NOVO / Festival internationnal du film de Belfort 2010

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Festival iNteRNatioNal du Film de belFoRt R Rt

27.11 ♦ 05.12 2010

Hors-série numéro 4

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édito

EntreVues, entre nous OURS Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro hors-série : Rédacteurs : Emmanuel Abela, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Philippe Schweyer et Fabien Texier Photographes : Stéphane Louis, Olivier Roller Photo de couverture Terence Stamp dans Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini. Abonnement : www.novomag.fr Ce numéro hors-série est édité par Chic Médias & médiapop ➾ Chic Médias 12 rue des Poules ~ 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500€ Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire ➾ médiapop 12 quai d’Isly ~ 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000€ Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr Imprimeur : Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : octobre 2010 ISSN : 1969-9514 © NOVO 2010 Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com et flux4.eu

➾ Par Philippe Schweyer

Chaque année, c’est la même histoire. À l’approche du festival EntreVues, je fais tout mon possible pour convaincre mes amis de Strasbourg, Nancy, Metz, Dijon, Besançon et Mulhouse de venir passer quelques jours à Belfort. Ceux qui me font confiance n’ont pas de mots assez forts pour me remercier. Mais d’abord, ça se passe souvent comme ça : - Belfort ! C’est quoi ce festival ? T’as rien de plus excitant ? - Non, et si tu viens tu verras que si EntreVues existe depuis vingt-cinq ans, ce n’est pas pour rien. Janine Bazin avait l’habitude de dire que c’est le plus grand des petits festivals ! Elle disait aussi que les films devaient lui faire quelque chose soit à la tête, soit au cœur, soit au ventre… - Oui, mais regarde le programme ! Il y a tellement de films que je ne sais pas par où commencer… - C’est ça qui est bien… Tous ces films et pas un seul navet ! Catherine Bizern dit que si elle aime les films qu’elle montre à Belfort, il n’y a aucune raison que d’autres ne les aiment pas. - Peut-être, mais cette année tu me conseilles quoi ? - Moi, je suis assez curieux de voir les derniers films d’Abel Ferrara inédits en France. ET comme je me souviens de la claque que je me suis pris avec la rétrospective Gleb Panfilov en 2007, j’espère revivre la même chose avec les films de Kira Mouratova. ET comme j’ai une tendresse particulière pour le cinéma africain, je vais essayer de voir quelques films dont le fameux Yeleen de Souleymane Cissé ! ET puis je ne vais pas manquer les Histoire(s) du cinéma de Godard ! ET bien sûr il y a les films de Luc Moullet… ET il y a aussi Joe Strummer chez Ossang… ET… ET… - Tu vois ! Toi-même tu ne sais plus où donner de la tête… Je ne vais quand même pas prendre des jours de congés pour venir à Belfort ! - SI JUSTEMENT ! TU DEVRAIS ! L’an dernier Adolpho Arrietta était là pendant toute une semaine. C’était drôle de se plonger dans ses films et de le croiser ensuite au bar du cinéma en compagnie de Caroline Loeb… - Oui, mais m’enfermer dans le noir pendant dix jours… - Je ne te dis pas de te couper du monde ! Rencontrer un cinéaste comme Yousry Nasrallah, qui était là il y a deux ans, ce n’est pas se couper du monde ! À Belfort, il y a des tas de gens avec qui tu peux discuter entre deux séances ou aux afters de la Poudrière. Des jeunes, des vieux, des cinéphiles, des cinéastes, des acteurs, des critiques… L’an dernier, j’ai parlé avec Francis Reusser qui était là pour la rétrospective consacrée au cinéma suisse… - Connais pas… - Moi non plus, je ne le connaissais pas. J’ai tellement aimé son film Le Grand Soir, que je me suis précipité sur lui à la fin de la séance.* - Ah… - Et puis cette année, il y a aussi une “transversale” avec des cinéastes qui sont de vrais pirates chacun à leur manière : Godard, Moullet, Ossang, Dellsperger… - Drôles de pirates… - Pasolini, Fassbinder et Buñuel aussi ont fait des films en pirates ! - On pourra les voir, ces films ? - Bien sûr… Allez, viens !

*à écouter en podcast sur www.flux4.eu ainsi que toutes les émissions enregistrées pendant le festival par Emmanuel Abela et Olivier Legras.

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Rencontre avec Catherine Bizern

Vingt-cinq ans de rencontres entre spectateurs et professionnels... ➾ Par Caroline Châtelet Photo Oliver Roller

Si le paysage de la création et de la diffusion cinématographique a largement évolué, le festival continue de s’inscrire comme un temps fort du cinéma, essentiel à la visibilité des premiers films. Tout en prolongeant l’espace de rencontre voulu par la fondatrice du festival Janine Bazin, la directrice artistique Catherine Bizern et son équipe n’ont de cesse de faire évoluer la manifestation. Parce qu’EntreVues a su dépasser son histoire, il importe que le festival continue à être attentif au contexte et au territoire au sein desquels il se déploie. L’attention portée au public, l'accueil pour la première fois de films d’animation, le focus sur le nouveau cinéma argentin, les événements autour de l’histoire du cinéma d’Afrique, les spectacles, les concerts, les collaborations régulières avec les structures locales sont autant d’éléments venant consolider, aux côtés des compétitions et multiples pro g rammations , un festival indispensable à la découverte et à la curiosité. Rencontre avec Catherine Bizern.

l'âge du scaNdale Pourquoi avoir choisi un cinéaste tel qu’Abel Ferrara pour l’une des deux rétrospectives ? Lorsque je travaille sur une programmation, j’essaie de trouver une cohérence thématique, même si elle est parfois plus souterraine que déclarée. Le choix d’Abel Ferrara est venu du piratage. Pour moi, tel que je conçois cette figure, Abel Ferrara est un vrai pirate qui utilise les outils et les armes du système contre le système. Ferrara travaille sur le cinéma de genre pour dénoncer la violence du capitalisme aux États-Unis, et tout en jouant avec les codes de l’entertainment, son cinéma est éminemment politique. Par ailleurs, défendant l’idée selon laquelle il existe dans le système des cinéastes qui luttent contre – c’est aussi le cas de Paul Verhoeven à qui nous avions consacré une rétrospective en 2008 – je cherche toujours à programmer un cinéaste qu’on n’attendrait pas à EntreVues. La transversale et les rétrospectives dialoguent-elles à chaque fois ? Lorsqu’on établit une programmation, on travaille sur un équilibre. Cela consiste à donner une image cohérente de sa cinéphilie, tout en prenant le contrepied

des poncifs liés à la cinéphilie. Il s’agit de remettre en question les clichés d’élitisme et de surprendre, de permettre la découverte d’une diversité de propositions. Pour moi, un cinéphile n’est pas quelqu’un qui a des œillères. Cela signifie avoir une vision élevée du cinéma, tout en aimant les films de Judd Apatow, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, ou encore d’Abel Ferrara. La programmation vise donc aussi à proposer des rétrospectives éclectiques, afin que chacun y trouve son compte. Vous disiez lors d’EntreVues 2009 qu’une programmation raconte quelque chose du cinéma. Que nous raconte cette édition 2010 ? Concernant la totalité du festival, je considère que programmer des films a à voir avec la politique, c’est un acte de revendication. Et aujourd’hui il me semble urgent de « faire scandale ». En 2009 nous étions peut-être plus du côté de la subversion des années 70 que du scandale, même si, au final, les programmations tournent toujours autour de la subversion et de la place du corps. Ce qui est intéressant chez Ferrara c’est que ces éléments sont liés, et la façon dont les individus sont malmenés dans leur corps par la violence sociale

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traverse son cinéma. Après c’est banal à dire, tant le cinéma est à chaque fois une mise en jeu du corps... Mais les modes de figuration des corps, qui sont des questions autant esthétiques que politiques, se retrouvent dans tout le programme, de Ferrara à Pic Pic André. Au regard de la programmation, on a le sentiment qu’EntreVues raconte les différentes étapes de l’histoire et de la fabrication du cinéma... Le cinéma a une histoire et il ne faut pas l’oublier. Nous sommes dans une société qui vit tellement le flux du présent qu’il me semble important de rappeler que le cinéma se construit dans un passé, un présent et un futur. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le cinéma est un objet nécessitant fabrication et technique. Il est donc essentiel qu’EntreVues, tout en faisant en sorte que le public ne soit pas uniquement consommateur des films, travaille avec ceux qui fabriquent le cinéma. La place du festival dans le panorama cinématographique contemporain a-t-elle évolué ? La fondatrice d’EntreVues Janine Bazin était une telle personnalité du cinéma que la notoriété du festival est particulièrement forte. Pour autant, le travail mené depuis plusieurs années a permis d’accueillir des professionnels qui ne venaient pas auparavant. Le festival a fait en sorte de « survivre » à Janine Bazin, il continue à être lui-même tout en étant attentif à l’avenir. Après, la place des premiers films dans les festivals et dans la diffusion du cinéma a évolué. On note depuis ces dix dernières années une grande présence des premiers films dans les festivals, comme si la crise du cinéma permettait aux œuvres d’être repérées plus vite. Une sorte de marché du premier film s’est créé, qui a évidemment des conséquences sur EntreVues : si nous avons moins de films inédits qu’il y a vingt ans, le choix de demeurer un festival à taille humaine permet véritablement les rencontres entre les professionnels. En travaillant autant à la notoriété du festival qu’à son implantation locale, en refusant l’existence d’un marché, nous mettons en place les conditions pour que les gens se rencontrent et fassent des films ensemble.

« Le cinéma se construit dans un passé, un présent et un futur… »

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Hommage à Abel Ferrara

Abel Ferrara, une cohérence, malgré des apparences sauvages. so wild ? ➾ Par Fabien Texier

Le britannique Brad Stevens est l’auteur de la biographie de référence d’Abel Ferrara. Il porte un regard sur l’œuvre d’un réalisateur plus cohérent qu’il n’y paraît. Quel a été votre premier contact avec Abel Ferrara ? Le premier film que j’ai vu était The Driller Killer, sorti en vidéo en 1982, je devais avoir quinze ans. La couverture montrait l’image d’un homme avec la pointe d’une perceuse dans la tête : cela a d’ailleurs provoqué une campagne de censure contre les soi-disant « video nasty » en Grande-Bretagne. Je m’attendais à voir quelque chose comme un film de Herschell Gordon Lewis [réalisateur de 2000 Maniacs ndlr], mais dès la première scène, j’ai su que c’était l’œuvre de quelqu’un doté d’une vision vraiment fascinante. Je connaissais déjà le travail de Scorsese avec lequel j’ai immédiatement fait le lien.

Quelles sont les différentes phases de son œuvre ? D’abord les débuts : les courts métrages, les longs comme Nine Lives of a Wet Pussy, (1976), L’Ange de la vengeance (Ms. 45) et New York deux heures du matin (Fear City, 1984) comme œuvre de transition. Ensuite, les tentatives de travailler dans des formats commerciaux : téléfilms, séries (Miami Vice, 1985), pilotes, des films un peu mainstream comme China Girl (1987) ou Cat Chaser. Puis les films de la maturité : en gros tout à partir de King of New York (1990). Cette période finale pourrait être subdivisée de différentes manières, comme les documentaires [trois entre 2008 et 2009, ndlr] qui constituent évidemment une catégorie à part, mais en un sens tous ces films constituent une transition. Son premier long, le porno Nine Lives of a Wet Pussy lui a demandé des sacrifices personnels, mais qu’en subsiste-t-il aujourd’hui ? Le sérieux avec lequel Abel Ferrara a réalisé ce film est évident à chaque cadrage. Tous ceux qui ont travaillé dessus en semblent un peu honteux maintenant, mais je ne crois pas qu’ils aient ressenti cela à l’époque. La scène dans laquelle

Abel apparaît est une des choses les plus choquantes que j’ai jamais vues. Je me souviens que j’avais tenté de la décrire à un ami en lui disant : « tu ne pourrais jamais arriver à me faire croire que quelqu’un a réellement mis ça dans un film ! ». Il y avait pas mal de travail sérieux dans le porno à cette époque ; comme The Story of Joanna de Gerard Damiano et Femme ou démon de Jonas Middelton. Ferrara adore le cinéma indépendant des 70’s, mais aussi Stan Brakhage ou Pasolini… Comment expliquer que ses premiers films soient plus proches de films de genre comme Massacre à la tronçonneuse que de ceux de Scorsese ? Ses courts comme The Hold Up (1972) explorent déjà un territoire commun à celui de Scorsese, avant même qu’il ait réellement commencé à faire des films, du moins sans doute avant qu’Abel ait pu les voir. Je suis sûr que Cassavetes, Pasolini et Fassbinder ont été des influences importantes, mais je pense qu’il était encore plus marqué par ce qui se passait autour de lui. Quand je l’ai vu à Londres récemment, il m’a dit travailler

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King of New-York (1990)

Son sens de l’humour est très godardien : il raconte beaucoup de blagues et bien des gens n’ont pas grand sens de l’humour.

sur un livre à propos de Jim McBride et m’a raconté vouloir refaire son Journal intime de David Holzman [film de 1967 où un cinéaste filme obsessionnellement ce qui l’entoure, ndlr]. Beaucoup considèrent que Bad Lieutenant est le chef d’œuvre de Ferrara, et que les films de la période de King of New York à Nos Funérailles sont ses meilleurs… De plus récents comme The Blackout (1997), New Rose Hotel, Mary et Go Go Tales (2007) me paraissent être parmi ses meilleurs. Il faut les voir plusieurs fois pour les estimer à leur juste valeur alors que Bad Lieutenant (1992) et, à un certain degré, Snake Eyes (1995), sont plus faciles à comprendre d’emblée. Mais je crois que la plupart des gens n’ont même pas été les voir ! Pourquoi, au sommet de son succès commercial et, en partie, critique, a-t-il choisi une voie plus risquée ? Il fait toujours les mêmes films qu’à l’époque où il avait un peu de succès. La différence, c’est qu’il est difficile de trouver un marché pour eux maintenant.

Cela a-t-il quelque chose à voir avec la fin de sa collaboration avec son scénariste Nicholas Saint John ? A-t-il besoin de travailler avec un sparring-partner comme lui ou Frank DeCurtis ? Oui. Cela fait dix ans que je suis en contact avec lui et à l’époque c’était un type du nom de Barry Amato, aujourd’hui ça semble être DeCurtis et sûrement Nick au début. Abel n’a jamais dit « je », il dit toujours : « nous allons faire ceci, nous avons fait cela »… Selon lui, les gens ont forgé sa légende de réalisateur maudit car c’est une icône qui leur plaît. Il l’entretient pourtant… Je crois qu’il se fonde beaucoup sur Godard, spécialement dans ses interviews.

Des acteurs comme Asia Argento, Matthew Modine, Willem Dafoe ou des amateurs ont apprécié ses tournages, alors que Juliette Binoche ou Madonna paraissent avoir souffert avec lui… La seule qui semble réellement avoir eu des problèmes avec Abel, c’est Kelly McGillis [sur Cat Chaser, 1989, et qui a arrêté le cinéma pendant dix ans après cela !, ndlr]. Pour Madonna c’est plus une question de choix de scènes retenues et pour Binoche je ne vois pas. Mais il demande certainement l’engagement de ses acteurs : je ne l’imagine pas travailler avec quelqu’un qui ne verrait la comédie que comme un métier. Il travaille plus avec les acteurs pour ce qu’ils sont que ce qu’ils font. Matthew Modine passe pour quelqu’un de très doux, Abel l’a choisi pour le rôle d’un drogué brutal dans The Blackout. Modine a dû effacer sa gentillesse naturelle : cela l’amène au cœur de son personnage ; quelqu’un qui essaye toujours d’affirmer sa virilité. Savez-vous quels sont ses prochains projets ? Son long métrage The Last Day on Earth, parlera de la réaction des gens à l’annonce de la fin du Monde. Il veut aussi faire un Dr. Jekyll et Mr. Hyde, il y a déjà beaucoup d’élément de cette histoire dans The Driller Killer, Fear City et The Blackout. Il y a aussi une possibilité qu’il veuille tourner une version contemporaine de la Carmilla de Sheridan LeFanu [nouvelle de 1872, l’une des sources de Dracula, déjà adapté par Dreyer et la Hammer, ndlr].  PROgRAMMATION Abel Ferrara, une fureur inaltérable... 18 de ses longs métrages, 3 films sur lui, un de ses clips, un court métrage. + Abel Ferrara : the Moral Vision, de Brad Stevens, FAB Press, 2004.

Abel Ferrara n’a jamais dit « je », il dit toujours : « nous allons faire ceci, nous avons fait cela »… 7

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Regard sur le cinéma africain

uNe coMMuNAuté de RegARds

Le cinéma africain, état des lieux d’un art en mouvement ➾ Par Baptiste Cogitore

Dire que le public africain est friand de cinéma serait une litote. Les nombreuses rencontres cinématographiques d’hier et d’aujourd’hui attestent d'une véritable passion des Africains pour le 7 e art : du prestigieux Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (Fespaco), jusqu’aux rencontres cinématographiques du Caire, de Marrakech et d’Afrique du Sud, on ne compte plus le nombre de manifestations de cinéphiles sur le continent. Mais les réseaux de production et de diffusion qui se mirent en place à partir des années 1960 commencent à s’essouffler tout en devant faire face à une nouvelle donne économique.

Comment trouver une cohérence dans ce cinéma protéiforme ? Pour Jean-Marie Téno (voir ci-contre), « le cinéma africain est avant tout constitué d’individualités fortes qui échappent à une classification par groupes et même par pays ». Au contraire, le réalisateur burkinabé Gaston Kaboré considère qu’une « telle terminologie n’est pas synonyme de dénégation de l’existence de cinémas différents et d’auteurs singuliers ». Et d’affirmer haut et fort l’existence d’un cinéma africain, comme il existerait un cinéma sud-américain ou un cinéma européen. Encore faut-il faire varier le « cinématoscope » africain : le Burkina Faso, le Mali, et le Sénégal furent le berceau d’une génération de cinéastes précurseurs. Très tôt sensibilisés au cinéma par les administrations coloniales, ces pays peinent aujourd’hui à suivre le marché et ont laissé leur place sur le podium de la production à d’autres régions plus dynamiques. À la pointe du continent, le Maroc et la Tunisie continuent de produire un nombre très honorable de films locaux, tandis que l’Afrique du Sud est en plein essor et cherche sa voie à tâtons. Inversement,

la production est encore très maigre au Tchad, au Soudan, au Congo et dans les pays lusophones. Le Nigeria anglophone est davantage réceptif aux films populaires d’Hollywood et d’Inde qu’aux œuvres d’auteurs. Et si les home vidéos ont permis de diffuser des films à un grand nombre de foyers, ils ont aussi réduit à peau de chagrin le parc de salles de projection. Dans un pays de 120 millions d’habitants où le cinéma est vu avant tout comme un business, ils ont surtout nui à la qualité des œuvres. Il ne nous est pas possible d’intégrer le cinéma africain dans quelque « école ». Et c’est peut-être tant mieux. Tout au plus parlera-t-on d’influences ou de proximités d’approches, d’une communauté de regards. Les cinéastes du continent noir nous montrent combien il importe aux Africains, non pas d’ « entrer dans l’Histoire », mais de se réapproprier cette histoire, de se remémorer leur passé pour mieux faire face au présent. En cela, ils contribuent à changer notre propre regard sur le monde et sur nous-mêmes.

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Yeelen (1987), de Souleymane Cissé

Jean-Marie Téno est réalisateur de documentaires et producteur camerounais, auteur notamment de Chef ! (1999) et du Malentendu colonial (2004). Dans quelle mesure la présence européenne en Afrique a-t-elle freiné l’émergence du cinéma africain ? Paradoxalement, c’est la colonisation qui a rendu possible la naissance d’un cinéma africain. Contrairement aux pays d’Afrique anglophones où s’est mis en place un cinéma populaire et commercial, la France a permis d’installer des salles dans beaucoup de pays francophones : elle a joué en faveur du développement d’un cinéma d’auteur, en accordant des aides à ces réalisateurs. Elle continue d’ailleurs à le faire. Cela dit, il ne faut pas s’étonner de voir le cinéma africain se développer juste au moment de la décolonisation. Auparavant, on n’avait pas accès aux outils cinématographiques sans passer par l’administration coloniale. Les premiers grands films africains ont émergé quand les intellectuels ont pu faire entendre leurs voix. La récente révolution numérique contribue-t-elle à favoriser l’avenir du cinéma africain ? Oui. Mais faire des films est aussi une question de formation. Il ne suffit

pas d’avoir une caméra et un banc de montage pour être cinéaste ! Il faut connaître son patrimoine culturel, son histoire, voir ce que d’autres ont fait avant, savoir s’interroger sur ce qu’est le cinéma. Presque partout, des écoles de cinéma se mettent en place. Mais en Afrique, on prend du retard. On assiste à l’émergence d’entreprises françaises qui viennent former des réalisateurs africains. Partant de bonnes intentions, ces gens font comme s’ils allaient sur des terrains vierges, sans prendre en compte la production de ces cinquante dernières années ! Le cinéma serait donc la nouvelle arme des Africains pour lutter contre l’imposition d’une culture globalisée ? Absolument ! Les cinéastes africains devraient non seulement proposer leur vision du monde et de leur propre pays, mais aussi travailler à enrichir les autres par la diversité des regards. Se donner comme seul objectif de faire un maximum de ventes de films aboutit au renforcement des clichés sur l’Afrique, à la négation de nos cultures.

 PROgRAMMATION Les chantiers de la mémoire : Autour de Yeelen Yeelen (Souleymane Cissé, 1987), Grand Prix du jury à Cannes 1987 Les précurseurs : Borom Sarret (O. Sembene, 1963), La Noire (Ousmane Sembene, 1966) Lettres paysannes (Safi Faye, 1975) La génération Souleymane Cissé : Yaaba (Idrissa Ouedraogo, 1989), Hyènes (Djibril Diop Mambety, 1992) La jeune génération : Bye Bye Africa (M.-S. Haroun, 1998) Colloque cinéma et histoire : Colonialisme, post-colonialisme, néo-colonialisme en Afrique noire Le colonialisme : Zoos humains de Eric deroo et Pascal Blanchard (2003), Au pays des Pygmées (J. Dupont, 1946), Noces d’eau (J. Capron, S. Ricci, 1953) Les années 50-60 : l’anticolonialisme : Afrique 50 (René Vauthier, 1950), Les Statues meurent aussi (Alain Resnais, Chris Marker, 1953), Afrique sur Seine (Robert Caristan, Jacques Mélo Kane, Mamadou Sarr, Paulin Soumanou Vieyra, 1955) L’influence de l’Occident : Moi un noir (Jean Rouch, 1958), Le Retour d’un aventurier (Mustapha Assalane, 1966) L’Histoire en accusation : Camp de Thyaroye (O. Sembene, 1987) L’Etat de l’Afrique aujourd’hui : Chef ! (Jean-Marie Teno, 1999), Bamako (A. Sissako, 2006)

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Je me souviens des premiers films de Kira Mouratova

le souci du détail

Le réalisme cacophonique de Kira Mouratova ➾ Par Baptiste Cogitore

Pendant vingt ans, Kira Mouratova a ancré ses œuvres dans le quotidien des petites gens de l’URSS. Très vite confrontée aux limites de la tolérance du pouvoir communiste en matière d’esthétique, elle refusa les concessions et fut censurée. Spécialiste du cinéma soviétique, Eugénie Zvonkine prépare l’édition de sa thèse sur Mouratova1. Elle revient sur l’œuvre de cette cinéaste à la vision aiguisée par le souci du détail.

Quelles sont les sources d’inspiration de Kira Mouratova ? Mouratova se réclame souvent de la littérature russe. Brèves rencontres a été partiellement adapté d’une nouvelle. Plus tard, dans les années 2000, elle a réalisé un film intitulé Les Motifs Tchékhoviens. Quant au scénario du Milicien amoureux, son premier film postsoviétique, il s’inspire d’un fait divers trouvé par la cinéaste dans les journaux, dans les années 70. Peut-on parler d’un cinéma « réaliste » à propos de son œuvre ? L’exemple que j’aime prendre est celui des microphones. Prenons un micro directionnel : la voix d’une personne, un son précis nous parviendront clairement et distinctement. Prenons maintenant un micro non directionnel : une cacophonie sonore va s’abattre sur nous. C’est une bande-son réaliste, car elle rend compte de la multiplicité du monde qui nous entoure, mais la sensation produite par cette bande-son n’est pas réaliste. Elle l’est sans le paraître.

Pour quelles raisons Kira Mouratova fut-elle censurée par le régime soviétique ? Mouratova aimait à dire que ce n’était pas le contenu, mais le style de ses œuvres qui dérangeait la censure. Ses films n’ont, en effet, que peu, voire aucun contenu politique. Ils ne dégagent pas ce qu’on pourrait appeler « l’optimisme obligatoire » de l’époque soviétique. Dans les premiers Mouratova, une influence des « nouvelles vagues » mondiales apparaît : cette influence dérangeait aussi les censeurs, car elle venait du cinéma occidental. Enfin, nous devons aussi tenir compte du tempérament de la cinéaste qui a fermement refusé assez tôt toute concession, provoquant ainsi un durcissement du côté des organes de censure. Le Syndrome asthénique (Ours d’Argent à Berlin en 1989) fut-il son premier film autorisé par l’URSS ? Non, comme beaucoup d’autres, la cinéaste a été réhabilitée en 1986, après quoi elle a réalisé Changement de destinée qui

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Brèves rencontres (1967)

est sorti en URSS sans encombre. Ses films précédents, Brèves rencontres et Les longs adieux ont été ressortis sur les écrans soviétiques en 1987. Alors que la situation s’était fortement libéralisée, Syndrome asthénique a, au contraire, été l’un des rares films à avoir des difficultés pour obtenir un visa de sortie. Les rédacteurs, choqués par un passage où une femme profère des injures, ont demandé à Mouratova de modifier la bande son afin de les rendre inaudibles. Après le refus de la cinéaste, la situation s’est trouvée bloquée et c’est grâce à la projection du film à Berlin – où il avait été transporté par des voies illégales –, que le film a été autorisé tardivement en URSS. Est-ce qu’elle fréquenta Andreï Tarkovski, autre grand cinéaste censuré à l’époque ? Mouratova et Tarkovski n’ont jamais eu de connivence particulière, même s’ils se sont croisés. Lorsque l’on demandait à Mouratova pourquoi Tarkovski n’avait jamais parlé d’elle à la presse occidentale, elle répondait : « Les réalisateurs sont égoïstes :

ils ne parlent que d’eux-mêmes. Pourquoi vouliez-vous que Tarkovski parle de moi ? Il ne parlait que de lui ! Mais tous savaient que mes films existaient. » Le fait que Tarkovski ait « sacrifié » un animal pour les besoins d’un tournage apparaît aussi comme moralement rédhibitoire et ne permet pas à Kira Mouratova d’évaluer ses films du point de vue de leur valeur artistique. Elle explique ainsi : « Je n’aime pas mélanger vie et art. J’avais entendu plusieurs fois que Tarkovski avait brûlé une vache. Je pensais que c’était des racontars, des ragots. Mais il n’y a pas longtemps on a montré un film sur Tarkovski à la télévision. J’ai vu ce plan qui n’est pas dans [Andreï] Roublev : une vache qui court en brûlant, comme un cascadeur. Tarkovski a cessé d’exister pour moi. C’est tout. »

dernière projection française date de 1988. Quant à Changement de destinée, il n’avait jamais été montré à cause d’un problème de droits. Le Festival International du Film de Belfort propose ici une rétrospective exceptionnelle : la première des œuvres de Mouratova depuis 1988 et surtout la première depuis toujours en France à réunir l’ensemble des films réalisés par Mouratova durant la période soviétique, dont deux sous-titrés spécialement pour l’occasion.  PROgRAMMATION Brèves rencontres (1967), Longs adieux (1971), En découvrant le vaste monde (1978), Parmi les pierres grises (1983), Changement de destinée (1987), Le Syndrome asthénique (1989). 1– À paraître aux éditions L’Âge d’Homme. Eugénie Zvonkine est notamment l’auteur de « L’Homme à la caméra » de Dziga Vertov et de plusieurs articles sur Kira Mouratova, dans les revues 1895 et Les Cahiers du cinéma.

Comment expliquer sa relative diffusion en France ? Deux films inédits sont programmés à EntreVues : En découvrant le vaste monde (1978) et Changement de destinée (1987)… En découvrant le vaste monde a déjà été montré en France, mais sa première et

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La transversale ~ Piratages !

À l’abordage des galions de la nouvelle bourgeoisie… ➾ Par Emmanuel Abela

espRit coRsaiRe À partir de mai 1973, Pier Paolo Pasolini s’en prend à la déshumanisation de la société dans une série d’articles publiés dans le Corriere della Sera. Réunis sous la forme d’un volume publié l’année même de sa mort en 1975 sous le titre de Scritti Corsari – Les Écrits Corsaires traduits dès 1976 chez Flammarion –, ces textes révèlent un Pasolini polémiste, dont la violence du propos le conduit à abjurer dans un premier temps la Trilogie de la Vie, Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972) et Les Mille et Une Nuits (1974), puis à se consacrer à l’écriture et à la réalisation de Salò ou les 120 journées de Sodome (1975), son dernier long métrage dans lequel il dénonce, avec une approche visuellement extrême, voire paroxystique les conséquences du fascisme. Si le film situe l’action au cours de la dernière période historique du fascisme mussolinien, durant l’occupation nazie, entre 1944 et 45, la sévère mise en garde concerne l’évolution de la nouvelle bourgeoisie italienne au cours des années 70. Le film peut être revu aujourd’hui, à la lecture des Écrits Corsaires. Pasolini n’est pas tendre avec la jeunesse de son pays et ses craintes sont exprimées de manière cinglante.

« […] Quand je vois que les jeunes sont en train de perdre les vieilles valeurs populaires et d’absorber les nouveaux modèles imposés par le capitalisme, en courant le risque de se déshumaniser et d’être en proie à une forme d’abominable aphasie, à une brutale absence de capacité critique, à une factieuse passivité, je me souviens que telles étaient les caractéristiques des S.S. – et je vois s’étendre sur nos cités l’ombre horrible de la croix gammée. […] » Cette intervention orale prononcée à la fête de l’Unita de Milan, constitue pour Pasolini un appel « à lutter contre tout cela » et à partir à l’abordage des citadelles de la veule bourgeoisie. Ce texte, baptisé Le Génocide, est publié dans Rinascita le 27 septembre 1974, soit un peu plus d’un an avant la disparition tragique du cinéaste. ✽ « […] La peinture du Caravage consiste à isoler, à désinsérer de la chaine des contextes, des causes et des effets, le fait brut. À cet instant, saisi dans sa fragilité qu’accuse le vide, le trou noir sur lequel il se détache, correspond une lumière particulière, une lumière instantanée. […] »

Pasolini n’a pas connu le scandale Salò parce qu’il était déjà mort, mais il a vécu avec beaucoup d’amertume le scandale Théorème (1968) qui le précède de quelques années. Le film primé à l’issue de la Mostra de Venise du Grand Prix de l’Office Catholique International du Cinéma, fait l’objet d’une « mention qui évitait de le recommander aux familles chrétiennes du monde entier », comme nous le raconte Hervé HubertLaurencin dans sa monographie consacrée à Pasolini, Portrait du poète en cinéaste. Pasolini renvoyait alors à l’OCIC ses deux grands prix, celui de Théorème et celui de L’Évangile selon St Matthieu obtenu en 1964. L’histoire est assez simple : un beau jeune homme, Terence Stamp, séduit les cinq personnes d’une maison dans laquelle il s’introduit sans raison apparente. Tour à tour, la bonne, la fille de la famille, le fils, la mère et le père succombent à ses charmes, avant de se retrouver démunis par son départ soudain : la bonne sombre dans le mysticisme et multiplie les miracles, Odetta, la fille, plonge dans une forme de neurasthénie – à mettre en rapport avec

Jean Castex à propos de La Conversion de St Paul du Caravage

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l’état de Julien dans Porcherie, le pendant de Théorème, réalisé la même année –, Pietro, le fils, découvre les plaisirs de l’avant-garde pictural, Lucia, la mère – sublime Sylvana Mangano –, s’adonne avec gourmandise aux joies de la luxure avec des jeunes gens et Paolo, le père, industriel cynique, se défait de ses biens et de son usine, se déshabille et part dans le désert… Il vit sa conversion dans un ultime hurlement. Ce film, longue parabole à la manière des peintres et poètes baroques, pose la question de la réaction d’une famille bourgeoise, visitée par une figure angélique

séductrice. Dans cet univers mouvant, où la moralité est chancelante, ni les êtres, ni leurs valeurs, ne résistent à l’appel d’une forme de subversion intime. Le monde ancien, tout comme le monde moderne, se dissolvent sans être en capacité de se refondre. Derrière la poétique sacrale se cache un profond désespoir. En cela, Théorème est annonciateur de Salò. En visionnaire, le cinéaste se moque de la bourgeoisie, tout en la sachant revancharde, tr iomphante e t m alhe ure u s ement meurtrière. Le poète-corsaire se sait en danger, il sait sa Passion à venir.

 PROgRAMMATION La projection de Théorème dans le cadre d’une transervale en deux pans : des histoires de piratage et des cinéastes que l’on peut qualifier de pirates (Jean-Luc Godard, Kathryn Bigelow, Luc Moullet, F.J. Ossang, HPG, Brice Dellsperger, Gabriel Abrantes).

Théorème (1968)

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Programmation exceptionnelle ~ Argentine

La « nouvelle vague » argentine en pleine expansion ! ➾ Par Baptiste Cogitore

doN't cRy foR Me aRgeNtiNa ! On savait que les dictatures censurent et oppriment les artistes. Et certes, celle qui sévit en Argentine entre 1976 et 1983 ne fit pas exception à la règle. Mais de temps en temps il leur arrive de faire naître, dans le sillage des malheurs qu’elles infligent, des œuvres qui tentent de panser – ou sinon de comprendre – les plaies du passé. Et de faire face aux menaces du présent. Une fois la junte de Videla disparue, une génération de réalisateurs opta tacitement pour un cinéma de consensus. Comme si la parole publique n’avait plus de sens. Il fallut attendre les années 1990 pour que des auteurs se mettent à parler, transformant peu à peu le langage, bouleversant la manière même de penser le cinéma en Argentine. Le sexagénaire Manuel Antin fut nommé directeur de l’Institut national du cinéma en 1983 et fonda l’École de cinéma de Buenos Aires en 1991. Il fut pour beaucoup dans cette révolution esthétique. La crise économique qui ravage l’Argentine au milieu de la décennie pousse très vite la plupart des réalisateurs à revoir leurs budgets à la baisse. Ce qui modifie leur approche cinématographique : ils s’habituent à écrire des courts métrages, les décors et les lumières sont de plus en plus naturels et les équipes généralement composées d’étudiants en cinéma. S’inspirant de John Cassavetes, ces jeunes cinéastes tournent avec des acteurs souvent amateurs. Quant aux sujets, ils parlent de la rue, du monde urbain de plus en plus hostile, des rêves qui subsistent, malgré la misère qui menace. L’identité, le tabou, la lutte sociale, la reconnaissance, le pardon et l’oubli sont autant de thèmes qui reviennent souvent d’une œuvre à l’autre. Si ces films peinent à boucler leurs budgets pourtant peu élevés (généralement moins de 400 000 dollars), ils reflètent néanmoins une intense activité artistique, où le manque de moyens devient le ressort d’une ingéniosité sans cesse renouvelée. En dix années, le pays a plus que doublé le nombre de longs métrages produits annuellement. Dans le pays au 19e rang mondial des

Liverpool (2008) de Lisandro Alonso

producteurs de cinéma, l’engouement des spectateurs pour des films locaux, parlant de leur histoire, est désormais au rendezvous lors d’événements importants comme le BAFICI, le Festival international de cinéma indépendant de Buenos Aires. Le nouveau cinéma argentin offre des récits à la fois sobres et intimes, comme les grandes aventures humaines de petites gens dont l’identité et l’histoire, à l’image de tout un pays, font toujours question. Ce cinéma raconte l’épopée ordinaire d’exclus, d’effacés et de silencieux, à l’image de Farrel, le déclassé de Liverpool (Lisandro Alonso, 2008) qui décide de descendre du cargo l’emmenant à Ushuaïa pour aller voir si sa mère respire encore. Et qui se redécouvre. Ces films attestent aussi que le cinéma ouvre un espace public dans lequel un pays peut réussir à conjurer son histoire.  PROgRAMMATION Una Semana solos (2007) de Celina Murga, Historias extraordinarias (2008) de Mariano Llinas, Liverpool (2008) de Lisandro Alonso, Castro (2009) d’Alejo Moguillansky et Excursiones (2009) d’Ezequiel Acuña.

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Rencontre avec Sophie Letourneur

Près d’un an après avoir été primé à Belfort, La Vie au ranch de Sophie Letourneur sort en salle. ciNéMa-Réalité

➾ Par Emmanuel Abela Photo Stéphane Louis

En général, on s’attache aux ruptures sentimentales, moins aux séparations amicales… La rupture amoureuse est narrativement plus facile à mettre en place, alors que ces séparations amicales se font de manière souterraine, moins brutale. Tout d’un coup, il n’y a plus d’amitié et on ne le constate que sur la base de petits détails au quotidien… Vous vous êtes appuyée sur des éléments autobiographiques pour construire votre récit. Le désir premier du film a été pour moi de chercher à revivre un certain nombre de situations pour en faire le deuil… Ce qui intrigue, c’est cette part d’inconfort que vous installez. Du magma sonore initial des voix se dégagent. C’était une volonté à la base. Il ne s’agissait pas de prendre le spectateur par la main, mais de le confronter au groupe de manière brutale quitte à risquer le rejet. Du coup, le spectateur perçoit le groupe comme une agression – une forme d’animal monstrueux. Dans ce film, il y a un désir de fond, mais aussi un désir de forme. Dès le départ, je souhaitais mettre le spectateur dans une situation d’éveil. Il se concentre généralement sur l’image et s’attarde sur le détail, mais il n’est pas habitué à faire des choix au niveau du son. Soit il refuse, soit il se laisse embarquer, accepte de prendre ce qu’il veut prendre et découvre des choses cachées. Ce film au positionnement fort a été bien reçu, y compris par le public, puisqu’il a été primé à double titre à EntreVues en 2009 [Prix du film français et Prix du public]. La première fois que nous avons montré le film, c’était à Belfort. Ils sont venus nous chercher. Nous étions là, perdus, et ils nous ont tiré d’un mauvais pas. Après, il y a eu ces projections au cours du festival. Je pensais que l’approche quasi expérimentale du film allait plaire aux seuls cinéphiles, mais quand on a vu la réaction du public et des jeunes dans la salle – des jeunes qui n’étaient pas issus des classes de cinéma –, on a mesuré l’impact du film. Le dispositif sonore ne les dérange pas parce qu’ils regardent beaucoup la télé, et notamment la télé-réalité. Du coup, ils sont plus habitués à la simultanéité des dialogues. Ça nous a motivés pour chercher des distributeurs plus importants

et même si ces derniers ne sont pas allés au bout, au moins ils ont vu le film. Mais moi, personnellement, ça m’a donné confiance par rapport au public, une chose que je n’avais jusqu’alors pas du tout. Comme c’est un film sensoriel, le public reçoit sa particularité, même sans connaissance cinématographique préalable. Ça me donne envie de faire des films plus populaires. Propos recueillis à l’occasion de l’avant-première aux cinémas Star, à Strasbourg

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L'intégrale Pic Pic André

haute Ou comment fidélité creuser un sillon, sans jamais dévier d’un bel état d’esprit… ➾ Par Fabien Texier

On a vu leurs premiers courts d’animation, Pic Pic le cochon magik et André le mauvais cheval en même temps que le tout premier Wallace et Gromit dans l’Œil du Cyclone : une de ces émissions de l’ancien PAF qui prenait le temps d’aller chercher la création dans des recoins pas possibles. On se disait au début des années 90 qu’on n'aurait probablement jamais la chance de continuer à voir de tels bijoux à la télévision et encore moins au cinéma. Aujourd’hui, on se réjouit de voir que ces génies ont non seulement pu trouver un espace dans l’étrange lucarne et être invités par d’étranges festivals (notamment à Strasbourg, Kingersheim ou SainteMarie-aux-Mines), mais aussi qu’ils se voient consacrer une rétrospective aux côtés d’Abel Ferrara dans un des grands rendez-vous du cinéma d’auteur. Quand on leur demande si leur trajectoire ne leur donne pas un peu le vertige quand ils considèrent leurs débuts à Saint-Luc (grande école d’art de Liège qui est un des viviers de la bande dessinée francophone), ils s’esclaffent et avouent que c’est « plutôt amusant ». Leur discours et leur attitude spontanés n’ont pas changé depuis la première fois où on les a interviewés en 2004 ; le long métrage tiré de leur série Panique au Village et leur passage à Cannes n’y changent rien. Le parcours des réalisateurs belges Vincent Patar et Stéphane Aubier est d'une remarquable stabilité : si les moyens qu’ils ont à leur disposition se sont considérablement accrus, la qualité intrinsèque de leur œuvre déjà sidérante à leurs débuts n’a guère varié.

Pourquoi avoir placé cette rétrospective sous le signe de vos premiers dessins animés ? Pic Pic André c’est un peu le nom générique de tout notre travail, c’est aussi le nom qu’on nous donne généralement : comme pour un groupe de musique. À vrai dire, on ne s’est jamais posé la question, mais la communication autour de nous s’est faite comme ça : quand on nous passait des commandes, elles étaient au nom de l’association Pic Pic André productions. Du nom de ces deux personnages que nous avons inventés chacun de notre côté alors que nous étions à l’École. Considérez-vous le chemin parcouru depuis vos courts métrages jusqu’aux longs comme une progression ? On travaille au feeling, on ne réfléchit pas trop comme ça. Pic Pic au début c’était une manière de rire des dessins animés qu’on voyait à la télé dans les années 70. Des choses qu’on voyait dans Rue Sésame, il y avait beaucoup de choses intéressantes aussi produites avec très peu de moyens comme Déclic (Vision On) qui utilisait des techniques cheap comme le papier découpé, ou des animations réalisées à partir de traçage au sol…

Vous vouez aussi une certaine admiration à Chuck Jones… Oui dans ses dessins animés, il y avait un côté industriel, mais la dimension très économe en moyens de production aboutissait à des trucs bien : La Panthère Rose du début par exemple… Bip Bip et Coyote a pu nous servir de modèle dans son extrême simplicité ou la répétition qu’on retrouve dans Panique au village. Il y a aussi une utilisation du son qui fait penser à la vôtre… Oui ! Le son c’est 50% de nos films : il est aussi important que l’image. Nous le travaillons avec beaucoup de soin depuis le début. En plus à l’École nous avions la chance d’avoir du bon matériel comme des bandes magnétiques de 60 mm. Maintenant nous ne le créons plus directement, c’est délégué à d’autres personnes. C’est surtout cela qui a dû changer pour vous : le fait de passer à une fabrication de A à Z à la supervision d’équipes ? C’est venu petit à petit, et surtout avec la série Panique au village. C’était quelque chose d’assez compliqué à mettre en place au départ, mais c’est très naturel

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aujourd’hui. Bertrand Boudaud fait le son pour nous depuis longtemps maintenant, les gens arrivent dans notre sphère et ça enrichit notre travail. Vincent Tavier un de nos producteurs [La Parti productions, ndlr] est depuis devenu co-scénariste de la série. Il a bien senti ce que nous étions et nous a bien aidé, quand on l’a mise en chantier, à ne pas être effrayés par le processus industriel. Votre équipe, ce sont surtout des proches ou des gens qui sont arrivés sans forcément vous connaître ? Un peu des deux, mais il y beaucoup d’anciens de l’École comme Steven de Beul. Au début on lui a demandé : « tu aimes bien bricoler ? » et, au fur et à mesure, il est devenu un véritable animateur sur la série. On est bien entouré avec La Parti, Philippe Kauffmann nous préserve des questions de financement et de contrats, pour le reste nous avons gardé le même état d’esprit et la même manière artisanale de faire les choses.

Oui, fondamentalement tout ce que vous faites est déjà dans vos créations à l’École… Oui ! On a tout fait là-bas ! (éclats de rire) La matière première est toujours la même qu’il y a quelques années… Nos histoires sont toujours très absurdes et racontées de manière visuelle mais avec Cowboy et Indien, on se rapproche de choses un peu plus réalistes. Passer au long métrage pour Panique au village a dû constituer un réel changement : ce n’est pas le même rythme de narration et la production est beaucoup plus lourde ! Oui, mais nous avions dès le départ envie de faire un 26 mn. Comme les Wallace et Gromit à l’époque, la série d’épisodes de 5 mn nous a permis de faire des tests pendant trois ans. Finalement, il a été possible de faire un long, réalisé de manière assez simple, lisible pour les gens, et qui conserve la spontanéité que permet notre technique, même si elle est un peu plus complexe.

Vous envisagez un prochain film de ce type ? Après 8 ans de Panique nous travaillons sur un projet plus petit, une série en papier découpé, La Famille Baltus, qu’à l’époque nous avions fait sur pellicule et que nous passons cette fois par l’ordinateur. Même en travaillant avec un logiciel, ça reste un plaisir de bricolage, on travaille directement la matière. Que peut-on voir de vous à EntreVues ? Y a-t-il un de vos films sur lequel vous pourriez attirer l’attention ? Il y aura tout : tous les Paniques, le long, tout ce qui apparaissait sur le DVD Pic Pic André et leurs amis, nos travaux de commandes, publicités, clips… Ce qui sera un inédit, c’est Le Voleur de cirque, notre court réalisé à l’École, pas très abouti mais c’est un peu le brouillon de ce qu’on a fait par la suite.  PROgRAMMATION Tout Pic Pic André, en présence des réalisateurs + carte blanche pour une programmation de quatre longs métrages.

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Jeune public ~ Spécial 25e édition

Ouvrir le champ des regards, des plus jeunes aux plus nocturnes ➾ Par Caroline Châtelet Photo Anne Charvin

au-delà du ciNéMa

Rappelant au sujet d’EntreVues qu’il ne s’agit pas d’une « manifestation isolée ou hors-sol », la directrice artistique Catherine Bizern souligne, outre l’appartenance à un réseau national et international, l’importance de l’implantation locale du festival. Une dimension qui passe nécessairement par tous les événements annexes suscités durant la manifestation. Ainsi, si la majorité des films programmés peuvent, quelques mois voire quelques années plus tard, être projetés dans d’autres villes, d’autres festivals, la cohérence du projet EntreVues dépasse le seul objet filmique. Et si EntreVues existe au-delà de sa compétition, c’est bien parce qu’il entend permettre à chacun d’approcher le cinéma et ses alentours. Cela commence le plus simplement du monde, à savoir par la formation du public de demain. Outre les séances scolaires et les ateliers pédagogiques à destination des classes de primaire et des lycéens, des séances “jeune public” sont prévues. Ici Catherine Bizern préfère d’ailleurs le terme « tout public », rappelant qu’un film de qualité visible par les enfants peut procurer du plaisir à tout âge. Pour permettre la découverte cinéphilique en famille, EntreVues propose un parcours choisi dans la programmation hors-compétition du festival : six séances dont un cinégoûter accessibles gratuitement aux moins de douze ans sont prévues. Autre chemin de traverse menant au septième art, Philidor et les lanternes magiques. Remontant aux prémices de l’art cinématographique par l’utilisation de ces ancêtres des appareils de projections, Philidor mêle univers du conte, du théâtre et du cinéma. Comme l’explique Catherine Bizern, « ce spectacle à partir de lanternes magiques de la cinémathèque française nous met dans une position rappelant l’enfance du cinéma. C’est de la magie. Parce que finalement, la magie du cinéma c’est d’être dans le noir avec des images projetées et de jouer à croire que c’est vrai. Là on est à l’origine de cette démarche, au plus simple. Et bien que ce soit très minimal, ça marche. Pas besoin de travellings ni d’effets spéciaux, on suit l’histoire avec beaucoup d’émotions. »

Et pour les noctambules, les rendez-vous des nuits du festival demeurent. Ces soirées, EntreVues les composent en collaboration avec l’un de ses partenaires réguliers, à savoir la salle de La Poudrière - Pôle des musiques actuelles. Occasions dansées d’autres rencontres possibles entre le public et les professionnels, les afters proposeront en vrac une soirée revival 1986 – année de naissance d’EntreVues –, une soirée musicalement et visuellement expérimentale et diverses nuits mixées.  PROgRAMMATION Philidor et les lanternes magiques, avec Julien Tauber (conteur), Sébastien Clément (percussionniste), Colas Reydellet (scénographe et lanterniste), Sébastien Ronceray et Fabrice Nardin (lanternistes)

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INFOS PRAtIqUES Grille des horaires disponible à partir du 15.11 sur www.festival-entrevues.com

taRifs

pass festival

Tarif normal : 4€ ♦ Réduit : 2€ (carte Art et essai, chômeurs, moins de 26 ans) Abonnements : 5 séances ♦ 12€ 10 séances ♦ 20€ Fracas 6 séances ♦ 10€ Catalogue ♦ 5€

Le pass’ festival permet l’accès à toutes les séances. Il sera disponible au BIJ et aux caisses du festival. 40€ : Tarif normal. 15€ : Avec la carte Art et essai* 5€ : collégiens, lycéens, étudiants, chômeurs. Une entrée est offerte avec la carte Avantages Jeunes * La carte Art et essai : 14€ et 7€ pour les moins de 26 ans. Permet de bénéficier toute l’année de tarifs préférentiels à Belfort et Montbéliard.

jeuNe public gratuit pour les enfants jusqu’à 12 ans Tarif adulte : 4€ ♦ Réduit : 2€ ➾ Mercredi 01.12 ♦ 10:00 Pic Pic André et leurs amis de Stéphane Aubier et Vincent Patar (à partir de 6 ans). ➾ Mercredi 01.12 ♦ 14:00 Princess Bride de Rob Reiner (à partir de 8 ans). ➾ Samedi 04.12 ♦ 14:00 L’étroit Mousquetaire (The Three Must-Get-Theres) de Max Linder (à partir de 5 ans). ➾ Dimanche 05.12 ♦ 11:00 Panique au village de Stéphane Aubier et Vincent Patar (à partir de 6 ans). ➾ Dimanche 05.12 ♦ 14:00 CINÉ-gOûTER Barbe-Noire, le pirate de Raoul Walsh (à partir de 6 ans).

spéciale 25e éditioN au lg’s baR ➾ Dimanche 28.11 à partir de 23:00 Dj’s set année 1986

afteRs à la poudRièRe gratuit sur présentation d’un ticket d’entrée du festival ou sur invitation. EntreVues accueille l’ensemble des festivaliers à la Poudrière (parking de l’Arsenal) à Belfort du lundi 29.11 au vendredi 03.12 à partir de 23:00. ➾ Lundi 29.11 Piratage et cinéma expérimental, une programmation de l’association Braquage suivie d’une performance Lafoxe duo d’improvisation cinématographique projection suivie d’un DJ’set du belfortain DJ Blaster M. ➾ Mardi 30.11 Soirée Quizz de l’impossible ➾ Mercredi 01.12 Soirée electro live avec Ventolin + She’s drunk + Valy mo. ➾ Jeudi 02.12 Concert de Joseph d'Anvers (parrain du jury One + One)

foRMules d’hébeRgeMeNt

Belfort Tourisme propose àn partir de 69€ par personne des formules week-end en chambre d’hôtes ou en semaine dans une location meublée Clévacances. Informations - Réservations : Belfort Tourisme Tél : 03 84 55 90 84 E-mail : sejours@belfort-tourisme.com

festival eNtRevues Cinémas d’Aujourd’hui 1 boulevard Richelieu – 90000 Belfort Tél : 03 84 22 94 44 ♦ fax : 03 84 22 94 40 infos@festival-entrevues.com www.festival-entrevues.com

soyez découvReuRs de taleNts ! Le jeune cinéma que nous vous proposons de découvrir à Belfort est un cinéma en marche vers de nouvelles formes et de nouvelles façons de raconter des histoires mais aussi en marche vers la reconnaissance. Chaque année le public est invité à décerner des prix pour des films en compétition. Alors, soyez curieux, participez au prix du public et partez à la découverte de ces jeunes talents !

partenaires du festival

➾ Vendredi 04.12 Le Retour du Boogie (funk/Besançon)

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© Gaëlle Vidalie

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Festival organisé par la Ville de Belfort - Cinémas d’aujourd’hui / En partenariat avec la Cinémathèque française, avec le soutien du Ministère de la Culture, de la Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté, du Centre national du cinéma et de l’image animée, du Conseil général du Territoire de Belfort, du Conseil régional de Franche-Comté ainsi que de la Fondation Groupama-Gan pour le cinéma, de la SEMPAT, du cinéma Pathé Belfort, de la SACEM, de la SACD.

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