3900 volume 1 - mai 2013

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résidences sur la terre

1 — Bellac, 2012

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Olivier Keimed Auteur, metteur en scène, directeur artistique de Trois Tristes Tigres, membre du comité artistique du Théâtre d'Aujourd'hui et responsable du Salon de la dramaturgie contemporaine À chaque fois que j’évoque la « résidence d’écriture », je pense à la Résidence sur la terre de Pablo Neruda, ce magnifique recueil de poèmes écrits au gré des pérégrinations du poète-consul, au-dessous des volcans comme au milieu des îles lointaines... Car avant tout, la résidence d’écriture est un séjour qu’on sait précisément circonscrit dans le temps. Elle a la terre comme horizon : peu importe l’obstacle de la langue, du choc frontal des cultures, des conditions parfois rudes (et parfois flamboyantes), car ce qui compte ici, c’est ce hors-temps qu’on se donne, qu’on se crée. L’écrivain s’affranchit de son univers habituel et se voit projeté en un ailleurs qui lui est totalement étranger. De là devrait naître une oeuvre, si ce n’est un projet, un espace défriché pour de nouvelles voies à venir... « Projeté », oui, en un ailleurs :

Le magazine du théâtre d’aujourd’hui

n’est-ce pas là l’expérience même de la naissance ? Le philosophe allemand Heidegger ne le disait pas autrement : nous sommes des êtres jetés dans le monde. BELLAC Le village que vous voyez se nomme Bellac, il se situe dans le Limousin, en France (photo 1). Il n'est connu que pour un détail : il a été le lieu de naissance de Jean Giraudoux, écrivain français fameux de l’entre-deux-guerres, dont la complicité avec Louis Jouvet a donné de belles pièces : La folle de Chaillot, Électre, La guerre de Troie n’aura pas lieu... J’ai été invité en résidence d’écriture en mai 2008, donc, par le Théâtre du Cloître de Bellac, lequel participait à un événement de lectures francophones dont le titre ne passait pas inaperçu : « Les auteurs vivants ne sont pas tous morts ». Ce à quoi j’ajoutais : « Mais ça s’en vient », reclus dans ma petite tour de je ne sais plus quel siècle, où dit-on Henri IV très vert galant passa - lui !- de folles nuits. La manifestation des auteurs vivants nous emmenait en des endroits très reculés de la Creuse, laquelle est un département déjà très reculé, où on livrait nos écrits devant des assistances disons « disséminées », pour être poli... Envoyés, si ce n’est largués dans des prisons, des hôpitaux, des centres de réadaptation et pire, des mairies, nous répandions la bonne parole d’auteur. D’autres villages du Limousin aux noms poétiques recevaient nos lectures : Arnac-laPoste, parmi ceux-ci, remportait la palme des noms saugrenus. À noter que ce village fait partie, et je suis sérieux, de l’Association des communes de France aux noms burlesques et chantants, aux côtés des Andouillé, Latronche, Monteton, Poil, Sainte-Verge, Theminettes, Vatan (bienvenue) et autres Trécon. Sur une note plus sérieuse, j’y rencontrai l’auteur et metteur en scène Filip Forgeau, basé à Guéret (Limousin), dont je fis venir un spectacle à Espace Libre en 2010, Un atoll dans la tête. Car

au-delà des expériences d’écriture, la résidence est une expérience humaine : même isolé dans une tourelle de la Renaissance, nous y faisons des rencontres, de celles qui vous animent, vous habitent puis vous suivent toute votre vie.

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TROUPE À LA CHARTREUSE Juillet 2008, nous voici en résidence non pas d’écriture, mais de création (photo 2). De gauche à droite : Eugénie Gaillard, Johanne Haberlin, votre humble serviteur, Marie-Josée Bastien qu’on distingue à peine, mais qu’on entend beaucoup, Emmanuel Schwartz, Jacques Laroche, Olivier Aubin dont on ne voit pratiquement que la casquette et enfin Simon Boudreault; on ne sait pas s’il bâille ou s’il joue, peut-être les deux. Invités par la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, plus précisément par le Centre national des écritures du spectacle (CNES), à présenter un cabaret sur le thème de « l’Europe et les barbares », nous répétons nos scènes. Étaient inscrits également au programme une lecture de ma pièce L’Énéide, au sein du Festival d’Avignon, ainsi que la lecture du compterendu d’une « sonde » appelée « Le Scriptorium ». Le responsable des écritures du spectacle à la Chartreuse à cette époque, Franck Bauchard, réalisait une série de rencontres entre scientifiques (parfois même des spécialistes de la robotique) et auteurs dramatiques. Ces sondes permettaient l’exploration de nouvelles formes

Volume 1 Mai 2013


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