Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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n'hésitait pas à les faire périr lentement pour leur conserver un époux et un père. Le trois-mâts s'appelait le Carlo-Alberto.

C'était un vieux navire génois,

acheté par un armateur anglais, et spécialement affecté au transport des charbons en Guyane. Il portait six hommes d'équipage, le second, le capitaine et un mousse. L'aménagement était élémentaire, et le confort absent. Le capitaine, flairant une bonne affaire, fit tant bien que mal aménager une cabine pour ses passagers, et Master Brown, ravi de la perspective d'un voyage au long cours, sans escale, déclara que tout était parfait. Le Carlo-Alberto,

chargé outre mesure, marchait comme une péniche encom-

brée de pavés et faisait à grand peine trois nœuds et demi à quatre nœuds au plus à l'heure. En outre, son bordage n'était pas absolument imperméable, et bien qu'il n'y eût pas de voie d'eau, de constantes infiltrations nécessitaient le fréquent emploi de la pompe. Le trois-mâts réalisait donc les conditions indispensables pour fournir une traversée d'une excessive lenteur. Entre temps, Peter-Paulus digérait les vivres frais et les conserves de premier choix embarquées pour Sa Seigneurie. Tout alla à souhait pendant trente jours, et le Carlo-Alberto

était arrivé au point où le 54° degré de longitude

ouest coupe le 7" degré de latitude nord. Il allait piquer droit aux côtes de la Guyane française, afin de profiter du courant d'ouest-nord-ouest qui devait le porter à Demerara, quand une voie d'eau se déclara soudain. L'équipage se mit aux pompes et manœuvra, avec une suprême énergie, pour alléger le navire, que son mauvais état condamnait irrévocablement. Malheureusement, le calme se fit avant que le trois-mâts fût pris par le courant. Son capitaine n'avait même pas la ressource d'aller s'échouer à la côte. Il fallait tenir bon à tout prix et attendre le vent. Pendant huit jours, le Carlo-Alberto

s'emplit

comme une éponge, en dépit des efforts de ses vaillants matelots, et sans que l'incomparable sérénité de Peter-Paulus eût été un moment troublée. Son agonie commença à cent milles à peine des côtes. La brise s'était levée, mais trop tard. Le trois-mâts s'enfonçait à vue d'œil. On mit la grande chaloupe à la mer, les dames descendirent les premières, puis Master Brown, nanti de son inséparable valise et de son plaid. On embarqua à la hâte quelques provisions, une barrique d'eau, un sextant, une boussole, puis le capitaine, après avoir coupé la drisse de son pavillon, prit place le dernier dans l'embarcation, en tenant à la main l'emblème national, seule épave qu'il eût voulu sauver de sa fortune engloutie. Une demi-heure après, le trois-mâts avait disparu, sa coque reposait sur le


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