Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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Telle était la manœuvre qui avait si fort intrigué Miss Lucy, lors de l'extraction des parasites dont les Européens ne sont pas non plus indemnes. L'échange de propos et de gestes incompris ou interprétés à l'envers continuait pendant ce temps entre Peter-Paulus Brown et le capitaine Wempi. Ce dernier qui était « bleu passé macaque » — expression créole indiquant l'ivresse la plus complète — voulait opérer ses préparatifs de départ. Pour la dixième fois, il répétait à Master Brown qu'il était parti pour aller enivrer une crique ; que c'était l'affaire de quatre jours « pou prend’posson, pou boucané li » que passé ce temps il reviendrait et prendrait comme passagers l'Anglais et sa famille. Ce dernier n'entendait pas plus raison qu'une mule catalane. — Je vôlé partir tout de souite. Entendez-vô ! Je donnai à vô beaucoup de guinées, de livres, de florins... un chèque pour le banque de Sourinam !.. Peine inutile. Les décisions des Indiens sont immuables. Tout ce que PeterPaulus pourrait gagner à insister, serait d'empêcher le retour de Wempi et de son clan. Il fallut bon gré mal gré accepter les conditions du Peau-Rouge et attendre encore quatre mortelles journées. Les Galibis p a r t i s , Master Brown

rongeait son frein depuis près

de

trente-six heures, partageant son temps entre l'autopsie des boîtes à conserve et l'entretien de son feu. Il gardait un silence farouche et voyait non sans envie sa femme et ses filles manger de bon appétit, pendant que privé des joies de la navigation, il s'étiolait en grignotant du bout des dents l'endaubage et le poisson à l'huile. La deuxième nuit était à moitié écoulée. Le brasier luisait comme un phare. Peter-Paulus songeait. Un bruit de rames le fit tressaillir. Il se leva brusquement et appela de toute la force de ses poumons. Le clapotement des rames cessa. Une horrible imprécation retentit dans la nuit. L'Anglais entendit un froissement de branches. Son feu s'éteignit instantanément étouffé par une cause inconnue. L'obscurité devint complète. Peter-Paulus allait protester contre cette violation de domicile. Il n'en eut pas le temps, des mains brutales le saisirent, le garrotèrent et le baillonnèrent. Il se sentit emporté à travers les broussailles, et rudement jeté au fond d'un canot. Puis le bruit des pagayes recommença, l'embarcation reprit sa course. — C'est égal, pensait Peter-Paulus assommé, hors d'état de faire un mouvement, et sans même penser à sa femme et à ses enfants, ce était encore le névigécheune.


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