l'Hémicycle - #474 SUPPLÉMENT

Page 1

Page 1

JULIEN BONET

,

l’Hemicycle ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE

Admiroir

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier

JACQUES DEMARTHON/AFP

18:11

Agora

Hélène Le Gal

Hubert Védrine

Alain Juppé

P. 11

P. 2

P. 3

par Éric Fottorino

BERTRAND LANGLOIS/AFP

2/12/13

ERIC FEFERBERG/AFP

H_AFRIQUE_P01.qxd:L'HEMICYCLE

L’Afrique, nouvel horizon français ?

Économie

Écologie

Religions

Développement

Laisser la place aux Chinois ou faire comme eux ?

« Il nous faut agir au niveau mondial pour lutter efficacement contre le trafic et le braconnage des espèces menacées »

L’islam noir en danger ?

« Intégrer pleinement la durabilité dans l’agenda du développement »

p. 4

Entretien avec Nicolas Hulot

L’Afrique s’est imposée dans le quinquennat de François Hollande. Après l’opération Serval de Thomas Renou au Mali, et alors que se prépare une intervention en République centrafricaine, le président RÉDACTEUR EN CHEF de la République a convié une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement africains, ainsi que des représentants d’institutions internationales (José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy pour l’Union européenne, Ban Ki-moon pour l’Onu), au sommet de l’Élysée pour la paix et sécurité en Afrique. Ce sommet a plusieurs objectifs. D’abord celui de marquer les esprits : la France est active en Afrique, et le restera. Elle veut s’engager dans tous les domaines, mais différemment que par le passé. « Au Mali, nous étions les seuls à vouloir et à pouvoir mener une telle opération, explique-t-on au Quai d’Orsay. Ce qui a changé, c’est que nous avons consulté les Africains, et notamment l’Union africaine, et cela a été très apprécié. » De la même manière, pour avancer sur le dossier centrafricain, une réunion exceptionnelle réunissant pays frontaliers, représentants de l’Union européenne et de l’Union africaine se tiendra d’ailleurs après la clôture du sommet. Une autre illustration : quatre chefs d’État n’ont pas été invités à ce sommet parce que leur pays a été suspendu par l’Union africaine

L’édito

www.lhemicycle.com

p. 5

Entretien avec Pascal Canfin

p. 6

après un coup d’État (Madagascar, Guinée-Bissau, Centrafrique, Égypte) – deux parce que leur pays est sous le coup de sanctions internationales (le Soudanais Omar el-Béchir et le Zimbabwéen Robert Mugabe). Si la France est la seule à s’engager militairement sur ce continent, elle a pris un net retard face aux pays émergents dans le domaine des échanges. Lors de ce sommet, l’ambition sera de faire changer les regards sur une Afrique en pleine croissance, qui comptera 2 milliards d’habitants en 2040. La chance de la France ? « Nous connaissons l’Afrique et l’Afrique nous connaît », dit-on à l’Élysée. Les buts à atteindre : créer un environnement favorable pour les entreprises françaises, et faciliter la mobilité. Dernier objectif de ce sommet : créer une coalition franco-africaine, pour obtenir un accord ambitieux lors de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. Les pays africains, particulièrement exposés aux effets du réchauffement climatique, sont d’accord pour adopter des modèles de développement vertueux, mais ont besoin d’aide pour y parvenir. En attendant, « ce sommet est l’occasion de montrer que 55 pays sont sur la même ligne que nous », se félicite-t- on à l’Élysée, après le succès très relatif de la conférence de Varsovie.

p. 9

Au sommaire • Entretien avec Hubert Védrine : « La France doit repenser sans complexe un partenariat économique d’avenir avec l’Afrique » > p. 2 • Entretien avec Alain Juppé : « Il faut rendre plus lisible notre stratégie partenariale et concertée avec les Africains » > p. 3 • « Une alliance avec les pays africains pour obtenir un accord ambitieux sur le climat en 2015 », par Marie-Hélène Aubert > p. 5 • « L’avenir de la France est en Afrique », entretien croisé de Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux > p. 7 • L’Afrique du Nord en ordre dispersé, par François Clemenceau > p. 8 • Le programme du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique > p. 9 • Un autre regard, la chronique de Patrick Poivre d’Arvor • Une action : « Stand Up for African Mothers » • Un roman : « La Saison de l’ombre » • Un film : « En solitaire » > p. 10 • L’admiroir d’Éric Fottorino : Les admirations africaines d’Hélène Le Gal > p. 11

SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474 — MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 — 2,15 ¤


H_AFRIQUE_p02-03.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:20

Page 2

ERIC FEFERBERG/AFP

Agora

HUBERT VÉDRINE ANCIEN MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

« La France doit repenser sans complexe un partenariat économique d’avenir avec l’Afrique » Entretien avec Hubert Védrine, coauteur d’un rapport rédigé par une commission de réflexion sur la rénovation de la relation économique, bilatérale entre la France et l’Afrique, créée à l’initiative de Pierre Moscovici. Qu’attendez-vous de ce sommet France - Afrique ?

Ce sommet devrait confirmer l’utilité de telles rencontres en dépit des controverses qui ont existé à certains moments sur leurs principes même, la vitalité réaffirmée de la relation Afrique/France et l’importance des deux thèmes retenus, qui sont d’ailleurs liés : la sécurité en Afrique – à laquelle la France apporte une énorme contribution, l’actualité nous le rappelle – et l’économie, ce à quoi est consacré le rapport de la commission que j’ai animée. Mais une commission propose et suggère. Le gouvernement est ensuite libre de reprendre ou non telle ou telle proposition. Nous en faisons une quinzaine. Ce sommet est une occasion appréciée des dirigeants africains de pouvoir se retrouver, et se concerter avec les dirigeants français, en Afrique ou en France.

satisfaisant pour l’avenir ? Non. Tous les projets africains (telle qu’une force d’intervention rapide) sont les bienvenus et doivent être encouragés. Faut-il, comme le préconise le rapport des sénateurs Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, « européaniser » notre présence militaire en Afrique ?

C’est séduisant sur le papier mais la réalité est à l’opposé. En pra-

«

La France doit-elle rester le pompier des crises africaines ?

Déjà, « pompier », c’est mieux que gendarme ! Mais la France sera la première heureuse quand les Africains, dans le cadre de l’Union africaine et de leurs organisations régionales, seront en mesure, sous l’égide de l’ONU et avec l’aide de partenaires proches comme la France, s’ils le souhaitent, de maîtriser et résoudre les crises africaines dans leurs dimensions politiques, économiques et même militaires. En attendant, sous quel prétexte la France, qui en a la capacité, pourrait-elle ne pas répondre aux demandes africaines ? Est-ce

Je ne suis pas convaincu. Il faut un pilotage général et synthétique, une tour de contrôle de toutes les négociations internationales, y compris sur la santé et le climat entre autres. Comme partout dans le monde, c’est au ministère des Affaires étrangères et à ses directions compétentes (direction générale de la mondialisation, direction des Nations unies, direction européenne) qui concentrent le

LA FRANCE SERA LA PREMIÈRE HEUREUSE QUAND LES AFRICAINS, DANS LE CADRE DE L’UNION AFRICAINE ET DE LEURS ORGANISATIONS RÉGIONALES, SERONT EN MESURE, SOUS L’ÉGIDE DE L’ONU ET AVEC L’AIDE DE PARTENAIRES PROCHES COMME LA FRANCE, S’ILS LE SOUHAITENT, DE MAÎTRISER ET RÉSOUDRE LES CRISES AFRICAINES DANS LEURS DIMENSIONS POLITIQUES, ÉCONOMIQUES ET MÊME MILITAIRES »

tique, quel pays d’Europe y est-il prêt ou même le souhaite-t-il ? Voyez le contre-exemple au Mali où une intervention était légitimée par l’ONU, demandée par les pays concernés, et urgente face à une menace réelle et immédiate pour les Africains, les Arabes, toute la zone méditerranéenne et l’Europe. Résultat ? La France a dû y aller quasiment seule. Et quelle « européanisation » ? Quelle organisation ? Qui commanderait ? Qui

2

déciderait ? Qui définirait la mission ? Tout cela n’est pas mûr. D’ici là rien n’empêche d’autres pays européens de se joindre aux actions qui doivent être menées. Bien sûr, s’il y a un jour une capacité européenne de projection et d’intervention (des pays européens, ou de « l’Europe ») appuyée sur une volonté politique claire, et une chaîne de commandement efficace et rapide susceptible d’être mise en œuvre à la demande des

intéressés et du Conseil de sécurité, ce serait très bien ! Essayons de faire évoluer les esprits dans cette « Grande Suisse allemande » qu’est en train de devenir l’Europe sur la sécurité, et qui évolue aux antipodes de ces scénarios. Dans ce rapport, les deux sénateurs proposent la création d’un ministère de la Coopération internationale de plein exercice. Qu’en pensez-vous ?

« savoir-négocier » dans tous les domaines, de l’assurer. Personne ne va démembrer le Quai pour refaire un ministère de la Coopération autonome et relancer la compétition, ou la pagaille ministère des Affaires étrangères/Bercy/Coopération ! De toute façon, la manie française de changer tout le temps les structures interministérielles fait perdre du temps, de l’énergie et de l’argent. Il faut s’en guérir.

L’HÉMICYCLE ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013

Le continent africain s’impose chaque jour davantage comme un acteur de la croissance mondiale. La France doit-elle s’inspirer des méthodes chinoise et indienne pour « réinventer » sa relation à l’Afrique ?

Certainement pas ! Que les perspectives de croissance en Afrique soient extraordinaires est une évidence. Nous en parlons dans notre rapport. La France doit repenser sans complexe un partenariat économique d’avenir avec l’Afrique. Elle doit comprendre pourquoi nos entreprises perdent depuis vingt ans des parts de marché en Afrique francophone, et n’en gagne pas ailleurs. Elle doit pour cela étudier les méthodes chinoise, indienne, brésilienne, turque, ou autres mais sans s’en inspirer (elles n‘ont rien de neuf). Et d’ailleurs un vent de fronde se lève en Afrique contre certains abus chinois. Elle doit appréhender l’Afrique à la fois comme un tout et, en même temps, comme cinq ou six ensembles (les régions) ou 54 cas particuliers (les pays). Entendre ce que nous disent les responsables africains les plus optimistes et les plus dynamiques qui souhaitent une France très présente mais pas comme un rentier, comme un partenaire compétitif, dynamique et réactif. Cela suppose beaucoup d’adaptation et de changement de mentalité de la part de nos administrations, comme de nos entreprises ou de nos banques. Ce changement est en cours.

Propos recueillis par Thomas Renou


H_AFRIQUE_p02-03.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:21

Page 3

JACQUES DEMARTHON/AFP

Agora

ALAIN JUPPÉ ANCIEN MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, MAIRE DE BORDEAUX

« Il faut rendre plus lisible notre stratégie partenariale et concertée avec les Africains » Le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique doit permettre, selon l’ancien Premier ministre, de trouver la voie « en faveur d’une résolution du Conseil de sécurité pour une action militaire forte en Afrique telle que la porte la France ». Que doit-on attendre de ce sommet France-Afrique ?

Dans l’urgence qu’impose l’actualité de la crise en République centrafricaine, ce sommet doit permettre de mobiliser l’ensemble des États participants en faveur d’une résolution du Conseil de sécurité pour une action militaire forte en République centrafricaine telle que la porte la France. Au-delà de l’urgence, il conviendrait de concrétiser un « agenda franco-africain » dans des domaines précis tels : l’éducation et la formation, le soutien à l’entrepreneuriat, le rétablissement de la paix et de la sécurité dans certaines régions ou certains pays, la protection de l’environnement… Et pourquoi ne pas saisir l’occasion d’un tel sommet pour lancer un appel à plus d’intéressement et d’engagement de nos partenaires européens envers le continent africain ? Mais les occasions de rencontres et de concertations au plus haut niveau qu’offre ce type de sommet sont déjà un élément positif. La France doit-elle avoir une « politique africaine » ?

La France et l’Afrique partagent une communauté de destin basée sur des liens historiques, culturels, économiques, universitaires et humains. Cette communauté de destin a pu fonder une relation spécifique, voire d’exception… et donc justifier ce qu’il est convenu d’appeler une politique « africaine » de la France. Cette politique a souvent fait l’ob-

jet de critiques superficielles… Mais on oublie trop souvent que, depuis plusieurs années, et sous les gouvernements successifs, la politique africaine de la France a su aussi s’adapter et innover, en tenant compte de l’accélération de l’histoire sur le continent africain. Et ce, sous les effets combinés des acteurs africains eux-mêmes et des « nouvelles puissances » qui « convoitent » l’Afrique… Je constate que la France est bien présente sur le continent africain et c’est une excellente chose, et pour l’Afrique elle-même et pour la France ! Outre la présence dans presque tous les pays de milliers de nos compatriotes qui y sont installés ou qui y travaillent, les domaines sont multiples où la présence française est forte et appréciée des Africains eux-mêmes : la coopération militaire et sécuritaire, l’aide publique au développement, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la construction de l’État de droit et de la promotion des droits de l’Homme, la coopération culturelle, universitaire et scientifique, la coopération décentralisée, mais aussi le secteur privé et de nombreuses entreprises de toutes tailles… Il ne s’agit donc pas de (ré) inventer une politique africaine comme si l’on partait de rien ! Dans le cadre d’une relation aussi forte et ancienne, les priorités d’une politique africaine sont nécessairement nombreuses et diverses. Plusieurs études et rapports récents en dres-

sent un catalogue. Parmi celles-ci, je voudrais en retenir quelquesunes : – renforcer les capacités africaines d’action militaire et de maintien de la paix ; – mieux accompagner les entreprises et notamment les PME françaises ; – satisfaire les besoins africains en matière de formation, notamment de formation professionnelle ; – soutenir la pratique de la langue française et renforcer la francophonie ; – accompagner le développement local à travers la coopération décentralisée ; – développer notre influence et conforter nos intérêts en impliquant dans nos politiques la communauté importante des Français en Afrique et des Africains en France (diasporas africaine et française) ; – mobiliser les moyens pour accompagner la formation et l’employabilité de la jeunesse africaine et lui donner une espérance et une confiance en son continent. Bref, nous pouvons être fiers de ce qui a été engagé au cours de cette décennie. Il reste à rendre plus lisible notre stratégie partenariale et concertée avec les Africains, et, bien entendu, à rappeler sans cesse à la société française l’intérêt que nous avons à être et à agir en Afrique. Faut-il s’inspirer des « stratégies » africaines de la Chine et de l’Inde ? Ont-elles les bonnes méthodes ?

Je n’ai pas le sentiment qu’il s’agit de « stratégies africaines » au service du développement de l’Afrique, si j’en crois les témoignages d’Africains eux-mêmes… Je ne pense pas que la France ait besoin de s’inspirer de certaines de leurs « méthodes », lesquelles sont de plus en plus réprouvées par les nouvelles générations africaines. En revanche, nous ne devons pas dormir sur nos lauriers mais être plus offensifs. Et j’ai la conviction que la France a des atouts incomparables face à ces deux puissances. Comment voyez-vous la situation évoluer au Mali ?

Je voudrais rappeler que j’ai été l’un des premiers à considérer que l’intervention française au Mali était justifiée face à la menace terroriste que faisaient peser Aqmi et ses alliés au Mali et dans toute la région sahélienne, voire une menace aussi pour la France et l’Europe… Cette intervention répondait, ainsi que je l’avais écrit, à l’appel des autorités maliennes et se situait dans le cadre de la légalité internationale, défini par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies. Et maintenant ? D’abord, et au moment même où nous nous apprêtons à renforcer notre dispositif militaire en République centrafricaine, nous devons donner tous les moyens d’action efficaces à nos soldats toujours engagés au Nord-Mali et poursuivre les efforts pour libérer les deux otages encore détenus. L’évolution de la situation au Mali

ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

3

dépend maintenant, en grande partie, des Maliens eux-mêmes et de l’engagement aussi des pays africains… J’ai le sentiment que les choses vont globalement dans le bon sens, et notamment sur le plan politique, ce qui était un préalable pour envisager une quelconque normalisation. Dès lors qu’aujourd’hui, le risque d’effondrement de l’État malien semble écarté, le pouvoir politique à Bamako et les institutions retrouvent progressivement une légitimité démocratique grâce à un processus électoral qui se déroule plutôt bien. Cette légitimité acquise par les nouvelles autorités maliennes doit être mise au service de la réconciliation nationale pour une solution politique durable de la « question touarègue » Certes la situation politique reste fragile et le contexte économique et social difficile, notamment pour les populations situées hors de la capitale, mais j’ai la conviction que le processus de « renaissance » de l’État malien est bien engagé. Les défis en matière de développement économique et social sont nombreux. Notre rôle, voire notre devoir, avec les pays africains et la communauté internationale, est d’être aux côtés du peuple malien pour l’accompagner dans ses efforts de normalisation politique et de redressement économique. Il en va de nos intérêts dans cette région de l’Afrique et au-delà…

Propos recueillis par T.R.


H_AFRIQUE_p04.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:22

Page 4

Économie

Laisser la place aux Chinois ou faire comme eux ? L’Afrique a doublé ses échanges ces dix dernières années avec les pays émergents et la Chine est devenue le premier partenaire du continent. La France a tout intérêt à saisir la balle au bond. Par François Clemenceau e belles soldates chinoises coiffées d’un béret bleu applaudissent le secrétaire général adjoint des Nations unies, le Français Hervé Ladsous, chargé des opérations de maintien de la paix. La scène se passe à la mioctobre à Harbin dans le nord-est de la Chine dans l’un des centres où un détachement de l’Armée de libération du peuple se prépare à partir au Mali. La Chine a déjà depuis longtemps déployé des casques bleus en Afrique, au Darfour ou en République démocratique du Congo, mais c’est la première fois qu’elle envoie une unité combattante au service d’une opération onusienne largement initiée par la France. L’intérêt de Pékin pour le continent noir ne date pas d’hier mais il s’agit incontestablement d’un nouveau pas dans cet engagement. Au mois d’août dernier, Pékin a présenté son livre blanc 2013-2015 sur la coopération sino-africaine. Tirant les enseignements de son 5e sommet Chine-Afrique (le premier date de l’an 2000), il fixe de nouveaux objectifs : deux milliards et demi de dollars à investir sur plus de 60 projets dans plus de 30 pays africains, la formation de 30 000 professionnels et l’attribution de 18 000 bourses d’étude. À l’évidence, on est dans le renforcement d’une politique de plus en plus volontariste. Les chiffres sont éloquents : en 2000, le commerce sino-africain passait la barre des 10 milliards de dollars. Il a décuplé en un peu moins d’une décennie pour atteindre 100 milliards de dollars en 2008. Et en 2012, la Chine et les pays africains ont frôlé les 200 milliards d’échanges. Premier partenaire, premier investisseur, premier bailleur de fonds, s’agit-il d’un rouleau compresseur que rien ne peut arrêter ? Personne ne nie les grands besoins en matières premières de la Chine ou de l’Inde qui ont besoin de faire tourner leurs économies productives et de maintenir une croissance forte. Dans le même temps, sur la décennie écoulée, l’Inde a d’ailleurs multiplié par vingt ses échanges commerciaux avec le continent noir. Mais la question est de savoir ce que les partenaires

D

DR

L’EXPERT

JEAN-JOSEPH BOILLOT SPÉCIALISTE DE L’INDE AU CENTRE D’ÉTUDES PROSPECTIVES ET D’INFORMATIONS INTERNATIONALES COAUTEUR DE CHINDIAFRIQUE (ÉD. ODILE JACOB)

de la paix de l’ONU, en visite auprès des casques bleus chinois le 17 octobre 2013.

traditionnels de l’Afrique, essentiellement les ex-puissances colonisatrices que sont la France, le Royaume-Uni, la Belgique, le Portugal ou l’Italie, peuvent faire pour accompagner ou contrecarrer cette nouvelle tendance. La France ? Sa part dans le PIB de la zone CFA a été diminuée par deux au cours des dix dernières années. Au Quai d’Orsay, on se plaint de voir les Chinois investir tous les secteurs sans pour autant en faire profiter les populations et, notam-

«

LA FRANCE AURAIT TORT DE SE FOCALISER SUR LA SEULE CHINE »

ment, les mains-d’œuvre locales sur les grands projets d’infrastructure. Rares sont les pays du golfe de Guinée, par exemple, à ne pas avoir vu une grosse entreprise chinoise de BTP débarquer avec ses charters d’ouvriers pour s’installer et repartir aussitôt le cahier des charges respecté. Mais le contraire est vrai également. Les chefs d’entreprise chinois ont réussi localement à modifier le rapport au travail de certaines mains-d’œuvre moyennement qualifiées. Notamment en Afrique de l’Est. La France, dont le savoir-faire dans le domaine de l’agroalimentaire est réputé à

4

travers le monde, voit également les Asiatiques racheter des millions d’hectares de terre africaine en friche pour en faire des terrains d’exploitation intensive destinée à l’exportation. Oui, la Chine, l’Inde ou l’Indonésie ont besoin de s’assurer des « garde-manger » pour les décennies à venir afin de nourrir leurs populations immenses, mais il y a là également des opportunités économiques et commerciales que la plupart des pays émergents ont saisies.

Ce n’est pas tout. Depuis plus de dix ans, de nombreux autres pays d’Asie ont pris le chemin de l’Afrique. Des relations de coopération économique qui s’étaient nouées du temps de la grande époque des « non-alignés » ont été revues et corrigées à la hausse. Taïwan, mais aussi l’Indonésie (pays à la plus forte population musulmane au monde), le Vietnam, la Corée du Sud, la Thaïlande ont considérablement augmenté leur présence commerciale dans l’est de l’Afrique. C’est ainsi qu’en 2010 est né l’Africaseac, le premier forum économique entre le continent africain et l’Asie du

Sud-Est. Trois ans après, le mois dernier, les pays de ce grand club ont inauguré la première chambre de commerce d’Afrique et d’Asie basée à Singapour. La France aurait donc tort de se focaliser sur la seule Chine. C’est l’Asie dans son ensemble qui a importé en Afrique depuis plus de dix ans des méthodes et une organisation au service de stratégies diverses. Si les Chinois et les Indiens cherchent une base arrière de matières premières et une réserve agroalimentaire pour le siècle qui vient tout en développant de puissants liens commerciaux, des nations plus modestes veulent juste s’implanter durablement en Afrique, dans ce qui sera la plus forte zone de croissance à l’horizon 2030-2050 et où de nouveaux marchés naissent chaque jour. D’où le succès incroyable d’une société comme Ecobank, la seule banque d’Afrique présente dans plus de 30 pays du continent sur tous les métiers de son secteur jusqu’au microcrédit et qui n’aurait jamais pu prospérer sans la croissance quasi exponentielle d’une classe moyenne africaine. Autant de signaux positifs pour les vieux investisseurs européens dont certains en sont restés à la période des comptoirs ou se sont désengagés dans les années incertaines de la décennie 1990.

L’HÉMICYCLE ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013

AFP

Chine. Hervé Ladsous, le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien

Les Africains ont peur de se retrouver seuls face aux Chinois ou aux Asiatiques. Ils nous disent, à nous Européens, que ce n’est pas le moment de partir. Mais pour rester en Afrique les Européens, et singulièrement les Français, doivent changer, ne plus considérer que l’Afrique est une chasse gardée ou un continent perdu. L’une des solutions consiste à sortir de nos réseaux et à associer notre expérience du continent avec le savoir-faire, l’audace et l’efficacité des Asiatiques. Dans ce marché qui va devenir de plus en plus compétitif, il faut cesser de raisonner en termes d’aide au développement. Certes, l’aide publique et ses instruments comme l’AFD ne doivent pas disparaître, notamment dans le secteur de la santé ou de l’éducation, mais pour tout le reste, il faut trouver les meilleures occasions d’investissements croisés avec les Asiatiques. C’est ce qu’ont commencé à faire des opérateurs comme Orange ou Total. Ce qui joue en notre faveur, c’est notre proximité géographique et notre excellence dans le cousu main. À quand des hôpitaux africains construits par les Chinois et équipés par la France ?

Propos recueillis par F.C.


H_AFRIQUE_p05.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:24

Page 5

Écologie « Il nous faut agir au niveau mondial pour lutter efficacement contre le trafic et le braconnage des espèces menacées »

NICOLAS MAETERLINCK/AFP

3 questions à

Cette lutte trouve sa place dans ce sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, car ces exactions portent atteinte à la souveraineté des États et des populations, selon vous. Le dernier rapport de l’IFAW va même plus loin puisqu’il affirme que ces exactions menacent la sécurité mondiale, dans la mesure où elles sont le fait d’une criminalité transnationale, liée au terrorisme. Comment la combattre ? Faut-il une approche multilatérale pour combattre cette criminalité ? Ce sommet peut-il faire avancer les choses ?

NICOLAS HULOT ENVOYÉ SPÉCIAL DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POUR LA PROTECTION DE LA PLANÈTE En marge du sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, vous organisez, avec le ministre de l’Écologie Philippe Martin, une table ronde sur « la lutte contre le trafic et le braconnage des éléphants et des espèces menacées ». L’affaire Bouba N’Djida a-t-il favorisé la prise de conscience des États, et notamment de la France ? La France va-t-elle faire de cette lutte une priorité ?

Le Secrétaire général des Nations unies, dans un rapport relatif à la situation en Centrafrique qui date du 14 novembre, établit clairement le lien entre braconnage et sécurité indiquant qu’« il existe un large consensus régional pour considérer que le braconnage représente un élément de l’activité commerciale illicite, utilisé pour financer les réseaux criminels et les groupes rebelles armés comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ». Oui, il nous faut agir au niveau mondial pour lutter

Oui, l’affaire de Bouba N’Djida a probablement été une révélation pour le grand public : 200 éléphants massacrés par une bande lourdement armée, pratiquement sous les yeux des équipes de télévision. C’est la démonstration du fait que le braconnage a changé d’échelle, que nous sommes passés d’un braconnage de subsistance

efficacement contre ces trafics. J’ai d’ailleurs souhaité que l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la Convention de Washington (CITES) et Interpol soient présents à la table ronde que nous organisons. La présence

«

une première pierre ; le Botswana organise un sommet à Gaborone auquel je participe du 2 au 4 décembre. Paris sera aussi une étape importante avant Londres qui accueillera un sommet le 14 février prochain.

NOUS DEVONS SORTIR D’UNE VISION UTILITAIRE DE LA NATURE »

de nombreux chefs d’État au sommet de l’Élysée est une occasion pour eux d’échanger, de se concerter, de se mobiliser. Le 25 septembre dernier, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, l’Allemagne et le Gabon ont posé

Demandez-vous, comme l’IFAW, que ce type d’exactions obtiennent le statut de « criminalité grave » ?

Il faudrait préciser ce que l’on entend par « criminalité grave ». La notion de crime varie d’un pays à l’autre. Je pense que les trafics doi-

vent être plus lourdement sanctionnés, les amendes doivent être en rapport avec les bénéfices que génèrent ces trafics pour être réellement dissuasives. Tant que les amendes coûteront moins cher que le prix d’une défense d’ivoire ou d’une corne de rhinocéros… le trafic continuera. Éléphants, rhinocéros, hippopotames, bonobos, gorilles, lions seront chassés sans merci. Je crois surtout que nous devons revoir notre rapport à la nature, nous devons sortir d’une vision utilitaire de la nature. Nous ne pouvons pas la considérer seulement comme un réservoir inépuisable de ressources, de beauté, d’agrément... Elle a sa raison d’être !

Propos recueillis par T.R.

« Une alliance avec les pays africains pour obtenir un accord ambitieux sur le climat en 2015 » Le président de la République, dès la conférence environnementale de septembre 2012, avait annoncé la disponibilité de la France, qui a donc été désignée officiellement à Varsovie, pour accueillir la 21e conférence des Nations unies sur les changements climatiques en 2015. Cette grande conférence internationale, qui aura lieu à Paris-Le Bourget du 30 novembre au 11 décembre 2015, constituera un événement majeur du quinquennat. Dans cette visée, le sommet pour la sécurité et la paix en Afrique est une opportunité formidable pour bâtir une alliance avec les pays africains, dont les attentes sont fortes vis-à-vis des pays développés, pour obtenir

un accord universel ambitieux sur le climat en 2015. Ces attentes concernent notamment des financements et une aide concrète en matière de technologies, et de moyens (agriculture, énergies renouvelables, ville durable…) permettant l’adaptation au réchauffement climatique de pays qui y sont particulièrement exposés. Enfin, le Sénégal, soutenu par le groupe Afrique, a annoncé sa candidature pour être le pays hôte de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2016. Une première pour un pays d’Afrique de l’Ouest, francophone qui plus est. Pour toutes ces raisons, la table ronde Climat du som-

DR

à un trafic de grande ampleur. Avec la drogue et les armes, le trafic des espèces protégées est le 3e au monde. Europol évoque un marché illégal de 20 millions d’euros par an uniquement pour l’Europe, on parle de 10 à 20 milliards de dollars au niveau mondial ! La table ronde organisée en marge du sommet de l’Élysée va être l’occasion pour la France d’annoncer un plan d’action volontaire qui dotera notre pays d’un dispositif parmi les plus complets en matière de lutte contre ces trafics.

MARIE-HÉLÈNE AUBERT CONSEILLÈRE DE FRANÇOIS HOLLANDE POUR LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES ENVIRONNEMENT ET CLIMAT, ANCIENNE DÉPUTÉE

met pour la sécurité et la paix en Afrique revêtira une importance toute particulière.

Propos recueillis par T.R.

Condamnation de « Pepito » : une bataille gagnée du Congo-Brazzaville sur le trafic d’ivoire e 15 juillet 2013, le ministre de la Justice et la Cour suprême congolaise ont condamné à la peine maximale – cinq ans d’emprisonnement – un trafiquant d’ivoire qui sévissait dans le Parc national d’Odzala-Kokoua, une zone reconnue de biodiversité, que le gouvernement congolais a présenté en 2008 comme candidat au patrimoine mondial de l’Unesco. En plus de massacrer des dizaines d’éléphants, Ghislain Ngondjo, plus connu sous le nom de Pepito, recrutait des équipes de nouveaux braconniers et envoyait des menaces de mort aux gardes forestiers et au personnel du Parc National d’Odzala. La condamnation exemplaire de ce trafiquant témoigne de l’engagement déterminé de la République du Congo dans la lutte pour la sauvegarde des éléphants.

TANGUY DUMORTIER/AFP

L

Dans sa première tribune (Le Monde du 4 juillet 2013), en tant qu’Envoyé spécial du président de la République française pour la protection de la planète, Nicolas Hulot avait évoqué le procès de Pepito : « Au Gabon, au Cameroun, en RDC, au Congo, aux écogardes qui meurent par centaines dans

l’isolement et le silence des forêts (…), j’ai promis de témoigner de cette situation et de m’engager à leurs côtés. J’ai promis d’alerter sur les menaces réelles de mort qui pèsent sur les sept témoins, ainsi que sur les responsables de la lutte antibraconnage d’Odzala, ayant directement contribué à l’arrestation

d’un braconnier notoire, l’un des plus importants jamais jugés au Congo. Cet appel est le premier pas de ma promesse », écrivait Nicolas Hulot, qui a été reçu par les hautes autorités congolaises à Brazzaville en mai 2013 afin d’identifier les problèmes et les actions à mener en Afrique pour protéger la faune animale. En effet, la France souhaite accompagner les efforts africains dans la lutte pour la préservation des espèces menacées. Faire arrêter et juger Pepito a été un travail de plusieurs années, selon la Wildlife Conservation Society (WCS), le programme africain de la Société de conservation de la faune, qui a collaboré étroitement avec les autorités et le réseau des parcs africains. Le partenariat entre WCS et la fondation Aspinall, à travers le PALF (Projet d’appui à l’applica-

ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

5

tion de la loi sur la faune), s’est avéré décisif pour le succès de cette entreprise. « Le Congo est au cœur de la lutte pour la sauvegarde des éléphants d’Afrique menacés d’extinction, et l’arrestation suivie de la condamnation de Pepito prouve que l’on peut gagner cette bataille si les gouvernements et les ONG travaillent en parfaite cohésion », a déclaré James Deutsch, Directeur de la WCS. Le combat engagé contre les trafiquants d’ivoire est le fruit du dialogue établi avec la France dont l’objectif est d’encourager la République du Congo à faire usage des bonnes pratiques en matière de protection de la faune animale. Engagée dans un processus de reconstruction, la République du Congo affirme ainsi sa volonté d’entamer une démarche de sauvegarde de son environnement.


H_AFRIQUE_p06.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:25

Page 6

Religions

L’islam noir en danger ? La guerre contre Al-Qaida au Mali, le terrorisme des shebab au Kenya, les massacres antichrétiens de Boko Haram au Nigéria font craindre à la fois un terrorisme multicibles qui se répand en tache d’huile et une radicalisation de l’islam africain à même de déstabiliser les équilibres politiques nationaux. mpossible naturellement de généraliser. La tentation est toujours forte depuis l’extérieur de rassembler les choses en une seule phrase. L’islam en Afrique est tellement divers et chaque pays a ses propres particularités. Pourtant, personne ne conteste que du nord au sud et d’est en ouest, et depuis plus de 30 ans, la pratique religieuse de l’islam soit devenue plus conservatrice ou plus rigoriste. Non seulement dans les pays majoritairement musulmans, comme au Mali ou au Sénégal, mais également sur des terres où l’islam est minoritaire comme au Cameroun. De même dans une nation immense, au régime fédéral, comme le Nigeria où la pratique religieuse se répartit équitablement entre chrétiens et musulmans. La plupart des dirigeants d’Afrique subsaharienne interrogés par les médias depuis le début de la crise sahélienne ont eu tendance à minimiser à la fois la menace terroriste mais également le risque d’une islamisation radicale de leur société. Difficile de les critiquer tant il est vrai que les groupuscules islamistes qui sévissent du Soudan à la Mauritanie, en passant par la Guinée ou le Niger, n’ont jamais réussi, comme au Mali, à fédérer un mouvement séparatiste, à l’allier avec des bandes criminelles pour

SIA KAMBOU/AFP

Par François Clemenceau

DR

I

OUSMAN BLONDIN DIOP SOCIOLOGUE SÉNÉGALAIS, ANCIEN DIPLOMATE À L’UNESCO, FONDATEUR DE L’ALLIANCE DES FORUMS POUR UNE AUTRE AFRIQUE

Je crois que l’islam noir a ses propres capacités de résistance par rapport aux menaces que font peser les islamistes radicaux à l’intérieur de nos frontières, mais aussi depuis l’extérieur par le biais du conflit entre chiites et sunnites au

Prière à Bamako en faire une machine de conquête de l’État. De même, l’islamisation rampante à l’œuvre dans certaines grandes villes d’Afrique anglophone et francophone est tellement étirée dans le temps qu’il est difficile de se rendre compte de son impact en termes politiques. Surtout dans des pays où la démocratisation est allée de pair avec un refus de l’instrumentalisation de la politique par la religion.

Il ne faudrait pas négliger pour autant les phénomènes de long terme. Qui aurait pu prévoir il y a trente ans que Bamako verrait pousser les mosquées comme des champignons ? Qu’un mouvement comme celui des Ibadou Rahmane finirait par prendre racine dans le paysage urbain sénégalais ? Rien de dangereux en soi dans ces deux cas. N’est-il pas normal après tout que la poussée démographique et

Moyen-Orient. Ce qui s’est passé depuis plus de vingt ans à la surface de nos sociétés, c’est le renforcement des musulmans conservateurs. Durant toute la période des ajustements structurels qui ont particulièrement fait souffrir les classes populaires en Afrique subsaharienne, d’importants pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite et le Qatar, ont déversé dans nos pays énormément de fonds qui ont servi à construire des mosquées, des écoles et des hôpitaux. Ces sommes ne sont pas venues seules. Elles ont été servies par des donateurs, ont financé des voyages, des bourses d’étude, ont permis la formation de nouveaux imams… Aujourd’hui, il n’est donc pas étonnant de voir des jeunes devenir plus religieux ou des jeunes femmes se vêtir de façon moins voyante. Mais cela ne veut pas pour autant dire que ces jeunes gens vont flir-

ter avec le djihadisme ou que les filles vont céder à la pratique de l’excision ou accepter un mariage polygame. Fort heureusement, notre islam, qui repose sur une grande tradition animiste, reste solide. Reste à voir quelles seront les attitudes de nos élites africaines face à cette menace du radicalisme. Nos dirigeants doivent apporter des réponses démocratiques et traditionnelles à la fois pour ne pas apparaître comme ceux qui facilitent une occidentalisation de nos modes de vie, permettant ainsi aux islamistes de justifier leur combat contre les mécréants. À la France de comprendre donc, après le Mali, qu’elle ne peut pas seulement être un gendarme contre l’islamisme en Afrique, au risque de se retrouver comme les Américains en Afghanistan après treize ans de guerre, c’est-à-dire au même point.

6

Propos recueillis par F.C.

l’enthousiasme religieux dans des sociétés étrangères au concept de laïcité s’illustrent de la sorte. Mais il y a des choses qu’on ne voyait pas il y a dix ans et qui sont aujourd’hui visibles : des femmes en abaya noire à Saint-Louis du Sénégal ou des accents antioccidentaux dans la littérature des Ibadou Rahmane. Et bien qu’il n’y ait pas de lien de cause à effet, comment expliquer que l’on retrouve aujourd’hui dans des groupes d’islamistes radicaux, impliqués dans des actions terroristes, un certain nombre de ressortissants sénégalais, camerounais, guinéens, burkinabé ou maliens ? Le soufisme, l’animisme, le rite malékite des sunnites d’Afrique de l’Ouest (à l’exception des chiites des régions côtières), la tradition des confréries, le rôle des marabouts : tout cela, à un degré ou un autre, a protégé les sociétés de cette vaste région du continent des tentatives de harponnage menées par des sociétés charitables du golfe Persique depuis le début des années 1990. Ce ne sont pas forcément les États ou leurs officines qui ont déclenché ces démarches prosélytes. Mais si la greffe a pris ici ou là, cela a créé autant de rampes de lancement pour des actions plus larges. D’où la vigilance réclamée par les dirigeants musulmans d’Afrique noire eux-mêmes et par les responsables politiques également, face aux sources de danger

L’HÉMICYCLE ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013

sur le plan sécuritaire. En 2050, plus des trois quarts de la population africaine vivront en ville. C’est dans ce décor, nécessairement plus moderne que celui de la ruralité, que se livre depuis des décennies la bataille feutrée des idées, mais aussi que les chocs sociaux et religieux peuvent être les plus durs. Et la France dans tout cela ? Engagée dans un combat sans merci contre le terrorisme au Mali, et en Centrafrique contre le risque du chaos déclencheur de toutes les horreurs possibles, cherchant à convaincre les Africains de la nécessité d’unir leurs forces dans des structures militaires à forte réactivité, la France n’a pas à dicter quoi que ce soit. On aura noté que lors de sa visite récente à Dakar, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, a veillé à renforcer la coopération sécuritaire avec davantage de moyens mis au service de la DGSE (sous le contrôle de son collègue Le Drian) et de la DGSI dans la région. Mais la sécurité n’est pas tout. Il est clair que le développement économique est une autre réponse. Les leçons des expériences de l’islam politique en Afrique du Nord, du Maroc à l’Égypte, ont montré que l’islamisme prospérait davantage qu’ailleurs dans l’injustice, la répression et les inégalités. À charge pour la nouvelle politique africaine de la France de prendre en compte cette dimension essentielle.


H_AFRIQUE_p07.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:26

Page 7

Sénat

« L’avenir de la France est en Afrique » Entretien croisé avec les sénateurs Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, auteurs d’un rapport* dressant un bilan de la présence française en Afrique. « Les Américains, les Chinois, les Allemands ont défini une stratégie africaine, la France, elle, peine à définir un cap », écrivent-ils. L’Afrique, un nouvel horizon pour la France ?

Jean-Marie Bockel: Treize kilomètres de mer nous séparent de l’Afrique, depuis la pointe de Gibraltar. Il est facile de comprendre que nous ne pouvons pas tourner le dos à ce continent. Notre rapport rappelle ses évolutions récentes et, notamment, deux faits spectaculaires. La croissance démographique de l’Afrique, tout d’abord: sa population devrait atteindre 2 milliards d’individus d’ici à 2040. Cela va créer des tensions, mais aussi des opportunités. Deuxièmement: il y a encore quelques années, ce continent n’apparaissait pas sur les cartes économiques. Il est aujourd’hui en croissance constante. L’Afrique est devenue un continent d’opportunités. Elle est notre avenir, et les défis à relever y restent pourtant nombreux. Sur le plan de la sécurité d’abord: il suffit de voir le drame de la Centrafrique, la guerre au Mali, ou encore l’apparition du terrorisme, sur fond de trafics et de luttes tribales dans l’arc sahélien. Sur le plan démocratique, où les progrès sont vitaux, comme sur le plan de la santé: l’Afrique est un continent jeune, mais c’est aussi un continent où l’on meurt jeune. Sur le plan social, enfin: il y a encore beaucoup trop de pauvreté, d’inégalités. Les maux de l’Afrique demeurent mais le regard que l’on peut porter sur elle n’est aujourd’hui plus dominé par ces maux. Ce qui frappe l’œil, c’est le réveil de ce continent. Jeanny Lorgeoux : L’avenir de la France est en Afrique, d’abord parce qu’il est aujourd’hui inconcevable que ce continent reste à l’écart des flux commerciaux. Nous avons une histoire singulière avec l’Afrique, mais il nous faut bâtir aujourd’hui une relation décomplexée avec les Africains, afficher clairement nos intérêts, compte tenu de l’émergence des BRICS. Alors que le mur de Berlin tombait, que la France s’interrogeait sur son avenir à l’Est – ce qui justifiait l’élargissement de l’Union européenne –, je défendais déjà l’idée que l’avenir de la France était aussi en Afrique. La Chine et l’Inde ont-elles des doctrines spécifiques en Afrique ?

Jeanny Lorgeoux : La Chine a eu le courage de se doter d’une doctrine, d’une stratégie spécifiquement africaine, elle la met en place méthodiquement, et avec des moyens considérables. De la même manière,

Jean-Marie Bockel. PHOTO JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP l’Inde, sur des créneaux différents, comme le secteur médical, a elle aussi élaboré une stratégie. Jean-Marie Bockel : Nous devons nous réjouir de la présence de ces pays en Afrique, de cette diversité, qui est une chance pour ce continent. Si la France y a perdu de l’influence, elle y reste encore très présente, notamment sur le plan de la sécurité, sur le plan économique – un millier d’entreprises françaises y sont implantées – et sur le plan culturel, avec ses lycées français, ses centres culturels – sans oublier l’importance de la francophonie. Le regard des Africains sur la France a-t-il changé ?

Jean-Marie Bockel : Oui, et c’est le résultat de cette moindre influence: nous ne sommes plus perçus comme l’ancien colonisateur. C’est donc à nous de jouer, dans ce monde qui a changé, avec cette relation qui a changé. Cette partie, nous devons la jouer d’égal à égal. Ce regard sur la France a aussi changé à cause des pays émergents, car leur présence n’a pas que des aspects positifs. À la manière des colons d’autrefois, et peut-être plus rapidement encore, ils pratiquent une surexploitation du sol et du sous-sol dans des conditions qui ne sont pas équitables. Il faut que la relation économique apporte vraiment quelque chose aux États africains, notamment en termes de création d’emplois. Nous avons avec l’Afrique une histoire partagée – avec ses tragédies et ses moments forts. L’Afrique et la France se

connaissent bien, c’est notre chance pour pouvoir développer notre présence et nos échanges. Jeanny Lorgeoux : Nous avons été tétanisés par un faux débat sur la Françafrique, il était clair qu’il fallait maintenir notre présence en Afrique. Les entreprises françaises ont quitté l’Afrique car elles ne se sentaient plus soutenues par nos gouvernements. L’intérêt de la France est de maintenir une politique africaine d’envergure. Vos propos sur la « Françafrique » vous avaient coûté votre place de secrétaire d’État à la Coopération. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette question ?

Jean-Marie Bockel: Ma prise de position sur la Françafrique, qui date presque de six ans, était prémonitoire puisqu’aujourd’hui, je vous dirai que la Françafrique, c’est fini. Il subsistait à cette époque des réseaux occultes qui perturbaient la politique de changement que souhaitait mener Nicolas Sarkozy. Ces réseaux étaient en déclin, mais j’avais sousestimé le pouvoir qu’ils avaient réussi à conserver. Aujourd’hui, ils sont devenus marginaux. Ils ne peuvent plus empêcher la rénovation de notre relation avec l’Afrique. Comment jugez-vous la manière avec laquelle François Hollande gère ces dossiers ?

Dans ses discours, François Hollande se situe dans la continuité de Nicolas Sarkozy – si l’on excepte le discours de Dakar, décrédibilisé par une

Jeanny Lorgeoux. PHOTO DIDIER GOUPY/SIGNATURES maladresse de langage. Mais si l’on relit tous les autres discours de Nicolas Sarkozy, celui de Cotonou avant son élection, celui du Cap pour rattraper celui de Dakar, on peut voir qu’ils ne diffèrent pas vraiment de ceux de François Hollande: les deux Présidents ont souhaité une relation renouvelée, d’égal à égal avec les Africains. J’ajoute que Hollande a ajouté à ces discours des décisions courageuses: l’intervention au Mali et le rôle central que la France est prête à jouer en Centrafrique. Il faut que cette nouvelle politique africaine s’inscrive dans la durée et qu’elle soit vraiment adaptée à l’apparition de nouveaux partenaires tels que les pays émergents et la montée en puissance de certains pays européens. Vous proposez, dans votre rapport, de créer un ministère de la Coopération internationale de plein exercice.

Certains pays européens ont mis en place ce type de ministère, distinct de celui des Affaires étrangères. Les budgets consacrés à la coopération ou à l’aide au développement relèvent aujourd’hui du ministère des Affaires étrangères, mais d’autres ministères, comme celui du Budget, disposent également d’un sousministère de la Coopération. À un moment où les moyens se font rares et où la demande de visibilité de l’aide bilatérale est plus importante, nous proposons de réunir ces administrations. Un ministère indépendant couvrant la plénitude de ce

ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

7

que peut être une politique publique de coopération internationale, c’est ce que font les Britanniques et les Allemands. Jeanny Lorgeoux : Il faut préciser que ce ministère ne serait pas seulement en charge de l’Afrique, il ne s’agit pas de reconstituer la cellule Afrique de la rue Monsieur ! Il nous faut avoir une administration unique, avec un bras armé s’appuyant sur une doctrine clairement affichée et volontariste. Vous proposez également de changer notre politique d’immigration…

Jean-Marie Bockel : Une immigration qui n’est pas maîtrisée est un problème, mais une immigration maîtrisée est une chance en termes d’échanges. Les mesures qui ont été prises ces dernières années en matière de politique de visas ont été une mauvaise réponse aux problèmes des flux migratoires non maîtrisés. Restreindre la délivrance de visas a eu pour effets négatifs d’envoyer des personnes douées d’un fort potentiel ailleurs qu’en France. Nous proposons de changer ce mauvais signal, qui a détérioré notre image en Afrique. Participer au développement de l’Afrique suppose de modifier cette politique.

Propos recueillis par Thomas Renou * « L’Afrique est notre avenir », rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, déposé le 29 octobre 2013.


H_AFRIQUE_p08.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:26

Page 8

« Printemps arabes »

L’Afrique du Nord en ordre dispersé Lors du sommet de l’Élysée, l’accent sera mis sur la sécurité en Afrique subsaharienne et sur le suivi des événements en Afrique du Nord. Car il y a des interdépendances que personne ne sous-estime. Par François Clemenceau our François Hollande, ce sommet à Paris sur la sécurité en Afrique n’aurait pas été pensable sans que la France soit passée, une fois de plus, par l’épreuve du feu dans ses anciennes colonies. Ne plus être le gendarme de l’Afrique, voilà l’enjeu. Mais le continent doit avoir une stratégie et des moyens propres pour éteindre les crises lorsqu’elles surgissent. La géographie dicte, comme bien souvent, la politique dans cette partie du monde. Si le Sahel reste la priorité des priorités en termes de stratégie stabilisatrice, la nécessité d’avoir une Afrique du Nord sûre et aux frontières moins perméables est une condition sine qua non. Ce qui est loin d’être le cas. En fait, les printemps arabes dans le nord de l’Afrique sont plus intimement liés aux événements du Sahel que nous ne le croyons.

P

Au Maroc, une nouvelle donne qui doit faire ses preuves Peu le savent mais la victoire au Mali n’aurait pas été possible, en tout cas pas si vite et si nettement, sans l’appui du Maroc. Dès le départ, et en attendant une autorisation de survol de l’Algérie, c’est par le Maroc que sont passés les premiers bombardiers français. Une source diplomatique confiait également au printemps dernier que « les services de renseignement marocains n’ont pas été avares en informations sur les filières djihadistes au voisinage de la Mauritanie et de l’Algérie et jusque dans certaines villes maliennes où le Maroc dispose de capteurs humanitaires et économiques ». Le roi, dans cette aventure-là, était en première ligne mais également une partie de son gouvernement islamiste. Le Parti de la justice et du développement (PJD) n’a toujours pas la haute main sur les ministères régaliens, mais son poids est tel que rien ne peut se faire contre sa volonté. D’où le retrait de la coalition de l’Istiqlal en juillet dernier, fatigué de voir que le PJD préfère parfois l’immobilisme à l’impopularité. Aujourd’hui, la donne a changé, les islamistes ont fait rentrer au gouvernement le Rassemblement national des indépendants (RNI) et il n’aura échappé à personne que le poste de chef de la diplomatie a changé de main, passant du PJD au RNI dont les responsables sont des routiers de la cohabitation avec la

maison royale. Le hasard faisant bien les choses, c’est au Maroc que s’est déroulée à la mi-novembre la dernière conférence ministérielle régionale sur la sécurité des frontières. Laurent Fabius, entouré de ses homologues libyens et marocains, a pu mettre le doigt sur les difficultés abyssales de la Libye. Deux ans après la chute de Kadhafi, c’est encore au sud de ce pays que les regroupements terroristes et le trafic des armes et de drogue restent une réalité forte et menaçante, tandis qu’au nord, l’incapacité des services de sécurité libyens à freiner l’immigration illégale vers l’Europe aggrave l’impression d’anarchie.

En Algérie, on prend les mêmes et on recommence Les Algériens ont joué le jeu. Pas de gaieté de cœur compte tenu de leur susceptibilité vis-à-vis de tout ce qui peut apparaître comme néocolonial de la part de son ancienne tutelle, mais le ministère de la Défense à Paris ne tarit pas d’éloges sur l’efficacité de la coopération militaire entre la France et l’Algérie tout au long de l’opération Serval : « du jamais vu depuis 1962 », selon l’un des familiers du dossier. Pour autant, si l’Algérie a contribué à aider la France à chasser Aqmi du nord du Mali, tous les problèmes n’ont pas été réglés pour autant. Jean-Yves Le Drian a eu l’occasion fin novembre de s’entretenir avec le nouvel ambassadeur d’Algérie en France, Amar Bendjama. L’Algérie veut-elle continuer à jouer un rôle dans le règlement politique de la question touarègue comme elle avait tenté de le faire en se brûlant les doigts l’an passé ? Ou cherche-t-elle à ne prendre aucun risque à l’approche d’une campagne présidentielle au printemps 2014 qui nécessitera une grande phase de stabilité interne ? En l’absence de tout printemps arabe en Algérie, la France ne verrait pas d’un mauvais œil – si la candidature d’Abdelaziz Bouteflika était confirmée pour un quatrième mandat – qu’un consensus se mette en place à Alger autour de la création d’un poste de vice-président à même de pouvoir assurer une forme de transition. Le nom de l’ancien premier ministre Mouloud Hamrouche, l’homme des réformes démocratiques de la fin des années 1980, a été avancé à plusieurs

8

Le ministère de la Défense à Paris ne tarit pas d’éloges sur l’efficacité de la coopération militaire entre la France et l’Algérie tout au long de l’opération Serval : « du jamais vu depuis 1962 », selon l’un des familiers du dossier. PHOTO BERTRAND LANGLOIS/AFP

reprises. Ce qui est certain, c’est que Paris aura besoin, dans cette nouvelle période qui s’ouvre en Algérie, d’une continuité assumée de la relation franco-algérienne refondée par la visite de François Hollande il y a exactement un an.

En Tunisie, l’espoir que tout ne soit pas gâché Les Algériens le disent haut et fort : les printemps arabes, ils s’en méfient au plus haut point. Vaccinés par la décennie noire du terrorisme après le putsch des généraux contre la victoire des islamistes dans les urnes en décembre 1992, les dirigeants algériens n’ont soutenu aucun des mouvements populaires ayant conduit à la chute de Ben Ali en Tunisie, puis de Kadhafi en Libye et de Moubarak en Égypte. De voir les Tunisiens désormais aux prises avec un renouveau des maquis islamistes comme au pire des années 1980 les a confortés

dans leur analyse : pas de liberté pour les ennemis de la liberté. C’est ce qui explique leur intense coopération policière et militaire depuis que des djihadistes tunisiens se sont regroupés dans les massifs frontaliers du mont Chambii. La France, qui ne veut pas apparaître en première ligne dans cette répression des terroristes en Tunisie, s’en félicite. Mais c’est avec une très grande impatience qu’elle attend de voir enfin émerger une solution politique à la hauteur de la crise institutionnelle. Si des syndicalistes, des magistrats et des avocats français sont intervenus pour aider leurs collègues tunisiens à faire naître un programme d’unité nationale en Tunisie, ce n’est pas anodin. La France ne veut pas voir échouer le premier des printemps arabes. À condition que cela ne mette pas en péril la sécurité des deux pays. L’arrivée d’Ennahda au pouvoir, aussi démo-

L’HÉMICYCLE ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013

cratique qu’elle soit, n’a pas empêché les salafistes de sortir du bois et avec eux des groupuscules plus dangereux encore. Les services de renseignement français s’inquiètent du nombre impressionnant de Tunisiens dans les filières djihadistes vers la Syrie avec le risque d’un retour en France pour ceux qui possèdent la double nationalité. L’autre inquiétude concerne la Libye voisine. L’attentat contre l’ambassade de France au printemps dernier a obligé le Quai d’Orsay à quitter les lieux et à installer nos diplomates à l’hôtel en attendant qu’un nouveau site ultra-sécurisé voie le jour. La question de l’État de droit est clairement posée face aux milices révolutionnaires et aux séparatistes. Et tant que la Libye ne sera pas stabilisée, l’entrée orientale du Sahel avec ses débouchés vers le Tchad, le Niger et le Mali restera une source de grande inquiétude.


H_AFRIQUE_p09.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:28

Page 9

Développement « Intégrer pleinement la durabilité dans l’agenda du développement » Le Forum Afrique, que vous organisez en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD), c’est une agence des bonnes pratiques ?

Le « Forum Afrique – 100 innovations pour un développement durable » est un événement qui rassemblera, en marge du sommet de l’Élysée le 5 décembre 2013, des femmes et des hommes qui ont inventé des objets ou des méthodes qui changent le quotidien en Afrique tout en favorisant le développement durable. L’idée de ce forum trouve sa source dans les nombreux déplacements que j’ai faits sur le continent africain depuis mai 2012. À de nombreuses reprises j’ai rencontré des entrepreneurs, petits ou grands, qui, partant de besoins concrets de la population, apportent des solutions efficaces dans tous les domaines : recyclage des déchets, nouvelles technologies, énergies vertes… Le forum les mettra à l’honneur et leur permettra de nouer des relations avec des bailleurs de fonds privés ou publics afin de diffuser à plus grande échelle leurs initiatives. Quelques exemples de projets et d’initiatives sélectionnés ? Que sera-t-il proposé aux meilleurs projets ?

La sélection a été difficile car nous avons reçu plus de 800 dossiers en un mois. Ce succès témoigne du dynamisme des innovateurs en Afrique. Sans déflorer la sélection, je peux vous dire, par exemple, que sera présentée une innovation qui concerne une technique de construction d’habitat sobre en carbone, la transformation d’une plante envahissante en charbon dont la combustion génère peu de CO2, un sac permettant le transport de Biogaz… Le « Forum Afrique – 100 innovations » est un moment de mise en réseau, d’éclairage sur ces innovateurs qui mettent l’imagination en action. Nous suivrons bien entendu au long cours le devenir de ces initiatives notamment avec l’Agence française de développement. La 8e édition du sondage de l’AFD sur les Français et l’aide au développement confirme l’attachement des Français à l’aide aux pays en développement : même en période de crise, une majorité d’entre eux (68 %) privilégie le maintien au même niveau (52 %) ou une hausse (16 %) de la part du budget de l’État consacré à l’aide publique au développement. Un encouragement ?

C’est un encouragement pour la politique que nous menons. C’est aussi la validation de notre engagement budgétaire qui vise à préserver, malgré un contexte contraint, les crédits du développement. Dans un autre domaine, cette étude relève également que pour 87 % des Françaises et des Français, l’aide au développement doit concilier lutte contre la pauvreté et protection de l’environnement. Ce résultat montre que la rénovation de la politique de développement, que nous menons depuis mai 2012, qui allie lutte contre la pauvreté et préservation de la planète rencontre l’adhésion de nos concitoyens. C’est le sens du projet de loi que je présenterai dans les prochaines semaines. Certains pays africains vont parvenir à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement, d’autres non. L’exploitation des matières premières est un sujet central, et vous avez mis l’accent sur la bonne gouvernance, la transparence des flux financiers et des contrats. Pensez-vous qu’on puisse mettre fin un jour à ce qu’on appelle « la malédiction des matières premières » en Afrique ?

Il n’y a pas de fatalité et c’est pour

cela que la France soutient le principe de transparence des revenus tirés de l’exploitation des matières premières. Le gouvernement a été à la pointe du combat au niveau européen pour faire de la transparence la règle – et non plus l’exception – pour l’ensemble des entreprises européennes à l’image de ce qui s’impose déjà aux entreprises américaines. Aujourd’hui, ce mouvement est en marche même si, en matière de transparence, il est toujours possible de progresser. La transparence est un moyen et non une finalité. La France soutient également les organisations de la société civile qui contrôlent l’utilisation de ces ressources. C’est ainsi que nous contribuons à ce que les ressources tirées des matières premières contribuent réellement au développement. Quels doivent êtres les axes prioritaires de l’agenda post-2015 ?

L’enjeu principal est aujourd’hui d’intégrer pleinement la durabilité dans l’agenda du développement. Il y a sur la planète 1,3 milliard de femmes et d’hommes qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Nous devons continuer à nous mobiliser pour éradiquer cette extrême pauvreté. Mais nous n’y

KENZO TRIBOUILLARD/AFP

Entretien avec Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement.

arriverons pas si nous ne menons pas de front la bataille contre le changement climatique. Un monde qui ne parviendrait pas à empêcher le dérèglement climatique, c’est un monde avec plus de sécheresses, donc un monde avec plus de famines et, au final, une augmentation de la mortalité infantile. Nous devons intégrer cette soutenabilité dans ses trois dimensions économique, sociale et environnementale dans l’ensemble des objectifs pour le développement pour l’après 2015.

Propos recueillis par T.R.

Le programme du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique Événements en marge du sommet

nouveaux modèles de partenariat entre la France et l’Afrique seront distinguées.

20h

Dîner des ministres des Affaires étrangères au Quai d’Orsay.

JEUDI 5 DÉCEMBRE

MERCREDI 4 DÉCEMBRE

VENDREDI 6 DÉCEMBRE

8h30-19h

15h-17h

13h

Conférence économique – MINEFI

Table ronde – Hôtel de la Marine

Pierre Moscovici, le ministre de l’Économie et des Finances et le Medef international réuniront 400 entrepreneurs français et africains, des dirigeants d’institutions financières, des représentants d’organisations africaines pour échanger, en présence de chefs d’État et de gouvernement africains, les nouveaux modèles de partenariat économique entre la France et l’Afrique. Les débats s’appuieront sur les propositions formulées à la demande de Pierre Moscovici, par la mission confiée à Hubert Védrine, Hakim El Karoui, Jean-Michel Severino, Tidjane Thiam, Lionel Zinsou. À cette occasion, 15 réussites économiques illustrant de

Philippe Martin, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, organisera, en lien étroit avec Nicolas Hulot, Envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète, une table ronde sur la « lutte contre le trafic et le braconnage des éléphants et espèces menacées ».

Arrivée au palais de l’Élysée des chefs de délégation et accueil par M. le président de la République.

Sommet JEUDI 5 DÉCEMBRE 16h-18h

Réunion des ministres des Affaires étrangères au Centre de conférences ministériel (CCM).

clos sur le thème « Changement

- M. Ban Ki-moon, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies.

climatique » au CCM. 12h15-12h30

16h

Séance à huis clos sur le thème « Paix et Sécurité en Afrique » au CCM en présence du président de la République et des chefs de délégation.

Séance d’ouverture du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. Allocutions de : - M. le président de la République; - M. Hailemariam Desalegn, Premier ministre d’Éthiopie et président de l’Union africaine ; - Mme Nkosazana DlaminiZuma, présidente de la Commission de l’Union africaine ; - M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne ;

de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. 15h

Conférence de presse au palais

21h 14h

Séance de clôture du sommet

de l’Élysée.

Dîner officiel offert par M. François Hollande, président de la République, et Mme Valérie Trierweiler, en l’honneur des chefs de délégation et de leurs conjoints.

Interventions de : - M. le président de la République; - M. Hailemariam Desalegn, Premier ministre d’Éthiopie et président de l’Union africaine ; - Mme Nkosazana Dlamini-

SAMEDI 7 DÉCEMBRE

Zuma, présidente de la 9h-10h30

Commission de l’Union

Séance de travail à huis clos sur le thème « Partenariat économique et développement » au CCM.

africaine ; - M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen; - M. Ban Ki-moon, secrétaire

10h30-12h

général de l’Organisation

Séance de travail à huis

des Nations unies.

ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

9


H_AFRIQUE_p10.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:30

Page 10

CITIZENSIDE/AFP

THOMAS SAMSON/AFP

Un autre regard

Cette semaine, trois pistes pour s’évader avec Patrick Poivre d’Arvor

qui a beaucoup de recul sur les choses et sur les êtres. Elle est d’origine camerounaise et je l’ai toujours suivie avec une grande curiosité. Son dernier livre La Saison de l’ombre, qui prit donc cet étrange itinéraire pour arriver jusqu’à moi, nous raconte une histoire vieille de trois siècles. Cela se passe précisément dans le Cameroun d’aujourd’hui. Dix jeunes hommes du clan Mulongo disparaissent soudainement. Ont-ils été enlevés par des rivaux ou par des négriers ? Belle réflexion sur le mal et sur la traite des noirs. Et belle récompense : les dames du Femina l’ont choisie comme lauréate le mois dernier.

DR

UN FILM

En solitaire de Chistophe Offenstein

UNE ACTION

Stand Up for African Mothers

DIANE MC CARTHY

Il y a quelques jours, on célébrait la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce soir-là, l’African

Medical and Research Foundation (AMREF, plus connue sous le nom de Flying Doctors) organisait un gala pour lever des fonds. Et grâce à la collecte, elle put former une trentaine de sages-femmes africaines. Or on considère que pour une sage-femme formée, on peut aider 500 mères à donner la vie. l’AMREF a deux objectifs : former d’ici à 2015 15 000 sages-femmes africaines, pour contribuer à réduire de 25 % la mortalité maternelle en Afrique subsaharienne. Et, plus symboliquement, d’appuyer la candidature des sagesfemmes africaines au prix Nobel de la Paix 2015, en reconnaissance de leur engagement et de leurs efforts chaque jour pour sauver des vies. Leur représentante, choisie par l’AMREF, s’appelle Esther

Madudu, une sage-femme ougandaise que j’ai pu interviewer ce soir-là, et qui fait preuve d’un optimisme sans relâche. La mobilisation internationale a déjà porté ses fruits. En deux ans, près de 5 000 sages-femmes ou assimilées, ont pu entrer en formation dans six pays, l’Éthiopie, le Kenya, le Mozambique, l’Ouganda, le Soudan du Sud et la Tanzanie. Désormais l’Afrique de l’Ouest est elle aussi concernée. Une dizaine de millions d’euros sont nécessaires pour mettre en œuvre ces programmes dans sept nouveaux pays. L’AMREF fait appel à tous les donateurs, qu’ils soient privés ou publics. Le gouvernement français vient de débloquer la moitié de cette somme. Standing ovation pour les femmes africaines et pour leurs sages-femmes.

UN ROMAN

La Saison de l’ombre de Léonara Miano (Grasset)

Esther Madudu

Il fut un temps où les éditions Grasset m’adressaient régulièrement leurs dernières parutions. Un temps fort long puisque j’ai présenté pendant vingt ans des émissions littéraires (« Ex-libris » puis « Vol de nuit »). Ceci devait expliquer cela. Puis le flot se tarit. J’avais dû être rayé des listes de services de presse…

Dommage pour les auteurs qui ont souvent besoin de recensions pour exister médiatiquement, à la radio, à la télévision ou dans la presse écrite. Cela n’a pourtant pas découragé mes appétits de lecture. En cette rentrée littéraire, je n’ai reçu de la rue des Saint-Pères que le livre de mon frère Olivier, Le jour où j’ai rencontré ma fille. Mais la décence m’empêche bien sûr de le chroniquer ici. Or, l’autre jour, en me promenant sur les quais de Seine, mon attention fut attirée par une autre couverture jaune chez un bouquiniste : celle du dernier roman de Léonara Miano. Sa page de garde était ornée d’une fort jolie dédicace de l’auteur à un critique bien indélicat puisqu’il avait revendu le livre au soldeur, probablement sans l’avoir lu. Il m’est revenu alors une anecdote récente : mon confrère Étienne de Montety, découvrant son propre livre dédicacé chez le même soldeur, l’acheta et le renvoya au destinataire avec cette nouvelle mention rageuse : « Persiste et signe ! ». Ce long préambule est destiné à aiguiser davantage encore le sens de l’humour chez Léonara Miano,

C’est parce que ce film est aussi une jolie parabole sur l’immigration qu’il a toute sa place dans ce numéro consacré à l’Afrique. Un navigateur qui vient de prendre le départ du Vendée Globe (tour du monde en solitaire) est obligé de faire une escale fortuite aux Canaries. C’est là qu’à son insu un adolescent va grimper à son bord, lui faisant risquer la disqualification. Il vient de Mauritanie et rêve, comme tant d’autres, de Paris et du grand Eldorado. Le dialogue qui va s’instaurer entre ces deux êtres sera tout d’abord rugueux – le marin ne pense qu’à sa course compromise – puis plus tendre. L’interprétation des deux acteurs de ce huis clos (François Cluzet et Samy Seghir) ainsi que de ceux qui sont restés à terre (Guillaume Canet et Virginie Efira) est pour beaucoup dans la réussite de ce film attachant.

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582 ¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier (brunopelletier@lhemicycle.com) RÉDACTEUR EN CHEF Thomas Renou (thomasrenou@lhemicycle.com) ÉDITORIALISTES/POINT DE VUE François Ernenwein, Thierry Guerrier, Gérard Leclerc, Éric Mandonnet, Éric Maulin, Renaud Dély AGORA Thomas Renou ADMIROIR Éric Fottorino UN AUTRE REGARD Patrick Poivre d’Arvor AUX QUATRE COLONNES Pascale Tournier DOSSIERS Jean-Marc Engelhard INTERNATIONAL François Clemenceau EUROPE Jean Quatremer ÉCONOMIE Olivier Passet INITIATIVES Ludovic Bellanger COLLABORENT À L’HÉMICYCLE Julien Chabrout, Guillaume Debré, Brice Teinturier CORRECTION Véronique Tran Vinh MAQUETTE David Dumand PARTENARIATS Violaine Parturier (violaineparturier@lhemicycle.com - Tél. : 01 45 49 96 09/06 28 57 43 16) IMPRESSION Roto Presse Numéris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan. Tél. : 01 49 36 26 70. Fax : 01 49 36 26 89 ACTIONNAIRE PRINCIPAL Agora SASU Parution chaque mercredi ABONNEMENTS abonnement@lhemicycle.com COMMISSION PARITAIRE 0418I79258 ISSN 1620-6479 Dépôt légal à parution

10

L’HÉMICYCLE ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013

DR

Léonara Miano


H_AFRIQUE_p11.qxd:L'HEMICYCLE

2/12/13

16:32

Page 11

JULIEN BONET

L’admiroir

Ses admirations africaines

HÉLÈNE LE GAL Par Éric Fottorino

La conseillère de François Hollande sur l’Afrique est fascinée par la vitalité, la culture et la profondeur des relations humaines qui caractérisent ce continent. a symbolique demeure : Hélène Le Gal exerce sa mission de conseillère du Président pour l’Afrique au numéro 2 de la petite rue de l’Élysée attenante au palais du même nom. Pénétrer dans ce vaste bureau, avec sa belle rotonde, ses hauteurs de plafond saisissantes et son jardin en perspective (on le devine dans la nuit), c’est entrer dans le saint de saints de ce que fut jadis la fameuse « cellule africaine » de l’Élysée créée sous le général de Gaulle – avec l’ineffable Jacques Foccart – mais que Mitterrand, contempteur des institutions de la Ve République, n’hésita pas à reprendre à son compte, avec Guy Penne et surtout son fils Jean-Christophe, alors baptisé Monsieur Fils. Même Chirac eut son « éminence noire » avec Michel de Bonnecorse (après avoir eu recours lui aussi, comme Premier ministre, aux conseils de Jacques Foccart entre 1986 et 1988). Avec François Hollande, le slogan de la normalité s’est imposé dans les relations avec l’Afrique. Si Nicolas Sarkozy avait officiellement supprimé la fameuse cellule, le style n’avait guère changé à travers les interventions de son Monsieur Afrique Albert Bourgi. L’actuel président a voulu en finir avec ces relations occultes qui échappaient aux canaux classiques

L

de la diplomatie. François Hollande a choisi une femme – la première à occuper ce poste – doublée d’une véritable diplomate. À 46 ans, Hélène Le Gal possède la double expérience du terrain (son premier poste fut Ouagadougou à la fin des années 1980) et des dossiers politiques, à la direction Afrique du Quai d’Orsay (où elle connut tous les pays des Grands Lacs, de la Corne et de l’Est du continent) puis au cabinet de Charles Josselin, ministre de la Coopération du gouvernement Jospin. L’esprit de sa mission, elle l’a résumé dans un entretien à France 24 en août dernier, à la veille des élections présidentielles au Mali : « La Françafrique, déclarait-elle, c’est une espèce d’institutionnalisation d’un système mafieux de réseaux. Ce n‘est pas du tout la manière dont fonctionnent aujourd’hui les relations entre la France et l’Afrique. Il existe des canaux bien identifiés, des ministres, des ambassadeurs, des conseillers qui portent cette relation, font des propositions qui instaurent ce partenariat. Cela ne passe pas par des émissaires officieux. » Les choses sont claires : Mme Le Gal n’est pas une Madame Afrique comme il y eut des Messieurs Afrique. Observateur avisé du sérail, l’hebdomadaire Jeune Afrique, a pu noter qu’avec son adjoint, l’ex-res-

ponsable Afrique du PS, Thomas Mélonio, « ils ne ressemblent en rien à leurs prédécesseurs. Ils n’ont servi dans aucune grande ambassade du pré carré et sont plus sensibles au respect des droits de l’homme et à la bonne gouvernance qu’à l’idée de maintenir Paris dans un rôle de gendarme de ses anciennes colonies. » Hélène Le Gal n’ose pas trop parler d’elle ni des mentors qui ont inspiré son engagement dans la vie politique. Mitterrand, oui, bien sûr, « une figure très marquante de ma jeunesse, pour sa manière d’incarner la France », dit cette jeune femme au regard clair. Si elle s’est impliquée dans la diplomatie, elle pense le devoir à l’histoire singulière de sa famille originaire de Bretagne, attirée par les lointains. « Une partie des miens est allée à New York. Cela a duré plusieurs générations jusqu’à celle de mon père. Toutes ses sœurs se sont expatriées. Je crois que la diplomatie m’est venue par ce goût de partir. » Pour cette admiratrice d’Olympe de Gouges, de Simone Veil et, plus largement, des grandes figures féministes, la découverte de l’Afrique fut un pur hasard. « En arrivant au Quai d’Orsay, on m’a tout de suite envoyée au Burkina Faso. Traditionnellement, un nouvel arrivant restait à Paris. Moi, je suis partie en poste, c’était exceptionnel ! Je ne connaissais par le continent. Je l’ai découvert avec les yeux de l’aventure ».

Si elle a occupé de nombreux autres postes, comme celui de consul général à Québec, mais aussi de diplomate à Tel-Aviv et Madrid, ou à la représentation permanente de Bruxelles, Hélène Le Gal voit dans l’Afrique le « fil rouge » de sa carrière. « Jamais ailleurs qu’en Afrique je n’ai noué d’amitiés aussi durables », souligne-t-elle. « La qualité des relations humaines avec les Africains est exceptionnelle de profondeur, de sincérité. Avec toutes sortes de gens : des homologues, mais aussi des gens très simples, souvent très pauvres. » La conseillère du chef de l’État s’enthousiasme quand elle évoque sa fascination pour Kinshasa, son « foisonnement » d’énergie et de créativité, qu’elle retrouve aussi à Dakar. De son premier poste à « Ouaga », elle a gardé la passion du cinéma que magnifie tous les deux ans le Fespaco (Festival panafricain de cinéma, au Burkina Faso). Elle parle de son coup de cœur pour le film du réalisateur sénégalais Moussa Touré, La Pirogue, le premier long-métrage sur les boat people africains cherchant le salut vers une Europe fantasmée. Sur l’affiche résonne cette sentence d’Hemingway : « Un homme ça peutêtre détruit mais pas vaincu ». Elle vibre aussi pour la musique africaine si pleine de vie et de sens, en particulier la rumba congolaise portée par un célèbre groupe de

ÉDITION SPÉCIALE AFRIQUE, SUPPLÉMENT AU NUMÉRO 474, MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

11

handicapés en chaises roulantes, Staff Benda Bilili. La plupart des artistes furent atteints de la polio dans leur enfance. Ils chantent l’espoir avec des rythmes afro-cubains et reggae, convaincus que le handicap, c’est d’abord dans la tête. Hélène Le Gal dit encore son attrait pour la musique traditionnelle de l’Afrique de l’Ouest au son de la kora. Et son penchant pour des écrivains comme Ahmadou Kourouma, auteur de merveilleux romans comme Les Soleils des indépendances, En attendant le vote des bêtes sauvages (prix du Livre Inter 1999) ou Allah n’est pas obligé (Prix Renaudot 2000), tous parus au Seuil. elle cite encore les Mémoires de porc-épic, d’Alain Mabankou (Seuil), prix Renaudot 2006. Il est enfin un être pour lequel Hélène Le Gal s’enflamme : « Il mérite le Nobel! » dit-elle dans un élan de sincérité. C’est un gynécologue qui aurait pu mener une vie tranquille à Paris. Au lieu de cela, il est retourné dans son pays, la République démocratique du Congo. Depuis treize ans, il soigne les femmes violées dans le conflit qui déchire le pays. Plus de 40 000 victimes secourues inlassablement dans son hôpital de Panzi près de Bukavu. « Il m’impressionne » conclut-elle d’une voix doucement grave. Son nom? Denis Mukwege, 57 ans. Un héros.


MAIS SANS VOUS NOUS NE POUVONS ÊTRE

© Per-Anders Pettersson / Cosmos

MÉDECINS SANS FRONTIÈRES

MSF SANS RELACHE 2013 AP_HEMICYCLE_290X360.indd 1

PLONGEZ AU CŒUR DE L’ACTION MSF ET SOUTENEZ LES MÉDECINS SUR LE TERRAIN

25/11/13 16:39


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.