L'église catholique à l'épreuve des dérives cléricales

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Cameroun - P. Ludovic Lado: L'église catholique à l'épreuve des dérives cléricales

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Yaoundé, 23 Août 2013 © Chrys Bissoué | Le Jour

Dans l'exhortation apostolique Africae Munus (AM) publiée en 2011, le Pape Benoît XVI écrit: «Il incombe aux évêques, encore une fois, de soutenir une pastorale de l'intelligence et de la raison qui crée une habitude de dialogue rationnel et d'analyse critique dans la société et dans l'Église». (AM, 137). En d'autres termes, l’Église ne doit pas avoir peur des débats critiques. Les lignes qui suivent s'inscrivent dans la perspective à un moment où le vent de la reforme souffle dans l’Église catholique. Aussi, convient-il de contribuer à l'éclairage de l'opinion camerounaise sur la portée de certains événements récents qui poussent bien de gens à s'interroger sur l'avenir de cette institution religieuse. La récente démission de l'archevêque de Yaoundé a fait couler beaucoup d'encre et de salive comme on pouvait s'y attendre. On a eu droit à maintes spéculations, allant des plus raisonnables et préalables aux plus folles. Ceci dit, c'est un fait aujourd'hui établi que l'archevêque de Yaoundé a rendu le tablier pour des raisons évidentes de gouvernance déficiente. Inutile de tourner autour du pot au risque du ridicule et de l'hypocrisie! Mais si l’Église catholique en général, et celle du Cameroun en particulier, veulent en tirer toutes les leçons pour prévenir de telles situations liées aux faiblesses humaines, il faut d'abord reconnaître qu'il s'agit avant tout d'un problème structurel qui favorise des abus individuels. Le rapport à l'argent de plus d'un prélat est pathologique à cause de la dictature et de la monarchie cléricale institutionnalisée par certaines dispositions juridiques ecclésiales. Cette situation appelle de sérieuses reformes juridiques et structurelles au sein des Églises locales qui tardent pour la plupart à intégrer dans leur gouvernance des méthodes modernes de gestion qui ont fait leur preuve dans la prévention des abus. Mais les choses sont appelées à changer, lentement mais sûrement! C'est depuis Benoît XVI que l’Église catholique a pris conscience du fait que certains scandales, comme celui de la pédophilie, qui ont grièvement écorché sa crédibilité comme institution morale en Occident sont entre autres des symptômes d'une gouvernance cléricale déficiente, principalement de la crise d'un leadership de type monarchique qui favorise des abus. Le Pape François, depuis son élection, n'a pas caché son désir de reformer la Curie Romaine, c'est-à-dire la gouvernance de l'Etat du Vatican qui est le sommet de la pyramide du gouvernement de


l’Église catholique. Il est aidé dans cette tâche par des commissions de cardinaux et de laïcs à l'œuvre. Mais déjà, depuis le scandale de la pédophilie, de nouvelles normes préconisant la tolérance zéro ont été édictées et sont en vigueur. Dans cette même mouvance du renouveau éthique de leadership de l’Église catholique, la réforme de la banque du Vatican, souvent épinglée pour ses scandales financiers, est en cours et un prélat soupçonné de malversations financières a été récemment arrêté par la police italienne. L’Église catholique a connu dans son histoire plusieurs périodes de dérives cléricales. Pour une institution vieille de plus de deux mille ans comme l’Église catholique, les scandales ne sont pas nouveaux. Dès le départ Judas faisait partie des douze apôtres. Comme le dit Jésus, -«Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu'il arrive des scandales; mais malheur à l'homme par qui le scandale arrive» (Mt 18, 7). Mais si l’Église catholique a duré si longtemps malgré tout, c'est aussi parce qu'elle a su se reformer aux moments décisifs de son histoire. Le temps d'une gouvernance plus transparente, plus collégiale et plus responsable semble avoir sonné. Mais jusqu'où ira-t-elle? En effet, ce n'est pas seulement le sommet de la pyramide qui a des problèmes. C'est toute la pyramide, le modèle pyramidal en soi, qu'il conviendra de revoir. Comme le dit Jésus dans l'évangile, «On ne raccommode pas un vieux vêtement avec une pièce d'étoffe neuve; autrement la pièce neuve tire sur le vieux tissu et le déchire davantage» (Mc 2, 21). Dans l'exhortation apostolique Africae Munus (AM) publiée en 2009, Benoît XVI n'a pas manqué de rappeler que la promotion de la justice et de la paix doit commencer au sein même de l’Église: «L’Église, pour sa part, s'engage à promouvoir en son sein et dans la société une culture soucieuse de la primauté du droit» (AM, 81). Le Pape invite particulièrement les évêques à être «exemplaires par votre vie et votre comportement. La bonne administration de vos diocèses requiert votre présence. Pour que votre message soit crédible, faites que vos diocèses deviennent des modèles quant au comportement des personnes, à la transparence et à la bonne gestion financière. Ne craignez pas d'avoir recours à l'expertise des audits comptables pour donner l'exemple aussi bien aux fidèles qu'à la société » (AM, 104). En d'autres termes, l’Église ne saurait donner de leçons de bonne gouvernance à la société si elle n'est pas elle-même exemplaire en la matière. Il est temps que cette recommandation de l'audit comptable indépendant des diocèses soit mise en œuvre sur les questions financières. Dans le même document, s'adressant aux évêques qui, en tant que successeurs des apôtres, sont au sommet de la pyramide de la hiérarchie ecclésiale locale, Benoit XVI rappelle, dans l'esprit évangélique, que «votre autorité morale et votre prestance qui soutiennent l'exercice de votre pouvoir juridique, ne proviendront que de la sainteté de votre vie » (AM, 100). Cette exemplarité touche à la sainteté de vie personnelle, à la promotion de la communion et de la collégialité au niveau des conférences épiscopales régionales et nationales, à la bonne gestion des ressources humaines et financières de l’Église, etc. Pour cette raison, le Pape, sans détour, attire l'attention des évêques sur les leurres relatives aux replis identitaires et leur pouvoir aveuglant «ne gaspillez pas vos énergies humaines et pastorales 'dans la recherche vaine de réponses à des questions qui ne sont pas de votre compétence directe, ou dans les méandres d'un nationalisme qui peut aveugler. ... Ces idoles sont des leurres. Bien plus elles sont une tentation, celle de croire que, par les seules forces humaines, on peut faire advenir le Royaume du bonheur éternel sur la terre». (AM, 104). Le tribalisme qui mine la collégialité au sein du clergé camerounais n'a rien d'évangélique. Jésus Christ nous appelle à travers le commandement de l'amour à œuvrer pour une fraternité universelle. Toute forme de discrimination est diabolique. Mais pour que ces nobles orientations portent du fruit, il faut qu'elles prennent corps dans de nouvelles structures de gouvernement susceptibles de favoriser la collégialité et la coresponsabilité au sein de l’Église catholique. Le terme coresponsabilité est à rapprocher du terme anglais accountability, c'est-à-dire l'obligation qu'ont les détenteurs du pouvoir qu'il soit


clérical ou laïc de rendre compte à ceux qu'ils gouvernent. Ces derniers temps, le Pape François a maintes fois mis en garde le clergé catholique contre les tentations du cléricalisme, du carriérisme, de l'amour de l'argent et d'autres mondanités qui les guettent au quotidien dans un monde en perte de repères. A ce moment de son histoire où la sclérose de ses structures de gouvernement menace de plomber l'œuvre d'évangélisation, l’Église catholique qui a considérablement contribué à l'humanisation du monde doit courageusement embrasser les reformes structurelles qui s'imposent. D'abord il conviendra de taire le deuil de la structure monarchique pour véritablement tirer toutes les conséquences du principe de collégialité promu par le concile Vatican II, il y a un peu plus d'un demi-siècle. Ce principe ne devra plus s'appliquer seulement aux relations entre les évêques, mais à toute l’Église qui devra s'ouvrir à une gouvernance plus participative qui responsabilise les laïcs. Le clergé a trop de pouvoirs dans une Église majoritairement laïque. Il convient que cela change car le clergé n'a pas le monopole de l'Esprit Saint. Prenons l'exemple du choix des évêques que l'on pourrait inscrire dans une démarche plus participative. Dans l'état actuel des choses, elle est contrôlée presque uniquement par les évêques sous la supervision du nonce apostolique qui est le représentant du Pape dans les différents pays. Or les nonces ne sont pas souvent bien imprégnés des réalités locales des pays où ils pilotent les processus de désignation des évêques. Ils sont donc à la merci des flatteurs et des ambitieux. Dans ce schéma, on court le risque de fouler au pied le critère de sainteté dans le choix des évêques au profit du clientélisme. Pourtant il est tout à fait possible de retourner aujourd’hui à la formule de l'élection de l'évêque, laquelle prévalait dans les premiers siècles de l’Église. On peut tout à fait concevoir une procédure qui permet aux laïcs et au clergé d'un diocèse de participer collégialement à l'élection de l'évêque de celui-ci. Le rôle des autorités romaines ou régionales sera alors de veiller à la régularité des procédures. On peut tout aussi penser à un système de mandats pour les évêques. Après son ou ses mandat (s), l'évêque regagnerait les rangs du clergé pour y servir humblement comme agent pastoral. Après tout l'humilité est un pilier du témoignage chrétien. Si le Pape lui-même est élu par les cardinaux, pourquoi un évêque ne le serait-il pas au niveau d'un diocèse? Quel qu'en soit le cas, la formule actuelle favorise le clientélisme et mérite d'être révisée. Sur le plan juridique, il conviendra de réviser le Droit Canon qui dans l'état actuel des choses donne trop de pouvoirs aux évêques et aux prêtres dans une église majoritairement laïque. Souvent le clergé est tenté d'abuser de ce pouvoir pour promouvoir ses propres intérêts aux dépens de la cause commune de l'évangélisation. Tout au moins, le renforcement des structures de contrôle du pouvoir clérical s'impose. C'est dans cette mouvance que la gouvernance économique des diocèses s'ouvrira aux techniques et outils modernes de gestion transparente. Par ailleurs, il va falloir recentrer le ministère du clergé sur l'activité pastorale: «Votre premier devoir, précise Benoit XVI, est de porter à tous la Bonne Nouvelle du Salut, et de donner au fidèles une catéchèse qui contribue à une connaissance plus approfondie de Jésus Christ» (AM, 103). C'est leur cœur de métier, puisqu'ils sont formés d'abord pour cela. Déjà dans les premiers temps de l’Église, alors qu'on demandait aux apôtres de s'occuper de certaines tâches dans l’Église, ils répondirent «Il n'est pas normal que nous délaissions la Parole de Dieu pour le service des repas. Cherchez plutôt, frères, sept d'entre vous, qui soient des hommes estimés de tous, remplis de l'Esprit Saint et de sagesse, et nous leur confierons cette tâche. Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la parole» (Ac 6, 2b-5a). Dans cette perspective, d'autres composantes de l’Église s'occuperont de la gestion financière. La gestion au sens moderne du terme s'entoure des mécanismes de contrôle, car tout homme est susceptible d'être corrompu par l'argent. La grâce du sacerdoce ne supprime pas la mature! Toujours au niveau structurel, une certaine hypocrisie entoure aujourd'hui la pratique du célibat au sein du clergé. Dans certaines contrées, les laïcs ont fini par s'accommoder des prêtres


concubins. Il n'est pas question pour moi de remettre en cause l'exigence et la raison d'être du célibat qu'on n'impose à personne. Beaucoup de prêtres y sont fidèles et y tiennent! Mais puisqu'on n'a pas pu pratiquer la tolérance zéro avec toutes les conséquences que cela entrame, il me semble qu'il est temps d'envisager la possibilité d'autoriser ceux des prêtres qui le souhaitent à se marier. La mise en œuvre ne sera pas facile mais cette réforme aura l'avantage de mettre fin à cette hypocrisie qui n'a rien d'évangélique et qui porte atteinte à la crédibilité de l’Église. Après tout, il existe dans certaines composantes de l’Église catholique, notamment, chez les Catholiques de rite oriental, des prêtres légitiment mariés qui exercent sainement leur ministère. Le débat sur cette question mérite d'être rouvert. En somme, c'est le modèle organisationnel de l’Église qui est appelé à changer. On ne peut plus s'en remettre seulement à la vertu des individus. La sagesse politique nous rappelle que tout homme qui a trop de pouvoirs tend à en abuser. Et comme le pouvoir, l'argent corrompt. Le clergé n'est pas à l'abri de telles tentations. Les mécanismes de contrôle du pouvoir et de gestion dans l’Église s'imposent pour une gouvernance plus éthique et évangélique. Jésus avait prévenu ses disciples: «vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent» (Lc 16, 13).

P. Ludovic Lado Jésuite


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