Air Canada enRoute — August / août 2011

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train et leur ramène un intellectuel. Les vieux commençaient à regretter ces exodes massifs des jeunes, ils ne savaient pas qu’ils allaient un jour se retrouver avec un problème d’une telle ampleur dans les bras. Quelques jours plus tard, on ramena deux jeunes hommes qui se débattaient parce qu’ils ne savaient pas pourquoi on les avait kidnappés ni pourquoi on leur avait bandé les yeux. Les vieux leur demandèrent comment faire pour que le cadavre de Makosso devienne un patrimoine commun de l’humanité. — Ce cadavre doit remplir des critères pour qu’il reçoive le label patrimoine commun de l’humanité, dit le premier jeune en tremblant. J’en cite quelques-uns. Il faut que l’utilisation du cadavre soit faite à des fins pacifiques. Est-ce que le cadavre de Makosso peut être considéré comme tel ? Je n’en doute pas, fit-il rapidement. Il faut ensuite une administration planétaire de ce cadavre. La posture cadavérique de Makosso concerne-t-elle toute l’humanité pour que sa gestion soit confiée à l’ONU ? C’est ce que vous devez démontrer. Il vous faudra aussi voir, entre autres, le partage des bénéfices et des pertes. Face à la multitude des critères que citait Mweni Missoukou, comme par exemple la gestion durable, l’équité intergénérationnelle, les visages s’assombrissaient. — Nzambi zimbou, zimbou ; Nzambi tchiali mpe, Tchiali mpe. Vous pouvez tout simplement opter de faire entrer le cadavre de Makosso dans le Guinness, le livre des records. Ainsi conclut l’étudiant. À Boukou-Li-Dondo, on était découragé. Malgré la brillance de l’intervention, qui du reste donnait des maux de tête à ceux qui étaient habitués à parler de gibier boucané, de mauvaises récoltes et d’inondations, on s’aperçut vite que le droit n’était pas capable de prendre en compte l’activité informelle de l’Afrique, pas même capable de formaliser une façon de mourir. Dans la confusion des déclarations qui jaillissaient ici et là et dans l’espoir de voir enfin les regards se tourner vers Boukou-Li-Dondo, on imposa tout de même l’idée d’écouter un scientifique. On tira brutalement l’autre jeune au milieu du cercle pour qu’il dise quelque chose.

Dawit L. Petros, MiMesis (the wooDstock series) UntitLeD (waterfaLL), 2007, 60.96 x 101.6 cM. coUrtoisie De aLexanDer Gray associates, new york, ny

le poids. Quand notre cher Makosso est mort cette nuit, il était en équilibre sur ses pieds. Le ton des débats était lancé. Mafouta se leva. Il s’avança de quelques pas vers le cadavre, près du baobab. — Nzambi zimbou, zimbou ; Nzambi tchiali mpe, Tchiali mpe. Je vais aller dans le sens de Mambondo, fit-il, et ajouter qu’en dehors du Christ, seul un pendu a le privilège de mourir debout. Et encore faudrait-il que son corps, vidé de la vie, soit maintenu par des forces matérielles qui l’empêchent de tomber et permettent de fixer les pieds bien à plat sur le sol. Selon toute vraisemblance, Makosso est le seul être, sinon le premier connu, qui, depuis que le monde est monde, est mort honnêtement sur ses jambes. D’autres intervenants se succédèrent près du cadavre de Makosso, en prenant soin de réciter la formule avant d’avancer leur propre théorie. Tous les vieux barbus du village étaient là, avec leur pagne en raphia autour des reins. Mais l’ambiance était grave et joyeuse à la fois. Quelques femmes et enfants continuaient de chanter et de pleurer. Les plus croyants dans la foule, la tendance des devins et autres marabouts, répétaient à qui voulait les entendre qu’il s’agissait là d’un prélude à la nouvelle forme que prendraient les cadavres humains. Cette faction estimait qu’il fallait tenter d’imposer à l’humanité l’idée d’un nouveau calendrier, car, précisait-elle, Jésus-Christ ne devrait plus servir de référence historique ; une nouvelle datation était nécessaire ; l’humanité devrait en principe commencer à compter les jours à partir de l’an un après Makosso. D’autres villageois, plus au fait de ce qui se passait dans le monde, demandèrent d’entreprendre des démarches auprès de l’ONU. Ils suggérèrent que le cadavre de Makosso soit déclaré patrimoine commun de l’humanité. Mais il leur fallut d’abord l’avis d’un intellectuel. Et il n’y en avait pas à des kilomètres à la ronde. La plupart des jeunes qui avaient fait des études avaient déserté les villages. Il fallait deux mois de marche à pied pour trouver un intellectuel. On envoya un vieux à la gare de Mvouti, à deux jours de marche de là, pour discuter avec le chef de gare, qu’il fouille dans un


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