I Padroni del Fumo

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12.11.2010

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Silvio et Léonie à Vichy en 1957, Silvio a 74 ans.

qu’un patron qui parle leur dialecte, apprécie leurs vins et leurs plats en connaisseur, établit avec ses collaborateurs des relations d’une tout autre nature qu’un chef qui n’émerge de son bureau que pour rejoindre son golf ou son tennis! L’éthique de Silvio s’applique également à la conduite financière de l’entreprise. Tout au long de sa vie, il considère l’argent comme un moyen de développer son projet d’entreprise. Il fait vivre confortablement sa famille sans marques ostentatoires de fortune. Il n’a jamais compris ni admis que l’argent puisse se gagner autrement que par le travail et l’intelligence productive. Ses spéculations ne sont pas financières; les risques qu’il prend portent sur des améliorations techniques de l’usine où il investit afin de matérialiser des idées parfois révolutionnaires. On retrouve chez lui le goût de l’invention scientifique qui est typique de l’esprit du XIXe siècle et qui est à la base de la révolution industrielle. L’usine de Corcelles est longtemps considérée comme un exemple de technologie grâce à des investissements (avec un recours minimum à l’emprunt) consacrés à l’introduction des meilleurs outils de production. Silvio applique également la même logique paternaliste dans le règlement de sa succession; le patrimoine industriel doit rester exclusivement en mains de la descendance mâle. Les enfants de la sœur et de la fille sont généreusement soutenus, notamment dans leur formation, mais ils sont écartés de la société qui conserve ainsi son nom de famille, Morandi, de père en fils. C’est ainsi qu’à la suite de Silvio, son fils Robert, et finalement son petit-fils Claude entrent dans l’entreprise. Après le décès de son père, ce dernier dirige seul l’entreprise jusqu’en 2010, date à laquelle il vend la Société Morandi Frères SA. ‘L’aventure’ de l’entreprise Morandi de Corcelles-près-Payerne aura ainsi duré 4 générations s’étalant sur 121 ans.

Le ‘pater familias’ Silvio épouse en 1909 une jeune fille du lieu, Alice Fischer, pour qui il construit une belle maison située bien entendu entre le village et la briqueterie. Position symbolique, le foyer familial se rattache ainsi à une communauté villageoise (qui au début ne considère pas d’un très bon œil ce fringant Tessinois), mais conserve un rapport direct et privilégié avec l’œuvre de sa vie qu’est son usine. La maison qu’il bâtit lui ressemble, carrée, généreuse, sans chichis ni fantaisies. Le jardin et les dépendances sont le domaine d’Alice; jusqu’aux années d’après guerre, on y trouve les légumes, les fruits, le poulailler, l’atelier de menuiserie, les réserves de bois, pour une vie et une cuisine qui satisfont les racines paysannes de la maîtresse de maison. Un paradis pour les enfants, grimpant aux arbres, disputant aux chats les recoins des galetas, des toits et des réduits, se cachant dans les rhubarbes, au grand émoi de la grand-mère et sous le regard indulgent du grand-père Silvio. Sa place est en tête de la table; on doit être assis en même temps que lui, à des heures précises. La conversation est ouverte car ses intérêts sont multiples. Si un doute apparaît, il envoie l’un des gamins chercher l’encyclopédie d’où il a tiré les connaissances qu’une scolarité interrompue ne lui a pas apportées. Il n’intervient que très peu dans l’organisation de la maison, monde de son épouse puis de sa fille, mais la décision finale sur les choses importantes lui revient de droit. Le sys214


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