Transcontinental Race 2015 by me #32

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La Transcontinental Race ou ma Croisade à travers l’Europe La Transcontinental est une des courses de vélo les plus extrêmes au monde, soit sur le papier, près de 4200 km et 40000 mètres de dénivelé en solitaire et sans assistance. Cette année, le départ était fixé, au pied du Muur de Grammont en Belgique et avait pour ligne d’arrivée le Café Hisar sur le Bosphore à Istanbul. 4 points de passage obligatoires: le Mont Ventoux (France), Sestrières (Italie), Vukovar (Croatie), Kotor (Monténégro) et en dehors de ces 4 check points la route était libre, nous pouvions emprunter les chemins qui nous amusent et rouler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, le but étant d’arriver le plus vite possible à Istanbul. Une fois le chronomètre enclenché il ne s’arrête qu’une fois la ligne d’arrivée franchie: 172 partants, 89 à l’arrivée. Voici le règlement de la course qui tient en seulement 10 articles: 1.

Les coureurs doivent rouler du point de départ jusqu’à l’arrivée en passant par les points de contrôles obligatoires. 2. Toute assistance est interdite. Toute alimentation, toute boisson et équipement doivent être portés par le coureur ou acquis en cours de route par lui-même 3. Le « drafting » est interdit. 4. Tout déplacement doit se faire à force humaine. 5. Les Ferries peuvent être autorisés mais soumis à l’approbation du Directeur de Course. 6. Les coureurs sont responsables du maintien des mises à jour de leur position 7. 2 jours d’inactivité sans contact seront considérés comme un abandon . 8. Pas de casque, pas d’assurance, pas de course. 9. Il est de la responsabilité du coureur de connaître et de respecter les lois locales 10. Les coureurs doivent agir dans l’esprit de l’autosuffisance et de l’égalité des chances pour tous les coureurs.


Cela peut paraître étrange et incompréhensible pour certains que je me sois embarqué dans une « course » alors que je n’ai pas l’esprit de compétition. J’ai entrepris ce projet comme un défi personnel et surtout une aventure où j’étais libre de choisir ma route, de m’arrêter quand bon me semble, de dormir où je veux, de manger ce que je veux avec qui je veux, de faire, en quelque sorte, ce que je veux. Cette liberté est essentielle dans ma conception du vélo et surtout du voyage à vélo. Cette course était finalement un voyage à vélo supplémentaire avec des conditions particulières comme ce chronomètre qui théoriquement n’aurait pas du laisser de place à l’oisiveté mais que j’ai délaissé quelques fois pour faire un peu de « tourisme », sans trop perdre de temps : c’est une course tout de même ! Une course dans le sens où on est tous ensemble sur la ligne de départ mais quelques minutes plus tard on est seul sur son vélo jusqu’à Istanbul. Il était possible de se connecter pour connaître sa position et celle des autres mais à quoi bon ? J’ai mille autres choses à faire et à admirer. De toute façon je ne suis pas capable des prouesses de Kristof Allegaert ou Josh Ibett. Ce sont des phénomènes, l’année dernière Kristof a bouclé la TCR en moins de 8 jours, en s’étant arrêté 16h, autant dire qu’il n’a pas beaucoup dormi et pour l’anecdote, il est même arrivé à Istanbul 1h55’ avant le directeur de course. J’ai accompli à mon échelle, moi aussi, un exploit sportif extraordinaire que j’ai encore du mal à réaliser. J’ai traversé toute l’Europe, de la Belgique aux portes de l’Asie en ayant parcouru près de 4500 km en moins de 15 jours soit prêt de 305 km par jour. Au départ mon ambition était d’arriver au bout de ce challenge et au final, j’arrive comme je l’avais rêvé dans l’après-midi du jour de la fête de fin de course soit 14 jours, 15h et 37 minutes. Ce qui me hisse à la 28e position puis finalement à la 29e pour une question de pénalité due au fait que j’ai emprunté 2 routes interdites aux vélos. Nous serons d’ailleurs une petite trentaine à participer aux festivités sur le toit terrasse de cet hôtel à la vue imprenable sur le Bosphore. La préparation de cette course est la clé de la réussite, autant dans sa partie technique et matérielle que la navigation et la condition physique sans oublier le paramètre « chance » qui lui malheureusement ne se négocie pas.


Ce fut un long parcours qui a commencé, il y a plus de deux ans quand je découvrais la première édition de cette course dans les méandres de l’internet. Trente et un coureurs s’élancèrent de Londres pour rejoindre Istanbul. Je découvrais un nouveau concept d’aventure et une ambiance pleine d’humilité qui n’avait rien à voir avec les courses classiques. J’accrochais tout de suite ! L’année suivante en 2014, je tentais de m’inscrire mais j’arrivais trop tard pour l’inscription et les quelques “entrées” remises en jeu au printemps me passèrent sous le nez puisque le mail d’information tombait dans ma boite dite « spam », j’en rage encore. Finalement, à l’été 2014, je fis ma traversée de l’Europe, à moi. Un périple de Paris à Budapest soit prêt de 1900 km, qui se soldera par le vol de mon vélo à l’arrivée. J’ai donc eu quasiment 2 ans pour me préparer à la Transcontinental Race, trouver un nouveau vélo, mettre au point la partie technique, acquérir une condition physique suffisante et surtout élaborer un itinéraire qui me convienne. Le 7 novembre 2014 à 21 heures tapantes, je me postais derrière mon ordinateur afin de m’inscrire pour l’édition 2015, j’y passais la nuit de sorte d’être sûr d’être inscrit. Malheureusement ce n’était que la première partie, il fallait ensuite remplir un questionnaire qui portait sur le cahier des charges de la course, qu’il fallait avoir lu avec beaucoup d’attention, soit une cinquantaine de pages en anglais ainsi qu’une espèce de lettre de motivation à rédiger. Le 30 novembre, je reçu la missive que j’attendais tant, j’étais retenu !!! A partir de ce moment là je me mis à potasser le parcours. Je collectais un maximum d’informations et faisais un très grand nombre de simulations sachant qu’il y avait aussi la possibilité d’inverser les check points, notamment le CP4 et CP3 en prenant le ferry à Ancona ou Bari pour arriver à Split, Dubrovnik ou Durres. Cette idée m’a travaillé très longtemps puisqu’elle permettait de raccourcir la course d’au moins 200 km, d’avoir moins de dénivelé et surtout de pouvoir se reposer et peut-être même dormir tout au long de la traversée de l’Adriatique, soit 10h de repos, chose inimaginable sur le plancher des vaches.


C’eût été une très bonne solution si j’avais l’esprit de compétition mais il y avait aussi un énorme bémol dans cette option : la route est une espèce de ligne droite sans saveurs depuis Vukovar jusqu’à Istanbul qui pour une majorité du temps m’aurait obliger à rouler sur la bande d’arrêt d’urgence d’une sorte d’autoroute pendant plus de 1200kms. Je déclinais donc cette option pour me concocter un parcours beaucoup plus pittoresque qui me faisait passer par des pays et des endroits que je ne connaissais pas encore. (Bosnie, Monténégro, Albanie, Macédoine, Grèce et la Turquie) La préparation du vélo fut longue et les réglages du vélo continuèrent jusqu’à la veille du départ. Tout l’enjeu de ce type d’exploit réside dans le confort si tant est que l’on puisse le définir par ce mot. L’idée n’étant pas d’aller vite mais de pouvoir rester sur le vélo le plus longtemps possible afin de minimiser les arrêts. Il faut donc bien s’organiser et avoir un vélo confortable, solide et fiable. J’ai eu le privilège de concevoir mon vélo avec Julien et Laurent de Cyclable grâce à qui, mon « Croix de Fer » n’aura jamais montré de faiblesse même lors de mes 2 chutes. De plus, je n’ai pas crevé une seule fois pendant tout le périple dans lequel on comptabilisera plus de 100 km de chemins rocailleux comme la Strada Dell’ Assietta et une partie de la Bosnie. J’ai aussi fait appelle à Francky Batelier qui a fait un travail très minutieux dans le réglage du vélo et qui m’a permis de trouver la position idéale, entre rendement et confort. Le résultat a été payant puisque je ne peux pas dire que j’ai souffert au point d’envisager à un seul moment l’abandon. Aucune crampe, aucune douleur aux genoux, dos, tendon d’Achille etc... Pour la partie bagagerie, j’ai eu la chance de rencontrer Anthony de Myog qui a confectionné toutes mes sacoches sur mesure. En dehors des considérations techniques, j’ai un vélo très élégant et j’ai pu trouver un accoutrement suffisamment sobre qui ne me faisait pas passer pour un sapin de Noël. C’est un exercice difficile que d’avoir un petit peu de cachet sur son vélo et le pari est réussi.


J’ai acquis une certaine condition physique au fil des années mais je n’avais jamais roulé plus de 250 km dans la journée. Sachant que pour arriver à temps pour les festivités, il fallait que je roule 300 km par jours j’avais donc une double interrogation : - suis-je capable de rouler 300-350 km par jour ? - vais-je pouvoir tenir 15 jours d’affilée ? Cette course est un peu comme un marathon, on s’y prépare mais on ne le court que le jour J donc j’ai fait quelques sorties sur plusieurs jours et une reconnaissance au Mont Ventoux, mais je n’avais pas de réponse. Tant que je ne l’aurais pas tenté, je ne le saurai pas.

Voici donc mon carnet de route illustré.


Jour 0

Je suis arrivé la veille du départ chez mes amis Raphaël et Rim à Bruxelles histoire de passer les voir et de ne pas me retrouver trop brutalement face au défi que je me suis lancé depuis bientôt 2 ans. J’arrivais à Grammont le 24 juillet en début d’après-midi par le train et me retrouvais par hasard avec quelques compagnons français, Stéphane Ouaja et Grégory Barry avec qui j’échangeais ces derniers mois dans notre groupe de discussion «les français de la TCR». Le départ fixé à minuit est impitoyable. Quasiment 10h à attendre que la cloche sonne, l’on essaye de se détendre, de manger, de faire des blagues et pourquoi pas dormir ? Impossible. Je suis avec beaucoup d’attention le dernier briefing de Mike Hall, l’organisateur de la course, en version anglaise, italienne et française, ce qui m’occupe jusqu’au décollage pour Istanbul.



Jour 1 : Grammont (Belgique) - Chatillon sur Seine (France) 405 km Je suis calé sur mon vélo face au fameux Muur, je constate que beaucoup de monde est venu nous encourager. Derniers adieux, il est minuit, la cloche retentit et c’est parti. Un petit tour de piste afin que le public puisse nous admirer gravir le premier obstacle qu’est ce Muur dont la pente maximale est de 19,2 %, heureusement que la souffrance est courte. Me voilà lancé sur la route direction Istanbul. Quelle drôle d’idée. Je roulais près de 23 heures durant, avec une petite sieste de 30 minutes sur le bas côté de la route, une première ! Depuis le lever du soleil, il y a un vent de côté qui a tendance à venir de face et une pluie insistante qui me burine le visage, cette première journée me coûte déjà cher mais peu importe, je suis encore frais. Je croise pas mal de collègues reconnaissables à leur casquette et surtout au type de paquetage si particulier et propre à ce genre de performance. Certains sur la route, d’autres dans le fossé en train de dormir. Le soir venu, sur les coups de 23h, je trouve un bout de clairière en retrait de la route où je déplie ma tente en quelques minutes, il m’en fallut tout autant pour m’endormir, ayant au préalable fait les étirements d’usages, histoire de pouvoir repartir le lendemain. J’ai aussi emporté avec moi ces fameux pantalons de contention dont m’avait parlé Thibault Rivière qui font que la récupération musculaire des jambes est beaucoup plus efficace.





Jour 2 : Chatillon sur seine (France) – Andancette (France) 346 km Au lever de ce 2e jour après une nuit où je dormis du moment où je fermais l’œil jusqu’à ce que le réveil sonne. Je sors de ma «chambre avec vue» et découvre un cerf à l’autre bout de la clairière. Malheureusement ma nudité l’effraye et il disparait dans la brume posée sur ce bout d’herbage. J’enfourche mon vélo pour tenter de faire un maximum de kilomètres afin d’envisager l’ascension du Mont Ventoux le lendemain, tôt dans l’aprèsmidi, sans trop de kilomètres dans les jambes. Sur les coups de midi je me trouve vers Dijon où j’ai eu la frayeur de ma vie, comme si une météorite m’était tombée dessus. Je me suis fait faucher par une moto venue de derrière. Je roule tranquillement en pensant à ce que je vais bien pouvoir trouver à manger et tout d’un coup un choc d’une violence inouïe me terrasse. Ma tête cogne le sol et le casque joue son rôle mais je suis sonné pendant de longues minutes, les gens présents s’affairent autour de moi le temps que je reprenne mes esprits et je comprends alors ce qui vient de se passer. Ma première pensée est un sentiment de panique : vais-je pouvoir continuer la course ? J’ai mal partout. Quelques minutes plus tard les pompiers sont là et me font une batterie d’examens pour enfin conclure qu’il n’y a rien à signaler hormis quelques égratignures. Le monsieur âgé, auteur de cet événement, m’explique qu’il ne m’a pas vu... Enfin, les pompiers ne sont pas venus pour rien puisque c’est lui qui finalement montera dans leur camion. Ce monsieur est cardiaque et toute cette histoire lui aura donné des palpitations. Quelle ironie ! Enfin, je reprends la route et roule jusqu’à près de 2h du matin, je déroule ainsi près de 346 kilomètres pour enfin établir ma couche au son d’aboiements de chiens qui doivent certainement monter la garde d’une propriété. Peu importe, la fatigue l’emporte et je m’endors.



Jour 3 : Andancette (France) – Sault (France) 215 km Je me réveille ce matin-là, non au son du réveil, ni des cabots, mais au son d’un espèce de bruit qui ressemble à un système d’arrosage. En effet je sors de ma chambre et comprends que j’avais planté ma tente à la lumière de ma frontale dans un champ d’arbres fruitiers que j’oserais nommer des pêchers. La chance est de mon côté, j’ai le temps de plier ma chambrée à temps et je suis épargné de ses jets. Direction Bedoin. Je m’arrête dans un petit village du côté de Valence afin de remplir ma panse dans une boulangerie. J’espère profiter de l’occasion pour remplir mes gourdes d’eau mais la boulangère ne l’entend pas de cette oreille en me grommelant quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Un client bien intentionné se tourne vers moi et commence à m’expliquer qu’il y a une fontaine un peu plus loin. C’est étrange, je connais ce visage qui me parle. Il enlève ses lunettes de soleil et tout me revient, c’est un ancien collègue de France 2 : Yacine Ben Jannette. Une rencontre improbable ! Arrivé au pied du Ventoux, j’ai mon premier comité d’accueil de la course en position, mes parents, mon frère et sa petite famille ainsi que Baptiste venu expressément pour l’occasion afin de recueillir des images 3 jours durant en vue d’immortaliser cet événement, il revient tout juste de Paris après avoir couvert le Tour de France. Tout le monde est là pour me soutenir pendant l’ascension de « the beast of Provence ». Je dois reconnaitre que leur présence me fait extrêmement plaisir et me touche énormément, ils sont venus pour certains de Perpignan, d’autres de Montauban. Avant toute chose, il faut recharger la machine et avec cette chaleur je n’ai d’yeux que pour les fruits. C’est jour de marché à Bedoin, je croise un melon et un ananas qui auront la joie de finir dans mon estomac. Il est environ 17h, je m’attaque à cette épreuve qui, je le sais, pour l’avoir grimpée en avril, sera un supplice. Près de 21km de montée sans aucun répit sur toute l’ascension, juste un pseudo plat d’une centaine de mètres au chalet Reynard où l’on peut souffler, mais c’est pour mieux être cueilli ensuite par cet insupportable vent qui vient vous lécher dans tous les sens. L’arrivée à 1912 mètres d’altitude est une délivrance, tout le monde est là pour m’accueillir et je fais poinçonner mon carnet de course par les commissaires présents, je suis 52e au classement, il est 19h, premier check point : accompli! J’amorce la descente vers Sault où nous avons décidé de faire ripaille avec toute la famille et c’est aussi là que je trouve par hasard une chambre d’hôtes, certes un peu spartiate mais tout à fait suffisante pour l’aventurier que je suis devenu depuis 4 jours.





Jour 4 : Sault (France) - Sestriere (Italie) 220 km C’est ma première douche depuis le départ, malheureusement, il s’agit d’un filet d’eau tout juste tiède mais quel luxe. Le parisien que je suis et le peu d’expérience que j’ai en montagne font de cette journée un moment que j’appréhende. Trois cols de prévus, le Col de l’Homme Mort, le mont Genèvre et la montée à Sestriere. C’est aussi la journée où Baptiste et moi allons nous courir après et cela commencera dès le col de l’Homme Mort, un bout de route avalé assez facilement. Baptiste m’y attendra pendant 1h30 mais malheureusement pour lui je suis déjà passé quelques minutes plus tôt... Le passage dans les Gorges de la Méouge est un ravissement et toute la vallée est splendide. Bizarrement, malgré la fatigue qui commence à se faire sentir, l’ascension jusqu’à Sestrière se fait sans encombres, j’ai l’impression que mes jambes me portent beaucoup plus facilement que la veille au Ventoux, je dépasse même quelques concurrents. J’arrive au deuxième check point en 52e position et décide de partager une chambre avec Baptiste dans l’hôtel où l’organisation de la course a élu domicile.





Jour 5 : Sestriere (Italie)- Crémone (Italie) 312 km Ce matin du 5e jour c’est fête à l’hôtel, le petit déjeuner est gargantuesque, je le regretterai plus tard quand je serais face à cette fameuse route que tout le monde attend avec impatience pour sa difficulté et le spectacle qu’elle est sensée nous offrir : la «Strada dell Assietta». En effet, j’ai abusé sur le pain, les croissants, le beurre, le jambon, le fromage, les œufs, le miel, les céréales, les yaourts... Et c’est avec beaucoup de mal que je gravis ce chemin qui est, qui plus est, un chemin de terre jonché de cailloux, voire de pierres dont certaines sont grosses comme des pavés. Baptiste tourne mon supplice. Finalement j’oublie vite toute ma peine quand finalement arrivé sur la crête de la Strada dell Assietta, l’on contemple de part et d’autre de ce sentier les montagnes, leur végétation et leur faune. Cette route nous offre sur plus de 40 km un spectacle que je n’aurais jamais pu imaginer, j’ai l’impression de survoler ce massif. Même si ces foutus cailloux qui couvrent le sol essayent de me ramener les pieds sur terre, ces marmottes qui me hurlent dessus pour me dire quelque chose de certainement très important, cette route est un enchantement. La descente vers le col du Finestre restera dans les annales, le revêtement de la Strada n’a pas beaucoup changé depuis le départ, il a même empiré, il y a encore plus de pierres... C’est un véritable parcours de funambule, il faut réussir à tenir son vélo dans



l’axe tout en avançant, glissant, accrochant, culbutant des pierres de-ci de-là, qui ressemblent à des pavés. Les bras, les mains en prennent pour leur grade. Jamais une descente ne m’aura demandé autant d’attention, de force, et de temps. Chose incroyable : je ne serai pas victime d’une seule crevaison, ce qui n’est pas le cas de tous mes collègues. J’arrive avec quelques uns d’entre eux sur une route en asphalte, des personnes de l’organisation de la TCR nous comptent... Il semblerait que l’on craigne quelques pertes là-haut à 2500 m. J’ai bu toute l’eau dont je disposais mais la Strada Dell’ Assieta ne s’arrête pas là, un dernier col en guise de dessert. Il faut que je trouve de l’eau car je ne tiendrai pas très longtemps et si mes souvenirs sont bons, je ne croiserai pas d’agglomération avant bien longtemps. Jour de chance, au détour d’un lacet, un robinet déverse de l’eau dans un rondin de bois qui doit servir à des animaux en temps normal mais qu’importe, je remplis mes gourdes et achève cette ascension à bonne cadence. Encore une fois, arrivé là-haut le spectacle est au rendez-vous, les courbes de la route vers Suza découpent joliment la montagne. C’est cette image qui revient souvent quand on fait des recherches sur la Strada Dell’ Assietta, je l’ai là face à moi, c’est sublime. Je dévale cette pente vers Suza pour enfin me retrouver dans cette vallée qui me mènera tout droit vers Turin, je ne ferai que traverser la ville du Nord vers l’Est et m’arrêterai dans



un supermarché afin de prendre ma ration de yogourts. Je comprendrai à mes dépens que le litre de yaourt que je viens d’engloutir n’est pas du yogourt mais quelque chose d’autre que mon estomac aura beaucoup de mal à digérer. Il me faudra attendre la fin de journée pour pouvoir assimiler quelque chose d’autre que de l’eau. Le soir venu je trouve un coin d’herbage à quelques enjambées de la route pour y dresser ma demeure portative.



l’est et m’arrêterais dans un super marché afin de prendre ma ration de yogourts. Je comprendrais à mes dépens que le litre de yaourt que je viens d’engloutir n’est pas du yogourt mais quelque chose d’autre que mon estomac aura beaucoup de mal à digérer. Il me faudra attendre la fin de journée pour pouvoir assimiler quelque chose d’autre que de l’eau. Le soir venu je trouve un coin d’herbage à quelques enjambées de la route pour y dresser ma demeure portative.



Jour 6 : Crémone (Italie) – Torviscosa (Italie) 332 km C’est mon 2e jour en Italie, cette plaine du Po est d’un ennui mortel et quel vent ! Je comprenais que les champs qui défilent sous mes yeux depuis la veille sont des rizières. J’aurais pu m’en douter, l’un des plats les plus réputés d’Italie, c’est le risotto. Je ne connaissais absolument pas cet aspect de l’Italie et je dois d’ailleurs exprimer toute ma déception car pour un grand adepte de l’Italie, je ne retrouvais rien de tout ce qui peut m’émouvoir dans ce pays. Heureusement que les 2 pizzas que je dévorais ce soir-là me réconcilièrent avec ces mauvaises pensées. Cette partie de la route restera tout de même la plus ennuyeuse de mon périple. Surtout que le vent forcira en soirée. Mais c’est aussi ce soir-là où je passe à quelques encablures de Venise et décide de m’y rendre. De ma vie je n’y ai jamais posé un pied et je ne pouvais pas passer à côté de cette occasion, même si j’allais y perdre beaucoup de temps. En effet, c’était l’affaire d’une quarantaine de kilomètres supplémentaires et de temps perdu mais qu’importe, je ne suis pas là pour gagner, je fais la course à mon rythme. Arrivé sur la bretelle d’accès à la route qui mène à Venise je découvre qu’il va falloir que je me cogne 8km d’autoroute à quatre voies... Je ne rebrousse pas chemin pour autant, c’est impressionnant, tout le monde a l’air super pressé. Arrivé à bon port commence le parcours du combattant. Venise n’est vraiment pas fait pour le vélo, surtout quand on doit traverser des ponts par dizaines avec un vélo de 22 kg dans les bras. Enfin, je déambule autant que faire ce peu, bois un café en terrasse puis retour sur l’autoroute et direction la Slovénie. Je me pose dans un champ à quelques kilomètres de la frontière.





Jour 7 : Torviscosa (Italie) – Ogulinec (Croatie) 291 km Ce matin-là, je maudis la terre entière, un vent de face s’est levé, il souffle à près de 60 km/h avec des rafales à plus de 100 km/h. Où quand on descends, on est obligé de pédaler pour avancer. Mais la difficulté sera aussi de grimper puisque ce même vent est toujours là. Je croise Nelson Trees (80), un des concurrents de la TCR avec qui je roule un peu, le temps d’échanger quelques phrases. Il est à bout de force, il a fait comme il avait prévu: foncer. Il était l’un des premiers au Ventoux mais c’est une recette qui ne marche pas très longtemps pour ce type d’effort. Il faut aussi se reposer et gérer chaque aspect de la course. Enfin, je traverse la Slovénie dans la journée sans encombres supplémentaires et arrive le soir vers 22h à la frontière croate. Le vent est tombé mais je suis très fatigué de cette journée à lutter contre le vent, je décide malgré tout de continuer et traverse Zagreb de nuit. La capitale croate est une très grande ville avec une importante circulation, la nuit je serai donc plus tranquille. Je m’engouffre dans un McDonald’s de banlieue histoire de manger pour la 5e fois de la journée et poster quelques images sur mon Tumblr. Je retourne sur mon vélo et essaye de trouver un endroit pour planter la tente. Malheureusement ce ne sera pas facile, la ville s’étend en longueur et j’aurais beaucoup de mal à trouver un bout de terrain. L’ambiance est très sombre et brumeuse malgré la chaleur. Visuellement j’ai l’impression d’être en pleine hiver, c’est très déroutant. Il est 3h30, je m’endors en une fraction de seconde.



Jour 8 : Ogulinec (Croatie) - Vukovar (Croatie) 274 km Réveil à 6h comme presque tous les matins. Je décide de rouler sur-le-champ sans avoir mangé. Je fais ainsi presque 100 km le ventre vide. Je tombe alors sur un supermarché où la vengeance va être cinglante. Sandwiches maison + 1 litre de yaourt à boire + Snickers + bananes. J’enfourche mon compagnon et reprends la route. Une demi-heure plus tard je ne comprends pas trop ce qui est en train de m’arriver, je ressens un énorme coup de mou alors que je viens de recharger les batteries, je somnole puis une envie insurmontable de dormir et de boire m’oblige à m’arrêter. Je bois les 2 litres d’eau disponibles sur mon vélo et m’endors sur un banc au bord de la route. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi et je me réveille avec un espèce de mal de tête carabiné. Je demande de l’eau aux habitants d’une maison un peu plus loin. Ils me remplissent mes gourdes, ils insistent pour que je prenne un café, un «jus» puis un bout de gâteau avec eux mais je décline cette invitation et avale un bon litre d’eau avec un Doliprane. C’est à ce moment que je comprends que je viens de faire une insolation. Je me rappelle alors que le banquet que je me suis offert plus tôt le matin en plein soleil sans rien sur la tête en est certainement l’explication. Cette journée me semble terriblement longue mais j’arrive quand même au CP3 sur les coups de 23h. Ce check point se trouve à Vukovar dans un hôtel, les 2 dernières journées m’ont épuisé, je décide donc de me prendre une chambre. Troisième douche du voyage et un vrai lit.



Jour 9 : Vukovar (Croatie) – Sarajevo (Bosnie) 241 km Je me réveille dans une suite à la décoration douteuse mais le confort est là et en guise de personnalisation, j’ai pris soin la veille de déplier la tente et mon duvet afin de les faire sécher. Je croise à la table du petit déjeuner la paire de français, Didier Mattéoda et Jim Anquez, avec qui je tape la discussion puis départ sur les coups de 7h00 vers le sud, direction Sarajevo. Je pénétre en Bosnie par ce fameux pont à Orasje que je connais bien, c’est par-là que je faisais mes allers et retours en Bosnie juste après la guerre en 95-98, à la différence que ce pont était détruit et remplacé par un bac qui me laissera quelques souvenirs de traversées épiques. C’est sur la route qui m’emmène à Sarajevo que je me suis fait souffler par une voiture. Les gens roulent à des vitesses folles, sur des route qui ressemble à des départementales, ils passent à quelques centimètres ce qui provoque un appel d’air et vous déporte ensuite sur le côté. Je suis habitué à gérer ce genre de chose sauf que cette fois-là je suis coincé dans une ornière de 30 cm de profondeur dont je n’arrive pas à m’extirper, je m’envole. Une chute magistrale qui ne me vaut même pas un coup d’œil du chauffard. Un concert de klaxons s’ensuit, une des voitures a peut être ralenti histoire de voir ce qui se passe et aurait donc gêné la progression d’autres automobilistes provoquant ainsi leur colère... (hypothèse). J’essaye de me relever tant bien que mal, vais-je pouvoir poursuivre la course ? Je constate que je suis râpé sur tout le côté droit et gauche, quelques affaires se sont aussi



envolées et mon vélo a l’air bien abîmé. Finalement, je réussis à remettre la bicyclette sur pied, le cadre est griffé de partout, le guidon, les aerobars, et la tige de selle mais rien de cassé. Plus loin dans les montagnes bosniennes je fais la rencontre improbable de Stéphane Ouaja (152) qui lui court dans le sens inverse de ma route. Il a fait le choix d’inverser les CP3 et CP4. Nous prenons le temps de tailler la bavette quelques minutes avant de repartir. Arrivé à Sarajevo, je me rends compte que cela fait probablement jour pour jour, 20 ans que je suis venu pour la première fois dans la capitale bosniaque. L’été 1995, j’y avais fait un court séjour et partageais le quotidien des Sarajevien. En arrivant, j’eus un comité d’accueil qui m’obligeait à rester le temps d’un repas où je m’empiffrais de ces fameux čevap čiči , de Wiener Schnitzel et une pizza au Nutella en guise de dessert.





Jour 10 : Sarajevo (Bosnie) – Kotor (Monténégro) 253 km Pour la deuxième fois du périple, je fais une grâce matinée et emboîte le pas sur les coups de 7h30. Je traverse Sarajevo dans toute sa longueur depuis la fameuse bibliothèque jusqu’à Ilidža direction Kotor. Je me retrouve assez rapidement à gravir un col accompagné d’un autre coureur de la TCR, un certain Matthijs Ligt (25). J’avoue que sa présence et nos quelques échanges me rassurèrent plus tard dans la journée quand, au bout de quelques heures, je n’ai toujours pas croisé une âme vivante hormis des vaches et une multitude de mouches comme dans nos alpages alors que mon GPS indique une altitude de 1300m. Quel décor ! Ce sera l’étape de mon périple la plus surprenante, je ne m’attendais pas du tout à me retrouver sur une route en terre comparable à la Strada dell Assietta. Un sentier de 60 km où je verrais les plus beaux paysages de toute mon odyssée à travers l’Europe. Et comme toute bonne chose a une fin. Au sortir de ce sentier, goûtant à nouveau l’asphalte je me prends une saucée en arrivant sur Gacko dont je me souviendrai longtemps. Des trombes d’eau qui ne m’arrêteront pas dans ma progression, ce sera même l’occasion de se rafraîchir et nettoyer mon accoutrement plein de poussières. J’arrive progressivement au Monténégro à la tombée de la nuit. Il est bientôt temps de s’arrêter pour manger et trouver un coin pour planter la tente. Il fait finalement nuit noire et je tombe sur une petite bicoque à quelques encablures de la baie de Kotor. Il y a de



joyeux lurons à l’intérieur au vu de l’ambiance. Je dévore des grillades, des légumes, des crêpes comme si j’étais deux. Je repars sur ma bicyclette alourdi et trouve un coin de verdure où j’ai du mal à planter ma tente, le sol est très dur, finalement le baraquement tiendra avec trois sardines.





Jour 11 : Kotor (Monténégro) – Tirana (Albanie) 290 km Ce matin-là fut un des plus magique de cette aventure. L’arrivée dans la baie de Kotor, en descente de surcroît, me permet de profiter pleinement du spectacle. La lumière est sublime, le soleil se lève à l’autre bout de la baie où la fameuse route serpentine m’attend, celle qui m’impressionne tant sur la carte avec tous ses lacets. A ma grande surprise, je me retrouve rapidement au troisième check point, un restaurant perché au dessus de la baie, la vue est à couper le souffle. Il est peut-être 10h du matin, l’équipe de la TCR m’attend, je suis le premier de la journée et je commande une Wiener Schnitzel, salade šopska et des crêpes en guise de premier repas de la journée. Cela fait bientôt 1h que je discute et mange avec l’équipe, on enregistre même une petite interview. Puis arrive Mikko Mäkipää (4) et Jeff Liu (83) à qui je cède la place pour m’en aller vers la dernière ascension qui nous est obligatoire, celle-ci «pique». Une pente beaucoup plus sévère que la route serpentine et qui nous hisse à 1560m. Ensuite une longue descente me conduit jusqu’à Podgorica et le moment que j’attendais depuis longtemps, l’Albanie. Ce pays nourrit plein de fantasmes qui seront somme toute bien loin de la réalité, à commencer par la problématique majeur du cycliste qui voyage : manger ! En effet, je ne trouve quasiment rien à manger pendant toute la traversée de ce pays, heureusement que j’ai encore quelques gels dans mes sacoches. Je m’arrête très souvent dans des épiceries où je ne trouve rien d’autres que des chips, du riz, des pâtes, des boites de conserves, etc... rien de mangeable à l’exception de ces petits « croissants », tout sec, sous cellophane que j’engloutis par deux. Il en va de même avec ces établissement qu’ils appellent « restoran » ça n’a rien d’un restaurant où l’on mange. A la nuit tombée je m’arrête dans une de ces auberges. Il fait une chaleur étouffante. Je pousse la porte de ce bistrot et une espèce d’odeur de tabac mélangé à l’humidité et la fraîcheur de la climatisation me retourne le cœur, j’entre quand même. J’ai l’impression d’être un cow-boy qui rentre dans un saloon où tout le monde se tait quand un inconnu passe la porte. Un jeune homme vient à ma rencontre, je lui demande à manger. Il me répond comme souvent dans ces pays : « what you want to drink ». Coca Cola de rigueur et je lui demande en retour la carte. Ce sur quoi il me montre un frigo en me disant que je pouvais choisir ce que je voulais. Cela pourrait être un bon concept. Le problème c’est que le frigo en question est rempli à moitié de bières et de l’autre, ces fameux « croissants ». J’ai quand même le luxe de pouvoir choisir entre le croissant fourré au chocolat et celui à la vanille. Cet établissement n’est pas une exception, ils sont tous pareils. Voilà ce qu’est un « restoran » chez les albanais. L’ironie c’est que si vous voulez faire laver votre voiture, vous avez l’embarras du choix, la moindre maison est équipée pour faire rutiler votre carosse. Toute ces échoppes ont bricolé des fontaines d’ou jailli l’eau en continu, des milliers de





litres d’eau se déversent sur le sol alors qu’il fait au bas mot 40°… C’est à se demander si ce n’est pas plus important d’avoir une voiture qui brille que de manger. Je traverse Tirana en pleine nuit, essuie quelque sifflements dont je ne chercherais pas à connaître la provenance, l’ambiance est très bizarre, je crois même qu’au bout de ces sifflements il y a des gens qui courent. Le mystère restera entier, je taille la route aussi vite que possible sans même jeter un œil. Finalement il devient trop compliqué de trouver un endroit pour dormir, et planter la tente dans un sol trop dur me décide à dormir sous un abribus à quelques kilomètres de Tirana.





Jour 12 : Tirana (Albanie) – Edessa (Grèce) 245 km Je me réveille face à une sculpture imposante que je n’avais pas vue la veille au soir. Je suis toujours aussi sensible aux vestiges du communisme. C’est reparti pour ce 12e jour et me voilà à nouveau en train de gravir un col qui me mènera a une route des crêtes magnifiques. Le fuel liquide de circonstance,café + CocaCola, m’accompagnera toute la journée en passant à Elbasan, Bitola. J’ai l’impression que la chaleur est a son paroxysme, je pense que l’on n’est pas loin des 40° dans une espèce de lourdeur assez difficile à décrire. Je passe sur les rives du lac Ohrid où je suis témoin d’une scène inédite, des femmes voilées de la tête aux pieds en train de se baigner. Les tuniques qu’elles arborent leur collent à la peau et ne laissent aucune place à l’imagination, leur anatomie n’a de secret pour personne. Je trouve ça presque indécent. Ce qui est d’autant plus ironique c’est qu’à quelques mètres de ces dernières une scène équivalente est en train de se jouer à la différence que ces jeunes filles-là sont en maillot de bain. Je poursuis ma route vers la Grèce et je traverse la frontière sous une pluie menaçante. La fatigue et les quelques gouttes d’eau me décident à trouver un endroit à l’abri pour passer la nuit. Quelques kilomètres plus loin et une pluie de plus en plus insistante je croise un abribus et m’y installe. Il est près de 1h, le matelas gonflé quand, tout à coup, le ciel se transforme et commence à grogner de plus en plus fort, des éclairs qui illuminent toute la vallée et des coups de tonnerre comme je n’en ai jamais entendu. J’essayerai de trouver le sommeil mais en vain que ce soit le bruit assourdissant ou la pluie qui tombe quasiment horizontalement, je suis trempé et le déluge de décibels m’empêche de dormir. C’est une sensation quasiment insupportable où la fatigue et le sommeil se mêlent mais que je n’arrive pas à soulager, c’est dément.





Jour 13 : Edessa (Grèce) – Kavala (Grèce) 265 km Finalement l’orage se calme sur les coups de 4h et me laisse me reposer jusqu’à 6h. Quelle nuit ! Direction Thessalonique et le farniente de la côte Grecque. J’y arrive assez vite puis je longe la côte par une chaleur que je vous laisse imaginer et qui m’oblige à remplir mes gourdes très souvent. Je suis dans une espèce de transe depuis bientôt 2 semaines qui aujourd’hui me transporte à un très bon rythme et surtout sans dommages collatéraux. Cela fait aussi quatre jours que je n’ai pas pris de douche et je vis dans mon cuissard et mon jersey depuis Vukovar. Comme rien arrive par hasard, en longeant la côte j’ai le choix de me doucher un peu n’importe où. Je trouve enfin mon bonheur au crépuscule devant un bar-restaurant de plage bondé. Malgré l’audience potentielle je me poste sous la douche tout habillé, rien ni personne ne viendra me déranger dans ma besogne et je repars sur mon fidèle destrier tout dégoulinant. Le front de l’air chaud et la vitesse me verront sécher en moins de deux. Il est à nouveau temps de trouver un endroit pour dormir et je monterai pour la dernière fois de mon périple cette tente sur une corniche avec vue sur la mer.



Jour 14 : Kavala (Grèce) – Istambul (Turquie) 515 km Un lever de soleil magnifique en guise de réveil matin et c’est parti pour une journée qui, je ne le sais pas encore, se terminera le surlendemain à Istanbul. Sur les coups de 9h du matin un vent de face se lève et ne me lâchera pas de la journée, il fera même en sorte de grossir en milieu de journée. Un enfer, j’aurai juste le droit à une accalmie à la nuit tombée en arrivant en Turquie. Le vent souffle à quelque chose comme 60 km/h et le pire c’est qu’il n’y a aucun abri, pas une haie, toutes les routes jusqu’à Istanbul sont exposées au vent, je fais presque 400 km avec ce vent de face. J’emprunte ce jour-là des routes qui s’apparentent à des autoroutes où je pédale face au vent sur la bande d’arrêt d’urgence sur des dizaines de kilomètres. Il semblerait d’ailleurs que ce genre de voie soit une solution bien plus sûre pour circuler. Je le comprendrai plus tard quand je me retrouve à plusieurs reprises sur des routes à une voie sans cette bande de sécurité où un cycliste est juste un obstacle pour les automobilistes locaux. J’aurais une kyrielle de frayeurs jusqu’à l’arrivée mais je m’en sortirai à chaque fois. J’arrive à la frontière turque en début de soirée et me commande à manger des spécialités locales. Il est aussi temps de faire des calculs. Il me reste encore approximativement 300 kilomètres. Je comprends alors que si je veux être sûr d’arriver pour la fête de demain soir, il va falloir cravacher toute la nuit et la journée afin d’être certain d’y être à temps. Je roule toute la nuit sur une route au combien dangereuse et en travaux.



J’arrive vers 2h du matin à Tekirdag et j’ai besoin de me reposer. Je trouve une magasin vendant du mobilier de jardin dont les articles restent exposés, une balancelle fera l’affaire le temps d’une petite sieste. Je me lève 2h plus tard et rencontre un autre concurrent, Walter Reiterer (123), il est perdu, son GPS est mort. Je décide de le prendre sous ma coupe malgré le fait que je risque de perdre mon statut de coureur solo, je l’emmène jusqu’à la ligne d’arrivée. Nous arrivons ensemble juste à temps pour faire la photo de groupe. Je ne serai pas sanctionné. Le challenge est relevé.

Tout est normal, je viens de terminer ma croisade à travers l’Europe en 14 jours, 15 heures et 37 minutes, soit à peu près 4470 kms et je ne peux même pas dire que j’aie tant souffert, même la récupération se fera sans peine. Bizarrement, le plus difficile à rattraper fut le sommeil, trois semaines pour retrouver un cycle normal et ne pas m’endormir à la moindre occasion. Le fait de ne pas avoir dormi le premier et le dernier jour y sont très certainement pour quelque chose. Je pense que le principal dans ce genre de prouesse c’est l’écoute de son corps, de son vélo et de tout ses outils. Il ne faut surtout pas négliger un seul détail parce que le moindre petit problème peux devenir colossal. Deux mois après cette aventure, malgré mes deux accidents qui m’auront laissé quelques marques et un nerf de la main atrophié, je suis en pleine forme. Depuis, j’ai quand même trouvé le moyen de me luxer l’épaule en descendant un trottoir à pied en sortant de l’opéra. Quelle ironie ! Je suis immobilisé pour six semaines et déjà prêt pour d’autres aventures. J’avoue que je me suis inscrit pour la Transcontinental 2016. Le parcours a l’air vraiment intéressant. La décision finale n’est pas encore prise, j’ai encore jusqu’à la fin de l’année pour me décider.



Remerciements Ils vont à toutes les personnes qui ont pu de loin ou de près me supporter dans cette aventure hors du commun du “blue dot watcher” à mes chers amis Hugo Villa, Ulisse Gnesda, Sophie Marino, Natacha Nataf, Polo Tornado, Famille Drouet, Famille Dumont, Pascal Yéyé, Patrick Beaulieu, Edouard Salier, Nico Bogue, Julien et Damien Scott, Jérome Lagarrigue, Lee Pearce, Yvan Martinet, Olivier Brissot, Yves Ruillière, Duco, Willy Huvey, Alexis Constant, Liza Szlesynger, Edouard Sepulcre, Hélène Desmazières, Stéphane Quème, Stéphanie Bedel, Hortense Noiret, DSL bros, Ocean Grenier, Romain Bourven, Miguel Bapte, Camille Darmante, Aurelia Biolatto, Nadine Leydier, Charles E. Henry, Anthony (Myog), Anne Bouville, Alain et Anne Bellet, Tristan Latgé, Stéphanie Castello, Caspar Muschalek, Olivier Michelet, Latifa Touaf, Stéphane Medhi Ouaja, Alexandre Bourgeonnier, Samuel Becuwe, Clément Shovel, Philippe Lebas... Et je voudrais dédier tout particulièrement cette aventure à Nataša, ma mère, mon père, mon frère, Mael, Sacha, Inci et Mari, Christianne, Julien et Laurent (Cyclable), Francky Batelier, Baptiste Rimbert, Haron Tanzit, Anthonin Sturlese, Maja Bekto, Thibault Rivière, Mike Hall, Paul Thibault, Raphael et Rim Simon, Mathieu Dozol et Jean-Philippe Djalili.


Paris, novembre 2015.


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