Janvier 2016 / Espaces

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LE ROI DES MARCHEURS © Louis-Étienne Prévost

LOUIS-ÉTIENNE PRÉVOST PAR ANTOINE STAB

PAR ANTOINE STAB

LE QUÉBÉCOIS LOUIS-ÉTIENNE PRÉVOST, 61 ANS, FAIT PARTIE D’UN CLUB TRÈS FERMÉ, CELUI DES ULTRAMARCHEURS QUI RÉUSSISSENT À COMPLÉTER TROIS CÉLÈBRES SENTIERS : L’APPALACHIAN TRAIL, LA PACIFIC CREST TRAIL ET LA CONTINENTAL DIVIDE TRAIL. ENTRE 2002 ET 2014, CET ANCIEN AVIRONNEUR A PARCOURU À PIED PLUS DE 12 700 KILOMÈTRES À TRAVERS LES ÉTATS-UNIS . EN SEPTEMBRE DERNIER, QUARANTE ANS APRÈS SA PARTICIPATION AUX JEUX OLYMPIQUES DE MONTRÉAL, IL EST DEVENU « TRIPLE CROWNER » DE LA RANDONNÉE, RENCONTRE. Vous êtes à la fois athlète olympique et Triple Couronne, qu’est-ce qui vous rend le plus fier? Louis-Étienne Prévost : Mon point de référence, c’est ma participation aux JO. Quand ils m’ont remis la plaque pour la Triple Couronne, j’étais très émotif, mais tout bien réfléchi, j’avoue que cet honneur arrive en deuxième place dans ma vie. Cela dit, ce sont deux choses différentes : les JO et leurs entraînements sont plus exigeants physiquement, mais le soir, on est dans un environnement réconfortant avec un lit douillet et une douche chaude; une longue randonnée, ça demande paradoxalement de la persévérance et de la flexibilité. Il faut à la fois savoir s’entêter et s’adapter à l’environnement où on évolue. Être humble et être capable de revoir ses plans.

Qu’est-ce qui vous a poussé à compléter la Triple Couronne? L.-É. P. : En 2002, je n’avais aucune idée de l’existence de ce défi. Je voulais marcher l’Appalachian Trail (AT) pour me récompenser d’avoir obtenu mon MBA. Je voulais aussi expérimenter un autre défi physique que les JO, voir ce dont j’étais capable, partir et tenir pendant les 2200 milles du sentier.

Quels plaisirs avez-vous alors ressentis? L.-É. P. : Outre le défi physique, il y avait la rencontre de nouvelles personnes, des cultures et des sous-cultures américaines. Mais ce qui me motivait aussi, c’était évidemment d’être dans la nature et admirer sa grandeur. Les paysages spectaculaires, on les absorbe par osmose. Cela nous ramène à notre juste dimension. On réalise qu’on n’est qu’une petite chose dans l’univers.

Ne peut-on apprécier la nature autrement? L.-É. P. : Certainement, mais la longue randonnée amène une forme de compréhension unique de la nature, car il n’y a que l’effort en arrière-plan pour faire réaliser ce qu’on voit. Pierre Foglia compare les études aux toilettes : il faut s’asseoir et forcer! De la même manière, il y a des endroits spectaculaires que la majorité des gens ne verront jamais, car ils ne sont accessibles qu’après trois ou quatre jours de marche et demandent donc un effort supplémentaire.

Marcher vous a-t-il vraiment changé? L.-É. P. : Oui, mais pas immédiatement. Contrairement à ce que l’on pense, le Saint-Esprit ne descend pas sur toi en te donnant une nouvelle vision de la vie. Moi, c’est arrivé plus tard. Il a fallu que la poussière retombe, qu’il ne reste que l’essence des choses. Je suis devenu plus tolérant dans certains cas, moins dans d’autres : je ne supporte plus la bullshit de la politique dans mon travail de haut fonctionnaire. Cela a fait un peu peur à mes patrons!

Quels moments forts retenez-vous de ces 12 700 km? L.-É. P. : Sur la Continental Divide Trail (CDT), je me suis retrouvé plusieurs fois sur le territoire des grizzlys. Par moments, sur le sentier, je voyais leurs impressionnantes empreintes, qui semblaient assez récentes; je me mettais alors à chanter de ma plus mauvaise voix. C’est dans ce genre de contexte que tu réalises que tu n’es pas au sommet de la chaîne alimentaire! espaces.ca janvier 2016

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