monsieur Sim de Michel Leclerc avec Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric… Distribution : Mars Durée : 1h42 Page 72

9 déc.

Au cœur de l’océan de Ron Howard avec Chris Hemsworth, Cillian Murphy… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h01 Page 64 Cafard de Jan Bultheel Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h26 Page 64

16 déc.

23 déc.

Béliers de Grímur Hákonarson avec Sigurður Sigurjónsson, Theodór Júlíusson… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Page 66

Star Wars. Le réveil de la Force de J. J. Abrams avec Daisy Ridley, John Boyega... Distribution : Walt Disney Durée : 2h16 Page 16

L’Étreinte du serpent de Ciro Guerra avec Jan Bijvoet, Brionne Davis… Distribution : Diaphana Durée : 2h05 Page 38

Suburra de Stefano Sollima avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano… Distribution : Haut et Court Durée : 2h15 Page 66

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin d’Amos Gitaï avec Ischac Hiskiya, Einat Weizman… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h30 Page 68

À peine j’ouvre les yeux de Leyla Bouzid avec Baya Medhaffar, Ghalia Benali… Distribution : Shellac Durée : 1h42 Page 72

Belle et Sébastien L’aventure continue de Christian Duguay avec Félix Bossuet, Tchéky Karyo… Distribution : Gaumont Durée : 1h38 Page 66

Le Grand Jeu de Nicolas Pariser avec Melvil Poupaud, André Dussollier… Distribution : Bac Films Durée : 1h39 Page 70

La Montagne magique d’Anca Damian Animation Distribution : Arizona Films Durée : 1h25 Page 72

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Sorties du 9 déc. au 27 janv. Le Nouveau de Rudi Rosenberg avec Max Boublil, Rephael Ghrenassia… Distribution : Mars Durée : 1h21 Page 72

Shangai Belleville de Show-Chun Lee avec Anthony Pho, Martial Wang… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h15 Page 76

Beijing Stories de Pengfei avec Ying Ze, Luo Wenjie… Distribution : Urban Durée : 1h15 Page 80

The Big Short. Le casse du siècle d’Adam McKay avec Brad Pitt, Christian Bale… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h10 Page 74

Kalo Pothi. Un village au Népal de Min Bahadur Bham avec Khadka Raj Nepali, Sukra Raj Rokaya… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Page 78

Je vous souhaite d’être follement aimée d’Ounie Lecomte avec Céline Sallette, Anne Benoît… Distribution : Diaphana Durée : 1h40 Page 80

Pauline s’arrache d’Émilie Brisavoine Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h28 Page 74

Argentina de Carlos Saura Documentaire Distribution : Épicentre Films Durée : 1h27 Page 78

Arrêtez-moi là de Gilles Bannier avec Reda Kateb, Léa Drucker… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h34 Page 80

Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke avec Zhao Tao, Jing Dong Liang… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h06 Page 76

Hector de Jake Gavin avec Peter Mullan, Keith Allen… Distribution : Eurozoom Durée : 1h26 Page 78

La Fille du patron d’Olivier Loustau avec Jocelyne Maillard, Olivier Loustau… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h38 Page 80

Snoopy et les Peanuts Le film de Steve Martino Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h28 Page 109

The Beast de Hans Herbots avec Geert Van Rampelberg, Ina Geerts… Distribution : KMBO Durée : 2h07

Les Huit Salopards de Quentin Tarantino avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell… Distribution : SND Durée : 2h47 Page 80

Cop Car de Jon Watts avec Kevin Bacon, James Freedson-Jackson… Distribution : The Joker / Le Pacte Durée : 1h28

Toto et ses sœurs d’Alexander Nanau Documentaire Distribution : JHR Films Durée : 1h34 Page 82

Pension complète de Florent Emilio-Siri avec Franck Dubosc, Gérard Lanvin… Distribution : StudioCanal Durée : N.C.

Early Winter de Michael Rowe avec Paul Doucet, Suzanne Clément… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Page 82

30 déc. Tangerine de Sean Baker avec Kitana « Kiki » Rodriguez, Mya Taylor… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h26 Page 36 Je compte sur vous de Pascal Elbé avec Vincent Elbaz, Julie Gayet… Distribution : Rezo Films Durée : 1h38 Page 76

6 janv.

Joy de David O. Russell avec Jennifer Lawrence, Bradley Cooper… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h05 Page 76

Mistress America de Noah Baumbach avec Greta Gerwig, Lola Kirke… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h24 Page 20

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Janis d’Amy Berg Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h43 Page 82

Desert Dancer de Richard Raymond avec Reece Ritchie, Freida Pinto… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h38


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Sorties du 9 déc. au 27 janv. Bang Gang (une histoire d’amour moderne) d’Eva Husson avec Finnegan Oldfield, Marilyn Lima… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h38 Page 86

Le Chant du merle de Frédéric Pelle avec Adélaïde Leroux, Nicolas Abraham… Distribution : JML Durée : 1h20 Page 90

Carol de Todd Haynes avec Cate Blanchett, Rooney Mara… Distribution : UGC Durée : 1h58 Page 8

Night Fare de Julien Seri avec Jonathan Howard, Jonathan Demurger… Distribution : Kanibal Films Durée : 1h20

J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd de Laetitia Carton Documentaire Distribution : Épicentre Films Durée : 1h30 Page 90

Gaz de France de Benoît Forgeard avec Olivier Rabourdin, Philippe Katerine… Distribution : Shellac Durée : 1h26 Page 29

Le Convoi de Frédéric Schoendoerffer avec Benoît Magimel, Reem Kherici… Distribution : Paramount Pictures Durée : N.C.

Je veux être actrice de Frédéric Sojcher avec Frédéric Sojcher, Jacques Sojcher… Distribution : autodistribué Durée : 1h02 Page 90

13 janv.

Le Garçon et la Bête de Mamoru Hosoda Animation Distribution : Gaumont Durée : 1h58 Page 84

20 janv.

27 janv.

Arrête ton cinéma ! de Diane Kurys avec Sylvie Testud, Fred Testot… Distribution : Bac Films Durée : 1h30 Page 84

The Danish Girl de Tom Hooper avec Eddie Redmayne, Alicia Vikander… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h Page 88

Spotlight de Thomas McCarthy avec Michael Keaton, Mark Ruffalo… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h08 Page 90

Creed L’héritage de Rocky Balboa de Ryan Coogler avec Michael B. Jordan, Sylvester Stallone… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h12 Page 84

Les Chevaliers blancs de Joachim Lafosse avec Louise Bourgoin, Vincent Lindon… Distribution : Le Pacte Durée : 1h52 Page 88

Legend de Brian Helgeland avec Tom Hardy, Emily Browning… Distribution : StudioCanal Durée : 2h11 Page 92

Et ta sœur de Marion Vernoux avec Virginie Efira, Géraldine Nakache… Distribution : Le Pacte Durée : 1h35 Page 84

Chorus de François Delisle avec Sébastien Ricard, Fanny Mallette… Distribution : UFO Durée : 1h37 Page 88

Les Premiers, les derniers de Bouli Lanners avec Albert Dupontel, Bouli Lanners… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h45 Page 92

Je suis le peuple d’Anna Roussillon Documentaire Distribution : Dock 66 Durée : 1h51 Page 86

Les Élues de David Pablos avec Nancy Talamantes, Óscar Torres… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h45 Page 88

13 Hours de Michael Bay avec John Krasinski, James Badge Dale… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h10 Page 92

A Second Chance de Susanne Bier avec Nikolaj Coster-Waldau, Maria Bonnevie… Distribution : KMBO Durée : 1h42 Page 86

Paris-Willouby d’Arthur Delaire et Quentin Reynaud avec Isabelle Carré, Stéphane De Groodt… Distribution : Mars Durée : 1h23 Page 88

Jane Got a Gun de Gavin O’Connor avec Natalie Portman, Ewan McGregor… Distribution : Mars Durée : 1h37 Page 92

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hiver 2015-2016


ag e n da

Les Saisons de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h35 Page 92

Les Filles au Moyen Âge d’Hubert Viel avec Malonn Lévana, Chann Aglat… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h18 Page 96

Happily Ever After de Tatjana Boži Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h23 Page 98

Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase… Distribution : Haut et Court Durée : 1h53 Page 94

45 ans d’Andrew Haigh avec Charlotte Rampling, Tom Courtenay… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h35 Page 98

Tout en haut du monde de Rémi Chayé Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h20 Page 108

Experimenter de Michael Almereyda avec Peter Sarsgaard, Winona Ryder… Distribution : Septième Factory Durée : 1h37 Page 96

Contre-pouvoirs de Malek Bensmaïl Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h37 Page 98

La 5ème Vague de J Blakeson avec Chloë Grace Moretz, Nick Robinson… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h50

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histoires du

CINéMA

L’ÉTREINTE DU SERPENT

Rencontre avec le réalisateur colombien Ciro Guerra p. 38

COMMENT C’EST LOIN

Orelsan offre au cinéma français un nouvel éloge de la lose p. 42

CINÉMA FRANCAIS

La nouvelle génération n’attend plus la permission pour faire ses films p. 44

« Combien de fois j’ai rattrapé Philippe avec des rognons… »

Benoît Forgeard & Philippe Katerine Dans Gaz de France, Benoît Forgeard imagine Philippe Katerine en président de la République extrêmement impopulaire, dans la France de 2020. Pour sauver son mandat, ses collaborateurs organisent une réunion d’urgence dans les sous-sols de l’Élysée, recréés numériquement pour l’occasion – les acteurs évoluent devant un fond vert sur lequel les décors sont incrustés en postproduction. Le film est à l’image de son réalisateur et de son acteur : imaginatif, imprévisible et très second degré. On a rejoint les deux trublions dans un restaurant de Montmartre pour parler politique, gastronomie et effets spéciaux. Ils étaient déjà attablés, et en grande discussion. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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© antoine doyen

Benoît Forgeard


h istoi re s du ci n é ma

J

e vous entends parler de voyage… Benoît Forgeard : Oui, on va partir en pèlerinage à Château-Chinon sur les traces de François Mitterrand, à l’hôtel du Vieux Morvan. Philippe et moi louons la chambre numéro 15, dans laquelle Mitterrand a passé du temps avec Anne Pingeot, la mère de Mazarine. Ce sera une sorte de reportage pour un magazine, sous la forme d’une interview mutuelle, on va s’échanger des souvenirs de cette époque-là. Vous avez une dizaine d’années d’écart, non ? B. F. : Moins ! Seulement cinq ans. Philippe Katerine : Je suis né en 1968. B. F. : Sous le général de Gaulle. Tu l’as même bien connu… Moi, je suis né en décembre 1973, sous Georges Pompidou. D’ailleurs, il a dû mourir en mars ou avril 1974. P. K. : Comme par hasard ! B. F. : Oui, c’est troublant… Ça vous intéressait déjà, la politique, dans votre enfance ? B. F. : Dès mon plus jeune âge. À 4 ans, je collectionnais les bulletins de vote. J’avais une approche plutôt mythologique ; j’aimais le théâtre des personnages politiques : un Raymond Barre, un Georges Marchais, un Jacques Chirac… P. K. : Moi, je m’y suis mis en 1981. Énorme déception : François Mitterrand est élu. J’ai 13 ans. Mes parents sont effondrés. Mon père était commerçant ; il pensait qu’il allait devoir tout donner. Ma mère était institutrice dans une école privée ; elle craignait qu’il les ferme toutes, avec les églises. Le lendemain, au collège, je croyais que c’était une des dernières fois que je voyais mes amis. Comment avez-vous découvert vos travaux mutuels ? B. F. : J’ai écouté assez tôt le premier disque de Philippe, Les Mariages chinois et la Relecture, un copain me l’avait passé en vinyle, à l’été 1995. Je trouvais ça étonnant. Mais c’est l’album suivant que j’ai vraiment beaucoup aimé, L’Éducation anglaise. À partir de là, tout le reste m’a plu. Philippe, on te sent flatté… P. K. : Oui, je prends, je prends… Je m’enduis. Et toi, comment as-tu découvert le travail de Benoît ? P. K. : Un dimanche soir, sur France 2, dans l’émission Histoires courtes. B. F. : Il y avait mon court métrage Respect. Philippe n’en a pas dormi de la nuit. P. K. : C’est-à-dire que c’est à la fois abominable et stupéfiant. Un choc !

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B. F. : C’est une sorte de drame domestique. Un couple composé d’un homme et d’une énorme mascotte. Je répondais à une invitation de France 2, qui demandait un film de treize minutes comportant un ninja et une cascade. P. K. : C’était exactement ce qu’il me fallait à ce moment-là. J’étais allongé sur le lit, j’écarquillais les yeux en me demandant : « Qu’est-ce qui se passe ? », « Pourquoi ? », « Qu’est-ce qu’on me veut ? » Je n’en revenais pas. B. F. : Après, avec mon producteur Emmanuel Chaumet, on a sorti un film qui s’appelle Réussir sa vie, un assemblage de trois courts métrages. J’ai vu que Philippe recommandait dans la presse d’aller le voir. J’étais hyper content. J’ai demandé son numéro, pour le remercier, et puis on est allés boire un apéro. Avez-vous vite senti que vous aviez un univers commun ? B. F. : Oui, et puis c’était simplement le plaisir de la discussion. De la gastronomie, aussi. P. K. : Les plaisirs de la bouche, quoi. B. F. : On passe des heures à table sans s’ennuyer. Avec Philippe, on peut parler de serviettes de table, ça sera toujours passionnant. Comment est né Gaz de France ? B. F. : Il y a plusieurs racines. D’abord, mon attachement au théâtre politique. Ensuite, on avait l’idée, avec mon producteur, de faire un film en huis clos, notamment pour que ça ne soit pas trop coûteux. Je voulais faire la part belle aux dialogues. Je suis aussi fasciné par le storytelling. Les livres de Christian Salmon sur ce sujet m’ont passionné. Il raconte que la propagande, que l’on connaît depuis longtemps, a franchi une nouvelle étape avec le storytelling, beaucoup plus subtil, qui peut prendre corps dans tous les domaines de la société. Raconter des histoires coûte que coûte pour séduire, faire acheter, faire élire. Comment as-tu pensé à Philippe Katerine pour incarner le président Bird ? B. F. : Philippe a cette stature présidentielle que peu de gens ont en France. Une popularité intuitive, réelle. Et puis, il ne faut pas oublier que c’est un bon comédien. P. K. : Pourquoi l’oublier ? B. F. : Là où il m’avait vraiment épaté, c’était dans Capitaine Achab de Philippe Ramos, dans lequel il jouait un méchant. Et toi, Philippe, comment as-tu réagi quand Benoît t’a proposé d’incarner le président de la République ? P. K. : Eh bien… on était au resto, je crois. B. F. : Forcément.

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© le pacte

e ntreti e n croisé

Philippe Katerine dans Gaz de France

« Le cinéma, c’est violent. » philippe Katerine

P. K. : J’étais hyper content. Ça ne se refuse pas ! Je n’avais jamais lu un scénario comme ça. En général, je m’ennuie très vite en lisant les scripts. Un long métrage tourné entièrement sur fond vert, c’est inédit dans le cinéma français. Philippe, ça ne t’a pas inquiété ? P. K. : Au contraire, je me disais que ça allait forcément être un chef-d’œuvre. B. F. : Au début, c’est vrai que quand on s’est retrouvés devant le fond vert avec les acteurs, ça ne payait pas de mine… Ils devaient se demander dans quel traquenard ils s’étaient fourrés. On les a tenus par la bouffe ; comme souvent. On avait un très bon chef cuistot. Combien de fois j’ai rattrapé Philippe comme ça, avec des rognons… Vous vouliez faire un huis clos pour réduire les coûts de production, mais la postproduction a dû coûter cher, non ? B. F. : C’est un peu vrai… Cela dit, ça reste un budget réduit : 700 000 euros. P. K. (à Benoît Forgeard) : Le fond vert, ça date du début du cinéma ? B. F. : Non, parce que c’est lié à la vidéo. Mais Georges Méliès utilisait des fonds noirs pour faire

des superpositions. Pendant notre tournage, seuls les objets que les personnages pouvaient toucher étaient présents sur le plateau. Le rythme du film n’a rien de celui d’une comédie classique, il y a beaucoup de moments suspendus, et les répliques ne s’enchaînent pas à toute allure. B. F. : Ce qui peut être un peu troublant pour le spectateur, c’est que je ne cherche pas à faire une comédie efficace. Il y a des éléments marrants, mais ce n’est pas une comédie dans les règles de l’art. À Cannes, le public s’attendait à un déluge de rigolade. C’est problématique. La question se pose pour la sortie : comment présenter le film sous son meilleur jour ? On a choisi de mettre en avant le rire et l’érotisme. Philippe sera nu dans la bande-annonce. Vous allez tourner le clip de « La Rigueur en chantant », le morceau grâce auquel Bird se fait élire président. B. F. : Oui, on va l’utiliser pour la promo. Étrangement, cette chanson n’est pas dans le film [elle est mentionnée à plusieurs reprises, mais on ne l’entend jamais, ndlr]. J’aime bien l’idée qu’un truc aussi capital soit absent. En même temps, c’est bien d’ajouter cette pièce, qui sera juste visible sur YouTube, au puzzle. Ça va être assez simple, on va tourner en studio, sur fond vert. [Philippe Katerine se met à fredonner « La Rigueur en chantant », ndlr.] D’ailleurs, Philippe, je voulais te demander :

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h istoi re s du ci n é ma – e ntreti e n croisé

« On a choisi de mettre en avant le rire et l’érotisme. Philippe sera nu dans la bande-annonce. » Benoît Forgeard

tu pourrais te faire une petite coupe ? P. K. : De ?… B. F. : Des rouflaquettes. P. K. : Oh oui, bien sûr ! B. F. : Pour le film, je voulais que Philippe ait une tête de président. Je lui ai donc demandé de se couper les cheveux. À cette époque, il devait faire un film pour son album Magnum, sur la pochette duquel il arborait aussi une moustache. Beaucoup de gens m’auraient dit que c’était impossible de tout couper, mais Philippe l’a fait. P. K. : Pour la France ! B. F. : Il porte donc une perruque pour son film. P. K. : C’est plus un rajout capillaire. D’ailleurs, je viens de mettre Magnum en entier sur YouTube. B. F. : En ce moment, il prépare une série de récitals, accompagné simplement par une pianiste. Philippe, qu’est-ce que tu imagines comme ambiance ? P. K. : Je pense que ça sera comme un cabaret en noir et blanc. Très mis en scène, avec des actions répétées. Ma pianiste m’a dit ce matin : « J’aimerais beaucoup me déguiser », et elle m’a montré des photos d’elle en punk. Ça sera pour le printemps 2016. Philippe, tu seras aussi à l’affiche, le 10 février prochain, de La Tour 2 contrôle infernale, la suite de La Tour Montparnasse infernale (2001). Quel rôle y joues-tu ? P. K. : Ben… une ordure.

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B. F. : Comme d’habitude. P. K. : Je tue plein de gens à l’arme à feu. B. F. : Ça sort juste après Gaz de France. C’est bien, Philippe, tu vas rester à l’affiche pendant plusieurs mois. Tu as montré La Tour Montparnasse infernale à tes enfants ? P. K. : Non, je ne leur montre pas de films. Le cinéma, c’est violent. Le dessin animé, y’a tout de suite une distance. Les Barbapapa, ça reste un must. Y’a Babar aussi, mais c’est plus complexe : le retour des colonies, la culpabilité… Alors que dans Les Barbapapa, y’a un ailleurs. Et toi, Benoît, quels sont tes projets ? B. F. : Je prépare une nouvelle émission du Ben & Bertie Show pour Paris Première, avec mon compère Bertrand Burgalat. C’est aussi sur fond vert. Mais mon prochain film, je vais le tourner en fond réel, dans la vraie vie. Il s’agit d’une histoire autour de l’intelligence artificielle. Ça parle d’un frigo musicien, mais je ne peux pas en dire plus. Philippe reviendra-t-il dans ton cinéma ? B. F. : Je l’espère ! Si on ne se fâche pas à ChâteauChinon… Gaz de France de Benoît Forgeard avec Olivier Rabourdin, Philippe Katerine… Distribution : Shellac Durée : 1h26 Sortie le 13 janvier

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portr ait

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La réplique :

« Veux-tu m’épouser ? »

Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia Quand le puissant baron mexicain El Jefe apprend que sa fille est enceinte, il offre un million de pesos à qui lui livrera la tête du coupable. Bennie, un pianiste pour touristes, part à sa recherche avec la prostituée Elita… Pour son ultime chef-d’œuvre, Sam Peckinpah orchestre un ballet d’amour et de mort d’une noirceur et d’une ambiguïté inégalées. PAR MICHAËL PATIN

O

n loue souvent l’inf luence qu’a pu exercer Apportez-­moi la tête d’Alfredo Garcia (1974) sur le cinéma américain moderne, en marge du Nouvel Hollywood, ainsi que sa mise en scène, aussi sauvage que perfectionniste, qui interroge les mécanismes de la violence avec une amère et terrible lucidité. Mais si le film est aussi bouleversant, c’est moins grâce à la virtuosité de l’auteur de La Horde sauvage (1969) en matière de massacres chorégraphiés qu’à l’attention qu’il porte à l’histoire d’amour entre Bennie et la prostituée Elita. Parce qu’elle représente leur dernière lueur d’espoir, cette idylle est aussi l’agent du chaos à venir. Elle est au centre d’une des premières grandes scènes du film, lorsque les deux amants, débutant leur périple, s’accordent une pause pique-­nique au

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pied d’un arbre. Le premier plan est bercé par une lumière idyllique. Tendrement enlacés, ils parlent de l’avenir et échangent leurs rêves d’évasion. La caméra s’attarde sur leurs visages où s’inscrit le passage sinueux de la légèreté à l’incertitude. Le dialogue, évasif et ambigu, atteste de leur intimité tout en annonçant leur chute. Tandis que la lumière décline, que la musique se fait angoissante, Elita et Bennie scellent un pacte d’amour et de mort. « Veux-tu m’épouser ? » articule-t-il, dans une dernière étreinte tragique. L’enfer s’ouvre dès la séquence suivante, celle du viol d’Elita, l’une des plus ambiguës et traumatisantes du cinéma américain. e de

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Le cinquième long métrage de l’Américain Sean Baker est le premier à sortir en France. Tourné avec deux smartphones, Tangerine est une virée survoltée dans la vie de deux prostituées trans exerçant dans un quartier chaud de Los Angeles, un territoire peu exploré par le cinéma, qui a transmis son énergie sauvage au film. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Tangerine J’ habite à huit cents mètres du croisement entre le boulevard Santa Monica et l’avenue Highland, situé à la limite des quartiers plus huppés de Hollywood et West Hollywood, qui est le point de départ de l’histoire », détaille Sean Baker, que l’on retrouve à Paris, éreinté par la tournée de promotion de son long métrage, Prix du jury au dernier festival de Deauville. « Je me demandais pourquoi on ne voyait pas plus cet endroit dans les films. Les studios hollywoodiens ne s’intéressent qu’aux coins glamour de L.A., comme Beverly Hills ou Venice. » Mal famé, le quartier dans lequel se situe l’action de Tangerine est aussi le fief des prostituées transgenres. Le film démarre sur les retrouvailles surexcitées de deux d’entre elles, âgées d’une vingtaine d’années, Sin-Dee (Kitana « Kiki » Rodriguez) et Alexandra (Mya Taylor), alors que la première sort tout juste de prison. « Le scénario est venu en traînant avec Mya et Kiki, que j’ai rencontrées par le biais d’un centre LGBT du quartier. Ce sont des figures marginales, peu représentées au cinéma, ou alors dans le rôle de victimes. Je voulais leur offrir une histoire dont elles seraient les héroïnes. »

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Autour d’un beignet de Noël au Donut Time, Alexandra apprend à Sin-Dee que son mec (qui est aussi son mac) l’a trompée avec une « morue » (raw fish en version originale, comme elles appellent les femmes cisgenres) pendant qu’elle était en taule. Une poursuite effrénée – à pied et en bus, puisque les héroïnes sont fauchées – s’engage alors pour retrouver la fille en question et la « ChrisBrowner » (comprendre : la tabasser). LÉGENDES URBAINES

L’énergie du film est directement liée à la grande liberté du tournage, pendant lequel Sean Baker a misé sur l’improvisation. « Les filles maîtrisaient bien mieux que nous la manière de parler des gens du quartier… Si on avait prévu une réplique du genre : “Joyeux Noël, ma belle !”, elles s’insurgeaient : “Non ! C’est : ‘Joyeux Noël, bitch !’” » Par téléphone, Mya Taylor précise, sans fausse modestie et avec la même gouaille que dans le film : « Sean et moi n’avons pas la même personnalité. Je voulais mettre de moi dans les dialogues, c’est ce qui les rend drôles. » Malgré tous les points communs qu’elle a avec son personnage – elle est trans, noire américaine et elle s’est prostituée dans ce même quartier après que sa famille l’a rejetée quand elle a commencé sa transition sexuelle –, elle

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souve n i rs de tou rnag e

« En découvrant les premiers rushes, mon producteur était un peu inquiet. » Sean Baker

se défend d’avoir complètement inspiré le rôle. Le cinéaste explique s’être nourri, pour construire son récit, de certaines anecdotes que lui avaient racontées les actrices, mais surtout de ce qu’il avait luimême pu observer dans le quartier : « Par exemple, la façon dont les flics bondissent de leur voiture, chopent quelqu’un et le palpent pour trouver de la drogue. Ils ont aussi ce geste systématique : ils prennent le pouls des gens pour voir s’ils sont sous crystal meth. » Cette substance stimulante circule abondamment dans la zone et rend les consommateurs très nerveux. « Le quartier est un peu dangereux, on était sur nos gardes. Cette énergie a imprégné le film et a dicté son style. » À mesure que les filles progressent dans leur recherche, s’embrouillant avec des clients et des collègues dingos et avançant parallèlement à un chauffeur de taxi arménien qui court après Sin-Dee, le film multiplie les séquences clipées, pulsées à coups de jump cuts, de musique dubstep et de crises d’hystérie. VITAMINE C

Avec son sujet trash, son esthétique flamboyante et ses personnages marginaux, Tangerine rappelle les premiers films de John Waters, comme Pink Flamingos et Polyester, avec lesquels il partage aussi une même économie précaire. « Mon

film précédent, Starlet, a coûté 235 000 dollars, et celui-ci, moins de la moitié. À cause de ces moyens très réduits, on a décidé de filmer avec deux iPhone 5s. » Cette contrainte technique s’est finalement révélée avantageuse : « Ça mettait les acteurs plus à l’aise, ils n’étaient pas intimidés par la caméra. Pour filmer Sin-Dee sortant du Donut Time, par exemple, j’ai roulé à vélo à côté d’elle avec le téléphone à la main. On l’a aussi accroché au bout d’une perche de peintre pour faire des travellings en plongée. En découvrant les premiers rushes, mon producteur était un peu inquiet, c’était très différent de mes précédents longs métrages. » Si le sordide contexte de Tangerine est exhibé dans quelques scènes (comme celle qui montre une chambre d’hôtel miteuse où s’entassent des prostituées et leurs clients aux corps hors normes), le film est allégé, le reste du temps, par l’humour des dialogues et un parti pris esthétique malin, une douce lumière orangée qui baigne la première partie du film et a inspiré le titre du long métrage (qui signifie « mandarine » en français). « À Los Angeles, la teinte du ciel est due à la pollution. En plus, comme on a tourné en hiver, la lumière du soleil était rasante, on profitait d’une longue heure dorée [le moment qui précède le coucher du soleil, ndlr]. » Pour son prochain film, Sean Baker compte changer de décor et de sujet : il s’apprête à tourner cet été une histoire sur des enfants à Orlando, en Floride. Espérons que l’énergie brute de la jeunesse fasse jaillir autant d’inventivité chez le réalisateur que les deux héroïnes de Tangerine. Tangerine de Sean Baker avec Kitana « Kiki » Rodriguez, Mya Taylor… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h26 Sortie le 30 décembre

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L’ÉTREINTE DU SERPENT

CIRO GUERRA S’inspirant des carnets de voyage des deux premiers explorateurs de l’Amazonie colombienne à l’aube du vingtième siècle, Ciro Guerra entrecroise les rencontres entre le chaman Karamakate, dernier survivant de son peuple, et deux scientifiques en quête, à quelques décennies d’écart, d’une plante sacrée ayant pour vertu de guérir et d’apprendre à rêver. Après la capitale (L’Ombre de Bogota) et le nord du pays (Les Voyages du vent), le réalisateur colombien aventure son cinéma en territoires inconnus et livre une fascinante expérience mystique, dans un noir et blanc envoûtant. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

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vez-vous revu les films amazoniens de Werner Herzog, Fitzcarraldo et Aguirre. La colère de Dieu, pour écrire le vôtre ? J’ai voulu aller à l’inverse de ces films et me placer du point de vue des communautés amazoniennes. Les films de Werner Herzog sont des grands films en termes de cinéma, mais les indigènes n’y ont pas de voix. J’avais envie de faire un film en Amazonie depuis longtemps. C’est un territoire énorme, qui représente la moitié de la surface de la Colombie, mais je n’y étais jamais allé. Contrairement au Pérou ou au Brésil, où l’Amazonie fait partie de la culture, de la littérature, c’est une zone complètement oubliée et inconnue en Colombie. Les Colombiens en ont peur à cause du conflit armé, qui s’est passé en grande partie là-bas : c’est à Mitú, le village autour duquel on a tourné une partie du film, qu’a eu lieu l’assaut le plus sanglant des FARC en 1998. Vous avez passé plus de trois ans et demi sur le scénario… Ça a été un très gros travail, il y a eu quatorze versions. La pensée indigène est très différente de la nôtre, elle est difficile à appréhender. J’ai eu beaucoup de mal à me détacher de ma conception occidentale de l’histoire, de la raison, du monde. Je me suis d’abord plongé dans les carnets de voyage de l’ethnologue allemand Theodor Koch-Grünberg et du biologiste américain Richard Evans Schultes, les premiers explorateurs à y être allés, et dans la littérature amazonienne. Ensuite, je me suis rendu sur place à la rencontre des communautés indigènes, ce qui m’a énormément aidé pour construire le film. J’ai fait des allers-retours pendant deux ans et demi : l’Amazonie colombienne est gigantesque, on y parle cinquante langues différentes… Deux histoires se croisent autour d’un même personnage, le chaman Karamakate, à des dizaines d’années d’intervalle. Pourquoi avezvous choisi cette narration enchevêtrée ? Koch-Grünberg raconte une histoire surprenante : en arrivant dans une communauté qu’il pensait n’avoir jamais été visitée avant lui par un homme blanc, il a été accueilli par les gens comme s’ils le connaissaient déjà. Il s’est ensuite rendu compte qu’ils le prenaient pour un autre explorateur allemand, venu cinquante ans auparavant, qu’ils avaient érigé en mythe. C’était pour eux le même homme qui revenait. Cette idée d’une âme unique incarnée dans plusieurs vies était une porte d’entrée dans la pensée amazonienne. Pour les indigènes, le temps n’est pas linéaire, il est multiple et simultané, c’est très proche de la physique quantique. Les chamans amazoniens parlaient de l’atome bien avant les scientifiques occidentaux.

Comment avez-vous choisi les deux acteurs qui jouent Karamakate ? On a parcouru la région en présentant notre projet aux gens et en leur proposant de participer. Quand j’ai vu Nilbio Torres, j’ai su que ce serait Karamakate jeune ; il avait une présence incroyable, comme pouvaient avoir les anciens guerriers chamans. Il était un peu réticent, mais quand on lui a expliqué nos motivations, il a senti que ce film, c’était l’histoire de ses ancêtres, et ça l’a décidé. Pour trouver Karamakate vieux, ça a été plus difficile. J’ai parlé avec beaucoup de chamans, mais aucun n’était capable d’endosser un tel rôle. Du coup, j’ai regardé tous les films qui se passent en Amazonie colombienne et j’ai vu un court métrage tourné il y a vingt ans dans lequel figurait Antonio Bolívar Salvador Yangiama. Il n’y faisait qu’une petite apparition, mais il avait énormément de présence. Le problème, c’est qu’il avait eu une mauvaise expérience sur le court métrage, donc il ne voulait pas retenter le coup. J’ai dû le convaincre. C’est un homme impressionnant : il parle très bien espagnol, et il a toutes les connaissances ancestrales. Il nous a aidés à traduire le scénario dans les langues des communautés et à réécrire certaines parties qui ne lui semblaient pas justes.

« Pour les indigènes, le temps n’est pas linéaire, il est multiple et simultané. » Au cours du voyage, l’équipée débarque dans une communauté macabre d’Indiens dirigés et torturés par un illuminé qui se fait passer pour le messie… Cette communauté a-t-elle vraiment existé ? Dans quelle mesure le film est-il fidèle à la réalité historique ? Le film repose avant tout sur l’imagination, il n’a pas valeur de document ethnographique. Au début, je voulais rester fidèle à la réalité historique, mais on connaît peu de chose de l’histoire amazonienne, et puis, surtout, en parlant avec les chamans, j’ai compris que l’imagination et le rêve avaient autant d’importance que les faits réels dans leur culture. Cela dit, cette secte a vraiment existé, c’est la seule histoire du film qui s’est réellement passée : à la fin du xixe siècle, à la frontière entre la Colombie et le Brésil, un Brésilien s’est proclamé messie et a rassemblé deux mille fidèles. Ça a pris des proportions énormes, l’armée brésilienne a dû intervenir pour le chasser. Pourquoi avez-vous choisi de tourner en noir et blanc ? On s’est inspirés des plaques photographiques des explorateurs. On y voit une Amazonie complètement différente de l’image qu’on en a aujourd’hui,

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« Ça a été très difficile de trouver un lieu vierge pour le tournage, car l’Amazonie est très abîmée. » dépourvue d’exotisme : il n’y a pas cette dichotomie entre la nature toute verte et le reste ; les humains, les animaux et la nature sont faits de la même matière, on se croirait dans un autre monde. On voulait rendre cet effet dans le film. Et puis c’était impossible de reproduire la vraie couleur de la jungle : il s’y trouve beaucoup plus de tonalités que celles que peut capter la caméra. Comment avez-vous travaillé le son pour lui conférer sa puissance hallucinatoire ? Marco Salaverria a utilisé un système très complexe pour enregistrer les bruits de la jungle dans toutes leurs variétés… Ensuite, au mixage, Carlos García est allé plus loin encore, il a ajouté des nuances sur celles qu’on trouve dans la nature pour amener le spectateur vers un état de transe à travers le son. Pour la scène d’hallucination, il a utilisé le son de son fils dans le ventre de sa mère. Comment s’est passé le tournage en pleine jungle ? Ça a été très difficile de trouver un lieu vierge pour le tournage, car l’Amazonie est très abîmée, entre

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la déforestation, l’agriculture, le commerce, le tourisme… Finalement on a découvert une zone où le fleuve n’est pas navigable, ce qui fait que la forêt est en très bon état, d’autant que les communautés en prennent grand soin. On dormait dans des cabanes sur un vieux campement abandonné en plein cœur de la forêt, à trois heures d’une piste d’avion. Et puis on a tourné une partie du film vers Mitú, un petit village où il y a une mission, d’où on prenait un DC-3, un avion de la Seconde Guerre mondiale, pour aller tourner dans les montagnes à la frontière vénézuélienne. Ça a été très éprouvant physiquement, mais pas du tout cauchemardesque, parce qu’on a travaillé sous la protection, physique et spirituelle, des communautés. Au final, sur les trois mois qu’on a passés dans la jungle, dont les sept semaines de tournage, on n’a eu aucun accident, aucune maladie, aucune attaque d’animaux sauvages. On n’a même pas eu de problèmes avec la météo : même le temps était de notre côté ! de Ciro Guerra avec Jan Bijvoet, Brionne Davis… Distribution : Diaphana Durée : 2h05 Sortie le 23 décembre

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COMMENT C’EST LOIN

PARFAITS LOSERS Le cinéma, ce n’est pas que pour les héros. La preuve ce mois-ci avec Comment c’est loin, ou les aventures de deux rappeurs flemmards qui traînent leur ennui le temps d’une journée, en quête d’inspiration. Avec ce premier film en forme d’autobiographie déguisée, Orelsan offre au cinéma français un nouvel éloge de la lose, à l’instar des Beaux Gosses ou des Apprentis. Mais pourquoi aime-t-on autant les histoires de galères et leurs antihéros ? PAR RENAN CROS

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décryptag e

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rel et Gringe sont là, tous les deux, à attendre leur bus. Ils déblatèrent des banalités, des observations, tantôt absurdes, tantôt sensées, sur le monde et ses tracas ; puis finissent par se souvenir qu’on est dimanche et qu’il n’y a pas de bus. Cette scène donne le ton et l’esprit d’un film attachant, à la fois drôle et triste. Il est à l’image de son duo d’antihéros, bien connu des fans des Casseurs Flowters, le groupe formé par Orelsan et Gringe. Transposition de leur album du même nom (2013), Comment c’est loin décrit leurs années d’errance à Caen avant que le rap ne devienne un métier. « J’ai du mal à voir nos personnages comme des losers, nuance tout de suite Orelsan. On était juste un peu paumés, en stand-by. Le film raconte cette période d’attente, ce moment où tu es largué dans ta vie et où tu ne sais pas quoi faire ; alors tu ne fais rien, tu te laisses porter. » Pour écrire ce premier long métrage, le jeune trentenaire s’est inspiré de modèles bien précis. « J’ai revu des films avec Michel Blanc, ou Les Apprentis de Pierre

même à faire rire tout en décrivant plutôt fidèlement l’enlisement d’une génération. « Attention, on n’est pas des modèles, avertit Gringe, on raconte notre histoire en essayant d’être drôle. On peut se permettre d’en rire parce qu’on est sortis de cette galère-là. » À DEUX, C’EST MIEUX

Si les « comédies de la lose » ont une fonction cathartique dans une société de plus en plus angoissée par l’échec, elles sont aux antipodes du drame social naturaliste. La galère se doit d’être légère. L’aspect anxiogène de certaines séquences ou situations (la prise de drogue dans Marche à l’ombre, la mère invasive des Beaux Gosses, le patron raciste dans Comment c’est loin) est tout de suite contrebalancé par la réaction comique de l’antihéros qui vient désamorcer la noirceur par un trait d’esprit ou une attitude décalée. Les discussions improbables entre Orel et Gringe transforment ainsi le marasme en poésie loufoque du quotidien. Jamais misérabiliste, Comment c’est loin est surtout un véritable buddy movie, un film d’aventure qui fait du surplace, « un film sur l’amitié, sur notre amitié », pré-

Le personnage du sempiternel raté, s’il fait rire, compose aussi une émotion et un discours pertinent sur l’époque. Salvadori. Ce sont des films hyper cools, très drôles encore aujourd’hui. J’avais vraiment envie que notre histoire ressemble à ces films-là. » Enfant des années 1980, Orelsan a été marqué par toute une génération de comédies françaises dans lesquelles des personnages maladroits, timides, pas sexy, à la Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) dans Les Bronzés (1978), d’abord cantonnés à des seconds rôles, occupent peu à peu le devant de la scène. C’est la reconnaissance d’une nouvelle génération d’acteurs, souvent issus du caféthéâtre : Michel Blanc, donc, dans Viens chez moi j’habite chez une copine (Patrice Leconte, 1981), Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984) ou Tenue de soirée (Bertrand Blier, 1986), Gérard Jugnot dans Scout toujours… (Gérard Jugnot, 1985) ou Tandem (Patrice Leconte, 1987). Construites comme des chroniques sur un quotidien perpétuellement déprimant, ces comédies amères prouvent que le personnage du sempiternel raté, s’il fait rire, compose aussi une émotion et un discours pertinent sur l’époque. Ces films de galères deviennent des films miroir, qui exorcisent les angoisses de la société (le chômage, la solitude des grandes villes) et qui rassurent le spectateur, soudain moins seul face à ses propres échecs. En maniant l’autodérision à merveille, Comment c’est loin réussit de

cisent Orelsan et Gringe. Comme les duos formés par François Cluzet et Guillaume Depardieu dans Les Apprentis (1995) ou par Vincent Lacoste et Anthony Sonigo dans Les Beaux Gosses (2009) de Riad Sattouf, le film réactive par la galère un genre qui célèbre l’amitié masculine face à l’adversité du monde et à la cruauté des femmes, réduites à l’état de fantasmes inatteignables ou de rombières agaçantes. Misogyne, le film de losers ? « On n’est pas misogynes. On raconte juste la manière dont les mecs parlent des filles quand ils sont entre eux. Ça prouve surtout qu’ils n’ont rien compris. Normal que tout foire. » Combinant échec social et sentimental, Comment c’est loin n’est pourtant jamais sombre. Orelsan et Gringe défendent un cinéma étonnamment doux et optimiste dans lequel la galère n’est qu’une étape de transition dans la vie. « Un loser, c’est un artiste. C’est quelqu’un qui ne suit pas le rythme de tout le monde. C’est pour ça qu’on raconte leurs histoires. Parce qu’avec eux, on prend enfin le temps. Au cinéma, ça fait du bien. » Comment c’est loin d’Orelsan avec Orelsan, Gringe... Distributeur : La Belle Company Durée : 1h30 Sortie le 9 décembre

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RENOUVEAU DU CINÉMA FRANÇAIS

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DANS TOUS LES SENS

Tant qu’il nous reste des fusils à pompe de Jonathan Vinel et Caroline Poggi (2014)

© diaphana

Caméra à portée de main, la nouvelle génération de cinéastes n’attend plus la permission pour faire ses films. Le cinéma n’est plus une tour imprenable, mais un territoire en expansion, beaucoup plus accessible qu’auparavant, irrigué de propositions venant de tous horizons. Quitte à faire vaciller la vieille école, le renouveau du cinéma français passe par sa diversification, son décloisonnement, son éclatement.

© d. r.

Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (2015)

PAR RAPHAËLLE SIMON

Les Dissociés de Suricate (2015)

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La Bataille de Solférino de Justine Triet (2013)

ofondatrice en 2004 des rencontres européennes du moyen métrage de Brive, un format à mi-chemin entre le court et le long métrage très prisé des jeunes cinéastes, Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne) est aux premières loges pour commenter la créativité du nouveau cinéma français. Alors qu’elle vient d’achever le tournage de son troisième film avec Tahar Rahim et Finnegan Oldfield, la réalisatrice évoque le durcissement du système de production : « Dans les années 1990, pendant l’âge d’or de Canal+, il y avait une forme d’automaticité : quand on avait fait un court métrage remarqué, on était quasiment sûr d’enchaîner sur un long, et l’avance sur recettes [aide financière attribuée avant tournage par le CNC, ndlr] était presque tout le temps couplée avec le financement des chaînes de télé. Aujourd’hui, les financements sont beaucoup plus éclatés, ce qui rend le montage financier plus difficile. Mais commencer dans une crise, ça force à être débrouillard et créatif. » TOUS LES MOYENS SONT BONS

Le financement du cinéma français passe par un système bien huilé – 42 % des fonds proviennent des producteurs, 32 % des chaînes de télévision, 8 % des subventions du CNC, et le reste, des distributeurs, des SOFICA (Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel) et d’aides régionales (chiffres de 2011, source CNC) –, quitte à avoir tendance à ronronner un peu. Premières sources de revenus pour les films en production, les chaînes de télé répondent à une logique d’audimat (elles participent à des films qu’elles pourront diffuser sur leurs antennes) qui les pousse à limiter les risques en privilégiant les projets à gros castings, aux dépens de propositions

« Commencer dans une crise, ça force à être débrouillard et créatif.»  Katell Quillévéré

plus innovantes. Pour contourner ce système parfois frileux, certains cinéastes n’hésitent pas à se jeter dans le bain du long métrage avec des productions fauchées, à l’instar de Justine Triet, qui n’a pas attendu l’avance sur recette du CNC pour lancer le tournage de La Bataille de Solférino le jour du second tour de l’élection présidentielle de 2012, comme le nécessitait son scénario. Le producteur du film, Emmanuel Chaumet, est passé maître dans l’art de faire des premiers films à petit budget depuis qu’il a créé sa boîte, Ecce Films, en 2003. Pour que La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko puisse voir le jour en 2013, il a dû se lancer dans une production assez acrobatique en sortant de l’argent de sa poche et en échelonnant le tournage en deux temps, à un an d’intervalle. « Miraculeusement, avec les aides qu’on a reçues a posteriori et les entrées générées par le film, on était à l’équilibre. » Une prise de risques qui peut se révéler doublement payante si le coup d’essai rencontre le succès. Après La Bataille de Solférino, Justine Triet a ainsi pu s’offrir une belle distribution (Virginie Efira, Vincent Lacoste) et décrocher un très beau budget (4 millions d’euros, dont 25 % alloués par Canal+) pour tourner son deuxième long métrage, Victoria, pendant l’été 2015. Certains jeunes réalisateurs court-­circuitent carrément les schémas de production classiques en se passant de producteur, avec en chef de file Djinn Carrénard qui aurait réalisé Donoma en 2011 pour « 150 euros ». Mythe ou pas, le coup de pub est réel, et le film fait sensation, donnant au passage un bon

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Notre amour est assez puissant de Jonathan Vinel (2014)

coup de pied dans le système de production à la papa. Moins radicaux, des modèles de financement alternatifs se développent. Grâce à sa campagne de financement participatif, Julien Seri a pu rassembler plus de 50 000 euros pour produire Night Fare, en salles le 13 janvier. Quant au collectif d’humoristes Suricate, il a mis en ligne en accès gratuit le 24 novembre son long métrage Les Dissociés, réalisé avec un budget réduit de 150 000 euros et financé aux trois quarts par le placement de produits. Le film, inégal mais inventif (effets spéciaux bricolés, séquence en animation…), a généré plus d’1,7 millions de vues sur YouTube en une semaine.

de « se détacher de l’expérimental en recourant à des codes à l’américaine, notamment de série télé » pour le scénario de son premier long métrage Ni le ciel ni la terre. Pour le jeune prodige Jonathan Vinel, auréolé à 26 ans seulement de l’Ours d’or du meilleur court métrage à la Berlinale en 2014 pour Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, réalisé avec Caroline Poggi, les références sont des plus éparses, d’Apichatpong Weerasethakul à

En parallèle de l’éclatement des moyens et des voies de production, le développement des nouvelles technologies contribue à générer un très riche vivier de talents et de propositions. Selon Emmanuel Chaumet, c’est ce nouveau rapport à l’image, instinctif et immédiat, qui rassemble avant tout la nouvelle génération de cinéastes : « On a parlé d’une “nouvelle Nouvelle Vague”, il y a deux ans, quand Justine Triet, Yann Gonzalez et les autres ont, par un concours de circonstances, sorti leur premier long en même temps. Mais il n’y a pas, contrairement à la Nouvelle Vague, de points communs entre leurs films, si ce n’est la démarche technique : aujourd’hui, on peut faire des effets spéciaux dans une cave et tourner un film avec une petite caméra numérique. » Biberonnés à l’image sous toutes ses formes (films, jeux vidéos, clips, séries, télé-réalité…), les cinéastes de la génération Y ont su couper, pour une partie, le cordon formel avec leurs pères de la Nouvelle Vague pour puiser leur inspiration où bon leur semble. En septembre, Clément Cogitore, qui se revendique d’une cinéphilie assez radicale, nous confiait avoir tenté

Jonathan Vinel

CINÉMA POUR TOUS

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« J’aime quand les éléments s’entrechoquent. » la saga Twilight, en passant par les clips de l’artiste québécois Jon Rafman ou les jeux vidéo. À l’aide d’images de synthèse, le cinéaste a pensé son court métrage Notre amour est assez puissant comme un jeu vidéo first-person shooter : « J’ai cherché à réenchanter les codes de ce type de jeu très violent, en ajoutant un hors-champ romantique. J’aime quand les éléments s’entrechoquent. » Une habile confusion des genres que l’on retrouvera dans le long métrage très attendu qu’il développe, une « sorte de péplum avec une reine qui recueille un groupe d’enfants tueurs », et qui fait le sel et la richesse de son cinéma, et plus généralement du nouveau cinéma français, comme le souligne Katell Quillévéré : « L’intérêt de la nouvelle génération de cinéastes, c’est qu’elle n’est pas clanique sur le plan esthétique ou idéologique, il n’y a pas de chapelle de cinéma, les cinéphilies sont très variées, les moyens d’expressions et les sujets aussi. La tendance est à la diversité, et c’est une très bonne nouvelle. »

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VISIONS RENOUVEAU DU CINÉMA FRANÇAIS

© bien ou bien

PÉRIPHÉRIQUES

Maïmouna Doucouré et sa jeune actrice Sokhna Diallo sur le tournage du court métrage Maman(s) (2015)

« Avant, le cinéma français s’enrichissait de gens qui venaient de milieux populaires, on avait Depardieu, Dewaere… Aujourd’hui, notre cinéma est bourgeois, déconnecté du réel. » Uda Benyamina

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Le renouveau du cinéma français se construit aussi, patiemment, dans les banlieues, où cinéastes et acteurs ne demandent qu’à émerger. Enquête. PAR JULIETTE REITZER

Saint-Denis, raconte : « J’avais l’impression d’un immense gâchis, mais aussi que ce qui ressortait de tout ça au niveau médiatique ne correspondait pas à la vision que pouvaient en avoir les habitants de ces quartiers. Ça a été le déclencheur : ne pas réduire les gens à des voitures brûlées. Montrer qu’il y avait d’autres choses à dire, surtout par le biais de l’art. » Le festival, qui programme des longs métrages en avant-première ainsi que des films de patrimoine, accueille depuis 2012 une compétition de courts métrages, format qui cristallise tous les enjeux pour les jeunes cinéastes puisqu’il est considéré comme le tremplin pour le passage au long. « Toute l’année, on va rencontrer les équipes dans les MJC, les associations de quartier. L’idée, c’est de faire émerger des gens qui sont en dehors du système. » C’est pour répondre à un même sentiment d’urgence qu’Uda Benyamina monte en 2006 l’association 1 000 visages, qui met notamment en place des ateliers d’éducation à l’image et des programmes d’initiation et d’insertion aux métiers du cinéma, dont celui d’acteur. « Avant, le cinéma français s’enrichissait de gens qui venaient de milieux populaires, on avait Delon, Depardieu, Dewaere… Aujourd’hui, notre cinéma est bourgeois, déconnecté du réel. Le but de 1 000 visages, c’est de repérer des perles, et de les accompagner sur le long terme. »

Rendre les métiers du cinéma accessibles à des gens qui en sont a priori éloignés – géographiquement et socialement –, c’est le vaste chantier sur lequel planche une poignée d’associations (1 000 visages) et de festivals (Cinébanlieue, Urban Film Festival, Génération court…). La plupart d’entre eux sont nés au lendemain des émeutes de 2005. Aurélie Cardin, déléguée générale et créatrice de Cinébanlieue, à

Mais pour fédérer ces initiatives individuelles et accélérer leur impact sur le paysage cinématographique français, il faut une véritable volonté politique. Pour l’heure, elle semble insuffisante, malgré le sursaut post-émeutes de 2005, qui avait abouti à la mise en place de programmes dédiés par le CNC (la commission Images de la diversité) et par La Fémis (le programme Égalité des

RENDRE VISIBLE

© easy tiger films

Il y a un nouveau cinéma qui est en train d’arriver. Mais il faut un peu de temps pour qu’il atteigne les salles. » Uda Benyamina sait de quoi elle parle. À 34 ans, après un C.A.P. coiffure, une réorientation vers un bac L option théâtre et une dizaine de courts métrages (dont le très beau Sur la route du paradis, sélectionné dans de multiples festivals en 2012), la cinéaste originaire de Viry-Châtillon, dans l’Essonne, a tourné cet été son premier long, Bâtarde, qui devrait sortir en 2016. « Mon film parle de ce que c’est de grandir en banlieue : quels sont tes choix ? Mon héroïne [campée par l’excellente Oulaya Amamra : retenez ce nom, ndlr] a choisi le trafic de drogue, mais elle a un alter ego qui a choisi l’art. La bâtarde du titre évoque ce sentiment de ne pas être reconnu. » Centrale, cette question de la reconnaissance va de pair avec celle de la représentation, notamment par le cinéma, de la banlieue et de ses habitants, mais aussi d’une population métissée, mélangée. Steve Achiepo, qui jouera Youssouf Fofana dans le film de Richard Berry sur l’affaire du gang des barbares (Tout, tout de suite, sortie en 2016), vient de terminer l’écriture de son premier long métrage (« l’histoire d’un marchand de sommeil qui n’arrive plus à dormir »), après deux courts remarqués, En équipe et À la source. Il confie : « C’est vrai qu’il y a très peu de boulot pour les acteurs noirs, souvent cantonnés à des stéréotypes. Mais je pense que ça va changer. Il y a aussi le fait qu’un réalisateur, surtout pour son premier film, parle d’abord de ce qu’il connaît, et souvent de lui-même. Du coup, si les réalisateurs noirs n’ont pas la parole, ils n’ont pas la possibilité de faire émerger des acteurs noirs. Moi, par exemple, j’ai découvert La Fémis à 25 ans, je ne savais même pas que ça existait. Quand tu grandis à Cergy, on ne te parle pas de ces trucs-là. »

Oulaya Amamra dans Bâtarde d’Uda Benyamina (2016)

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DÉCLOISONNER


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La cinéaste Uda Benyamina sur le tournage de Bâtarde (2016)

« Ils sont là, les jeunes acteurs et réalisateurs qui vont cartonner demain. » Aurélie Cardin

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Vague » – réponse à la Nouvelle Vague et à son héritage parfois asphyxiant. Si le dynamisme de ce jeune cinéma saute aux yeux (lire l’encadré), le passage au long métrage, et donc à une vraie visibilité auprès du public, reste une étape longue et compliquée qui s’apparente souvent à un parcours du combattant – on pense à Djinn Carrénard (Donoma, 2011), à Rachid Djaïdani (Rengaine, 2012) ou à Pascal Tessaud (Brooklyn, 2015). Uda Benyamina sourit : « Disons qu’on doit se battre plus que les autres. Mais j’ai envie d’être positive. Et n’oublions pas que le Nouvel Hollywood s’est fait avec les enfants d’immigrés italiens. »

FESTIVAL CINÉBANLIEUE : LA DIVERSITÉ AU CENTRE

© maja films

chances). Aurélie Cardin précise : « Si les commissions d’attributions des aides sont truffées de gens qui ont les mêmes formations, les mêmes âges et viennent des mêmes milieux, c’est sûr qu’il n’y aura pas de place pour la nouvelle génération… » Au CNC, Morad Kertobi, chef du département court métrage, très impliqué sur ces questions, tempère : « En 2008-2009, un premier bilan a montré que la plupart des bénéficiaires des aides au court métrage étaient encore des hommes de près de 40 ans et vivant à Paris. On a donc créé Talents en court, programme qui vise à apporter autre chose qu’une solution budgétaire. » Concrètement, il s’agit d’accompagner des projets et de créer des opportunités de rencontres professionnelles afin de mieux préparer leurs auteurs à affronter les étapes délicates que sont le démarchage d’un producteur ou la candidature aux aides financières. Maïmouna Doucouré, par exemple, a pu bénéficier de ce programme pour son très maîtrisé Maman(s), qui aborde la polygamie par le point de vue d’une fillette. Achevé au printemps dernier, le film a été sélectionné dans une cinquantaine de festivals et a remporté de nombreux prix, dont celui du meilleur court métrage au prestigieux festival international de Toronto. Mi-novembre, il a également remporté le Grand prix de la 10e édition de Cinébanlieue. Aurélie Cardin l’affirme, toutes ces initiatives portent leurs fruits : « Ils sont là, les jeunes acteurs et réalisateurs qui vont cartonner demain. » Depuis 2012, la journaliste Claire Diao s’échine à rendre visible ce foisonnement. Elle a publié sur le Bondy Blog une cinquantaine de portraits de « jeunes cinéastes français ayant grandi en banlieue ou dans des quartiers populaires », qu’elle propose de rassembler sous l’expression « Double

Du naturalisme incandescent de Belle gueule d’Emma Benestan, Quelques secondes qui suit caméra à de Nora El Hourch l’épaule sa jeune effrontée, au fantastique léché de Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, avec son héros qui se rêve en cosmonaute, ce qui désigne le mieux les courts métrages récompensés lors du dernier festival Cinébanlieue, mi-novembre, c’est bien leur diversité. Un terme qui s’incarne aussi dans la présence massive en sélection de cinéastes femmes, de personnages féminins forts et d’actrices puissantes, à l’image de la bande de filles de Quelques secondes de Nora El Hourch (présenté aussi à la dernière Quinzaine des réalisateurs). Enthousiasmant. J. R.

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BELLES RENOUVEAU DU CINÉMA FRANÇAIS

SAISONS

De gauche à droite et de haut en bas : Dix pour cent, Trepalium, Au service de la France, Versailles

Dix pour cent, Les Revenants, P’tit Quinquin… Un vent frais souffle sur les séries françaises, visiblement plus ambitieuses qu’auparavant. Le secteur se décloisonne pour s’ouvrir à la fois aux talents du cinéma d’auteur et aux méthodes éprouvées de ses cousines américaines. PAR timé zoppé

édric Klapisch à la réalisation de la sémillante Dix pour cent, le scénariste d’OSS 117, JeanFrançois Halin, à l’écriture de la parodique Au service de la France, Bruno Dumont aux manettes de la décalée et caustique P’tit Quinquin… Depuis peu, des auteurs de cinéma impriment leur patte sur les séries françaises, bousculant un domaine – la fiction télé – dans lequel la frilosité restait jusqu’ici de mise. Actrice dans la première saison de Dix pour cent,

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Fanny Sidney est emballée par cet apport de sang neuf : « Il faut de la liberté dans la création audiovisuelle. Les auteurs de cinéma ne pensent pas qu’aux attentes du public. Ils privilégient l’histoire qu’ils veulent raconter et ne sont pas dans une pure logique d’audimat. » Diffusée en octobre, la série de France 2 a tout de même conquis les foules, avec 4,4 millions de téléspectateurs par épisode en moyenne. Ce succès a aussi reposé sur la participation, au scénario, de Camille Chamoux, comédienne et scénariste pour le cinéma (Les Gazelles), qui a apporté au projet « son humour et

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sa fraîcheur », selon la créatrice de la série, Fanny Herrero. Il a pourtant fallu surmonter la défiance de la chaîne : « Camille n’avait jamais fait de télé, elle n’est pas rassurante pour France 2, qui pense à son public, à sa charte, à son identité. » De leur côté, Canal+, avec Les Revenants en 2012, et Arte, avec Ainsi soient-ils la même année, semblent avoir compris plus tôt l’intérêt de s’investir dans des projets ambitieux. Pour Arte, c’est même une nécessité : « Comme on est, entre guillemets, une petite chaîne, on est condamné à se démarquer et à donner le sentiment que les séries que l’on produit ne peuvent exister que chez nous », explique Olivier Wotling, directeur de l’unité fiction de la chaîne franco-allemande. Après l’ovni P’tit Quinquin de Bruno Dumont en 2014, la racée Au service de la France de Jean-François Halin, diffusée il y a quelques semaines, et Trepalium, série d’anticipation avec Charles Berling et Ronit Elkabetz (diffusion courant 2016), Arte coproduit Cannabis, sur les coulisses d’un trafic de marijuana, en misant sur la prometteuse cinéaste Lucie Borleteau pour la réaliser (lire l’encadré).

« Il faut de la liberté dans la création audiovisuelle. Les auteurs de cinéma ne pensent pas qu’aux attentes du public. » Fanny Sidney

Wells pour À la Maison-Blanche, David Simon pour Sur écoute… L’autre particularité des productions américaines, c’est qu’elles bénéficient de budgets qui n’ont rien à envier à ceux du cinéma – et donc de plus de temps et de confort pour tourner. Suivant ce modèle, Canal+ a soigné la production de Versailles, à rebours des séries fabriquées à la chaîne. Tournée en costumes et en langue anglaise, en partie réalisée par Jalil Lespert, la série détient le record de budget français avec environ 2,7 millions d’euros par épisode, là où la moyenne avoisine le million d’euros. Il semble donc que les chaînes françaises soient décidées à mettre le paquet : la suite au prochain épisode.

L’EXCEPTION FRANÇAISE

LA JEUNE POUSSE CANNABIS

Fin octobre, on assistait, dans un gymnase à Pantin, au tournage de Cannabis, nouvelle série coproduite par Arte. Tournée en France, en Espagne et au Maroc, elle suit un trafic d’herbe du producteur au consommateur. Pour réaliser les six épisodes, Tonie Marshall, coproductrice de la série, a fait appel à Lucie Borleteau, réalisatrice en 2014 d’un premier long métrage remarqué, Fidelio. L’odyssée d’Alice. La trentenaire, qui avoue ne quasiment pas regarder de séries, fait avec la sienne le pont entre cinéma d’auteur français (en choisissant par exemple les acteurs Christophe Paou, vu chez Alain Guiraudie, et Kate Moran, vue chez Bertrand Bonello ou Yann Gonzalez) et cinéma américain : « Quand on m’a montré Marbella, la ville espagnole dans laquelle on va tourner, j’ai vu Los Angeles. On a regardé beaucoup de films américains, comme Police fédérale. Los Angeles de William Friedkin, qui nous ont donné plein d’idées de découpage. » La livraison de Cannabis à Arte est prévue pour juin 2016, mais la date de diffusion n’est pas encore fixée. T. Z.

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©france 2 ; jean-claude lother ; luc roux ; tibo & anouchka/capa drama/zodiak fiction/incendo/canal+

Si les séries françaises commencent à porter fièrement la marque du cinéma d’auteur, elles doivent aussi composer avec un héritage parfois lourd à porter : la toute-puissance du réalisateur. « Souvent, une fois que le scénariste a terminé d’écrire ses épisodes, il doit donner les clés du camion au réalisateur, déplore Fanny Herrero. Ça engendre ce qu’on appelle entre scénaristes le “ frisson de la honte” : t’écris un scénario, le réalisateur le ré­écrit sans te tenir au courant, un jour on t’envoie les DVD, et là t’as juste envie de mourir. » Par ailleurs, le modèle du cinéma d’auteur a longtemps dicté une certaine méthode d’écriture pour la fiction télé. Selon Marjolaine Boutet, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie Jules-Verne et spécialiste des séries, Plus belle la vie, le soap opera lancé en 2004 sur France 3, a changé la donne. « Ça a été la première production à mettre en place des ateliers d’écriture à l’américaine, ce qui a été très mal perçu. On défendait, comme toujours en France, la figure de l’auteur, censé pondre seul le truc de génie. » Aux États-Unis, la généralisation, au début des années 2000, du système du show runner, la personne chargée de diriger l’équipe des scénaristes, coïncide pourtant avec l’avènement de certaines des plus belles réussites du genre – John


h istoi re s du ci n é ma

FINNEGAN OLDFIELD Après le récent Les Cowboys de Thomas Bidegain, il est à l’affiche de Bang Gang (une histoire d’amour moderne) d’Eva Husson, en salles le 13 janvier. En 2016, il jouera, avec Swann Arlaud, dans Une vie de Stéphane Brizé, et sera dans les nouveaux films de Katell Quillévéré et de Bertrand Bonello. T. Z. « Le dénominateur commun de tous les acteurs, c’est l’angoisse. La nudité est un des premiers trucs qui m’ont amené à douter à propos du métier d’acteur. Pour les scènes de sexe de Bang Gang, on préparait des petites chorégraphies. Eva Husson m’a beaucoup parlé et rassuré. Le film a été un très bon entraînement : maintenant, j’arrive à baisser mon futal direct devant toute l’équipe quand on me le demande. »

NOUVELLES TÊTES Remarqués dans des films et séries récents ou à venir, ces jeunes comédiens incarnent à nos yeux le renouveau du cinéma français et sa revigorante diversité. PAR LA RÉDACTION PHOTOGRAPHIES DE FLAVIEN PRIOREAU

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SWANN ARLAUD Il s’impose chez les jeunes cinéastes français : à l’affiche des récents Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (aux côtés de Finnegan Oldfield) et Les Anarchistes d’Elie Wajeman, il incarnera bientôt un aveugle dans La Prunelle de mes yeux d’Axelle Ropert. T. Z. « Je tourne souvent dans des films en costumes. Je dois avoir une gueule qui passe bien dans toutes les époques… Ce que j’aime, dans les premiers rôles, c’est qu’on est vraiment dans le processus de création. Mais j’adore aussi jouer les rôles secondaires, souvent plus hauts en couleur. Je pense qu’il ne faut surtout pas se dire : “OK, maintenant que j’en suis arrivé là, je ne fais plus que des rôles principaux”. »

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STÉFI CELMA Après des débuts au cinéma dans Case départ (2011), elle joue dans Les Profs et dans Antigang. Dans la série Dix pour cent, elle campe la standardiste – aspirante actrice – d’une agence de comédiens. Quand on l’a rencontrée, elle était sur le point de signer pour un film « très cool » mais encore secret. J. R. « Je suis contente que Dix pour cent aborde le sujet des stéréotypes dans lesquels sont enfermés les acteurs noirs. J’espère que les réalisateurs auront un peu plus d’imagination… Cédric Klapisch [coréalisateur de la série, ndlr] a amené ça depuis toujours, le mélange, la mixité. Pour le casting de Dix pour cent, je me suis retrouvé à jouer un morceau à la guitare. Ça m’a mise à l’aise. Mais les auditions, c’est traître : parfois t’as l’impression que ça a marché et en fait, pas du tout. »

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NICOLAS MAURY La série Dix pour cent est la première incursion à la télé de Nicolas Maury, habitué au cinéma d’auteur (Let My People Go ! de Mikael Buch, Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez, avec qui il va tourner prochainement). L’acteur va réaliser son premier long métrage en 2016. R. S. « Dans une série sur laquelle travaillent plusieurs réalisateurs, l’acteur est plus que jamais responsable de la continuité et de la cohésion, il a une forme d’autorité. Mon personnage est dans un registre plutôt comique, mais il ne faut pas jouer pour faire rire, il faut au contraire partir d’un drame humain essentiel. Les acteurs qui m’inspirent sont ceux qui peuvent à la fois faire rire ou pleurer, comme Gena Rowlands ou Bette Davis. »

FANNY SIDNEY Formée au cours Florent puis à La Fémis en section réalisation, Fanny Sidney mène de front sa carrière d’actrice (au cinéma dans Hippocrate, à la télé dans les séries Hard ou Dix pour cent) et de réalisatrice (elle finalise l’écriture de son premier long métrage). R. S. « Je n’ai pas eu peur de faire des séries, même si je viens plus du cinéma d’auteur et qu’il y a toujours un certain snobisme envers la télé. L’important pour moi, c’est le scénario, l’histoire qu’on veut raconter. Je me souviens de mon premier tournage. J’avais 18 ans, je jouais la fille de Jacques Mesrine. C’était une bricole, une scène de parloir, mais je me suis bien mis la pression ; et puis c’était très impressionnant d’être face à papa Cassel ! »

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AHMED DRAMÉ Il a été nommé aux Césars en 2015 dans la catégorie meilleur espoir pour Les Héritiers, film qu’il a coécrit avec Marie-Castille Mention-Schaar. Il est pour l’heure à l’affiche de Made in France de Nicolas Boukhrief, en salles cet hiver. Q. G. « J’ai commencé à écrire un scénario en m’inspirant de ce que j’avais vécu en cours [sa classe de seconde a remporté en 2009 le Concours national de la résistance et de la déportation, ndlr]. Je l’ai montré à Marie-Castille Mention-Schaar, qui a été surprise qu’un jeune parle positivement du rôle de l’école. On a repris le script ensemble et ça a donné Les Héritiers. Mon modèle d’acteur, c’est Reda Kateb, avec qui j’ai tourné dans Les Petits Princes de Vianney Lebasque. »

FRANÇOIS CIVIL À l’affiche de Made in France ou du prochain Cédric Klapisch, Le Vin et le Vent, il a déjà commencé à percer hors de nos frontières, notamment dans Frank de Lenny Abrahamson. Q. G. « Sur le tournage de Frank, Michael Fassbender m’a donné un conseil : quand tu es acteur, il ne faut jamais satisfaire tout de suite ton réalisateur ; il faut parvenir à emmener ton personnage dans une autre direction que celle qu’il attend. Quand je joue une scène, j’essaye de proposer plein d’interprétations différentes, pour donner le maximum d’options au montage : c’est à cette étape décisive que se construit véritablement un rôle. » 58

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NASSIM SI AHMED Avant Made in France, on a pu le voir dans la série Lascars, ou dans la websérie En passant pécho. Il sera le gendre de Gérard Depardieu dans Marseille, la nouvelle série Netflix, diffusée en 2016. Q. G. « Je suis arrivé de Nîmes à Paris en 2009 pour participer au championnat de France de kickboxing, que j’ai remporté. Ça m’a motivé à m’installer ici. En 2010, Tristan Aurouet m’a repéré dans un bar où je travaillais, il m’a fait tourner dans Mineurs 27 puis dans Lascars. Je suis un peu métrosexuel dans la vie, alors je correspondais bien au rôle. On va bientôt tourner un long métrage adapté de la série. Ce sera un film de gangsters, mais avec une touche humoristique. »

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ZITA HANROT Après plusieurs petits rôles au cinéma (Radiostars de Romain Levy), Zita Hanrot est choisie pour interpréter l’une des deux filles de l’héroïne de Fatima de Philippe Faucon, sorti en octobre dernier. Elle tiendra un des rôles principaux du prochain film de Rachida Brakni, De sas en sas. R. S. « Pour Fatima, je me suis mis énormément la pression. C’était mon premier rôle important. Philippe voulait qu’on soit le plus naturel possible, sans être dans le pur naturalisme. Il fallait enlever les couches de jeu et arriver à s’abandonner. C’était compliqué, on faisait jusqu’à trente prises… Mais c’était aussi très enrichissant. J’ai eu l’impression d’aller très loin, au plus profond de moi-même. J’ai traversé des phases de doute immense ; mais j’aime me faire peur. J’aimerais bien être dirigée par Maïwenn, je suis sensible au côté animal, à fleur de peau, de ses personnages. »

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STACY MARTIN Révélée par Lars von Trier dans Nymphomaniac, actuellement à l’affiche de Taj Mahal de Nicolas Saada, la jeune Franco-Britannique poursuit une carrière internationale prometteuse : les tournages de deux films américains et d’un film anglais (In Darkness d’Anthony Byrne) l’attendent pour 2016. J. R. « Taj Mahal est basé sur une histoire vraie [l’attentat contre l’hôtel Taj Mahal à Bombay en 2008, ndlr], mais le film a un message qui dépasse le fait divers : quelle responsabilité a-t-on en tant que citoyen ? Le lien entre humains est nécessaire, mais comment le maintient-on, comment l’encourage-t-on ? Depuis Nymphomaniac, on me dit souvent que je suis une actrice courageuse, mais je pense que c’est lié au fait que je suis une femme. J’ai joué des rôles qui demandent beaucoup, mais bon, on ne dit jamais à un acteur masculin qu’il prend des risques ou qu’il est courageux. »

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les F I L M S du 9 déc. au 27 janv. LE GRAND JEU

Nicolas Pariser livre un thriller politique au flegme magnétique. P. 70

Au-delà des montagnes

Jia Zhang-ke se pose en fin observateur d’un monde en déshérence. P. 76

le Garçon et la Bête

Mamoru Hosoda poursuit ses réflexions sur la transmission. P. 84

Back Home Après Nouvelle Donne et Oslo. 31 août, le cinéaste norvégien Joachim Trier confirme la puissance de son regard avec ce film plus mature, portrait éclaté et éclatant d’une famille en deuil. PAR RENAN CROS

Trois hommes, un père et ses deux fils, hantés par des femmes, mais surtout une, leur épouse et mère, photographe de renom, décédée quelques années plus tôt dans un accident de voiture. Par fragments, alternant les points de vue et les temporalités, Joachim Trier organise la vie de ces garçons tristes comme un puzzle impossible à résoudre. À Cannes, où le film était présenté en compétition, le réalisateur nous proposait de le voir comme « un gigantesque chaos qui raconte notre besoin irrémédiable d’entraide et d’amour ». Complexe, le film ne dépeint pas tant une histoire « qu’un sentiment profond et indistinct, une mélancolie, qui parcourt les personnages à un moment de leur vie ». Entre un père désemparé (retour en grâce de Gabriel Byrne), un jeune homme trop sérieux pour être heureux (parfait Jesse Eisenberg) et un ado fracassé (la révélation Devin Druid, bouleversant), le ballet de ces solitudes masculines ne sombre pourtant jamais dans le mélodrame. Construit sur des non-dits, des secrets parfois minimes mais souvent dévastateurs, le film instaure une tension latente, comme une Cocotte-Minute prête à exploser. Si, comme à son habitude, sa représentation des tourments de l’adolescence est juste et subtile, le regard sur la maturité et la vie d’adulte se révèle étonnamment amer et donne au film une étrange

tonalité résignée. Pourtant, Trier réfute : « Ce n’est pas de l’amertume ou même du désespoir. Je trouve un certain courage au père et à l’aîné, qui se prennent les vérités de la vie en pleine tête et cherchent un moyen de vivre avec. L’adolescent, lui, est encore dans la rêverie. Grandir, c’est ne plus se raconter d’histoires. » Marqué par le bruissement et la fureur des pièces de Tchekhov, le cinéaste pense donc Back Home comme « une histoire de langage, une quête difficile pour enfin se rapprocher des gens que l’on aime ». Au centre du film, Isabelle Huppert incarne la mère absente, la béance, le chaînon manquant. Le récit, comme les personnages, tourne autour de son souvenir et ressasse les attitudes, les sourires et les larmes qui pourraient enfin donner une réponse. Mais, refusant le pathétique, Trier préfère offrir l’union tant espérée à ces hommes malheureux par des touches légères, de petites bulles pop qui font éclater le cœur du spectateur. Back Home raconte la perte et les retrouvailles comme les pompom girls qui, dans une scène du film, défient l’apesanteur : pour la beauté du geste. de Joachim Trier avec Isabelle Huppert, Gabriel Byrne… Distribution : Memento Films Durée : 1h49 Sortie le 9 décembre

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Au cœur de l’océan PAR LOUIS BLANCHOT

Après son trépidant Rush, Ron Howard met à nouveau en scène une lutte entre deux rivaux ; soit ici deux capitaines, réunis sur le même baleinier et obligés de joindre leur force pour sauver leur équipage des assauts d’un cachalot monstrueux. Honnête croisement entre Le Radeau de la Méduse et Godzilla, le film reconstitue le véritable périple du navire l’Essex qui inspirera à Herman Melville son roman Moby Dick. de Ron Howard avec Chris Hemsworth, Cillian Murphy… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h01 Sortie le 9 décembre

Allende mon grand-père

Cafard PAR Timé Zoppé

PAR RAPHAËLLE SIMON

Plus de trente ans après le coup d’État qui a renversé Salvador Allende, la petite-fille de l’ancien président du Chili ravive les souvenirs familiaux et déterre les non-dits dans un documentaire intime et passionnant. « C’est bientôt fini, cette longue interview ? » se plaint d’une voix chevrotante sa grand-mère. C’est qu’à 90 ans passés, la veuve de Salvador Allende croule sous le poids des années difficiles : la mort de ce dernier durant le coup d’État mené par Augusto Pinochet en 1973, les quinze années d’exil, le suicide de sa fille Beatriz… Sans parler des moments pénibles qu’elle a dû endurer du vivant de son séducteur de mari. Ce sont justement ces souvenirs-là,

intimes et enfouis, que cherche à exhumer la réalisatrice en interviewant les membres de sa famille et en traquant au fond des tiroirs les rares archives familiales qui n’ont pas été perdues dans la bataille. Grand-mère, mère, tantes, frères et cousins : devant la caméra, chacune des trois générations se livre à sa manière, avec ses souvenirs plus ou moins lointains, ses blessures plus ou moins guéries. De cette chasse aux trésors, Marcia Tambutti Allende tire un précieux témoignage historique et un portrait de famille pudique et sensible.

Pendant la Grande Guerre, un champion de lutte s’engage dans un bataillon belge pour venger sa fille, violée par des soldats allemands… Ce film d’animation pour adultes montrant un personnage tourmenté traverser la guerre évoque le puissant Valse avec Bachir d’Ari Folman. Cafard installe une atmosphère tout aussi mélancolique, mais se démarque par une esthétique brute en 3D et une étonnante palette de couleurs tirant vers le fluo.

de Marcia Tambutti Allende Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h37 Sortie le 9 décembre

de Jan Bultheel Animation Distribution : Eurozoom Durée : 1h26 Sortie le 9 décembre

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> VUE SUR MER

Béliers PAR ÉRIC VERNAY

Dans une vallée islandaise aux airs de Far West lunaire, Gummi et Kiddi élèvent des moutons. Lorsqu’une maladie décime leur cheptel, les deux frères qui ont cessé de se parler depuis quarante ans se voient obligés de se rabibocher. Grímur Hákonarson narre ce drame familial dans un écrin de western au réalisme brut de

décoffrage et à l’humour vache. Entre deux salves de fusil à pompe et un coup fourré, le combat fratricide laisse même entrevoir, sous sa cuirasse badass, un émouvant cœur meurtri.

Dix ans après Mr. & Mrs. Smith, Brad Pitt et Angelina Jolie Pitt sont réunis dans Vue sur mer, réalisé par cette dernière. Ils campent un couple qui se déchire le temps d’un voyage sur la Côte d’Azur, où ils croisent les Frenchies Mélanie Laurent et Melvil Poupaud. d’Angelina Jolie Pitt (2h12) Distribution : Universal Pictures Sortie le 9 décembre

de Grímur Hákonarson avec Sigurður Sigurjónsson, Theodór Júlíusson… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h33 Sortie le 9 décembre

> BELLE ET SÉBASTIEN L’AVENTURE CONTINUE

En 1945, le petit Sébastien part, avec sa chienne Belle, à la recherche de sa sœur adoptive disparue dans un accident d’avion… Christian Duguay met à profit son expérience avec des animaux (les chevaux dans Jappeloup) pour cette deuxième adaptation de la série des années 1960. de Christian Duguay (1h38) Distribution : Gaumont Sortie le 9 décembre

Suburra PAR JULIEN DUPUY

Après ACAB. All cops are bastards, Stefano Sollima revient au polar avec ce film choral explorant les coulisses du pouvoir à Rome, des coursives du Vatican aux plages d’Ostie. Suburra sublime son contexte social en structurant son intrigue autour de catastrophes bibliques. Le récit s’articule autour d’un compte à rebours annonçant

le jugement dernier, et l’action est noyée sous une pluie littéralement diluvienne. Ce choc entre peinture réaliste de la criminalité et imagerie mythologique confère au film une puissance rare. de Stefano Sollima avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano… Distribution : Haut et Court Durée : 2h15 Sortie le 9 décembre

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> COSMOS

L’arrivée de deux jeunes hommes dans une pension de famille loufoque est le point de départ d’une intrigue surréaliste et romantique. Quinze ans après La Fidélité, Andrzej Żuławski revient au cinéma avec un film choral qui fait se succéder des saynètes bigarrées. d’Andrzej uławski (1h42) Distribution : Alfama Films Sortie le 9 décembre


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Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin Vingt ans après l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste religieux, Amos Gitaï (Kadosh, Kippour…) revient sur les événements à travers un film hybride qui entremêle avec brio fiction et images d’archives. PAR OLIVIER BAYU GANDRILLE

© barry frydlender

Il fait nuit et il y a du monde : le Premier ministre s’apprête à sortir par l’arrière du bâtiment, mais, d’en bas, le journaliste ne peut pas le voir. Il faudrait un autre angle de vue, idéalement en plongée, pour suivre l’intégralité de son trajet des escaliers jusqu’à la voiture… Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste religieux alors qu’il pénètre dans son auto. Les images manquent pour éclaircir toutes les zones d’ombre de cet événement qui a enterré tout espoir de paix entre Israël et ses voisins. Vingt ans plus tard, Amos Gitaï tente de combler ce vide dans Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, avec l’ambition folle de dégager les angles morts grâce à son cinéma – un cinéma d’équilibriste qui a toujours oscillé entre le documentaire et la fiction. Si, au départ, on est décontenancé par l’imbrication entre archives et reconstitutions, on progresse

3 QUESTIONS À AMOS GITAÏ Pourquoi consacrer, vingt ans après, un film à l’assassinat d’Yitzhak Rabin ?

Plus que quiconque, Yitzhak Rabin a symbolisé l’engagement pour la paix au Moyen-Orient. En cette année 2015, mon cher pays ne va pas très bien. C’était l’occasion de poser une question à la société israélienne, d’essayer de comprendre pourquoi on a voulu assassiner un homme aussi intègre.

avec plus d’assurance dans le film lorsque l’on comprend que tout converge vers un même mouvement : l’introspection d’un pays à un moment de l’histoire où les conséquences de cet assassinat se font plus que jamais sentir, à mesure que les meurtres se multiplient entre Juifs et Arabes en Israël. Des scènes captivantes sur la commission d’enquête aux plans séquences sublimes révélant les esprits retors des extrémistes religieux, le film accumule les points de vue et creuse des espaces d’interprétation dans lesquels le spectateur s’engouffre, à la recherche non plus de l’image qui manque, mais des mots qui font défaut pour donner sens à l’insensé. d’Amos Gitaï avec Ischac Hiskiya, Einat Weizman… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h30 Sortie le 16 décembre

PROPOS RECUEILLIS PAR O. B. G.

Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre images d’archives et reconstitutions ? C’était toute la difficulté. Nous avons décidé d’inclure des extraits de discours télévisés – leur force est telle qu’il n’était ni souhaitable ni nécessaire de les recréer – en nous demandant comment les transposer dans une forme cinématographique.

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Vous recourez à une multitude de points de vue pour expliquer l’événement…

Nous avons épluché de nombreux documents datant de la période précédant le meurtre ainsi que des mois qui ont suivi. Il était difficile de passer à côté des attaques très violentes dont Rabin a fait l’objet de la part de rabbins, d’hommes politiques et d’autres figures de la vie publique.


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Le Grand Jeu Parcouru de paradoxes, de passions à contretemps et de bons mots, le premier long métrage de Nicolas Pariser réunit Melvil Poupaud et André Dussollier dans un thriller politique au flegme magnétique. PAR ÉRIC VERNAY

Le thriller politique fait rarement bon ménage avec le cinéma français. À quelques rares exceptions près, comme Les Patriotes d’Éric Rochant ou Triple agent d’Éric Rohmer, il donne souvent l’occasion à nos cinéastes d’illustrer le complexe d’infériorité qu’ils nourissent à l’égard du grand frère américain – à trop vouloir singer celui-ci, leurs tentatives se perdent dans le pastiche involontaire. Nicolas Pariser l’a bien compris. Son thriller ne cherche pas la tension dans une quelconque débauche d’action, mais au cœur des dialogues, savamment aiguisés. La première rencontre entre Pierre Blum, un écrivain quadragénaire précocement has been (Mevil Poupaud), et le mystérieux homme de pouvoir Joseph Paskin (André Dussollier) est à ce titre exemplaire : multipliant les traits d’esprit sur un ton faussement badin, l’échange verbal entre ces deux joueurs (on

> L’HUMOUR À MORT

Le 7 janvier 2015, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a été la cible d’un attentat terroriste sans précédent. Un an plus tard, Daniel et Emmanuel Leconte reviennent sur les événements dans un documentaire instructif mêlant images d’archives et entretiens exclusifs. de Daniel et Emmanuel Leconte (1h30) Distribution : Pyramide Sortie le 16 décembre

est d’ailleurs sur la terrasse d’un casino) s’avère aussi intense et subtil qu’une séance d’interrogatoire de la C.I.A. Blum se voit chargé par Paskin d’écrire anonymement un livre d’appel à l’insurrection pour anéantir le ministre de l’Intérieur… Librement inspiré de l’affaire de Tarnac, le film place son héros intello entre deux feux périlleux (les hautes sphères du pouvoir d’un côté, l’activisme d’extrême gauche de l’autre), auxquels vient s’ajouter la flamme, plus imprévisible encore, de l’amour. Le film surprend en permanence. Tortueux mais ludique, cérébral mais incarné, anti­spectaculaire mais haletant, il conjure ses contradictions en un élégant oxymore. de Nicolas Pariser avec Melvil Poupaud, André Dussollier… Distribution : Bac Films Durée : 1h39 Sortie le 16 décembre

> L’ATTENTE

En deuil de son fils dans sa villa sicilienne, Anna (Juliette Binoche) reçoit la visite de Jeanne (Lou de Laâge), la petite amie du défunt, dont elle ignorait l’existence. Étrangement, Anna lui cache la mort du jeune homme… Piero Messina signe un premier film pudique et doux. de Piero Messina (1h40) Distribution : Bellissima Films Sortie le 16 décembre

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> LA CHAMBRE INTERDITE

Le trublion canadien Guy Maddin nous plonge dans un sous-marin où l’oxygène manque, avant de déployer un récit expérimental à tiroirs, aussi dense que le style visuel du film. On y croise notamment Mathieu Amalric, Amira Casar et une moustache qui parle. de Guy Maddin et Evan Johnson (1h59) Distribution : Ed Sortie le 16 décembre


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> LE NOUVEAU

My Skinny Sister PAR É. V.

Sanna Lenken a été sujette à des troubles du comportement alimentaire durant son adolescence. Après avoir réalisé un court métrage sur le sujet, elle s’y intéresse de nouveau à travers le récit d’une relation compliquée entre deux sœurs dont l’aînée souffre d’anorexie. Au lieu d’en faire l’héroïne d’un film dossier en forme de spot préventif, la

cinéaste suédoise a la bonne idée de se concentrer sur la cadette. Partagé entre agacement et tendresse, jalousie et inquiétude, son regard enfantin apporte une respiration fantaisiste bienvenue. de Sanna Lenken avec Rebecka Josephson, Amy Deasismont… Distribution : Urban Durée : 1h35 Sortie le 16 décembre

Rejeté par les « cools » dans son nouveau collège, Benoît se retrouve avec les « sans-amis » – le bouboule en costard, l’intello je-sais-tout… Sans révolutionner le genre, ce teen movie fait mouche avec sa galerie de personnages cabossés, drôles et attachants. de Rudi Rosenberg (1h21) Distribution : Mars Sortie le 23 décembre

> À PEINE J’OUVRE LES YEUX

Dans les mois précédant la révolution tunisienne, Farah, 18 ans, chante dans un groupe de rock, sort et boit de l’alcool ; un comportement que sa mère voit d’un mauvais œil… Leyla Bouzid dresse le portrait d’une femme libre avant l’heure. de Leyla Bouzid (1h42) Distribution : Shellac Sortie le 23 décembre

La Vie très privée de monsieur Sim

> LA MONTAGNE MAGIQUE

PAR R. S.

Divorcé et sans ami, François Sim accepte une mission de représentant en brosses à dents en poils de sanglier dans le sud de la France… Dans cette chronique caustique de la solitude adaptée du génial roman de Jonathan Coe, Michel Leclerc (Le Nom des gens) raconte l’errance loufoque et désespérée (et délicieusement menée par Jean-Pierre

Bacri) d’un homme qui se perd partout : sur les routes, dans sa tête (il tombe amoureux de la voix de son GPS) et dans la société (il ne sait pas s’y prendre avec les femmes, sa fille, les gens). de Michel Leclerc avec Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric… Distribution : Mars Durée : 1h42 Sortie le 16 décembre

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Porté par la voix caverneuse du chanteur Miossec, le nouveau film d’animation d’Anca Damian (Le Voyage de monsieur Crulic) conte l’histoire vraie d’Adam Jacek Winkler, un Polonais réfugié à Paris avant de partir aider le commandant Massoud en Afghanistan dans les années 1980. d’Anca Damian (1h25) Distribution : Arizona Films Sortie le 23 décembre


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Pauline s’arrache PAR RAPHAËLLE SIMON

Dans ce premier film documentaire, Émilie Brisavoine suit le quotidien survolté de sa demisœur de 15 ans, qui passe son temps à s’arracher la gueule avec ses parents (une mère, ex-reine de la nuit, dépressive ; un père, ancien travesti, obsédé par son image), sa sœur (qui a déserté cette maison de fous) et son mec. Le tableau serait bien triste s’il n’était pas coloré par le tempérament de feu de la géniale Pauline. Excessive, drôle, hyper attachante, l’ado en mal d’amour fait le show pour attirer l’attention, et ça marche : il faut la voir beugler de désespoir alors que son mec ne répond pas à son cinquantième coup de fil, ou inventer des métaphores toutes personnelles, comme après qu’elle a démêlé un problème familial :

« J’ai l’impression que mon cerveau vient de chier. » Si l’approche immersive fait parfois un peu téléréalité, le film profite de vraies propositions de montage, en jouant notamment avec des archives vidéo familiales. Dans l’une d’elles, on voit le père déguisé en Marilyn, et Pauline, en jeune princesse – depuis toujours,

dans la famille, on joue la comédie par peur de grandir. Avec une certaine agilité, la réalisatrice parvient à saisir ces moments furtifs où les masques tombent et où la vérité s’échappe.  d’Émilie Brisavoine Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h28 Sortie le 23 décembre

The Big Short Le casse du siècle PAR JULIEN DUPUY

Pou r s o n pr e m i e r f i l m « sérieux », le réalisateur américain s’attaque aux requins de Wall Street dans une mise au jour à la fois cartésienne et émouvante des crimes qui ont conduit à la crise de 2007. Adam McKay n’a jamais caché son dégoût pour la réussite à l’américaine, moquant le mercantilisme

du sport automobile dans Ricky Bobby. Roi du circuit, la culture de la gagne des cadres supérieurs dans Frangins malgré eux et les financiers véreux dans Very Bad Cops. Pour sa première échappée en dehors de la pure comédie, l’auteur réalisateur revient sur les événements qui ont abouti à la crise de 2007, pour mieux dénoncer la

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décadence du monde de la finance et son impact sur les populations les plus vulnérables. Extrêmement documenté, The Big Short noie les spectateurs sous les informations, pour mieux les repêcher avec quelques séquences didactiques hilarantes, ou des bouffées d’émotion pure qui détonnent au milieu de cet océan de subprimes et de fonds de placement. Car ce démontage en règle du système a l’intelligence de toujours ramener l’humain au cœur de la problématique. Tant et si bien que, au-delà d’un imparable réquisitoire contre le capitalisme sauvage, The Big Short est un magnifique film de personnages. d’Adam McKay avec Brad Pitt, Christian Bale… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h10 Sortie le 23 décembre


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Au-delà des montagnes Film somme du réalisateur chinois Jia Zhang-ke, Au-delà des montagnes, en Compétition officielle au dernier Festival de Cannes, traverse les époques pour se poser en fin observateur d’un monde en déshérence. PAR LAURA PERTUY

À l’aube des années 2000, la ville de Fenyang voit s’épanouir un trio amoureux composé d’amis d’enfance. La sémillante Tao est courtisée par Zhang, jeune et ambitieux propriétaire d’une station-service, mais aussi par l’honnête Liangzi, qui travaille dans une mine. Alors que la Chine connaît une mutation aussi brusque qu’irréversible, et qu’une grande partie de sa population abandonne les contrées rurales pour gagner des villes futuristes, Tao doit choisir entre ses deux prétendants. Si la lecture métaphorique du film est limpide, avec notamment un enfant prénommé Dollar et un hymne entêtant qui vante les mérites de l’Occident (« Go West » des Pet Shop Boys), c’est pour mieux accueillir la vague mélancolique qui intéresse tant le réalisateur. « Même si les montagnes disparaissent, les émotions demeurent », dit le proverbe chinois qui guide le récit chronologique, organisé en

> JOY

David O. Russell (Happiness Therapy, American Bluff) retrouve son actrice fétiche, Jennifer Lawrence, pour ce biopic de l’inventrice du balai à vapeur (dit miracle mop), ou le parcours exemplaire, sur près de quarante ans, d’une desperate housewife devenue millionnaire. de David O. Russell (2h05) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 30 décembre

trois chapitres et autant de formats d’image. Dans la deuxième partie du film, alors que tous l’ont quittée, Tao tente de ne pas sombrer face au spleen. La vague qu’elle dessine de la main à plusieurs reprises semble dire son envie d’ailleurs tout autant que son incapacité à écouter ses sentiments. On repense à Platform (2000), le deuxième film de Jia, dans lequel Zhao Tao et Jing Dong Liang s’illustraient déjà, cette fois au sein d’une troupe de théâtre opposée à l’ouverture incontrôlée du pays. Dans Au-delà des montagnes, les personnages qu’ils incarnent ont les traits un peu plus fatigués, des postures un peu moins réactionnaires, et ils ne parviennent même plus à aimer. de Jia Zhang-ke avec Zhao Tao, Jing Dong Liang… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h06 Sortie le 23 décembre

> JE COMPTE SUR VOUS

Gilbert Perez est passé maître dans l’art de la manipulation et de l’escroquerie : à l’aide de dizaines de téléphones portables, il multiplie les arnaques et les millions… Au centre de ce thriller plutôt comique et rythmé, Vincent Elbaz convainc en séducteur. de Pascal Elbé (1h38) Distribution : Rezo Films Sortie le 30 décembre

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> SHANGHAI BELLEVILLE

Les destins de trois Chinois à la recherche d’un avenir meilleur se croisent dans les rues de Belleville. Portée par ces personnages tantôt maladroits tantôt rêveurs, l’enquête sociologique est sublimée par un bel équilibre entre le burlesque et le fantastique. de Show-Chun Lee (1h15) Distribution : Zootrope Films Sortie le 30 décembre


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Hector PAR MEHDI OMAÏS

Les lendemains incertains, la faim chevillée au corps, le froid… Tel est le quotidien d’Hector, SDF au grand cœur. À l’approche de Noël, ce dernier trouve un peu de chaleur dans un refuge londonien et tente de renouer avec sa famille. Jake Gavin, dont c’est le premier film, s’appuie sur la prestation tout en intériorité de Peter Mullan pour brosser le portrait touchant d’un homme digne. de Jake Gavin avec Peter Mullan, Keith Allen… Distribution : Eurozoom Durée : 1h26 Sortie le 30 décembre

Argentina PAR QUENTIN GROSSET

Kalo Pothi

Un village au Népal PAR HENDY BICAISE

Au Népal, en 2001, deux jeunes garçons profitent d’un cessezle-feu pendant la guerre civile pour se trouver une occupation : ils vont élever une poule et vendre ses œufs aux habitants de leur village. Min Bahadur Bham filme leur aventure à hauteur d’enfant. Seulement, dans son cas, cela ne signifie pas simplement placer la caméra à 140 centimètres du sol ou bien déréaliser la situation en laissant un imaginaire lié à l’enfance prendre le dessus. Sa proposition est plus subtile. Le contexte politique, lié aux affrontements en suspens entre le gouvernement népalais et les révolutionnaires maoïstes, apparaît ici délibérément en filigrane. La

complexité du conflit et son incidence sur le quotidien du village se dévoilent par petites touches. Dès lors, si l’intrigue privilégie l’anecdote à la leçon d’histoire (cette affaire de poule fait tout un foin), c’est précisément pour faire épouser au spectateur le regard des enfants plutôt que celui des adultes. Si bien que, lorsque la guerre reprend soudainement ses droits après une parenthèse faussement enchantée, le retour à la réalité n’en est que plus brutal, et la violence ne s’en ressent que plus intensément.

Flamenco (1995), Tango (1998), Fados (2009)… Carlos Saura a maintes fois rendu hommage aux traditions musicales qui racontent la société et l’histoire d’un pays. Le réalisateur poursuit dans cette veine avec ce documentaire, qui enchaîne les performances de groupes révélant la diversité sonore de l’Argentine. Le cinéaste espagnol donne une ampleur visuelle saisissante à ces prestations chantées et dansées grâce aux écrans et miroirs qui investissent l’espace scénique.

de Min Bahadur Bham avec Khadka Raj Nepali, Sukra Raj Rokaya… Distribution : Les Acacias Durée : 1h30 Sortie le 30 décembre

de Carlos Saura Documentaire Distribution : Épicentre Films Durée : 1h27 Sortie le 30 décembre

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> ARRÊTEZ-MOI LÀ

Beijing Stories PAR H. B.

Trois destins à Beijing (l’autre nom de Pékin) : Xiao Yun a perdu ses illusions en devenant go-go danseuse, Yong a perdu la vue sur un chantier, et Jin redoute de perdre sa maison. Trois personnages tourmentés et désorientés, à l’image de Yong déambulant à tâtons dans l’ancien bunker labyrinthique où il vient d’emménager, et qui auraient

grandement besoin d’une main pour les guider vers un avenir meilleur. Autant de visages que l’on n’oublie pas, tout comme « Day by Day », la sublime ballade cold-wave qui referme le film. de Pengfei avec Ying Ze, Luo Wenjie… Distribution : Urban Durée : 1h15 Sortie le 6 janvier

Chauffeur de taxi à Nice, Samson Cazalet (Reda Kateb) est victime d’un malentendu qui l’envoie derrière les barreaux. Oscillant entre le thriller et le burlesque, le film suit Reda Kateb (en innocent) et Gilles Cohen (en avocat loufoque) qui se débattent contre la machine judiciaire. de Gilles Bannier (1h34) Distribution : EuropaCorp Sortie le 6 janvier

> LES HUIT SALOPARDS

Périple à travers les États-Unis, fusillades, clins d’œil au cinéma bis et autocitations : en plus d’une distribution alléchante (Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh…), le nouveau Tarantino réunit les meilleurs ingrédients du cinéaste culte. de Quentin Tarantino (2h47) Distribution : SND Sortie le 6 janvier

Je vous souhaite d’être follement aimée PAR JULIETTE REITZEr

La quête d’Élisa (Céline Sallette, sur le fil) pour retrouver sa mère biologique, qui l’a abandonnée à la naissance, la pousse à plaquer son mari et sa vie parisienne pour s’installer à Dunkerque avec son fils, Noé (Elyes Aguis), lui-même fortement marqué par la recherche identitaire de la jeune femme. Le film s’égare un peu dans sa volonté

de suivre avec une égale attention ses différents personnages. C’est quand il s’arrime au portrait tout en nuances d’Élisa, tantôt fascinante, tantôt indéchiffrable, qu’il est le plus réussi. d’Ounie Lecomte avec Céline Sallette, Anne Benoît… Distribution : Diaphana Durée : 1h40 Sortie le 6 janvier

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> LA FILLE DU PATRON

Vital, chef d’atelier et père de famille, est troublé par l’arrivée d’Alix, la fille de son employeur, dans l’entreprise où elle mène à bien une étude sur les conditions de travail… Olivier Loustau réalise une romance enflammée sur fond de conflit de classes. d’Olivier Loustau (1h38) Distribution : Wild Bunch Sortie le 6 janvier


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Early Winter PAR R. S.

David sent sa femme lui échapper. Courageux, Michael Rowe (Année bissextile) ne s’intéresse pas au couple par le prisme de la passion, mais par celui, moins glamour, du temps : comment survit l’amour à l’épreuve de la routine et des désillusions ? Épousant le point de vue (et la paranoïa) du mari, le film dessine l’émouvant portrait de cet homme accablé par la vie, qui, à force d’abnégation, tente de sauver son couple du naufrage pour garder la tête hors de l’eau.  de Michael Rowe avec Paul Doucet, Suzanne Clément… Distribution : Pyramide Durée : 1h36 Sortie le 6 janvier

Janis PAR T. Z.

Toto et ses sœurs PAR ADRIEN DÉNOUETTE

Dans les faubourgs pauvres de Bucarest, Totonel, 10 ans, vivote entre l’école publique, la rue et le studio parental, reconverti par ses oncles en salle de shoot. Un tableau brut où gravitent, outre une mère incarcérée pour trafic d’héroïne, deux grandes sœurs, dont l’aînée, tourmentée par la drogue, sombre elle aussi dans les eaux troubles de la dépendance. C’est peu dire que, entre les nuits blanches et les visites au parloir, rien ne laissait présager une histoire à l’issue féerique. Or, c’est bien au milieu de cette misère souveraine que le destin, sous le regard patient d’Alexander Nanau, finit par frapper à la porte de Toto. Initié avec ses camarades de classe au

breakdance, le gavroche s’entraîne d’arrache-pied, avant de grimper, comme dans un rêve éveillé, sur le podium d’une prestigieuse compétition locale. Pour autant, l’œil toujours rivé sur la vétusté du décor, le documentariste ne se laisse pas leurrer par le miracle. Et si Toto et ses sœurs ne fait planer aucune fausse promesse quant à l’avenir de ses personnages, sa force consiste avant tout à rappeler, malgré la sobriété qu’impose le sujet, une vérité des plus simples : les plus beaux contes de fées naissent toujours là où l’on ne s’y attend pas.

Retour sur le parcours fulgurant de la chanteuse, morte d’une overdose d’héroïne à 27 ans. Janis mêle des interviews de ses proches avec des images d’archives, sur lesquelles des lettres adressées à ses parents sont lues par la chanteuse Cat Power. Chronologique, le film revient sur les névroses de cette artiste ultrasensible, fragilisée par sa personnalité marginale et son élection comme « garçon le plus moche » de sa fac.

d’Alexander Nanau Documentaire Distribution : JHR Films Durée : 1h34 Sortie le 6 janvier

d’Amy Berg Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h43 Sortie le 6 janvier

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Le Garçon et la Bête Inspiré des monstres folkloriques nippons, de la légende chinoise du roi des singes et du conte de La Belle et la Bête, Mamoru Hosoda poursuit ses réflexions sur la famille et la transmission. PAR JULIEN DUPUY

Depuis Summer Wars (2010), il semble évident que Mamoru Hosoda est l’un des plus grands réalisateurs japonais en activité. Avec Le Garçon et la Bête, on voit très clairement se dessiner ses obsessions d’auteur. Comme dans son film La Traversée du temps (2007), Hosoda use d’une intrigue fantastique pour mieux structurer un récit initiatique qui suit son héros alors que celui-ci passe de l’adolescence à l’âge adulte. Et comme dans Summer Wars, il explore la complexité des liens familiaux, tour à tour étouffants ou salvateurs. Ici, Kyuta, un garçon orphelin, tente de se reconstruire une cellule familiale en fuyant Tokyo pour rejoindre Jutengai, un univers parallèle peuplé de bêtes humanoïdes. Il se place alors volontairement sous la tutelle d’une brute au grand cœur, l’ours Kumatetsu. Si les liens avec les premiers films de Hosoda sont indéniables, Le Garçon et la Bête renvoie surtout à la précédente

> ARRÊTE TON CINÉMA !

Une actrice célèbre s’apprête à réaliser son premier film, mais son insouciance et ses productrices ingérables (Josiane Balasko et Zabou Breitman) lui promettent quelques déconvenues… Diane Kurys (Diabolo menthe) adapte un roman de Sylvie Testud, qui tient le rôle principal. de Diane Kurys (1h30) Distribution : Bac Films Sortie le 13 janvier

œuvre du cinéaste, Les Enfants loups. Ame & Yuki (2012). Tandis que ce dernier film s’intéressait à la maternité, l’histoire de Kyuta et Kumatetsu se focalise sur les enjeux liés à la paternité. Entre ces films miroirs, l’auteur, aujourd’hui père, a évolué : là où la relation entre la mère et les enfants loups restait unilatérale, ici, parents comme enfants ne peuvent se réaliser que dans l’échange. Car les épreuves qui jalonnent le parcours des héros du Garçon et la Bête font autant grandir Kyuta que son butor de père adoptif. Si le propos de Hosoda tranche avec la pensée majoritaire nippone, dans laquelle le legs des anciens est volontiers écrasant, il est surtout une ode drôle et poétique aux joies inattendues de l’éducation. de Mamoru Hosoda Animation Distribution : Gaumont Durée : 1h58 Sortie le 13 janvier

> CREED. L’HÉRITAGE DE ROCKY BALBOA

Longtemps après avoir raccroché les gants, Rocky Balboa accepte d’entraîner le fils de son ancien adversaire et ami Apollo Creed. Ce prequel, confié au jeune Ryan Coogler (Fruitvale Station), s’annonce réjouissant. de Ryan Coogler (2h12) Distribution : Warner Bros. Sortie le 13 janvier

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> ET TA SŒUR

Pierrick s’isole dans la maison de campagne de son amie Tessa où il rencontre la drôle de demi-sœur de celle-ci… Après Les Beaux Jours (2013), avec Fanny Ardant, Marion Vernoux met une nouvelle fois en avant le talent de ses actrices : Virginie Efira et Géraldine Nakache rayonnent. de Marion Vernoux (1h35) Distribution : Le Pacte Sortie le 13 janvier


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Bang Gang PAR É. V.

Une bande d’ados organise de grandes fêtes sexuelles… Inspirée de faits réels, cette parenthèse hédoniste convoque une certaine frange du cinéma U.S. (Larry Clark, Gus Van Sant…). Un peu artificiel dans sa volonté d’encapsuler l’esprit de la génération Y (YouTube, MDMA, porno banalisé) tout en restant dans un espace hors du temps, le premier film d’Eva Husson dégage pourtant un vrai charme hypnotique.  d’Eva Husson avec Finnegan Oldfield, Marilyn Lima… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h38 Sortie le 13 janvier

A Second Chance Par J. R.

Je suis le peuple PAR HENDY BICAISE

De janvier 2011 à l’été 2013, Anna Roussillon a filmé une famille de la vallée de Louxor, à 700 kilomètres du Caire. La capitale est alors secouée par les bouleversements de la révolution égyptienne : la première manifestation place Tahrir et la démission de Hosni Moubarak, l’indécision politique qui a suivi, puis l’élection de Mohamed Morsi et son rejet express. Com­ ment vit-on le changement si loin de l’épicentre ? La documentariste trouve la réponse en s’éloignant plus encore : ses allers-­ retours entre la France et l’Égypte imposent une narration morcelée dont elle parvient à tirer profit, la cadence aléatoire de ses

séjours traduisant, plus encore que les images du quotidien de ces villageois, les changements qui s’opèrent ou non dans le pays, et leur impact sur les mentalités. Sans jamais quitter sa poignée de personnages, Anna Roussillon finit par évoquer le « printemps arabe », certes par le petit bout de la lorgnette, mais avec une acuité rare. Elle y est aidée aussi par un personnage secondaire inquiétant : le téléviseur familial, qui mute discrètement de vecteur d’information à pierre angulaire de la réflexion commune.

La Danoise Susanne Bier (After the Wedding, Revenge) place Nikolaj Coster-Waldau (Jaime Lannister dans la série Game of Thrones) au centre d’un thriller nerveux et captivant qui doit beaucoup à son scénario retors. Pour tenter d’apaiser la douleur de sa femme après la mort de leur nourrisson, un policier dérobe le bébé d’un couple de junkies. L’idée est évidemment mauvaise, mais les conséquences inattendues.

d’Anna Roussillon Documentaire Distribution : Docks 66 Duré : 1h51 Sortie le 13 janvier

de Susanne Bier avec N. Coster-Waldau, M. Bonnevie… Distribution : KMBO Durée : 1h42 Sortie le 13 janvier

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> CHORUS

Les Chevaliers blancs PAR Q. G.

Le Belge Joachim Lafosse s’inspire de l’histoire vraie des membres de l’association l’Arche de Zoé qui, en 2007, avaient fait sortir une centaine d’enfants du Tchad en prétendant qu’ils étaient orphelins pour les faire adopter en France. En filmant les meneurs de l’O.N.G. (incarnés par Vincent Lindon et

Louise Bourgoin) en conflit avec leur propre morale, le réalisateur tire une fiction tendue, qui interroge les relents postcolonialistes de cette affaire.

Un homme et une femme sont réunis quand le corps de leur petit garçon est retrouvé, plusieurs années après sa disparition… Ce drame québécois, au scénario parfois poussif, est porté par un bouleversant duo d’acteurs : Sébastien Ricard et Fanny Mallette. de François Delisle (1h37) Distribution : UFO Sortie le 20 janvier

de Joachim Lafosse avec Louise Bourgoin, Vincent Lindon Distribution : Le Pacte Durée : 1h52 Sortie le 20 janvier

> PARIS-WILLOUBY

Menée par Isabelle Carré et Stéphane De Groodt, une famille part sur les routes de France pour se rendre à l’enterrement d’un aïeul. Dans la veine de Little Miss Sunshine (2006), le film décompose et recompose les liens familiaux avec humour et tendresse. d’Arthur Delaire et Quentin Reynaud (1h23) Distribution : Mars Sortie le 20 janvier

The Danish Girl PAR Q. G.

Tom Hooper (Les Misérables) livre un biopic tourmenté (le film donne un peu trop dans le pathos sans interroger le caractère militant du combat des protagonistes) mais souvent émouvant de la vie de l’artiste danoise Lili Elbe, née Einar Wegener, première personne à avoir bénéficié d’une opération de réattribution sexuelle en 1930. Si

Eddie Redmayne s’en sort de façon très honorable dans le rôle exigeant de cette pionnière transgenre, c’est surtout Alicia Vikander qui, dans le rôle de sa compagne, impressionne par son aisance. de Tom Hooper avec Eddie Redmayne, Alicia Vikander… Distribution : Universal Pictures Durée : 2h Sortie le 20 janvier

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> LES ÉLUES

Dans ce film sec et désenchanté, David Pablos filme Ulises et Sofia, deux adolescents amoureux à Tijuana. La famille du garçon, à la tête d’un réseau de prostitution, contraint la jeune fille à vendre son corps. Ulises va tout faire pour qu’elle sorte de cette situation… de David Pablos (1h45) Distribution : ARP Sélection Sortie le 20 janvier


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Spotlight Présenté hors compétition à la dernière Mostra de Venise, Spotlight revient sur la remuante investigation du Boston Globe qui, dans les années 1990, démasqua un effroyable scandale pédophile couvert par l’Église catholique. PAR LOUIS BLANCHOT

Des Hommes du président d’Alan J. Pakula à Erin Brokovich de Steven Soderbergh, la fiction d’investigation a toujours eu les faveurs du cinéma américain. Il faut dire que le genre a un double mérite : d’un côté, lutter contre l’omerta institutionnelle en faisant la lumière sur un scandale ; de l’autre, rendre hommage à ces enquêteurs de l’ombre qui, dans leur coin, méthodiquement, s’emploient à la manifestation de la vérité. Spotlight se penche ainsi sur une équipe de journalistes du Boston Globe spécialisés dans l’investigation au long cours. En rouvrant un dossier sensible (une histoire d’abus d’enfants par un prêtre qui aurait été couvert par sa hiérarchie), ils vont progressivement découvrir une affaire aux ramifications toujours plus profondes, compromettant l’Église dans son ensemble autant que les notables de la ville. La force

> JE VEUX ÊTRE ACTRICE

En filmant Nastasjia, sa fille de 10 ans qui rêve de devenir actrice, alors qu’elle interroge des comédiens célèbres (Michael Lonsdale, Micheline Presle…), le cinéaste Frédéric Sojcher montre comment un esprit candide se voit façonné par une parole emplie de sagesse. de Frédéric Sojcher (1h02) Distribution : autodistribué Sortie le 20 janvier

du film consiste à se fondre dans l’intime et le quotidien de cette enquête (couronnée par un prix Pulitzer en 2003) à travers un beau portrait de la fourmilière journalistique, où chacun s’affaire stylo et carnet à la main dans une ambiance studieuse et modeste. Alternant récolte d’indices et phases d’emballement de l’intrigue, le récit maintient un rythme ronronnant, presque pépère, qui pourrait même se révéler lénifiant si le film ne profitait pas d’un casting concerné – Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, tous impeccables de retenue dans cet éloge de la collaboration et de la témérité. de Thomas McCarthy avec Michael Keaton, Mark Ruffalo… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h08 Sortie le 27 janvier

> J’AVANCERAI VERS TOI AVEC LES YEUX D’UN SOURD

La réalisatrice, entendante, explore ce que cela signifie, aujourd’hui en France, d’être sourd, en suivant militants et familles dans leur quotidien. Grâce à son regard bienveillant et à son humilité, ce documentaire parvient à raconter un univers où le geste est roi. de Laetitia Carton (1h30) Distribution : Épicentre Films Sortie le 20 janvier

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> LE CHANT DU MERLE

Coulant des jours tranquilles en Corrèze, Aurélie voit sa vie chavirer quand elle tombe sous le charme d’un représentant de commerce qui cache un lourd secret… Frédéric Pelle prend le pouls du village dans lequel il a tourné, intégrant quelques habitants au casting. de Frédéric Pelle (1h20) Distribution : JML Sortie le 20 janvier


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> JANE GOT A GUN

Les Premiers, les derniers PAR T. Z.

Deux chasseurs de primes doivent récupérer un téléphone volé avant que son contenu ne soit découvert. Dans leur périple à travers des villages paumés, ils croisent la route d’un jeune couple en fuite… Si son scénario se laisse un peu déborder par les bons sentiments, le réalisateur et comédien Bouli Lanners n’a pas son pareil pour filmer la

campagne belge ou française comme un paysage de western. Le ciel est lourd, les pick-up prennent l’allure de chevaux, et chaque intrusion humaine vient troubler la nature avec son lot de violence.

Natalie Portman vire la robe et prend les flingues dans ce western féministe. Elle campe la femme d’un truand, obligée de défendre sa famille lorsque celui-ci se retourne contre son clan. Ewan McGregor est méconnaissable en méchant à la tignasse noir de jais. de Gavin O’Connor (1h37) Distribution : Mars Sortie le 27 janvier

de Bouli Lanners avec Albert Dupontel, Bouli Lanners… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h45 Sortie le 27 janvier

> LES SAISONS

Après Le Peuple migrateur ou Océans, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud continuent dans le documentaire animalier aux allures de blockbuster. Ils se penchent ici sur l’histoire de notre planète de l’âge de glace à nos jours, du point de vue du monde sauvage. de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud (1h35) Distribution : Pathé Sortie le 27 janvier

Legend PAR T. Z.

Ce biopic retrace l’ascension puis la chute des jumeaux Reggie et Ronnie Kray, deux célèbres gangsters londoniens qui régnèrent sans partage sur le quartier de l’East End dans les années 1950 et 1960. Pour incarner les deux frères, un Tom Hardy en grande forme laisse libre cours aux deux grandes tendances de son jeu : le versant

classe et charmeur pour Reggie, et la facette sombre et bestiale pour Ronnie, qui était probablement schizophrène. Si le film accuse quelques longueurs, il ne manque pas de panache ni de drôlerie. de Brian Helgeland avec Tom Hardy, Emily Browning… Distribution : StudioCanal Durée : 2h11 Sortie le 27 janvier

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> 13 HOURS

Le 11 septembre 2012, à Benghazi en Libye, des terroristes s’en prennent à un camp des missions spéciales de l’armée américaine et à une agence de la C.I.A. La caméra de Michael Bay propose une immersion musclée dans cet assaut qui a duré treize heures. de Michael Bay (2h10) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 27 janvier


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Les Délices de Tokyo De La Forêt de Mogari à Still the Water, Naomi Kawase nous a habitués à des récits poétiques en forme d’ode à la nature. Son nouveau film est une occasion de plus de la célébrer à travers le portrait serein et lumineux d’une septuagénaire qui communie avec les éléments. PAR QUENTIN GROSSET

© comme des cinemas

Dans la recette du dorayaki, une spécialité japonaise qui se compose de deux pancakes fourrés d’une préparation aux haricots rouges, chaque étape compte. « Il faut écouter ce que les haricots ont à dire », prévient Tokue, une vieille femme aux mains déformées par la lèpre. Elle frappe à la porte de l’échoppe spécialisée dans les dorayakis de Sentaro et lui propose ses services, elle qui connaît la recette par cœur. Sentaro est un homme que l’on sent brisé par la vie ; mais sa rencontre avec Tokue, qui vient lui transmettre son savoir-faire artisanal, sera l’occasion d’une remise en question. La dame, attentive au moindre frémissement du vent, sensible à la beauté des fleurs de cerisiers comme au chant d’une pâte qui gonfle à la cuisson, a une philosophie de vie optimiste portée par l’amour de la nature. Dans la même approche animiste que son personnage, Naomi Kawase, à l’aide

3 QUESTIONS À NAOMI KAWASE Comment le sujet de la discrimination envers les lépreux s’est-il imposé ?

Cette question était présente dans le roman original de Durian Sukegawa. Le Japon a mené une politique d’exclusion des lépreux [une loi de 1907, abolie en 1996, préconisaient leur internement forcé, ndlr]. Aujourd’hui, l’État propose des indemnités aux malades, mais la discrimination à leur encontre subsiste.

d’une magnifique photographie ouatée, exalte la beauté de la végétation qui encadre Tokue et Sentaro, et notamment des allées majestueuses d’arbres fleuris qui contrastent avec l’aspect bétonné et froid de leurs habitations. Tout en moments suspendus, le film s’adresse avec une grande poésie à chacun des sens du spectateur. Mais l’émotion naît surtout lorsque celui-ci se rend compte que la communion avec les éléments ne suffit pas à apaiser la violence des discriminations subies par Tokue en raison de sa maladie, malgré toute l’humilité et la dignité dont fait preuve la vieille dame. Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase… Distribution : Haut et Court Durée : 1h53 Sortie le 27 janvier

PROPOS RECUEILLIS PAR Q. G.

Tokue dit : « Nous sommes nés pour écouter et regarder le monde. » Adhérez-vous à cette vision ? Oui, c’est une philosophie très simple. Par exemple, le soleil existe simplement parce que nous le regardons. Sinon, c’est comme s’il n’existait pas. Si nous n’étions pas là pour le trouver beau, alors il ne serait pas beau. Le monde est lié à notre existence.

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Le film parle beaucoup de transmission entre les générations. Qu’avez-vous voulu montrer ?

Dans notre société contemporaine, il y a de moins en moins de communication intergénérationnelle, les gens deviennent solitaires. On ne fait plus l’effort d’accepter que nos regards soient différents. Je voulais montrer que ces échanges entre les jeunes et les anciens étaient encore possibles.


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Experimenter PAR ÉRIC VERNAY

Jusqu’où peut-on aller dans la violence lorsqu’on est soumis à une autorité ? Tel est l’objet d’une expérience célèbre menée par Stanley Milgram en 1961. Alors qu’ils croient administrer de fortes décharges électriques à un inconnu (en réalité, un complice de Milgram feignant de hurler de

douleur), la majorité des volontaires continuent d’appuyer sur le bouton, au simple motif qu’un scientifique leur a ordonné de le faire. Contemporaine du procès du nazi Adolf Eichmann, l’étude controversée du psychologue américain renvoie à la monstruosité de chacun. Le film de Michael

Almereyda nous fait pénétrer dans l’esprit du scientifique. Bouchant les perspectives avec des décors projetés sur des écrans, sa mise en scène théâtrale enferme les personnages dans des boîtes, comme des rats de laboratoire, tandis que le narrateur et héros multiplie les regards caméra. Loin de se réduire à un gimmick narratif, ces adresses au spectateur sont le point d’ancrage moral et esthétique d’une entreprise d’immersion scientifique à laquelle nous sommes conviés sans être surplombés par un demi-dieu ricanant derrière sa vitre sans tain. D’où un antibiopic interactif, un film expérience, aussi ludique que dérangeant.  de Michael Almereyda avec Peter Sarsgaard, Winona Ryder… Distribution : Septième Factory Durée : 1h37 Sortie le 27 janvier

Les Filles au Moyen Âge Par Laura Pertuy

Deuxième variation d’Hubert Viel – après Artémis, cœur d’artichaut – sur le mythe et la femme, Les Filles au Moyen Âge dépoussière l’histoire de France afin d’y rétablir une certaine égalité des sexes. Quand un grand-père érudit (Michael Lonsdale, également narrateur) ouvre un épais volume pour conter les mystères du Moyen Âge à son jeune public, l’auditoire se retrouve transporté à l’époque des ponts-levis et des élixirs miraculeux. Tandis que les garçons tiennent les rôles de chevaliers, de rois ou encore de moines, les filles, vraies héroïnes, sont à la pointe, notamment dans le domaine des sciences. Le film s’organise alors autour de saynètes où l’on suit l’émancipation féminine durant les mille années d’une époque encore méconnue aujourd’hui. Servi par un noir

et blanc éclatant qui raconte un monde où règnent la fantaisie et l’humour, Hubert Viel propose une relecture fouillée de tous les mythes édifiés autour de la femme médiévale. La candeur de ses jeunes interprètes – qui font de l’histoire un jeu et y mêlent une langue moderne – donne au

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film une liberté frappante, saluée par le Prix du jury « deuxième regard » au dernier festival international du film indépendant de Bordeaux. d’Hubert Viel avec Malonn Lévana, Chann Aglat… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h18 Sortie le 27 janvier


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le s fi lm s

Contre-pouvoirs PAR O. B. G.

Le quotidien El Watan a couvert l’élection présidentielle algérienne de 2014 avec le souci de réveiller les consciences d’une société qui ne votait plus. Le film parvient à nous faire vivre de l’intérieur l’ébullition de la rédac­ tion, entre images prises sur le vif de débats animés et travellings élégants dans des locaux qui fourmillent : une libération de la parole critique par un cinéma attentif et minutieux. de Malek Bensmail (1h37) Documentaire Distribution : Zeugma Films Sortie le 27 janvier

Happily Ever After

45 ans

PAR Q. G.

PAR QUENTIN GROSSET

Le réalisateur britannique Andrew Haigh est surtout connu pour deux œuvres aériennes et mélancoliques : un premier long métrage, Week-end, sorti en 2012, sur les prémisses d’une relation entre deux garçons, mais aussi la série Looking, plongée dans le milieu gay de San Francisco. C’est dans un univers aux antipodes de celui dans lequel il s’était jusque-là investi que l’on retrouve le cinéaste, avec ce deuxième long métrage, centré sur un couple de personnes âgées, qui se déroule dans une campagne anglaise reculée. Kate (Charlotte Rampling, impériale) et Geoff (Tom Courtenay) vont célébrer leur quarante-­cinquième anniversaire de mariage. Alors qu’ils

préparent la fête, ils reçoivent une lettre qui vient perturber leur quotidien tranquille, puisqu’elle annonce que le corps de la première compagne de Geoff, disparue dans les Alpes, a été retrouvé. Dès lors, le vieil homme paraît troublé, les malaises et les nondits s’installent, et le couple se remet en question à l’aune de cette relation passée. Avec sa caméra suave et sereine, Haigh parvient paradoxalement à filmer les tempêtes intérieures que les personnages tentent de réprimer, jusqu’à ce qu’elles finissent par tonner avec fracas.

Dans ce documentaire, la réalisatrice croate Tatjana Božić part à la recherche de ses ex pour comprendre ce qui ne fonctionne pas dans sa relation actuelle. Un dispositif qui rappelle celui, similaire, de Toute l’histoire de mes échecs sexuels (2009) de Chris Waitt. Mais si le cinéaste britannique abordait sa quête avec dérision, Tatjana Božić emprunte ici une voie plus introspective.

d’Andrew Haigh avec Charlotte Rampling, Tom Courtenay… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h35 Sortie le 27 janvier

de Tatjana Boži Documentaire Distribution : Aloest Durée : 1h23 Sortie le 27 janvier

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le s fi lm s

Frederick Wiseman Le premier volet de l’œuvre du documentariste Frederick Wiseman, couvrant la période 1967-1979, sort dans un coffret DVD réunissant treize films. Dès le début de sa carrière, la méthode faussement objective du cinéaste faisait déjà jaillir une critique féroce et saisissante des institutions américaines. PAR QUENTIN GROSSET

Dans les années 1960, Frederick Wiseman, professeur de droit, fait visiter à ses étudiants l’établissement pénitentiaire pour condamnés atteints de troubles psychiatriques de Bridgewater, dans le Massachusetts. Ce qui lui donne l’idée d’y consacrer son premier documentaire, Titicut Follies (1967). Le cinéaste affirme sa méthode ancrée dans le cinéma direct : en immersion totale, il agglomère des heures de rushes en pur observateur. L’objectivité feinte de la démarche est mise à sac dès le montage, outil invisible dont se sert Wiseman pour affirmer son point de vue. Ainsi le long métrage commence par une scène de fête : dans un cabaret, un homme mène la danse. Dans la séquence qui suit, ce même homme apparaît en tant que surveillant au milieu des résidents nus qui déambulent. Par ce parallèle, Wiseman déstabilise le

spectateur en juxtaposant des atmosphères discordantes. La même logique est à l’œuvre dans High School (1968) : en faisant mine de suivre le quotidien léger d’un lycée de Philadelphie, Wiseman propose une réflexion sur le caractère invasif de l’autorité. Même topo dans Hospital (1968), sur les urgences d’un hôpital de New York, où un psychiatre reçoit une personne transgenre, lui offrant une oreille faussement bienveillante puisqu’il lui fait la morale. Cette dernière finit par être persuadée qu’elle n’est pas normale, tandis que Wiseman capte la manière insidieuse dont se déploie le discours policé de la contrainte. Frederick Wiseman. Intégrale Vol. 1. 1967-1979 (Blaq Out) Disponible

LES SORTIES DVD

> COFFRET JEAN RENOIR

> THE WOLFPACK

La Chienne (1931) et Partie de campagne (1936) sont réunis dans leurs versions restaurées. Ces deux chefs-d’œuvre annoncent la force politique et esthétique de La Règle du jeu (1939). Usant de procédés d’une grande modernité, le cinéaste y dépeint de sublimes paraboles des espoirs déçus à la veille la Seconde Guerre mondiale. O. B. G.

Grand prix du jury au festival de Sundance, mais sortant directement en DVD en France, ce documentaire suit la libération d’une fratrie qui a vécu pendant plus de dix ans cloîtrée dans un appartement new-yorkais. Entre vidéos de leur enfance et images de leur quotidien aujourd’hui, le film plonge avec délicatesse dans un microcosme fascinant. O. B. G.

(M6 Vidéo)

de Crystal Moselle (Luminor)

> COFFRET NICO PAPATAKIS. L’INTÉGRALE (Gaumont)

Ce coffret réunit les six films, en version restaurée, du cinéaste français Nico Papatakis, auteur d’un cinéma violent et engagé : dans Les Abysses (1963), la bestialité des domestiques dénonce l’asservissement social ; dans Gloria Mundi (1975, puis 2005), l’automutilation répond à la torture pendant la guerre d’Algérie. O. B. G.

Erratum : le coffret Ruben Östlund chroniqué dans le précédent numéro est édité par Bac Films

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cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

Savages ROCK

Après le premier passage ravageur de la horde Savages, le rock pensait pouvoir reprendre son train-train casanier. Pas de chance pour lui, le quatuor féminin revient, la guitare post-punk en bandoulière et le cœur à vif.

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© matador records

PAR ÉRIC VERNAY

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SPECTACLE Mona d’Emily Loizeau les 8, 9 et 10 janvier au Centquatre p. 116

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EXPOSITION « Co-Workers. Beyond disaster » jusqu’au 30 janvier à Bétonsalon p. 118


KIDS

MUSIQUE

Tout en haut du monde : la chronique d’Élise, 7 ans p. 108

Bonnie Banane pimpe le R&B hexagonal p. 102

ARTS

JEUX VIDÉO

FOOD

A

u commencement de Savages était l’apocalypse. Silence Yourself, le premier disque du quatuor londonien, résonnait comme Le Cri angoissé d’Edvard Munch : distordu, emphatique et déchirant. Pour exister, il leur fallait à la fois détruire à coups de (g)riff(e)s un monde devenu décor factice, réduire les autres au silence pour faire entendre leur voix – celle, théâtrale et incantatoire, de la chanteuse Jehnny Beth (ex-John & Jehn) –, et broyer du noir pour saisir des lambeaux de lumière. C’était, en gros, le programme proposé en 2013 par ces sauvageonnes au teint blafard, dans le sillage torturé de Joy Division et du post-punk. Non sans une certaine solennité, elles qui trouvaient alors le rock trop mièvre avaient même écrit sur leur page Facebook, en majuscules, leurs propres tables de la loi : « L’intention de Savages est de créer un son, indestructible, musicalement pertinent, conçu pour la scène et comportant suffisamment de nuances pour procurer un large éventail d’émotions. Savages est une voix qui s’impose par elle-même, une voix qui nous aide à appréhender nos petites copines différemment, nos maris, nos boulots, notre vie érotique, et la place que la musique occupe dans nos existences. Les chansons de Savages doivent nous rappeler […] que la musique peut toujours aller droit au but, être efficace et excitante. » SANS SUCRE NI LICORNES

Maintenant que nos quatre cavalières de l’apocalypse vêtues de noir ont imposé leur magnétisme sombre, elles se tournent vers l’extérieur sur Adore Life. « Le premier album était proche de nous-mêmes, précise la guitariste Gemma Thompson, regard ébène et visage impassible. Aucun compromis. Minimaliste, avec un son live, puissant. C’était une étape nécessaire. On voulait crier : « Nous voilà ! » Ce deuxième album est plus ouvert aux autres, au public. Il traite du

LIVRES

Ce monde disparu, polar classieux de Dennis Lehane p. 110

MODE

présente

« Ce deuxième album est plus ouvert. Il traite du processus d’acceptation de l’amour. » processus d’acceptation de l’amour. » L’amour ? Oui, mais sans sucre ni licornes – pas le genre de la maison. « L’album parle d’amour, mais n’est pas apaisé, prévient Gemma. L’amour n’est pas un truc simple et naïf. On n’en reste pas à cet idéal, on préfère en explorer tous les aspects : la rage derrière l’amour, la désillusion, le risque, la peur de perdre l’autre, ou la culpabilité quand on ne lui donne pas ce qu’il attend de nous. L’amour est multiple, il peut être facteur de changement, de passion. Il faut juste s’y engouffrer, s’y risquer. » Faisant suite aux questions torturées planant sur leur premier essai survient donc cette réplique, sur le terrain des passions : « L’amour est la réponse », scande Jehnny Beth, sur le refrain de l’imparable single « The Answer », pure décharge stoner-punk parcourue d’hésitations chaotiques (« I’ll Go Insane »). Un vrai magma d’émotions en fusion, à l’instar du morceau « Adore », inspiré par une vibrante histoire d’amour lesbienne de la poétesse américaine Minnie Bruce Pratt. Découlant directement d’une série de concerts donnés à New York, les chansons ont été triturées et retravaillées en fonction de leur efficacité en live. « L’énergie des concerts est primordiale. Sur scène, ça commence parfois comme un monologue, et puis ça devient une chanson, par la grâce de l’improvisation. On donne et on reçoit. C’est un moment de partage qui contribue directement à nos chansons. On essaie d’en tirer le maximum d’adrénaline. » Un album déconseillé aux cardiaques. Adore Life de Savages (Matador/Beggars) Sortie le 22 janvier

le PARCOURS PARISIEN du mois

fOOD Hugo & Victor 40, bd Raspail Paris VIIe p. 122

EXPOSITION « Chandigarh. 50 ans après Le Corbusier » jusqu’au 29 février à la Cité de l’architecture et du patrimoine p. 126

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EXPOSITION François Morellet « Seven Corridors » jusqu’au 6 mars au Mac/Val (Vitry-sur-Seine) p. 128


cultures MUSIQUE

Bonnie Banane

© alex sabot

R&B

Depuis 2012, elle pimpe le R&B hexagonal à coups de titres nonchalants, de lyrics surréalistes et de clips décalés. On a parlé, via Skype, avec l’ovni Bonnie Banane, pour la sortie de Sœur Nature, son troisième EP. PAR ETAÏNN ZWER

« J’me fais une tartine et j’te rappelle. » Bonnie Banane a l’art de la repartie mais le CV discret : jeune Parisienne, comédienne, aperçue notamment chez Bertrand Bonello (dans L’Apollonide. Souvenirs de la maison close et Saint Laurent)… Son surnom ? « Ça sonne mieux que Connie Cabane ! » En collaboration avec Walter Mecca du label Weirdata, elle coiffe 2012 avec le EP Greatest Hits et le single « Muscles », puis l’année suivante lâche la bombe « Champs-Élysées » au clip délire commençant par une citation de Tony Montana dans Scarface et parodiant la panoplie caillera des années 1990. Elle aligne les featurings (Myth Syzer, Jimmy Whoo), ouvre pour Kelela et Mykki Blanco, jumpe à NYC. « J’ai grandi avec la culture U.S., mais je pioche partout, rap, musette, grime. Aucune filiation, je chante en anglais et en français : je suis multiple. Je dis “R&B de genre”, mais je n’arrive pas à définir ma musique. J’ai kiffé quand, après une impro à un concert, un mec a dit : “C’est Brigitte Fontaine sous LSD !” » C’est une autre icône qui est l’objet de ses fantasmes dans « Leonardo », slow jam cheesy et premier extrait

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de son très smooth nouvel EP, Sœur Nature, coréalisé avec Gautier Vizioz et autoproduit « avec l’argent de la drogue et du R.S.A. ». « La nature, c’est plus beau que l’art contemporain ! J’évoque l’aspect sans make-up des choses. » Autant de microfilms introspectifs scannant l’amour, le sexe, l’histoire, le monde comme il va. Dans « L’Appétit », qu’elle décrit comme le « soliloque de la dernière femme sur Terre », la valse « Relax », œillade dissonante à Arthur Rimbaud, ou « Affection », qui tacle « notre désir capitaliste », Bonnie Banane croise d’excitantes vibes sensuelles et une lucidité second degré, « entre Aaliyah et André Rieu, ciel et mails. C’est une ode au contraste, à nos paradoxes, on vit le cul entre deux chaises. » Pour finir, elle dresse sa liste de souhaits pour 2016 : « Un clip avec plein de travellings, des concerts, devenir famille d’accueil, prendre le temps de faire un album. » Et nous laisse sur un message codé : « La vie est très longue et Dieu chausse très petit. » Sœur Nature de Bonnie Banane Disponible

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© andrew strasser

cultures MUSIQUE

agenda PAR E. Z.

eLECTRONIca

Oneohtrix Point Never

8 DÉC.

PAR WILFRIED PARIS

« Pour évoquer une civilisation extraterrestre dans une B.O. de film commercial, le choix le plus fréquent est celui d’une musique exotique, une sorte de musique du monde. Une fois repéré cet étrange phénomène socioculturel, on peut utiliser ce genre de musiques avec une compréhension plus profonde. Elles ne sont plus seulement les témoignages de leur culture d’origine ; d’autres sociétés leur ont donné d’autres sens et d’autres fonctions. » Le huitième album de l’Américain Daniel Lopatin, moins nostalgique que formaliste, fait tournoyer les gimmicks (arpégiateurs électroniques, chorales synthétiques eighties, percussions émulées en MIDI, voix pitchées à la Skrillex, fausses guitares metal saturées) comme autant de signes des temps, déconstruisant l’histoire de la musique à 10 000 tours/minute pour la rebâtir en un baroque fourmillement techno accélérationniste figeant l’évaporation de la culture en un instantané lumineux. À défaut d’une dénomination adéquate pour une œuvre aussi singulière, on l’assimilera à de l’electronica. « Je ne veux pas que mes auditeurs aient déjà eu une expérience de ce type de musique. Mon challenge est de créer une histoire qui soit la plus confondante possible, qui comporte plusieurs points d’entrée et génère de la variété, de la complexité. » Mission accomplie avec ce proprement inouï Garden of Delete, « jardin des effacés » où les déchets sonores (ici associés aux traumas enfantins), aussi obsolètes et oubliés que les bleeps de Windows 95, sont sauvés de l’ostracisme historique et deviennent de nouvelles, très belles et très étranges, plantes soniques – pour peu que l’on fasse l’effort de se laisser surprendre. Garden of Delete d’Oneohtrix Point Never (Warp) Disponible

CITIZENS! Trois ans après Here We Are et sa fusée « True Romance », les Londoniens reviennent conquérir les clubs et les cœurs avec leurs têtes d’ange et un deuxième album aussi redoutable que séduisant, European Soul (Kitsuné), parfait manifeste electro-disco-pop antimorosité. Citoyens du monde, dansez ! à La Cigale

à La Gaîté Lyrique

17 DÉC.

25 JANV.

PEACHES Toujours aussi (dé)culottée, la reine de l’electro-punk provoc est de retour, six ans après I Feel Cream, et elle a la pêche. Entre sexe débridé, gender et empowerment féministe, rap à la coule et beats hypnotiques, elle aligne les bombes sur Rub (I U She Music) et signe un show aussi mal léché que bien gaulé.

JEANNE ADDED Jolie métamorphose de l’impressionnante Parisienne : troquant lyrique et jazz pour un virage pop-rock mâtiné d’electro, elle fait sensation depuis cet été avec Be Sensational (Naïve), premier album frondeur et ébouriffant cosigné par Dan Levy (The Dø), et des concerts explosifs. « A war is coming… »

à La Cigale

à L’Olympia

DU 17 AU 20 DÉC.

30 JANV.

INFINÉ Focus sur la scène parisienne avec l’exposition « Paris Musique Club », qui convie l’élégant label ovni electro InFiné : conférences, boum de Noël pour les kids, projections (Arandel, Murcof) et lives excitants – Cubenx, Almeeva et son post-rock cinématographique, la techno magnétique de Gordon...

THE PEACOCK SOCIETY L’excellent festival electro lance sa collection hiver et nous gâte : trois dancefloors, une warehouse et un club pour une nuit fiévreuse, bercée par le parrain de la house from Detroit Theo Parrish, Motor City Drum Ensemble, DJ Koze, les Français Zombie Zombie, l’outsider techno Daniel Avery, Clara 3000…

à La Gaîté lyrique

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14 JANV.

HYPHEN HYPHEN Après avoir écumé les scènes et lâché à la rentrée Times (Parlophone), premier opus léché au charme et aux titres ravageurs (« Cause I Got a Chance »), l’atomique quatuor niçois prêchera son electro-pop épique et survoltée lors d’un rituel de communion (maquillage inclus) jouissif et contagieux.

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au parc floral de Paris


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cultures KIDS

CINÉMA

Tout en haut du monde

Une grande aventure romanesque, un équipage de marins pittoresque et une jeune héroïne à l’inébranlable courage : avec autant d’atouts dans son jeu, Tout en haut du monde ne pouvait qu’emballer Élise. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « Je pense que ce film pourrait être vrai, ça n’est peut-être pas qu’une histoire inventée. L’héroïne, Sacha, est une princesse, mais elle est quand même originale. Les autres princesses, c’est toujours : “Ah ! mon prince ! je vous aime…” Elle, c’est le contraire. Elle n’en a rien à faire des princes, et elle fait tout pour son grand-père. Je préfère les princesses comme Sacha. Le grand-père de Sacha est parti au pôle Nord pour faire une conquête. Une conquête, ça signifie “prendre”, mais pas avec les mains : tu plantes un petit drapeau là où tu es arrivé, pour dire que ça t’appartient. Le pôle Nord est un pays où il fait hyper froid. Je n’aimerais pas du tout y aller,

d’ Élise, 7 ans car les gens y attrapent des rhumes et y sont congelés. Quand son grand-père disparaît, Sacha ne prévient personne qu’elle part à sa recherche, même pas ses parents. Elle est courageuse, faut dire. Le film est dessiné comme une peinture d’artiste. C’est très beau, mais les personnages ont le bout des doigts carré, alors que nous on a le bout des doigts rond. En même temps, personne ne peut dessiner à la perfection, donc ils font comme ils peuvent. » Tout en haut du monde de Rémi Chayé Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h20 Sortie le 27 janvier à partir de 5 ans

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l’avis du grand Même si elle reste l’une des aventures humaines les plus incroyables de notre histoire, l’exploration des pôles a été peu exploitée au cinéma. Le superbe premier long métrage de Rémi Chayé, qui avait collaboré au Tableau (2011) et à Brendan et le Secret de Kells (2009), remédie à ce manque. Se déroulant en Russie en 1892, Tout en haut du monde marche sur les traces des récits d’aventures du xixe siècle (on pense à Jules Verne ou Jack London), tout en rendant hommage au Docteur Jivago de David Lean (1966). Il faut aussi souligner la qualité de la direction artistique qui, malgré son minimalisme (le film n’est qu’en aplats de couleur), retranscrit à la perfection les sensations de froid et de solitude que procure le pôle Nord. J. D.


Oups ! J’ai raté l’arche… PAR MEHDI OMAÏS

Tandis qu’approche le déluge, les animaux cherchent à rallier l’imposante arche de Noé. Éléphants, zèbres, guépards, tigres… Les bêtes, préalablement accréditées par le personnel du navire, se bousculent au portillon. Hélas, certaines ne sont pas dans les petits papiers de la direction. À l’instar de Dave et de son fils Finny, d’adorables nestrians, ou de Hazel et de sa fille Leah, de farouches grymps. En rusant, le quatuor parvient néanmoins à échapper aux gardes. Le hic ? Les deux mômes tombent du bateau au moment de partir… Ode à l’amitié, cette distrayante relecture de la Bible déploie ce qu’il faut de charme pour combler enfants et parents. L’intrigue, bien que prévisible, célèbre avec allant la différence, celle qui unit et cimente. de Toby Genkel et Sean McCormack Animation Distribution : Paradis Films Durée : 1h26 Sortie le 9 décembre Dès 3 ans

et aussi

CINÉMA

DVD

Trop timide, Charlie Brown n’arrive pas à aborder la petite fille rousse qui vient d’arriver dans sa classe. Son chien, Snoopy, va l’aider à prendre confiance en lui… Ce film, dont l’animation en 3D conserve le style crayonné propre à l’auteur des Peanuts, Charles M. Schulz, préserve aussi l’esprit mélancolique du comic strip original tout en le rendant accessible aux enfants. Q. G. SNOOPY ET LES PEANUTS. LE FILM de Steve Martino Animation Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h28 Sortie le 23 décembre Dès 3 ans

Mon premier cinéma est une collection de coffrets DVD destinée à initier les plus petits aux merveilles de l’animation à travers une variété de courts métrages. Dans le coffret La Petite Fabrique du monde, six films sont regroupés dont le surprenant Chinti, fabriqué avec des feuilles de thé et racontant l’histoire d’une petite fourmi qui rêve de construire un palais aussi beau que le Tāj Mahal. O. B. G. LA PETITE FABRIQUE DU MONDE Collectif Animation Distribution : KMBO Durée : 42min Disponible Dès 3 ans


cultures LIVRES / BD

Ce monde disparu POLAR

© gaby gerster

Floride, 1943 : la tête du gangster Joe Coughlin est mise à prix… Un polar historique classieux signé Dennis Lehane, maître du genre. PAR BERNARD QUIRINY

À 50 ans tout juste, Dennis Lehane est une vedette du roman policier, notamment grâce aux adaptations cinématographiques de ses ouvrages qu’ont réalisées Clint Eastwood (Mystic River), Ben Affleck (Gone Baby Gone) et Martin Scorsese (Shutter Island). Des passages à l’écran qui ne doivent pas faire oublier qu’il est aussi un brillant inventeur de séries littéraires aux héros récurrents tels que Kenzie & Gennaro, un duo de détectives privés vivant à Boston, sa ville fétiche, ou Joe Coughlin, un mafieux irlandais dans l’Amérique de l’entre-deux-guerres. Après Un pays à l’aube (2008) et Ils vivent la nuit (2012), voici le troisième épisode de la série Coughlin, Ce monde disparu. Les Années folles et la prohibition sont révolues ; place à la Seconde Guerre mondiale, avec ses nouveaux enjeux pour la pègre. Retiré des affaires, Joe mène une vie tranquille dans sa Floride bien-aimée quand il apprend, par hasard, qu’il y aurait un contrat sur sa tête. Qui peut bien vouloir sa peau ? S’il était seul, il ignorerait la menace. Mais son fils Thomas est orphelin de mère ; pas question de le laisser grandir sans père. « T’as plus que ça en tête, pas vrai ? ricane son collègue Rico. La possibilité qu’il y ait un type embusqué quelque part, attendant tranquillement de t’avoir dans sa ligne de tir. » Joe n’a pas le choix : il doit remonter la piste,

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identifier le commanditaire, protéger Thomas… Impeccablement conduite, l’intrigue culmine dans les scènes de confrontation, grâce au talent de dialoguiste de Lehane. Surtout, Ce monde disparu montre comment la guerre, en diminuant les revenus de la mafia, transforme insidieusement sa place dans l’économie américaine, et comment la barbarie du conflit en Europe rejaillit sur les mœurs des jeunes générations mafieuses, libérées des codes d’honneur à l’ancienne… En dépit de ces bouleversements, une chose ne change pas : les affaires de voyous se règlent entre voyous, à la mitraillette, sans que les autorités interviennent. Comme chez Scorsese, le gangstérisme est un huis clos, presque une famille, qui lave son linge sale en secret. Un groupe d’hommes debout, au sein duquel chacun proclame, comme Joe : « J’adore ça, me réveiller tous les matins en cherchant de nouveaux moyens de baiser le système, ne jamais mettre un genou à terre devant personne, ne jamais accepter de rentrer dans le rang. On décide de notre façon de vivre, on établit nos règles, on se comporte en hommes. Ça me botte d’être un gangster, merde ! » Ce monde disparu de Dennis Lehane, traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet (Rivages)

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sélection Par b. q.

AU BONHEUR DES LISTES

L’ÉCONOMIE, POUR QUOI FAIRE ?

(Éditions du Sous-sol)

(Wombat)

de Shaun Usher

de Robert Benchley

Le récapitulatif des péchés commis par Isaac Newton en 1662, dix-sept conseils aux jeunes femmes tirés d’un magazine féminin anglais sous George III, le relevé complet des aliments ingérés par Georges Perec en 1974… Ce beau-livre rassemble une centaine de listes du monde entier et de tous les âges, avec fac-similés des documents originaux. Un voyage incongru dans l’histoire, qui montre à quel point l’homme a toujours voulu mettre de l’ordre dans le chaos qui l’entoure.

Star de Hollywood dans les années 1930, Robert Benchley (1889-1945) a écrit des centaines de chroniques pour Vanity Fair ou pour le New Yorker, égratignant les mœurs de l’Amérique. La maison Wombat, grande passeuse d’humour anglo-saxon, continue ses traductions avec ce recueil sur l’argent, les banques et l’économie. « L’avantage qu’il y a à tenir une comptabilité est clair. Si vous n’en tenez pas une, vous avez le sentiment gênant de dépenser plus que vous ne gagnez. Si vous en tenez une, vous en êtes sûr. »

LA TAVERNE DES RATÉS DE L’AVENTURE

LE DICTIONNAIRE KHAZAR

(Pierre-Guillaume de Roux)

(Le Nouvel Attila)

de Bertrand Lacarelle Ce livre inclassable, qui commence comme une fiction autobiographique, est un portrait littéraire de Stanislas Rodanski (1927-1981), membre du groupe surréaliste, aventurier insaisissable, poète mort dans un hôpital psychiatrique. Bourré d’aphorismes, de fulgurances, ce récit se transforme aussi en livre de combat quand Lacarelle reprend à son compte, non sans humour noir, la rébellion rodanskienne contre le conformisme utilitaire des sociétés modernes.

de Milorad Pavi

Attention, roman culte. Paru en 1984, traduit dans une trentaine de langues, Le Dictionnaire khazar est un ovni qui raconte sous forme de lexique l’épopée d’une peuplade disparue venue d’Orient. Mélange d’érudition, d’invention, de réel et d’imaginaire, cette improbable et fascinante somme peut se lire dans n’importe quel ordre. Joliment maquettée, cette nouvelle édition française est un véritable objet, à la hauteur de la beauté du texte.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Le Club des divorcés

sélection PAR S. B.

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

DEATHCO. T. 1 & 2

de Ben Gijsemans

Après quelques détours par le polar, Atsushi Kaneko revient à l’action pure et dure. Avec Deathco, il engendre, après Bambi, une nouvelle meurtrière adolescente et iconique, aussi douée que torturée, évoluant au milieu de créatures gothiques et dangereuses. Le dessin sublime, stylé au possible, et le découpage, aussi fluide que rythmé, finissent d’emporter le morceau. La série à ne pas rater en ce début d’année 2016.

Hubert est un célibataire endurci qui sublime ses fantasmes en allant au musée observer les muses des toiles de maîtres. Chez lui, son attention est attirée par un autre cadre, celui d’une fenêtre derrière laquelle s’affaire une voisine. Avec ses textures riches et lumineuses, son découpage lent, Ben Gijsemans dépeint la pesanteur de la solitude à travers de longues et belles séquences muettes.

(Casterman)

Kazuo Kamimura a accédé à une reconnaissance planétaire à titre posthume grâce à Quentin Tarantino. En 2003, le réalisateur américain avait ressuscité dans Kill Bill, sous les traits de l’actrice Lucy Liu, son personnage le plus iconique : Lady Snowblood, meurtrière à la beauté hypnotique d’autant plus fatale qu’elle fut enfantée par une mère qui cherchait uniquement à créer l’instrument de sa vengeance. Au-delà de cet archétype du récit d’action, c’est surtout le goût de Kamimura pour les passions destructrices et l’étude des mœurs de la société japonaise d’après-guerre qui caractérisent son écriture – et bien évidemment ses portraits de femmes. Produit au début des années 1970, Le Club des divorcés dépeint ainsi, à travers une série d’anecdotes, le quotidien d’une femme qui, pour rebondir après un mariage raté, prend en gérance un bar à hôtesses dans un quartier huppé de Tokyo. Déchirée entre les difficultés à maintenir sa petite affaire à flot, sa fille de 3 ans qu’elle ne voit que le dimanche et une relation sentimentale irrésolue avec un jeune barman, elle tente de se reconstruire dans une société inégalitaire où le divorce est très mal perçu. Kazuo Kamimura accouche de l’une de ses œuvres les plus personnelles, portée par une mise en scène théâtrale, un trait de pinceau épuré, le goût de la mode européenne et du cinéma de la Nouvelle Vague. La finesse psychologique avec laquelle il campe ses personnages et leurs dilemmes témoigne des soirées qu’il a lui-même passées dans ces bars à observer le destin de ces victimes de la société. Le portrait, d’une justesse évidente et à la compassion communicative, d’une époque et d’une condition sociale. Le Club des divorcés. T. 1 & 2 de Kazuo Kamimura (Kana)

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Hubert

d’Atsushi Kaneko

VAMPIRELLA. T. 1

Collectif (Delirium)

Les éditions Delirium continuent leur impressionnant travail de réédition du patrimoine de la bande dessinée fantastique américaine de la fin des années 1960 avec Vampirella, magazine qui rencontra immédiatement le succès tant les auteurs qui s’y succédaient comptaient pour des géants du noir et blanc expressionniste. Un must de la bande dessinée de genre, un choc esthétique presque à chaque page.

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(Dargaud)

CHROQUETTES

de Jean-Christophe Menu (Fluide Glacial)

Jean-Christophe Menu, hier encore pilier de la BD indépendante, débarque aux éditions Fluide Glacial, reines de l’humour. Un choc ? Même pas : son dessin un peu punk, son univers teinté de clins d’œil à la bande dessinée classique et à la musique rock, l’omniprésence de son personnage vêtu d’une marinière se fondent dans le décor avec un surprenant naturel. Menu n’a pas changé ; l’époque, probablement.


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cultures SÉRIES

COMÉDIE

Master of None

La série de Netflix confirme le statut de nouveau grand du rire d’Aziz Ansari. L’humoriste s’éloigne enfin de son personnage de fêtard rodé sur scène et dans Parks and Recreation.

© k.c. bailey/netflix

© araya diaz / wireimage

PAR GUILLAUME REGOURD

LE CAMÉO Jennifer Jason Leigh dans Twin Peaks

Il a fait du chemin, Aziz Ansari, depuis Funny People (2009). Dans le film de Judd Apatow, le monde entier le découvrait en Randy, personnage qui épuisait Seth Rogen à force de vulgarité. À l’époque, Ansari venait tout juste de rejoindre Parks and Recreation sur NBC dans le rôle de Tom, un autre lourdaud. Six ans plus tard, il fait partie du club très fermé des comiques ayant rempli le mythique Madison Square Garden. Comme Eddie Murphy, Chris Rock ou Louis C.K. avant lui… La télévision ne pouvait que lui proposer un show sur mesure, et il aurait facilement pu capitaliser dans une grosse sitcom sur son personnage habituel de noceur au débit

mitraillette. Mais c’est plutôt sur les traces de C.K. qu’Ansari marche dans Master of None, comédie new-yorkaise douce-amère aux faux-airs de Louie en nettement moins dépressif. Bonne pâte et bouille de gamin facétieux, l’humoriste y creuse les mêmes thématiques sociétales de trentenaire connecté que dans ses spectacles (peut-on éconduire quelqu’un par SMS ?), mais sans chercher le rire à tout prix. Drôle, fin, opiniâtre (le traitement réservé aux Indiens à Hollywood), d’une sincérité désarmante, il signe là l’une des meilleures nouvelles séries de 2015. Aziz is good. Saison 1 disponible sur Netflix

sélection

DEUTSCHLAND 83 Les bonnes fictions allemandes sont rares à franchir le Rhin. Cette série d’espionnage en pleine guerre froide, qui voit un jeune espion de la RDA infiltrer l’armée de l’Ouest, abuse un peu de « 99 Luftballons » et autres tubes d’époque incontournables mais brille par son écriture, subtil équilibre d’humour et de suspense. Saison 1 sur Canal+ en janvier

PAR G. R.

FORTITUDE Curieux hybride de thriller nordique (pour le cadre arctique et l’actrice de The Killing, Sofie Gråbøl) et de polar british produit par Sky Atlantic, cette série écolo instaure d’emblée une atmosphère claustro plutôt séduisante. Avec même, en vedette américaine, le trop rare Stanley Tucci. Étonnant. Saison 1 sur Canal+ Séries en janvier © d. r.

IZOMBIE Adaptée d’une bande dessinée indé, cette histoire de jeune femme transformée en zombie qui se met au service de la police marque le retour du scénariste Rob Thomas. Lequel ne se gêne pas pour faire de ce petit objet pop et futé un remake déguisé de son chef-d’œuvre teen noir, Veronica Mars. On ne s’en plaindra pas. Saison 1 sur France 4

Showtime continue de faire monter la sauce autour de la troisième saison de Twin Peaks en distillant au compte-gouttes les infos sur sa distribution. Si les anciens sont nombreux au rendez-vous, à commencer par Kyle MacLachlan, cette nouvelle saison accueillera aussi des petits nouveaux. On savait déjà pour Robert Knepper et Amanda Seyfried. Voici donc que Jennifer Jason Leigh, à l’affiche cet hiver des Huit Salopards de Quentin Tarantino, se joint à la fête. Et ce n’est sans doute pas fini, tout Hollywood se pressant pour en être, probablement en 2017… G. R.

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hiver 2015-2016


cultures SÉRIES

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cultures SPECTACLES

agenda

Emily Loizeau PAR ÈVE BEAUVALLET

Cette année, le grand-père d’Emily Loizeau a eu 100 ans. Ultime âge pour les hommages, peut-être. « Je me suis demandé comment conserver les traces d’une vie aussi extraordinaire que la sienne », explique la compositrice et musicienne quadragénaire, qui prend aujourd’hui le courant du théâtre, ou plutôt du « bal punk », bref, de la mise en scène, cet espace « si souvent délaissé par les concerts traditionnels, par manque de temps ». Dans le parc des Buttes-Chaumont où a lieu notre rencontre, elle revient, entre deux références à Peter Brook et à Kurt Weill, sur le récit qu’elle livre de la vie de son ancêtre dans Mona, œuvre multisupport, à la fois album et pièce, « ni comédie musicale ni oratorio », et peutêtre, bientôt, roman. L’histoire, c’est celle d’un jeune homme de 25 ans, engagé volontaire dans la Royal Navy pendant la Seconde Guerre mondiale et rescapé d’un naufrage au moment même où sa femme s’apprête à mettre leur enfant au monde. « C’est fascinant : où puise-t-on une telle puissance, un tel feu, pour choisir de devenir parents en temps de guerre ? » Emily Loizeau fait résonner cette romance familiale avec un autre récit d’enfantement, sur le mode du petit conte fantastique à tendance caustique, registre dans lequel elle navigue à son aise, entre trips psychanalytiques et miroirs déformants façon Lewis Caroll. La seconde histoire, donc, qui se déroule quelques décennies après la première, c’est celle d’une femme qui accouche d’une petite fille de 73 ans, Mona, « un enfant né vieux et qui finira par se noyer de l’intérieur en buvant trop d’eau ». Une même œuvre pour deux histoires de naufrage, l’un réel et l’autre métaphorique. Façon, pour Emily Loizeau, de formuler l’énigme suivante : peut-on maîtriser ce que l’on transmet à ses enfants ? Mona d’Emily Loizeau, les 8, 9 et 10 janvier au Centquatre

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© laurent philippe

THÉÂTRE MUSICAL

DU 9 AU 19 DÉC.

LLOYD NEWSON Quelque part entre Ken Loach et Pina Bausch réside le travail de Lloyd Newson, l’un des plus notables chorégraphes britanniques, mondialement célèbre pour la façon qu’il a eu de sublimer, dans des docus-danses inclassables, les vies marginales de l’Angleterre prolétaire (notamment). C’est dire si sa nouvelle création, John, est attendue en France.

à La Villette (Festival d’automne à Paris)

LES 15 ET 16 DÉC.

ISHOW Le collectif Les Petites Cellules chaudes, quinze jeunes Canadiens réunis sous les écrans géants du iShow, réussit le pari de construire, à partir des rencontres aléatoires faites en live sur Chatroulette ou Skype, une œuvre complexe sur nos rapports aux réseaux sociaux, entre addiction, voyeurisme et énergie ludique. au Centquatre

DU 22 DÉC. AU 3 JANV.

BLANCA LI ET MARIA ALEXANDROVA Déesses et Démones, création autour des grandes figures féminines de la mythologie, est annoncée comme un choc des titans. Doit-on être davantage excités qu’effrayés par la

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rencontre sur scène de ces deux stars, Maria Alexandrova (étoile au sein du ballet du Bolchoï) ayant pris in extremis la place de Marie-Agnès Gillot, qui s’est désengagée ? au Théâtre des Champs-Élysées

DU 15 JANV. AU 8 FÉV.

SURESNES CITÉ DANSE En deux décennies, le festival dirigé par Olivier Meyer a imposé son style, basé sur la rencontre entre danseurs hip-hop et chorégraphes contemporains. La 24e édition est l’occasion de découvrir un battle franco-coréen entre les membres du Pockemon Crew et ceux de Morning of Owl.

au Théâtre Jean-Vilar (Suresnes)

DU 22 AU 31 JANV.

© jan versweyveld

© diane sagnier

PAR È. B.

IVO VAN HOVE À l’approche du quatre centième anniversaire de sa mort, en 2016, William Shakespeare est partout. Le grand metteur en scène flamand Ivo van Hove est de ceux qui savent en extraire le poison avec le plus d’intensité, en liant interrogations métaphysiques et combats politiques. Preuve avec Kings of War, œuvre dans laquelle il condense les pièces Henri V, Henri VI et Richard III.

au Théâtre national de Chaillot



© aurélien mole

cultures ARTS

Co-Workers EXPOSITION

Beyond disaster

Et si la notion de désastre servait de point de départ à une réflexion collective ? C’est le pari fait par « Co-Workers. Beyond disaster », une exposition assortie d’un ensemble de rencontres visant à modifier le cours des choses. PAR ANNE-LOU VICENTE

« Nuageux, glacé dans les faubourgs, froid ce soir, plus froid demain, réchauffement jeudi et vendredi, refroidissement dès samedi, neige fondue dès dimanche, soleils doubles lundi… » Défilant sur une enseigne lumineuse en exergue de l’exposition, les prévisions météo, extraites du roman dystopique de l’écrivain américain David Ohle (1971), sont loin d’être réjouissantes… Plutôt que de constater passivement les dégâts et de sombrer dans le catastrophisme ambiant, l’exposition « Beyond disaster » – l’une des deux faces du projet « Co-Workers » initié par le musée d’Art moderne de la ville de Paris, où est présenté l’autre volet dédié au « Réseau comme artiste » – propose d’aller « au-delà du désastre » et d’infiltrer la brèche narrative et (science-­)fictionnelle afin de revoir et de repenser collectivement le monde qui nous entoure et ses dérives médiatiques et climatiques, tant d’un point de vue économique et culturel que social. En une séquence d’images fixes, Daniel Steegmann Mangrané fait, par exemple, se

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superposer deux réalités que sont la déforestation amazonienne et la découverte d’une méduse par un robot-­caméra du géant pétrolier brésilien Petrobras : l’étrange apparition de la créature sous-marine dans ce paysage meurtri entend révéler les liens abyssaux qui unissent les deux phénomènes. Telle une véritable sculpture vivante, la fourmilière de Melissa Dubbin et Aaron S. Davidson fait apparaître les systèmes de communication mis en place par cette communauté visible mais inaudible à l’oreille humaine. En prêtant sa voix au manifeste (initialement dit par une voix informatique et partagé en ligne) de l’activiste autiste Amanda Baggs, l’artiste transgenre Wu Tsang donne la parole aux communautés en marge. En écho, un film de Jasmina Metwaly et Philip Rizk met en scène des ouvriers du Caire se livrant à divers jeux de rôles au sein de leur entreprise désormais fermée. Une autre histoire est (encore) possible. jusqu’au 30 janvier à Bétonsalon – Centre d’art et de recherche

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agenda PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

à la galerie Daniel Templon

© ©adagp, paris 2015. photo izis. © izis-manuel bidermanas

JUSQU’AU 31 JANV.

Le plafond de l’Opéra peint par Marc Chagall, pour la première fois assemblé au sol. Photo Izis MARC CHAGALL. LE TRIOMPHE DE LA MUSIQUE Cette exposition est une belle percée dans les différents décors et autres commandes liées à la musique faites à Marc Chagall. On connaît bien sûr son célèbre plafond du Palais Garnier, mais on découvre d’autres œuvres moins connues. Trois cents d’entre elles sont ici rassemblées, parmi lesquelles peintures, dessins, costumes, sculptures et céramiques. à la Philharmonie de Paris

JUSQU’AU 15 FÉV.

LUCIEN CLERGUE Grand ami de Picasso, premier photographe élu à l’Académie des beaux-arts, fondateur des fameuses Rencontres internationales de la photographie d’Arles,

Lucien Clergue est un mythe sur pattes. On connaît de lui ses corps sensuels baignés dans l’eau de mer ou zébrés d’ombres, mais, au Grand Palais, ce sont sept albums de planches-contacts de l’artiste retrouvés dans son atelier qui sont dévoilés. Émouvant. au Grand Palais

JUSQU’AU 21 FÉV.

MOÏSE. FIGURES D’UN PROPHÈTE Le titre de l’exposition en dit long : il n’y a pas une représentation de Moïse, mais bien plusieurs. Le parcours les passe en revue intelligemment, en s’appuyant sur des livres, des manuscrits, des peintures, des gravures et des dessins. On en ressort avec une idée plus précise de la façon dont celui-ci était perçu, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Vaste programme.

au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme

JUSQU’AU 28 FÉV.

© courtesy galerie kamel mennour

JUSQU’AU 31 DÉC.

BELGIQUE Le galeriste Daniel Templon réunit neuf artistes contemporains pour dresser un panorama foisonnant de la création contemporaine belge. Les biches érotiques de l’enfant terrible Jan Fabre côtoient les corps christiques et hybrides de Berlinde De Bruyckere. Plus loin, c’est le classicisme pictural de Michaël Borremans qui nous enchante. Une merveille de scénographie.

Hicham Berrada, Céleste, 2014 CLIMATS ARTIFICIELS Faire un pas de côté pour traiter la question du dérèglement climatique sans être alarmiste, tel est le pari réussi de l’exposition « Climats artificiels ». En méditant face aux œuvres d’Ange Leccia et de Yoko Ono, ou encore en observant les petits mondes organiques d’Hicham Berrada, on se pose cette question essentielle : comment respecter le monde qui nous entoure pour ne pas laisser suffoquer les générations qui y naîtront après nous ? à la Fondation EDF


cultures JEUX VIDÉO

ACTION-RPG

Fallout 4

Avec sa narration-fleuve et ses quêtes aux multiples embranchements, Fallout 4 nous invite dans un monde post-apocalyptique fascinant et marque le retour en force d’une grande saga du jeu d’anticipation. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS LIFELINE

(Three Minute Games/iOS, Android)

Boston, année 2077. Une guerre nucléaire vient d’éclater. Notre héros s’enferme dans un abri antiatomique et se fait cryogéniser avec sa famille. À son réveil, deux cents ans plus tard, il découvre que sa conjointe a été assassinée et leur bébé, kidnappé. Dehors, tout n’est que ruines irradiées et désolation. Une fois sorti de son refuge, plusieurs options s’offrent à lui pour retrouver son fils : se la jouer solo et traquer ses ravisseurs ? trouver des alliés parmi la population locale en jouant les bons samaritains ? former une armée de mercenaires pour chasser les pillards et les mutants qui terrorisent la région ?… Née à la fin des années 1990, la saga Fallout

a marqué l’histoire du jeu vidéo par sa vision âpre et imprévisible du genre post-­apocalyptique, et grâce au fait que chaque joueur peut vivre sa propre destinée sur ses terres irradiées. Adapté aux standards actuels, ce quatrième épisode élève la logique libertaire à un rang supérieur. Avec ses panoramas renversant de beauté mortifère, la Boston dévastée du jeu n’est pas qu’une prouesse architecturale que l’on arpente jusqu’à l’épuisement. C’est aussi un réservoir infini de fictions qui questionnent sans cesse notre difficulté à faire des choix.  Fallout 4 (Bethesda Softworks/PS4, One, PC)

3 perles indés BROFORCE

(Free Lives/PC)

La Broforce est composée de clones de héros du cinéma d’action – Rambo, Terminator, Mad Max, tout y passe. Ceux-ci doivent nettoyer des niveaux infestés de terroristes cagoulés et de méchants aliens… Avec son plan de jeu à la jobardise assumée, Broforce est un défouloir jouissif qui pastiche à merveille les blockbusters et leur logique de surenchère.

PAR Y. F.

DOWNWELL

(Devolver Digital/PC, iOS)

Équipé de bottes-flingues, le héros se jette dans un puits pour en explorer les profondeurs. Mais sa chute s’avère sans fin et l’endroit, infesté de monstres de plus en plus dangereux. Malgré son décor unique et son schéma d’action ultra répétitif, Downwell recèle des trésors d’inventivité. Sûrement l’un des meilleurs jeux d’arcade de l’année.

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Un astronaute nous contacte via une interface de messagerie. Son vaisseau vient de s’écraser sur une planète inconnue, ses chances de survie sont minimes, et il a besoin de parler. Parfois, il nous demande conseil. Parfois, il coupe la communication pendant plusieurs heures (littéralement) pour entreprendre une action ou pour dormir. Plus les jours passent et plus on s’inquiète pour lui. À mi-chemin entre un tamagotchi et le mythe de Robinson Crusoé, Lifeline, avec quelques lignes de dialogues et une bonne dose d’imagination, crée une expérience empathique d’un nouveau genre. Y. F.

WARHAMMER: END TIMES. VERMINTIDE (Fatshark/PC)

Quatre aventuriers doivent traverser une ville médiévale infestée de rats géants. Ils ont obligation d’avancer en restant groupés et solidaires afin de repousser les assauts des rongeurs et d’arriver à bon port. Pensé comme un grand train fantôme, Vermintide fait de chaque expédition un (génial) supplice pour les nerfs.


sélection par Y. F.

RISE OF THE TOMB RAIDER

DEVIL SURVIVOR 2. RECORD BREAKER

Après le reboot de 2013, Tomb Raider accouche d’une suite tout aussi réussie. Cette fois, Lara Croft part à la recherche d’un artefact mythique perdu au fin fond de la Sibérie. Ambiance enneigée donc, pour un jeu qui garde sa frénésie spectaculaire mais qui revient aussi à ses premières amours, à savoir l’exploration patiente de tombeaux labyrinthiques où abondent énigmes retorses et pièges mortels. Classique mais imbattable.

Un séisme provoque l’irruption de centaines de démons dans les rues de Tokyo. Trois étudiants apprennent qu’ils peuvent les exorciser… avec leur smartphone. Doté d’une application magique, l’engin leur permet d’enrôler des démons, voire de les fusionner pour obtenir des hybrides encore plus performants. À partir de ce pitch improbable, Devil Survivor 2 réussit un croisement détonant de RPG tactique et de roman visuel.

(Square Enix/PC, X One)

HALO 5. GUARDIANS

(Microsoft/X One)

Son créateur (Bungie) parti, c’est maintenant 343 Industries qui veille aux destinées de Halo, à charge pour ce studio de réussir la première incursion de la saga sur Xbox One. Si la prudence est de rigueur (le gameplay reste inchangé), ce cinquième opus brille par une mise en scène d’exception et des décors immenses et remarquablement conçus qui garantissent des escarmouches tactiques de haute volée, surtout si l’on joue à plusieurs. Que les fans se rassurent : Halo est plus vivant que jamais.

(Atlus/3DS)

XENOBLADE CHRONICLES X (Nintendo/Wii U)

Chaque RPG peut être vu comme un monde à part entière, autonome et chronophage, mais face à la démesure de Xenoblade Chronicles X, on peut carrément parler de galaxie. Après avoir fui la Terre, l’humanité a trouvé refuge sur une planète inconnue et tente de survivre dans ce nouvel environnement, grâce à ses soldats d’élite (nous). Sur ce postulat se déploie une fresque flamboyante et humaniste au programme certes copieux mais inoubliable.


cultures FOOD

PâTISSERIE

Pas d’embûches pour Noël

© d. r.

DÉCALÉ

Bonne nouvelle : pour les fêtes, la folie pâtissière ne désenfle pas, et les artisans rivalisent d’audace. Ainsi Hugues Pouget et sa collaboration avec Catherine Deneuve, ou Laurent Favre-Mot, avec son look et ses tartes barrés. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

Quand on a Catherine Deneuve comme cliente régulière de sa pâtisserie, on ne peut pas rester insensible. Drôle d’endroit pour une rencontre ? Pas tant que ça. Alors, un jour, Hugues Pouget, créateur de Hugo & Victor, se paye le culot de l’aborder, le cœur battant la chamade : « Ça vous dirait de faire un gâteau avec moi ? » Pas sauvage pour deux sous, la grande Catherine tope là. Le conte de Noël peut commencer. Après quelques discussions, Hugues Pouget se met au travail. La bûche prend forme, « intemporelle, indémodable, complexe mais sans artifice », souligne le pâtissier. Le résultat : meringue croquante à la poudre de noisette, mousse légère au praliné

noisette maison, biscuit financier aux zestes de clémentine, croustillant praliné feuillantine, nuage de café en infusion froide. Le gâteau s’appelle Marion (59 € pour 5/6 personnes), en hommage au personnage joué par Deneuve dans Le Dernier Métro de Truffaut. Sur la lancée, les deux nouveaux amis ont créé une Reine des galettes (48 € pour 6/8 personnes) : pâte feuilletée au beurre frais, frangipane à la poudre d’amande, éclats de noix caramélisés. Dans la collection Cinéma, on trouve aussi les bûches Plein Soleil (agrumes) et Tenue de soirée (cho­ colat). Coupez, on la refait ! Hugo & Victor (deux boutiques à Paris) www.hugovictor.com

pour les becs sucrés PÂTISSERIE DULONG Formé par des grands – Carl Marletti, Christophe Michalak ou Jean-Paul Hévin –, Maxime Ollivier a bien appris ses leçons. Lait d’éden (gâteau noisette, praliné, chocolat), saint-honoré, mille-feuille praliné ou p’tit pot (fraisier en trompe-l’œil), tout est bon. Un talent reconnu par le Collège culinaire de France et son label « producteur artisan de qualité ». 18, rue Victor Cresson (Issy-les-Moulineaux)

MON ÉCLAIR Ils sont jeunes, beaux et talentueux. Johanna Le Pape, championne du monde des arts sucrés 2014, et Grégory Cohen, ancien de la pub et de la télé, ont ouvert leur boutique monomaniaque. Pour 4,80 €, on choisit la garniture (confit citron, par exemple) de son chou sans gluten, son crémeux (ganache montée vanille) et son topping (chips coco). Bon app’ ! 52, rue des Acacias – Paris XVIIe

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LE HIPSTER DE SOPI Motard tatoué et hirsute, Laurent Favre-Mot passe pour être LE « pâtissier rock ». Mais ce qu’il aime, c’est la cuisine. Salée d’abord, sucrée depuis quelques années. Il a quitté Marseille pour Paris où il propose des gâteaux à l’ardoise, selon l’inspiration et la saison. Il fait le buzz avec son burger sucré (crémeux citron au chocolat noir, gelée mandarine, madeleines au sésame) et ses têtes de mort, mais sa tarte signature est tout en délicatesse, vanille en deux textures et noix de pécan caramélisées. Instinctif et paradoxal, c’est ainsi que LFM est grand. S. M. Laurent Favre-Mot Pâtisserie South Pigalle 12, rue Manuel Paris IXe Tél. : 01 40 16 13 36

PAR S. M.

MAISON DE LA CHANTILLY Cette boutique minuscule de la gourmande rue Cler joue la tendance monoproduit à fond. On y trouve de la chantilly toute prête, en pot ou en cornet (à partir de 4 €), dans un chou (1,50 €, sur un chanticcino (4 €) ou un express (3,50 €), et l’on peut même repartir avec sa petite bouteille de 500 ml de crème pour chantilly maison (8,50 €). 47, rue Cler – Paris VIIe


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© musée du quai branly gautier deblonde

pré se nte

EXPOSITION

SEPIK

Arts de Papouasie-Nouvelle-Guinée Le musée du quai Branly met en lumière, à travers plus de deux cents sculptures et objets, l’imaginaire complexe et fécond des hommes et des femmes qui peuplent depuis trois millénaires les rives du Sepik, fleuve situé au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. PAR OLIVIER BAYU GANDRILLE

Deux longues pirogues installées devant des images vidéo du fleuve Sepik nous accueillent au début de l’exposition, nous invitant à embarquer pour un voyage au cœur de contrées lointaines et du temps jadis. C’est dans un village fictif divisé en six parties, correspondant chacune à un espace social traditionnel – « Maison familiale et espace des femmes » ; « Le monde des hommes : entre le village et la forêt »… –, que l’on découvre avec émerveillement cette culture foisonnante d’Océanie dans laquelle chaque objet, du plus rudimentaire au plus sophistiqué, est investi d’une signification spirituelle propre. Les premières salles présentent les instruments du quotidien découverts lors d’expéditions menées entre les années 1900 et 1970. On y trouve des « appuis-nuque » en bois à l’effigie d’animaux sacrés servant autant à dormir qu’à favoriser le surgissement de rêves mystiques, ou encore des sortes de crochets à l’effigie cette fois de figures ancestrales fondatrices, destinés à suspendre de la nourriture tout autant qu’à accrocher

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des offrandes. À mesure que l’on s’engouffre dans l’exposition et que l’on quitte les objets de la vie courante, les sculptures apparaissent dans leur dimension la plus pieuse. La « Maison des hommes », peuplée de figures zoomorphes éclairées isolément les unes des autres, invite le spectateur à les contempler individuellement, comme s’il faisait face à une variété infinie de totems aux formes et aux histoires différentes. Arrivé à la salle des « Instruments de musique », où sont diffusés des enregistrements datant des années 1960 aux années 1980 d’ensembles de flûtes et de tambours envoûtants, on ressent l’étrange sensation d’avoir été propulsé dans le monde invisible des croyances et des mythes des habitants des rives du Sepik, sentiment confirmé à la fin de l’exposition : projetées à nouveau au mur, les images du fleuve provoquent cette fois-ci une pointe de nostalgie, comme quand on rentre d’un long et merveilleux voyage. jusqu’au 31 janvier au musée du quai Branly

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pré se nte

THÉÂTRE BETTENCOURT BOULEVARD L’affaire Bettencourt, articulée autour du trio Liliane Bettencourt, Françoise Bettencourt-Meyers et François-Marie Banier, est explorée dans ses potentialités mythologiques… Christian Schiaretti met en scène la dernière pièce de Michel Vinaver qui, à partir d’un travail de documentation poussé, donne à ce feuilleton judiciaire des échos tragiques. O. B. G. du 20 janvier au 14 février au théâtre national de La Colline

© christian barani

© maisons de victor hugo/ roger-viollet

exposition

Centre étudiant, restaurant universitaire, Panjab University

CHANDIGARH 50 ans après Le Corbusier

La Cité de l’architecture et du patrimoine consacre une exposition à Chandigarh, nouvelle capitale de l’État du Penjab conçue par Le Corbusier après la proclamation de l’indépendance de l’Inde, en 1947. L’occasion d’observer comment vivre la modernité corbuséenne cinquante ans après la mort de l’architecte. PAR LESLIE AUGUSTE

Sous les voûtes de la Cité de l’architecture et du patrimoine, différentes voies, aussi didactiques que poétiques, invitent à déambuler dans Chandigarh. Dans un petit espace en forme de barque retournée, captations sonores et vidéos grandeur nature font écho aux dessins et aux plans de l’époque. En immersion, le visiteur navigue entre les maquettes réalisées pour l’occasion et traverse des scènes de vie actuelle : les habitants cuisinent, discutent en famille, se promènent dans différents endroits de la cité. Une douceur émane de ces images animées, qui révèlent la Chandigarh d’aujourd’hui : une « ville verte » à la radicalité urbaine, porteuse d’espoirs… et

de désillusions aussi. C’est que Le Corbusier et son équipe ont imaginé la ville en plaçant en son cœur l’espace public, comme autant de lieux à partager et à investir. Mais Chandigarh appréhende aussi un devenir incertain. Ses espaces verts et ses points d’eau se confondent peu à peu dans le pastel gris des bâtiments, et les idéaux semblent rattrapés par la précarité des conditions de vie. Une exposition qui sonne comme un hommage à la pensée novatrice de Le Corbusier, mais aussi comme une invitation à engager une réflexion autour de l’architecture urbaine de demain. jusqu’au 29 février à la Cité de l’architecture et du patrimoine

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Victor Hugo, Sub clara nuda lucerna ÉROS HUGO Au fil d’un parcours chronologique jalonné de peintures, de dessins et de textes signés Victor Hugo, et complété par des gravures, des sculptures et des photographies de ses contemporains – d’Eugène Delacroix à Félix-Jacques Moulin –, cette exposition, sous-titrée « entre pudeur et excès », fouille le rapport ambivalent de l’écrivain à l’érotisme. O. B. G. jusqu’au 21 février à la maison de Victor Hugo

exposition

© studio ai wei wei

EXPOSITION

ER XI Connu pour ses œuvres subversives, Ai Weiwei montre une autre facette de son art, plus artisanale et plus poétique, au Bon Marché. « Er Xi », ici traduit par « Air de jeu », nous invite à plonger dans l’enfance de l’artiste chinois : inspirée du Livre des monts et des mers, un ensemble de contes épiques, l’exposition rassemble une série de cerfs-volants traditionnels à l’effigie de créatures fantastiques. O. B. G. du 16 janvier au 20 février au Bon Marché Rive Gauche


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pré se nte

© renzo piano building workshop architects/photo karin jobst

exposition

Détail de la maquette préparatoire de l’exposition « Seven Corridors »

EXPOSITION

FRANÇOIS MORELLET Figure majeure de l’abstraction géométrique, François Morellet nous propose de circuler dans un tableau devenu sculpture monumentale. Une invitation à entrer au cœur des jeux de l’humour et du hasard qui régissent l’œuvre de l’artiste français depuis les années 1950. PAR ANNE-LOU VICENTE

Un carré ; deux alphabets de sept lettres, répartis autour dudit carré ; des lignes tracées de part et d’autre reliant les lettres qui forment le titre de l’œuvre et de la manifestation, « Seven Corridors ». Tel est le point de départ de la sculpture monumentale que l’on découvre en entrant dans l’immense salle réservée aux expositions temporaires du Mac/Val. S’élevant à plusieurs mètres de hauteur, des blocs immaculés sont comme découpés par d’étroits couloirs qui nous invitent à pénétrer dans l’antre de l’édifice et, au gré des intersections, à y déambuler. Après la balade au sol, il est de rigueur de s’élever un peu en montant les quelques marches menant vers un palier qui surplombe à la

fois l’espace et l’œuvre in situ, en modifiant ainsi notre perception et notre expérience. Les sept couloirs qui parcourent et sectionnent le cube blanc se poursuivent sur les murs qui arborent des lignes noires aussi minimalistes que graphiques, donnant à voir, en quelque sorte, le horschamp de ce qui s’apparente ici à un tableau en trois dimensions à très grande échelle. Du haut de ses presque 90 ans, François Morellet, par ce geste artistique et architectural, prouve une fois de plus sa maîtrise de l’art de combiner, au moyen des mathématiques et du hasard, peinture et sculpture, dessin et installation. « Seven Corridors » jusqu’au 6 mars au Mac/Val (Vitry-sur-Seine)

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hiver 2015-2016

LA MÉTHODE PIANO Le Centre Pompidou à Paris, le Whitney Museum à New York… les projets de Renzo Piano font l’objet d’une exposition éclairante qui invite le spectateur à plonger dans les secrets de fabrication de l’architecte italien qui, avec ses collaborateurs, exploite les potentialités des matériaux et des méthodes de construction pour renouveler notre rapport à la ville. O. B. G. jusqu’au 29 février à la Cité de l’architecture et du patrimoine

THÉÂTRE

© nicolas joubard

© studio morellet ; adagp, paris 2015

Musée Whitney d’art américain, Gansevoort, New York, États-Unis, 2007-2015

RICHARD III À la mort d’Édouard IV en 1483, le duc de Gloucester fait assassiner son frère et ses neveux pour devenir roi d’Angleterre… Couronné en 2015 d’un Molière pour Henry VI, expérience épique de dix-huit heures, Thomas Jolly poursuit son aventure shakespearienne avec Richard III où il interprète le monarque tyrannique jusqu’à sa chute sur le champ de bataille. O. B. G. à partir du 6 janvier à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

DISQUE SUPERPOZE Prodige caennais de 22 ans, Superpoze livre avec Opening un premier album mêlant avec maturité mélodies au piano et sons synthétiques. Au long de ces huit morceaux, sa musique, hypnotique dès les premiers accords, entêtante dès les premiers beats, plonge l’auditeur en apesanteur. O. B. G. Opening de Superpoze (Combien Mille Records), disponible


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SHOPPING

BEAUX CADEAUX Noël approche, et vous êtes en panne d’inspiration ? Pour vous aider, les équipes des stores des MK2 Bibliothèque et Quai de Loire ont pioché cette sélection de cadeaux dans leurs rayons.

Poster Jeff Koons à colorier Omy, 21,90 € aux stores des MK2 Bibliothèque et Quai de Loire

Moule à œuf au plat Space Eggs Doiy, 9,90 € au store du MK2 Bibliothèque

MONTRES STAR WARS Nixon, 125 € et 499 € au store du MK2 Bibliothèque

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hiver 2015-2016


Tee-shirt Moby Dick Out of Print, 25 € au store du MK2 Quai de Loire

Tote bag Pride and Prejudice Out of Print, 25 € au store du MK2 Quai de Loire

Arsène Schrauwen d’Olivier Schrauwen L’Association, 35 € au store du MK2 Quai de Loire

La grande histoire de la Belgique et la petite histoire familiale travaillent l’œuvre d’Olivier Schrauwen, plasticien virtuose. Il détourne ici l’aventure coloniale de son grand-père en une épopée grotesque.

Board turbopropulseur Velair, 599 € au store du MK2 Bibliothèque

Coussin Dark Vador ABYstyle, 24.90 € au store du MK2 Bibliothèque

La Forêt enchantée d’Aina Bestard Seuil Jeunesse, 16 € au store du MK2 Quai de Loire

BRACELETS Nilaï, de 15 à 55 € au store du MK2 Bibliothèque

Entre les deux il n’y a rien de Mathieu Riboulet Verdier, 14 € au store du MK2 Quai de Loire

À l’orée des années 1970, à Paris, à Rome, à Berlin, les mouvements de contestation nés dans le sillage des manifestations étudiantes de 68 se posent la question du recours à la lutte armée…

La forêt est silencieuse. Pas un bruit. Pas âme qui vive. Et pourtant… Été comme hiver, de jour comme de nuit, dans la mare ou dans les herbes hautes, la forêt respire et vit !

Coffret OUT 1 de Jacques Rivette Carlotta, 80 € au store du MK2 Quai de Loire

Ce coffret réunit les deux versions (l’une de 12h40, l’autre de 4h15) du film de Jacques Rivette, adaptation de L’Histoire des Treize d’Honoré de Balzac, tourné en 1970 et longtemps invisible.

Adresses et horaires d’ouverture des stores sur www.mk2.com

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© steve mccurry - reproduit de inde (phaidon, 2015)

L’actualité DES salles

Bengale occidental, 1983. Vélos suspendus au flanc d’un wagon

LIVRE

STEVE McCURRY Membre de l’agence Magnum, le photoreporter américain Steve McCurry, à qui l’on doit notamment À l’ombre des montagnes ou Les Chemins de Bouddha (tous deux aux éditions Phaidon), vient de publier chez le même éditeur un nouvel ouvrage, Inde, qui réunit quatre-vingt-cinq images d’un pays dont il célèbre les bigarrures depuis bientôt quarante ans. PAR CLAUDE GARCIA

C

e qui frappe d’emblée, dans les photographies de Steve McCurry, 65 ans, c’est l’intensité du regard de ses sujets. Ce talent est particulièrement visible dans sa célèbre photo intitulée Afghan Girl, portrait d’une Afghane réfugiée au Pakistan qui fit la couverture du numéro de juin 1985 de la revue National Geographic. « Un bon portrait doit dire quelque chose de la condition humaine », nous explique le photographe au téléphone. C’est cette ambition qui fait de lui un artiste autant qu’un photojournaliste. « J’aspire avant tout à raconter des histoires. » En trois décennies de carrière, McCurry s’est ainsi fait le conteur des cultures lointaines ou des conflits qui ravagent le monde (guerre IranIrak, guerre du Golfe…). L’un des pays qu’il a le plus photographiés est l’Inde, où il s’est rendu pour la première fois en 1978, et dont il tire aujourd’hui un livre qui s’affirme comme un condensé de sensations. « Ce qui m’a le plus surpris lors de mon premier voyage, c’était l’écart entre les personnes

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très riches et les très pauvres. » Grâce à un remarquable travail autour des couleurs – souvent saturées – et des contrastes – très francs –, McCurry fait ressortir la beauté d’un pays aux teintes bariolées, du Kerala au Rajasthan, que ce soit dans les villes hyper industrialisées ou dans les villages les plus modestes. Qu’elles lui aient été commandées par des journaux ou qu’elles aient été prises lors de voyages personnels, ces quatre-vingt-cinq photos (dont certaines inédites) montrent que la spiritualité comme le business tiennent une grande place dans la société indienne. En 2000, dans l’État du Bihar, McCurry joue de cette confusion en photographiant un moine bouddhiste à l’allure solennelle devant un mur sur lequel est inscrit le logo criard de Coca-Cola. Encore une fois, McCurry a su intercepter son regard qui, perdu dans le vide, évoque le trouble d’un pays aux multiples paradoxes. Inde de Steve McCurry (Phaidon) le 13 décembre à 10h45 masterclass avec Steve McCurry au MK2 Bibliothèque

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L’actualité DES salles

Des bêtes et des hommes PAR ANNE DE MALLERAY

Alors que la COP21 se focalise sur le réchauffement climatique, et notamment sur la question des émissions de CO 2, global et insaisissable, ce cycle de projections proposé par l’AFAF (Association française d’agroforesterie) permet d’opérer un retour à la terre pour regarder les conditions concrètes de notre cohabitation avec le vivant. Une série de cinq films qui se répondent (De chair et de lait de Bernard Bloch, Le Grand Paysage d’Alexis Droeven et Il a plu sur le grand paysage de Jean-Jacques Andrien, L’Apprenti de Samuel Collardey, Secteur 545 de Pierre Creton) explore les relations entre les vaches (bêtes emblématiques), les hommes, et les paysages que l’élevage a historiquement façonnés. Le cycle est accompagné d’une exposition (« Agroforesterie. COPier la prairie ou la forêt ») autour de cette pratique agricole et forestière encore marginale en France, qui mobilise hommes, bêtes et paysages dans un système complexe, au combien plus résilient que celui de l’agro-industrie. du 5 au 20 décembre au MK2 Quai de Seine

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

du 11 au 14/12

FESTIVAL PARIS COURTS DEVANT MK2 accueille certaines séances du festival Paris courts devant : « Si loin si proche #1 », « Si loin si proche #2 », « Films de musique », « Courts d’école » et « Petits Courts devant » (programme 8/10 ans). >MK2 Nation et MK2 Quai de Seine Dates et horaires sur www.courtsdevant.com

12 et 13/12

NOS ATELIERS PHOTO « Les lumières de Paris », animé par Philippe Durand (tous types d’appareil). Détails et réservation : 06 95 28 78 10 / contact@mobilecameraclub.fr. >MK2 Bibliothèque

14/12

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Peut-on aimer son prochain comme soi-même ? » >MK2 Odéon à 18h15

CONFÉRENCES

4/01

RENCONTRES

musique

ALL’OPERA Jeanne d’Arc, depuis la Scala de Milan. >MK2 Odéon à 19h45

19/01

8/01

CINÉMADZ En partenariat avec le site madmoiZelle.com, projection de Persepolis de Marjane Satrapi. >MK2 Bibliothèque à 20h ROCK’N PHILO « Pouvons-nous être indifférents aux crises de l’humanité ? » >MK2 Grand Palais à 20h

11/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Et si nous cessions d’avoir peur du vide ? » avec Philippe Nassif. >MK2 Odéon à 18h15

16 et 17/01

CONNAISSANCES DU MONDE Roma. 7 jours dans la ville éternelle, en présence de Philippe Soreil, coréalisateur. >MK2 Nation à 14h

4/01

18/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il avoir peur de ce qui se répète ? » >MK2 Odéon à 18h15

RENDEZ-VOUS DES DOCS Little Go Girls d’Éliane de Latour, en présence de la réalisatrice. >MK2 Quai de Loire à 20h

5/01

THÉÂTRE Projection en intégralité de la captation de Henry VI de William Shakespeare dans la célèbre mise en scène de Thomas Jolly avec la Piccola Familia. >MK2 Grand Palais à partir de 14h30

15/12

18/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que seraient les hommes sans la croyance en Dieu ? » >MK2 Odéon à 18h15

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hiver 2015-2016

CONNAISSANCES DU MONDE Australia.Sur les pistes du rêve, en présence du réalisateur Jean Charbonneau. >MK2 Nation à 14h

23/01

NOS ATELIERS PHOTO Paris au smartphone, animé par Yann Lebecque. Réservation : 06 95 28 78 10 / contact@mobilecameraclub.fr. >MK2 Bibliothèque toute la journée

25/01

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Sommes-nous capables de pardonner ? » >MK2 Odéon à 18h15

28/01

CARTE BLANCHE A NAIVE NEW BEATERS Projection du premier film de Naive New Beaters, Yo! Pékin, et rencontre avec le groupe. > MK2 Quai de Seine à 20h

01/02

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Aimer, jusqu’où ? » >MK2 Odéon à 18h15


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hiver 2015-2016


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