Mémoire AVA

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« Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage. »

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Max Ernst


Roman Cieslewicz, Série d’illustrations Traité des Mannequins, de haut en bas : La Rue des crocodiles, Locomotive, Mannequins, Août, La Folle du Village, 1962,1963.

AVANT-PROPOS :

C’est au regard des contraintes techniques qu’impose cette petite édition, qu’on s’expose à la frustration de devoir faire des choix et impliquer de ne devoir montrer que trop peu d’images. Ce mémoire souhaite exposer, de manière chronologique et fragmentaire, l’œuvre entièrement réalisée de façon manuelle et traditionnelle de Roman Cieslewicz, graphiste affichiste polonais. Il travaille pour la rue dans des bureaux. Il livre notamment son travail dans une exposition majeure ayant lieu au Centre Georges Pompidou en 1991 et qui à value

une édition tirée, rédigée par Margo Rouard intitulé ROMAN CIESLEWICZ. Dans plus de 200 affiches depuis 1955, Roman Cieslewicz nous embarque dans un rêve éveillé dynamique où tout s’écroule sous nos pieds. Une chute dans le monochrome douloureux d’un graphiste artisant des images, les faisant coexister entre elles. « Mes images ont la même fonction que la poésie: l’éveil. » Roman Cieslewicz. Synthèse et analyse de l’œuvre.

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BIOGRAPHIE

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PRATIQUE ET TRAVAUX

ANALYSE D’ŒUVRE

RÉFLEXION

L’image d’aujourd’hui Pour une éducation à l’image

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SOURCES En 1975 il réalise la conception graphique du catalogue Maïakowski - 20 ans de travail, en 1977 Paris-Berlin 1900-1930 et en 1978 Paris-Moscou 1900-1930 pour le Centre Georges Pompidou.

La Pologne et ses représentants Quand la guerre éclate Et Roman Cieslewicz ? 1955 1960 1970 1980 iiii Extrait d’une large production

Il vécu et travailla à Malakoff en banlieue parisienne. Il meurt d’un cancer de la gorge en 1996.

Membre de l’Alliance Graphique Internationale et membre du groupe Panique.

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Il réalise la série des couverture 10/18 pour l’éditeur Christian Bourgois, les couvertures des Guides Bleus pour Hachette, et la conception graphique de livres : André Malraux pour les éditions Stock, Che pour Jeune Afrique, Les empreintes de Recalcati pour les éditions Christian Bourgois et La France, les Etats-Unis et leurs presses pour le Centre Georges Pompidou.

AVANT-PROPOS

Entre 1943 et 1946, il fréquente l’Ecole de l’Industrie Artistique de Lvov. En 1946 il est employé par la cimenterie Groszowice basée à Opole. 1947/1948 il reprend ses études dans le Lycée des Arts Plastiques de Cracovie, et est entré l’année suivante à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie et à la Faculté de l’Affiche. En 1955 il reçoit le diplôme de l’Académie des Beaux Arts à Cracovie, puis s’installe la même année à Varsovie, où il travaille comme graphiste jusqu’en 1962.

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Roman Cieslewicz né le 13 janvier 1930 à Lwow en Pologne.

Sommaire

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biographie

Roman Cieslewicz.

En 1971 il obtient la nationalité française. Entre 1973 et 1975 il dirige l’Atelier des Formes Visuelles à l’Ecole Nationale Supérieur des Arts Décoratifs de Paris, et de 1975 jusqu’à 1996 l’Atelier de Diplôme des Arts Graphiques à l’Ecole Supérieur des Arts Graphiques à Paris.

Il est également créateur de formules graphiques de revue : Opus International 1967-1969 Kitsch 1970-1971 Musique en jeu 1970-1973 CNAC-Archive 1971-1974

Dès 1963 il travail pour plusieurs journaux et maisons d’édition en tant que graphiste et directeur artistique. 1964, 1966-69 à la revue Elle 1966, Vogue 1969-72, Agence publicitaire M.A.F.I.A.

En 1963, quitte la Pologne et depuis vit à Paris.

Durant 1976 et 1977 il est chargé de la conception graphique du Festival d’Automne à Paris et la même année Alain Jouffroy lui confie la recherche d’une nouvelle formule visuelle de la revue XXème siècle.

Aux éditions Christian Bourgois il réalise sa revue d’Information Panique Kamikaze en 1976 et Kamikaze 2 chez Agnès B. en 1991.

En 1972, François Mathey lui confie l’affiche et la conception graphique du catalogue de l’exposition 72 - Douze ans d’art contemporain en France.

Il obtient plusieurs prix, parmis lesquels : Prix Trepkowski, Pologne, 1955. Grand Prix de l’Affiche du Cinéma, Tchécoslovaquie, 1964. Grand Prix de la IVe Biennale Internationale de l’Affiche, Varsovie, 1972. Prix Spécial pour l’Affiche de Cinéma, Cannes, 1973. Grand Prix de Photomontage, Pologne, 1979. Prix de l’Humour Noir, Paris, 1980. Prix d’Excellence de la Biennale d’Arts Graphiques à Zagreb, Croatie, 1991.

Parmis ses expositions personnelles, les plus importantes sont : Musée des Arts Décoratifs, Paris, 1972. Stedelijk Museum, Amsterdam, 1973. Musée de l’Affiche, Wilanow, 1974. Biennale de Venise, 1976. Musée National de Poznan, 1981. Cracovie, 1989. Saint-Priest, 1991.

Depuis 1956, il participe à plus d’une centaine d’expositions de groupes d’art graphique et photographique en Pologne, en France et à l’étranger.

Ses travaux sont présentés dans les musées nationaux à Varsovie, à Cracovie, à Poznan et à Wroclaw, au Musée d’Art à Lodz, au Musée de l’Affiche à Wilanow, à Essen, à Lahti, à Paris, à Colorado et à Beyreuth, au Museum of Moderna Art de New York, au Centre Georges-Pompidou à Paris, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, au Stedelijk Museum à Amsterdam, à la Library of Congress aux Etats-Unis, à la Fagersta Stadsbibliotek à Stockholm, dans plusieurs collections particulières.

BIOGRAPHIE

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PRATIQUE ET TRAVAUX La Pologne et ses représentants La Pologne a été rayée de la carte pendant plus de 150 ans, autant tirée par l’Allemagne que l’URSS, ne subsistant qu’au travers de sa culture, de sa langue et de sa religion. La Pologne en tant que pays ne fut recréée qu’en 1918, expliquant l’importance de la littérature et de la culture dans ce pays et de ceux qui la font. C’est dans ce contexte qu’il faut considérer l’Affiche polonaise. Depuis le début du XXème siècle, l’Affiche polonaise a toujours existée, mais quand on en parle en tant que mouvement artistique, on fait référence à la période 1955-1985. Elle fut l’un des moments forts de l’histoire du graphisme mondial, l’un des repères essentiels pour tous les jeunes graphistes de l’époque. Ce mouvement se développa avec une créativité, une fantaisie, une invention et une liberté inconnue ailleurs. La Pologne a réussi à exporter un style national neuf à l’échelle internationale au cours des deux décénnies suivant la Seconde Guerre mondiale. Teinté de couleurs populaires, ce style doit beaucoup à Cassandre et prennait corps dans l’œuvre de Tadeusz Gronowski (dont l’affiche pour la lessive Radion lui fit remporter le Grand Prix de l’exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925). L’affiche polonaise nait de l’affiche française, et la suite de Colin, Savignac, et André François est attendue.

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Les affiches étaient modernes mais seulements quelques graphistes s’appuyaient sur l’avant-garde polonaise des années 1930, à l’esprit constructiviste, marquée par la typographie de Berlewi, par les revues de BLOK et PRAESENS, mises en pages par Wladislaw Strzeminski et Henryk Stazewski et illustrées par les photomontages de Mieczyslaw Szczuka et de Mieczyslaw Berman. Berman qui, en échappant à la guerre, sera l’un des premiers leaders de la nouvelle affiche polonaise.

Ces affiches étaient construites avec clareté et de façon presque intuitive, d’illustrations peintes et de lettres dessinées, d’un réalisme simple et direct, décoratif, expressioniste, voire même surréaliste, onirique, ou souvent cauchemardesque. Les chefs de file de l’après-guerre, Berman mis à part, s’appelaient Tadeusz Trepkowski, Henryk Tomaszewski, Jan Lenica, Waldemar Swierzy, Julian Palka, Eryk (Henryk) Lipinski, Wojciech Fangor, Roman Cieslewicz, Wojciech Zamecznik et Stanislaw Zamecznik. Plus de 200 affiches de films furent réalisées en 1 an sous le patronage de l’agence d’Etat W.A.G. (Wydawnictwo Artystyczno-Graficzne : Editions Artistiques et Graphiques). Leurs travaux, réalisés dans le cadre d’une culture subventionnée et rendus publics par le magazine Projekt, devinrent un support d’éducation artistique immense et populaire. Le directeur artistique de W.A.G., Josef Mroszczak, avait enseigné avec Tomaszewski à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie. Eux et leurs collègues bénéficiaient d’une liberté encouragée dans d’autres pays d’Europe de l’Est, en particulier en Tchécoslovaquie et en Hongrie, lesquelles avaient hérité avant l’arrivée du totalitarisme, de la même façon que la Pologne, d’une signature forte dans leurs affiches, et d’avant-gardes créatives. Des reproductions lithographies pour un graphisme plus convaincant. Des annotations manuscrites pour deviner la présence proche du graphiste. Des photographies anonymes, caractères typographiques plus présents, et constructions géométriques. Cette tradition survivait aussi en France notemment avec Savignac. Dès 1963, Lenica travaille en France, et Cieslewicz s’installe à Paris. Et c’est dans les années 1970 que fut absorbée et transformée cette tradition par le groupe Grapus, pour transmettre plus d’informations et une argumentation plus solide.

Plus jamais la gueurre, KätheKollwitz, 1923. Aidez, Denis Moor, affiche, 1921.


Frappe les blancs avec le coin rouge, El Lissitzky, affiche, 1930.

Quand la guerre éclate Quand la guerre éclate, les murs sont emparrés par des affiches, images de propagande, ou à contrario, d’opposition, d’images idéalistes, héroïques. Des affiches pronnent les silhouettes d’Hitler, Mussolini ou Staline qui incarnent les puissances idéologistes. Leurs noms étaient remplacés par des titres, tels des produits de consommation : Führer, il Duce, les « guides ». Toutes ces reproductions inlassablement présentes sur les couvertures de journaux, magazines, affiches et timbres-poste deviennent îcones. La photographie constituait un nouveau moyen de communication transformant à la fois fabrication et perception. Seulement, ce qui se trouve devant l’objectif n’est pas enregistré objectivement. Chaque image est maîtraisse d’un point de vue, d’un regard porté sur son sujet. Rien ne peut être parfaitement neutre dans une image. Quelle soit positive ou négative, analytique ou esthétique, une image transmet par elle même et manipule symboles, signes et sujets. L’affiche de 1963 Écrasons le fascisme par Pere Català Pic. « Aixafem el Feixisme » : ce slogan catalan est superflu en vue de ce que cette photographie dit : « Regardez, les paysans sont en train d’écraser les fascistes et ils sont assez forts pour les fouler au pied. » Tout comme la svastika symbolise le nazisme, l’espadrille représente le peuple paysant et contraste avec la botte, stéréotype du totalitarisme. Les images n’étaient donc pas de simples illustrations, et la typographie doit « fonctionner à égalité avec le dessin et non être ajoutée ensuite » disait Games. Les affiches étaient donc directes et efficaces, mais notemment en URSS et en Europe de l’Est, le style nationaliste prend la place du modernisme, et les graphistes sont alors dans l’obligation d’utiliser certains éléments du réalisme socialiste. L’art répond ainsi à des directives édictées par le Parti Communiste. Et comme dans tous drames historiques, il y a ces Génies qui combattent à leur façon. Technique et sens sont alors convoqués pour remettre en cause l’autorité de cette dictature contemporaine de l’image. Jouer avec l’image, c’est jouer avec son pouvoir et celui qu’elle intronise. Car sans ses images, pas d’Hitler, ni de Générale De Gaulle. Convaincre, c’est donner l’autorité et faire paniquer sans aller plus loin que le bout de son nez. La panique est un principe vague et créatif de production d’images, de textes, de films, de sculptures, de revues. Le terme panique « se définit d’abord par ce qu’il n’est pas » disait le dramaturge Fernando Arrabal. Panique conteste le principe de clarté du discours rationnel pour mettre en avant l’instabilité ou la confusion comme situation de recherche perpétuelle. C’est du chaos que naissent les idées-forces, les trouvailles qui cette fois sont sous ce nez. Liberté et création ne font pas paire avec le communisme, mais tout est là, cette liberté de création existait en Pologne et nulle part ailleurs.

Année XII de l’ère fasciste, Xanti Schavinsky, affiche, 1934. Votez oui, référendum d’Hitler, 1934. Écrasons le fascicme, Pere Català Pic, affiche, 1937. Pour le désarmement, Jean Carlu, affiche, 1932.

Pratique et travaux 7


En plus de cette censure politique, s’additionnait la censure économique. Conséquences : les codes de communication échappaient à la logique commerciale, il n’y a qu’à regarder les affiches produites pour les films à Varsovie et ceux produits à l’Ouest de l’Europe, et comprendre que les contraintes n’étaient pas les mêmes. La Pologne est l’exception qui confère aux jeunes graphistes une adaptation afin d’imposer par eux même leur conception de l’image. L’Affiche polonaise est l’histoire d’une prise de pouvoir par des graphistes soucieux d’invoquer une nouvelle forme de représentation sous les contraintes exigentes définies à Moscou, et les conventions de l’Ouest. Libérés et s’affranchissant de tous codes graphiques, typographiques, ces affiches restent encore aujourd’hui contemporaines. Ce phénomène de rue s’amplifiait et reflètait la différence, la liberté, la créativité. Des affiches colorées contrastant avec l’architecture grisonnante. L’État polonais, conscient du succès de l’affiche polonaise au regard mondial, a favorisé la naissance de la première Biennale Internationale de l’Affiche, ainsi que du premier Musée de l’Affiche Contemporaine de Wilanow à Varsovie. Quand le communisme implosa, l’Affiche polonaise perdit alors son sens, et s’effaca au fûr et à mesure que le temps passe. Presque tous les grands acteurs s’en sont allés discrètement, Zamecznik, Mlodozeniec, Lenica, Tomaszewski. Ils appartiennent maintenant à l’Histoire. Mais nous devons reconnaitre que leur ingéniosité poétique est d’une puissance inégalée, encore de nos jours. Effigies et silhouettes reconnaissables, constructions structurelles efficaces et claires des affiches, les graphistes contemporains s’en inspirent toujours plus ou moins. Tel des flashs dans la conscience collective.

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Pratique et travaux

Pour être plus général, pas de guerre, pas de Lenica. Bref, pas de Spiritualité, pas d’Art ni d’Image [rebelle]. L’artiste réagit en fonction du moment. C’est dans cette tension entre l’œuvre et son contexte socioculturel que tout garde sens, que Picasso illustre si bien la guerre avec Gernica, ou que les Colonnes de Buren s’inscrivent encore dans la Cour d’Honneur du Palais Royal ; quand la critique, méritant une prise en compte sérieuse, se veut juste, alors des ombres jailliera la lumière. Les artistes qui veulent changer le regard du monde s’appuyent sur ce qui les entoure, en faisant un lien avec l’héritage du passé et l’influence du présent ; recomposant le monde dans un nouveau langage. L’après guerre. L’après-guerre engendre un élan incroyable de volonté. Véritable terre Promise pour des réfugiés de guerre, émigrés, l’Europe compte une entente entre nations, la question de Citoyen change, l’Humanité change, les gens osent et sortent dans les rues pour se battre, la culture est mise à profit pour un développement économique, politique, humanitaire et spirituel. Parmis les grands évènements d’après guerre, nous pouvons nous rappeler de l’Eurovision, créé en 1956, des concerts des Rolling Stones, du peintre Juan Miro, de la chanteuse Nina Hagen, du cinéaste Alfred Hitchcok, ou même de l’écrivain Georges Simenon… Et évidemment de la chute du Mur de Berlin.

Sans risque, Roman Cieslewicz, 31x13 cm, 1977.


Et Roman Cieslewicz ? Cieslewicz compte parmis les plus grands graphistes de la seconde moitié du XXème siècle, il a influencé d’une façon décisive le développement des arts graphiques et de l’affiche dans le monde contemporain. Ses visuels dérangent, pas seulement parce qu’ils sont le reportage, la fenêtre de la maladie du monde, mais avant tout parce que ses cadrages savent nous parler. En regardant son œuvre nous pouvons avoir des doutes sur ce qui peut transgresser le possible de l’impossible, le correct de l’incorrect. Tout se joue sur la sémiologie qu’il met en place, sa grande connaissance des arts, et son humour tranchant et décalé, avec des images franches, justes. Il fut membre de l’Association des Artistes Graphiques Polonais, de l’Alliance Graphique Internationale, et de l’International Center for the Typographic Arts. Il fréquente l’Ecole de l’Industrie Artistique de Lvov de 1943 à 1946 puis s’est installé à Opole, employé par la cimenterie Groszowice. Il reprit ses études au Lycée des Arts Plastiques de Cracovie pendant l’année scolaire 1947-1948. Puis, il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie ainsi qu’à la Faculté de l’Affiche. Déjà, les ateliers dans lesquels il étudia (Zbigniew Pronaszko, Czeslaw Rzepinski et Mieczyslaw Wejman) lui offrirent une vague d’influences particulièrement intéressantes. Il reste cela dit marqué par la formation donnée par son professeur Jerzy Karolak : affichiste et graphiste de la même génération qu’Henryk Tomaszewski. Il était un des seuls résistants au réalisme socialiste, par exemple lorsqu’il refusait de corriger ses projets en fonction des modifications exigées par le pouvoir. Professeur de composition graphique, il était libre et mal vu par l’institution. Des affiches subversives, traduction d’une époque, d’un contexte, et d’une démarche critique : une aubaine pour Cieslewicz. C’est d’ailleurs chez lui que Cieslewicz terminera ses études. En parallèle à ces cours de compositions, de typographies, d’illustrations… il y avait la scénographie permettant de se tenir au courant de l’actualité Occidentale. C’est leur ouverture vers les autres pays, faute d’accès à la culture en Pologne.

Un autre moyen de se rapprocher de concepts nouveaux : la bibliothèque. Elle est aussi une source inépuisable d’informations à la fois textuelles et visuelles. Là bas, il se rapprochait des revues du groupe de poètes, typographes et photomonteurs BLOK. Ainsi, il se nourri facilement au contact de l’avant-garde polonaise. Il rencontre aussi régulièrement un graphiste photomonteur communiste très engagé : Mieczyslaw Berman. Celui même qui engagea Roman dans son atelier de photomontage. Façonné par Zytomirski, Alexander Rodchenko ; Berman résiste tant bien que mal à cet art officiel socialiste par son humour amère traitant de situations graves et communes. “ L’Ecole Polonaise ” lui permis de mieux cerner la composition dans l’affiche en la décentralisant, méthode influente sur la qualité et la culture de la communication visuelle, s’inspirant de ses professeurs Karolak, Kantor, Gardowski, du graphiste Berman et encore du groupe BLOK. Son travail est d’une parfaite maîtrise en matière de manipulation îconographique et technique, valsant avec la photographie et ses traitements, dans un langage conscis. Gros plan, agrandissements, simultanéité, fondu enchaîné, donnant illusion du mouvement, repris de l’art cinémato-“ graphique ”. L’emploi d’un trait puissant et d’une grande originalité dans l’exagération de l’expression. En 1955, il achève ses études dans l’atelier de Jerzy Karolak et Maciej Makarewicz en obtennant son diplôme.

BLOK est un groupe constructiviste de l’Avant-garde polonaise fondé en 1924 par Mieczyslaw Szczuka, plasticien colleur et photomonteur à l’intersection du suprématisme, du constructivisme, de l’unisme et de la « Mécano-Faktura ». Ils affirment les Lois Structurelles propres à la peinture, à la sculpture, à l’affiche, à la typographie, à l’architecture,

pour une unité de l’art et de la technique. Théorisant leurs visions dans leur Manifeste Qu’est ce que le constructivisme ? la même année : en 1924. Il rejettent l’art de “ reproduction ” et l’esthétique “ décorative ” pour une approche plus fonctionnelle et impactante de l’image, vers de nouveaux procédés plus contemporains.

Pratique et travaux

BLOK :

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La Mode Polonaise, affiche publicitaire, offset couleur, photomontage 68x48 cm, 1959.

Les cinqs premières années après la sortie des études, Roman se consacre principalement à l’affiche. Varsovie. Isolés de toute information, écartés des publicités elles mêmes proscrites, le réalisme socialiste domine et les créateurs doivent subir cette pression politique. Ces affiches ne répondent alors plus qu’à des évènements culturels, tels que films, théâtres, concerts, cirques… par des associations d’idées. Ces relations entre contenu et forme, Cieslewicz les travaille avec gouache, aquarelle, collage de papiers découpés et déchirés, et commence ses premiers photomontages en 1958. 40 affiches sont créée tout au long de sa première année pour l’agence graphique W.A.G. (Wydawnictwo Artystyczno-Graficzne). Dans cette censure omniprésente, s’ajoute carence de moyens techniques et absence de confrontation.

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Pratique et travaux

Mais les affichistes pionniers, Tomaszewski, Mroszczak, Lenica, Berman entre autres, et Cieslewicz lui-même, vivent ces contraintes dans la liberté. Qualité, trouvaille anecdotique, ouverture visuelle, toutes caractéristiques au service de l’urgence. Lucides, ironiques, inventives, ces affiches répondent aux problèmes posés et s’affranchissent des typographies classiques.

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Les Créatures adorables, film polonais de Iwa & Czeslaw Petelski, 82,5x58 cm, 1958. Portrait du délirant, 64x46,5 cm, 1958.

Les Champs Rouges, 1956. Le Destructeur des avions, 83x59 cm, 1955. Les Chemins dangereux, film coréen, 83x59 cm, 1955.

Opération nécessaire, affiche de film, 1956.

Pratique et travaux

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Photomontage pour Esquire, USA, 1969.

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En 1963, il part d’abord pour Essen, en Allemagne, engagé par la maison d’édition de l’entreprise Krupp. Il descendra en Italie où il conçevra cinq panneaux décoratifs pour Italsider installés dans les différents ateliers de production.

Pratique et travaux

Paris. À son arrivée en France en 1963, Cieslewicz découvre un grand nombre de moyens techniques ouvrant une écriture graphique plus décorative, des délais plus courts, dans un tirage beaucoup plus conséquent : la presse. Inouï, cette masse incroyable de papier se renouvelle chaque jour, moi. Inscrite dans le temps et la société, la presse sert à refléter la réalité dont Cieslewicz raffole. Il s’installe à l’intérieur en signant contrats sur contrats pour les plus prestigieux catalogues. Elle, Vogue, Opus International, CNAC-Archive, et bien plus encore. Très vite, les français l’adorent et il devient rapidemment reconnu à travers ses illustrations, collages, et affiches stimulantes et novatrices. Il est d’abord maquettiste et illustrateur pour Elle, puis en 1965, en deviendra le directeur artistique jusqu’en 1969 où il transformera le catalogue selon sa vision graphique. En parallèle, il travaille avec Antoine Kieffer, directeur artistique de Vogue/Paris (1965-1966). Après trois ans passés dans la publicité comme directeur artistique chez M.A.F.I.A., avec laquelle il réalisa la campagne de publicité des chaussures Jordan et la campagne La France a du talent, il quitte son statut pour celui d’indépendant. Dans les photomontages, photocollages, et autres possibilités photographiques novatrices voire révolutionnaires, son goût pour l’expérimentation s’épanouit. Cieslewicz prend ses risques et les assume. Noirs et blancs, répétitions et sérigraphies. Une série d’illustrations liée aux écrits de l’écrivain Bruno Schulz lui permet de lier littérature et art graphique. Ainsi dans Traité des mannequins (page 2), il rassemble des extraits de Boutiques de cannelle (1934) et du Sanatorium au croque-mort (1937) auquels il adaptera son langage plastique. Bien qu’elles n’aient pu être imprimées, Roman abouti à un résultat rimant avec drame et grotesque, sérieux et moquerie, aux déformations expressionnistes, aux chimères de l’Enfer, à des scène de fiction, de rêves éveillés, presque naturalistes, métaphoriques et détaillés. Il utilise pour la première fois la composition symétrique, notament visible dans ses prochaines affiches Arrabal, Les Aïeux et Figures symétriques.

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CHE, doubles page intérieures, 48 pages, 34x26 cm, 1968.

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En parallèle, il effectue des collages encore inutilisés dans ses affiches : les Collages Répétitifs. Morceaux, fragments de mémoires, ils évoluent entre réel et irréel. Un jeu, rien de plus. Il travaille dessus sur ses temps libres, sans contraintes ni pressions. “ Ça m’aère la tête. ”

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Italsider, société de sidérurgie, 5 panneaux pour les usines italiennes de la société, 300x200 cm, 1963. À partir de fragments monumentaux de machines, des visages d’ouvriers se composent donnant l’illusion que les constructions sont subordonnées aux silhouettes humaines.

Parmis ses éditions dans les années 60, nous pouvons citer les couvertures d’Opus International, insinuant un hiatus, une ironie. Dans CHE, il livre le visage du leader révolutionnaire comme une tache rouge qui permet aux photographies de parler d’elles-même sans texte. Cet album fut refusé par Fidel Castro, son visage non coloré. À citer la revue mensuelle polonaise, Ty i Ja (Toi et Moi) qui montre et parle des modes qui avancent. Très censurée, elle disparaît fin des années 80, Cieslewicz en est le directeur artistique de 1960 à 1963. Aussi, il illustre intuitivement les thèmes donnés pour la revue mensuelle La Pologne, avec d’autres grands noms de l’Ecole Polonaise. Multilingue, elle est avec Ty i Ja éditée en grands tirages pour parler culture, avec des couvertures audacieuses. Il conçoit la charte graphique de la revue Projekt avec Wojciech Zamecznik, Jozef Mroszczak et Hubert Hilscher, du mensuel La Pologne, et quelques catalogues de la Galerie Contemporaine de Varsovie.

La Pologne, ouvertures double page, 28x43 cm, septembre 1972, Août 1967, novembre 1980.

Elle, Les Plats de poissons, illustration collage, 24,7x7,5 cm, 1964.

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Couvertures pour la collection 10/18, édition Christian Bourgois, 1968.

Grâce aux images du passé et à celles d’aujourd’hui, il compose ses idées avec violence et netteté dans un cadrage maîtrisé et serré. Il se libère du graphisme pour y préférer une recherche plastique provoquante. Cieslewicz arrive sur une période de succès et compte de nombreux clients tant pour les affiches que pour l’édition. Ces années sont marquées par le photomontage, et la série Changements de climat montre un tournant important dans sa création. Il abandonne de plus en plus le noir et le blanc, trop mécanique, et s’ammuse avec l’appareil photographique et la trame d’impression. Les couvertures se rapprochent des relations texte/image avec une logique proche de la pensée des constructivistes. Les formes typographiques colorées prédominent et deviennent éléments constructifs de l’affiche. Des fragments de la réalité, choisis avec rationnalité, voilà comment les thèmes sont traités. Rationnels et non émotionnels, structurels et logiques. Changements de climat, 1976-1982. Hors commande, ces deux centaines de photomontages utilisent l’iconographie vieille de plusieurs siècles, à laquelle Roman y tire de nouvelles valeurs avec un sens de l’humour plastique et une observation minitieuse de l’environnement. Malgrès le nombre élevé d’unités produites, Cieslewicz trouve un fil conducteur, et une expression très personnelle. L’imagination, l’association d’idée, et des limites liées au manièrisme et au jeu de hasard sont les mots clé de cette longue série aux couleurs épanouies et crissantes. Même chose pour une commande cette fois-ci d’une littéraire Ann Radcliffe, avec son roman « gothique » où il conçoit une vingtaine d’illustrations sur sa propre vision du climat de l’ouvrage, sans reprendre au pied de lettre les éléments du récit. Ces illustrations se rattachent au texte mais offent un contraste marqué avec la narration.

Projekt, couverture et ligne graphique, 1974.

Aussi, les projets pour les catalogues d’expositions au Centre Georges Pompidou, à Paris lui valent une estime internationale. Il fit des affiches pour la Mairie de Montreuil et collabora avec les Éditions du Dialogue des Pères Pallotins à Paris. Il a souvent publié et illustré dans le journal Libération, les revues Révolution et L’autre journal.

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Pratique et travaux

Son travail sur la symétrie imprimé en sérigraphie fait suite à des affiches, catalogues ou invitations évoquant le constructivisme.

Série Les Mystères d’Udolfo pour le roman d’Ann Radclifffe, photomontages, 1975.


1970

Zoom contre la pollution de l’œil, affiche, 1971, détail.

Pratique et travaux

1980

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Série Changements de Climat, photomontages, 1976-1982.


Rapport d’activité du CNAP, couverture et têtes de chapitre, 1989.

Les commandes d’affiches diminuent, en France comme ailleurs, mais Cieslewicz continu par amour de son art, la production. Les collages sont simplifiés, moins anecdoctiques mais toujours aussi dérangeants et féroces. Il veut DIRE, et non communiquer, il condense ses signes, énonce ses propos, et reste dans l’optique d’effacer le superflu, et cadre au plus serré comme le ferait un cadreur expérimenté, visible notament pour Libération. L’artiste est aussi attiré par le côté éphémère du journal et sa rapidité de fabrication. Toujours à l’écoute des diverses générations de graphistes, il poursuit avec passion son travail d’enseignant à l’ESAG (Ecole Supérieure d’Art Graphique). La baisse des commandes ne lui fait pas peur. Le traitement est plus épuré que dans les années précédentes, un minimalisme percutant et pertinent, la collaboration avec VST et le CNAP permet, entre autre, d’affiner et d’aboutir ses recherches. VST a été fondé en 1954 et Cieslewicz a conçue la nouvelle formule en 1988. Cette revue scientifique est destinée à toute personne ayant pour métier de s’occuper de malades mentaux et crée un lien entre eux, avec une rubrique culturelle pour une clientèle plus large que la profession médicale. Le CNAP (Centre National des Arts Plastiques) est l’un des organisme du Ministère de la Culture, et couvre les domaines de la création professionnelle avec pour mission les commandes publiques, l’enseignement artistique et le financement de diverses opérations promotionnelles en France.

VST, couvertures double page, janvier-février 1990, janvier-février 1988.

Roman est un traficant de l’information, tout ce qu’il peut savoir, il le sait. Cet attrai pour la presse occidentale lui permet avec une grande ingéniosité de commenter l’actualité avec la rapidité qu’exige la presse en elle même. Rapidité de production par simplification, pertinence, nourries de la réalité et visant l’essentiel. Depuis 1989, il travaille régulièrement avec Libération, offrant une image économique et concise par l’utilisation du noir et blanc. La conception et réalisation ne doivent pas dépasser 24 heures.

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Les collages d’après 1984 se simplifient mais marient encore l’humour et l’angoisse, réalité et fiction, avec une certaine dérision ou l’emphase de telle information. Cieslewicz déclenche la perception et continu d’aiguiser sa rétine et la notre. Avec Aimez vos Ennemis aux Éditions Dialogue, il illustre une série de textes avec l’iconographie de le religion chrétienne et les images de la dernière guerre donnant ce ton si dramatique et poétique comme il en a le secret. Sur ses affiches, le minimalisme (avec Couleurs du monde) et le retour aux années polonaises, ou l’architecture constructiviste n’a d’égal que le message que délivre Roman Cieslewicz confirmant son grand talent de graphiste affichiste.

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1980 Aimez vos ennemis, photomontages.

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Quelques scénographies et décors, peu connus sur son travail d’affichiste n’est pas pour autant négligeables. Déjà en 1957, il réalise la mise en scène du Pavillon de l’Industrie Polonaise à la Foire Internationale de Leipzig (avec J. Muniak). En 1963, il fait le Pavillon CE-TE-BE, à la Foire internationale de Poznan, en Pologne, et plus tard, divers décors pour la revue de mode Zone bleu cobalt. Il conçoit les décors des défilés de mode pour Elle entre 1968 et 1971 et réalise le projet architectonique de l’exposition L’Espace Urbain en URSS, 1917-1978 au Centre Georges Pompidou en 1978 avec l’architecte Jean-Louis Cohen. L’année suivante, c’est la mise en scène du film Changement de Climat qui lui est confié pour l’Institut National Audiovisuel à Paris. En 1989, sur une commande de l’Assemblée Nationale et du Ministère de la Culture, il réalise les décors du bâtiment de l’Assemblée pour la célébration du Bicentenaire de la Révolution Française. Cette projection de 6 mêtres de haut sur toute la longueur des colonnes du bâtiment est conçue par l’agence Contrejour à partir des monatges originaux au format A4. Les personnages apparaissent un à un, puis ensemble, et enfin superposés suivant un rythme visuel rapide. Bleu, blanc, et rouge sont constants. D’autres artistes sont engagés dans cette création comme Ernest Pignon Ernest, Cueco, et Erro. En collaboration avec le Musée de la Littérature de Varsovie, il organise deux expositions : 70 dessins de Bruno Schulz, en 1975; et Le Portrait dans l’Œuvre de Stranislaw Ignacy Witkiewicz en 1978. Ne cessant de participer à la vie artistique de son pays natal, Cieslewicz crée notamment la série d’affiche pour l’Opéra de Varsovie, pleines d’élan baroques (PERSEPHONE, MANRU, PRISONNIER, MONTS, OEDIPUS REX ). Puis ce sera au tour de l’Hotel de Ville pour qui il réalise les décors du Centenaire de la naissance du Général De Gaulle en 1990. La Direction des Affaires Culturelles de la ville de Paris lui passa commande. Les originaux toujours au format A4 sont filmés par la société Contrejour de 22 heures à 2 heures du matin, quotidiennement pendant une dizaine de jours.

Pratique et travaux 17

Campagne publicitaire pour Charles Jourdan, 1982.


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Destiné aux éditions Claude Tchou de 1964 pour La Collection Claude Tchou. Composé d’images du XIX ème siècle, l’artiste retravaille par trames l’Alphabet, 1964.

Roman Cieslewicz, photomontages pour la revue Elle, 1976.

Pratique et travaux

Roman Cieslewicz, Le Voyeur ou «Louis multiplié», photomontage/illustration pour le livre de la santé, Éditions Sauret, Paris, 24,5x17 cm, 1965, amorce des collages répétitifs.

Roman Cieslewicz, Art et Technologie, 82x55 cm, 1967, affiche culturelle pour Opus International et couverture de la revue.

Roman Cieslewicz, Spartakiade d’hiver, 67,5x47,5 cm, 1964.

Extrait d’une large production.


Roman Cieslewicz, affiche pour Ultraguide, Chenot Édition, 1970.

Roman Cieslewicz, Opus International n° 10/11, Les Objet, 1968, ces visuels sont à la fois couvertures et affiches, intégration d’un visuel provoquant un hiatus, une ironie. Roman Cieslewicz, Un taki pour Toubrouk, 83,5x58 cm, 1963, film de Denis de la Patellière.

Roman Cieslewicz, Le Cirque, 97x67,5 cm, 1962, détail.

Roman Cieslewicz, Les Mona’s Lisa’s, 14x10, 1969, né d’un hasard, ces cartes postales s’étaient retrouvées en désordre sur la table.

Roman Cieslewicz, Élasticité, douceur, séchage rapide, et Élasticité, douceur, maintien, 40x58,5 cm, 1971, affiche publicitaires pour Lycra, agence M.A.F.I.A., Paris.

Roman Cieslewicz, affiche pour Ultraguide, Chenot Édition, 1970.

Pratique et travaux

“ Le langage d’une affiche fonctionne par associations. L’illustration bavarde, pleine d’anecdotes, se défait des détails d’ornement de seconds plan, de tous les éléments superflus. La tendance à la synthèse, la condensation des idées, un abrégé visuel et l’introduction du signe, à la place des images, sont un emanière de penser l’affiche (…) L’activité multiple de l’affiche divisa naguère les affichistes en deux camps : les “ visuels ” et les “ cérébraux ”. Les premiers introduisent les articles de fantaise qui conduisent l’affiche vers la voix de l’art décoratif. Les seconds, moins nombreux mais très actifs (la période du Bauhaus, les Vhutemas en Russie, l’Ecole Suisse) introduisent une nouvelle typographie de l’affiche qui nous vient des dadaïstes, et insistent sur l’utilisation du signe abstrait. L’abstraction géométrique favorisa une attitude d’ascèse et de rigueur étrangère à l’esprit de la stylisation décorative. La signalisation routière représente une série d’affiches idéale. Cette constatation caractérise l’attitude qui renonce à s’adresser à la sensibilité du spectateur et élimine ses état émotionnels. ” Jan Lenica. (article paru dans Opus International en avril 1969).

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Roman Cieslewicz, Coprs Diplomatique, photmontage, 28,5x18,5 cm, 1980, détail.

Roman Cieslewicz, Le droit à votre bienveillance, photmontage, 1977.

Pratique et travaux

Roman Cieslewicz, Amnesty International, affiche politique, 86x63 cm, demande d’Amnesty International USA, 1976.

Roman Cieslewicz, Les Dieux ont soif, roman d’Anatole France, 1911, 17 illustrations pour l’Imprimerie Nationale dans la commémoration du Bicentenaire de la Révolution Française, 1988.

Roman Cieslewicz, Hommage à A. M. Cassandre, réalisé pour le marché des collectionneurs d’affiche à Poznań, offset, 100x70 cm, 1990.


Roman Cieslewicz, L’Attentat, film de Yves Boisset, 60x40 cm, affiche et pochette de disque de la musique du film, 1976.

Roman Cieslewicz, Échappée belle, collage offset, 15x20 cm, 1972.

Pratique et travaux

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Roman Cieslewicz, Circulez, il n’y a rien à manger !, projet non publié.

Roman Cieslewicz, Paris-Berlin 1900-1933, offset et sérigraphie, 1978.

Roman Cieslewicz, Pour l’Argentine ! La solidarité aide à vaincre, affiche politique pour le C.A.I.S., offset, 92x64 cm, 1977.

Roman Cieslewicz, Y a-t-il un urbanisme de banlieue, débat organisé par la municipalité de Montreuil, offset, 116,5x78 cm, 1981, détail.

Roman Cieslewicz, Paris-Paris, 1937-1957, exposition pluridisciplinaire, Centre Georges Pompidou, Paris, offset, 156,5x117 cm, 1981.

Roman Cieslewicz, Centenaire de la naissance du Général de Gaulle, pour l’Hôtel de ville/Paris, originaux de format A4 projetés par la société Contrejour, 1990.

Roman Cieslewicz, Bicentenaire de la Révolution Française, pour l’Assemblée Nationale, Paris, projection de la société Contrejour de 6m de haut sur toute la longueur des colonnes du bâtiment, 1989.

Roman Cieslewicz, L’Espace urbain en URSS, 1917-1978, projet réalisé avec Jean-Louis Cohen, architecte, Centre Georges Pompidou/CCI, Paris, 1978.


ANALYSE D’ŒUVRE Roman CIESLEWICZ KAMIKAZE 1 - 1976 KAMIKAZE 2 - 1991 KAMIKAZE 3 - 1997 Collages Répétitifs - 1966-1971 Pas de nouvelles, bonnes nouvelles - 1986 Intérieurs Cérébraux - 1986 Oséelisques - 1996

Un regard qui aiguise le notre La meilleure façon de comprendre et d’assimiler les fondements et les motivations du travail de Cieslewicz est de le confondre avec l’Avant-garde, et notamment le cinéma d’avant-garde, dont la liberté formelle, la rébélion et l’émancipation aussi bien technique, qu’économique mettent en place un système de représentation novateur et d’influence considérable, serait-ce maladroit ? Sûrement pas. « Regardez un monde où tout est à changer, tout à inventer. Ne vous coupez pas les veines. Respirez et créez. Je vous salue. » Pierre Clémenti, Quelques messages personnels, 1971.

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Analyse d’œuvre

Série Oséelisques, collages, 1994-1995.


Avant-garde ? Toute époque engendre son avant-garde, quelque soit la discipline. C’est une invention formelle qui permet à une oeuvre ou à un mouvement de révolutionner sa discipline. Pour aller vers un autre sens, l’avant-garde est une conception précise, doctrinale, selon laquelle l’artiste d’avant-garde conçoit un programme social d’éducation populaire, des mots d’ordre d’un Parti. Cette théorie est visible dans le XXème siècle, dans des versions léniniste, stalinienne, maoïste, toutes revêtant différentes forme de représentation. L’art prolétaire donc, fait partie intégrante du mécanisme de la révolution. Ici se pose un problème quand à l’utilisation de l’art conçu comme instrument, et l’art conçu comme force autonome, mais nous n’irons pas plus loin sur ce questionnement. « L’art d’avant-garde participe à la déroute de la pensée bourgeoise », André Breton, Position politique du surréalisme, 1970. Il faut considérer l’oeuvre comme laboratoire où les facultés s’exercent avec liberté dans un jeu formidable et qui par nature s’émancipera. C’est le dépassement de l’art qui créera liberté. Et c’est comme l’a si bien expliqué Le Parc que ce travail est un mouvement des facultés à manifester une reconfiguration du symbolique, remettre en question la danse entre l’art et la vie. L’art n’a de sens qu’à refuser, contester, aller au delà même des limites du symbolique, qu’il s’agisse d’une fin en soi ou d’un moyen d’intervenir directement sur le réel. L’intention est de créer des fronts où l’on se trouve avec les moyens dont on dispose. L’artiste alors n’est plus propriétaire véritable de l’oeuvre, mais actionnaire au sein d’une révolution. « Organiser une guérilla culturelle contre l’état actuel des choses, souligner des contradictions, créer des situations où les gens retrouvent leur capacités à produire un changement. [...] Tuer l’habitude, la dépendance, les critères établis, mythes et autres shémas mentaux nés d’un conditionnement complice avec les structures au pouvoir. [...] Mettre en question. » Julio Le Parc, Manifeste Guérilla culturelle, 1968.

Catalogue 13 Oséelisques, couverture et double page intérieure, 1995.

Analyse d’œuvre 23


Interroger les outils pour créer des plastiques nouvelles, réagencer, contourner, refuser les outils industriels Jean-Luc Godard et Fernando Solanas, photo parue dans Cinéaste, hiver 1970-1971.

Un chantier d’action Souvent considéré comme marginal ou élitiste, l’avantgarde conduit sa morale vers une exploration toujours plus profonde et complexe d’un système de création, et sera sans cesse réouvert grâce aux dispositifs matériels et aux richesses de ses rapports symboliques au réel. Contrairement à l’industrie qui rentabilise pour garder sa simplicité, inculquant des formules établies strictes. Ironiquement, l’industrie culturelle devient marginale, là où l’avant-garde invente de façon expansive le champ de la création.

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Analyse d’œuvre

Explorer les propriétés ENREGISTRER MONTER PERCEVOIR PRODUCTION ET REPRODUCTION PROJECTION DURÉE CONCRÈTE IMAGE ET SIGNIFICATION

Les outils sont interrogés au point où ce qu’ils produisent peut être inatendu, mais l’avant-garde ne veut pas réinventer ou même améliorer la technique ou la technologie, mais réorienter, reconsidérer, voire recommencer l’Œuvre ellemême. A commencer par refuser les instruments légués par l’industrie, ou les utiliser au mieux de leurs capacités, et ainsi éviter les standards. Ses techniques sont nombreuses, photographie, peinture, aquarelle, mais il ne touche pas au dessin sauf en 1984 avec La France a du talent pour Les Galeries Lafayette. Il travaille sur le multiple et la série tout en interrogeant la matérialité de l’image et son impact par reproduction visuelle d’un même objet. Photographie, photocopie, au scanner (reproductions de reproductions, agrandir l’image ou modifer ses contrastes), la trame, le cercle, le noir, le rouge, le jaune, les mains, les yeux, les mâchoires, les jambes, sont des éléments récurants dans ses travaux. C’est un original qui suit ses rêves et utilise des moyens inusités. Dans la contrainte de n’avoir que du matériel en quasi pénurie; comme du papier et des encres de basse qualité, des moyens photo-mécaniques limités, et des caractères anciens et usés; il est alors indispensable de trouver des signes et moyens graphiques simples (mais sûrement pas simplistes), pour un effet maximum. Impatient de produire des réponses, la manipulation physique et le crayon répondent plus vite à ses idées que n’importe quel outil mécanique. Préférant ainsi la multiplication, simplification, le glissement, la juxtaposition, la dilatation, la découpe, le collage, montage, la reproduction et par dessus tout l’expérimentation, l’ordinateur passe à la trappe, ne vallant guère ces gestes instantanés, francs et accidentés, fécondés par la main humaine.


Inventer de nouvelles formes narratives

« Ce sont les ciseaux, colle, papier, tout ce qu’on peut imaginer de plus simple. En somme, ce sont les outils du XVIème siècle. » Roman Cieslewicz, graphiste. Film réalisé par Yves Kovacs, ZigZag, Antenne 2, 1978, 03min48s, Production INA.

Roman Cieslewicz entretient au cours de toutes ces années, avec l’art, les actualités internationales, les intellectuels exigeants, les colleurs, photomonteurs et affichistes, une réelle communication fine et professionelle. Un savoir qu’il fait exploser sur ses affiches. Attiré par la Renaissance italienne, les constructivistes russes, le dadaïsme, les courants de l’Avant-Garde des années cinquante, la rue, les actualités, obsédé par le cercle, le corps; il chine dans la presse, la publicité, photos imprimées, toiles de maîtres ; collectionne et pirate les signes, les associant modelant une nouvelle forme de narration. Des petits détails peuvent alors s’amplifient à force de transformations et deviennent des signes clairs. Moore de Tomaszewski et Wozzeck de Lenica font partie de ce qui peut être considéré comme les réalisations maîtresses de l’Ecole Polonaise ; à titre de référence, et donc, source d’inspiration principale. Rien que dans leurs travaux, nous pouvons observer cette richesse plastique et expressive, métaphorique, la puissance des signes synthétiques et de la typographie manuscrite. L’expérience est matière à narrer. Reproduire la dimension littéraire telle quelle (comme par exemple, illustrer un roman mot à mot), n’a pas de sens en soi, car elle n’apporte rien. L’image doit ammener au spectateur quelque chose d’impalpable auquel il en sera sensible et qu’il n’a pas déjà. C’est pourquoi les formes cinétiques, les figures de styles, les voies mythographiques, les principes expérimentaux en général... fournissent des éléments de réponses certes plus impactants mais autant voire plus parlants.

Sochaux 11 juin 1968, Groupe Medvedkine de Sochaux, 1970.

Analyse d’œuvre 25


Un article de Jean Epstein, Le Grand Oeuvre de l’Avant-Garde, paru dans Ciné-Club en mars 1949 : « Sans doute, Mélies fut le premier en date des poètes de l’écran. Primitif, certes, et même enfantin. Mais le mérite lui revient d’avoir compris que le nouveau spectacle pouvait _ et, donc, devrait _ dépasser notre vision du monde concret extérieur, pour représenter, concrètement aussi, une autre réalité, plus vaste et plus subtile, invisible à l’oeil nu. C’était là avoir déjà touché la raison d’être, le principe essentiel du grand oeuvre cinématographique. [...] »

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Analyse d’œuvre

India Song, de Marguerite Duras, 1975. Les Idoles, de Marc’O, 1968. Le Sexe des Anges, de Lionel Soukaz, 1975.


Notion de description L’Image est donc sa matière première, et est pour lui, la matière la plus magnifique. Des prises photographiques des derniers journaux à scandales jusqu’aux photographies anonymes ou personnelles, offrent des possibilités telles que l’on ne peut imaginer. Comme l’a longtemps expliqué Jean Epstein, la description possède deux vertus : elle est cognitive (elle dévoile, révèle) ; elle est herméneutique (elle modifie la notion même de connaissance, engendre un nouveau mode pensée) : créer un “ style descriptif ”, c’est faire “ oeuvre philosophique ”, par le même fonctionnement qu’un reportage. Minimalisme de la “ fiction documentaire ” (mettre en scène un sujet sans le transformer), de la littérature, du dépouillement, de la nudité descriptive ? « Qu’est que ce monde, s’il suffit de le filmer pour le dénoncer ? » Tout se dépouille pour rendre au réel l’hommage de son incroyable complexité. L’image est valable en temps que message par le cadrage. L’affiche est alors une idée. Elle intrigue, exite. D’ailleurs, Marcel Duchamp à signalé qu’ « une image qui ne provoque pas, n’est pas une image » ; En d’autres termes une image provoque forcément. La photographie à cette grande capacité à reproduire la réalité. Cet enregistrement permet de rêgler et de transformer ce que l’on voit en un nu. Rien n’est plus vrai que les photographies d’actualités. Les informations dans la presse sont en perpetuel renouvellement. L’artiste recycle les images, les détourne, parce que les images prolifèrent et s’abstiennent de se fixer une unique fois, ayant trouvé d’autres réseaux, libres de ne plus appartenir à quiconque. Il se les approprie et les dépouille de tous sens susceptibles de contrer celui qu’il veut nous montrer. Décrir fait donc parti de ces langages nus de tout filtre entre le réel et notre perception.

Nouvelle organisation du discours Comme le cinéaste Stan Brakhage, Cieslewicz ne fait pas analogie au monde tel qu’il est perçu de façon intellectuelle, mais au monde tel qu’il est appréhendé par l’ensemble des mécanismes psychiques, plus profonds, plus sombres, obscurs, ceux de la perception, la sensation, l’aperception, l’intuition, l’imagination, le rêve. Et en aucun cas par une esthétique irrationnelle ou psychédélique décorative. Il met en tension. Associe. Compare. Fait coexister. Tout arrive par brutalité, on le comprend comme si on avait vu ce qu’il nous montrait. Il réussit à unir en réfléchissant à la pertinence des choix, en y associant des dispositifs de présentation susceptibles de renforcer le message; et travaille la question de l’hétérogénéité et d’une certaine cohérence et continuité. Tout le monde peut à sa manière, reconnaître une affiche publicitaire d’une affiche culturelle ou d’une affiche politique, Cieslewicz va plus loin dans cette dissection du regard, il nous exerce à comprendre le message en essayant de décrypter les relations entre le texte et l’image. Véritable pédagogue du regard, il donne à la trame agrandie une réelle et nouvelle identité, histoire contraire à une vulgarisation de masse bien qu’il ait réalisé des travaux pour Elle ou Vogue. Il montre l’identifiable au delà de la lentille, entre le reconnu, le rêve et l’anonymat.

Réaliser et diffuser les images qu’une société ne veut pas voir

Analyse d’œuvre

Partout, il existe des conventions accompagnées d’interdits, de tabous, collectifs ou mêmes individuels, publiques ou intimes. La censure et l’avant-garde s’entremèlent autour d’un axe social. Véritable révolution romantique; ce combat, cette transgression, permet à l’artiste d’exprimer pour les opprimés, pour des opinions trop souvent refoulées. Pratiques sexuelles déviantes, confrontations avec l’organicité (cadavres, excréments …), luttes des minorités (économiques, idéologiques, confessionnelles, sexuelles …) sont déchaînés. Dans d’autre manières, ces intention peuvent être mises à profit pour des luttes sociales, politiques. Guerres de libération, mouvements de résistance, actions de guérilla, luttes ouvrières, combats féministes, homosexuels, anti-apartheid, partout où il y eut répression, il y eut résistance en image et son, au péril de la vie des artistes, comme ce fut le cas tragique de Raymundo Gleyzer abattu pour ses idées et ses idéaux, il y en eut d’autres. Dès lors que l’art est engagé et frôle la limite, il y a un risque.

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« Cieslewicz veut bouziller le monde tenu en laisse par les gardiens de la propriété. » Claude Nori, 1997, L’aphotographie. Essai n°1.

« Pourquoi faire une image, laquelle et comment ? Avec et pour qui ? Soit l’image d’un évènement (la mort d’un homme, une guerre, un massacre, une lutte, une rencontre), comment la montrer, dans quel contexte la mettre en perspective ? A quelles autres images s’oppose-t-elle ? Au regard de l’Histoire, quelles sont les images manquantes et quelles seront les images indispensables ? A qui donner la parole, comment la prendre si on vous la refuse ? Pourquoi, ou autrement dit, quelle histoire voulons-nous ? » C’est une investigation polémique à la responsabilité seule de l’artiste. « Il ne faut pas laisser les gouvernements écrire l’Histoire. » René Vautier, cinéaste. René Vautier qui avait entammé une grève de la faim contre l’interdiction de Octobre à Paris de Jacques Panijel.

La Vie Nouvelle, de Philippe Grandrieux, 2002.

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Analyse d’œuvre

Performance du groupe Metamkine.


Articuler les disciplines Futuristes, Marcel Duchamp, Dada, Man Ray, Stan Brakhage, Harry Smith, les lettristes... presque tous les mouvements collectifs revendiquent l’hybridation disciplinaire et le dépassement de l’art. L’art total. Presque. Le travail n’est pas divisé mais assemblé autour d’un apprentissage de l’autre, et réciproquement. Reposer la question de sens, questionner les langages, rendre les phénomènes à leurs plasticité, interroger les systèmes symboliques. L’enjeux est d’assurer une synthèse nouvelle entre les disciplines.

Le rôle et la fonction du passé et du présent La proposition formelle de nombreux cinéastes utlisant les archives à la fois d’actualités et passées, dépassées; affirme ce que dit Pierre Restany : « L’une des caractéristiques de l’avant-garde au XXème siècle est précisément celle-ci : l’autocritique du fait visuel, par ses inéluctables réactions en chaînes, a été déterminante dans tous les autres secteurs de la création. Les spécialistes du langage visuel ont une responsabilité capitale : ils conditionnent plus ou moins directement l’évolution et le renouveau de l’entière structure du langage contemporain. »

Un registre euphorique et mélancolique L’utopie. Concept rassurant et incroyable, créer un autre monde et ne plus réagir sur le notre. L’univers fondé des artistes de l’avant-garde, érigent un environnement complet et euphorisant, éphémère et local, malheureusement mais qui contribue à la permanance de cette parenthèse dans laquelle nous nous trouvons en regardant. A travers leurs créations, nous Regardons le monde. Le monde de Cieslewicz est beau. Même si dans la guerre, la servitude, les injustices, il y a le Malheur, il y a aussi une part de Beauté, tout comme dans une destruction, il y a re-création. Et parce que détruire un monde reste un acte de création, en construire un second se révèle être un acte purement divin.

Sortir du symbolique Ses éléments et signes anecdotiques et figuratifs piqués dans la société de l’image, sont rendus indépendants et offrent une signification plus profonde, plus lointaine, transformant une simple image et un puissant et attractif outil de communication. Puisant ses ressources dans les actualités bavardes, et anecdotiques manipulées par les médias, aux images abondantes qu’il fera parler, et de la douleur de la guerre où les situations noires se multiplient et donnent leçon, il s’inspire aussi de l’art urbain. L’impact de la rue, avec ses rebondissements, ses multiples interventions humaines, permet à l’affichiste de communiquer plus qu’un évènement. En cette période de guerre et d’instabilité politique, la volonté commune de changer est primordiale. Il y trouve n’importe quelle image et se l’approprie, donnant lieu à cette critique engagée ancrée dans le réel. Faisant de ce chaos, une sorte de nouveau code de la vision, plus délicat, instable et poétique de la vie contemporaine. Ce qui est sous nos yeux pourrait paraître incongru, mais la vérité est là. Parce que les signes sont tellement forts et imprimés dans la mémoire collective, le message est simple et efficace, d’une folle énergie, d’une évidence absolue. « Le sens ne trahit pas la réalité mais il la rend identifiable de tous. » Alain Jouffroy, 1972.

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Embargo, Mounir Fatmi, 1997.

Analyse d’œuvre

Les images de Cieslewicz sont alors des armes. Quelle en serait leur portée ?


Des armes ? Paniquons ! Panique : qualifie une peur subite et incontrôlée ; crainte, terreur incontrôlée pouvant être collective Kamikaze : personne d’une grande témérité qui se sacrifie pour une cause. KAMIKAZE : c’est le reflet le plus concret de la vie contemporaine. Pour une fois, Cieslewicz utilise la photographie sans la manipuler, ni la retravailller. C’est la confrontation, la succession, la proximité qui interpelle et crée l’idée. Le lecteur regarde sans confort ni suavité ces trentes deux pages toutes en hauteur, 50x32 centimètres de noir et blanc d’une fantastique agressivité, exécutée avec personnalité et poésie autour de thèmes sombres et passionnants. Roman racle les actualités, les analyse, et les grave brutalement dans cette revue d’information panique éditée en noir et blanc par Christian Bourgeois Éditeur, en 1976. KAMIKAZE est un magazine inspiré par le mouvement Panique créé par Topor et auquel appartenait Roman Cieslewicz.

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Analyse d’œuvre

Ce mouvement est, pour ainsi dire, un anti-mouvement créé par Fernando Arrabal, Alejandro Jodorowsky, Olivier O. Olivier, Jacques Sternberg, Christian Zeimert, Michel Parré et Roland Topor en février 1962, basé sur le dieu Pan. Pan est présenté comme le dieu de la foule, et notamment de la foule hystérique, en raison de la capacité qui lui était attribuée de faire perdre son humanité à l’individu paniqué, et de déchirer, démembrer, éparpiller son idole. C’est donc l’origine du mot “ panique ”, manifestation humaine de la colère de Pan. KAMIKAZE offre des images, textes, et mots clés qui ne font plus qu’un pour engager et indigner le lecteur sur son propre environnement. Les travaux de Cieslewicz sont parfaitement intégrés dans leur contexte, s’inscrivant à la fois dans le temps et l’espace, tous riment avec Actualités et Engagement. KAMIKAZE traite d’évènements récents en relation directe avec le contexte de création. Pour cela l’image est le parfait matériaux pour construire une idée à communiquer. Cadrage, échelle, tonnalité, couleur, technique, composition, typographie, comme un film : tout joue en faveur de l’idée, et forme une unité claire, franche et propre à son rythme d’exécution et de pensée.

Nous pouvons considérer cette revue comme une fenêtre sur la maladie humaine. Cieslewicz offre une indignation, et c’est à l’observateur seul de constater et de faire progresser ce monde gangrainé. Tout son travail est représentatif d’une nation polonaise marquée, violentée, prète à pardonner et à donner leçon. Cieslewicz compte parmis les plus grands graphistes de la seconde moitié du XXème siècle, il a influencé d’une façon décisive le développement des arts graphiques et de l’affiche dans le monde contemporain. Ses visuels dérangent, pas seulement parce qu’ils sont le reportage, la fenêtre de la maladie du monde, mais avant tout parce que ses cadrages parlent. Toute image est cadrée, donc aucune n’est objective. Justement, parce que ces cadrages sont si fins et incroyablement bien ajustés et équilibrés, il dit plus avec très peu de moyens cette vérité nue et crue. Il se réapproprie une icônographie déjà existante imprègnée d’histoire, avec une signification connue et inchangeable. Il cumule les signes, les fait se rencontrer, par collision ou simple juxtaposition. Ainsi, il change à son grès la signification des éléments, les faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas. En regardant son oeuvre nous pouvons avoir des doutes sur ce qui peut transgresser le possible de l’impossible, le correct de l’incorrect. Tout se joue sur la sémiologie qu’il met en place, sa grande connaissance des arts, et son humour noirâtre décalé, avec des images franches et justes.

KAMIKAZE 1, couverture du magazine, revue d’information panique, Christian Bourgeois Édition, noir et blanc, 50x32 cm, 1976.


KAMIKAZE 1, doubles pages intĂŠrieures, Conditionnement et noir et blanc, 50x32 cm, 1976.

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S’en suivra une seconde édition actualisée, avec KAMIKAZE 2. Roman souhaitait se réengager avec une actualité plus forte et plus riche, en effet le mur de Berlin qui s’est écroulé, l’antisémitisme croissant accompagnant le sida, Gorbatchev, font des sujets remplis d’images. Agnès B. lui accorde alors « liberté et créativité totale » La revue sort à l’occasion de l’exposition en 1991. A titre postume, KAMIKAZE 3 sera édité par Agnès B. en 1997, plein de force, d’énergie et de colère. L’association de la Galerie de France, et de la Galerie Agnès B. permettra de rendre hommage à l’immense travail de cet artiste par deux expositions ayant lieu le même jour, le samedi 29 novembre 1997.

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Analyse d’œuvre

Des manifestes visuels personnels avec un langage universel, celui de l’image figurative doté d’une dénonciation d’un monde moderne en proie à la déshumanisation. Ce sont trois oeuvres graves, sombres mais qu’un subtil humour allège de leur tension. Souvent relatives à des notes de travail, des série d’images sont créées selon un mot, un fait, échappés de l’actualité. L’intolérance, la bétise, la lâcheté, l’hypocrisie y sont salutairement ridiculisés. Les sujet voyagent et s’épurent au fil des images atteignant une densité et un impact plus fort.

KAMIKAZE 2, dernière page, 1+1=3 Simulacre de deux mort : couple Élena et Nicolaï Ceaucescu, fait l’objet d’un tiré à part en sérigraphie, 30x30 cm.

KAMIKAZE 2, couverture du magazine et affiche d’exposition 120x200 cm, double page intérieure Sida et Mort, Édition Agnes B., Gallerie du Jour Paris, 50x32 cm, 1991.


Pas de nouvelle, bonne nouvelle, couverture, cahier spécial et catalogue d’exposition à la galleire Jean Briance, éditions Magik Paris, 2 couleurs : noir et rouge, 30x20 cm, 1986.

À remarquer aussi : Les Collages Répétitifs (1966 à 1971), du monochrome répété obsédant forcant l’image dans sa sérialité même. Une obséssion quasi banale.

Pas de nouvelle, bonne nouvelle, doubles pages intérieures Scène de chasse et Je fais tout ce que veut mon Ronnie.

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles de 1986. Dans cette édition, deux images trouvées dans la presse sont juxtaposées, réunies par un tiret rouge. Le titre, aussi puissant et lapidaire que l’image justifie leur collision. Le format permet un impact direct, plus grand et plus vif (50x150 cm) toujours dans une ironie grinçante. De la même année, datent les 5 Intérieurs cérébraux, véritables paysages montés au dessus desquels flotte une cellule du cerveaux agrandie. La série des 25 Oséelisques (19941995), qui sont le dernier travail achevé de Roman Cieslewicz. Il en livrait lui-même la définition : Dérivée de l’odalisque, « l’Oséelisque est une femme libre entre 14 et 50 ans, déjà imprimée dans la presse. Bien physiquement, se portant bien dans toutes les positions possibles, attachée à de la colle, aux éléments géométriques et graphiques choisis et découpés par le photomonteur et sans aucune arrière-pensée ».

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RÉFLEXION Basé sur le mémoire de Arnaud Peuch : Maîtrise de conception et mise en oeuvre de projets culturels.

L’image d’aujourd’hui. Actuellement, les images du XXIème siècle sont diluées dans l’information et vice et versa, écran, papier et l’Internet confondus. Faisant partie intégrante de notre vie, elle même rythmée sur ce flux intempestif, les images évoluent et se remplacent chaque jour.

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Réflexion

La dépendance à l’image grimpe. L’image devient vite indispensable, et cela devient inquiétant. Pour preuve, l’exposition télévisuelle des plus jeunes consommateurs, des programmes incitant à ralier des groupes sur les réseaux sociaux et à suivre aveuglément leurs actualités, favorise la passivité, et l’addiction en étant toujours branché. Dans la masse noire, abyssale, l’Homme regarde cette subliminalité devenue floue. Nous sommes toujours au contact d’images, et ce parce que nous ne prenons plus le temps de nous intéresser. Avant, c’étaient les publicités, les journaux, maintenant ce sont la télévision et les Tumblrs. Comme une sorte de nouvelle espèce, l’Homme (révolu ?) évolu, et les nouvelles générations s’éduquent avec l’Image, reste à décrypter les bonnes des mauvaises. Véritable instrument, tantôt de manipulation, tantôt de description, ou de réflexion, l’image a une fonction, un sens, un but. Et comme nous avons pu le voir dans les sociétés totalitaires, dès la naissance, elle peuvent inculquer un certain idéal patriotique chez les plus jeunes pour mieux les tenir en laisse. De la même façon que sous présence d’un marché, elles sont d’autant plus redoutables orientant nos choix, nos façons de consommer. Tout autrement et d’un point de vue historique, les jeunes cinéastes des années 70 abandonnent le terrain de l’image pour passer à la lutte armée, rejoingnant la Fraction Armée Rouge Japonaise, liant actions terroristes et cinéma de propagande. Avant eux, au contraire, les cinéastes des années 40 abandonnent le fusil pour la caméra insuflant les idéaux de

la Résistance dans le champ des images. Le problème soulevé par leurs trajets, aussi crucial que délicat, sur l’efficacité et les limites des images, se retrouve être leurs utilisations. Pour quoi ? Ce serait trop inadapté que de différencier les bonnes des mauvaises. Car comme le goût, tout dépend de l’utilisateur, et chaque image est adapté à son public. Mais il est question ici de bon sens, de lucidité de la part des adultes responsables, car être en exposition avec ces images relève de l’aléas. Les plus jeunes sont donc beaucoup plus en danger quand on sait que leurs cervreaux sont en ébulitions et leurs esprits considérés comme « fragiles », ils doivent être éduqués de manière urgente. Il est donc alarmant de leur donner les moyens de les regarder consciencieusement. Et c’est à l’heure du XXI ème siècle qu’il faut éduquer les jeunes générations, à savoir identifier et à savoir quelles valeurs et quelles places les images occupent pour que ces esprits restent indépendants par leurs choix et pensées. Parce que l’image sera peut-être élément actif, voir même significatif de la « société du futur ».

« Comme la découverte de la lumière, car celui qui l’a découverte ne la cherchait pas, notre société actuelle se cherche et prendra une forme que nous ne pouvons pas encore concevoir » Michel Serres.

Francastel avait déjà soulevé ce problème dans son livre L’image, la vision, l’imagination; De la peinture au cinéma, de 1983. Le problème c’est le langage même, et pas seulement la manière de l’employer, mais aussi la manière de le voir, de le sentir, de l’entendre. Fight Club, David Fincher, 1999. Les images subliminales se sont popularisées avec le procès d’un publicitaire qui diffusait un message très bref « Eat Pop-corn, drink Coke » lors de la projection d’un film dans une salle de cinema.


Pour une éducation à l’image. Zao Wou-Ki commence à dessiner et apprend la calligraphie dès son plus jeune âge. Il suit les cours des Beaux Arts en Chine et y enseigne le dessin. Il quitte la Chine en 1948 et rejoint la France où il prend alors le nom de Zao Wou-Ki. Pendant les années 30 et 40, Zao Wou-Ki peint des toiles figuratives (personnages, nus, paysages et natures mortes). A partir de 1951, il « tend vers une écriture imaginaire, indéchiffrable ». Il mêle dans des tableaux non figuratifs traditions chinoise et européenne, et déclare : « C’est Cézanne qui m’a appris à me trouver moi-même, à me retrouver peintre chinois ». « Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres »

La question de l’image dans l’Art. L’Art est nourriture pour l’esprit et le développement du recul critique objectif et engagé. Notre époque considère en second lieux l’Art, et nous entendons ici activités figuratives et expressives d’une société. Elle imagine que les idées naissent sans relations, cherchant en second temps à se traduire par des moyens de langage, perdant de vue les indissociables Signifiant et Signifié dont le rapport est toujours « dialectal » et non « causal ». L’Art comme tous les langages est une manière d’enregistrer certaines leçons de l’expérience afin de nous suggérer des modes d’actions différenciés et réfléchies. Il existe un mode de pensée plastique, distinct d’un autre mathématique, ou physique, politique, tout comme il existe un langage plastique, mathématique, physique et politique. Ce mode utilise un médium non verbal. Il ne faut donc pas voir une représentation figurative disant quelque chose de finit, d’évident et de stable. La Jonconde n’aura jamais révélée tous ses secrets. Le langage sert aussi à induire et pas seulement à décrire de façon scientifique. Le langage prend d’abord appui sur l’éthymologie, et de par notre culture et notre sens de la phonétique, nous n’hésitons pas à jouer avec, à le transformer, à le faire évoluer, et à le ré-inventer, car n’oublions pas que chaque année, des dizaines de mots apparaissent et se glissent dans les dictionnaires. Pour parler d’un phénomène il existe alors de multiples moyens pour le rendre accessible à autrui, par ces langages scientifique et sensible. Evidemment, loin d’ici de dire que l’Art n’a pas de public et n’a pas d’impact. Mais, l’écart est fait entre la société contemporaine et le développement du commentaire. C’est dans cet écart qui se creuse qu’il faut avancer et produire une sensibilité qui n’appartient pas au domaine de la raison pure et accroissant l’état d’indépendance de notre rétine. Parallèlement, et comme Michel Desmurget l’a souligné dans son livre TV lobotomie, la télévision, dont le support peut être étendu aux écrans, lobotomise et rend addicte de plus en plus jeune. Pour preuve l’activité visuelle représente 83% du processus d’apprentissage contre seulement 11% pour l’activité sonore selon une étude de Frank Helmar Gunther. L’oeil est mis à profit beaucoup plus fréquemment. On se gave de banalités, de subliminalités répétitives par ce zapping, l’Image est un instrument de manipulation. Comme l’objectif d’une caméra fixée sur un sujet, on ne voit pas ce qui se passe derrière. L’intention reste lucrative, les entreprises se servent de nous comme outils dans leurs buziness. Et parce que le monde n’est pas tout noir ou tout blanc. il est manifestement gris, il faut apprendre à différencier et comprendre les nuances; entre une image juste, et une image néfaste.

Réflexion

Nous pouvons alors trouver des réponses dans l’Art. L’Art nourri extérieurement par un déferlement d’impression, il cultive la sensibilité, la critique pour la liberté de l’individu. L’Etre est quand à lui nourri intérieurement pour avoir accès à notre vie intérieure, notre nature profonde. L’Art est libéré et parle sans tabous en les levant. Ce que l’on mange n’a pas d’importance, c’est ce qu’on digère qui nourri efficacement, comme l’a résumé Arnaud Peuch. Reconnaître le matériau visuel comme un matériau pédagogique à l’égal de l’écrit s’apparenterait donc à une remise en cause d’un rapport au savoir. « L’Art sert à tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux. », André Malraux, Le temps du mépris. L’Art est une leçon de liberté. Dans un contexte socioculturel, l’artiste tranche avec l’héritage du passé et l’influence du présent, en recomposant le monde à travers un nouveau langage. En créant, il transcende ce qu’il exprime et s’en rend libre.

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L’Image documentaire, ou même de presse (exit les photos de paparazzis) fonctionne tout autrement. Non transformée, plus proche du réel visible, plus forte, avec plus de prestence, elle présente. Et elle nous montre une autre façon de s’éduquer à l’image. Prendre son temps permet d’intégrer un espace temps. Dans cet espace temps, l’esprit se concentre et écoute l’oeuvre. Raymond Depardon, cinéaste et photographe utilise cette méthode de tournage, il ne coupe pas sa caméra. Dans ses films Reporters (1981) et Dix minutes de silence pour John Lennon (1980), il passe de plans à plans sans couper et permet de révéler une vérité hors cadre, en arrière plan. La modernité de la méthode, son accessibilité au public suggère beaucoup d’interprétations possibles puisqu’il n’y a aucun commentaire. En prennant part à l’évènement, la séquence s’ouvre par l’entrée de champ et se termine sur la sortie de champ sans coupures.

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Réflexion

Cette position est particulièrement interrogeante. Restée fixe, l’image mécanique incite à se détacher et à s’immerger dans l’action. Nous sommes dedans et dehors, nous la comprennons par dissection analytique, et restons ouvert à toutes autres interprétations. Cette démonstration rend compte que prendre son temps pour dissequer une image transforme dèja notre perception. Au contraire de la simple image publicitaire dans la rue sur laquelle l’oeil s’engouffre par un flash dans l’inconscient pour une simple projection. Éduquer, c’est élever, libérer, ammener au dehors et ouvrir sur le monde, intégrant les aspect intérieurs et extérieurs du réel. Nous devons nous et nos descendants, s’exposer aux images et non l’inverse. Nous devons les faire parler pour regarder sans danger, ouvrir des discussions, et non nous plier devant elles, les subir. Nous ne sommes pas leurs produits. Néanmoins, la plupart des établissements scolaires français ne possèdent pas suffisament d’outils pédagogiques pour éduquer le regard, alors que les foyers sont mieux équipés. Mais le matériel visuel n’est pas assez utilisé avec discernement, à bon escient (du latin « meo sciente » : moi, le sachant). Nous préférons zapper. Un défaut toujours actuel, en plus d’un manque de formation auprès des enseignants, et d’un véritable contre la montre pour la mise en place d’un projecteur. Les Images sont bien une façon de dire et de voir le réel.

La manipulation de l’image par le montage montre l’idée véhiculée de Michael Moore dans Farenheit 11.9. Avec un montge différent, des commentaires différents, le documentaire aurait raconté l’inverse.


Reporters, Raymond Depardon, 24 ème minute, 1981, 90 minutes, long métrage, © Palmeraie et désert / B.P.I. Centre Georges Pompidou.

David Hockney, création de « toiles » sur Ipad. Sans titre, David Hockney, 2009. Sans titre, David Hockney, 2010. Exposition Fleurs Fraîches, David Hockney, 2010, Paris.

Il existe à l’heure actuelle, des festivals tels que le FIFI (Festival International du Film d’Internet) ayant lieu seulement sur les réseaux du Net, des WebTV qui se multiplient, des programmes en replay disponibles à tout moment. Le médium change. Peut-on encore parler de cinéma ou de télévision ? L’internet, c’est la facilité, la possibilité d’avoir tout en sur-abondance dans les meilleurs délais et débits possibles. Incroyable et inquiétant quand on sait que l’Internet ne vit qu’au travers de la publicité. L’image virtuelle impalpable par nature, s’échange, s’exporte, se télécharge, se duplique à l’infini. Prouesses techniques, avancées technologiques. Poudre aux yeux, outils de communication. Rien n’est dit quand à leur utilité dans le processus d’éducation. Ni même en tant que vecteur de nouvelles problématiques esthétiques. Pourtant, la plupart de ces images gardent une référence au réel et produisent leurs propres esthétiques. L’Image virtuelle. Glitch Art (art de l’accident), Digital Art (art digital), autant de noms donnés à une manière de créer de l’image par ordinateur. Le risque majeur reste l’effacement du référent. Platon disait que « les oeuvres ne sont que copies de la Nature » ? Avec ce nouveau système de création d’images, le réel devient la copie de la création virtuelle, l’objet industriel finit par être la copie du modèle virtuel. Nous pouvons visionner et modeler un objet virtuellement pour ensuite le réaliser réellement. La web-cam, la numérisation, la duplication…, notre exposition à ces images peut au contraire être utile, notamment en imagerie médicale, dans les champs culturels. Seulement étant constamment assisté, ces nouvelles visions agissent comme « prothèses visuelles » explique Paul Virilio dans son livre La machine de vision, 1988. Notre vision est pré-filtrée (et nous ne pouvons nous en passer) « standardisant le regard », affectant le développement de notre imaginaire, provoquant « un éffondrement de la consolidation de la mémoire ». Pour aller plus loin, ces mutations technologiques entraînent avec elles, d’importantes mutations de la psyché collective. Régis Debray écrit : « Paradoxalement, plus les supports de transmission se dématérialisent, moins il y a de place pour les immatérialités sociales. (soit l’imaginaire social) ». Il dénonce également cette ère du visuel qui « sert oui et aussi à ne plus regarder les autres » en raison d’une individualisation, d’une accessoirisation personnalisé des supports et médiums…

Réflexion

« Sans céder à un manichéisme, nostalgique des bonnes images d’antan ou des rapports que l’on entretenait avec elles, il est impossible de ne pas tenir compte des réalités, des pièges du monde de l’image, tel qu’il est aujourd’hui. Impossible en tous cas si l’on assume la moindre responsabilité dans ce que l’on appelle: éducation à l’image. Même s’il ne peut s’agir dans cette entreprise de traiter tous les aspects de la question simultanément. Il semble néanmoins primordial de sensibiliser les jeunes esprits à la manière dont sont produites les images qu’ils perçoivent, par qui ? et pourquoi ? Il faut donc s’intéresser non seulement aux images elles-mêmes et à la manière dont elles sont produites mais aussi aux conditions de leurs production. » Arnaud Peuch.

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Roman Cieslewicz, graphiste, film réalisé par Yves Kovacs, Zig Zag, Antenne 2, 03min.48s., Production INA, 1978 Roman Cieslewicz, Royal College of Art, tvpl.tv, 2min.53s., 2010 Couleurs d’Europe, film réalisé par Yves Kovacs, 45min.09s., Production INA, 1978

Margo Rouard, Roman Cieslewicz, Paris,

Centre Georges Pompidou, entretien de

Margo Rouard avec Roman Cieslewicz,

1993, édition originale Londres, Thames

and Hudson, 1993

Le graphisme de 1890 à nos jours, par

Richard Hollis, édition revue et augmentée,

Hommage à Roman Cieslewicz | 1930-1996 (reloaded), Jerzu Brukwicki, mars 2004, Design&Typo le Blog, article re-publié le 4 octobre 2008 avec modifications, par Peter Gabor Document pédagogique, Roman Cieslewicz, un aiguilleur de rétine, 15° Festival International de l’Affiche et des Arts graphiques de Chaumont, exposition du 15 mai au 27 juin 2004 auction.fr Roman Cieslewicz, Revel in New York

La problématique d’une éducation à l’image,

par Arnaud Peuch, 2000-2001

L’image, la vision, l’imagination; De la

peinture au cinéma, par Pierre Francastel,

éditions Denoël/Gonthier, 1983

CAHIER DE L’ART MINEUR N°20, Roman

Cieslewicz, par Alin Avila / Marie Redor,

publié par l’association LIMAGE, 119 / 1974

exemplaires

Cinémas d’avant-garde, Nicole Brenez,

Cahiers du cinéma | les petis Cahiers |

SCEREN-CNDP, 2006

54 rue de la Verrerie, 75004 Paris

rue du jour, 75001 Paris; Galerie de France,

janvier 1998 à la Galerie du jour Agnès B, 6

ROMAN CIESLEWICZ, du 29 novembre au 17

Catalogues d’expositions :

TV Lobotomie, Michel Desmurget, 2011

éditions, Automne-Hiver 2011

Double-Blog on paper, n°22, Double

Internet :

1997 et 2002

éditions Thames and Hudson SARL, Paris,

Vidéos :

Ouvrages de référence :

Sources


OURS : rédaction : Arnaud Chauveau création graphique : Arnaud Chauveau couverture : Alain Koll impression : Lycée Léonard de Vinci, Montaigu imprimante : HP5500 typographie : Helvetica

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BTS COMMUNICATION VISUELLE ARTS VISUELS APPLIQUÉS MÉMOIRE 2012 ARNAUD CHAUVEAU

Alphabet, i – 1964 Roman Cieslewicz photomontage – originaux : 21x10 cm, imprimés en offset : 5x5 cm


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