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Brice Hortefeux P. 2

Pierre Moscovici P. 3

“Justisse” Le ministre de l’Intérieur pense sans doute avoir une vocation de cinéaste. La mise en scène des arrestations Éditorial d’islamistes radicaux donne à penser Robert Namias qu’il aimerait marcher sur les traces de quelques-uns de nos meilleurs réalisateurs. Mais n’est pas Tavernier ou Maïwenn qui veut. Et le montage de quelques arrestations filmées ces dernières semaines dès potron-minet aux quatre coins de la France ressortait plus du film amateur que du septième art. Quitte à faire du cinéma, autant le faire avec talent ! Dans ce contexte, ces opérations apparaissent pour ce qu’elles sont : des effets de communication qui visent à persuader que, plus que jamais, le gouvernement est décidé à lutter contre toutes les déviances islamistes qui pourraient mettre en danger la sécurité du pays. Mais qui en a douté ? Personne. Pas plus qu’on ne doute qu’un gouvernement de gauche mènerait une lutte tout aussi implacable. Du coup, certains se sont étonné que ces descentes interviennent quelques jours seulement après les tueries de Montauban et de Toulouse, et à trois semaines à peine du premier tour de la présidentielle. Si comme l’affirme le ministre de l’Intérieur les islamistes arrêtés (au son des trompes et discrètement relâchés quelques jours plus tard !) étaient suivis depuis des années, pourquoi s’y intéresser maintenant et pas il y a un mois ou dans un mois ? Pourquoi surtout convoquer les caméras des chaînes de télévision pour filmer dans les brouillards de l’aube ces hypothétiques terroristes le visage caché par un foulard, encadrés par des policiers lourdement armés ? Un communiqué suffisait pour informer les Français. Mais chacun sait qu’un communiqué ne fait pas l’ouverture des 20 heures et encore moins le bonheur des chaînes d’info. Il faut des images qu’on puisse voir et revoir à satiété. D’où ces médiatiques mises en scène auxquelles se plient un peu trop volontiers les chaînes de télévision, complices objectives de ces opérations de communication. « C’est super coco, on a le scoop ! » Un scoop en réalité partagé par tous les médias et intelligemment « vendu » (malgré les dénégations du ministre) par ceux qui pensaient tirer bénéfice de ces gesticulations politico-policières. Du coup le ministre de l’Intérieur ne peut échapper au soupçon d’instrumentalisation pourtant dénoncé par tous au lendemain de l’affaire de Toulouse. Dommage : la lutte antiterroriste, qui requiert l’unité nationale et un véritable consensus populaire, ne devrait autoriser aucune manipulation ni montage. Une chose est sûre en tout cas : les médiocres spectacles auxquels on a assisté ces derniers jours à la télévision ne risquent pas de faire gagner à leurs auteurs un grand prix au festival de Cannes. Laissons le cinéma aux professionnels.

Les régions

L’aménagement urbain entre en gare Si les villes n’ont pas attendu la rénovation des gares centrales pour renouveler leur image, l’émergence d’une nouvelle génération de stations TGV constitue un enjeu de politique urbaine pour les agglomérations en quête d’attractivité. > Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 8 et 9

www.lhemicycle.com

Pour quelle présidence ?

Quel président ? Multiples interventions à la radio et à la télévision, meetings géants sur une plage ou à Paris, les candidats s’affrontent dans la dernière ligne droite par médias et tréteaux interposés pour imprimer un style et une conception du pouvoir tout autant qu’un programme. Lire l’analyse de Brice Teinturier page 5 FRANÇOIS MORI/AFP

Après “Polisse”,

Directeur : Robert Namias

N

icolas Sarkozy a déclaré il y a quelques jours qu’il serait un Président différent. Il répondait sans doute à son challenger François Hollande qui affirme depuis des mois qu’il veut être un Président « normal ». La formule a fait mouche mais a permis à beaucoup d’ironiser sur un Président qui ressemblerait un peu trop au M. Jourdain de Molière. En réalité, derrière cette querelle de mots, il y a la conception que chacun se fait des institutions de la Ve République.

Le Président doit-il être omniprésent, s’occuper de tout et trancher à chaque instant, bref être l’omniprésident du premier quinquennat Sarkozy, ou au contraire définir l’essentiel mais laisser au Premier ministre la direction du quotidien ? Quelle gouvernance pour la France de demain ? Une Ve République qui permet au Président de concentrer l’essentiel du pouvoir ? Une république rénovée et en quelque sorte « reparlementisée » où le partage des rôles entre l’Élysée et Matignon sera précisé et

Et aussi

Hollande, de Sisyphe à Mitterrand FETHI BELAID/AFP

L’HÉMICYCLE

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier

François Mitterrand l’inspire mais de Gaulle, Victor Hugo, Camus ou Delors l’ont marqué et, pour certains, construit. De ces passionnés d’écriture et de politique, François Hollande a retenu la nécessité de la persévérance et la force de l’engagement. Avec une valeur commune à tous : le courage d’une volonté sans faille. > Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 14 et 15

Au sommaire • Des comptes et des rêves par Anita Hausser • Une campagne très mesurée ! par Marc Tronchot > p. 4 • L’île Seguin toujours en vrac par Pierre de Vilno > p. 7

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redéfini ? Ou bien même, comme le souhaitent certains candidats, le glissement vers une VIe République qui redonnerait au gouvernement et aux assemblées la quasi-totalité du pouvoir. Sur cette question, le Président sortant et le candidat socialiste affiche une divergence qui n’est pas que de forme. Et l’après-6 mai sur ce plan encore plus que sur d’autres sera très différent selon que l’un ou l’autre entrera (ou restera) à l’Élysée. Paul Fournier > Lire p. 2 et 3


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Agora

BRICE HORTEFEUX DÉPUTÉ EUROPÉEN, CONSEILLER DE NICOLAS SARKOZY

«

Le fait que Nicolas Sarkozy ne soit plus rééligible lui apportera davantage de sérénité. Sa seule préoccupation sera l’intérêt général puisque la démarche d’ambition personnelle n’a plus de raison d’être »

Pour le conseiller politique de Nicolas Sarkozy, les institutions de la Ve République permettent au Président de choisir un mode de gouvernance qui reflète sa personnalité. Selon Brice Hortefeux il n’existe pas de moule unique. « Je serai un Président différent », déclarait Nicolas Sarkozy à Paris Match, le 29 mars. C’est un mea-culpa ?

Non, c’est une analyse lucide de sa part. Le tempérament de Nicolas Sarkozy restera le même, mais l’expérience de cinq années à la présidence de la République – avec les nombreux défis qu’il a eus à relever et les crises auxquelles notre pays a été confronté – rend forcément un homme différent. L’une des forces de Nicolas Sarkozy est sa très grande expérience de l’État. Vous avez été ministre pendant presque quatre ans d’un hyperprésident (de l’Immigration et de l’Identité nationale, puis des Affaires sociales et enfin de l’Intérieur). Comment cela se passait-il concrètement ?

L’intérêt de l’engagement politique, c’est de faire, de changer les choses, de porter des réformes utiles et de travailler à l’amélioration concrète de la vie quotidienne de nos concitoyens. Ce qui use, en revanche, c’est de commenter l’action des autres. Que changera pour Nicolas Sarkozy, s’il est réélu, l’impossibilité de se représenter une troisième fois, comme il l’a fait inscrire dans la Constitution ?

Cela lui apportera une totale sérénité, comme cela serait le cas pour toute autre personne dans la même

blique en exercice n’a autant partagé le pouvoir. Il a souhaité que la commission des finances de l’Assemblée nationale soit présidée par un député socialiste. Il a demandé à la Cour des comptes d’examiner le budget de l’Élysée, ce que ses prédécesseurs n’avaient jamais fait. Il a nommé un socialiste à la présidence de cette Cour des comptes. Il a aussi nommé un ancien ministre de François Mitterrand parmi les sages du Conseil constitutionnel… Nicolas Sarkozy est un homme de raison et un dirigeant ouvert, comme personne ne l’a jamais été.

Après Nicolas Sarkozy, un chef de l’État pourra-t-il encore se comporter comme, par exemple, Jacques Chirac ?

Chacun peut façonner à sa manière sa présidence dans le cadre

«

NOUS SOMMES ARRIVÉS À UN POINT DE STABILITÉ AU SEIN DE NOS INSTITUTIONS »

situation. La seule et unique préoccupation devient alors, plus que jamais, l’intérêt général puisque la démarche d’ambition personnelle n’a plus de raison d’être. Mais si Nicolas Sarkozy sollicite aujourd’hui un second mandat, c’est avant tout par sens du devoir. La France est plus forte en 2012 qu’en 2007, elle doit l’être encore davantage en 2017. Son action réformatrice mérite d’être poursuivie et amplifiée.

Perd-on de son autorité sous la pression de ceux, de son propre camp, qui veulent prendre votre place ?

Le pouvoir use-t-il plus vite lorsqu’un chef de l’État est ainsi en première ligne ?

Ses opposants disent qu’il se croira encore tout permis…

En rien. Ce qui use et fatigue, c’est d’être dans l’opposition, c’est d’être dans la critique systématique, et non pas dans l’exercice du pouvoir.

Ceux qui prétendent cela n’ont strictement rien compris et ne connaissent pas Nicolas Sarkozy ! Jamais un président de la Répu-

Le passé a montré que le Président pouvait gêner le candidat et que le candidat pouvait gêner le Président… Cette fois, ce n’est absolument pas le cas. Les semaines qui viennent de s’écouler ont

Je ne sais pas ce que signifie « hyperprésident ». J’ai connu, en revanche, un Président qui s’engageait, qui agissait avec détermination et qui était constamment en première ligne. C’est un véritable atout, et en rien un handicap. Dans la pratique quotidienne, cela voulait dire que les choix de Nicolas Sarkozy étaient clairs, ses consignes limpides, et les résultats une exigence.

démontré que Nicolas Sarkozy avait su parfaitement conjuguer les deux. Il a su à la fois gérer avec efficacité et solennité les événements dramatiques de Toulouse et de Montauban en tant que Président de tous les Français et mener une campagne présidentielle qui a su trouver tout son dynamisme et toute sa force.

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Celui qui parviendrait à restreindre la liberté et l’autorité de Nicolas Sarkozy n’est pas encore né ! Je ne crois donc en rien que cela puisse se produire. Quelle est la plus grosse difficulté à laquelle se heurte un Présidentcandidat ?

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des institutions. Chacun y apporte son expérience, sa sensibilité et son caractère. Jacques Chirac l’a fait, à l’évidence, Nicolas Sarkozy pratique différemment. Il n’existe pas de moule unique sous la Ve République. Comment être Président sans ne jamais avoir été ministre ?

C’est extrêmement difficile. Être président de la République nécessite trois qualités, qu’il faut bien prendre en considération : l’expérience, la cohérence et la persévérance. Évidemment, la première de ces qualités, l’expérience, suppose la pratique d’une fonction gouvernementale.

En 2006, François Fillon plaidait pour la disparition du Premier ministre. Six ans plus tard, la question se pose-t-elle toujours ?

Je pense que la manière très efficace avec laquelle François Fillon a exercé pendant cinq ans les fonctions de chef du gouvernement prouve en soi l’importance de cette fonction dans la vie politique française. Selon vous, nous sommes donc toujours dans une Ve République classique ?

Oui. Évidemment, la pratique du pouvoir est plus moderne. Le pouvoir exécutif est également davantage équilibré avec le pouvoir législatif. Nous sommes arrivés, je trouve, à un point de stabilité au sein de nos institutions. Contrairement à d’autres pays, un candidat élu à la fonction suprême prend tout de suite ses fonctions et n’a pas de temps de repos. C’est un manque ?

À titre personnel, je le pense. Cela existe dans d’autres pays, comme aux États-Unis, où le Président est élu en novembre et prête serment en janvier. Cela permet, après une campagne épuisante, de se reposer, de reprendre des forces physiques et de se préparer à la fonction présidentielle, qui est une tâche lourde et exceptionnelle.

Propos recueillis par Ludovic Vigogne Chef du service politique de Paris Match


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Agora

PIERRE MOSCOVICI DÉPUTÉ PS DU DOUBS, DIRECTEUR DE CAMPAGNE DE FRANÇOIS HOLLANDE

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Si François Hollande est élu, il sera un Président proche des gens et attaché à les rassembler. Il faut inventer un nouvel exercice de la fonction présidentielle »

Selon le directeur de campagne du candidat socialiste, le président de la République tel que le conçoit François Hollande devra à la fois rassembler les Français et assurer un rééquilibrage des pouvoirs entre l’Élysée et Matignon. Il n’a pas vocation à se substituer au chef de la majorité parlementaire que doit être naturellement le Premier ministre. Les socialistes ont beaucoup critiqué la pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy. Faut-il revenir à celle de François Mitterrand ou de Jacques Chirac ?

Il faut inventer un exercice de la fonction présidentielle qui soit un quinquennat plein dans un nouvel équilibre démocratique. Nous ne sommes plus dans un septennat, où le Président était à la fois acteur et arbitre, prenant parfois des distances avec le gouvernement, voire en situation de cohabitation. Mais les deux premiers quinquennats ont été manqués. Celui de Jacques Chirac, commencé sur un malentendu, poursuivi sur un faux rythme, terminé par une pantomime. Celui de Nicolas Sarkozy, marqué par une omniprésidence brutale et peu respectueuse des contre-pouvoirs de la République. François Hollande veut être un Président de plein exercice, qui agit dès les premiers jours, vite et fort, d’où la feuille de route que nous avons déjà dévoilée. S’il est élu, il sera un chef de l’État en appui de son gouvernement, sans pour autant se substituer à lui, avec un Premier ministre au rôle effectif, des ministres qui ne soient pas des figurants manipulés par des conseillers mais de véritables responsables politiques, un Parlement respecté. En quoi la démocratie vivrait-elle différemment sous François Hollande que sous Nicolas Sarkozy ?

Il y aura une rupture démocratique radicale, notamment sur deux points. D’abord, la décentralisation :

quand Nicolas Sarkozy transforme les collectivités locales en cibles, en boucs émissaires, François Hollande veut en faire des interlocuteurs respectés, à qui sera accordée une plus grande autonomie fiscale. Ensuite, une démocratie sociale renforcée. Je suis inquiet des mises en cause constantes des « corps intermédiaires » : Nicolas Sarkozy ne cesse d’attaquer les syndicats, les associations, les corps de contrôle, les médias, jamais assez dociles à son goût, alors que nous considérons qu’ils sont le sel de la démocratie.

François Hollande saura exercer une présidence apaisante, rassurante, rassembleuse. Il veut réconcilier les Français.

Quel est le principal reproche que vous faites à la manière dont Nicolas Sarkozy a exercé la fonction présidentielle ?

Le Président est-il un arbitre ?

Pourquoi est-il autant rejeté ? Il y a des facteurs objectifs, bien sûr, les échecs de sa politique, mais il y a aussi des facteurs plus immatériels : songez que jamais, jamais il n’a, comme Président, su, pu ou voulu rassembler les Français. Tous ses prédécesseurs ont été, à un moment ou à un autre, des rassembleurs, de De Gaulle, avec la Constitution de la Ve République ou la fin de la guerre d’Algérie, à Mitterrand, réformateur en France et moteur en Europe, ou à Chirac, avec son refus de la guerre d’Irak, en passant par Pompidou et Giscard. Sarkozy n’a eu aucun geste de rassemblement, il a sans cesse divisé, clivé, opposé les Français entre eux, les Français du privé aux Français du public, les Français aux étrangers, etc. Il crée de la fureur, du bruit, du conflit, même quand ils n’existent pas !

Qu’est-ce que Nicolas Sarkozy a, malgré tout, apporté à la fonction ?

Il a su épouser le rythme du quinquennat, qui impose un Président présent, et non distant. Le chef de l’État doit être l’animateur du pouvoir exécutif. Nicolas Sarkozy a apporté son rythme, sa vitesse, mais il a lui-même perverti cet apport, par sa brutalité et son inconstance.

Il doit être capable d’écouter l’opposition. Il doit même savoir, sur les grands sujets, l’Europe, mais aussi la protection sociale, par exemple, fabriquer du consensus. Mais il doit aussi être pleinement engagé, soutenu par sa majorité. Le Président du XXIe siècle doit-il encore cultiver la rareté, rareté d’expression, rareté d’apparition ?

La rareté, sûrement pas. Les Français attendent du premier des responsables qu’il explique et indique les grandes orientations. Inutile pour autant de tomber dans la frénésie communicationnelle qui a été celle de Nicolas Sarkozy. Quelle place l’émotion doit-elle tenir ?

Le président de la République ne peut, ne doit, ne saurait être un homme insensible. Il ne doit pas pour autant mettre en scène son émotion. François Hollande est proche des gens, qui apprécient son

humanité. Il est simple. Avec lui, pas de bling-bling, pas d’homme enfermé dans sa tour d’ivoire, pas d’ivresse devant les apparats du pouvoir. Ce n’est pas sa marque de fabrique. François Hollande a de la pudeur, il a une certaine réserve, mais il a aussi une vraie sensibilité : il l’a montré lors des tragédies de Montauban et de Toulouse. Il sera toujours lui-même. Le Président doit-il assumer son rôle de chef de la majorité ?

Non, il n’a pas cette vocation. Le chef de la majorité, c’est le Premier ministre. Il y aura une majorité présidentielle, certes, mais ce n’est pas au chef de l’État de diriger un parti, ni même une coalition. Croyez-vous aux cent jours pour un nouveau Président ?

C’est un marqueur symbolique. Tout dépend des périodes dans lesquelles on se trouve. Lionel Jospin avait coutume de dire : il faut démarrer vite et réformer continûment. Un quinquennat, pardon de la tautologie, cela dure cinq ans. Les circonstances sont toutefois particulières : la gauche a quitté le pouvoir depuis dix ans, la droite a beaucoup détruit, il nous faudra restaurer, panser, guérir ; et il y a la crise. C’est pourquoi, entre la mimai et la fin du mois d’août, oui, il faudra un changement rapide et profond. En quoi ne jamais avoir été ministre modifierait la manière de présider de François Hollande ?

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Cela ne pèsera pas vraiment. Les Français ont pu apprécier la solidité, physique et nerveuse, de François Hollande, sa personnalité compacte et constante. Il a l’expérience de l’État. J’ai appartenu au gouvernement de Lionel Jospin et je peux vous dire que de nombreux ministres auraient aimé avoir l’influence de François Hollande, qui était associé étroitement et constamment à l’exercice du pouvoir. Faut-il modifier dans les textes l’étendue du pouvoir présidentiel ?

Non. Mais il faudra retrouver un sens de la morale publique. Pour montrer que le Président est exemplaire, il y aura des gestes concrets. Dès le premier Conseil des ministres sera signé le décret réduisant de 30 % le salaire du Président et des membres du gouvernement. Il s’agira aussi de modifier les textes sur le statut pénal du chef de l’État et sur la Cour de justice de la République. François Hollande sera le premier des Français, mais ce ne sera pas une personnalité juchée sur un piédestal, il sera un Président aux côtés des Français. Un Président normal ?

Un Président qui se rapproche des citoyens, en effet. C’est le sens de sa longue réflexion sur le pouvoir, c’est son tempérament : être à la fois proche des gens et attaché à les rassembler.

Propos recueillis par Éric Mandonnet Rédacteur en chef adjoint de L’Express


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DR

Plan large Au QG de Jean-Luc Mélenchon

Des comptes et des rêves

L’opinion de Marc Tronchot

Alors que les sondages le placent en possible troisième homme, Jean-Luc Une campagne Mélenchon rêve d’un résultat de premier tour qui l’autoriserait à s’imaginer faiseur de roi et pourquoi pas de gouvernement au lendemain du second tour. très mesurée ! Par Anita Hausser aire de Toulouse « une réplique sismique » de la Bastille : l’objectif était clairement affiché depuis le 18 mars, jour de la désormais fameuse marche entre Nation et Bastille organisée par le Front de gauche, qui avait rassemblé près de 120 000 personnes dans les rues de la capitale, venues écouter Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche, et partager son rêve de « révolution citoyenne ». La réplique toulousaine était réussie : entre 50 000 et 70 000 personnes se sont retrouvées jeudi dernier, sur et autour de la place du Capitole, dans un océan de drapeaux rouges et de pancartes aux slogans appelant à « prendre le pouvoir ». La prochaine démonstration aura pour cadre la plage du Prado, à Marseille, le 14 avril, veille des deux meetings parisiens de Nicolas Sarkozy à la Concorde et de François Hollande sur l’esplanade du Château de Vincennes. Jean-Luc Mélenchon, venu se glisser ou plutôt se hisser dans le peloton de tête de la course au « troisième homme », c’est LA surprise de cette présidentielle 2012. Ses succès populaires, sa montée dans les sondages, plongent plus d’un de ses ex-amis socialistes dans une profonde perplexité, et ses alliés du Parti communiste dans une prudente expectative. Et lui-même, l’ancien sénateur de l’Essonne, qui siège aujourd’hui au Parlement européen, n’en espérait sans doute pas tant en octobre dernier lorsqu’il a ouvert « l’Usine », son QG de campagne. Le bâtiment, un entrepôt de 700 m2 loué 10 000 euros par mois,

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est situé dans une petite rue d’un quartier résidentiel des Lilas, aux portes de Paris. Dès le départ, l’équipe Mélenchon a précisé que le bail de cette ancienne usine de chaussures court jusqu’au lendemain du second tour de la présidentielle. Les lieux sont spartiates, les bureaux situés à l’étage sont meublés de bric et de broc, avec du mobilier récupéré ; dans le grand hall, sous la verrière on a aménagé quelques coins avec des canapés

par le MRC de Jean-Pierre Chevènement. Au lendemain de la Bastille, fort du succès de « la marche », ce dernier n’excluait pas la présence de Jean-Luc Mélenchon au deuxième tour, contestant à François Hollande « la capacité de rassembler la gauche », car « un jour il donne un gage à gauche et le lendemain il rassure les marchés ». C’était au moment où le candidat socialiste traversait une période de faux plat. Depuis, Jean-Luc Mélenchon

«

AU SOIR DU PREMIER TOUR ON NE NÉGOCIE PAS, ON SE DÉSISTE POUR UN CANDIDAT ! » Christophe Borgel, secrétaire national du PS

et des fauteuils en carton recyclé. Ce sont surtout des bénévoles qui sont à l’œuvre et tiennent la permanence téléphonique. Et le standing n’a pas évolué malgré l’augmentation du budget, conséquence du succès de la campagne. Si le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, n’est jamais loin du candidat lors de ses prises de parole et dans ses déplacements, les très proches de Jean-Luc Mélenchon sont avant tout son directeur de campagne, François Delapierre, cofondateur du Parti de Gauche, à ses côtés depuis son passage au gouvernement du temps de Lionel Jospin, ainsi que son conseiller spécial Éric Coquerel, également secrétaire national du Parti de gauche, ancien de la LCR passé

n’a cessé de grimper dans les sondages – avec l’aide de Nicolas Sarkozy, insinuent ses détracteurs –, et François Hollande n’a pas baissé. Ce qui fait dire aux responsables socialistes que « la progression de Jean-Luc Mélenchon ne se fait pas au détriment de François Hollande, elle élargit le total des voix de gauche au premier tour ». Ce discours, on ne veut pas l’entendre chez Mélenchon. Cependant au Front de gauche on se targue surtout d’avoir stoppé la progression de Marine Le Pen, avec des paroles fortes sur la souveraineté nationale et des propositions radicales en matière économique, le retour de la retraite à 60 ans pour tous, le Smic à 1 700 euros, mais aussi la confiscation des usines dont les proprié-

Les mots de la semaine

taires délocalisent la production : « Puisque vous voulez fermer, on reprend ; on vous la rachète deux euros ! » a-t-il lancé un jour en recevant les représentants des salariés de Florange, de Gandrange et de la raffinerie Petroplus venus présenter leurs projets respectifs de « reconversion écologique » ! Lorsqu’on examine le potentiel de Jean-Luc Mélenchon, on constate qu’il n’attire pas seulement l’électorat d’extrême gauche, mais qu’il séduit aussi l’électorat écolo, avec sa proposition de « planification écologique » et de référendum sur le nucléaire. Un ancien collaborateur de Lionel Jospin note que « Jean-Luc Mélenchon réussit là où le PS a échoué, à faire le rassemblement de la gauche du PS, tenté au début des années 1990 avec les Assises de la transformation sociale ». Jusqu’où Jean-Luc Mélenchon grimpera-t-il ? Le meeting de Marseille va-t-il booster son score le 22 avril ? Pour l’heure, du côté du PS, c’est la ligne Hollande (« on ne bouge pas ») qui prévaut. Son porte-parole Bruno Le Roux tranche : « La question n’est pas de savoir si demain Jean-Luc Mélenchon sera président de la République. On ne va pas rentrer dans un débat avec lui. Une élection présidentielle ne se fait à la proportionnelle. Si on veut le changement, il faut mettre François Hollande le plus haut possible le 22 avril. » Et Christophe Borgel, secrétaire national du PS aux élections, renchérit : « Au soir du premier tour on ne négocie pas, on se désiste pour un candidat ! » Sans douter un instant de ce que sera l’attitude de Jean-Luc Mélenchon !

Par Béatrice Houchard

Débat, lettre, permis, vague Débattre ou ne pas débattre ? Avant le premier tour, jamais un débat n’a réuni tous les candidats à l’élection présidentielle. France 2 va finalement s’y résoudre mais avec deux fois cinq candidats et pour ce qui sera davantage dix monologues qu’un vrai débat. Nicolas Sarkozy, qui n’en sera pas, propose en revanche deux débats entre les deux tours. On ne connaît pas encore

la réponse de François Hollande. En attendant d’« atomiser » le candidat socialiste, qui envisage lui-même de « taper » le Présidentcandidat, celui-ci adresse une lettre aux Français, Lettre au peuple français. Comme François Mitterrand en 1988, qui avait parlé de « la France unie » dans une Lettre à tous les Français. L’écrit doit être un truc de Président sortant.

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L’un des deux débats proposés par Nicolas Sarkozy pourrait-il permettre de parler enfin de politique étrangère ? La paix au Proche-Orient, la situation en Irak, la poudrière iranienne ou les missiles nord-coréens sont désespérément absents de la campagne. Dans la dernière ligne droite en revanche, les sujets de vie quotidienne reviennent en force et le permis de

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conduire est en passe de devenir un enjeu de campagne, Nicolas Sarkozy et François Hollande rivalisant d’imagination pour permettre aux jeunes de le passer plus vite et pour moins cher. À moins de deux semaines du verdict électoral, François Hollande assure que « rien n’est acquis ». Et Nicolas Sarkozy confie au JDD qu’il « sent monter la vague »…

Le mieux est l’ennemi du bien. Il peut également se rendre complice de l’absurde. La mesure des temps de parole des candidats pendant la campagne présidentielle en fournit un exemple d’autant plus parfait que les médias audiovisuels sont supposés, depuis lundi, équilibrer le temps de parole… par tranche horaire. Toujours plus fort. Ce qui va compliquer encore davantage pour les quinze jours qui nous séparent du premier tour le travail de tout l’audiovisuel français, déjà en proie à un casse-tête quotidien dont l’information, stérilisée par cette quête permanente d’équilibre, ne sort pas gagnante. Pour preuve, des scènes aussi ridicules que cocasses : tel candidat entendu 5 secondes dans un reportage, tel autre coupé au milieu d’une phrase par un « gong » retentissant au milieu d’une émission, ou le meeting soporifique d’un troisième diffusé en pleine nuit. Pas question de faire ici le procès du CSA. Le Conseil ne fait qu’appliquer la loi. On peut juste s’interroger sur le fait qu’une institution respectable en soit réduite au simple rôle d’exécutant d’un mauvais système alors qu’elle devrait être théoriquement l’inspiratrice d’un bon. Ou d’un meilleur. Quand un système frôle la caricature il faut s’interroger sur sa valeur. Tout devrait être surtout remis à sa place. Car le fantasme de la presse qui fait et défait une élection est une insulte aussi bien au libre arbitre des électeurs qu’aux talents des candidats. Et la bonne ou mauvaise fortune de ces derniers a tout à voir avec l’état d’esprit des Français, leurs attentes, leurs inquiétudes, et peu avec les médias. Arthaud n’a pas réussi à faire oublier Laguiller, Mélenchon a su non sans talent occuper un créneau vacant, Bayrou peine à convaincre, Hollande gère sa position de favori en bon père de famille, Sarkozy joue sur les deux fronts du candidat et du Président, avantage non mesuré celui-là, Marine Le Pen subit la campagne plus qu’elle ne l’imprime, Joly fait du surplace, Cheminade est toujours proche du zéro, Dupont-Aignan occupe les péages d’autoroute, Poutou reste un gentil garçon et les médias n’y sont pour rien. Et ce n’est pas en obligeant la presse audiovisuelle à troquer ses micros pour des compteurs qu’on y changera quoi que ce soit… Qui disait : « Le désir du privilège et le goût de l’égalité sont les passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque » ? Le général de Gaulle. Bien vu.


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Analyse

Un tour et puis s’en vont… mais où ? François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen. Trois candidats qui, à dix jours du premier tour, ne semblent pas en situation d’être qualifiés pour le second tour. Mais trois candidats qui vont néanmoins peser de tout leur poids sur le résultat du 22 avril, et sans doute préfigurer celui du 6 mai. Par Brice Teinturier

François Bayrou François Bayrou tout d’abord. Le leader du MoDem est en grande difficulté et pourrait être relégué à la 5e place. Pire encore, il se bat actuellement pour conserver un score à deux chiffres avec des enquêtes actuelles qui le situent à 9,5 % ou 10 % des intentions de vote. Rarement on aura vu une telle distorsion entre une popularité parmi les plus élevées de toutes les personnalités politiques (56 % de jugements favorables dans le baromètre Ipsos-Le Point, à un point seulement du numéro 1, François Hollande) et le vote. De plus, pour 60 % des Français, le projet de

A fortiori quand le leader du PS est sur un positionnement de « gauche raisonnable » : cela ouvre un espace à Jean-Luc Mélenchon mais le ferme à François Bayrou. Si l’on y ajoute le sentiment donné de ne pas avoir une majorité politique évidente pour gouverner, mais une majorité à construire, et celui d’une faiblesse au niveau des personnalités et des équipes soutenant François Bayrou, on comprend mieux l’apparent paradoxe entre la popularité et le vote. D’où également des matrices de report de l’électorat Bayrou aujourd’hui équilibrées pour le second tour ou à peine plus favorables pour François Hollande. Les 10 % d’électeurs potentiels actuels

Des militants du MoDem sur l’île de La Réunion, où François Bayrou s’est rendu les 7 et 8 avril. PHOTO RICHARD BOUHET/AFP

François Bayrou est « souhaitable », 32 % considérant qu’il est « souhaitable et réaliste » et 28 % « souhaitable mais pas réaliste ». Or, ces chiffres figurent parmi les meilleurs. En effet, avec 51 % de « souhaitable », le projet de Nicolas Sarkozy est, par exemple, en retrait de neuf points par rapport à celui du leader du MoDem et de deux points sur le réalisme (30 % contre 32 %). Quand aussi bien l’homme que le projet suscitent des niveaux élevés d’adhésion et que le vote ne suit pas, il faut en tirer la conclusion : c’est le positionnement adopté par François Bayrou qui constitue sa faille principale. On ne peut espérer renverser la table en luttant à la fois contre deux familles politiques fortement ancrées, la droite et la gauche, toutes deux incarnées par deux candidats crédibles.

de François Bayrou constituent le cœur de l’électorat centriste et il n’y a pas de raison majeure que son tropisme bascule fortement en faveur de l’un ou l’autre des candidats de la gauche et de la droite.

Jean-Luc Mélenchon Jean-Luc Mélenchon est incontestablement le phénomène de cette campagne électorale et le plus difficile à cerner quant à son point d’arrivée. En effet, il détient tous les attributs de la dynamique et, en ce sens, pourrait parfaitement dépasser les 15 %. Son projet apparaît « souhaitable » pour 54 % des Français et il est perçu comme « souhaitable et réaliste » par 70 % de ses propres électeurs potentiels. Plus le niveau de diplôme des

interviewés monte et plus le vote Mélenchon s’affirme, contrairement, par exemple, au vote FN. Le vote Mélenchon est ainsi davantage un vote de professions intermédiaires et de cadres que d’ouvriers, même si ces derniers ont commencé à le rejoindre. Il comporte néanmoins des fragilités. Ainsi, 49 % des électeurs de JeanLuc Mélenchon indiquent en second choix François Hollande, tandis que 39 % des électeurs de François Hollande indiquent, toujours en second choix, Jean-Luc Mélenchon. Le potentiel de baisse est donc plus élevé chez l’un que chez l’autre. De même, 27 % des électeurs du leader du Front de gauche déclarent que son projet, tout en étant « souhaitable », n’est pas « réaliste ». Ils ne sont que 16 % des électeurs de François Hollande à penser de même s’agissant du candidat du PS. Si vote utile il y a, il devrait donc profiter à François Hollande. Toutefois, rien ne dit que ce mécanisme jouera beaucoup, tant les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, au-delà de l’adhésion qu’ils portent à leur candidat, estiment que leur vote est utile pour influencer à gauche la ligne de François Hollande. Deux légitimités du vote utile s’affrontent donc et tant que François Hollande n’apparaît pas directement menacé par Nicolas Sarkozy, nul ne peut prédire ce qui se produira. Or, du niveau de Jean-Luc Mélenchon dépend aussi, partiellement, celui du bloc de gauche et, plus encore, l’écart entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. L’écart peut-être grand sans grandes conséquences pour François Hollande, si le bloc de gauche, actuellement autour de 45 %, reste à ce niveau. Il peut également être modéré ou nul si François Hollande reprend un ou deux points à JeanLuc Mélenchon. La symbolique et l’arithmétique du premier tour dépendent donc en partie de la fluidité à gauche, du niveau du Front de gauche et de sa réelle capacité ou non à pousser l’ensemble du bloc de gauche à la hausse. Au second tour en

Jean-Luc Mélenchon, à Toulouse, le 5 avril. PHOTO ÉRIC CABANIS/AFP revanche, les dynamiques semblent plus stables et les matrices de report des électeurs de Jean-Luc Mélenchon restent massivement favorables à François Hollande, autour de 80 %.

Marine Le Pen Marine Le Pen enfin constitue la troisième inconnue et l’autre clé du premier tour. Actuellement à 15 % environ dans les intentions de vote, elle reste difficile à appréhender. Les enquêtes en ligne, par questionnaires auto-administrés

et sans l’interface d’un enquêteur, la situent plutôt à 16 % ou 17 %. Certaines enquêtes par téléphone à 13,5 %. L’écart est donc important et la mesure difficile. Après avoir connu un réel tassement, elle semble, depuis les événements de Toulouse, progresser, quel que soit le mode de recueil utilisé. Son niveau est déterminant pour Nicolas Sarkozy et donc également pour l’écart qui pourrait le séparer de François Hollande. Sans un effondrement de Marine Le Pen à 13 % ou moins, Nicolas Sarkozy devrait avoir du mal, sauf abstention différentielle marquée, à passer la barre des 31 % et à créer une véritable dynamique pour le second tour. Enfin, les matrices de report des électeurs de Marine Le Pen se sont améliorées pour le Président sortant et sont actuellement de l’ordre de 50 % mais ce chiffre, conforme à ce qu’obtenait classiquement un candidat de la droite parlementaire, reste très en deçà des reports de 2007, plus proches de 65 %. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont donc bien des cailloux dans la chaussure de Nicolas Sarkozy et de François Hollande et constituent la grande inconnue de ce premier tour, toujours marqué par une volatilité extrême au sein des familles politiques. François Bayrou quant à lui joue non seulement son avenir politique, mais aussi celui d’une famille qui voudrait s’affranchir du clivage gauche droite. Le 22 avril sera donc porteur, n’en doutons pas, d’enseignements lourds pour l’avenir et pas seulement pour le second tour.

Marine Le Pen, au Tréport, le 4 avril. PHOTO CHARLY TRIBALLEAU/AFP

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Plan large

Cahiers de campagne Par Michèle Cotta Lundi 2 avril Il est loin le temps où les leaders des centrales ouvrières se déclaraient en privé séduits par le nouveau Président. C’était l’été 2007, Nicolas Sarkozy découvrait Bernard Thibault et François Chérèque, que lui présentait son conseiller social, Raymond Soubie ; on parlait

Le marathon commence avant 8 heures, à RTL, chez Apathie. Après tant de meetings, sa voix est presque sourde, mais il ne paraît pas aussi fatigué qu’on le dit. Pas de mesure nouvelle dans ce qu’il dit, mais une volonté de prendre date. En sept minutes, il évoque ses trois principes : clarté, cohérence

Bernard Thibault. Le secrétaire général de la CGT et Nicolas Sarkozy sont désormais en conflit ouvert. PHOTO RAYMOND ROIG/AFP

de rencontres plutôt amicales, ouvertes en tout cas. Le langage, cinq ans plus tard, a changé. Bernard Thibault d’abord, puis François Chérèque, épargné au début, sont dans le collimateur du Président sortant. Pourquoi ? Parce que selon Sarkozy, ils feraient partie de ces corps intermédiaires qui bloquent toute évolution et s’arc-boutent sur des revendications périmées. C’est que la réforme du régime général des retraites est passée par là, en 2010 : manifestations répétées et foules nombreuses n’y ont rien fait. Sur l’âge de la retraite et les annuités nécessaires, Nicolas Sarkozy est passé en force. Il faut dire que, la crise aidant, il n’avait guère le choix. Et puis, il y a eu, le 16 mars dernier, une délégation d’ouvriers d’ArcelorMittal se heurtant aux gendarmes mobiles, à deux pas du QG de Nicolas Sarkozy, et l’appel de la CGT, inédit, à voter contre le Président sortant. Aujourd’hui, le Président dénonce la politisation des syndicats : le candidat y trouve son compte. Il sait qu’à droite une grande partie de son électorat est depuis longtemps convaincue que les syndicats ne seraient que nuisance et embrigadement politique.

Mercredi 4 avril Aujourd’hui, journée François Hollande. Celui-ci a révélé dans la nuit sa décision de rendre public, dans la matinée, le calendrier de ses premières semaines à l’Élysée, s’il est élu. Une façon de devancer l’annonce du programme de Nicolas Sarkozy, prévue pour demain.

et rapidité. Il parle exemplarité à la tête de l’État, pouvoir d’achat, emplois d’avenir, contrats nouvelle génération, mais aussi rétablissement des finances publiques, équilibre des comptes à la fin de 2017, réforme fiscale et réforme bancaire. Tout cela en maintenant la règle des 75 % d’impôts au-delà du million de revenus qui a fait tant de bruit. A-t-il vraiment dit qu’il allait « taper » Sarkozy ? Hollande, que son rival a traité, quoiqu’il s’en défende, à deux reprises de « nul », réplique vertement : que l’on n’attende pas de lui des excuses. Suite du marathon : conférence de presse au QG du candidat socialiste. Le calendrier des 100 premiers jours a été préparé par Laurent Fabius (tiens tiens, un ex-futur Premier ministre ?). François Hollande le présente, comme il l’a fait à RTL, sans donner de grande précision, autre que la réforme fiscale, sur son financement. La droite parle de « projet totalement irresponsable », le Front de gauche estime que le candidat socialiste devrait aller « plus loin ». Normal. Le soir, rendez-vous entre « ex » à Rennes. Ségolène Royal et François Hollande font recette : dix mille personnes à l’intérieur de la salle, militants massés à l’extérieur, acclamations de la candidate de 2007, qui ne mesure pas son engagement derrière lui aujourd’hui. Le passage de relais, à la tribune entre Ségolène et François, est amical, mais rapide : manifestement, Hollande, craignant de s’en voir faire le reproche, n’a pas voulu

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donner un tour romantique aux retrouvailles. En revanche, sur le terrain politique, il est, dans son long discours (une heure vingt), beaucoup plus offensif (« Enfin ! », disent certains de ses amis) à l’égard du Président sortant, avec quelques formules caustiques, qui mettent l’assistance en joie. Un bémol pourtant, à la fin du discours : « Nous n’y sommes pas… » : appel aux Français pour voter utile dès le premier tour, à un moment où les sondages sur leur participation au scrutin sont alarmants, qui s’adresse aussi aux socialistes qui seraient tentés de voter Mélenchon au premier tour. Ni abstention, donc, ni dispersion.

Jeudi 5 avril Après la journée Hollande, la journée Sarkozy. Le candidat-Président ou le Président-candidat, comme on voudra, présente à son tour, sur les coups de midi dans un hôtel parisien, son programme. À vrai dire, comme dans le calendrier de François Hollande, tant de mesures ayant été annoncées d’un meeting à l’autre, que le sentiment de nouveauté n’est pas ce qui prédomine, parmi les 32 propositions de Nicolas Sarkozy, à l’exception peut-être de l’annonce du gel du budget communautaire européen. Ce qui domine, en revanche, y compris dans la lettre de 34 pages qu’il adressera aux Français, c’est une stratégie. Désormais candidat du peuple contre les élites (« J’ai changé »), il envisage des mesures concrètes prêtes à séduire l’électorat populaire : réforme du permis de conduire, création d’un chèque essence, sur le modèle du ticket restaurant, financée par les entreprises et l’État. Et surtout l’annonce faite aux retraités de toucher leur pension le 1er du mois et non pas le 8.

Deuxième axe de sa contreattaque : Nicolas Sarkozy lutte désormais, pour assurer sa place de premier au premier tour, sur deux fronts. Aux électeurs du Front national, il répète à l’envi sa volonté de réduire de moitié le nombre d’étrangers accueillis légalement en France. Il rappelle sa volonté d’organiser un référendum sur le chômage et l’immigration. Il parle d’islam radical plus que d’islam modéré, la tuerie de Toulouse restant présente dans tous les esprits. Aux électeurs centristes, il plaide la nécessité de la rigueur, le retour à l’équilibre budgétaire en 2016, et présente un chiffrage détaillé des mesures qu’il présente et des économies qu’il compte réaliser. Même si les chiffres comme d’habitude peuvent être critiqués, elles ont le mérite d’exister.

Vendredi 6 avril De bon matin, à la radio, Nicolas Sarkozy repart dans ses attaques des militants syndicalistes d’ArcelorMittal, « qui ont trahi les salariés », sur la CGT, qui a appelé à voter contre le Président sortant, sur François Chérèque, de la CFDT, qui a jugé « dangereuses pour la démocratie les attaques du chef de l’État contre ses militants ». Le soir, c’est à l’électorat centriste qu’il s’adresse une fois de plus, depuis Caen, en faisant de François Hollande « l’otage », au second tour, du diable Mélenchon. Lequel a encore fait la veille un coup d’éclat à Toulouse en réunissant plus de 50 000 personnes enthousiastes place du Capitole. Il n’y a pas à dire, la vedette de cette campagne c’est lui, avec ses accents populo, sa culture de gauche et, surtout, les rêves dont il se fait l’écho. Pendant ce temps-là, François Hollande se promène dans les quartiers

populaires de Vaulx-en-Velin, qui vit, il y a vingt ans, les premières émeutes urbaines, et annonce pour le lendemain une visite en banlieue parisienne, dont la difficile SeineSaint-Denis. Côté positif : le candidat socialiste peut se promener en banlieue, ce qui reste plus difficile pour Nicolas Sarkozy. Côté négatif : on risque de lui parler davantage de son concurrent de gauche JeanLuc Mélenchon, qui devient, il n’a pas besoin que Nicolas Sarkozy le rappelle pour le savoir, un candidat presque encombrant : avec ses références permanentes à la révolution citoyenne, il ne rate pas une occasion d’effrayer les centristes dont il n’a que faire, contrairement à François Hollande, qui aura besoin d’une partie d’entre eux pour être élu au deuxième tour.

Dimanche 8 avril « Idiot triplement utile » : c’est ainsi que Marine Le Pen a traité Mélenchon, utile à la fois à François Hollande, « parce qu’il permet de se défouler au premier tour, utile à Nicolas Sarkozy, parce qu’il affaiblit Hollande au premier tour ». On le voit : la candidate qui se voulait antisystème s’est fait doubler par Jean-Luc Mélenchon. Derrière la compétition Sarkozy-Hollande, s’en déroule en effet une autre : celle à laquelle se livrent autour de l’électorat populaire Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Le « triple idiot » se fixe en effet comme but principal, il l’a dit à BFM aujourd’hui, de devancer Marine Le Pen au premier tour. Quant à Nicolas Sarkozy, requinqué par les sondages, il s’en donne à cœur joie dans le JDD : un coup à droite, contre le FN, un coup à gauche contre Mélenchon et Hollande. Il a choisi la stratégie du grand écart. Difficile, mais il n’a peur de rien.

Les ouvriers d’ArcelorMittal manifestaient au pied de la tour Eiffel le 6 avril. PHOTO KENZO TRIBOUILLARD/AFP

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Aménagement du territoire

Politique et architecture

L’île Seguin ou l’aménagement impossible Quinze ans après les premiers projets, l’aménagement de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, continue de provoquer polémiques et tensions politiques. Sous la pression d’associations locales, le maire UMP a dû demander à l’architecte Jean Nouvel de revoir sa copie à la baisse. L’ancien site des usines Renault reste un chantier à ciel ouvert qui n’a toujours pas trouvé de finalité. e sujet est digne d’une tragédie grecque, avec dans le rôle d’Électre : l’île Seguin. Abandonnée par la Régie Renault, elle a longtemps cherché le renouveau et surtout a raté le coche, lorsqu’en 1999, François Pinault proposait d’y construire un étincelant musée d’art contemporain. L’homme d’affaires, l’un des plus grands collectionneurs au monde, a – on le sait – fini par fuir les démêlés administratifs pour ouvrir un haut lieu d’art à Venise. Et depuis ce départ précipité en 2005, l’Île Seguin attend sa vengeance. Depuis cette époque, le terrain reste vacant, et l’architecte Jean Nouvel (prix Pritzker 2008) en est désormais le grand chambellan. En parfait Oreste, il a promis d’y bâtir une « Babylone moderne », un lieu d’espaces verts, de culture et d’animation. « Une petite ville dans

cise le maire de Boulogne, « si l’on veut tenir l’équilibre économique. » Aujourd’hui, la mairie de Boulogne reste floue. Le projet d’aménagement de l’île Seguin, nous dit-on, comprendra un pôle musique, un pôle art contemporain, une cité du cirque, une résidence d’artistes et de chercheurs, sans compter une multitude d’espaces verts. Aucune autre information. Idem aux

JACQUES DEMARTHON/AFP

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atteignant 160 m. Autre chiffre : le prédécesseur du maire actuel, Jean-Pierre Fourcade, avait envisagé le chiffre de 175 000 m2 constructibles, alors que PierreChristophe Baguet est allé jusqu’à avancer celui de 337 000, ce qui n’a bien sûr pas manqué d’attirer, une nouvelle fois, les foudres des associations locales. Pire, cela a entraîné une scission au sein de la majorité municipale. Le colistier de Pierre-Christophe Baguet en 2008, Thierry Solère, a démissionné en reprochant au maire d’avoir trahi ses engagements. Pour sa défense, M. Baguet a expliqué qu’il appliquait les projets du Grand Paris décidés par Nicolas Sarkozy et portés dans les Hauts-de-Seine par le patron du département, Patrick Devedjian. À la fin de l’année 2011, sans doute soucieux des législatives à venir, le maire de

Pierre-Christophe Baguet, entre Patrick Devedjian et Jean Nouvel. Le maire de Boulogne-Billancourt tente de gérer le dossier de l’île Seguin qui se révèle depuis quinze ans… ingérable.

la ville », imaginait son créateur, par l’intermédiaire de David Fagart, des Ateliers Jean Nouvel, qui n’hésitait pas à parler d’une « île Saint-Louis du XXIe siècle ». Mais le génie a dû faire face – et il continue – à de nouvelles guerres de Troie. Principaux protagonistes : les riverains. Craignant une « Défense bis », l’association Sauvons l’île Seguin, parmi d’autres, a brandi son étendard, et a fini par faire capituler le maire UMP, PierreChristophe Baguet. Jusqu’en 2011, on parlait en effet de cinq gigantesques tours de plus de cent mètres de hauteur, la plus haute

Boulogne a finalement cédé devant les associations locales de défense de l’environnement (qu’il aurait même qualifiées de « soviets ») et abandonné l’idée des cinq tours. « Dès qu’un immeuble est un peu plus haut, un peu plus dense, on flingue », a expliqué Jean Nouvel sur France Inter. Récemment, PierreChristophe Baguet confessait à nos confrères du Figaro Magazine : « J’ai entendu les Boulonnais. » Dans cette allocution aux tonalités gaulliennes, il fit revoir la copie à Jean Nouvel. Autre certitude : on table désormais sur 250 000 m2 constructibles. « Le minimum », pré-

mais avec une île Seguin totalement vide, comme il y a vingt ans, lors de la destruction des usines Renault. Un signe ? S’il y en a un, c’est sans doute celui – une fois de plus – de la malédiction de ce lieu qui, depuis deux décennies, n’offre aucun espoir de réhabilitation, qu’elle soit économique, culturelle, écologique ou mieux : les trois réunis ! Pierre de Vilno

ateliers Jean Nouvel, où on nous dit que l’on est « entre deux phases », ce qui explique que personne ne peut fournir de visuels. Mieux : lors du prestigieux Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier), qui s’est tenu à Cannes début mars, la ville de Boulogne présentait une maquette insistant sur les futurs nouveaux quartiers Trapèze-Rives de Seine,

20 MINUTES, LE QUOTIDIEN LE PLUS LU EN FRANCE 20 MINUTES

METRO DIRECT MATIN LE PARISIEN AEF L’ÉQUIPE LE MONDE LE FIGARO LIBÉRATION LES ÉCHOS LA CROIX L’HUMANITÉ

4 280 00O LECTEURS

3 019 000 2 694 000 2 443 000 2 199 000 1 961 000 1 191 000 961 000 468 000 397 000 281 000

Source : Etude d’audience AudiPresse/One 2011 (cible Ensemble LNM)

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Initiatives

L’aménagement urbain entre en gare Si les villes n’ont pas attendu la rénovation des gares centrales pour renouveler leur image, l’émergence d’une nouvelle génération de stations TGV constitue un enjeu de politique urbaine pour les agglomérations en quête d’attractivité. lors que le financement des futures lignes à grande vitesse (LGV) fait débat en régions (lire encadré), au cœur de la capitale, Saint-Lazare – la plus ancienne des gares françaises, inaugurée en 1837 – illustre à présent la nouvelle génération des gares du XXIe siècle. « Quand les premières gares se sont créées, la ville n’avait guère changé depuis des centaines d’années et l’on y circulait toujours à pied et à cheval », rappelle l’architecte Étienne Tricaud. Il observe encore: « À l’arrivée des nouveaux modes de transport [tramways, automobiles, bicyclettes, métros…], on a greffé ces tuyaux sans repenser l’espace du piéton autour de ces nouvelles mobilités. » Car force est de constater que les gares héritées du XIXe siècle n’intéressaient plus grand monde. « Il a fallu l’arrivée des TGV pour qu’elles reviennent sur le devant de la scène. » Au cours des dix prochaines années, la SNCF prévoit ainsi d’investir dans leur rénovation entre 300 et 600 millions d’euros par an. « C’est un effort considérable : 4,2 à 5,4 milliards d’euros sont nécessaires d’ici à 2020 », estime dans son rapport Fabienne Keller. La sénatrice (UMP) du Bas-Rhin de pointer le piètre état des grandes gares, qui « ont subi le même sousinvestissement que le réseau dans les décennies d’après-guerre ». Inadaptées aux deux milliards de voyageurs annuels, les gares centrales jouent à présent la carte

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La nouvelle gare Saint-Lazare, inaugurée le 21 mars. La célèbre salle des pas perdus a été restructurée sur deux niveaux et transformée en galerie marchande. PHOTO ÉRIC PIERMONT/AFP

d’un aménagement contemporain, lumineux et clair, le label HQE en plus comme à Belfort. Elles élargissent également leurs plages horaires, et conjuguent leurs espaces aux nouveaux besoins des utilisateurs, en intégrant connexion Wi-Fi et prises électriques dans les salles d’attente. Agencés pour faire face aux flux de voyageurs et leur permettre des achats rapides, les halls de gare se muent en galerie commerciale à l’image de la nouvelle gare Saint-Lazare. Pour les stations plus petites (1 à 3 millions de voya-

geurs annuels), des « boutiques du quotidien » seront déployées dans vingt-huit villes, offrant des produits de première nécessité. Quatre sites pilotes existent déjà à Amiens, Thionville, Chartres et Strasbourg. Et les services se multiplient, comme les laboratoires d’analyses médicales à Marseille, ou les centres d’affaires réservés à une clientèle professionnelle. D’ici la fin de l’année, Le Mans inaugurera le premier d’entre eux. Attendu à Paris, Bordeaux et Lille d’ici 2014, le concept permettra de louer un bureau à l’heure ou à la journée, et d’y organiser ses réunions. Cofinancées par les collectivités locales, les gares sont appelées à devenir un espace citoyen au cœur de la ville. Dès lors, Réseau ferré de France (RFF) et Gares & Connexions – la nouvelle branche de la SNCF dédiée à la gestion et au développement des 3 000 gares françaises depuis 2009 – s’attachent à coproduire des services d’intérêt général. Roanne dispose ainsi d’une halte-garderie, tandis qu’une agence Pôle emploi s’est installée en gare de Dreux.

Une charte entre la SNCF et les maires de France Fabienne Keller. La sénatrice UMP du Bas-Rhin est l’auteur d’un rapport indiquant que près de 5 milliards seront investis d’ici 2020 dans l’aménagement des nouvelles gares. PHOTO FREDERICK FLORIN/AFP

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Avec près de 800 projets de réaménagement, les quartiers des gares redeviennent des axes du dévelop-

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pement urbain, à l’image de Toulouse et de Bordeaux (lire encadré). Au cœur de Nice, la gare est devenue un maillon essentiel de la rénovation engagée par la ville. Le futur Pôle d’échanges multimodal de Nice-Thiers est conçu comme une vaste plate-forme d’interconnexion entre les différents modes de transport, en même temps qu’un espace de vie et de service en centreville. Même tendance à Cannes, où les conseils régionaux et généraux ont fait de la requalification de la gare et de ses abords une priorité. Afin de favoriser la coopération entre les opérateurs ferroviaires et les acteurs locaux, l’Association des maires de France (AMF), Gares & Connexions et RFF ont signé une charte destinée à faciliter les projets associant aménagement urbain et mobilité durables. Le programme, intitulé Construire ensemble la gare durable de demain et son quartier, marque la « volonté d’optimiser l’offre ferroviaire, de moderniser les gares et de réhabiliter les quartiers environnants, tout en respectant les contraintes économiques et réglementaires de chacun des partenaires », soulignent ses signataires, parmi lesquels Jacques Pélissard, président de l’AMF et maire (UMP) de Lonsle-Saunier. L’objectif est d’assurer le développement des gares, en particulier dans les petites et moyennes

communes, et de les conforter comme un espace de mobilité, d’échanges au cœur des villes, et un élément structurant d’un quartier. « Les élus locaux ne peuvent pas maîtriser grand-chose concernant le foncier autour des gares, estime néanmoins Gilles Bourdouleix, député-maire (UMP) de Cholet. Cette charte va nous permettre de travailler avec la SNCF et RFF. Les gares peuvent être des rotules de vie de la cité. On peut envisager d’y installer des zones d’activité, voire même des zones d’habitation. » Des maires qui affichent leur préoccupation dans l’aménagement de zones dont dépend largement le rayonnement de leur bassin de vie. Ils estiment ainsi « indispensable » que l’État facilite auprès de RFF et de la SNCF la reprise des emprises foncières et immobilières nécessaires à leurs projets, à travers un interlocuteur unique, des outils juridiques et des montages financiers adaptés. En quête d’une nouvelle dynamique urbaine, les élus entendent par là même rester les maîtres d’œuvre dans le développement et l’animation de ces pôles d’attractivité. Une requalification urbaine qui se fait néanmoins encore attendre à Dijon, Saint-Étienne ou encore Marseille.

Ludovic Bellanger


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En bref

En région, le financement du TGV sud-atlantique déraille Après la région Poitou-Charentes, le Lot-et-Garonne et le Gers refusent de financer la LGV Sud Europe Atlantique qui vise à désenclaver les capitales régionales du Sud-Ouest et relier, à terme, Paris à Madrid. a LGV SEA, qui concerne cinq régions (Centre, Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin, Midi-Pyrénées) soit 10 millions d’habitants, doit voir le jour en deux temps. D’abord le prolongement de la ligne TGV entre Tours et Bordeaux (302 km), dont le chantier a commencé début 2012, puis la création au sud de Bordeaux de deux lignes vers Hendaye et Toulouse, ces deux dernières (417 km) réunies sous le nom de GPSO. Ce réseau doit mettre Bordeaux à deux heures de Paris d’ici 2017, Toulouse à un peu plus de trois heures après 2020. Malgré les réticences des collectivités alarmées par le poids de leur contribution (1,5 milliard d’euros), équivalente à celle de l’État, le financement du tronçon ToursBordeaux (6,7 milliards d’euros) a finalement été bouclé. Les grandes collectivités de MidiPyrénées acceptant de payer pour ce premier maillon qui n’est pas sur leur territoire, en tablant sur le prolongement ultérieur Bordeaux-Toulouse. En retour, celles d’Aquitaine se sont engagées à contribuer à cette ligne, dont le financement doit être finalisé en 2014. Trente-deux collectivités ont signé la convention de financement avec l’État dans le cadre d’un par-

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tenariat public-privé avec Réseau ferré de France pour le premier tronçon. Mais la réduction des dotations publiques aux collectivités, alors que l’État cherche à réduire ses dépenses, menace de

faire dérailler le Grand Projet du Sud-Ouest. Dès à présent, devant la nécessité de conserver ses capacités d’investissement dans les routes et les collèges, le président (PS) du Lot-

Alain Rousset. Le président de la région Aquitaine et de l’Association des régions de France s’inquiète du modèle de partenariat public-privé qui coûte trop cher aux contribuables. Il a demandé au Premier ministre François Fillon de revoir le mode de financement de la construction des lignes TGV. PHOTO GAIZKA IROZ/AFP

et-Garonne, Pierre Camani, déjà engagé à hauteur de 34 millions d’euros dans la future LGV, a annoncé qu’il n’était « pas envisageable » pour sa collectivité de participer davantage au financement. « Une infrastructure nécessaire, mais qui ne relève pas de nos compétences », précise l’élu. Même démarche pour le Gers, qui remet en cause toute participation au projet à grande vitesse, un « chantier d’État » selon son président Philippe Martin (PS). La région Poitou-Charentes, présidée par Ségolène Royal, avait refusé dès mai 2011 de financer le tronçon Tours-Bordeaux, préférant proposer à l’État un prêt remboursable de 95 millions d’euros. L’État s’était substitué alors à la collectivité mais, par mesure de rétorsion, a supprimé des aides régionales. Cet hiver, Alain Rousset – président (PS) de l’Aquitaine et de l’ARF – a donc demandé à François Fillon de revoir le mode de financement, qui « peut à tout moment être mis en péril par la défection d’une collectivité », estimant que le modèle du partenariat public-privé coûtait « trop cher au contribuable ». Des tensions financières qui ont déjà eu raison, outre-Pyrénées, du projet de TGV Lisbonne-Madrid. L.B.

Bordeaux réhabilite son passé industriel Aménagé dans le prolongement de la gare Saint-Jean, le futur ensemble Garonne-Eiffel alliera jardins, commerces, logements et centre d’affaires. u cœur de la plus importante opération d’urbanisme de la ville, le territoire de 154 hectares, à cheval sur les communes de Bordeaux et de Floirac, bénéficiera du dynamisme de la future ligne TGV. En charge du programme, l’agence TVK n’a toutefois pas prévu de « grand geste architectural » sur ce périmètre « complexe » ouvert sur 2,5 kilomètres de rives. « Il existe une vraie présence du patrimoine, notamment industriel, à cet endroit, créant une identité », soulignent ses architectes, qui souhaitent « garder une partie des bâtiments industriels pour

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les réanimer ». Outre de larges espaces verts, le projet Garonne-Eiffel misera sur la reconquête des berges, et l’utilisation de l’eau dans un secteur inondable pour « irriguer et

insiste pour sa part sur la création dans les quinze ans à venir de « 5000 logements dans un secteur peu habité pour l’instant, et l’aménagement de nombreux espaces publics ». Le site

l’histoire et de la mémoire du lieu. Nous sommes à un tournant historique pour la plaine rive droite qui peut désormais, simultanément et avec des atouts différents pour chacun

«

LE PROJET PROPOSÉ EST RESPECTUEUX DE L’HISTOIRE ET DE LA MÉMOIRE DU LIEU » Alain Juppé, maire de Bordeaux

rafraîchir les quartiers », notamment en période estivale. Philippe Courtois, directeur de l’établissement public d’aménagement Euratlantique,

devrait par ailleurs accueillir la future mosquée bordelaise. Ambitieux sans être prétentieux, « le projet proposé est respectueux de

de ses territoires, construire le Bordeaux du XXIe siècle », indique Alain Juppé, ministre d’État et maire de Bordeaux. L.B.

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MARSEILLE LANCE UN EMPRUNT OBLIGATAIRE G Confrontée à la raréfaction des crédits bancaires, la municipalité phocéenne a émis un emprunt obligataire de 150 millions d’euros sur dix ans, afin de financer l’organisation de MarseilleProvence 2013 et de l’Euro 2016 de football, entre autres. Une première dans son histoire. Évaluée par les agences Standard & Poor’s et Fitch Ratings, Marseille s’est vu noter A et A+, avec des perspectives stables. La ville a pâti néanmoins de son haut niveau d’endettement, et d’un taux de chômage élevé. Dans le même temps, l’Île-de-France a levé 350 millions d’euros d’obligations pour financer des projets « exemplaires au plan social et environnemental ». UN VERGER EN LIBRESERVICE À CAEN G Caen a lancé la plantation d’un verger municipal d’une vingtaine d’arbres fruitiers (pommiers, poiriers, cerisiers… choisis par les habitants et les écoliers du quartier), accessible gratuitement à tous, sur un terrain de 2 000 m². Philippe Duron, maire (PS) de Caen, espère que « ce jardin partagé, non clôturé, deviendra un espace de rencontre pour développer le lien social de proximité ». DIJON VALORISE SES DÉCHETS G Afin de réduire le poids des ordures ménagères, Dijon a mis en place une soixantaine de points de collecte de textiles répartis dans toute l’agglomération. Les vêtements collectés seront valorisés dans 90 % des cas. La démarche entend soutenir l’économie solidaire grâce à l’insertion par l’emploi de personnes en difficulté. EN BANLIEUE, LE QATAR REPOUSSE SES INVESTISSEMENTS G L’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld) a souhaité que l’initiative du Qatar de financer à hauteur de 50 millions d’euros les projets économiques portés par les habitants des banlieues « ne soit pas instrumentalisée par les partis politiques. Nous voulons que cela se fasse dans l’apaisement et pas dans la polémique », explique son président, Kamel Hamza, conseiller municipal (UMP) de La Courneuve (Seine-SaintDenis). Le projet a été reporté après les présidentielles. UN COUVRE-FEU À L’AÉROPORT DE NICE G Le député-maire (UMP) de Nice, Christian Estrosi, a demandé à la direction des aéroports de la Côte d’Azur qu’une interdiction de vol nocturne soit mise en place sur la plate-forme aéroportuaire niçoise. « Je souhaite qu’à l’instar de l’aéroport d’Orly cette disposition puisse être effective dans les meilleurs délais », a-t-il indiqué. Nice est le deuxième aéroport français après l’ensemble Roissy-Orly, avec 10,4 millions de passagers en 2011.


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Enquête Le logement dans les communes de plus de 10 000 habitants

Les maires se font du souci ! Pas assez de terrains et des logements trop chers, les maires lancent un cri d’alarme sur la situation de l’habitat dans leur commune. Une inquiétude qui ressort d’un sondage réalisé à l’occasion de la tenue du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales. Par Joël Genard e sondage 1 montre que l’inquiétude des élus n’est pas différente de celle de leurs concitoyens. Près des trois quarts des maires des communes de plus de 10 000 habitants estiment que les deux dossiers qu’ils ont à traiter d’urgence sont ceux de l’emploi et du logement. Le logement leur paraît dans une situation particu lièrement préoccupante. Une situation qui s’est sensiblement dégradée depuis cinq ans. Ils étaient 61 % en 2007 à juger que l’habitat devait constituer pour eux une priorité, ils sont aujourd’hui 76 %. Situation d’autant plus inquiétante que la plupart de ces villes moyennes vont voir leur popu lation sensiblement augmenter dans les dix années à venir. Les maires de ces municipalités estiment que le nombre d’habitants dans leur commune pourrait augmenter de plus de 10 % d’ici à 2020. Dans le détail, ces maires considèrent que le prix des logements neufs (81 %), le prix des loyers (78 %) et le prix des logements anciens (68 %) « posent particulièrement problème ».

que c’est aux familles (66 %) et aux personnes âgées (34 %) que la priorité doit être donnée en la matière », soulignent les auteurs de l’étude.

C

Quelles solutions ? Quant aux solutions, 83 % des sondés pensent que l’État doit mettre à disposition les terrains dont il est propriétaire et 82 % qu’il faudrait abaisser à 7 % la fiscalité pesant sur la construction de la résidence principale. Selon les maires, ces « deux mesures permettraient à leur sens de rendre le logement plus accessible dans leur commune ». Ils sont aussi favorables au soutien à l’accession à la propriété : « 94 % pensent qu’il faut favoriser l’accession à la propriété privée dans le parc privé neuf, 88 % dans le parc privé ancien sous condition de rénovation et 77 % dans le parc social ».

Des chantiers trop peu nombreux sur des terrains trop chers. C’est ce que déplorent la plupart des maires des communes de plus de 10 000 habitants. PHOTO RÉMY GABALDA/AFP

Se mobiliser Face à la situation préoccupante du logement et de l’habitat, les maires sont prêts à se mobiliser :

« 69 % d’entre eux se déclarent enclins à construire si cela permet de minorer les prix », mais, en parallèle, « le déficit du foncier disponible

est criant, ce point noir étant cité par 64 % d’entre eux ». « Si le logement est un problème qui traverse l’ensemble de la société, ils estiment

1. Sondage exclusif CSA/Forum pour la gestion des villes réalisé par téléphone du 1er au 15 mars 2012. Échantillon national représentatif de 250 maires de communes de plus de 10 000 habitants, maires adjoints ou adjoints au logement, constitué d’après la méthode des quotas (taille d’agglomération, région).

« L’État doit libérer des terrains » Les maires s’inquiètent de la situation du logement. Quelle peut être l’intervention de l’État ?

Je considère que l’État doit libérer les terrains qu’il n’occupe plus pour permettre aux maires d’engager des programmes de construction de logements. Cette mesure a été affichée et réaffirmée par tous les gouvernements successifs. Il y a cependant des difficultés de mise en œuvre. Je pense que c’est très bien pour l’État de réaffirmer sa volonté de mettre à disposition les terrains qui sont les siens et plus rapidement qu’il ne le fait aujourd’hui. Sur le fait d’abaisser la fiscalité sur le logement, c’est à la fois une bonne et une mauvaise mesure. En matière de logement, lorsque vous avez une

baisse de fiscalité de cette nature proposée à 7 %, il y a un risque de récupération par les propriétaires fonciers de la différence qu’ils peuvent réintégrer dans leur prix de vente. Une aide générale peut toujours être ainsi récupérée par le foncier. D’où mon extrême prudence sur le sujet à la différence de l’avis exprimé dans ce sondage par mes collègues. Que préconisez-vous en matière de logement pour l’avenir ?

Les dispositifs des lois Robien, Besson et Scellier sont des dispositifs identiques à ceux que j’avais mis en œuvre. La nouveauté, en 1996, avait été la possibilité d’amortir un investissement dans le logement de la

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3 questions à

même manière que celui que l’on amortit dans le domaine industriel. C’était la grande nouveauté. Je pense qu’il faudra maintenir ces dispositifs à l’avenir, quitte à les ajuster. Les maires ont pris la mesure de l’importance de cette question du logement ?

Je pense qu’il s’agit là d’une évolution. Les maires se saisissent aujourd’hui de cette question essentielle du logement des Français et cela est très important. C’est un problème aussi de société. Car nous devons pouvoir offrir aux jeunes la possibilité de se loger correctement. Et à des prix qui ne soient pas prohibitifs.

Propos recueillis par J.G.

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PIERRE-ANDRÉ PÉRISSOL MAIRE UMP DE MOULINS (ALLIER)

PHOTO MARTIN BUREAU/AFP


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Pratiques Les fiches thématiques de l’Hémicycle par Richard Kitaeff

L’élu et le maquis des subventions européennes

Comment bénéficier des aides de l’Union européenne pour appuyer les politiques d’une mairie, d’une région ou d’une communauté d’agglomération ? L’Hémicycle vous donne des éléments de réponse. remière règle en matière de financement européen : être porteur d’un véritable projet. L’Union européenne (UE) n’a pas vocation à faire fonctionner les collectivités mais à financer un véritable projet de développement. Deuxième règle, le projet doit être justifié au regard des buts de l’UE. Les décideurs qui l’étudient se demanderont d’abord : quel est l’intérêt de ce projet au regard des stratégies de l’UE ? Troisième règle : avoir bien à l’esprit que la formalisation d’un projet européen est une chose complexe exigeant à la fois des soutiens institutionnels, un diagnostic sur la pertinence, l’identification des programmes adaptés et la maîtrise de toute une série d’outils techniques (budgets, formalisation et recadrage des candidatures, négociation de partenariats…).

P

L’intérêt politique de la subvention européenne Bien sûr, en pratique, aucun élu ne peut porter seul un tel projet de financement. Formellement, le projet est porté par une organisation publique ou privée (intercommunalité, entreprise, conseil général, association…). L’avantage qu’un parlementaire, ou tout autre élu, « impulse » ce genre de projet sur le plan médiatique n’est pas négligeable cependant. Non seulement il pourra mettre son expertise politique à la disposition des techniciens de l’administration qui se chargera de monter le projet (ou du cabinet de conseil en lobbying européen qui sera sollicité). Mais l’élu pourra aussi conduire le projet dans les arcanes politiques, les hémicycles locaux ou de niveau européen. Il défendra le projet, ce qui accentuera le lien UE-territoires en étant positif pour les images institutionnelles associées aux différentes parties… Le rôle de l’élu est donc un rôle d’impulsion et de valorisation du projet durant toute son élaboration et son examen. Si le but final est bien d’obtenir la subvention, il ne faut pas du tout sous-estimer la phase préalable (qui est la plus importante sur le plan de la visibilité). Si le projet ne se finalise pas, on ne pourra pas reprocher à l’élu d’avoir eu de l’ambition pour son territoire ou sa circonscription en sollicitant une aide « continentale ». Si le projet est obtenu, c’est une véritable

consécration à plusieurs niveaux, notamment dans le lien qui en résulte avec les institutions européennes. Et aussi en termes de légitimité politique de la population et auprès de tous les autres acteurs politiques.

Le choix d’un domaine d’action Financer un projet, pour l’Union, cela veut dire impliquer certains instruments financiers dans la réalisation d’une politique découlant des traités fondateurs interprétés largement (environnement, entreprises, agriculture, éducation, réseaux de transports…). Il y a plusieurs sortes d’instruments financiers mais les plus connus sont les fonds structurels européens – principalement le Fonds européen de développement économique (FEDER) et le Fonds social européen (FSE) – destinés à compenser des inégalités économiques et sociales à l’échelle des régions européennes. Attractivité des territoires, accessibilité aux nouvelles technologies, développement durable, actions pour l’emploi et la formation des citoyens européens… Les créneaux ne manquent pas et les difficultés aussi car ces aides sont complexes à obtenir dans la mesure où les critères d’éligibilité sont lourds (surtout pour les aides directes) et exigent de nombreuses garanties. Pourtant, avec une bonne expertise juridique, un élu local ou national peut réussir si son projet est sérieux et s’il fait preuve de persévérance. La base est de participer à la réalisation d’un objectif européen, même dans une optique très locale ou en reformulant tel ou tel aspect de la réalisation. Les fonds européens se déclinent en toute une série de subventions directement octroyées par l’UE (environ 450 : Culture 2000, LLP, Life+, FER, Eurosolar, Fiscalis 2013, Progress, Financement des partis politiques européens…) et indirectes (en France, par le conseil régional). Les secondes sont les plus concrètes et aussi les plus faciles à obtenir. Toutes ces subventions sont conditionnées à un plan périodique (actuellement 2007-2013), le prochain cadre pluriannuel étant 2014-2020. Il faut que le projet porté par une administration ou un État s’inscrive dans la logique de l’instrument concerné suivant

les lignes directrices définies par la Commission européenne. Ces guidelines permettent de comprendre l’esprit de chaque subvention. Précisons que la diversité des nombreuses aides est très importante, ce qui est, trop fréquemment, sousestimé par les parlementaires ou les élus locaux. Avec une ambition et de bons conseils techniques, il existe des projets éligibles aux aides directes dans chaque région. Mais il faut savoir que l’Union ne finance jamais 100 % d’un projet (complément de financement à hauteur de 50 à 85 %) et que le but est de parvenir à un équilibre financier sur l’opération (et non un profit). Une seule subvention peut être accordée par action et il ne peut y avoir d’aide rétroactive (pour une action déjà terminée). Le paiement de la subvention intervient en remboursement de sommes effectivement réglées, sur la base des factures acquittées.

La marche à suivre : quelques bases Pour les collectivités locales, les champs d’intervention habituels sont la santé, la recherche, l’éducation et l’environnement. Un maire qui veut aménager un rond-point pour sa commune ou installer un mur végétal dépolluant, un conseiller régional qui souhaiterait réhabiliter une zone industrielle, une université qui porte un projet de recherche innovant, un département qui souhaite avoir une aide suite à une catastrophe naturelle… Le rôle dynamisant de l’élu dans toutes ces instances doit être fondamental. Encore une fois, les domaines sont très nombreux mais l’articulation entre les mobiles d’intervention de l’UE et la demande locale doit toujours être efficace et ne pas sous-estimer l’obligation de publicité qui lie le bénéficiaire à l’Union européenne (supports de communication mentionnant la subvention, etc.). En fonction des objectifs définis par l’UE sur la période en question (par exemple : « Compétitivité régionale et emploi », « Coopération territoriale »…), certains axes particuliers seront plus susceptibles de donner lieu à une subvention : prévention des risques, connaissance, développement de l’intermodalité des transports, gestion des ressources en eau.

Bruxelles. Le Parlement européen. PHOTO JULIEN WARNAND/AFP Concernant les aides directes, la Commission européenne lance des appels à propositions publiés sur son site et au Journal officiel de l’Union européenne. Le projet doit avoir une dimension européenne et associer au moins trois partenaires issus de trois États membres différents avec un « chef de file » et des coorganisateurs choisis parmi eux. L’obtention de ce genre d’aide suppose à la fois une grande réactivité (« premier arrivé, premier servi ») mais aussi que le demandeur soit une collectivité importante préféren tiel lement dotée d’un chargé de mission « Europe » en charge de l’élaboration conjointe du projet avec un cabinet d’avocats spé cialisés ou une entité comme Welcomeurope. Le circuit habituel, et souhaitable, d’une demande d’aide indirecte est le suivant : la demande est élaborée en amont par une administration ou un groupe autour d’un

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élu, elle transite par le conseil régional établissant lui-même ces critères de sélection en conformité avec certains documents européens, le dossier est examiné par un comité de pilotage spécialisé pour avis, et la Commission permanente de la région décide de l’attribution ensuite notifiée au porteur de projet. Le dossier devra comporter des précisions sur le projet envisagé, ses objectifs, son budget prévisionnel, son échéancier de réalisation, ses processus d’évaluation, etc.

Richard Kitaeff Professeur à Sciences-Po Paris Nous détaillerons ces différents points dans nos futures fiches thématiques avec des analyses de projets réalisés, des conseils techniques et des interviews d’élus impliqués dans ce nouveau domaine de l’aide publique, qui devient fondamental au regard des nouvelles logiques territoriales.


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Expertise

L’avenir incertain de l’éolien français EDF a remporté l’essentiel du marché de construction d’éoliennes au large des côtes normandes et bretonnes mais les résultats de l’appel d’offres ne vont pas sans contestations ni polémiques. Par Jean-Louis Caffier BO TORNVIG/AFP

ue l’on « aime » ou pas les éoliennes, leur mouvement régulier (quand elles tournent !) n’évoque pas spécialement des notions telles que conflit, recours ou lutte d’influence. On a même le droit de trouver apaisantes les pales qui transforment le vent en électricité. Et pourtant, dans le fond du dossier, c’est tout l’inverse. Les résultats du premier appel d’offres pour l’éolien off shore sont déjà contestés. « Cet appel d’offres était confus et précipité », critique l’un des candidats déçu du résultat. « On n’a eu qu’un an à peine pour répondre alors que les filières n’étaient pas prêtes. Alstom a présenté sa turbine la semaine dernière seulement ! » Alstom et EDF, réunis dans le même consortium, sont les grands vainqueurs de cette compétition avec trois lots emportés sur les cinq mis en jeu. Les deux sociétés ont également bénéficié de la présence à leurs côtés du très expérimenté Danois Dong Energy, leader mondial incontesté dans l’éolien terrestre ou off shore.

Q O

Une fuite et des recours ? Areva, associé à l’Espagnol Iberdrola, n’a remporté qu’un lot, GDF Suez, associé à l’Allemand Siemens, zéro. L’appel pour le dernier lot, au Tréport (Seine-Maritime), a été déclaré infructueux. La décision du gouvernement est plus mi-chèvre mi-chou qu’elle n’y paraît. Elle laisse en tout cas la porte ouverte à plusieurs recours. C’est la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui a examiné les

appels d’offres. En principe, l’avis rendu est secret mais une fuite s’est produite. Elle ne peut émaner que d’un membre de cette institution, sorte de Conseil d’État de l’énergie.

Un deuxième appel d’offres encalminé ? Il y a beaucoup de retard à l’allumage. Éric Besson a confirmé qu’un deuxième appel d’offres serait lancé, mais pas du tout en ce mois d’avril comme cela était prévu, mais « au deuxième semestre ». On connaît évidemment les incertitudes sur « qui décidera quoi ? » dans six mois. Ce délai provoque de sérieuses réactions d’inquiétude dans le milieu de l’énergie. Personne ne sait où tout cela va se terminer. Il était prévu un nouvel appel pour 3 000 mégawatts (MW). On évoque aujourd’hui au mieux la moitié et au pire le quart. Les raisons de ce repli sont doubles : elles sont d’abord politiques et électorales. L’acceptabilité de l’éolien dépasse les frontières partisanes. On trouve des pour et des contre à droite comme à gauche, des opposants à des implantations ou des déçus de ne pas avoir été choisis. Cette période électorale n’est pas propice à des décisions. La seconde raison est plus préoccupante. Selon plusieurs spécialistes, il est très difficile de trouver de nouvelles zones pour des implantations futures. Entre les caractéristiques géologiques, la présence du vent et les impératifs liés à la pêche ou au transport maritime, les emplacements en mer seraient beaucoup moins nombreux que prévu !

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C’est évidemment très mauvais pour l’image de la CRE, sa crédibilité et les soupçons qui ne vont pas manquer n’assurent pas une sérénité à toute épreuve. La fuite a donc

révélé que le consortium mené par EDF méritait quatre des cinq lots. Le ministère de l’Énergie a donc fait un autre choix pour éviter sans doute un recours en France et à Bruxelles portant sur un favoritisme en faveur d’EDF, qui, de son côté, pourrait se plaindre du nonrespect, en principe « impartiale », de la CRE. Cette option semble très peu probable mais elle est possible. En fait, la fuite de la CRE permet au gouvernement de faire croire qu’il garde son indépendance et son libre arbitre alors que les deux principaux lauréats sont dirigés par des amis connus du chef de l’État. Pour Areva, le dilemme est lourd : la société avait prévenu que la création d’une filière industrielle en France pour la fabrication des éoliennes ne pouvait pas se faire à moins de deux lots attribués. Un seul, c’est donc très peu, mais dans le même temps il permet à Areva d’exister sur le marché et de pouvoir tenter sa chance dans d’autres appels d’offres, en Grande-Bretagne notamment. Enfin GDF Suez n’a rien à perdre. Un recours éventuel pourrait s’appuyer sur le fait que son allié Siemens exploite déjà 600 éoliennes off shore dans le monde, même si l’expérience ne figurait pas dans les critères de l’appel d’offres, concentré en trois chapitres : prix de l’électricité, création industrielle et environnement. La suite des opérations, ce sera d’abord un second avis rendu très rapidement par la CRE après la

décision du gouvernement. In fine, c’est au ministre de l’Énergie de signer ou non l’arrêté d’attribution. Compte tenu du calendrier électoral, il n’est pas évident que cette signature soit effective avant l’été. Si la signature intervient, elle engagera le prochain gouvernement, sinon, tout pourrait être annulé. Ce « flou », que dénoncent beaucoup d’acteurs et qui intervient après d’autres couacs sévères sur les tarifs de rachat du photovoltaïque, pousse l’équipe de François Hollande à mettre en avant ses réformes : « Il faut revoir le fonctionnement des appels d’offres, revoir la gouvernance de la CRE, simplifier les procédures », annonce Marie-Hélène Aubert, responsable des questions d’écologie. « Le développement de l’éolien et des renouvelables est pour nous un sujet majeur. François Hollande propose un débat en profondeur sur la transition énergétique et une nouvelle loi au printemps 2013. » La question de l’énergie est passée complètement à côté de la campagne. Il est trop tard pour en faire un sujet majeur. Bon nombre d’économistes branchés sur la question sont sidérés de constater que les grands sujets liés à la relance, aux emplois ou au pouvoir d’achat ont pu être traités sans passer par la case énergie. Elle s’imposera donc « après » et pourrait bien remettre profondément en cause quelques-unes des promesses venant de tous côtés… Pour donner une image, la croissance n’a pas le même goût quand le baril est à 80 ou 150 dollars !

L’atome, beaucoup plus fort que le vent ! P

our cette première tranche off shore, les opérateurs retenus investiront 10 milliards d’euros, mais de nombreux spécialistes estiment que ce chiffre est sous-évalué. « Ce sera plus cher », affirme l’un des acteurs. La puissance installée est de 3 000 mégawatts mais tous ceux qui affirment que cela équivaut à deux EPR se moquent du monde. On parle là de « puissance installée », mais l’important c’est bien la puissance produite. En moyenne européenne, l’éolien ne produit que 21 % de sa puissance installée. Le off shore est

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un peu plus efficace. Pour la France, le taux de charge sera de 30 à 35 %. Il faut donc diviser par trois. Par an, il faudra compter sur seulement 1 000 mégawatts. Pour 10 milliards d’euros, c’est cher. Un EPR, augmentation de la facture comprise, coûtera de 5 à 6 milliards d’euros pour un taux de charge de 90 %. Comparé au nucléaire, l’éolien ne fait pas le poids. Il faut aussi tenir compte de la durée de vie : vingt ans pour une éolienne, quarante, au moins, pour un réacteur nucléaire de type EPR. Bref, sur le seul plan financier, l’éolien est six fois plus cher

que l’EPR. Ce sont les consommateurs qui paieront : pour les quatre lots attribués, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) augmentera par an d’1,2 milliard d’euros par an ! Dans l’Union européenne, l’éolien représente un peu plus de 4 % de la production d’électricité, très loin derrière l’hydraulique (11 %). En puissance installée, l’Allemagne est en tête (29 000 mégawatts) devant l’Espagne (22 000), mais l’Espagne, mieux placée face aux vents, produit 15 % de plus. La France est à 7 000 mégawatts.


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2.0 Données personnelles

Pensez à faire le ménage ! Micro-ordinateurs, tablettes, smartphones enregistrent à chaque instant les données personnelles (visites, mails, consultations, téléchargements) de leur propriétaire. Comment protéger ces données lorsqu’on souhaite changer d’instrument informatique ? C’est désormais une question majeure pour tous les utilisateurs à chaque renouvellement de matériel.

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Avant de se séparer d’un téléphone portable, combien de Français ont éliminé leurs données personnelles ? PHOTO FRANK PERRY/AFP

le portable. Son utilisation se faisait essentiellement dans le cadre professionnel, sous la supervision des équipes des informaticiens regroupés dans les divisions des systèmes d’information. L’entretien et le recyclage des ordinateurs étaient pris en charge par ces spécialistes. L’arrivée de la connexion à Internet en haut débit couplée à la baisse des prix des ordinateurs personnels et la mise en place de réseaux de téléphonie mobile capables de transmettre des données ont permis l’irruption de cette informatique chez soi. Ordinateurs, tablettes, smartphones et consoles de jeu connectés font désormais partie de notre quotidien. Les utilisateurs comparent rarement un smartphone à un ordinateur. C’est pourtant le cas, ces petits objets n’ont pas grand-chose à voir avec un téléphone. Ils se connectent à Internet, permettent d’accéder à sa boîte mail, téléchargent des jeux. Le m-commerce (ou commerce mobile) est en plein boom. Ils stockent dans leur mémoire une quantité de plus en plus grande de données personnelles sensibles : historiques de navigation sur la Toile, identifiants

et mots de passe sur des réseaux sociaux ou des sites protégés et même des numéros de carte bancaire. Ces équipements ont une durée de vie limitée. Ils sont utilisés de manière intensive et deviennent rapidement obsolètes. Or la situation devient compliquée lorsque nous souhaitons nous séparer d’un modèle dépassé pour un appareil plus complet. La tentation est grande de revendre nos ordinateurs et nos smartphones comme matériel d’occasion : les sites de vente entre particuliers regorgent de smartphones et autres terminaux informatiques d’occasion mis en vente par leurs propriétaires. Ces appareils sont aussi de plus en plus souvent jetés à la poubelle comme n’importe quel bien de consommation courant. Mais dans ce cas, le risque est grand de voir les données que nous avions accumulées circuler sans que nous sachions qui peut y avoir accès. Va-t-on assister à la naissance d’éboueurs informatiques mettant la main sur des informations de valeur ? C’est possible, d’autant que le recyclage des appareils informatiques n’est pas toujours fait dans un circuit bien identifié. En tout

Nettoyer un terminal informatique, un travail complexe Effacer un fichier d’un ordinateur n’est pas la garantie de sa disparition complète, il peut être facilement retrouvé et lu ou copié. Pour s’assurer d’un ménage efficace, le disque dur de l’ordinateur doit être formaté, une tâche pourtant déconseillée au quotidien : elle efface irréversiblement l’intégralité de la mémoire. Ce travail doit donc être fait en fin de vie, après sauvegarde des données à conserver. Les ordinateurs classiques disposent de logiciels qui permettent

d’effectuer ce formatage. Mais les smartphones, tablettes et consoles ont des fonctions plus simples : il s’agit de fonctions de retour aux spécifications d’usine qui ne garantissent pas un effacement définitif des données en mémoire. Ainsi, deux chercheurs de l’université américaine de Drexel (Philadelphie) ont récemment révélé avoir pu récupérer des données personnelles sensibles sur une console de jeu achetée d’occasion. Que faire alors ? Les opérateurs

de téléphonie mobile proposent des services de recyclage de vos appareils comprenant le nettoyage des données personnelles. Mais ces services font-ils un nettoyage irréversible ? Si les données sont vraiment sensibles, une des truction physique de l’appareil s’impose. Attention toutefois, polluants et produits toxiques abondent dans ces objets. En tout état de cause, faire appel à un professionnel de confiance est le meilleur réflexe de l’utilisateur bien informé.

cas, la question de la fin de vie de nos gadgets technologiques devient incontournable. Il est aujourd’hui primordial pour tous ceux qui manipulent l’informatique de savoir comment nettoyer un terminal. Et il est vraiment important que chacun s’en préoccupe avant que d’autres ne s’y intéressent pour vous. Un chiffre parle de lui-même : en 2011, la France comptait près de 18,5 millions de mobinautes.

Manuel Singeot

Le chiffre

106

millions

d’Européens posséderont une tablette tactile en 2016. (Source : Forrester Research.)

Bulletin d’abonnement 1 an (42 numéros*) pour 72 ¤ au lieu de 90,30 ¤ 2 ans (84 numéros*) pour 126 ¤ au lieu de 180,60 ¤ Tarif étudiant : 54 ¤ pour 42 numéros* Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2012

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* Soit environ un an, en fonction du calendrier parlementaire.

usqu’au début des années 2000, l’informatique passait par l’ordinateur de bureau ou


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L’admiroir

Hollande le persévérant : d Par Éric Fottorino

François Mitterrand l’inspire mais de Gaulle, Victor Hugo, Camus ou Delors l’ont marqué et, pour certains, construit. De ces passionnés d’écriture et de politique, François Hollande a retenu la nécessité de la persévérance et la force de l’engagement. Avec une valeur commune à tous : le courage d’une volonté sans faille. JEAN-PIERRE MULLER/AFP

our François Hollande, ancien premier secrétaire du Parti socialiste et pour la première fois candidat à l’élection présidentielle, en 2012, la référence naturelle est celle d’un autre François qui fonda le PS à Épinay (Seine-Saint-Denis) en 1971 et remporta par deux fois le scrutin suprême après deux échecs, en 1965 puis en 1974. « J’ai vécu mon engagement politique avec Mitterrand, commence-t-il dans son bureau de l’avenue de Ségur où il a installé son siège de campagne. Mais je n’ai jamais été un proche. Je n’étais pas de sa génération, ni de son premier cercle comme l’étaient Élisabeth Guigou ou Jean-Louis Bianco. J’étais plus jeune que Laurent Fabius et Lionel Jospin. Aussi n’ai-je pas participé à la conquête comme dirigeant politique. Je produisais des notes pour Jacques Attali. » S’il prend le soin de situer d’emblée sa position d’il y a trente ans, François Hollande ne fait pas moins de Mitterrand la figure centrale de son parcours. « Il a correspondu à ce que je pensais être l’homme de la circonstance. Au-delà de l’affection, quand je l’observais de loin, dans les années 1960-1970, j’avais compris qu’il serait celui qui pouvait permettre l’alternance. En 1965 [il avait onze ans], j’avais eu une vague conscience qu’il avait pu mettre de Gaulle en ballottage. Et plus tard, en 1968, j’avais perçu qu’il s’était dit prêt à remplir le vide si jamais le Général partait. »

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Génération Mitterrand

Épisodes glorieux Ce sont là autant d’épisodes qui laissent déjà une trace dans l’esprit du futur député de Corrèze, dont le cœur penchera toujours à gauche, celle de sa mère Nicole, par opposition aux penchants droitiers de son père Georges qui préférait Tixier-Vignancour au député de la Nièvre, ce cacique de la IVe République. « Dans les années 19681971, je me souviens d’une période difficile pour Mitterrand. On se demandait s’il n’allait pas disparaître politiquement. Alors j’ai commencé à le suivre. Dans la décennie 19711981, j’ai apprécié son sens stratégique. J’ai vu comment il avait réussi

avant d’ajouter : Je me suis intéressé à de Gaulle quand ses successeurs l’ont abandonné. Car l’UMP, ce sont des sensibilités politiques très différentes du gaullisme traditionnel. »

à faire naître le Parti socialiste, à créer l’Union de la gauche. Il est parvenu à hisser le PS à la même hauteur que le PC puis à le dépasser, jusqu’à permettre la victoire. » Les yeux de Hollande brillent quand il narre ces épisodes glorieux qui ont suivi les échecs et les traversées du désert de l’homme à la rose. « J’étais sensible à son

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art oratoire, à ses effets littéraires », conclut-il en insistant sur la dimension historique du personnage et de son action, à l’adresse de ceux qui n’auraient connu que le Mitterrand de la fin, celui affaibli des années 1990. « Ma famille n’était pas gaulliste et, pour ma part, je me suis construit à gauche, poursuit François Hollande.

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De Gaulle représentait dans ma jeunesse le pouvoir présent chaque soir à la télévision, qui nous restituait son image sans contradiction. Je n’avais pas d’affection pour lui. C’est après, plus tard, que j’ai mesuré ce qu’il avait pu être et faire. La force qu’il avait eue de préserver la France libre. La force de ses écrits. Sa conception de la France. Il esquisse un sourire

Quelques jours après notre rencontre, dans son livre de candidat Changer de destin (Robert Laffont), François Hollande reprendra ce thème en ces termes : « Je suis de la génération Mitterrand. J’en suis fier, même si j’ai parfois pris mes distances. Mon engagement n’a pas varié. Entré tôt dans les combats de la gauche, j’y suis resté fidèle. Mais je le confesse aussi, j’ai regardé, avec respect, malgré ma méfiance, le général de Gaulle. Il était l’homme qui avait relevé la France tombée au fond de l’abîme, le Président qui rêvait d’une nation réconciliée autour de la fierté, de l’audace et de l’indépendance, l’homme d’État qui confondait sa personne et le destin national. Autant que la gauche, peut-être plus, c’est la droite qui l’a mis en échec en 1969. Elle ne voulait plus de sa grandeur, qui heurtait ses intérêts. Depuis, l’héritage gaulliste a été dilapidé. Ce qu’il en restait a été jeté par-dessus bord en 2007. Le Général était sorti du commandement militaire intégré de l’Otan, on y est entré. Il voulait la participation, on l’a oubliée. Il avait dit que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille, on a laissé triompher les marchés financiers. Pourtant beaucoup de Français demeurent encore sensibles à son sens de l’honneur. Et son souvenir nous est précieux, dans cette période où seuls le sursaut, l’effort, le dépassement peuvent nous aider à surmonter la crise et nous affranchir du pouvoir illégitime de la finance. » Chaque mot est pesé au trébuchet de ce que peut et doit dire un postulant à la candidature suprême sur l’homme du 18-Juin, consacré par l’histoire de France et la mémoire des Français. Quant à plonger pour plonger dans le temps, le maire de Tulle se fixe sur un immense personnage à la fois littéraire et politique :


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Victor Hugo. « Il était tout à la fois, souligne-t-il. Un génie de l’écriture, un poète flamboyant, un homme courageux qui combattit le coup d’État et partit en exil. » Le leader socialiste s’arrête sur ce 2 décembre 1851 qui amena au pouvoir le prince Louis-Napoléon Bonaparte. François Hollande salue « la longue patience » de l’écrivain qui ira de Paris à Bruxelles avant de gagner Jersey en 1852, Jersey d’où il sera expulsé trois ans plus tard. Il rejoindra alors la petite et sauvage Guernesey. Il ne reverra la France qu’en 1870, presque vingt ans après. Comme pour Mitterrand, comme pour de Gaulle, Hollande admire chez Victor Hugo cette persévérance dans l’attente de son heure qui viendra forcément. Les violences du coup d’État lui inspireront Les Châtiments, un recueil à charge de 98 poèmes remplis de colère et d’indignation, dont il écrira en ses termes à son éditeur : « J’ai pensé qu’il m’était impossible de publier en ce moment un volume de poésie pure. Cela ferait l’effet d’un désarmement, et je suis plus armé et plus combattant que jamais. » Non content d’avoir accablé celui qu’il appelle Napoléon le petit – « Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien » –, Hugo récidive lors de son retour au pays après la défaite de Sedan. « Il s’engage, alors qu’il est couronné comme républicain, dans un combat pour la réhabilitation des communards », s’extasie François Hollande devant la ténacité jamais lasse de ce combattant. « Il redevient parlementaire jusqu’à sa mort et, à son enterrement, plus d’un million de personnes l’accompagneront. » Allusion à la grande cérémonie qui vit la dépouille d’Hugo acheminée vers le Panthéon, « dans le corbillard des pauvres », selon sa volonté.

Figure modeste Lors de son passage au Salon du livre, comme une figure obligée, le candidat socialiste saluera le Hugo écrivain, auteur tellurique et sensible des Misérables, ce roman qui marqua sa jeunesse et qu’il partage avec Jean-Luc Mélenchon. « Les Misérables, dit-il, c’était la prise de conscience que les désordres, les inégalités, pouvaient à la fois être écrits et en même temps vaincus par la volonté humaine. » Lors de sa visite porte de Versailles, comme déjà lors de son discours du Bourget le 22 janvier, François Hollande rendra hommage à Albert Camus. Au Bourget, c’est au nom de

l’égalité qu’il avait cité l’auteur de L’Étranger, cette égalité qui, selon lui, « a permis à un enfant orphelin de père élevé par une mère pauvre, sourde et illettrée, de devenir prix Nobel de littérature. Il s’appelait Albert Camus et, après avoir reçu son prix, il écrivit en ces termes à son vieil instituteur : “Ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, sans votre exemple, rien de tout cela ne me serait arrivé.” » En glorifiant ainsi la figure modeste de l’instituteur, ce « hussard noir de la République », Hollande contrecarrait de manière subliminale la fameuse pique de Nicolas Sarkozy dans son discours de Latran de décembre 2007, quand le Président avait déclaré : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » Au Salon du livre, le candidat socialiste se décrivit en « Sisyphe infatigable, inépuisable », voyant dans le rocher sans cesse roulé au sommet de la colline des Enfers, sans cesse dégringolant à son pied, la métaphore de « la persévérance, de l’engagement, de la volonté humaine, et la ténacité » pour « arriver au plus haut ». Et d’ajouter alors : « même quand on arrive au plus haut, il faut toujours penser que rien n’est acquis, rien n’est fait [...] même dans l’après-victoire. Tout doit être un recommencement. Toute victoire appelle après un nouveau combat. » Après Camus et le fils d’Éole en bute à l’absurdité du destin, Clemenceau occupe lui aussi une place de choix dans les admirations de l’élu corrézien. « Pour son talent d’écriture et son talent oratoire », précise Hollande. Mais aussi « pour son humour de démolition, d’anéantissement. Beaucoup lui en ont voulu. Il s’est battu en duel. Il a dû affronter des épreuves comme le scandale de Panama. Il a apporté son soutien à Boulanger mais il a été le premier à défendre Dreyfus. Il était courageux dans ses fonctions même s’il a été un briseur de grèves. D’une certaine manière il a été servi par l’ingratitude de ses alliés sans laquelle il aurait pu finir comme un notable. » François Hollande n’est pas insensible non plus à la vie

PATRICK KOVARIK/AFP

: de Sisyphe à Mitterrand

sentimentale de Clemenceau, vieil homme de 82 ans épris d’une femme de 40 ans sa cadette. Allusion à Marguerite Baldensperger qu’il gratifia du fameux : « Je vous aiderai à vivre et vous m’aiderez à mourir. »

L’unité, objectif premier Quant à Jaurès, il faut lire la biographie que lui a consacrée Serge Raffy (François Hollande. Itinéraire secret, Fayard) pour découvrir qu’il le tient en héritage de sa grandmère Antoinette, une ancienne institutrice, fervente supportrice de la gauche. Cette fan de Mitterrand, originaire comme lui de Charente, offrit un jour au jeune François un médaillon à l’effigie du grand homme frappée de ces mots : « Le travail, c’est la liberté. » De cette illustre figure du socialisme réformiste, il retient bien sûr l’orateur hors pair et la culture immense. Mais dans son propre combat politique, François Hollande ne peut que saluer l’action décisive de Jaurès pour que sa famille de pensée gouverne, même si lui-même ne participa à aucun cabinet. « Il a compris que l’unité des socialistes était l’objectif premier, rappelle-t-il sur le ton du respect. Il a accepté de sacrifier ses idées à cette cause. Cela lui a coûté des amis, comme Briand et d’autres, qui quittèrent la SFIO. Et pourtant il a réussi sa reconquête intellectuelle et politique du parti. » Sa reconnaissance envers Jaurès, il la puise aussi dans la détermination que le député du Tarn et directeur de l’Huma sut montrer face aux partis au pouvoir à la veille de la Première Guerre mondiale. Il apprécie son « hymne à la

liberté », « ses textes qui sont restés », la manière dont il a modernisé le socialisme en effectuant la synthèse avec l’idée de Nation. « Jaurès n’est pas réductible au socialisme, ajoute François Hollande. C’est un grand républicain. Il faut se souvenir des lois de 1905, de ses participations aux débats parlementaires. » Et de prononcer cette petite phrase qui semble le désigner autant que Jaurès : « Il a montré que l’on pouvait gouverner sans être au gouvernement… » S’il ne le cite pas spontanément dans notre entretien, on se souvient qu’en février, inaugurant un timbre à l’effigie d’Henri Queuille, trois fois président du Conseil (entre 1948 et 1951) et natif de Corrèze, le maire de Tulle a prononcé l’éloge de celui que ses détracteurs ont figé en maître de l’inaction. Ce radical bon teint ne s’était-il pas illustré par cette fameuse phrase qu’on lui prête : « Il n’est aucun problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse résoudre » ? Le « petit père Queuille », qui facilita l’entrée en politique d’un certain François Mitterrand, semble avoir toute la considération de François Hollande. « On lui faisait la réputation d’être dans l’indécision. Quand on regarde toute son histoire personnelle et son histoire politique, c’est un homme qui a toujours été au rendez-vous. Il a une réputation qu’il ne mérite pas. Il savait trancher », estime ainsi l’élu corrézien, soulignant qu’Henri Queuille avait refusé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qu’il créa la SNCF et le Crédit Agricole et sut adopter un style de vie modeste, « sans excès et sans exhibition ».

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La rencontre ne pouvait s’achever sans une évocation de Jacques Delors, qui fut longtemps son champion, et dont il espéra tant qu’après Mitterrand il se déciderait à devenir le candidat de la gauche à l’élection présidentielle. Espoir déçu. « Delors n’était pas un homme politique comme les autres, estime à présent celui qui voudrait amener son camp au pouvoir en 2012. Il est capable d’analyser en profondeur une situation, d’inspirer des politiques. Il est rare de voir un homme aussi doué pour l’invention. Il est un ingénieur du social, de la politique, de l’Europe. Ce n’est pas un homme fulgurant comme Rocard, ni un théoricien. Je dirais qu’il était un homme de revues, qui savait faire le lien entre la théorie et la pratique. »

L’onction du pouvoir Aucune déception n’affleure dans le propos de son ancien disciple. « Il avait les bons maîtres et fréquentait les bons lieux, dit-il, avant de préciser. Les bons maîtres, ce furent les pères de l’Europe, Jean Monnet, Étienne Hirsch. Les bons lieux, le syndicalisme, le christianisme social, le mouvement du Sillon de Marc Sangnier, la réflexion sur la Nouvelle société avec Jacques Chaban-Delmas, ou encore le club Jean-Moulin. Il est rare de passer de ces lieux à la politique directe. Delors l’a fait. » Si Hollande s’exprime sur Pierre Mendès France, c’est pour afficher quelques regrets : « Mon affection pour Mitterrand m’a conduit à être injuste envers Mendès, reconnaît-il. Je lui faisais un reproche : il avait tout pour être le leader de la gauche après 1958, après 1968. Mais pour des raisons de principe, pour des raisons de morale, parce qu’il rejetait les institutions de la Ve République, il ne l’est pas devenu », souligne le Corrézien, tout en admirant l’homme, sa probité, les textes qu’il a laissés. Au bout du compte, François Hollande en revient toujours à Mitterrand, comme si tous les chemins empruntés de Hugo à Jaurès le ramenaient vers celui qui donna au socialisme l’onction du pouvoir. « Mitterrand, c’est la volonté, martèle Hollande. Il a réussi avec une poignée d’hommes et de femmes… Il se reprend : très peu de femmes en réalité, à devenir président de la République. Tout laissait penser qu’il ne pourrait pas y parvenir. » À cet instant, le regard pétillant du candidat à la présidentielle de 2012 se passe de commentaires. Cette volonté, c’est la sienne.


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