l'Hémicycle - #467

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l’Hemicycle

Agora Xavier Bertrand

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Thomas Renou

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BERTRAND GUAY/AFP

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ERIC PIERMONT/AFP

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Admiroir

Najat Vallaud Belkacem

Marisol Touraine par Éric Fottorino

P. 13 BERTRAND LANGLOIS/AFP

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Une réforme des retraites « pépère » ? Lire p. 2, 3, 4, 6 et 15

Édito

Un œil sur l’Europe

Passé-présent

Un autre regard

Une rentrée politique dans la confusion générale

Ciao Barroso !

Quand un élu de la Corrèze dirigeait la Syrie

Cinq pistes pour s’évader

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par Gérard Leclerc

par Jean Quatremer

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par Bruno Fuligni

Sur la Syrie, Hollande a raison Il ne faut jamais négliger la susceptibilité des élus du peuple lorsque le président de François Clemenceau de la République indique qu’il est prêt à utiliser les armes de la France. Mais que n’a-t-on entendu depuis le 25 août dans la bouche de ceux qui espéraient « empêcher » le chef de l’État d’ordonner des frappes contre la Syrie ? Était-ce Munich, comme l’a clamé maladroitement le patron du PS ? Non, mais une invitation au repli sur soi et au cynisme, sous prétexte qu’une guerre entre chiites et sunnites affaiblirait les deux camps ; ou une invitation à défendre uniquement

L’opinion

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Le bloc-notes de Patrick Poivre d’Arvor

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ceux qui nous ressemblent, les chrétiens de Syrie, soidisant « protégés » par Bachar. Sans oublier l’éternel anti-américanisme rampant selon lequel la France n’a pas à être à la remorque des États-Unis… Outre que toutes ces postures justifiaient l’inaction d’un membre majeur du Conseil de sécurité, on a compris qu’à l’heure des choix, certains refusaient d’assumer leur ligne jusqu’au bout. Ne pas être avec Barack Obama pour menace de frapper Bachar, c’était se retrouver avec Poutine et son jeu de juge et partie au profit de la tyrannie syrienne. Vouloir fermer les yeux sur les massacres sous prétexte que cela ne menace pas nos intérêts vitaux est irresponsable au regard de l’influence de notre pays dans cette région du monde. Les hésitations de Barack Obama lui nuiront peut-être à l’heure du bilan, mais les Russes et les Syriens ont pris au sérieux la menace brandie par les États-Unis et la France. Jusqu’au terme du démantèlement de l’arsenal chimique syrien, il faudra donc rester la garde haute.

Au sommaire • Réforme des retraites : Débat troublé en perspective au Parlement > p. 4 • Initiatives : Le pari de la mixité intergénérationnelle > p. 10 • Élections allemandes : Les scénarios de la chancelière > p. 12 • À la tribune : Retraites, un renoncement plutôt qu’une réforme durable ? > p. 15

The World’s First Business School (est. 1819)

ESCP Europe

The True European Business School

Working on one of the major issues of the Union’s financial crisis Induction Seminar at the European Parliament

NUMÉRO 467 — MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2013 — 2,15 ¤


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ERIC PIERMONT/AFP

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XAVIER BERTRAND DÉPUTÉ-MAIRE DE SAINT-QUENTIN

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Cette réforme des retraites est un bricolage fiscal, un rendez-vous manqué »

Pour Xavier Bertrand, candidat déclaré à la primaire de l’UMP de 2016 en vue de la présidentielle, sur le dossier des retraites comme sur d’autres sujets, la majorité « n’a pas plus d’idées que de courage ». Vous avez porté une réforme des retraites en 2003, que pensezvous de celle qui est présentée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ?

Ne parlons pas de réforme des retraites, c’est juste un bricolage fiscal. François Hollande avait dit pendant la campagne présidentielle qu’il n’allongerait pas la durée de cotisation. Au final, il fait exactement l’inverse. Ce bricolage ne règle rien, ne finance quasiment rien et si, aujourd’hui, les jeunes sont parmi les plus inquiets de ce rendez-vous manqué, c’est parce qu’ils ont compris qu’ils en seront les premières victimes. Il faudra une nouvelle réforme des retraites dans quatre ans, au plus tard. Le financement du système n’est pas garanti. Le déficit du système de retraite atteindra 20 milliards d’euros à l’horizon 2020 ; le financement prévu est de sept milliards. Où est la différence ? L’autre faiblesse de cette réforme : François Hollande a préféré ne pas froisser ce qu’il considère comme sa clientèle électorale – notamment les fonctions publiques – en refusant d’aligner le public sur le privé. Et cela, les Français ne peuvent plus le comprendre. L’erreur majeure, selon vous…

Absolument. Les Français sont aujourd’hui prêts à faire des efforts, mais à une seule condition : que ces efforts soient les mêmes pour tout le monde.

Si vous voulez répondre au problème démographique d’allongement de la durée de la vie, il faut retarder l’âge de départ à la retraite. Là encore, par manque de courage, François Hollande s’est refusé à le faire. C’est une faiblesse qui va pénaliser tous les futurs retraités. Aujourd’hui, les socialistes ne peuvent garantir que toutes les retraites continueront à être payées. Allez-vous être en pointe dans l’opposition à cette réforme ?

Oui, je vais m’investir dans ce débat, parce que la question des retraites est un élément fondamental du pacte social français. J’ai été le premier à proposer de repousser l’âge légal à 65 ans et je pense qu’il faut une réforme complète, qui fasse dès maintenant l’alignement du public sur le privé: prendre en compte les primes des fonctionnaires, mais aussi passer aux 25 meilleures années, comme dans le privé. Enfin, mettre en place un système d’épargne en complément de notre système par répartition. Sur la pénibilité ?

La gauche n’est pas la première à en parler : j’ai déposé l’amendement sur la pénibilité en 2003. Sur la question des retraites comme sur les carrières longues, les socialistes adoptent la stratégie du coucou : ils font leur nid dans celui des autres, ils n’ont pas plus d’idées que de courage. Cet été, on vous a peu entendu, et notamment sur le dossier syrien…

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Je me suis exprimé, notamment dans la presse quotidienne régionale. Sur ce dossier, regrettez-vous la cacophonie de l’UMP ?

Je regrette surtout que la position de la France ait été incohérente. Le président de la République a suivi

Et cela explique la cacophonie à l’UMP ?

Comment se positionner face à une position changeante ? Il y a effectivement un point sur lequel je n’ai pas été en accord avec certains : je n’ai pas exigé un vote du Parlement, parce que ce vote n’est pas prévu par la Constitution.

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FRANÇOIS HOLLANDE A PRÉFÉRÉ NE PAS FROISSER CE QU’IL CONSIDÈRE COMME SA CLIENTÈLE ÉLECTORALE – NOTAMMENT LES FONCTIONS PUBLIQUES – EN REFUSANT D’ALIGNER LE PUBLIC SUR LE PRIVÉ » aveuglément la position américaine. Où est la tradition d’une diplomatie française indépendante et dynamique ? J’aurais préféré que la France déploie des initiatives. Si M. Fabius s’était rendu 10 fois en Russie pour faire bouger la position de Vladimir Poutine, je n’aurais émis aucun reproche. Deuxième point, j’aurais souhaité que la France utilise la diplomatie européenne. Si vous n’essayez rien, vous n’obtenez rien. La diplomatie n’est pas un art facile, ni une science exacte, mais dans ce cas précis, la nôtre a été défaillante.

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Contrairement à M. Hollande, qui avait exigé un vote du Parlement en 2008, je suis cohérent. Quand on a un président de la République qui affaiblit autant la fonction par son attitude, nous ne devons pas, nous, affaiblir la fonction présidentielle en remettant en cause la Constitution. Sur la « pause fiscale » ?

Le mensonge, toujours : on nous annonce une pause fiscale alors que la TVA augmente au 1er janvier. Le sujet qui se pose aujourd’hui, c’est un problème de crédibilité de

la parole politique. La situation économique et sociale exige que les Français fassent des efforts. Pour pouvoir leur demander ces efforts, il faut inspirer confiance ; le gouvernement fait exactement le contraire. Ce problème de crédibilité explique en partie la difficulté qu’a la France à mener les réformes importantes. Cette difficulté de la France à se « réformer » C’est pour cette raison que vous avez fait la proposition, cet été, de revenir au septennat.

Oui, car je pense que le discrédit qui touche la classe politique vient du fait que les Français sont convaincus que les politiques sont accaparés par la conquête du pouvoir, par la conservation du pouvoir, plutôt que par l’exercice du pouvoir dans le sens de l’intérêt général. Par nature, les réformes importantes ont de fortes chances de déclencher de l’impopularité. Un président de la République qui pense naturellement à sa réélection peut, même s’il en a, oublier son courage. Si l’on veut sortir de ce cercle vicieux, il faut un changement majeur : revenir au septennat, et faire en sorte qu’il soit non renouvelable. Un changement institutionnel ne crée pas un seul emploi, ne fait pas baisser les impôts, mais il est aujourd’hui indispensable pour recréer la confiance.

Propos recueillis par Thomas Renou


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NAJAT VALLAUD-BELKACEM PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT, MINISTRE DES DROITS DES FEMMES

«

Cette réforme des retraites a été menée dans des conditions bien meilleures que ne l’ont été les précédentes »

La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, défend la réforme des retraites, dont le projet de loi est présenté le 18 septembre en Conseil des ministres. La mobilisation contre la réforme des retraites, le 10 septembre, n’a pas été importante. Un bon signe pour cette réforme ?

Je respecte le droit de chacun à manifester son désaccord. Cette réforme est née d’une large concertation avec les partenaires sociaux, et le gouvernement a pris ses responsabilités. C’est une réforme qui a été menée dans de meilleures conditions que ne l’ont été les précédentes. C’est un moment fort du quinquennat ?

Cela fait partie des moments forts du quinquennat. J’estime que la réforme de la politique familiale, que nous avons menée au printemps, en fait également partie. C’est un ensemble de réformes structurelles qui visent à pérenniser notre modèle social français, à l’adapter à la réalité actuelle. Cette réforme est-elle suffisamment ambitieuse ?

C’est une réforme efficace qui va préserver durablement notre système de retraites par répartition. Efficace aussi parce qu’elle met en place un dispositif de pilotage qui va empêcher de laisser ce système dériver. Efficace enfin grâce à la mise en place d’un compte unique, qui donnera plus de visibilité aux Français sur leurs droits. Cette réforme constitue une évolution majeure et nécessaire : l’allongement de la durée de cotisation tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie, c’est à mon avis la

bonne option qui a été retenue. Reculer l’âge légal aurait moins permis de prendre en compte la diversité des situations. C’est une réforme « juste » ?

Oui, car elle installe le compte pénibilité, qui permettra d’être, là encore, plus en phase avec la réalité vécue par les salariés. Je veux citer également les mesures prises en faveur des jeunes, et en particulier la meilleure comptabilisation des périodes d’apprentissage, mais aussi les mesures prises en faveur des femmes. En tant que ministre des Droits des femmes, je me réjouis que, pour la première fois, la question des inégalités de pensions entre les hommes et les femmes ait été prise en considération dès la construction de la réforme, avec des avancées importantes, comme la meilleure prise en compte des congés maternité. Quand peut-on imaginer voir les écarts de pensions entre les hommes et les femmes se réduire ?

Cette réforme va permettre de corriger pour partie ces écarts, car elle prend en compte l’inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Nous savons, par exemple, que les femmes sont beaucoup plus affectées par le temps partiel et notamment le « petit temps partiel » – 15 heures par semaine en moyenne. C’est une double peine : après n’avoir obtenu qu’une rémunération partielle, elles ne touchaient qu’une pension très faible du fait

de n’avoir pu cotiser suffisamment. Le fait de leur permettre de valider davantage de trimestres par rapport au temps partiel effectué est un progrès important, qui va concerner près de 540 000 femmes. Autre exemple expliquant ces écarts de pensions : beaucoup de femmes ont dû interrompre leur carrière pour s’occuper de leurs enfants. Nous ferons en sorte qu’elles ne soient plus pénalisées par des longs congés maternité. Vous souhaitez réformer les droits familiaux de retraite, mais pas avant 2020…

Aujourd’hui, les majorations de retraite sont accordées à partir du troisième enfant et bénéficient surtout aux hommes, qui ont les pensions les plus élevées. Ces droits familiaux sont insuffisamment bien ciblés et nous souhaitons qu’ils soient plus en phase avec la réalité des interruptions d’activité, qu’ils soient accordés dès le premier enfant et qu’ils bénéficient plus aux femmes. Autre exemple : il y a beaucoup de Français – essentiellement des Françaises – qui cessent de travailler pour s’occuper soit d’un enfant en situation de handicap, soit d’une personne âgée dépendante. La réforme des retraites que nous adoptons prévoit de comptabiliser ces périodes dans le calcul des pensions de ces aidants familiaux. Les écarts des pensions entre les hommes et les femmes

Oui et ce combat, nous le menons : nous contraignons enfin réellement les entreprises à respecter l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Depuis quelques mois nous avons mis en place des procédures de contrôle beaucoup plus efficaces que par le passé, qui ont permis de premières sanctions.

cace : nous avons reçu 2 700 plans d’égalité professionnelle d’entreprises. Enfin, le projet de loi que je présente au Parlement prévoit que les entreprises qui ne se mettent pas en conformité avec leurs obligations en matière d’égalité professionnelle ne pourront pas obtenir de marchés publics. Désormais, ce filtre, placé en amont, force les entreprises à bouger.

Ces sanctions existaient, mais elles n’étaient pas appliquées. La sanction est une bonne solution ?

Quels ont été les points qui ont guidé la réflexion du gouvernement sur la réforme du congé parental ?

Oui, la sanction est déjà dans la loi, et elle est sévère. Une entreprise de plus de 50 salariés qui ne fait pas la démarche d’évaluer ses pratiques et qui n’adopte pas un plan pour se mettre en conformité avec la législation peut se voir sanctionnée : payer une pénalité allant jusqu’à 1 % de sa masse salariale. Mais auparavant, cette législation était un épouvantail qu’on agitait sans jamais l’appliquer. En décembre 2012, nous avons adopté un dispositif de contrôle des entreprises par les services de l’État, qui rend enfin la sanction plausible. Si une entreprise contrôlée s’avère en faute, les services de l’État lui donnent six mois pour établir un plan d’égalité professionnelle avant que la sanction ne tombe. À ce jour, quatre entreprises ont été sanctionnées. Elles devront payer des pénalités jusqu’à ce qu’elles se mettent en conformité avec la loi. La preuve que ce dispositif est effi-

La première préoccupation était d’éviter que ce soit systématiquement les femmes qui interrompent longuement leur activité lorsqu’un enfant arrive. Une interruption longue porte préjudice à une carrière professionnelle et cela explique en grande partie l’inégalité entre les hommes et les femmes en termes de salaire, de promotion ou d’accès aux responsabilités. Aider les femmes à s’éloigner moins durablement du marché du travail passe à la fois par un meilleur partage des tâches et par la création de 275 nouvelles places d’accueil pour les enfants de moins de trois ans. La deuxième préoccupation répond à une revendication sociétale légitime : aujourd’hui, on doit avoir le droit effectif d’être salarié et père, tout comme on a le droit d’être salariée et mère. Il faut accompagner les hommes dans cette évolution.

ne viennent-ils pas aussi de l’inégalité salariale ?

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Propos recueillis par T.R.


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Aux Quatre Colonnes

Réforme des retraites : débat troublé en perspective Présenté le 18 septembre en Conseil des ministres et examiné dès le 7 octobre, le projet de loi ne fait pas l’unanimité à gauche. L’augmentation de la durée des cotisations et son impact sur la jeunesse sont au centre des crispations. Par Pascale Tournier résenté comme l’une des réformes phare du quinquennat et « à l’avant-garde du progrès social », le texte sur les retraites échauffe déjà les esprits. Sans surprise, les élus communistes sont vent debout. Que l’effort soit supporté par les salariés passe mal. L’annonce faite par le gouvernement d’une compensation aux entreprises de la hausse des cotisations patronales leur est aussi insupportable. « Ce cadeau est énorme et inacceptable », lâche la députée communiste Jacqueline Fraysse, qui a posé une question au gouvernement dans ce sens, la semaine dernière. Le texte est « une forme d’insulte à la jeunesse », a surenchéri le président du groupe du Front de gauche, André Chassaigne. Le groupe CRC, qui souhaite rester dans une attitude constructive, va déposer une proposition de loi présentant de nouvelles pistes de financement, comme l’imposition des revenus des placements financiers des entreprises. Elles sont sur la table de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, qui n’y a pas donné suite pour le

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moment. « Ce silence m’inquiète », déplore Jacqueline Fraysse. Ces propositions trouvent néanmoins un bon écho auprès de certains députés socialistes et écologistes. Dans la majorité parlementaire, le texte suscite de nombreuses interrogations. Difficile pour l’heure de déterminer le nombre d’élus socialistes qui voteront contre, le scénario de rupture restant peu vraisemblable. « Il n’y a pas de casus belli majeur », confirme le porte-parole du groupe PS Thierry Mandon. Pour autant, les tenants de l’aile gauche commencent à faire entendre leurs nuances, voire leurs discordances majeures. Le courant Maintenant la gauche, qui est descendu dans la rue aux côtés des syndicats le 10 septembre, ne digère pas la mesure prévoyant l’allongement de la durée de cotisation. L’une des stars du courant, Jérôme Guedj, qui avait appelé avant l’été à reporter la réforme, souhaite amender cette nouvelle disposition. De son côté, les représentants du courant hamoniste Un Monde d’Avance saluent les avancées, mais espèrent pouvoir aussi sensiblement améliorer le texte. La question

des jeunes, des femmes, du cadre de la pénibilité et du principe de réversibilité sont au centre de leurs préoccupations. « Va-t-on pouvoir aller vers plus de justice ? » s’interroge la députée Barbara Romagnan (Doubs), qui ne votera pas ce texte s’il reste en l’état, à l’instar de ses collègues. Du côté des députés de la gauche populaire, la réforme est jugée a minima. « Le gouvernement est resté habile et prudent », observe le député d’Indre-et-Loire Laurent Baumel, cofondateur du club, qui s’interroge aussi sur la posture globale du gouvernement en direction des ménages et de leur pouvoir d’achat. « Ils sont mis une fois de plus à contribution », poursuit l’élu. « Courroucés », les 30 élus rattachés à ce club ne porteront pas le fer pour autant. Ils préfèrent se réserver sur le projet de loi de finances. À droite, bien évidemment, les argumentaires sont déjà préparés. Sévèrement attaquée par le PS en 2010, au moment de la réforme dite Woerth, l’UMP entend bien inverser les rôles, en pointant du doigt les incohérences de la majorité sur les propos tenus il y a trois ans et aujourd’hui. Désigné comme

Pour l’UMP, c’est le député Arnaud Robinet qui sera en première ligne. PHOTO JACQUES DEMARTHON/AFP

le chef de file sur ce texte, le député UMP Arnaud Robinet préfère parler de mesures fiscales cachées que d’une véritable réforme. « Les nouveaux droits sont justifiés, mais l’objectif fondamental demeure le rétablissement de l’équilibre financier et il n’est pas tenu », argue l’élu de la

Marne, qui appelle à une augmentation de l’âge légal dans le temps et à une plus grande équité entre le système public et privé. Et de conclure : « Si on note le texte, c’est zéro d’un point de vue de l’intérêt général et 18 sur 20 en termes d’habileté politicienne. » À voir.

Un homme de dialogue à la manœuvre Expert reconnu du dossier, le député fabiusien Michel Issindou est le rapporteur du projet de loi de la réforme des retraites. e Didier Migaud, son ancien patron à l’agglomération de Grenoble, Michel Issindou espère avoir appris son sens de l’écoute. « Je vais en avoir bien besoin », dit-il d’un sourire. Nommé rapporteur, le député socialiste de l’Isère a, en effet, la charge délicate de piloter le projet de loi sur les retraites. Un texte qui ne fait pas du tout l’unanimité dans les rangs socialistes et encore moins à droite – bien sûr – déjà animée, selon Michel Issindou, par « un esprit revanchard ». Pour mener à bien sa tâche, l’élu fabiusien peut se reposer sur son profil de technicien de longue date. Au moment de la réforme portée par la droite en 2010, il était en première ligne avec ses pairs socialistes Marisol Touraine

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MICHEL ISSINDOU DÉPUTÉ PS DE L'ISÈRE

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et Jean Mallot (qui, lui, n’a pas été réélu en 2012). Il est l’un des rares rescapés de cette époque. Membre du Conseil d’orientation des retraites, du Fonds de réserve pour les retraites et du Fonds solidarité vieillesse, Michel Issindou a manifesté son intérêt pour le sujet dès la victoire de la gauche. « J’ai tout de suite dit que je passais volontiers mon tour pour porter d’autres textes », confirme-t-il. Dès la mimai, il a monté un groupe de travail, auquel Gérard Sebaoun (Val d’Oise), Fanélie Carrey-Conte (Paris), Christophe Sirugue (Saôneet-Loire), Linda Gourjade (Tarn) et Jean-Patrick Gille (Indre-et-Loire) se sont montrés les plus assidus. Sur la philosophie générale, le député reprend le message martelé

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par le gouvernement. « C’est une réforme équilibrée et juste », affirmet-il. Est-elle a minima ? « On n’a pas besoin de provoquer sang et larmes si les deux objectifs de pérennité du système et de justice sont respectés », réplique-t-il. À la critique portée par l’UMP sur le non-alignement du régime public sur celui du privé, l’ancien haut fonctionnaire répond encore : « Attention aux lobbys et aux fantasmes. La réforme de 2008 a rapproché les deux systèmes. » Sur la méthode, l’élu isérois applaudit aussi des deux mains. Avec Estelle Denize et Gabriel Attal, les conseillers de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, les relations ont été fluides. Même chose à Matignon, avec les conseillers sociaux du Premier ministre

Christophe Devys et Jean-Philippe Vinquant. « Depuis un an, on travaille », certifie Michel Issindou. Avec le démarrage des séances en commission le 30 septembre et l’examen du texte à partir du 7 octobre, la réforme entre dans sa phase décisive et complexe. Michel Issindou sait que l’allongement de la durée des années de cotisation et l’impact de la réforme sur les jeunes passent mal dans une partie de l’aile gauche. Sur la pénibilité, il estime aussi nécessaire de clarifier les conditions permettant l’obtention de ce compte. Quelles que soient les modifications apportées par les parlementaires, Michel Issindou reste convaincu : « Il n’y aura aucune modification dans les grands équilibres. »


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Municipales : l’ambiguïté de Fillon Selon un haut dirigeant de l’UMP, Fillon, en appelant à choisir « le moins sectaire » entre un candidat PS et un candidat FN aux municipales, a décidé de « se complaire » dans l’ambiguïté (dont on ne sort, on le sait, qu’à son détriment). « Fillon se dit ainsi que chacun entendra ce qu’il souhaite entendre… Quelle est sa définition du sectarisme ? » L’ancien Premier ministre souhaite redonner envie aux électeurs du Front national de voter UMP. « Quand vous souhaitez concourir à la présidence de la République, vous avez nécessairement cette idée en tête », conclut ce ténor de l’UMP.

Entre Borloo et Bayrou : un mariage de raison « L’UMP prétendant incarner la droite et le centre est morte cette semaine. Ce qui a été dit par François Fillon le dépasse, il a sapé le fondement doctrinaire de son parti. » Jean-Louis Borloo, lors de l’université d’été de l’UDI, ce week-end, trouvait l’occasion idéale de justifier sa démarche de rassemblement des centristes. Peut-il espérer rallier ceux restés à l’UMP ? « C’est compliqué, chacun joue des stratégies personnelles… », dit un proche de Borloo, citant l’exemple de Jean-Pierre Raffarin, qui a fermement mis en garde François Fillon sur une rupture du

pacte fondateur de l’UMP. « Raffarin a pour objectif de briguer à nouveau la présidence du Sénat, et il a beaucoup plus de chances d’y parvenir en restant à l’UMP », note ce dirigeant de l’UDI. Quant à l’alliance avec Bayrou : l’ambiance est-elle au beau fixe entre Borloo et le leader du MoDem ? « Il s’agit plutôt d’un mariage de raison – les unions plus durables en général –, dont les contours ne sont pas encore définis. » Combien de temps faudra-t-il pour définir ces contours ? « Si nous voulons être prêts pour les élections européennes, et à peu près lisibles pour les municipales, il faudrait qu’au mois de novembre (décembre au plus tard), nous ayons fait un bout de chemin qui rende irréversible notre nouvelle alliance », explique-t-il. Pas le droit à l’erreur : « Le MoDem joue sur sa survie, car ce mouvement a un leader et quelques élus mais pas de troupes, et l’UDI joue aussi sa survie parce qu’elle a besoin de se renforcer pour peser sur les élections de 2014 », conclut ce dirigeant de l’UDI. Si le centre partait à ces élections en ordre dispersé, aucune chance, selon lui, d’obtenir le score à deux chiffres qui installe durablement une formation dans le paysage.

Les cadets-Bourbon tissent leur toile Agenda chargé pour les cadets-Bourbon, qui rassemblent sept députés UMP trentenaires, notamment Damien Abad (Ain), Julien Aubert (Vaucluse), Gérald Darmanin (Nord) et Alain Chrétien (Haute-Saône). Les tenants de la jeune garde seront le 25 septembre à Carpentras, dans le fief de Julien Aubert, pour évoquer l’artisanat et les professions libérales. En octobre, direction Tourcoing, sur les terres de Gérald Darmanin. Le commissaire européen Michel Barnier doit aussi les recevoir à Bruxelles autour d’un dîner. Lire aussi : la tribune de trois membres des cadets-Bourbon sur la réforme des retraites page 15

La gauche forte toujours en pointe sur l’évasion fiscale CHARLES PLATIAU/AFP

La gauche populaire vent debout contre le PLF DR

PATRICK KOVARIK/AFP

Petits papiers

Le combat contre l’évasion fiscale et la lutte contre la ligne Buisson continuent d’être les piliers de réflexion du club parlementaire. Après avoir piloté un projet de loi sur l’évasion fiscale, son porte-parole, le député Yann Galut, publie le 2 octobre Le pillage de l’État, Un député sur la piste des évadés fiscaux (Flammarion), dans lequel il emmène son lecteur dans les arcanes des paradis fiscaux. Un colloque le 18 novembre sur les réponses que peut apporter la gauche à la montée du FN à l’approche des municipales aura aussi lieu à l’Assemblée nationale. Des stars du gouvernement sont déjà programmées.

Laurent Baumel

Le projet de loi de finances ne plaît pas à la gauche populaire. Et elle compte bien le faire savoir haut et fort, lors de l’examen du texte. « Toutes les ingéniosités fiscales qui sont présentées servent à faire des cadeaux aux entreprises. On oublie les ménages », clame Laurent Baumel, député cofondateur du mouvement. La revalorisation de la prime pour l’emploi ? « Un outil illisible qui est là pour amuser la galerie », poursuit le député d’Indre-et-Loire. Le courant, qui rassemble une trentaine de députés socialistes, prévoit déjà de défendre un amendement en faveur d’une CSG progressive. Pour leur rentrée parlementaire, les troupes se réuniront le 18 septembre à l’Assemblée nationale autour du thème : « Quelles priorités politiques pour réussir le mandat ? ». Les députés Jean-Marie Le Guen (Paris), Jean-Christophe Cambadélis (Paris), Malek Boutih (Essonne), Delphine Batho (Deux-Sèvres) et Guillaume Balas (responsable d’Un Monde d’Avance, le courant du ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire Benoît Hamon) participeront aux tables rondes, qui risquent déjà d’être animées.

Journées parlementaires PS en version 2.0 Pour sa rentrée parlementaire, qui a lieu à Bordeaux les 23 et 24 septembre, le PS veut afficher un message de dialogue et de changement. Pour la première fois, le rendez-vous sera ouvert au public, le deuxième jour de cet événement. Après la diffusion de vidéos enregistrées sous forme de questions des responsables syndicaux – Laurent Berger (CFDT), Thierry Lepaon (CGT), Pierre Gattaz (Medef) –, le public sera amené à réagir sur les réseaux sociaux. La veille, le PS se montrera bien moins ouvert : toutes les réunions auront lieu à huis clos. NUMÉRO 467, MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

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Édito

L’opinion de Gérard Leclerc PRÉSIDENT DE LCP ace à l’adversité, le pouvoir a joué l’effet de surprise. Les Français étaient encore sur les plages, que François Hollande s’érigeait en chef de guerre pour punir la Syrie. La réforme – a minima – des retraites a été dévoilée dès la fin août, pour prendre de vitesse les syndicats. Enfin le projet de budget est arrivé avec trois semaines d’avance pour couper court aux rumeurs.

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Chacun sait depuis Napoléon que « la meilleure défense, c’est l’attaque ». Et le gouvernement, en difficulté, n’a pas tort de prendre l’initiative. Encore faut-il le faire avec cohérence, et sans précipitation. On ne peut pas reprocher à François Hollande d’avoir menacé Bachar Al-Assad de frappes après qu’il a franchi la ligne rouge avec l’utilisation des gaz contre son peuple. C’est cette pression qui a permis le règlement qui se profile aujourd’hui. On peut néanmoins regretter que la France, partie un peu seule, se soit retrouvée isolée. Sur les retraites, faute d’avoir remis à plat tout le système, le risque existe qu’il faille une fois encore remettre bientôt l’ouvrage sur le métier. Mais c’est sur le budget que la communication gouvernementale a le plus failli, et il y a peu de chance que l’intervention présidentielle sur TF1 suffise à convaincre les Français.

nonçant 12 milliards de prélèvements nouveaux, les supputations ont refleuri sur de nouvelles taxes pour la Sécurité sociale, et Les Verts, ulcérés que la taxation du diesel soit passée à la trappe, ont menacé de ne pas voter le budget, donc de sortir de la majorité. Le pouvoir paie là ses non-dits : sur la politique de rigueur, pour ne pas désespérer les Français, sur le soutien aux entreprises, pour ne pas énerver la vieille gauche, sur la politique écologique mise sous l’éteignoir du fait de crise. La synthèse hollandaise entre sérieux budgétaire, politique de l’offre et petits signaux sur le pouvoir d’achat et le verdissement de la croissance touche ses limites. De même qu’il n’est pas facile de concilier l’ambition présidentielle de se projeter à 10 ou 20 ans pour préparer la France de demain, tout en reportant à l’après municipales ou aux calendes grecques

Le budget se veut sérieux et équilibré. Il prévoit la poursuite de « l’effort de redressement », équivalant l’an prochain à 18 milliards d’euros. 15 milliards, soit 80 % de cet effort, proviendront d’une réduction des dépenses, ce qu’aucun gouvernement n’avait à ce jour réalisé. Les trois milliards restants seront à la charge des seuls ménages, les entreprises étant épargnées. Mais le gouvernement a commis l’erreur du flou et de l’à-peu-près. Parler de « quasi-stabilisation » ou de pause fiscale est pour le moins risqué, alors que tombe le dernier tiers provisionnel, particulièrement salé, et que le ministre de l’Économie précise lui-même qu’il ne prend en compte ni la hausse de la TVA déjà décidée ni la réduction de certaines niches fiscales bénéficiant aux ménages. L’opposition s’est immédiatement engouffrée dans la brèche en an-

les réformes sensibles : transition énergétique, loi pénale, réforme territoriale… Mais en matière de confusion, l’opposition n’est pas en reste. Elle a dit tout et son contraire sur la Syrie, approuvant ou condamnant les initiatives de la France ou réclamant à cor et à cri un débat au Parlement que la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy avait écarté ! Sur le budget, ses accusations de « matraquage fiscal » seraient plus crédibles si elle n’avait pas avant 2012 creusé les déficits puis augmenté elle aussi d’une trentaine de milliards les prélèvements obligatoires. Enfin ses divisions sur son attitude face au Front national, qu’ont relancées les déclarations surprenantes de François Fillon, ne peuvent que faire le jeu de Marine Le Pen, dont l’objectif avoué est la conquête du pouvoir, aux dépens de l’UMP…

SIDONIE MANGIN

MARTIN BUREAU/AFP

Une rentrée dans la confusion générale

Passé-présent

ndépendante depuis 1946 seulement, la Syrie ne peut se comprendre sans un retour sur son passé français. À la fin de la Première Guerre mondiale, Damas aurait pu être la capitale d’un vaste royaume arabe, sans le jeu des puissances occidentales qui se partagent les dépouilles de l’Empire ottoman. En application des accords secrets Sykes-Picot, signés dès 1916, les Britanniques s’implantent en Irak, en Transjordanie, en Palestine, tandis que la Syrie est confiée en 1920 à la France, sous la forme d’un « territoire sous mandat » : théoriquement, il ne s’agit pas d’une colonie, mais d’un pays que les Français ont pour mission de préparer à son émancipation démocratique… Dans un contexte troublé, l’administration française se révèle très directive, le poste de hautcommissaire étant confié à des généraux : Gouraud, Weygand,

DR

Quand un élu de la Corrèze dirigeait la Syrie I

Henry de Jouvenel Sarrail… Ce gouvernement militaire, aux méthodes imitées de l’Afrique du Nord, ne tarde pas à mécontenter les populations : partie des montagnes où vivent les Druzes, une rébellion gagne tout le pays, au point que Paris décide

6 L’HÉMICYCLE

en 1925 de nommer haut-commissaire un civil : ce sera Henry de Jouvenel, baron des Ursins, l’exmari de Colette, l’ancien directeur du Matin, homme de culture et de conciliation. Sénateur de la Corrèze depuis 1921, éphémère ministre de

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l’Instruction publique en 1924, cet aristocrate de gauche a aussi représenté la France à la toute récente Société des Nations, où il a opposé la « civilisation du bonheur à celle de la force ». Pour ce grand seigneur épicurien, « la victoire, ce ne sont pas des flottes dispersées, des armées détruites, des territoires regagnés ; la victoire ce sont des esprits qu’on amène à sa conception de la civilisation humaine ». Il applique la même doctrine en Syrie où, selon le Dictionnaire des parlementaires français, il « déploya le faste d’un vice-roi, la séduction d’un orateur, d’un diplomate et d’un lettré et, lorsqu’il partit, à la fin de 1926, les esprits étaient calmés, mais, surtout, les cœurs étaient conquis ». La paix revient en effet, une paix de courte durée, car la France, tout en dotant la Syrie d’institutions républicaines, joue sur les divisions culturelles et religieuses : elle détache le Liban de la Syrie, ellemême divisée en un État d’Alep et

La concordance des temps de Bruno Fuligni HISTORIEN un État de Damas, sans compter l’autonomie accordée à l’État des Alaouites et à l’État du Djebel druze… Humiliation supplémentaire pour les Damascènes : la capitale de la Fédération syrienne est installée à Homs. Jouvenel, demeuré sénateur de la Corrèze pendant son proconsulat syrien, retrouve le palais du Luxembourg, où il se spécialise dans les questions diplomatiques, maritimes et coloniales. Nommé ministre de la France d’outre-mer le 30 janvier 1934, il ne va conserver ses fonctions qu’une semaine, le gouvernement Daladier tombant au lendemain des émeutes du 6 février. Exit le fin pacificateur, qui ne régnera plus sur la « Syrie mandataire » et s’éteindra l’année suivante. Quant aux nationalistes syriens, ils conserveront deux haines tenaces : l’une contre la France, qui a démembré leur pays, l’autre contre les mandats internationaux…


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Un œil sur l’Europe

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Ciao Barroso ! La chronique européenne de Jean Quatremer

epuis la signature du traité de Rome en 1957, seuls trois hommes ont occupé la présidence de la Commission durant 10 ans : l’Allemand Walter Hallstein (58-67), le Français Jacques Delors (85-94) et, enfin, le Portugais José Manuel Durao Barroso (04-14). Si les deux premiers ont durablement marqué par leurs ambitions et leurs réalisations la construction communautaire, ce n’est pas le cas du dernier : rares seront ceux qui regretteront le départ, normalement prévu le 31 octobre 2014, de ce maoïste devenu Premier ministre conservateur et farouchement atlantiste de son pays (2002-2004). Son discours sur « l’état de l’Union », prononcé mercredi dernier à Strasbourg devant le Parlement euro-

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péen, a été à la mesure de ses deux mandats : sans souffle, louvoyant, soucieux de ne déplaire à personne et, surtout, dénué de toute vision d’avenir. Une occasion manquée, une de plus diront ceux qui suivent « dur argileux » (son nom en portugais) depuis son arrivée à Bruxelles, alors que les élections de mai 2014 s’annoncent à haut risque pour une Union confrontée à une défiance sans précédent de ses citoyens. Introduit par le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin 2009, le discours sur « l’état de l’Union » se voulait une réplique de son aîné américain, une façon d’obliger les présidents de l’exécutif européen à se montrer plus politiques et programmatiques. Si l’exercice a suscité un intérêt certain au départ, ce n’est plus le cas après seulement trois éditions. L’hémicycle quasiment désert et les maigres applaudissements qui ont accueilli le discours du président de la Commission en disaient long sur le total désintérêt des députés pour un homme qui a montré son incapacité à peser sur l’agenda politique européen. C’est peu dire qu’il entame sa dernière année de mandat totalement démonétisé. Pourtant, comme Durao Barroso

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Le Président José Manuel Barroso lors de son dernier discours sur l’état de l’Union européenne le 11 september 2013 à Strasbourg. PHOTO FREDERICK FLORIN/AFP

n’a aucune chance d’être reconduit pour un troisième mandat, il aurait pu livrer un discours de combat, une sorte de testament politique, quitte à se fâcher avec les gouvernements qui l’ont nommé. Car, si la crise (obligataire) de la zone euro est terminée, ce n’est le cas ni de la crise économique, comme le montre la croissance atone, ni de la crise démocratique qui, elle, ne fait que commencer. Cette dernière est sans doute la plus grave, car elle permet aux eurosceptiques de tout poil de dénoncer une Europe non seulement incapable de procurer des emplois, mais une Europe ayant confisqué une part non négligeable de la démocratie. Or, s’il y a un domaine sur lequel le président de la Commission peut peser afin que les États réagissent avant qu’il ne soit trop tard, c’est bien là. Chacun a plus ou moins conscience que l’Union s’est profondément transformée au cours des trois dernières années. Pour le mieux, en accélérant son intégration financière, bancaire, économique, mais aussi pour le pire, en n’allant pas au bout de la solidarité financière (refus des euro-obligations par exemple) et en refusant d’instaurer un contrôle démocratique. La zone euro est désormais gérée par une technocratie composée du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, des ministres des

Finances et de la Commission, des aréopages qui n’ont collectivement de comptes à rendre à personne. La « troïka » vilipendée dans les pays sous assistance financière est l’incarnation anonyme parfaite de cette dérive que Jürgen Habermas qualifie « d’autocratie postdémocratique ». La seule façon de sortir de cette impasse technocratique est de créer une fédération ou si l’on préfère une « République européenne », selon l’expression imaginée par Ulrike Guérot, responsable du bureau berlinois de l’ECFR (European council on foreign relations): il ne s’agit pas de transférer davantage de pouvoirs à Bruxelles, mais de rendre chaque niveau de pouvoir responsable devant une assemblée élue. D’ailleurs, la Commission a adopté, en décembre 2012, une communication qui met en garde les États contre cette dangereuse dérive de l’Union. Mais depuis, plus rien. Les gouvernements, rassurés par le calme retrouvé des marchés, ne veulent plus, après en avoir caressé l’idée, se lancer dans une réforme des traités jugée politiquement hasardeuse, notamment en France. De tout cela, Barroso n’a dit mot. Pourquoi ? Car le président de la Commission est déjà passé à autre chose. Son discours, uniquement prononcé en anglais, est en réalité un discours de campagne : ce n’est un secret pour personne qu’il

Conformément à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification pour toute information vous concernant.

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veut obtenir le poste de secrétaire général soit de l’OTAN, soit de l’ONU. Pourquoi prendre le risque de déplaire en mettant en garde les États ou en prononçant des mots qui fâchent comme « fédération » ou « solidarité financière » ? Mieux vaut s’en prendre aux citoyens qui ne comprendraient pas tout ce que l’Europe leur apporte : pour l’OTAN et l’ONU, ce sont les gouvernements qui votent… Mais ne soyons pas trop durs avec Barroso, qui n’est que la résultante des blocages et des lâchetés européennes. Qui l’a nommé à ce poste ? Les chefs d’État et de gouvernement. En 2004, c’est Tony Blair qui l’a propulsé là après avoir barré la route au fédéraliste Guy Verhofstadt qui, en outre, avait eu le mauvais goût d’être opposé à la guerre en Irak. Jacques Chirac et Gerhard Schröder, en renonçant à se battre, portent aussi la responsabilité de ce choix. En 2009, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel l’ont maintenu à ce poste trop heureux de ce « mister nobody » qui ne leur faisait pas d’ombre. Les partis politiques européens feront-ils mieux ? Car c’est la tête de liste du vainqueur qui sera, cette fois, désigné comme président de la Commission. Après Jacques Santer, Romano Prodi, José Manuel Durao Barroso, l’Union aurait du mal à se remettre d’un autre président médiocre.


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Environnement

Éric Brac de La Perrière :

«Il faut adresser les vrais enje L’économie circulaire a été placée au centre de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre. Eco-Emballages, l’un des acteurs majeurs de cette économie circulaire, souhaite des réformes en profondeur pour donner un nouvel élan au recyclage. Son directeur général, Éric Brac de La Perrière, nous détaille ses attentes. Passer d’une logique linéaire de consommation à une logique de réemploi de la matière, c’est cela l’économie circulaire. Si la matière a de l’importance, il convient d’en faire un usage le plus durable. La matière n’est pas infinie et on ne peut plus la puiser à notre guise et sans conséquence. Né en 1992 alors que peu de gens parlaient d’écologie, de développement durable, Eco-Emballages a été l’un des précurseurs de l’économie circulaire, créant les bases de cette nouvelle économie. À cette époque, l’enjeu était de donner à chaque citoyen de ce pays les moyens de ne pas polluer. Pour donner aux consommateurs la possibilité de transformer leurs déchets en ressources, les entreprises se sont mutualisées et ont créé Eco-Emballages. Cette innovation, qui a associé l’État, les collectivités, les industriels et les associations, est récompensée par un satisfecit important : 20 ans après, le citoyen considère le tri comme le premier geste écologique. La France est devenue aujourd’hui l’un des pays les plus performants d’Europe dans ce

domaine, avec un taux de recyclage de 67 %. L’économie circulaire doit concourir au redressement productif, selon le gouvernement. Le recyclage participe pleinement à cet objectif…

Contrairement à beaucoup de pays, la France a créé une filière du recyclage à l’échelle du pays. Nos déchets sont traités dans un rayon de 300 km. Le but poursuivi par Eco-Emballages, dès sa création, a été non seulement de créer une adhésion des consommateurs au geste de tri, mais aussi de développer un tissu industriel pour pouvoir rendre possible le recyclage au niveau du territoire. Contrairement à nos voisins, plus de 80 % de nos déchets sont recyclés en France, 200 unités de recyclage ont été créées et l’on compte plus de 28 000 emplois dans la collecte et le tri, ce n’est quand même pas rien ! Pour passer à une nouvelle étape, il faut trouver des nouveaux leviers ?

Nous arrivons aujourd’hui à une période de maturité et une stabilisation du taux de recyclage, 67 %, + 1 point par an. Il s’agit de relancer le recyclage pour arriver à l’ob-

DR

Quel est le rôle d’Eco-Emballages dans l’économie circulaire ?

Éric Brac de La Perrière, directeur général d’Eco-emballages jectif de 75 %. Pour cela, il faut créer plus de transversalité pour que les bonnes pratiques profitent

Tri et recyclage des emballages ménagers

Chiffres clés Eco-Emballages (2012)

à tous. Il faut mieux prendre en compte les disparités territoriales en définissant les dispositifs cor-

Taux de recyclage

67 % Acier

97 %

1 139

Soutiens directs aux collectivités locales

collectivités

549 millions d’euros

en contrat

Augmentation de + 7 % par rapport à 2011

6 milliards d’euros

Verre

86 % Papier

67 % Bouteilles & flacons

investis par les entreprises pour financer le dispositif de collecte sélective entre 1992 et 2016 Recettes matériaux pour les collectivités locales : 218 millions d’euros Augmentation de + 11 % de la moyenne sur les 4 dernières années 75 % de taux de couverture des coûts financé par Eco-Emballages 28 000 emplois créés dans la collecte et le tri 10 milliards d’emballages porteurs de l’infotri : les consignes de tri pour informer le consommateur Objectif national de réduction à la source atteint : – 100 000 tonnes d’emballages ménagers entre 2007 et 2012

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49 % Brique

45 % Aluminium

32 %

respondants aux différents types de collectivités. Deuxième élément : il faut gagner des points de recyclage à un coût maîtrisé. Nous savons qu’une inflation des coûts peut nuire au bénéfice environnemental. Nous devons partager avec l’ensemble des acteurs et des élus la connaissance des coûts réels des collectivités en matière de gestion des déchets, base de toute démarche d’optimisation. Pour Eco-Emballages, il est très important d’avoir à la fois des objectifs environnementaux ambitieux et une exigence de maîtrise budgétaire pour pouvoir continuer de développer le recyclage dans de bonnes conditions. Nous sommes comptables de l’efficacité : chaque euro investi doit avoir un retour environnemental et social. Un exemple : en six mois, trois sociétés importantes du secteur du recyclage des plastiques sont passées en redressement judiciaire. Si les acteurs ne sont pas en bonne santé, c’est toute la viabilité et la


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njeux du tri et du recyclage »

Qu’espère Eco-Emballages de cette conférence environnementale ?

Cette conférence environnementale doit permettre de créer les conditions du développement de l’économie circulaire. Elle doit, je l’espère, identifier les vrais enjeux et les priorités, mais aussi définir les indicateurs permettant de juger les actions et les résultats. À mon sens, seuls les indicateurs changent les organisations et les comportements. Par ailleurs, Eco-

Emballages est très mobilisé pour définir des solutions nouvelles permettant de développer le recyclage dans l’habitat collectif. Dans les villes, on recycle deux fois moins qu’à la campagne, ce n’est pas acceptable. Nous devons faire du geste de tri un réflexe quotidien. C’est pourquoi nous développons les consignes de tri sur les emballages (10 milliards d’emballages à date) et nous souhaitons créer des synergies avec les autres filières de recyclage, comme le papier, l’électroménager, les piles, pour aider les consommateurs sur le tri des objets du quotidien.

Questions à

La métropole est un bon échelon ?

Le département est un excellent échelon, la région l’est aussi, je ne vois pas pourquoi la métropole ne le serait pas non plus. Ce qu’il faut, je le répète, c’est adresser les vrais enjeux du tri et du recyclage et fixer les bons indicateurs pour pouvoir développer les bonnes pratiques sur l’ensemble du territoire.

THIERRY CHENU

pérennité du recyclage que l’on remet en cause, jusqu’au geste de tri. Le rôle d’Eco-Emballages est donc de créer des équilibres entre le bénéfice environnemental et les coûts économiques. L’aspect social est tout aussi fondamental. Toutes les 800 tonnes de matières recyclées, un emploi est créé. On voit bien qu’un petit geste de tri a un effet papillon très fort : il génère de nouvelles ressources, de la propreté, une activité économique et donc de l’emploi.

MICHEL DESTOT

L’économie circulaire, « priorité » de la conférence environnementale Qu’est-ce que l’économie circulaire ? Selon François-Michel Lambert, député EELV et président de l’Institut de l’économie circulaire, « elle concrétise le passage d’un modèle de réduction des impacts (sur la ressource et les milieux) à un modèle de création de valeur, positive aux plans social, économique et environnemental. Elle rompt avec le schéma traditionnel de production linéaire, qui va directement de l’utilisation d’un produit à sa destruction et où la gestion des déchets se réduit à une conséquence du modèle de production. Elle y substitue une logique de boucle, où la création de valeur positive est recherchée à chaque étape (conception, usages, fin de vie du produit), en évitant le gaspillage des ressources. Ce qui est considéré comme un déchet dans l’économie linéaire, avec pour seule issue l’enfouissement ou l’incinération, peut, dans l’économie circulaire, avoir encore plusieurs vies. Il est courant de dire que le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas : c’est l’un des fondements de l’économie circulaire », expliquait-il dans La Gazette des communes (12/09). Philippe Martin, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, considère l’économie circulaire comme « l’une des priorités » de la conférence environnementale qui aura lieu les 20 et 21 septembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE) : « Nous acterons le passage d’une logique économique linéaire à une logique économique circulaire, d’une gestion des déchets à une gestion des ressources, aussi bien chez les acteurs économiques, sur les territoires, que dans les politiques nationales », avait indiqué le ministre. « Cette nouvelle politique doit permettre à la France de sécuriser l’approvisionnement de l’économie française en matières premières, de diminuer ses impacts environnementaux, de réindustrialiser ses territoires, et d’augmenter la compétitivité des entreprises françaises », avait poursuivi Philippe Martin.

DÉPUTÉ-MAIRE PS DE GRENOBLE

« Les présidents de grandes agglomérations, métropoles et maires de grandes villes ont un rôle clé pour relever le défi de l’économie circulaire » Le tri et le recyclage sont des sujets majeurs dans la politique environnementale des villes. Or c’est là que les performances y sont les plus faibles. En votre qualité de président de l’AMGVF, quelle est votre analyse face à cette situation ?

Les urbains trient 30 kg de déchets/ an/ habitant, contre 54 pour les ruraux, alors que la population urbaine croît plus rapidement et consomme davantage. Nous devons nous remobiliser sur la capacité de nos villes à trier et recycler leurs déchets et remettre le geste de tri au cœur de la politique des villes. Nous parlons beau-

coup d’économie circulaire. Or, faire de nos déchets des ressources en est l’un des fondamentaux de l’économie circulaire. Les présidents de grandes agglomérations, métropoles et maires de grandes villes ont un rôle plus que jamais clé pour relever ce défi. Eco-Emballages et l’AMGVF travaillent d’ailleurs ensemble à la mise en place d’un plan d’actions pour relancer le tri dans les grandes villes françaises. Le tri et le recyclage représentent des enjeux financiers importants. Comment encourager les collectivités à optimiser ces coûts ?

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Il faut savoir que partout en Europe le coût moyen de la collecte est inférieur à celui observé en France. Parce que les enjeux sont importants, les collectivités et les élus sont mobilisés sur l’optimisation des coûts de la collecte et du tri pour entrer dans une logique d’efficacité. Je me réjouis de la mise en place d’outils de calcul par Eco-Emballages et l’Ademe pour aider les collectivités dans cette démarche. Et je rappelle que la maîtrise des dépenses est une priorité pour nous tous et une condition de la réussite de nos futurs projets environnementaux.


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Initiatives

Le pari de la mixité intergénérationnelle Si l’allongement de l’espérance de vie impacte d’ores et déjà le projet de loi sur la réforme des retraites examiné à l’Assemblée nationale à partir du 7 octobre, il oblige aussi à repenser les liens entre les générations. À défaut d’être encore pleinement intégrées dans les politiques publiques, les initiatives locales en faveur de la mixité se multiplient. Des programmes qui plaident par leurs résultats pour une meilleure intégration des 7 à 77 ans. Et pour instaurer de véritables échanges au quotidien à même de prévenir les risques d’incompréhension d’une classe d’âge à l’autre, à Bioule, dans le Tarn-et-Garonne, la nouvelle cantine scolaire accueille depuis deux ans les enfants de l’école communale aux côtés d’une

elon les projections démographiques de l’Insee, la population française comptera 73,6 millions d’habitants en 2060. Le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait augmenter de plus de 80 % d’ici là. Un Français sur trois aura alors plus de 60 ans. L’une des conséquences de cette tendance sera une répartition de la population par tranches d’âge fortement bouleversée : dès 2014, la proportion des moins de 20 ans sera inférieure à celle des 60 ans ou plus. Des évolutions qui supposent de repenser les liens entre les générations.

S

transmettre les savoirs et de cultiver le lien entre les générations », détaille Véronique Garrigues, maire adjointe (PS). Dans cet esprit, Rennes a inauguré un nouveau modèle de quartier. Réaménagés il y a deux ans au cœur d’une ancienne caserne de pompiers, les 260 logements de la résidence Simone de Beauvoir accueillent depuis étudiants et familles

«

C’EST UN BEL OUTIL THÉRAPEUTIQUE, BÉNÉFIQUE AUSSI POUR LES ENFANTS, CAR LES PERSONNES ÂGÉES SONT INSTRUCTIVES »

Des crèches au cœur des Ehpad

PIERRE ANDRIEU/AFP

À Tourcoing, les échanges intergénérationnels sont encouragés dès la petite enfance. Encore confidentielle, l’initiative locale associe une maison de retraite à une crèche. La démarche, reprise notamment à Montpellier, vise à démystifier la vieillesse et « la sortir du ghetto dans lequel elle est parfois enfermée ». Si l’architecture des bâtiments préserve les spécificités et l’intimité des lieux de vie des plus petits et des plus âgés, le dialogue se noue entre les premières et les troisièmes générations autour d’un jardin sensoriel et d’activités ludiques. Une leçon de vie et des rencontres bénéfiques, estime Marie-Jeanne Galtier, directrice de la crèche À Petits Pas à Aspiran, dans l’Hérault : « Les enfants ne sont plus indifférents aux personnes âgées. Rien que pour cela, notre projet vaut vraiment le coup. » Une idée originale qui transforme le quotidien des adhérents, petits et grands.

Michèle Delaunay en visite dans un Ehpad de Bordeaux. « C’est un bel outil thérapeutique, bénéfique aussi pour les enfants, car les personnes âgées sont instructives. C’est tout une mémoire, une transmission des connaissances » qui s’opère, soulignent les psychologues. Une démarche dupliquée aujourd’hui à Saint-Maur-desFossés (dans le Val-de-Marne), à La Chapelle-sur-Erdre (en Loire-Atlantique) ou encore à Marseille avec une crèche installée au sein du

pôle gérontologique de Saint-Maur. Face au vieillissement de la population et aux évolutions des schémas familiaux, où quatre générations, dont deux de retraités, coexistent désormais, les spécialistes estiment en effet indispensable de réapprendre à vivre ensemble. À Saint-Étienne, les élèves de CE2 ont cours ainsi une fois par mois dans une maison de retraite, encadrés par les seniors.

Un train pour « bien vivre… toute sa vie » à Lille, le 27 septembre prochain. Exposés dans les wagons, les initiatives et les projets partagent tous le même objectif : « Aborder, de façon positive, l’avancée en âge et se donner les moyens de garantir son bien-être », résume la ministre. www.trainbienvivre.fr

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Inauguré par la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, Michèle Delaunay, le train « Bien vivre… toute sa vie » a quitté la gare du Nord, à Paris, le 10 septembre dernier. Il sillonnera la France au fil de 15 villes étapes jusqu’à son arrivée finale prévue

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dizaine de personnes âgées. Des déjeuners intergénérationnels dont « le bénéfice réel en termes de rupture de l’isolement, d’harmonie entre les générations, ne se comptabilise pas », explique le maire (PRG) Gabriel Serra. Chaque jour, « les enfants sont avides d’histoires de la commune, et lorsqu’ils se voient dans la rue, enfants et personnes âgées discutent. Cela fait chaud au cœur et nous espérons que cette expérience fasse école ! ».

« Contribuer au mieux vivre ensemble » Répondant à une logique à la fois sociale et pratique, pour les communes l’enjeu est aussi de « contribuer au mieux vivre ensemble ». Des projets artistiques, de tutorat professionnel, de participation des seniors aux pedibus scolaires ou de grands-parents de remplacement ont ainsi vu le jour en Isère. Dans l’Aude, le Conseil municipal des jeunes de Bram s’est vu fixer un triple objectif « de citoyenneté, d’intergénération et de devoir de mémoire », indique Éric Misse, conseiller municipal. Aux côtés des aînés de la commune, une trentaine d’enfants cultive chaque semaine le Jardin de Jules. « Nous avons cherché un projet qui s’ancrerait dans le temps et permettrait de

aux côtés d’un tiers de personnes âgées. Fruit de la concertation entre la ville et les associations d’habitants, le projet répond aux orientations définies dans le plan local de l’habitat et de l’urbanisme : une cité solidaire et durable, qui favorise la mixité sociale et la densité urbaine, tout en sauvegardant le patrimoine. L’émergence de nouveaux lieux d’échanges a aussi guidé l’action de Chambéry et de Dijon, dont les concepts de résidences intergénérationnelles font référence et constituent une alternative à l’installation d’Ehpad. Une mixité qui passe également par la cohabitation entre les étudiants et les personnes âgées. Encore peu développée, la formule se présente pourtant comme l’une des solutions pour lutter contre l’isolement des seniors et les problèmes d’hébergement des jeunes. Le gouvernement souhaite d’ailleurs encourager la démarche en levant les freins juridiques et fiscaux de la formule. « On doit faire évoluer le concept afin qu’il ne soit une source de difficultés pour personne », estime Michèle Delaunay. Car pour la ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, l’approche constitue aussi « un catalyseur de reprise des liens sociaux ».

Ludovic Bellanger


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En bref

Face à la crise, des élus locaux baissent leurs indemnités Symbolique à un an des élections municipales, la mesure est souvent prise par solidarité avec les administrés des communes.

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ette décision a été adoptée à l’unanimité par le Conseil municipal », en « solidarité » avec la population qui « souffre actuellement de la récession économique et du chômage », confie le maire (sans étiquette) de CateauCambrésis, Serge Siméon. Les économies générées par la baisse de 10 % des indemnités des élus de la commune du Nord vont permettre de « refaire une politique de la famille et de solidarité un peu plus accrue qu’elle ne l’est déjà ». Les nouveau-nés recevront ainsi un « cadeau à la naissance » et les

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écoliers passant en sixième une calculatrice scientifique. Une bourse de 100 euros sera allouée aussi aux élèves de terminale souhaitant aller à l’université et la commune participera à l’acquisition d’une licence sportive pour les jeunes de 3 à 18 ans.

Une démarche « d’exemplarité » Déjà dans le Var, les élus de Barjols avaient voté une baisse de 30 % de leurs indemnités en mai dernier. Une mesure destinée à redresser le budget municipal. « On ne peut pas

exiger des services municipaux et des bénévoles de se serrer la ceinture sans nous-mêmes être solidaires. Et montrer l’exemple… On ne fait pas cela pour avoir bonne conscience, on estime juste que tout le monde doit faire des sacrifices », expliquait alors le maire (sans étiquette), Daniel Nironi. Au printemps, la municipalité d’Épinac (Saône-et-Loire) réduisait elle aussi les indemnités de ses élus (- 15 %) pour limiter l’endettement de la commune. Une initiative plus « symbolique » reprise à Chambéry. La Polynésie française a également voté, cet été, un coup de

rabot supplémentaire de 10 % des rémunérations mensuelles versées aux élus de l’Assemblée. La mesure, la troisième de ce type depuis 2004, générera une économie globale évaluée à 73 millions de francs CFP par an (soit 611 740 euros). « Une goutte d’eau par rapport à la trentaine de milliards consacrée chaque année à la rémunération de notre administration », admet Jean Temauri, rapporteur de la délibération. « Mais c’est la démarche d’exemplarité qu’il faut souligner. » L.B.

L’Île-de-France prône la transparence et la proximité avec les citoyens

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l’Hemicycle

ans le contexte de moralisation de la vie publique, « l’ouverture des données publiques est vraiment une démarche saine », estime Eddie Aït, conseiller régional (PRG-MUP) d’Île-de-France à l’origine de la démarche. Il explique : « L’idée était de poser une première pierre dans la modernisation et la simplification de l’action publique, à l’heure où l’acte III de la décentralisation va faire des régions des acteurs centraux. » L’ouverture des données publiques se fera par le biais d’une plateforme hébergée sur le site internet de la région. Les Franciliens pourront accéder aux données publiques permises par la loi : statistiques, données géographiques, listes des élus, rapports votés, marchés publics attribués… La démarche répond à « la mise en place de l’administration numérique. Cet open data induit un schéma directeur des systèmes d’information, dont

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La région francilienne va ouvrir ses données publiques. Elle sera aussi la première à se doter d’un médiateur.

Selon le conseiller régional Eddie Aït, l’idée était de poser une première pierre dans la modernisation et la simplification de l’action publique.

les futures extensions derrière sont des téléprocédures généralisées ». Une transparence accrue, qui prévoit aussi la mise en place d’un médiateur d’ici à la fin de l’année. L’Île-de-France sera « la première région à s’en doter », souligne encore Eddie Aït. Le médiateur

pourra être saisi gratuitement par courrier ou Internet sur les compétences de la région afin de signaler un litige. « Il sera là pour trouver une solution amiable, mieux informer et défendre les droits d’un administré face à la région », précise l’élu. L.B.

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582 ¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle

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ROUBAIX LANCE SON JEU VIDÉO EN LIGNE Deuxième ville la plus jeune de France, Roubaix affirme son positionnement numérique autour d’un running game original. Baptisé « I Love Rbx Game », le jeu met en scène un personnage dans un univers haut en couleur, faisant place à des lieux emblématiques de la ville. Accessible en ligne, l’application se veut simple et ludique, tout en permettant une approche historique et culturelle de Roubaix. L’AÉROPORT DE NICE RÉDUIT LE BRUIT Confronté aux plaintes de ses riverains depuis 2011, l’aéroport de Nice Côte d’Azur va se doter d’ici à un an d’un système d’alimentation électrique. Destiné aux avions d’affaires, il permettra de réduire de 80 à 90 % les nuisances sonores générées pendant leur préparation. L’aéroport de Genève était jusque-là le seul en Europe à utiliser un tel dispositif. Le principe pollueur-payeur a été retenu pour financer le projet, avec la création d’une redevance pour l’utilisation du système qui sera obligatoire. TOULOUSE EXPÉRIMENTE LE CIVISME DÉMATÉRIALISÉ L’application UbiLoop permet aux usagers de déclarer des incidents qui se déroulent sur la voie publique à partir de son smartphone. Le logiciel citoyen expérimenté à Toulouse est un service ouvert, mobile, géolocalisé et mutualisé. Dominique Py, conseillère municipale, précise que « des applications similaires ont déjà été testées à Narbonne et Rennes. Elles n’ont pas supplanté les autres canaux d’information des usagers. » L’initiative vise à faciliter les rapports entre les usagers connectés et les agents des services publics. LE NORD-PAS-DE-CALAIS POUR LE DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS Dans le sillage de Lille et de l’appel lancé par 77 députés, le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais a adopté au printemps une motion soutenant le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales. Présentée à l’initiative du groupe Europe Écologie-Les Verts, la promesse de campagne de François Hollande est déjà une réalité dans 15 des 27 pays de l’UE. L’AQUITAINE ET LES PAYS DE LA LOIRE PLÉBISCITÉS Un habitant sur trois d‘Île-de-France et de Picardie n’est pas satisfait de la région où il vit, selon un sondage BVA. Plus globalement, le quart nord de la France, de la presqu’île du Cotentin à la Lorraine, auquel s’ajoutent la région Centre et le Limousin, révèle un indice de satisfaction inférieur à la moyenne (82 %). En revanche, l’Aquitaine, les Pays de la Loire (93 % de satisfaits dans les deux cas) et la Bretagne (91 %), ex aequo avec l’Alsace, forment le peloton de tête du palmarès de la qualité de vie en région.


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À distance

Les scénarios de la chancelière La victoire annoncée de la CDU aux élections du 22 septembre ne permet pas de savoir avec quelle coalition Angela Merkel gouvernera à Berlin dans une Europe où la France ne peut agir sans l’Allemagne. e l’avis général, la campagne a été molle et terne. L’une des grandes leçons du scrutin de dimanche sera le score des abstentionnistes. Selon un récent sondage, seul un électeur allemand sur deux déclarait s’intéresser « un peu » à cette bataille du Bundestag, qui pourrait donner à la patronne des conservateurs un troisième mandat à la tête de l’Allemagne. Sauf que depuis sa victoire étriquée de 2005, qui l’avait obligée à gouverner avec les sociaux-démocrates du SPD, l’électorat allemand s’est davantage émietté : effondrement des libéraux du FDP (menacés par les sondages de ne pas avoir les 5 % pour entrer au Parlement de Berlin), émergence de l’AFD (un mouvement anti-européen qui a rallié une partie des eurosceptiques de la droite)… Sans compter la surprise,

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dans les récents scrutins locaux et régionaux, du Parti Pirate, une organisation libertaire que la culture internet a popularisé auprès des jeunes et des réfractaires à l’ordre ancien. Si l’on y ajoute des écolos de plus en plus assimilés aux partis traditionnels, tentés d’ailleurs pour certains par une entrée dans une coalition avec la CDU, et Die Linke, à gauche de la gauche, proche des victimes de la crise économique et d’un modèle allemand qui s’essouffle, c’est peu dire que les scénarios qui s’offrent à Angela Merkel sont peu engageants. Certes, le score promis à la CDU est loin d’être déshonorant. Bien au contraire. Qui pourrait se prévaloir, après huit ans au pouvoir, de rallier quatre électeurs sur dix ? Encore faudrait-il trouver le partenaire idéal pour tenir la barre ces

JULIAN STRATENSCHULTE/AFP

Par François Clemenceau

quatre prochaines années. Le FDP ? On resterait dans le classique rassurant. Le SPD ? Ce serait l’assurance de tenir le centre de l’échiquier et les sociaux-démocrates s’y

préparent déjà, quitte à s’y diluer. Les Verts ? Ce serait la grande originalité d’une nouvelle coalition après des années d’expériences locales où CDU et écolos ont pu

travailler ensemble sans déchirements majeurs. Mais comme le soutient Christian Lequesne, directeur du Centre d’études et de recherches internationales, des coalitions classiques « sembleraient préférables à toutes les autres, afin que la première économie européenne puisse elle aussi se réformer et non être l’incessante prisonnière de ce que le politiste allemand Fritz Scharpf a appelé, il y a 20 ans déjà, le “piège de la décision conjointe” ». Surtout dans l’optique où l’autre conjoint de l’Allemagne, la France, ne peut agir seule pour relancer et faire progresser l’intégration économique dont l’Europe a tant besoin… À défaut de toute autre capacité à s’entendre vite et bien – on l’a vu au Mali comme en Syrie – dans les domaines criants de la politique étrangère et de la défense.

« Merkel est le pragmatisme incarné » Michel Meyer, journaliste, écrivain, traducteur de Willy Brandt, auteur du Roman de l’Allemagne, en librairie depuis le 12 septembre aux éditions du Rocher. Questions à

Pourquoi Angela Merkel résiste si bien au temps et aux élections ?

CHRISTOPHE ABRAMOWITZ/RADIO FRANCE

C’est parce qu’elle a été lavée à toutes les eaux de l’idéologie et qu’elle en est revenue. Son père, pasteur, était un compagnon des communistes de RDA, sa mère, davantage proche des sociaux-démocrates, et ellemême, après avoir été chargée de la propagande aux jeunesses communistes, est arrivée à la CDU grâce au hasard et à un peu d’opportunisme. Depuis les manifestations à Berlin-Est à l’automne 1989, auxquelles elle n’a jamais participé (elle était même au sauna le soir de la chute du Mur), elle a cherché sa voie et s’est construite politiquement dans une forme d’insensibilité aux idéologies. Elle n’est pas devenue cynique, mais définitivement pragmatique, ce qui lui vaut le surnom de Mme Téflon : rien ne peut l’atteindre. Si bien qu’elle pourra dès demain bâtir n’importe quelle coalition, à droite comme à gauche ?

MICHEL MEYER

Oui, elle l’a déjà expérimenté une fois avec le SPD (entre 2005 et 2009) et elle est prête à recommencer si ses soutiens traditionnels libéraux

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du FDP ne parviennent pas à atteindre les 5 % qui leur permettent d’entrer au Bundestag. Elle est même prête à gouverner avec Les Verts avec qui elle partage beaucoup de points communs. N’oublions pas que c’est une scientifique de formation à la soviétique. Elle en a gardé une culture de la recherche où l’on procède d’erreurs en erreurs, y compris en politique. C’est ce qui l’a conduit à renoncer au nucléaire après la tragédie de Fukushima. Quitte à ce que, en attendant les énergies renouvelables de demain, l’Allemagne freine le démantèlement des centrales à charbon qui empestent l’air de l’Europe. Pragmatique et tueuse aussi ?

Oui, elle a laminé tous ceux qui émergeaient dans la hiérarchie de la CDU. Elle les a éliminés avant même de tuer Helmut Kohl, qui était aux prises avec un scandale politico-financier à la fin des années 90. Elle a marginalisé les mâles qui voulaient tuer le père pour se construire un espace politique où elle aurait plusieurs années d’avance. Tous ceux qui ont affûté

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leurs poignards à l’époque en sont encore aujourd’hui tétanisés. Quel peut donc être le degré de sincérité chez un tel personnage majeur avec qui la France et l’Europe vont devoir continuer à négocier ?

Pour elle, la sincérité est un luxe. Après la vie qu’elle a menée, elle sait que c’est miraculeux de rester sincère. Sa résilience l’a conduite à un genre de souffrance qui peut rendre l’individu autiste ou à lui faire analyser les choses et prendre des décisions que de façon clinique. C’est son cas. C’est ainsi qu’à deux mois de l’élection elle a décidé une relance de la croissance par la consommation, accompagnée d’une politique familiale très généreuse pour redonner du pouvoir d’achat aux Allemands. Le tout avec une morgue incroyable, ce qui a savonné la planche des sociauxdémocrates. Je pense que François Hollande a déjà dû faire le tour des capacités de manœuvre de la chancelière. Mais ce n’est pas très important. Car de toute façon les marges de manœuvre de nos deux

pays restent étroites et parce que le patronat et les syndicats allemands continueront de convaincre Mme Merkel que le camp de base de l’Europe est indispensable à l’économie allemande. Je pense même que pour la première fois depuis 1971, l’Allemagne a vraiment besoin d’une France forte. Angela Merkel est déjà entrée dans l’histoire ?

Elle n’aurait pas pu rentrer dans l’histoire électorale et politique de son pays si Helmut Kohl, avec la réunification, et Gerhard Schröder, avec l’agenda 2010 de retour à la compétitivité, n’avaient pas abattu l’essentiel du travail. Mais oui, elle restera dans l’histoire comme une Maggie Thatcher, en gouvernant d’une main calme tout en rendant possible la suite de la construction européenne. Mais le tout sans vision. Je pense qu’elle dirait des hommes de vision la même chose que Willy Brandt : « tout homme politique allemand sérieux doit s’abstenir de vision, car le dernier a en avoir eu une, c’était en 1933… »

Propos recueillis par F.C.


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L’admiroir

Marisol Touraine ou le Chili au cœur Par Éric Fottorino

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’engagement ? Il a toujours été là. » Son regard vert brille intensément quand elle rappelle ce qui lui semble une évidence. Toujours ? « J’ai grandi dans une famille engagée, politisée, de gauche », poursuit la ministre des Affaires sociales et de la Santé. « L’attachement partisan n’était pas le sujet. Mon père (le sociologue Alain Touraine) était construit politiquement, de manière rationnelle, avec ses valeurs, ses idées. Rempli du sentiment qu’il fallait s’intéresser moins à soi qu’à la collectivité. Qu’il fallait apporter quelque chose à la société. » Quant à sa mère Adriana, décédée trop tôt, elle en parle avec émotion pour dire ce qui caractérisait cette femme accueillante et lumineuse : « la générosité, l’attention aux autres, la douceur et la gaîté ». Précision capitale : Adriana était née au Chili. Alain Touraine, jeune sociologue parti dans sa jeunesse étudier les conditions des mineurs du cuivre, eut le coup de foudre pour cette étudiante en chirurgie dentaire qui le suivit en France pour l’épouser. Et c’est ainsi que la politique entra chez les Touraine avec un fort accent espagnol, « ma langue maternelle » souffle la ministre avec une nostalgie contenue. La voilà qui cherche la date du jour. Nous sommes le 12 septembre quand elle nous reçoit dans son bureau très clair de l’avenue Duquesne. « Les 40 ans du coup d’État au Chili, c’était hier, le 11 septembre, observe-t-elle. Je veux dire : je m’en souviens comme si c’était vraiment hier. Cette année-là, j’avais passé toutes mes vacances d’été au Chili. J’avais senti les tensions politiques dans la famille de ma mère, entre ceux qui étaient pour Allende et ceux qui souffraient. » À l’écouter raconter ses souvenirs de l’époque, on mesure combien cette « expérience pour le peuple » – la brève parenthèse socialiste au Chili – a déterminé sa construction personnelle. « C’était difficile pour les gens. Il y avait des queues pour s’approvisionner, les transports ne marchaient pas. Les classes moyennes

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soutenaient Allende, la femme de ménage demandait de l’ordre. » Malgré sa jeunesse – elle a alors 14ans –, elle se sent résolument de gauche, transportée par l’enthousiasme lyrique dont sera nimbée la résistance à la junte militaire de Pinochet. Elle frissonne en écoutant les Quilapayun, célèbre groupe chilien, chanter le fameux « el pueblo unido jamas sera vencido »,« le peuple uni jamais ne sera vaincu ». Plus tard, plus âgée, l’émotion qui continue de la submerger sera contrebalancée par un agacement aussi fort. « Le peuple n’était pas uni et il a été vaincu », lance-t-elle à regret, prête à vibrer sans perdre de vue les lendemains qui déchantent. En janvier dernier, Marisol Touraine a été reçue comme ministre par la maire de Santiago, Carolina Toha, dont le père fut assassiné par la junte. « Elle a le courage de dire qu’il ne faut pas être dans la revanche, que la gauche doit dépasser ce qui est arrivé après la fin d’Allende. » Une attitude qui force son respect. Elle avait espacé ses voyages depuis la mort de sa mère. Elle a retrouvé avec émotion cette histoire chilienne à laquelle elle appartient à travers ses parents. Elle le sait à travers la sollicitude de Michèle Bachelet, l’ancienne Présidente, rencontrée à Paris, ou par le geste de Carolina Toha, qui lui a remis une distinction lui signifiant qu’elle est une Chilienne de cœur. « L’été, se souvient encore Mme Touraine, c’était les grandes tables, les gâteaux à la confiture de lait, la musique, les chansons de Violeta Parra (et de citer leurs titres dans un pur espagnol, Gracias a la vida, Volver a los 17…). Quand on revenait, je ne parlais plus français. Les professeurs s’inquiétaient ! » Les congés ne se passaient pas chaque fois au Chili. « On partait en vacances là où la démocratie arrivait », dit-elle gaiement. « Je me souviens qu’en 1974, mon père nous a emmenés au Portugal après la Révolution des œillets. Nous avons assisté à un grand meeting avec Mario Soares puis on a continué à découvrir le pays… »

GARO/AFP

L’engagement n’a jamais été « un sujet » pour Marisol Touraine, c’est une tradition familiale : la brève parenthèse socialiste chilienne a déterminé la construction personnelle de la ministre des Affaires sociales et de la Santé.

Cette année-là, Marisol Touraine est au collège. La maison ne désemplit pas de réfugiés politiques. La porte est toujours ouverte pour la gauche chilienne. La confidence tombe sans détour : « J’ai rarement été seule avec mes parents. »

Sa professeure d’histoire, une communiste, décide d’organiser en classe un débat Mitterrand/ Giscard. Les élèves volontaires devront chacun présenter le programme du candidat qu’ils sont censés défendre. « Je me suis dit :

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je vais faire Giscard pour mieux démonter son argumentaire. Le débat a été biaisé, car de fait, il y eut deux interventions pour Mitterrand. » Mais sa sensibilité remonte plus loin dans le temps, en mai 68, quand elle habite Chatenay-Malabry. Elle voit passer les étudiants et la police sous ses fenêtres. Son père prend fait et cause pour la jeunesse. « Nous étions une famille où la parole des enfants comptait beaucoup. On votait sur tout. À bulletin secret. Pour le choix d’une nouvelle voiture, d’un nouvel appartement. Nous étions une famille féministe aussi. Il nous semblait naturel qu’une femme exerce des responsabilités. » Après un déménagement familial dans Paris, Marisol Touraine essaye d’entrer au Parti socialiste. Elle a 15 ans. « Vous allez vous ennuyer », la décourage un permanent. Message reçu. Elle attendra. Le PS n’est pas un parti de jeunes. Avec un père très « deuxième gauche » (mais jamais encarté), proche de la CFDT, défenseur de la participation et de l’autonomie, c’est assez naturellement que la jeune femme se tournera vers Michel Rocard. « Après mes études, je n’étais pas une militante. Je travaillais sur les questions internationales, les rapports Est-Ouest. Michel Rocard m’a intégrée à ses équipes d’experts puis m’a confié le groupe de travail sur la stratégie. Quand il est devenu Premier ministre, j’ai rejoint son cabinet. » L’ancien locataire de Matignon lui apparaît comme « fondamentalement curieux, à l’affût des innovations et des idées nouvelles, faisant confiance aux jeunes, refusant de s’enfermer dans ses certitudes ». De cet homme « de séduction et de mots, qui croyait aux idées, aux grandes idées », elle retient son esprit visionnaire : « Il a compris que l’opinion n’est pas méprisable. Que tout le monde a le droit de pouvoir s’exprimer, même si toutes les paroles ne se valent pas. » Après son père, qui voulait comprendre – comprendre les autres –, c’est avec Rocard qu’elle a voulu agir. Sa charge au gouvernement ne l’en prive pas…


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Un autre regard CITIZENSIDE/AFP

ose, Marc Minkowski à la direction musicale. Ils s’appuient sur un duo très solide : Yann Beuron, en Admète (on nous avait annoncé Roberto Alagna dans un premier temps) et Sophie Koch en Alceste. Une production très française donc pour un opéra proposé précisément en langue française (il existe une autre version, dix ans auparavant, de Ranieri de Calzabigi, en italien). On sait qu’il n’y a pas dans Alceste les mêmes rebondissements dramatiques que dans Orphée et Euridice, écrit et composé par le même duo, mais Olivier Py a tiré le meilleur parti de la très belle scène de l’Opéra Garnier et de l’opéra de Gluck. Toutes les facettes de la beauté artistique : chant, danse et dessin, y sont présentées dans un très bel écrin.

Chaque semaine, cinq pistes pour s’évader avec Patrick Poivre d’Arvor

UN ESSAI

Une journée, une vie de Marc de Smedt (Albin Michel)

UN FILM Un peu d’optimisme pour bénir les débuts de cette chronique. Il nous est dispensé par Marc de Smedt, tour à tour éditeur, journaliste puis écrivain. On lui doit un Éloge du silence qui avait fait grand bruit, c’était la moindre des choses pour honorer son sujet, puis un autre éloge, celui du Bon sens dans la quête du sens et tout récemment un Petit cahier d’exercices de méditations au quotidien. Avec ce nouveau livre, Une journée, une vie, sous-titré Fragments de sagesse dans un monde fou, il creuse encore une fois le même sillon et l’ensemence de quelques graines qu’il nous appartient de faire pousser à notre tour. L’auteur, sans doute nourri par sa complicité avec son maître bouddhiste Taïsen Deshimaru, nous enseigne que chaque jour est unique et qu’il dépend de nous d’en faire un beau et utile. Tout au long d’une quarantaine de brefs chapitres, il nous livre quelques leçons à méditer. De Sénèque à Bob Dylan, vous allez découvrir quelques vérités bienvenues. Il y a celle de La Rochefoucauld : « La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal » mais aussi celles de Julien Green : « La tyrannie de l’inutile est partout dans notre vie » ou de Paul Éluard : « Vaincre s’appuie sur la fraternité. » Je vous recommande tout particulièrement le dernier chapitre : « Transformer la qualité de chaque journée. » Vous y découvrirez comment chacun de nous peut travailler sur une douzaine de schémas de comportements assez classiques : le cinéma relationnel, la pollution psychique, la conscience égarée, la paresse endémique, le poids de

Jeune et Jolie Nelly Alard. PHOTO MIGUEL MEDINA/AFP notre monde, la concentration perdue, la gentillesse défaillante, la difficulté d’aimer et d’être aimé, le manque de disponibilité, le temps déchiqueté, la respiration bloquée et la sérénité envolée… À vous de choisir et de lire, vous vous en sentirez allégé.

UN ROMAN

Moment d’un couple de Nelly Alard (Gallimard) La rumeur, qui à force de mettre le nez au vent se laisse parfois balayer par Éole, nous informe qu’une lectrice de l’Hémicycle devrait se sentir visée par le beau livre de Nelly Alard, Moment d’un couple. Il s’agirait « d’une élue socialiste de la région parisienne ». Je ne colporte rien, je ne fais que reproduire une minuscule ligne de l’auteur dès la deuxième page. Or le roman en comporte plus de 360… Pourtant, parlementaire ou ministre, fantasme ou réalité, il faut jeter aux orties toutes ces questions périphériques, car elles obscurcissent notre jugement. Car ce qui compte, au-delà de tout, c’est que le livre est réussi. Beaucoup moins boiteux que le couple qu’il décrit. On s’attache évidemment très vite à la détresse de l’héroïne, qui pourrait être l’auteur ou son double. Dès le début du roman, on découvre que son homme, le père de son petit garçon, la trompe. Il est journaliste, pas très fier de lui, plus fragile qu’il n’y paraît s’agissant d’un de nos confrères

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de François Ozon habitués à traiter le cuir des hommes politiques. La narratrice, elle, est sonnée mais digne, presque élégante dans l’épreuve. Nelly Alard, après avoir lu Le Petit Robert, nous apprend que le « moment d’un couple », en physique, « c’est le produit de la distance des deux forces par leur intensité commune ». Et son livre ne manque ni de force, ni d’intensité. Pour la distance, je ne sais pas. L’affaire remonte à 2003… Elle a aussi la bonne idée de mettre son roman sous la protection d’Alfred de Musset et de cet aphorisme qui m’a toujours enchanté dans On ne badine pas avec l’amour : « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »

Mon Dieu ! J’ai oublié le coauteur de cette BD fort réjouissante, Dieu lui-même. C’est fort habile de la part de ce Belge surdoué. Cosigner un livre avec Dieu, ça vous attire de nouveaux fidèles, cela va sans dire, et il n’y a même pas de droits d’auteur à partager, si ce n’est peut être une punition post mortem, à l’heure du jugement dernier. D’ailleurs Philippe Geluck, qui pense à tout et qui est prêt à tout pour promouvoir son livre, accompagne son envoi aux journalistes d’un petit placard très savoureux où sont regroupées quelques indulgences exceptionnelles distribuées par ses soins (et ceux de son coauteur…) : réduction de 20 % des péchés si l’on a juste mentionné la parution de La Bible selon Le Chat ; absolution totale si l’on en a dit le plus grand bien ; mais aussi risque de damnation si l’on en écrit du mal. Comme je n’aime pas trop l’odeur de roussi, j’ai assuré mes arrières…

François Ozon, l’un des metteurs en scène les plus doués de sa génération, (tout comme son pendant féminin, Anne Fontaine) nous raconte l’histoire d’une très jeune fille (Marine Vacth à l’écran), qui décide sans raison apparente de se prostituer à 17 ans. Il parait que le phénomène a pris de l’ampleur chez les étudiantes ces dernières années. Je ne suis pas sûr que cela en dise long sur l’époque,

UN OPÉRA

Alceste UNE BD

La Bible selon Le Chat de Philippe Geluck (Casterman)

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de Gluck (Opéra Garnier, Paris) C’est sans doute le coauteur de Geluck qui m’a inspiré cette douteuse association d’idées avec Gluck. Mais elle me permet de braquer un projecteur sur le tout dernier travail du très fécond Olivier Py (il est déjà en train de répéter Aïda, sa prochaine production prévue celle-là à l’Opéra Bastille). Pour sa mise en scène d’Alceste, il s’est entouré d’une brillante équipe : Pierre-André Weitz pour les décors et les costumes, Bertrand Killy pour les lumières, et bien sûr, au premier chef si l’on

Marine Vacth. PHOTO MARS DISTRIBUTION mais j’aurais aimé que cela nous en dise davantage sur la complexité de l’héroïne, très joliment incarnée par Marine Vacth. C’est un parti pris du réalisateur, qui s’y connaît en psychologie des personnages, mais il nous laisse à distance de son histoire.


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À la tribune

Retraites : un renoncement plutôt qu’une réforme durable ? Par Alain Chrétien, député UMP de la Haute-Saône, Damien

Abad, député de l’Ain, Julien Aubert, député du Vaucluse, Gérald Darmanin, député du Nord et Laurent Marcangeli, député de la Corse du Sud, membres du groupe «Les cadets-Bourbon».

nnoncée le 28 février 2013 à grands renforts médiatiques par la mise en place d’une commission chargée de plancher sur les différentes pistes de réformes possibles, la prochaine réforme des retraites était en fait prévue dès la précédente réforme de 2010, menée par l’ancienne majorité. Un amendement prévoyait en effet une clause de rendez-vous au premier semestre 2013 pour lancer, sous l’égide du comité de pilotage des régimes de retraite, une réflexion nationale sur une réforme systémique des retraites. L’enjeu était la mise en place d’un régime universel par points, moins complexe, plus juste, moins coûteux. Aujourd’hui, nous en sommes loin.

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Une complexité unique au monde Il existe en France 40 caisses de retraite distinctes et une trentaine de régimes distincts. Cette multiplication des caisses engendre des frais de gestion inutiles évalués à six milliards d’euros selon plusieurs estimations. Plus globalement, les méthodes de calcul de la pension de retraite et d’âge de départ sont parmi les plus compliquées au monde. Nous avons un système qui prend en compte trois paramètres : les deux âges légaux (l’âge d’ouverture des droits de 62 ans et l’âge d’annulation de la décote de 65 ans) ainsi que la durée de cotisation (nombre de trimestres validés). À cette complexité, il faut ajouter un manque criant de convergence entre le régime public et le régime privé. Une convergence, dont je regrette que le président de la République rejette le principe alors que le mode de calcul pour la fonction publique se base sur les six derniers mois, tandis que celui des salariés du privé se base sur leurs 25 meilleures années.

Ajoutons l’existence de multiples régimes spéciaux. Le principal régime spécial étant celui applicable aux trois fonctions publiques. Certes, la non-prise en compte des primes pour les fonctionnaires rend les comparaisons difficiles. Néanmoins, les pensions sont proportionnellement plus élevées que celles du privé puisque de fait, le taux de liquidation pour une retraite à taux plein est de 75 % dans le public contre 50 % dans le régime général. En clair, à salaire égal, un fonctionnaire touchera une retraite 25 % plus élevée qu’un salarié du privé. D’autre part, certains régimes spéciaux ouvrent droit à des conditions très avantageuses qui ne semblent plus justifiées. Des métiers ayant autrefois un haut degré de pénibilité ne l’ont plus (cheminots de la SNCF par exemple). L’État dépense près de six milliards d’euros par an pour ces régimes spéciaux. Les cotisations prélevées y sont plus faibles et ouvrent droit à des départs précoces (entre 52 et 57 ans pour certaines professions). Ce qui peut se justifier dans certaines professions, mais les règles doivent être modifiées pour les amener à retravailler dans un autre emploi par la suite. La réforme de 2008 n’a que partiellement fait converger ces régimes sur les règles applicables à la fonction publique. Au sein même du régime général, les règles actuelles créent également un écart croissant entre les monopensionnés et les polypensionnés. Ces derniers y sont perdants, puisque dans leur cas, le calcul des pensions se fait sur la base des 25 meilleures années dans chaque régime plutôt que les 25 meilleures années de l’ensemble de la carrière, comme c’est le cas des monopensionnés. Nous avons donc un système coûteux, dont la complexité engendre des injustices et qui ne répond plus à la problématique démographique. Dans tous les scénarios envisagés par le Conseil d’orientation des retraites, les effectifs de retraités augmenteraient plus rapidement que l’effectif global des cotisants (1,65 cotisant par retraité en 2020 puis 1,35 cotisant par retraité à l’horizon 2060).

Une réforme qui s’engage mal La conférence sociale des 20 et 21 juin n’a pas permis de clarifier les options mises sur la table par le

gouvernement. Très attendues, les conclusions du rapport Moreau, présentées le 14 juin dernier, augurent mal de la réforme qui s’engage. Je rappellerai juste que le besoin de financement est évalué à 20 milliards d’euros d’ici à 2020. Oubliant curieusement ces 20 milliards, le rapport se concentre ainsi sur le seul déficit du régime général du secteur privé (sept milliards d’euros dont cinq milliards pour la Cnav à l’horizon 2020). Où sont passées les prévisions de déficit du régime des fonctionnaires (près de huit milliards d’euros par an à partir de 2020) ?

nales et salariales (+ 0,15 point en 2014 puis 0,05 point en 2015, 2016 et 2017). Or, la hausse des cotisations pour financer les retraites n’est acceptable que si elle est compensée, par exemple en baissant les cotisations familiales dont s’acquittent les entreprises pour financer la sécurité sociale (34 milliards d’euros). Sur ce point, le gouvernement reste flou. Mais au-delà des petits calculs, qui relèvent davantage de la hausse de prélèvement et de transferts de charges non compensés, où sont les mesures d’économie et de convergence ? Faire peser uniquement

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FAIRE PESER UNIQUEMENT SUR LES SALARIÉS ET LES EMPLOYEURS LE COÛT DE LA RÉFORME, SANS COMPENSATION ET SANS ESSAYER DE FAIRE CONVERGER LES RÉGIMES SPÉCIAUX AVEC LE RÉGIME GÉNÉRAL EST INIQUE » Considérer que seul le déficit des régimes de retraite du privé mérite d’être traité relève d’une illusion. Le rapport Moreau préconise ainsi de ne plus revaloriser les salaires anciens pris en compte pour le calcul des retraites. Or cette mesure ne concerne que le secteur privé (25 meilleures années), puisque dans le public, seul le dernier salaire est pris en compte (six derniers mois). Cette mesure a donc une conséquence directe : l’accroissement de l’écart privé-public. Sur le financement, la mise à contribution des retraités en alignant le taux de CSG, qui est de 6,6 %, sur celui des actifs (7,5 %) n’est pas la bonne solution. Une hausse de la CSG n’aurait pas l’efficience budgétaire attendue puisqu’elle ne rapporterait que deux milliards d’euros à l’horizon 2020. Aussi je ne peux que me réjouir que cette piste ait été écartée. Néanmoins, le gouvernement a fait le choix, le 27 août, d’une augmentation des cotisations patro-

sur les salariés et les employeurs le coût de la réforme, sans compensation et sans faire converger les régimes spéciaux avec le régime général me paraît inique.

Une nécessaire refonte du système Le premier principe, c’est de refuser absolument toute hausse des impôts et des charges pour financer le système et penser d’abord à procéder à des économies en repensant l’architecture du système. • En mettant fin à la multiplication des caisses, qui engendre des frais de gestion évalués à six milliards d’euros. Il faudrait une nouvelle architecture en fusionnant progressivement toutes les caisses afin de créer une caisse unique assurant une retraite minimale garantie. Les régimes complémentaires viendraient en appoint. • En créant un fonds de pension à la française géré par le secteur privé

NUMÉRO 467, MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2013 L’HÉMICYCLE

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ou par des organismes agréés par l’État. Ceci peut constituer une autre piste. Il est risqué de créer une caisse de retraite publique exclusivement gérée par l’État. Et les Français pratiquent déjà la retraite par capitalisation. Une simplification des incitations fiscales des dispositifs actuels (Perp et Perco) est possible en créant un dispositif fiscal unique, qui pourrait par exemple consister en une exonération d’un tiers de l’impôt sur le revenu des revenus épargnés, dans le cas où l’argent n’est libéré qu’à la retraite. Cette épargne sera gérée par le secteur privé ou par des organismes agréés par l’État. • En créant un compte retraite à points. Le deuxième principe, c’est agir réellement pour faire converger les régimes du public et du privé. • En désindexant les pensions applicables aux régimes spéciaux et à la fonction publique, de façon à réaliser cinq milliards supplémentaires d’économie à l’horizon 2020. Le troisième principe est qu’il faut repenser la notion d’âge légal de départ à la retraite (âge d’ouverture des droits à 62 ans aujourd’hui et âge de départ à taux plein à 67 ans aujourd’hui). Il n’y a aucune raison d’empêcher les salariés de partir en retraite très jeune ou très âgé, du moment que leur durée de cotisation est atteinte. De plus, un âge légal peut constituer un référentiel discriminatoire, conduisant les entreprises à cesser les efforts de formation envers leurs salariés seniors. Aussi, je m’interroge sur la nécessité de conserver cette notion. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les arbitrages qui seront rendus par le gouvernement. Mais d’emblée, il me vient en tête la déclaration du Premier ministre en juin dernier indiquant son souhait que la prochaine réforme des retraites soit « globale » et « inscrite dans la durée ». Lorsque je vois avec quelle facilité le gouvernement semble vouloir augmenter les cotisations sans même envisager de faire converger le public et le privé et d’assurer plus de justice, il ne me semble pas que cette nouvelle réforme puisse apporter des solutions à long terme. Nous assistons davantage à un renoncement qu’à une réforme durable.



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