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François Rebsamen P. 2

Du flou à la lumière François Hollande ne pouvait pas zapper le Congrès des maires de France. L’ancien maire de Tulle a Édito trop promis pendant sa campagne Bruno Jeudy pour ne pas clarifier davantage sa vision d’une République « décentralisée ». Trente ans après les lois dites Defferre, le président de la République veut donner une nouvelle impulsion à la décentralisation. Il en a fait une des priorités du début de son quinquennat. Il faut dire que la gauche – le PS en tête –, alors dans l’opposition, a fait feu de tout bois contre la réforme territoriale de Nicolas Sarkozy. À l’époque, les parlementaires socialistes dénonçaient la création du conseiller territorial, destiné à remplacer à terme les conseillers régionaux et les conseillers généraux, une tentative de « recentralisation ». Comme il l’avait promis, François Hollande a abrogé ce texte. Exit le conseiller territorial. En attendant la future organisation territoriale et surtout les modes de scrutin, les élections régionales et cantonales, qui devaient avoir lieu en 2014, sont reportées à 2015. D’ici là, François Hollande va devoir passer du flou à la lumière. Les maires, les présidents de conseils régionaux et généraux (pour la plupart estampillés socialistes) s’impatientent et commencent même à grogner. L’annonce de la création d’un Haut Conseil des territoires a été saluée. Le principe d’un « Pacte de confiance » avec les élus locaux va aussi dans le bon sens. Tout comme la promesse d’un allégement des normes (elles seraient au nombre de 400 000), plébiscitée. Ils ont bien entendu aussi que le Président ne souhaitait pas supprimer un échelon. Voilà le département sauvé ! Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, l’avoue sans détour : « Ça, je ne sais pas faire ! » Certes, mais qu’en adviendra-t-il du « mille-feuille territorial » ? Les élus locaux savent que l’exécutif est en quête d’économies. Ils attendent l’addition. Ils savent que le temps des embauches (482 400 postes en dix ans quand l’État en supprimait 114 400) est derrière eux. Autre point d’inquiétude : les ressources des collectivités locales. François Hollande reste évasif sur les contours de la future réforme de la fiscalité locale. Et les maires savent déjà que leurs dotations sont revues à la baisse pour 2013, 2014 et 2015. Le Président n’a, en fait, guère les moyens de faire plaisir aux élus locaux. Les indispensables économies et la réforme de l’État, que le Président appelle de ses vœux, passeront à coup sûr par la décentralisation.

Dossier

Numérique et Territoires Le numérique est une opportunité d’attractivité et de compétitivité pour les collectivités. Personne n’en doute. L’enjeu est désormais de garantir l’accès aux technologies dans les meilleures conditions. Et d’inventer les services de demain les mieux adaptés aux citoyens et au développement des territoires. L’Hémicycle et SFR ont coproduit et coécrit ce cahier spécial « Numérique et Territoires » pour enrichir la réflexion à l’occasion du Congrès de l’AMF et vous faire profiter de ce partage d’expériences. > Lire p. 11 à 18.

www.lhemicycle.com

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Rédacteur en chef : Joël Genard

95e Congrès de l’AMF

Les territoires, acteurs d’un monde en mutation Le congrès qui s’ouvre aujourd’hui s’inscrit dans une démarche prospective pour tracer les perspectives d’une nouvelle législature qui annonce une année 2013 marquée par une nouvelle étape de la décentralisation. L’ambition qui anime ce congrès est de donner aux élus les clés de ce monde en mutation. > Lire p. 6 à 9. MEHDI FEDOUACH/AFP

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Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier

Christian Estrosi

L’Hémicycle est partenaire du 95e Congrès des maires et des présidents de communautés de France Au sommaire • Prix de la viande : les marges de la distribution reviennent au menu > p. 4 et 5 • Le pourquoi et le comment de la transition énergétique > p. 19 • Mobiliser toutes les sources d’énergie > p. 20 • Comment être un acteur du développement régional quand on s’appelle Total ? > p. 21 • Développement durable : Ecofolio : une mission d’intérêt général > p. 24 • Le recyclage du papier : priorité de la politique des déchets > p. 25 • L’admiroir : Chantal Jouanno, les Médicis et les Illustres du Sénat > p. 26

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FRANÇOIS REBSAMEN SÉNATEUR-MAIRE DE DIJON, PRÉSIDENT DU GROUPE SOCIALISTE AU SÉNAT

a la légitimité pour présider les conférences territoriales, «LadansRégion lesquelles doivent siéger les départements, les agglomérations et les EPCI ruraux. Il appartient au Parlement d’en décider » Selon François Rebsamen, la troisième vague de décentralisation préparée par l’exécutif sera « le symbole de la confiance retrouvée entre l’État et ses collectivités ». Dans le débat qui est né pour savoir quelle collectivité présidera les futures « conférences territoriales », le sénateur-maire de Dijon prend position. Le président de la République a reçu le 30 octobre les maires des grandes villes ainsi que les présidents de grandes agglomérations. Plusieurs maires UMP n’ont pas signé la déclaration commune, pour condamner notamment le désengagement financier de l’État dans les collectivités. Ont-ils eu tort ?

Je regrette cette attitude qui n’est pas constructive et qui ne correspond pas à la réalité de la situation. Le désengagement financier de l’État a été la marque du quinquennat précédent : transferts de compétences mal compensés, gel des dotations de l’État, engagements non tenus des contrats de plan, dettes envers les départements non remboursées. En cinq ans, les collectivités ont été asphyxiées financièrement au point qu’elles ont dû réduire leurs efforts d’investissement de 73 à 70 %, augmenter leur endettement de 3 %, revoir à la baisse leurs capacités d’autofinancement et diminuer leurs attributions de subventions. Les élus locaux n’ont pas cessé d’être stigmatisés par l’ancien président de la République, ils ont été fragilisés par une réforme territoriale mal pensée et recentralisatrice, et leur autonomie financière a été amputée par la compensation tardive de la suppression de la taxe professionnelle et une fiscalité locale sans visibilité. À l’inverse François Hollande, lors de son discours de campagne présidentielle à Dijon, le 3 mars, a affirmé sa volonté

de renouer le pacte de confiance et de croissance entre l’État et les élus. Lors des états généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre dernier, le président de la République a redit son attachement aux collectivités territoriales, basant son programme en matière de décentralisation sur 4 principes : la confiance, la clarté, la cohérence, la démocratie. Néanmoins, dans la situation où se trouve notre pays, il est normal que l’ensemble des acteurs de la puissance publique participe à l’effort de redressement. C’est pourquoi le gouvernement souhaite réduire la

Nous connaissons les principes qui guident le gouvernement. Ils sont dictés par les déclarations du président de la République et sa fibre décentralisatrice ne fait aucun doute. Il a été suffisamment longtemps élu local, maire d’abord, président de conseil général ensuite : il connaît les territoires, leurs potentialités et leurs capacités d’innovation. Il a pu mesurer l’efficacité de l’action locale basée sur la proximité et la connaissance du terrain. Il est convaincu que la réforme de l’État passe par une nouvelle étape de la décentralisation.

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L’ÉTAT PERD DE SON EFFICACITÉ. IL DOIT SE CONCENTRER SUR SES MISSIONS RÉGALIENNES »

dotation de fonctionnement des collectivités pour la période 2013-2015. Il n’y aura pas d’impact sur 2013 et la baisse sera de 750 millions en 2014 et 750 millions en 2015. C’est sans commune mesure avec les 10 milliards sur cinq ans que prévoyait le candidat Nicolas Sarkozy, auxquels devait s’ajouter une RGPP imposée à marche forcée aux élus pour les fonctionnaires territoriaux. Quelle est votre analyse sur les projets du gouvernement pour cette 3e vague de décentralisation ?

Pour le moment aucun texte n’a été soumis au Parlement.

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À vouloir tout faire et se mêler de tout, l’État perd de son efficacité. Il doit se concentrer sur ses missions régaliennes et laisser les collectivités agir dans les compétences qui sont les leurs. Le projet de loi de décentralisation définira des blocs de compétence pour chaque niveau de collectivité et il donnera aux élus une visibilité et une stabilité sur leurs ressources. Il devra aussi supprimer les doublons État-collectivités, et réduire le maquis des normes en les simplifiant et les diminuant. Ce dernier point est d’ailleurs une attente importante révélée dans les réponses aux questionnaires des

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états généraux de la démocratie territoriale et que Jean-Pierre Bel, le président du Sénat, a entendu puisqu’une proposition de loi du Sénat va être déposée dans ce sens. Ce nouvel acte de décentralisation sera le symbole de la confiance retrouvée entre l’État et ses collectivités. Craignez-vous une concurrence entre grandes collectivités ? Qui doit gouverner les conférences territoriales ?

Je parlerai plutôt d’une émulation stimulante pour accroître l’attractivité et le dynamisme des territoires. D’ailleurs, la clarification des compétences, la mise en place de chefs de file, le droit aux expérimentations permettra la complémentarité et non la concurrence. Qui plus est, dans le contexte de crise actuel, nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’opposer les collectivités entre elles et les collectivités territoriales et l’État. La décentralisation ne se fera pas au détriment de l’une ou l’autre. Régions et métropoles ne s’opposent pas, elles se conjuguent, Régions et départements se complètent et la concurrence entre ces deux collectivités est totalement dépassée, les départements ont en charge les solidarités sociales et territoriales, et reconnaissent le rôle de stratège dévolu aux Régions sur l’économie, l’innovation, la recherche, la formation. Les conférences territoriales, qui vont être créées dans la logique des conférences d’exécutifs, veilleront à

l’articulation optimale des compétences transférées ou déléguées. La gouvernance territoriale est un élément essentiel pour la coordination et la complémentarité des stratégies des différents niveaux de collectivités. À titre personnel je pense que la Région a la légitimité pour présider les conférences territoriales, dans lesquelles doivent siéger les départements, les agglomérations et les EPCI ruraux ; mais le débat est ouvert, il appartient au Parlement d’en débattre et d’en décider. Qu’attendez-vous du Congrès des maires de France ?

Je souhaite que ce grand rendez-vous de la démocratie locale soit l’occasion pour le gouvernement de réaffirmer sa volonté de renforcer le pacte de confiance entre l’État et les collectivités, élément déterminant pour le redressement de notre pays. Les maires doivent sortir de ce congrès rassurés sur l’avenir de leurs communes, petites ou grandes, communes rurales ou futures métropoles, confortés dans leurs missions et dans leur rôle, et confiants dans le respect des engagements que le président de la République et son gouvernement prendront à leur endroit. De tous les élus de la République, les maires sont ceux que les Français apprécient le plus. Il est temps que l’État partage cette reconnaissance.

Propos recueillis par Thomas Renou


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CHRISTIAN ESTROSI DÉPUTÉ-MAIRE DE NICE, PRÉSIDENT DE LA MÉTROPOLE NICE CÔTE D’AZUR

de François Hollande de matraquage et d’essorage «Ladesstratégie finances des collectivités locales, qui se ressent sur la fiscalité des citoyens, est insupportable pour les élus locaux » Selon Christian Estrosi, le président de la République « n’écoute pas les élus ». Reçu par François Hollande, le 30 octobre, il a refusé, comme quatre maires de grandes villes de droite, de signer la déclaration commune État-grandes villes et agglomérations. Le président de la République a demandé aux maires des grandes villes et agglomérations de participer au « redressement de la France ». Vous n’avez pas signé la déclaration commune État-territoires. Pourquoi ?

Avec Alain Juppé, maire de Bordeaux, Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille, et André Rossinot, maire de Nancy et président de la communauté urbaine du Grand Nancy, nous ne partageons pas l’esprit général de la déclaration commune État-territoires. Comme l’ensemble des maires et présidents de structures intercommunales, nous sommes tous très engagés en matière de développement économique, de solidarité, de politique de l’habitat ou de développement durable et nous sommes déterminés à continuer à investir dans ces domaines et à soutenir l’emploi local et donc l’emploi de notre pays. Cependant, il nous est impossible de signer cette déclaration en l’état, sans avoir davantage d’éclaircissements, notamment sur l’engagement numéro 13, relatif au pacte financier de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités. En effet, nous sommes contraints de constater que les mesures prises actuellement par le gouvernement et notamment celles contenues dans le projet de loi de finances pour 2013 sont en totale contradiction avec l’objectif du titre III de la déclaration consistant à préserver nos capacités d’investissement.

La défiscalisation des heures supplémentaires et l’augmentation des taux de cotisation pour la retraite des agents territoriaux, l’annonce du gel des dotations aux collectivités territoriales et la montée en puissance du fonds de péréquation intercommunale, tout comme la modification des rythmes scolaires et la scolarisation dès 2 ans induisant des charges nouvelles, ont et auront naturellement de lourdes conséquences sur le budget de nos collectivités. L’augmentation de ces postes de dépenses, imposée par les déci-

une Agence de financement des collectivités locales. Y êtes-vous favorable ?

Depuis son lancement par le gouvernement de François Fillon et Nicolas Sarkozy, le projet de création de l’Agence de financement des collectivités locales est une véritable ambition nécessaire et dépassant tout clivage politique. Malgré la difficulté du gouvernement à « passer le pas », malgré la trop lente venue au monde de cet outil, la mobilisation des collectivités ne faiblit pas et leur attente ne fait qu’augmenter.

«

NOUS APPELONS DONC L’ÉTAT À PRÉCISER LE PROJET DE LOI DE RÉFORME DE LA DÉCENTRALISATION » sions gouvernementales dans nos budgets de fonctionnement, aura naturellement pour conséquence de baisser nos marges d’investissement. Nous appelons donc l’État à préciser le projet de loi de réforme de la décentralisation renforçant le fait urbain et la métropolisation et à renforcer l’équilibre du pacte qu’il nous propose en prenant des engagements fermes sur le soutien de l’État aux collectivités afin de nous permettre de continuer à investir pour nos concitoyens. Vous pointez le désengagement financier de l’État. Les élus locaux souhaitent que soit créée

Bien sûr, la conjoncture actuelle rend l’Agence encore plus nécessaire qu’elle ne l’était il y a encore un an, lorsque les collectivités parvenaient encore à lever les volumes nécessaires à leurs investissements. Bien sûr, l’intérêt économique et le succès de ces structures en Europe du Nord ne peuvent qu’inciter à franchir le cap en France. Mais cette agence est aussi un gage de solidarité entre collectivités, permettant aux petites collectivités d’accéder aux marchés obligataires en bénéficiant de la visibilité des plus grosses, et aux plus grosses de pérenniser leurs investissements en contribuant par la même occasion au renforcement de la cohésion territoriale.

J’attends du gouvernement qu’il classe ce dossier dans ses priorités. C’est un texte facile à voter grâce à son caractère transpartisan. Ne pouvez-vous avoir cette attitude constructive sur d’autres sujets avec la nouvelle majorité ?

Je suis un membre de l’opposition sans concession face à une majorité socialiste bien décidée à mettre en œuvre un programme qui entraînera notre pays vers la faillite. Lorsque le gouvernement demande de voter le traité européen signé par Nicolas Sarkozy, alors je lui apporte mon soutien. S’il décide demain d’appliquer le rapport Gallois je pourrais lui apporter aussi mon soutien. Mais alors, s’il applique le programme de Nicolas Sarkozy, il devra présenter des excuses à notre ancienne majorité. En tant que vice-président de l’Association des maires de France, je travaille avec des élus de gauche comme de droite sans aucune différence. Lors de notre rencontre avec le président de la République, nous avons tous dénoncé le matraquage fiscal des collectivités. Qu’attendez-vous du Congrès des maires de France ?

J’attends que le gouvernement écoute les élus locaux. J’avais lu dans la presse que François Hollande hésitait à venir par peur d’être hué par les maires de France. Sa stratégie de matraquage et d’essorage des finances des collectivités locales, qui se ressent sur la

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fiscalité des citoyens, est insupportable pour les élus locaux. Ce congrès des maires doit être un signal d’alarme supplémentaire pour le gouvernement. Ce gouvernement n’a pas de cap et laisse notre pays à la dérive depuis six mois. Vous souhaitez « conquérir ou reconquérir les territoires perdus » en France par la droite, mais est-ce possible ? Une grande formation de centre droit ne peut-elle pas vous faciliter la tâche ?

Dans les trois années qui arrivent vont se succéder les élections municipales, cantonales, régionales et européennes. C’est pour ces élections que l’UMP doit démontrer sa capacité à gouverner. Pour atteindre cet objectif de reconquête notre famille doit être rassemblée. L’UMP est le grand parti de centre et de droite de notre pays. C’est pour cette raison que je me suis engagé aux côtés de François Fillon car il était le seul candidat capable de rassembler sur notre gauche et sur notre droite. Notre tâche est de reconquérir les territoires de France que nous perdons depuis 1995. Pour atteindre cet objectif, nous mettrons en place un pôle re conquête qui sera dédié à ces batailles électorales. La gauche est en train d’envoyer notre pays dans le mur et nous devons nous y opposer de toutes nos forces et par tous les moyens.

Propos recueillis par T.R.


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Prix de la viande : les marges de la d Une nouvelle flambée des prix des céréales étrangle les éleveurs, qui réclament une hausse des prix de la viande. Un an et demi après un premier accord entre représentants de la distribution, de l’élevage et de la transformation, le gouvernement remet le couvert avec les mêmes invités, ce 21 novembre. Par Tatiana Kalouguine PHILIPPE HUGUEN/AFP

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neus, fumier et parpaings bloquent l’entrée de l’hypermarché Carrefour Saint-Serge, près d’Angers, ce vendredi 5 octobre. « Les producteurs sont dos au mur, la grande distribution au pied du mur », proclame une banderole. Confrontés à la hausse de leurs charges, les éleveurs des Pays de Loire et de Bretagne enchaînent les opérations « commando » depuis la fin septembre. Les syndicats d’agriculteurs du Maine-et-Loire n’ont pas l’intention de fléchir : « Nous effectuons des blocages de supermarchés tous les week-ends. Lorsque l’on contacte les sièges pour négocier, la plupart acceptent de discuter avant même le début des opérations », relate Jean-Marc Lézé, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) du Maine-et-Loire. L’objectif des éleveurs : obtenir des grandes enseignes de distribution une renégociation des prix de vente, comme le prévoyait un accord signé par toutes les parties, le 3 mai 2011, en cas de flambée des matières premières. Pour la FNSEA, les seuils d’alerte tels que définis dans cet accord sont dépassés depuis le mois de juillet. « Cet accord, conclu sous l’égide du précédent ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, n’a, pour ainsi dire, jamais été appliqué, abonde Guy Vasseur, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (Apca). Il faut se remettre autour de la table, sous la responsabilité des pouvoirs publics, puisque c’est sous leur responsabilité que cet accord a été signé. » Pour les éleveurs, les données du problème sont simples : les aliments de base des animaux d’élevage,

composés essentiellement de céréales et de soja, représentent environ 60 % du coût de production de la viande. Or, depuis un an, les cours des matières premières ont littéralement flambé sur les marchés internationaux : +23 % pour le maïs en octobre sur un an glissant, +43 % pour le blé, +32 % pour le soja. Et, sur la même période, le prix de vente de la viande, lui, n’a pas suivi la même tendance : le prix de la boucherie en rayons dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) a progressé de 5,4 %. Celui de la volaille en libre-service de 0,05 %.

Afin de préserver leurs revenus, les éleveurs réclament que les prix de vente au détail soient relevés, afin qu’eux-mêmes puissent vendre plus cher aux abattoirs et autres intermédiaires (entreprises laitières, transformateurs, salaisonniers pour le porc), sans que ceux-ci aient à rogner sur leurs marges. « En faisant cette action, on a donné un coup de main aux transformateurs pour qu’ils puissent augmenter leurs prix d’achat. Eux ont plus de difficultés que nous à discuter de façon ferme avec la distribution car ils prennent le risque de se faire déréférencer », souligne Jean-Marc Lézé.

Le poulet français bat de l’aile Facteur aggravant pour les volaillers français, notre poulet national est désormais fortement concurrencé par les poulets européens, principalement allemands, belges ou hollandais. Dans une note datée de septembre 2012 de l’Agreste, le service des statistiques du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, on apprend que « l’excédent des

échanges de viande de poulet de la France ne cesse de diminuer depuis 2000 ». Entre 2000 et 2011, cet excédent a été divisé par quatre. C’est un fait, aujourd’hui, « un quart des poulets de chair consommés en France est importé », résume Thierry Pouch, économiste de l’Apca. Et c’est avec nos voisins européens que notre situation se dégrade le plus : « Sur son marché intérieur, la France est concurrencée

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par la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne, qui représentent 69 % des importations de viande de poulet », précise l’Agreste. Le poulet bleublanc-rouge peut-il relever la tête ? Depuis 1997, l’appétit des Français pour le poulet est resté au beau fixe, autour de 1,5 million de tonnes. Mais durant la même période, la production hexagonale s’est contractée, passant de 2,2 à 1,8 million de tonnes par an.

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Une situation d’étranglement La filière porcine est en situation critique. Le prix de la viande en rayons a certes légèrement augmenté ces derniers mois, mais pas suffisamment pour compenser les hausses de coûts de production, affirment les représentants d’éleveurs. « Il faudrait une hausse d’au moins 15 à 20 centimes le kilo pour retrouver un minimum de rentabilité », estime la Coordination rurale (CR), un syndicat agricole indépendant. Mais c’est sur la volaille que la pression est la plus forte. Ce que réclament les éleveurs : « 16 % de hausse, soit quelque 10 centimes du kilo pour absorber la hausse des aliments volaillers ces derniers mois », précise M. Lézé. Mais « la grande distribution refuse de passer les augmentations nécessaires vis-à-vis de la transformation. Pire, en novembre, il y a eu une baisse du prix d’achat de la volaille, qui ne s’explique pas et qui est injustifiable », s’alarme Guy Vasseur. Affectés par la hausse des matières premières mais aussi par la concurrence étrangère, les éleveurs porcins et les volaillers sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge. Résultat : la production

française est en recul. Les volumes de porc « made in France » devraient baisser de 3 % cette année et de 5 % à 6 % en 2013, affirme la Fédération nationale porcine (FNP). La production de volaille s’est quant à elle stabilisée au premier semestre mais les éleveurs s’inquiètent de l’augmentation des importations de poulet (lire encadré), tandis que la production nationale d’œufs et de pintades recule inexorablement. Guy Vasseur, qui représente les chambres d’agricultures, se dit très pessimiste : « Les marges sont faibles, les éleveurs n’investissent plus. C’est une situation d’étranglement. Pour nous les choses sont claires : si la pression est trop forte, ils vont disparaître. » Dans un communiqué du 29 octobre, le Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale (Snia) adopte le même ton catastrophiste : « Un pan entier de l’économie est en train de se fissurer et menace de s’écrouler, entraînant avec lui la disparition de dizaines de milliers d’emplois et la dévitalisation des campagnes françaises. » L’organisation professionnelle s’inquiète en particulier d’une augmentation des retards de paiements qui grèvent les comptes


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a distribution reviennent au menu distributeurs. Nous attendons des pouvoirs publics qu’ils fassent respecter un équilibre entre les trois acteurs et qu’il n’y en ait pas un qui écrase les autres. »

Retour à la table des négociations

L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, créé par le ministère de l’Agriculture et FranceAgriMer et dirigé par l’universitaire Philippe Chalmin, démontrait dans son premier rapport annuel, en juin 2011, un très clair basculement du rapport de force en faveur des distributeurs au cours de la période 19982011. L’auteur notait en particulier « une augmentation de 6 points de la part de la marge brute agrégée [de la transformation à la distribution, NDLR] et une réduction équivalente de la part de la matière première », dans la filière bovine. À partir de la mi-2010, la marge des GMS s’est stabilisée, quand celle des transformateurs a décru. Concernant les éleveurs de bovins, le rapport notait « une nette diminution du résultat courant avant impôts, liée à une certaine stagnation des prix des bovins alors que les charges d’élevage (alimentation, autres consommations intermédiaires) augmentent » depuis 2002. Et concluait que « le supplément notable de recettes apporté par les aides directes ne permet de couvrir que partiellement la rémunération du travail familial calculée sur la base de 1,5 Smic ». Dans son rapport remis le 13 novembre dernier, l’Observatoire démontre que la part de la valeur ajoutée revenant à l’agriculture sur 100 euros de dépenses alimentaires est de seulement 7,60 euros contre 11 euros aux industries agroalimentaires, et 21 euros aux distributeurs. Si les enseignes de distribution enregistrent des marges nettes négatives dans la boucherie, elles se rattrapent sur la charcuterie et la volaille. Cette dernière leur procurant une marge nette de 5,90 euros pour 100 euros de chiffre d’affaires, la plus élevée des cinq étudiés. L’Observatoire est parvenu à décortiquer la formation des prix pratiqués dans les rayons des distributeurs, de la marge brute à la marge nette, en se fondant sur les déclarations de sept enseignes – Carrefour, Casino, Leclerc, Auchan, Intermarché, Système U, Cora – qui ont accepté de partager leurs données : coût d’achat des produits, frais de personnel, maintien des rayons, foncier… De quoi aller vers plus de transparence, même si des améliorations peuvent encore être apportées.

Montrée du doigt, la distribution est moins diserte sur ces questions. Serge Papin, président de Système U, n’est cependant pas prêt à endosser le rôle du bouc émissaire. « Si cette revendication est justifiée, il faut en discuter, concède-t-il. L’augmentation des cours des céréales représente forcément un coût à répercuter, et je tiens à préciser que Système U a été la seule enseigne à augmenter les prix de la volaille cet été. » Toutes les chaînes d’hypers n’ont pourtant pas réagi de la même façon depuis le début de la grogne, au printemps dernier. « Certaines ont montré un esprit d’ouverture, mais d’autres, comme Leclerc, ne mettent en avant que le pouvoir d’achat des consommateurs, sans prendre en compte la situation des producteurs. Ils se comportent en cow-boys ! » s’énerve Guy Vasseur. Contactée par la rédaction de l’Hémicycle, la direction de Leclerc n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Pour ces distributeurs réfractaires aux hausses de prix, il va pourtant falloir se remettre à la table des négociations. Un an et demi après le premier accord infructueux, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a annoncé la tenue, ce 21 novembre, d’une table ronde sur les relations commerciales entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Avec pour objectif affiché d’améliorer les relations contractuelles dans les filières animales. « Franchement, en France, il y a de quoi améliorer les choses », constatait le ministre le 4 octobre, lors du Sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand, comparant les pratiques françaises et euro péennes. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, se dit lui aussi favorable à une remise à plat de l’accord de 2011 : « Cet accord n’est pas satisfaisant, car incomplet. Il ne fixe aucun terme à la négociation », déclarait-il en octobre dans l’Usine Nouvelle. Mais l’annonce d’une nouvelle réunion laisse déjà certains sceptiques. Débouchera-t-elle cette fois sur des engagements contractuels ? « Il y a déjà un accord, il faudrait commencer par l’appliquer, objecte Guy Vasseur. La loi de modernisation de l’économie n’a rien changé des rapports entre les producteurs, transformateurs et

De nouvelles données sur les marges des GMS

« Le consommateur aussi doit accepter une augmentation du prix des produits de l’élevage » quelques années, la tendance s’est complètement inversée. Les élevages ne se créent plus, voire disparaissent. La consommation française reste forte mais on importe de plus en plus de viande. Plus grave : dans le monde, la consommation de viande explose – la FAO prévoit un doublement de la demande d’ici à 2050 –, et la France est en train de passer à côté de ce marché alors qu’elle dispose du savoir-faire, de la géographie, du climat et des infrastructures. Quelles sont les conséquences sur les entreprises de votre secteur, la production d’alimentation animale ?

La santé de notre profession dépend de celle des éleveurs, qui sont nos clients. Nos prix dépendent à 80 % des cours fluctuants des matières premières, nous n’avons donc quasiment aucune marge de manœuvre quand le prix du blé double : nous n’avons pas d’autre choix que de le répercuter sur les éleveurs. Donc, s’ils n’ont pas les moyens d’acheter nos produits, nous n’existons pas. DR

des éleveurs. « En production porcine, ces retards représenteraient 10 % du chiffre d’affaires des fabricants à fin octobre 2012 », observe le Snia, pour qui 35 % des encours chez les éleveurs sont « particulièrement préoccupants ».

Dans un communiqué vous réclamez « un plan d’aide massif » pour les éleveurs. Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?

ALAIN GUILLAUME PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DE LA NUTRITION ANIMALE (SNIA) Vous voulez alerter le public sur la « situation d’urgence » que connaissent les éleveurs français. Comment en est-on arrivé là ?

Pour la première fois, les sources protéiques et énergétiques nécessaires à l’alimentation animale ont simultanément vu leurs prix doubler en l’espace de quelques mois. C’est une situation inédite et dramatique, et l’on peut comprendre que tous les opérateurs de la filière, des éleveurs jusqu’aux distributeurs, aient été surpris et déboussolés par cet ouragan que personne n’avait vu venir. C’est difficile à accepter mais c’est pourtant arrivé, et cela dure. Il faut donc maintenant en prendre acte, car si l’on refuse de prendre en compte cette nouvelle donne, c’est la mort de l’élevage. Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?

Le Snia est idéalement placé pour

observer ce qui se passe. La production d’aliments composés pour animaux est un excellent indicateur de la bonne santé de l’élevage d’un pays. Depuis toujours, la France était le premier producteur d’aliments composés pour animaux en Europe, ce qui reflétait son leadership. Or, depuis dix ans, nous constatons chaque année un recul de nos ventes d’aliments (-15 % sur la période). Et voilà que, il y a deux ans, nous avons perdu notre leadership au profit de l’Allemagne. De l’autre côté du Rhin la croissance est là, et la production de produits carnés augmente. Ce déclin est-il le résultat d’une perte de compétitivité ?

Tout à fait. L’élevage français est né d’une forte demande intérieure, mais parallèlement nos producteurs en avaient profité pour se développer à l’export. Or, depuis

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Pour que les éleveurs puissent vivre de leur métier il faut que les prix de vente augmentent et que le consommateur accepte une augmentation du prix des produits d’élevage. Ceci est indispensable si l’on veut préserver l’agriculture et les emplois français. Cela engage le monde de la distribution, mais aussi plus largement tous les citoyens. Il faut ensuite aider les éleveurs à restructurer leur exploitation pour rester compétitifs. Mais il est devenu très difficile de se mettre aux normes car il y a beaucoup trop de freins administratifs et réglementaires. À titre d’exemple, lorsque l’on souhaite installer une activité, le déclenchement d’une enquête publique se fait à partir d’une surface de 400 mètres carrés. En Allemagne, ce seuil est cinq fois plus élevé. Il est donc urgent de lever ces barrières qui rendent précaire et hasardeux le développement des élevages et l’installation de jeunes agriculteurs.


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95e Congrès

de l’AMF

Le monde bouge… les territoires en sont les acteurs ! À l’occasion du Congrès de l’AMF, Jacques Pélissard, son président, évoque pour L’Hémicycle, partenaire de cet événement annuel, les sujets d’actualité : partenariat entre l’État et les collectivités, gouvernance infrarégionale, mutualisation des moyens, Agence publique de financement et unité de l’AMF.

Notre société évolue et l’adaptation des territoires à ce monde en mutation nous semblait cette année une thématique importante et d’actualité. Les contraintes actuelles sont vécues chaque jour par les maires. C’est important de réfléchir, dans un congrès comme celui-là, aux remèdes que l’on peut apporter, d’autant plus qu’une nouvelle législature a commencé. Comment espérez-vous voir associer les communes à l’acte III de la décentralisation ?

L’État décide parfois seul et il faut qu’en amont les collectivités locales puissent engager une négociation avec l’État et un dialogue prenant en compte les aspirations respectives.

Il faut créer un vrai partenariat entre l’État et les collectivités locales, avec la mise en place d’un pacte de confiance. Le Haut Conseil des territoires devra constituer cette instance de dialogue, de négociation et d’expertise associant les collectivités territoriales à la préparation et au suivi des projets et propositions de réformes ayant un impact territorial. Cela passe aussi par la mise en place d’une gouvernance infrarégionale facilitant cette coconstruction avec l’État pour une bonne répartition des compétences.

ÉRIC FEFERBERG/AFP

Pourquoi avoir choisi cette année la thématique « Les territoires, acteurs d’un monde en mutation », à l’occasion du 95e Congrès des maires ?

Qu’espérez-vous de l’intervention du chef de l’État ?

J’espère plusieurs choses, et certains dossiers sont urgents. L’État doit faire confiance aux collectivités par le biais de l’Agence publique de financement pour que le crédit soit moins coûteux et que chaque maire puisse continuer d’investir.

ont du mal à assumer. Un autre dossier qui me tient à cœur est celui de la mutualisation des moyens pour permettre une meilleure efficacité des dépenses publiques. Le président de la République, à l’occasion de son discours du 5 octobre dernier en Sorbonne, a déjà apporté des réponses positives à certaines demandes : instauration d’un pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales, droit à l’expérimentation, amélioration du statut de l’élu, création du Haut Conseil des territoires. Quelle sera la gouvernance que vous souhaitez pour l’AMF ?

Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France. Une autre demande, qui j’espère sera satisfaite, porte sur la réduction des normes et l’étude de l’impact financier de chacune d’entre elles.

Je vous donne un exemple : la norme sur l’amiante a encore été aggravée cet été. Cela crée des coûts supplémentaires que les collectivités

L’unité de l’AMF est un élément essentiel de la force de notre association. Quel que soit le gouvernement nous devons rester unis. Je suis le garant de cette unité.

Propos recueillis par Joël Genard

« Des paroles aux actes ! » Au cours du Congrès de l’AMF, André Laignel, secrétaire général de l’association, fera le point sur les actions menées depuis un an. S’il considère que l’acte III de la décentralisation sera une étape nouvelle pour les collectivités, il craint leur étouffement financier et réclame plus d’audace !

BERTRAND GUAY/AFP

Quel bilan tirez-vous de cette année écoulée depuis le dernier Congrès de l’AMF ?

ANDRÉ LAIGNEL SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’AMF

L’année qui s’est écoulée depuis le dernier Congrès est une année contrastée. Depuis juillet nous avons un nouveau gouvernement qui lance beaucoup de chantiers. Celui de l’intercommunalité a été un gros dossier sur les six premiers mois de l’année. Il reste toutefois un tiers des départements sans schéma départemental. Et même dans ceux où il y en a un, cela ne veut pas dire qu’il se mettra facilement en œuvre. Toute cette procédure a eu un immense défaut. Passez-moi l’expression berrichonne, mais on nous a demandé d’acheter un lièvre en sac ! On a redessiné des intercommunalités sans qu’il y ait la moindre simulation financière. Il risque d’y avoir beaucoup de surprises. Cela conduira dans certains cas à des baisses de dotations.

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L’AMF est sur tous les fronts et il ne peut y avoir de développement économique sans le concours des collectivités locales. C’est aussi l’avis du chef de l’État. Nous sommes aujourd’hui dans une période où nous exprimons nos souhaits auprès des pouvoirs publics en attendant les décisions et les choix politiques. Comment voyez-vous évoluer les dotations dans ce contexte de crise ?

Pour 2013, l’engagement du gouvernement est que les dotations resteront strictement à l’identique. C’est-à-dire qu’elles seront gelées. Cela conduira à une perte de pouvoir d’achat de 2 % compte tenu de l’inflation. C’est d’ailleurs la preuve que nous participons à l’effort demandé. Mais on ne peut resserrer le garrot sans cesse. C’est toutefois moins grave que ce qui avait été annoncé par la précédente

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majorité, qui prévoyait une amputation des dotations de 2 milliards chaque année sur cinq ans. Il faut tenter de trouver des solutions différentes à celles proposées par l’actuel gouvernement ainsi que des formes de compensations comme des baisses de charges. C’est pourquoi les élus souhaitent un pacte de confiance avec l’État qui leur apporte des garanties sur la durée. La première question qui se pose est très clairement celle de savoir si l’on veut étouffer les capacités d’investissement des collectivités locales. En 2014, je prédis une baisse importante des communes et communautés. L’intérêt national n’est-il pas de favoriser l’investissement pour participer à la relance ? La seconde question est de savoir si l’on veut affaiblir le service public local ? La nation ne gagnera pas à voir fermer des services de proximité. L’avenir sera fait de la réponse

à ces deux questions et j’entends bien les poser lors de ce congrès. Qu’attendez-vous de l’intervention du chef de l’État ?

Il faut des réponses de fond. Le problème est de passer des paroles aux actes. Il semble, malheureusement, que parfois les vieilles habitudes aient la vie dure. Est-ce en continuant à nous appliquer ce garrot financier, en affaiblissant nos capacités d’action que nous pourrons contribuer avec le plus d’efficacité au redressement de la France ? Pour participer au renouveau, nous avons besoin que soient levées les entraves. Il nous faut une liberté financière marquée par l’accès au crédit et l’autonomie fiscale. Nous réclamons aussi la liberté d’action qui nécessite moins de tutelle et moins de normes. Cette nouvelle étape de décentralisation doit être marquée par l’audace !

Propos recueillis par J.G.


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Décentralisation Acte III

La gouvernance infrarégionale et ses outils

a première est la notion d’intercommunalité à fiscalité propre. Confirmées par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, 2 581 communautés regroupent, au 1er janvier 2012, 35 303 communes (96,2 %) rassemblant 59,3 millions d’habitants (90,2 % de la population). L’objectif est de parvenir à une couverture complète du territoire à la fin de l’année 2013. Si cet objectif est aussi important, c’est parce que sa réalisation permettra de rationaliser les moyens et de perfectionner la mise en œuvre des politiques publiques. Comment ? Tout d’abord en définissant un cadre contractuel que le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, qualifie de « pacte de gouvernance territoriale », qui sera conclu entre les collectivités et l’État, pour la durée d’un mandat, et centré autour d’un projet de territoire. Ce pacte précisera les compétences et les interventions respectives de chacun et identifiera un chef de file qui assumera la responsabilité principale de sa mise en œuvre. Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France (AMF), privilégie pour sa part une gouvernance infrarégionale où les communes, les intercommunalités, les dépar-

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tements et la Région seront parties prenantes. La place des intercommunalités dans ce dispositif est évidente : elles seront des acteurs centraux, agissant de manière coordonnée avec l’échelon régional. Le couple des intercommunalités et des Régions semble ainsi s’imposer comme le cadre privilégié de cette nouvelle décentralisation. Le département, qui semblait menacé sous le gouvernement précédent, sera cependant préservé. Conformément à ses engagements, le chef de l’État a confirmé revenir sur la création des conseillers territoriaux, qui devaient cumuler les fonctions de conseillers généraux et de conseillers régionaux. Ce revirement politique (par rapport à son prédécesseur) ne fait pourtant pas disparaître le sentiment d’un inexorable déclin du couple historique de la commune et du département et d’un dynamisme de celui, mieux adapté au monde contemporain, de l’intercommunalité et de la Région.

La responsabilité des collectivités chefs de file Au nombre des notions pivots de cette gouvernance infrarégionale, celle de « collectivité chef de file » occupe une place prépondérante. Afin de clarifier la répartition des

GONZALO FUENTES/AFP

Les récents états généraux de la démocratie territoriale et le 95e Congrès des maires et présidents de communautés de France (du 19 au 22 novembre 2012) donnent au problème de la gouvernance locale toute son actualité. D’autant que le projet de loi de décentralisation sera en discussion au Parlement au début de l’année prochaine. Quels sont les enjeux et les perspectives de cette question ? L’examen de plusieurs notions clés permet d’essayer d’y répondre. Par Éric Maulin

Le Président François Hollande aux états généraux de la démocratie territoriale, les 4 et 5 octobre 2012.

compétences entre les collectivités, et sortir de l’émiettement que génère le mille-feuille administratif, il est envisagé de préciser la responsabilité d’un chef de file qui, pour chaque politique publique, permettra de rationaliser et d’accélérer le travail. La possibilité pour une collectivité d’être chef de file est déjà inscrite dans le texte de la Constitution (art.72), depuis 2003, mais sa mise en œuvre reste difficile en raison, notamment, de l’interdiction pour une collectivité territoriale d’exercer, sur une autre,

Intercommunalité à fiscalité propre La notion d’intercommunalité est une notion générique qui permet de regrouper toutes les formes d’associations entre les communes pour répondre à des besoins d’équipement, d’infrastructure, de gestion des ressources en eau ou d’assainissement, d’enlèvement des ordures, etc. Elles prennent des noms variables, qui répondent à des sous-catégories : syndicats intercommunaux, communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999, dite Chevènement), communautés de communes (loi du 6 février 1992), communautés urbaines (loi du 31 décembre 1966)

et, prochainement sans doute, communautés métropolitaines. Toutes ces associations sont des établissements publics de coopération territoriale. Il faut cependant distinguer ceux qui ont des ressources propres – autrement dit une capacité à prélever directement l’impôt, sous la forme de centimes additionnels aux impôts locaux – et ceux qui dépendent des dotations des communes qui en sont membres. Il est bien évident que les intercommunalités à fiscalité propre ont une plus grande autonomie et peuvent prendre des initiatives. C’est pourquoi cette voie

est encouragée, surtout depuis la loi du 16 décembre 2010. Ces intercommunalités à fiscalité propre ne sont pas loin d’être des supracommunalités. Toutefois, la notion même d’intercommunalité à fiscalité propre soulève des questions politiques en raison du principe selon lequel il ne saurait y avoir d’imposition sans consentement de la population. Le fait que les intercommunalités ne soient pas des collectivités territoriales et que leurs représentants ne soient pas élus au suffrage universel direct les empêche d’avoir une réelle légitimité démocratique.

une tutelle. Lors de son discours aux états généraux de la démocratie territoriale, le chef de l’État a déclaré que l’objectif était à présent « d’identifier clairement la collectivité responsable d’une politique de façon à faire en sorte que toute autre collectivité qui en aurait l’envie ne puisse intervenir que dans le cadre qui aura été fixé par l’autorité qui en a la compétence ». C’est reconnaître implicitement la nécessité d’assouplir l’interprétation actuelle de l’interdiction des tutelles.

(à côté des communautés d’agglomération et des communautés urbaines), sur le fondement de critères de rayonnement définis par la loi, dont on peut penser qu’ils tiendront compte de la présence d’universités, de sièges sociaux de grands groupes ou d’organisations internationales, d’un CHU ou d’un aéroport international, d’un port industriel ou de gares TGV.

La responsabilité des agglomérations

Last but not least, l’élection des représentants des intercommunalités au suffrage universel direct. Dans son discours en Sorbonne du 5 octobre 2012, le chef de l’État rappelait que l’ampleur des responsabilités des intercommunalités implique que leurs représentants soient désignés par le suffrage universel, en même temps que les conseillers municipaux. Mais le projet peut-il pleinement organiser une démocratie locale si les intercommunalités à fiscalité propre ne sont pas transformées en collectivités territoriales ? Il est urgent de repenser la démocratie locale en démocratie de bassin de vie. Cette dimension est pour le moment absente de l’intercommunalité, pourtant pièce maîtresse de la gouvernance infrarégionale.

Une innovation particulièrement importante consiste dans la reconnaissance du fait urbain et métropolitain. Lors d’un entretien avec les associations représentatives des agglomérations et des grandes villes, le 30 octobre 2012, le chef de l’État a précisé que, dans la prochaine loi de décentralisation, le fait urbain et métropolitain sera reconnu, notamment les métropoles, aux compétences élargies par rapport aux pôles métropolitains créés par la loi 16 décembre 2010. Il n’est cependant pas prévu de transformer les métropoles en collectivités territoriales, comme le préconisait le rapport Balladur. Il est seulement envisagé de créer des communautés métropolitaines

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L’élection au suffrage universel des représentants des intercommunalités


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de l’AMF

Les circuits courts : ancrer l’économie dans les territoires À

l’heure où l’environnement technologique prend le pas sur l’environnement tout court, certains osent désormais parler d’« écologie industrielle ». Il s’agit en premier lieu de constater le changement de paradigme. Si l’environnement au sens strict reste à protéger, les collectivités territoriales et les entreprises sont de plus en plus nombreuses à considérer que notre société technologique, qui suscite bien des inquiétudes quant à l’épuisement des ressources naturelles, de la pollution, et des coûts générés par ce modèle de production, porte en elle-même ses propres solutions. De même que la nature crée à la fois le poison et l’antidote, la société technologique doit inventer son propre circuit intégré de production. Un circuit qui valorise les sous-produits des activités humaines, mutualise les transports et suscite un développement local créateur d’emplois pérennes. Forcément un circuit court. Au plan international, le mouvement des « territoires en transition » ou « résilients », lancé en Grande-Bretagne en 2006, favorise les échanges d’expériences pour construire un avenir moins vulnérable aux crises écologiques, énergétiques et économiques1. La prise de conscience a été lente mais elle est venue du terrain, et son succès croissant indique qu’elle a pris racine. Depuis quatre ans, AgroParisTech2, Institut de recherche des sciences et industries du vivant et de l’environnement, organise une formation sur les circuits courts et, plus largement, sur le développement local. Car l’objectif est de concevoir une économie à la fois ancrée dans le territoire et économe en énergie et en empreinte écologique. À travers les déchets inhérents à leur mode de production, mais aussi leurs modes de transport (fleuve, route, rail), les entreprises sécrètent en effet ce qui s’apparente à un « écosystème industriel ». Un environnement composé d’infrastructures de transports, de technologies et de sous-produits, qui peut lui-même être utilisé comme une

ressource renouvelable à l’infini. C’est le cas par exemple de « la synergie des sables », proposée par l’association Orée3, qui permet au sable non épandable issu de betteravières d’être utilisé par une entreprise de travaux publics. Chaque entreprise économise ainsi un retraitement (pour les betteravières) ou l’extraction de sable d’une carrière pour l’entreprise de travaux publics. Un modèle souvent reproductible. Raccourcir les circuits, c’est, pour les territoires et pour les entreprises, gagner sur tous les tableaux. Préserver les ressources naturelles encore disponibles localement, par exemple des carrières, valoriser ce qui n’est plus un « déchet » mais un « sous-produit », produire moins cher et mieux, réduire l’impact sur l’environnement. Et minorer le risque de délocalisation en tissant des liens de production entre entreprises voisines, dans des secteurs différents. Car le circuit court est avant tout alimenté par des ressources non délocalisables puisque générées sur le territoire. Même si, dans le circuit court – qui limite drastiquement le nombre d’intermédiaires –, la réduction de la distance n’est qu’un critère parmi d’autres. Une perspective sécurisante depuis que la succession des crises (immobilière, financière, économique), commencée en 2008, a révélé la fragilité d’un système totalement dépendant de multiples facteurs : énergie, transports, entreprises sans lien avec le territoire… D’où le succès des maraîchages de proximité, la mise en place de filières (pour le bois, le chanvre, la pierre…), et le recours aux entrepreneurs du cru, dans le respect, bien sûr, de la réglementation communautaire à travers un cahier des charges bien rédigé. Le développement local passe, dans certains cas, par le soutien à des filières traditionnelles stimulées par l’innovation. C’est le cas du développement des éco-industries et de la filière chanvre pour l’habitat en Poitou-Charentes, impulsé par le Conseil régional. En misant sur l’exemplarité dans les domaines

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JACQUES LOÏC/AFP

Lorsque les ressources naturelles et financières se raréfient, les collectivités territoriales réfléchissent à de nouveaux modèles de développement. On parle ainsi d’« écosystème industriel », d’« économie circulaire » ou de « circuits courts ». Un changement de perspective qui s’inclut dans la transition écologique et la production à coûts maîtrisés.

de l’écologie et de l’innovation, le territoire a attiré des projets industriels : véhicules électriques, bâtiments industrialisés, nouveaux matériaux pour le bâtiment, techniques de chauffage… Sans oublier l’accompagnement financier : une banque publique d’investissement des PME a été créée, qui centralise tous les acteurs privés et publics du financement. Ce changement de focale, pour passer aux synergies de proximité, est le plus souvent permis par une analyse extérieure. L’association Orée anime ainsi des groupes de travail à la demande des collectivités territoriales, car elle connaît tous les acteurs d’un territoire en ce qui concerne l’écologie industrielle. La mise en place d’une organisation en réseau ouvre de nouvelles perspectives (mutualisation des services ou des transports, achats groupés), qui peuvent déboucher sur des créations d’emplois valorisant les ressources locales.

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Une vision systémique sur laquelle travaille également l’Arene (Agence régionale de l’environnement et des nouvelles énergies) en collaboration avec les collectivités locales. Comme la ville de Fontainebleau et sa communauté de communes qui ont pour objectif l’écologie et la mise en place d’une certaine indépendance énergétique et alimentaire pour le territoire : écoquartiers, maraîchages locaux, réduction de la circulation automobile (covoiturage, autopartage). En matière d’économie de proximité, la formation et la recherche jouent un rôle dans la création de filières qui seront étayées par le savoir-faire et l’innovation. Les entreprises locales voient ainsi satisfaits (voire anticipés) leurs besoins en salariés qualifiés, et n’hésitent pas à prendre les étudiants en stage ou pour des formations en alternance. Tel est le résultat de la création de formations post-bac soutenues par le conseil général de Vendée, dans des spécialités

telles que BTS de design ou BTS de commerce, qui attirent les étudiants bien au-delà de la région. L’association 4D (Dossiers et débats pour le développement durable4) appuie les collectivités territoriales dans cette démarche selon trois axes : développer des économies de services (location plutôt qu’achat) ; relocaliser des activités ; développer l’écoconception avec la création de filières associées à une politique d’achat des collectivités qui donne la priorité aux entreprises locales. Le but est d’accompagner la transition écologique des territoires à travers la territorialisation de l’économie, un néologisme qui n’a sans doute pas fini de revenir dans les préconisations économiques.

Sonja Rivière 1. Voir www.villesentransition.net Il y a 250 « territoires en transition » à travers l’Europe 2. www.agroparistech.fr 3. www.oree.org 4. www.association4d.org


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Services Les services à la population

Comment et jusqu’où ? La question des services à la population est d’une acuité pour les maires et présidents de communautés, que ce soit pour les services directement rendus par les collectivités locales comme ceux relevant de grands opérateurs publics ou privés. Peut-on conjuguer égalité des usagers et diversité des territoires ? Quelles sont les solutions innovantes ? Michel Verpeaux, professeur de droit public, y répond. Peut-on conjuguer égalité des usagers et diversité des territoires ?

Dans l’histoire de France, la liberté a toujours été confrontée à l’égalité. Par principe, la libre administration suggère plus la diversité que l’uniformité, en ce qu’elle est une prise en charge de spécificités locales, de réalités diverses et qu’elle met l’accent sur une relative autonomie ou « liberté » des décisions des autorités locales. Cette diversification impliquée par la diversité des collectivités territoriales est de nature à heurter nécessairement l’égalité entre les usagers. Ces derniers, lorsqu’ils ont à faire à un service public rendu par une collectivité territoriale, risquent d’être sensibles au respect du principe d’égalité et d’exiger d’être traités de la même manière que ceux de la collectivité voisine. N’oublions pas que le principe d’égalité devant le service public – corollaire du principe de l’égalité « en droits » proclamée à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme – est une norme de valeur constitutionnelle, après avoir été l’un des premiers principes généraux du droit dégagés par le Conseil d’État. La question est directement placée sur le terrain de l’égalité en ce qui concerne l’accès au service public et en matière tarifaire, car les autorités locales sont tentées de traiter différemment les administrés. Les différents usagers d’un même service public entendent être traités de la même manière lorsqu’ils utilisent une piscine ou une école de musique, y compris sur le plan tarifaire. Or, ils peuvent être considérés de manière différente par la collectivité gestionnaire. Les causes de discrimination sont nombreuses, notamment du fait des ressources de ces administrés, mais aussi du point de vue du lien qui les unit à la collectivité locale pour des raisons strictement territoriales. Le conflit entre égalité et diversité se retrouve aussi dans l’hypothèse de la création d’un service public. Si, très souvent, la liberté du commerce et de l’industrie est invoquée pour contester la légalité de ces créations, par exemple en cas de création de services destinés à compenser une carence de l’initiative privée, en réalité c’est l’égalité qui est au cœur des préoccupations

de ceux qui estiment que la collectivité territoriale les place dans une situation défavorable par rapport aux commerces et activités professionnelles protégés par cette liberté.

liberté publique ou un droit constitutionnellement garanti (art. 72, alinéa 4) ou les garanties des libertés publiques (art. 73). C’est dire si ces limitations sont fortement ancrées !

De quelle manière peut-on y arriver ?

Dans ce domaine, la France fait-elle figure de bon élève ou non en comparaison avec d’autres pays européens ?

Plusieurs voies sont possibles. Dans un État unitaire comme la France, il existe une solution étatiste car la loi peut encadrer l’accès des usagers devant le service public et réglementer les conditions d’utilisation de ce dernier. Au nom du principe d’égalité, la loi ne peut pas laisser une totale liberté de décision aux autorités locales et celles-ci doivent prendre en compte le principe d’égalité lorsqu’elles sont amenées à « administrer librement ». Un tel encadrement législatif implique le contrôle de légalité de la part du représentant de l’État et l’intervention du juge administratif en cas de contestation. Mais il existe une autre voie, car la loi elle-même peut être la source de discriminations. Dans ce cas, c’est le respect de droits et libertés constitutionnellement garantis qui est en jeu. De ce fait, c’est aussi au juge constitutionnel d’intervenir, notamment lorsque sont en cause des libertés protégées par la Constitution. Si on a cru, dans les années 1980, que cette question n’intéressait que le respect de la liberté de l’enseignement dans des communes qui entendaient mettre en avant la possibilité de financer l’école libre, l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel montre bien une tendance à privilégier le principe d’égalité lorsqu’est en cause une liberté fondamentale, y compris lorsqu’il s’agit de droits sociaux. Il est vrai que la tradition centralisatrice française n’épargne sans doute pas les plus hautes juridictions. Mais elle n’épargne pas non plus le constituant ; dans deux innovations constitutionnelles majeures inscrites en 2003, en ce qui concerne d’une part la possibilité reconnue aux collectivités territoriales d’expérimenter, c’est-à-dire d’adopter des dispositions différentes de la loi, et en ce qui concerne, d’autre part, les dérogations aux lois et règlements dans les collectivités relevant, outre-mer, de l’article 73, il a entendu introduire des exceptions lorsqu’est en cause une

Tout dépend de ce qu’on entend par « bon élève » et par rapport à quoi. L’égalité des usagers ou la diversité des territoires ? Il est évident que le goût très français pour l’égalité, souvent qualifié de manière critique d’égalitarisme républicain, est plutôt favorable à un traitement égalitaire des usagers devant les services publics mais aussi devant les charges publiques. Si l’on compare la France avec les États fédéraux ou les États autonomiques ou régionaux, il est certain que la France est un mauvais élève. Encore faudrait-il observer, dans ces États, le degré de satisfaction des usagers devant les services publics locaux, tant en termes d’accès que de tarification. Quelles sont les solutions innovantes qui peuvent être mises en place ?

Là encore, les solutions sont diverses. La question de la discrimination sociale, qui veut qu’une collectivité puisse ou non introduire des conditions d’accès différenciées à ses services publics en fonction d’un critère tiré des revenus des usagers, correspond à la volonté, d’une collectivité à une autre, de traiter les usagers différemment, en vertu d’une politique locale plus ou moins sociale à l’égard des usagers, et elle s’inscrit dans la logique de la libre administration, conçue comme la libre gestion des collectivités. La différenciation tarifaire en relation avec le territoire est encore plus directement liée à la libre administration, car elle illustre la volonté de privilégier les habitants d’un territoire. Il y a ici une application directe du conflit qui oppose la libre administration et le principe d’égalité, les collectivités mettant en avant le lien privilégié que certains administrés entretiennent avec la collectivité, c’est-à-dire avec le territoire de celle-ci. Poussé à l’extrême, ce lien respecte l’égalité entre les habitants

d’un territoire, en les isolant des autres mais en les traitant de façon identique, au nom d’une solidarité et d’une identité territoriales, qui sont sans doute les limites du principe de libre administration, allant jusqu’à l’ostracisme. Cette volonté conduit à « l’exclusion » des administrés extérieurs, ou du moins à les traiter différemment, et à ne pas respecter l’égalité entre les deux catégories d’administrés. La solution adoptée par le Conseil d’État consiste à admettre que le service public ne peut être offert aux administrés que s’ils ont un lien suffisant avec la commune, mais à considérer en même temps que le critère de la résidence constitue une discrimination illégale. Le lien territorial doit alors être conçu de façon plus large, englobant les usagers qui ont dans la commune leur travail et ceux dont les enfants y sont scolarisés. Le Conseil d’État a ainsi toléré la discrimination fondée sur le « lien particulier » avec la commune, mais ce lien ne doit pas être trop étroit. Le risque peut être grand de transformer les collectivités territoriales en « alvéoles étanches ». Le Conseil d’État a donc cherché à encadrer le pouvoir des collectivités territoriales et l’examen de sa jurisprudence montre une fois encore que le principe d’égalité est, malgré la libre administration, la garantie que les administrés ne sont pas traités de manière trop différente sur tous les points du territoire et que même si une décision locale conduit à certaines formes de discrimination, celle-ci reste dans les limites du tolérable, au nom de l’application uniforme de la loi sur l’ensemble du territoire, au nom du caractère unitaire de l’État. D’autres solutions plus institutionnelles peuvent exister. Le développement de l’intercommunalité ou de la coopération entre collectivités est aussi un moyen de réduire la fracture territoriale au sein d’une agglomération et de conjuguer la diversité des territoires communaux et l’égalité devant le service public. Bien sûr, cette solution a un coût fiscal pour les usagers, qui deviennent alors des contribuables. Jusqu’où faut-il aller ?

La jurisprudence du Conseil d’État, sur ce point, a évolué dans un sens

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plutôt favorable à la libre administration, puisqu’elle a reconnu que la collectivité, pour des services publics facultatifs, pouvait prévoir des tarifs différents en fonction des revenus, qu’il s’agisse de services publics administratifs ou industriels et commerciaux, et qu’il s’agisse désormais de services publics à caractère social ou culturel, à propos des conservatoires municipaux de musique. Cette jurisprudence, qui remonte à 1997, mettait fin à la distinction opérée antérieurement entre les services publics culturels et les services publics à caractère social. La limite à ne pas dépasser est que les droits d’inscription les plus élevés restent inférieurs au coût par élève du fonctionnement de l’école. Si la libre administration est admise, mais pas à n’importe quel prix, l’égalité formelle est plus malmenée au nom d’une certaine équité ou de la recherche d’une égalité réelle qu’en vertu du principe de libre administration. Que préconisez-vous ?

Des pistes existent. La première consiste à reconnaître un pouvoir normatif plus étendu au profit des collectivités qui pourraient ainsi être amenées à décider dans un cadre législatif plus souple. Une telle reconnaissance va à l’encontre de notre tradition juridique. Mais peut-être cette dernière montret-elle ses limites. La seconde réside dans une réflexion sur la diversité des territoires. C’est toute la question de la réduction du nombre des échelons administratifs et, au sein de ces derniers, de celle du nombre de collectivités. Mais encore faut-il s’entendre sur les échelons et les collectivités que l’on veut supprimer. La question n’est pas simple au moment du Congrès annuel des maires et des présidents de communautés ! Et n’oublions pas que, si le principe d’égalité s’apprécie entre les usagers, il peut aussi se conjuguer entre collectivités de même niveau et aussi entre collectivités de niveau différent. Cette question est aussi au cœur de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, elle aussi inscrite dans notre texte constitutionnel.

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Urbanisme

Faut-il avoir peur des mégapoles? Le Congrès des maires de France suit de quelques semaines le Forum urbain mondial qui s’est tenu à Naples au mois de septembre. La question du vivre ensemble dans des villes de 5 à 20 millions d’habitants se pose chaque année avec de plus en plus d’acuité. Par François Clemenceau es Nations unies sont formelles, depuis 2007, la moitié de la population de la planète vit dans un environnement urbain. Les prévisions des experts estiment qu’il faudra moins d’une génération pour que ce taux passe aux deux tiers. Cinq milliards d’humains en ville ! Ce genre de chiffres fait peur et déclenche les pires spéculations. Le réchauffement climatique aidant, l’opi nion publique fantasme sur des flux migratoires Sud-Nord ou sur des agglomérations devenues si

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grandes que la police ne puisse plus y assurer la sécurité. Pourtant ces mégapoles existent déjà. Tokyo, Séoul, Los Angeles, Moscou, Téhéran : y serait-ce déjà un cauchemar au quotidien pour les quelque 150 millions de personnes qui vivent dans ces seules villes-là ? À Naples, les délégations ont longuement débattu. La croissance des grands pôles urbains peut-elle connaître un effet de seuil à partir duquel elle n’est plus tenable en termes de sécurité collective, d’accès non dégradé aux ressources natu-

relles ou de pollution atmosphérique et de santé publique ? Comme le dit avec optimisme le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, « imaginer les villes du futur, c’est imaginer le futur de l’humanité ». Les organisateurs du Forum de Naples rappelaient de leur côté que l’habitat urbain n’est pas uniquement un refuge pour les candidats à la prospérité et au développement. « Il est devenu aussi pour près d’un milliard d’êtres humains un immense taudis », pour ne pas dire parfois un mouroir.

D’où les trésors d’imagination et d’échanges d’expériences nécessaires pour rendre les mégapoles de demain plus sûres et vivables. Quel que soit le degré de développement. Car les villes riches connaissent les mêmes problèmes que les villes pauvres : difficulté d’accès, densification de l’habitat, raréfaction des espaces de circulation, augmentation des coûts de l’énergie, problématique de gouvernance par rapport à l’État central et des mégapoles entre elles… Le groupe des femmes, une cin-

quantaine d’une douzaine de pays différents, venues de New York, d’Istanbul ou de Manille, a mis en lumière à quel point leurs préoccupations étaient semblables : comment faire de la ville ou des grandes villes des lieux où les enfants puissent y grandir avec des chances comparables d’opportunité. Leurs recommandations pour que leurs voix soient plus entendues et leurs capacités à gérer, mieux satisfaites, ne trouvent malheureusement pas grand écho.

« Les mégapoles finissent par se déconcentrer » Renaud Le Goix Quel est le point commun aux plus grandes villes du monde ?

Elles se situent pour la plupart en Asie, en Amérique ou en Afrique, et elles ont pour dénominateur commun de devoir leur croissance à une forte orientation sur l’international. C’est le cas de Shenzhen et de Shanghai en Chine, de São Paulo au Brésil ou de Mexico. En bénéficiant d’un afflux migratoire conjugué à un fort apport en capital en raison d’un renforcement de l’activité tertiaire, elles se nourrissent d’un fort vecteur d’emplois qui contribue à l’accroissement de leur taille et de leur prospérité. Existe-t-il un seuil au-delà duquel la mégapole risque de s’étouffer ?

Dans les années 1980 et 1990, c’est un fantasme qui s’est répandu. Au Mexique par exemple, beaucoup de spécialistes pensaient que Mexico finirait par s’écrouler sous le poids de sa population en augmentation constante. Sauf que les chiffres n’étaient pas fiables et que le processus, qu’on croyait inexorable, s’est arrêté autour de 20 millions. En fait, la plupart des grandes mégapoles finissent par se déconcentrer, par déplacer à leurs périphéries, ou beaucoup plus loin, des pôles d’activité secondaire. Une partie de l’économie de Mexico s’est ainsi délocalisée à Monterey ou Guadalajara. On observe la même chose en Chine ou aux États-Unis. À Los Angeles, 16 millions d’habitants, le tournant des années 1970 et 1980 a vu se créer des pôles secondaires comme Irvine, Burbank ou Ventura. À Shanghai, Buenos Aires ou Rio, on constate le même

phénomène de décongestion. Paris n’est pas en reste si l’on prend l’exemple des villes nouvelles créées dans les années 1970 autour de la capitale. Mais vivre à 20 millions comporte des risques ?

Oui, notamment sur le plan de la santé publique. Que l’on vive dans des pays modernes et développés ou dans des nations sous-développées ou émergentes, c’est la masse en soi qui véhicule des risques. Au Caire par exemple, dans les années 1990, la moitié des ressources en eau était perdue dans des fuites de canalisation. La question de l’adduction d’eau ou du traitement des eaux usées est donc cruciale. Car les épidémies frappent les riches comme les pauvres. Lorsque le virus H1N1 est parti d’un hôtel de Hongkong, il a frappé par la suite des villes aussi différentes que New York, Toronto ou Pékin par le seul biais des voyages internationaux. À New York, on voit revenir des maladies comme la tuberculose et, à la moindre inondation comme celle du mois dernier, le risque épidémiologique est fort. Est-ce qu’une mégapole est forcément polluante ?

Pas forcément. Parce qu’au fur et à mesure qu’elle grandit et qu’elle déconcentre son activité elle envoie sur ses périphéries ou plus loin encore une grande partie de ses industries et de son secteur artisanal, tous les deux étant par nature polluants. Dès que vous voyez une mégapole se développer, l’une des premières choses qui en disparaît

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c’est son activité artisanale au profit du tertiaire. C’est ce qui s’est passé à Pékin en moins de vingt ans avec des quartiers entiers rasés et l’arrivée à la place de tours de bureaux ou d’habitation. La vraie pollution vient en revanche des automobiles. Cette problématique n’est pas réglée. Chacun a essayé de limiter cette pollution liée au chauffage et à la circulation. Mais avec des résultats inégaux : à Hongkong par exemple, on respire, à Mexico, la situation s’est améliorée, en Californie, le gouverneur Schwarzenegger a fait bouger les choses. Mais à Londres ou Paris, il faudra trouver des recettes plus efficaces que le seul péage ou le ralentissement provoqué de la circulation. Reste la gouvernance : comment faire pour que ces immenses centres urbains, certains plus peuplés qu’un pays moyen, soient dirigés efficacement et démocratiquement ?

C’est vrai que certaines villes sont aussi riches que des États car elles profitent d’une manne fiscale grâce aux nombreuses entreprises qui s’y sont installées. D’autres restent prisonnières et dépendantes d’un État central. L’idéal est de rester inventif pour que le processus d’émancipation se fasse en bonne intelligence. C’est ce qui s’est passé à New York avec la création du Port Authority of New York & New Jersey, qui a permis de confier à cet organisme la totalité de la gestion du réseau de transport public : des métros aux aéroports en passant par les ponts et les tunnels. Il est bon que les maires de ces grandes villes

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à travers la planète échangent leurs expériences. L’ONU coordonne également de nombreuses initiatives. Paris, Johannesburg, Quito et Canton ont ainsi pu se lancer dans des échanges d’idées avec Bombay ou Nairobi. L’avenir est dans la coopération internationale.

Propos recueillis par F.C.

Renaud Le Goix est maître de conférences à l’université PanthéonSorbonne, agrégé et docteur en géographie, coauteur avec Anne Bretagnolle et Céline VacchianiMarcuzzo de Métropoles et Mondialisation (La Documentation française, 2011, 64 pages).


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Dossier

spécial

Numérique et Territoires AFP

avec

Dossier à retrouver sur lhemicycle.com et sur sfr.com

Si nous montions dans « l’ascenseur digital » ? Quelles opportunités représente le numérique pour la France ?

La révolution numérique peut jouer un rôle de levier économique. Mais à certaines conditions seulement… La France doit rester innovante. Cela passe par des mesures en faveur du financement de l’innovation, mais aussi par la capacité des entreprises à créer un écosystème favorable à l’innovation. La deuxième condition est de déployer des infrastructures réseaux fixe et mobile, afin que la France ne rate pas le tournant du très haut débit (THD). Pour ce faire, le cadre réglementaire doit être clairement posé et rester stable, tout comme les règles du jeu. Il est à présent nécessaire de revaloriser le rôle des élus locaux dans le déploiement du THD et rétablir un principe de solidarité dans les zones de couverture territoriale, en particulier sur les zones moyennement denses. Une péréquation des tarifs est également à envisager pour garantir un accès égal à la fibre. C’est en restant mobilisés autour de ces questions que le numérique pourra devenir le nouveau moteur de l’ascenseur social : l’ascenseur digital. Concrètement, qui peut profiter de cet « ascenseur digital » en France ?

On doit donner à chacun la possibilité de maîtriser les ingrédients de la culture numérique. Cette maîtrise du numérique devient un facteur clé dans le développement personnel et professionnel de chacun. Prenons quelques exemples : pour une personne en situation précaire, augmenter son capital digital, c’est être connectée, joignable, pour chercher un emploi ou effectuer des démarches. Pour une entreprise, c’est accroître sa productivité, à travers le cloud computing notamment. Pour une ville, c’est optimiser la gestion de ses services et développer son attractivité. Quant aux territoires ruraux, être connecté leur permet de se désenclaver et de favoriser leur développement de façon durable. C’est aussi faciliter le quotidien de leurs habitants en leur donnant accès à des services en ligne sans avoir à se déplacer. Quels sont, selon vous, les grands chantiers numériques à mener ?

Il faut poursuivre le déploiement du très haut débit fixe et mobile (4G). Nous bénéficions en France de réseaux de télécommunications de qualité. Il est impératif que nous ne soyons pas distancés pour garantir la compétitivité du pays.

JEAN CHISCANO

Le numérique bouleverse en profondeur tous les secteurs de la société. État, collectivités et entreprises doivent s’adapter à cette nouvelle vie connectée. Pour Stéphane Roussel, PDG de SFR, il s’agit là d’un nouvel « ascenseur digital » : une opportunité pour la France et les collectivités. Entretien.

Le développement du numérique passera par une contribution accrue des grands acteurs du Web, qui utilisent les infrastructures pour diffuser leurs contenus sans apporter les contreparties à hauteur des bénéfices perçus. Sur ce sujet, la discussion avec le gouvernement avance dans le bon sens. On peut aussi s’interroger sur la pertinence de notre système fiscal pour le secteur du numérique, qui tend à défavoriser les acteurs français. Enfin, il faut anticiper sur l’avenir en misant sur l’éducation au numérique et en identifiant les compétences dont nous aurons besoin demain. L’idée de développer une

filière numérique publique dans l’enseignement supérieur me semble être une bonne piste. Quel est l’intérêt, pour les collectivités, de miser sur le numérique ?

Plus personne ne doute du fait que le numérique soit une opportunité sans précédent pour les collectivités. La logique de partenariat public-privé, déjà développée sur les sujets de déploiement via les délégations de service public (DSP), pourrait être réinventée sur d’autres sujets. Je vois trois grands sujets d’opportunité à court terme : la digitalisation des services et du commerce,

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la relocalisation de l’activité professionnelle et enfin la valorisation des données. La numérisation des services permet d’établir de nouvelles relations entre les citoyens et les collectivités. En rendant l’accès à l’information plus fluide, ces dernières peuvent non seulement faciliter les démarches des administrés mais aussi les faire interagir dans une approche de démocratie participative. Les PME qui misent sur le numérique peuvent renforcer leur ancrage local et leur compétitivité dans leurs relations commerciales, tout en s’ouvrant au marché international. La relocalisation de l’activité professionnelle s’envisage par l’émergence de « tiers-lieux » en périphérie urbaine et du télétravail ; cette nouvelle forme de travail plus durable plébiscitée par les collaborateurs et rendue possible par les connexions haut débit et le cloud. Les acteurs privés ont un rôle à jouer notamment pour aider les collectivités à favoriser ces nouvelles pratiques. Dernier point, l’open data, qui offre l’opportunité d’utiliser et valoriser les données du territoire, stimulant le développement de services innovants, accessibles à tous.


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Territoires et compétitivité

Le numérique, une opportunité à saisir pour les territoires Si l’accès aux équipements et la réduction de la fracture numérique ont longtemps dominé le débat et restent primordiaux, l’heure est venue de la réflexion sur les usages et services innovants à mettre en place. Être connecté ne suffit plus aux collectivités ; désormais, le numérique est synonyme de nouveaux usages qui facilitent le quotidien des administrés et renforcent l’attractivité des territoires. ’aménagement numérique est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de développement territorial, moteur de l’innovation avec un objectif en filigrane, la compétitivité du territoire.

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Image et fluidité En proposant des services innovants, les territoires peuvent jouer sur deux leviers d’attractivité. Tout d’abord gagner une image de modernité qui répond aux attentes des entreprises, des universités et des citoyens. Mais aussi et surtout gagner en fluidité, à tous les niveaux.

marchandises, informés minute par minute.

À commencer par l’accès aux services publics. La possibilité d’accéder à des services dématérialisés et d’effectuer des démarches en ligne, 24h/24h, facilite la vie des citoyens, notamment dans les zones rurales. Les transports également peuvent devenir plus fluides, avec une optimisation de leur organisation et le développement de « l’intermodalité ». Le système Optimod’Lyon, par exemple, centralise en temps réel toutes les données liées au transport, afin d’améliorer les conditions de déplacement des voyageurs et des transporteurs de

Des services imaginés par les citoyens Il est possible d’aller encore plus loin. Et si les citoyens eux-mêmes créaient leurs propres services ? C’est ce que permet le mouvement de l’open data, qui consiste à mettre à disposition de tous les données publiques. Rennes est la première ville à s’être lancée, dès 2010, en libérant des lots de données extrêmement variés : liste des arrêts de bus, statistiques de fréquentation des bibliothèques, emplacement des

jardins. Avec un concours d’applications à la clé. Résultat, 43 ont vu le jour, développées par des professionnels ou des amateurs. Handimap permet par exemple de faciliter les déplacements des personnes handicapées tandis que Parking Guru aide les automobilistes rennais à trouver une place de stationnement sans difficulté. L’implication des usagers dans la définition des services numériques est la clé. Une conviction partagée par Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet et cofondatrice de la Cité des services, une

structure créée pour accompagner les collectivités dans la création et la diffusion de services innovants : « L’approche vertueuse est que la ville exprime son besoin en se concertant avec les habitants. Et une fois ce besoin validé, qu’elle construise un cahier des charges avec une réalité d’usages avérée. À l’issue seulement de cette étape, les entreprises peuvent développer le service et le diffuser, dans le cadre d’une relation partenariale par exemple. » L’aménagement numérique du territoire a donc un potentiel sans limites, si ce n’est l’imagination des services publics et des citoyens. Evelyne Héard

Bordeaux

« Une métropole 3.0, intelligente et respectueuse » Pourquoi le numérique est-il important pour la compétitivité de votre territoire ?

Questions à

La généralisation des technologies numériques fixes et mobiles, connues et à venir, facilite l’invention de nouveaux services et de nouveaux usages. De fait, elle révolutionne la gestion des services publics et privés. Ainsi, la métropole doit offrir à tous, sur son territoire, les meilleures conditions d’accès aux réseaux et aux services numériques les plus performants et les plus ouverts possibles. Elle doit être à la pointe de cette évolution pour rester attractive, créer de nouveaux emplois et accueillir de nouveaux habitants. Quels sont vos chantiers numériques prioritaires ?

Dès 2006, la communauté urbaine a mis la question de la couverture haut et très haut débit pour tous au cœur de ses préoccupations. Dans un premier temps, il s’est agi, via la DSP Inolia, de garantir l’attractivité économique de l’ensemble du territoire en proposant sur la totalité de

VINCENT FELTESSE PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE BORDEAUX ET DÉPUTÉ DE LA GIRONDE

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PIERRE ANDRIEU/AFP

Sur l’aménagement numérique du territoire, la communauté urbaine de Bordeaux, engagée sur le très haut débit et initiatrice de services innovants, fait office de modèle pour les collectivités. Car pour son président, Vincent Feltesse, il faut « être à la pointe » pour rester attractif. celui-ci l’accès à la fibre optique avec des services performants pour les entreprises et les sites publics. Ensuite, devant la persistance des difficultés d’accès à Internet pour le grand public, la communauté urbaine a décidé de s’attaquer à la couverture des zones mal desservies de son territoire. C’est aujourd’hui notre principal chantier. Mais au-delà des « tuyaux », il s’agit aussi de porter une ambition plus large à travers la promotion d’une métropole 3.0, « intelligente » et respectueuse, dans un esprit d’innovation et d’expérimentation associant citoyens, producteurs de la ville, collectivités et acteurs du numérique. Avec une triple vocation : développer l’offre de services numériques autour des services urbains que chaque citoyen utilise quotidiennement, favoriser la participation des usagers eux-mêmes à l’évolution de ces services, et alimenter le dynamisme économique de l’écosystème local. Vous avez fait en sorte de développer le très haut débit de façon équilibrée entre les différentes villes.

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Comment y êtes-vous parvenu ?

Pour que l’accès à ces services dans des conditions tarifaires acceptables ne soit pas limité aux établissements publics et privés situés à proximité de l’infrastructure de ce réseau, la communauté urbaine a mis en œuvre une politique « travaux = fourreaux », qui permet de densifier le réseau métropolitain très haut débit et donc de se rapprocher de nouveaux utilisateurs. La mise en place de ce réseau a permis d’apporter des niveaux de services très haut débit identiques dans plus de 120 zones d’activité et d’en offrir l’accès à de très nombreux établissements publics répartis sur l’ensemble du territoire, et non uniquement sur les zones les plus rentables pour les opérateurs privés. Vous avez le projet de créer une « Cité numérique » : en quoi consiste-t-elle ?

La Cité numérique a vocation à devenir un pôle d’excellence économique, culturelle et sociétale fondé sur les usages numériques. Le concept, qui trouvera corps dans un

ancien centre de tri postal situé au cœur du territoire de projet Bordeaux Euratlantique, apportera à la diversité des acteurs du numérique les moyens matériels et immatériels de leur développement. La Cité numérique est conçue comme un accélérateur de projets, qui doit permettre l’épanouissement des porteurs, qu’il s’agisse d’entrepreneurs, d’artistes ou du grand public, qui les conduira à s’implanter en sortie de site sur le territoire local ou régional. En quoi tous les chantiers que vous menez peuvent-ils améliorer in fine le quotidien des habitants ?

C’est bien le citoyen qui est dans la ligne de mire de l’ensemble de ces projets, visant à mettre en œuvre notre « métropole 3.0 » : améliorer la gestion des services publics, développer des services pratiques pour les usagers, développer la participation de chacun à la conception des services, sans perdre de vue que l’ensemble de ces services doivent être accessibles à tous, sur tout le territoire communautaire… Propos recueillis

par Morgane Tual


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Territoires et compétitivité

« L’enjeu pour la France est le numérique dans toutes les PME » Laure de La Raudière, députée d’Eure-et-Loir, s’est engagée depuis de nombreuses années sur les sujets numériques, en particulier la lutte contre la fracture numérique et les enjeux du très haut débit pour le territoire français. Elle a récemment déposé une proposition de loi relative à la neutralité de l’Internet. Laure de La Raudière s’intéresse ici à la couverture numérique du territoire, soulignant le rôle de l’État dans la péréquation entre les territoires et l’importance de sécuriser les projets publics de déploiement du très haut débit.

Quelles sont les préconisations de votre rapport sur le très haut débit que vous souhaiteriez voir appliquer ?

vités à propos des technologies à déployer et la nature des investissements à faire. La rentabilité se pose et le schéma d’organisation fait que les opérateurs sont présents sur les zones préemptées. Le reste sera à la charge des collectivités. Il faut donc pouvoir garantir que les opérateurs vont faire leur travail et que, sur les projets des collectivités, il y aura bien une offre de service de ces mêmes opérateurs. Si on développe le très haut débit sur un territoire et que les opérateurs ne sont pas présents, ce sera un drame pour les collectivités. Il faut qu’il y ait un cadre technique national avec un comité de pilotage pour définir le cahier des charges. Cette négociation ne peut pas se faire région par région. Nous espérons que ce choix sera également annoncé lors du Congrès des maires. Il faut aussi pouvoir louer la fibre optique mais la rentabilité des investissements des collectivités restera compliquée dès lors que l’on continuera de maintenir deux réseaux en parallèle : le cuivre et la fibre. Il faut donner de la visibilité aux opérateurs.

La première préconisation est qu’il faut sécuriser les projets publics de déploiement du très haut débit et les infrastructures. Il y a beaucoup d’interrogations dans les collecti-

Le très haut débit c’est aussi le très haut débit mobile avec la 4G. Quels sont les principaux enjeux de son déploiement en France ? Que

PIERRE VERDY/AFP

Questions à

LAURE DE LA RAUDIÈRE DÉPUTÉE D'EURE-ET-LOIR Comment le numérique peut-il contribuer au développement économique des territoires ?

La filière de l’économie numérique est une filière en croissance. L’utilisation du numérique est facteur de productivité et de compétitivité pour nos entreprises. Plus on accélérera le développement des outils numériques et plus on contribuera au développement des territoires. Le projet de déploiement du très haut débit répond à cette logique de compétitivité mais aussi à une politique nécessaire d’aménagement du territoire. Il faut penser le déploiement du très haut débit pour la France entière, y compris dans les secteurs les plus reculés en milieu

rural. Sinon on créera encore plus de zones désertifiées. Il faut enfin que l’État joue son rôle dans la péréquation entre les territoires. Il n’y a pas dans la loi de finances de mesures envisagées pour alimenter le fond spécial. Mais peut-être que le chef de l’État l’annoncera lors du Congrès des maires en novembre.

peut-elle apporter aux collectivités ?

La 4G est complémentaire. Les usagers veulent accéder à Internet en mobilité. C’est un enjeu économique et d’aménagement du territoire. La 3G est saturée et c’est une nécessité d’offrir ce très haut débit, y compris en zone moins dense. La dynamique de déploiement de cette 4G vous semble-t-elle bien lancée en France ?

Les opérateurs manifestent un réel intérêt pour le développement de la 4G en France. Les choix qui ont été faits de les obliger à la déployer dans toutes les zones en parallèle sont aussi un facteur de développement. Cela va mobiliser les opérateurs. Il faut voir cependant les premiers résultats car nous en sommes seulement à la phase expérimentale. C’est prématuré de tirer des conclusions sur la réussite ou non. Au-delà de l’accès, quels sont les véritables leviers des collectivités pour tirer au maximum parti du numérique ?

Les collectivités doivent réfléchir à l’usage du numérique dans la relation avec le citoyen notamment en matière d’offre. Les applications interactives sur les smartphones sont très utiles pour faciliter les

échanges avec le citoyen. La population s’approprie très facilement ces nouveaux outils. Les collectivités peuvent aussi être partie prenante en matière de services d’assistance aux personnes âgées. Ces services peuvent être mis en place à meilleur coût pour la collectivité et pour un meilleur service à la population. Quelles sont les meilleures pratiques observées selon vous ?

C’est la ville de Nice qui est la plus avancée dans les services à la population. C’est une ville qui a su utiliser ces nouvelles technologies et toutes les informations sont accessibles, par exemple, à un arrêt de bus ou devant un cinéma. Peut-on parler de retard de la France dans ce domaine ?

La France n’avait pas de retard jusqu’à présent sur l’accès à Internet de façon générale, ce ne sera pas le cas pour l’étape suivante qu’est le très haut débit, notamment par rapport aux pays asiatiques. L’ADSL couvre 98 % de la population aujourd’hui. L’enjeu pour la France est le numérique dans toutes les PME comme facteur de compétitivité. Là, il y a un écart entre la France et les autres pays européens.

Propos recueillis par J.G.

La France prête pour le très haut débit mobile ! Alors que la France compte plus de 20 millions d’utilisateurs de smartphones, le mobile aussi a droit à son très haut débit. Dès la fin du mois, Lyon sera la première ville française à bénéficier de la 4G, bientôt rejointe par Montpellier et d’autres villes. e 29 novembre, la première offre commerciale 4G sera lancée à Lyon par SFR. D’autres villes devraient suivre courant 2013. Leurs habitants pourront bénéficier du très haut débit mobile, qui leur permettra d’accéder à Internet sur leur téléphone portable avec le même confort que sur leur ordinateur fixe. La 4G offrira des débits allant jusqu’à 100 mégabits par seconde, soit des vitesses de téléchargement presque trente fois supérieures pour vos films

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et vos musiques préférés comparativement à la 3G traditionnelle. Il sera également possible de discuter par vidéo de façon totalement fluide et de transmettre d’importants volumes de données, un atout non négligeable pour les entreprises et leurs travailleurs nomades. Les premiers terminaux sont prêts, c’est le cas du Motorola RAZR HD ou encore du HTC One XL 4G. Et les expérimentations grandeur nature sont déjà en place, c’est le cas par

exemple à Lyon où 400 habitants testent la 4G avec SFR.

Une transition progressive après la 3G La première offre 4G du monde a été lancée fin 2009 en Suède, rapidement suivie par les États-Unis, puis par l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne ou encore le Portugal. S’il a fallu attendre autant de temps en France, c’est que la 3G+, version améliorée de la 3G, remplissait déjà

parfaitement son objectif et que son évolution, appelée dual carrier, peut déjà permettre de surfer dans des conditions proches de la 4G notamment à Paris, Marseille, Lyon ou encore Toulouse. Actuellement, la 3G+ couvre plus de 98 % des Français alors qu’aux États-Unis ce réseau 3G+ était extrêmement limité, rendant le déploiement de la 4G plus urgent. En France, l’Arcep a conduit fin 2011, dans la bande de fréquences à 800 MHz, une procédure d’attri-

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bution des licences 4G retenant, en particulier, un objectif prioritaire d’aménagement du territoire. Le calendrier de déploiement impose aux opérateurs de couvrir, en 2024, 98 % de la population au plan national ainsi qu’un taux de couverture minimal de la population dans chaque département métropolitain de 90 %. Des zones de déploiement prioritaire sont également définies en territoire rural ou périurbain.

Claire Caillaud


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Innovation

Le cloud, solution d’avenir pour l’administration milliards de dollars : c’est l’argent économisé annuellement par le gouvernement américain depuis la mise en place du cloud, en 2009. Une somme non négligeable quand on sait que son budget informatique s’élève, chaque année, à près de 80 milliards de dollars. Comment « l’informatique dans les nuages » a-t-elle rendu cela possible ? Concrètement, le cloud est une nouvelle manière d’utiliser l’informatique. Jusqu’ici, dans l’administration, les données et les logiciels étaient stockés sur des serveurs internes ou sur les ordinateurs du personnel. Avec le cloud, toutes ces applications sont déportées sur des serveurs extérieurs, gérés par des prestataires de services et accessibles par Internet. En clair, le cloud rend possible, à partir de n’importe quel ordinateur, d’utiliser sa messagerie, d’éditer des documents partagés et de travailler sur tout type de logiciel.

à se préoccuper des infrastructures informatiques et de leur maintenance, entièrement gérées par les prestataires extérieurs. L’Utah est ainsi passé de 1 900 serveurs en 2010 à 500 aujourd’hui, lui permettant d’économiser 14,5 millions de dollars par an. Car au lieu d’acheter des serveurs, logiciels et autres outils numériques, l’administration les loue. Le cloud transforme donc l’informatique en service à la demande. Au final, l’utilisateur paie uniquement ce qu’il consomme. Et cela est bien pratique quand il faut gérer des augmentations brutales de l’activité, comme lors de la publication de résultats d’examens par exemple. Jusqu’ici, une administration devait disposer d’assez de serveurs pour supporter une telle charge. Il fallait donc payer, toute l’année, la maintenance d’un matériel inutilisé la plupart du temps. Ce n’est plus le cas avec le cloud, suffisamment puissant pour gérer, instantanément, ce genre de situation.

L’informatique à la demande

La France s’y met aussi

Par conséquent, en passant au cloud, les services publics n’ont plus

Une flexibilité qui permet aussi de moderniser très facilement les

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outils informatiques. Faire passer tout un service sur un nouveau logiciel de traitement de texte, par exemple, pouvait auparavant prendre des semaines. Grâce au cloud, cette opération peut être réalisée dans l’heure. Tous ces aspects ont séduit, parmi d’autres, l’Australie, l’Angleterre, les PaysBas mais surtout les États-Unis. Et pour cause : c’est là-bas qu’a émergé le cloud computing, avec comme chefs de file Amazon et Microsoft. Les expérimentations menées à l’étranger ont fait leurs preuves, mais quelques inquiétudes demeurent chez les aspirants au cloud. Délocaliser ses données implique une dépendance à un prestataire privé. Dans quelle mesure sont-elles en sécurité ? Une question d‘autant plus essentielle qu’elle concerne les informations des citoyens… Aujourd’hui, les leaders du marché sont aux États-Unis et soumis au Patriot Act, qui permet aux services de sécurité d’accéder à n’importe quelle donnée présente sur le cloud américain. C’est pourquoi la France a décidé de rééquilibrer le marché en investissant

LECARDINAL

Économique, flexible et réactive, « l’informatique dans les nuages » pourrait bien transformer en profondeur le fonctionnement de l’administration. Expérimenté avec succès à l’étranger, notamment par le gouvernement américain, le cloud séduit désormais la France, qui vient d’y investir 150 millions d’euros.

CORINNE ERHEL DÉPUTÉE DES CÔTES-D’ARMOR

150 millions d’euros dans un cloud à la française, destiné au secteur public et privé.

Une opportunité pour l’État et les territoires « La question de la localisation des données en France est un point important pour l’hébergement des données sensibles en provenance de l’État, des administrations et des collectivités mais aussi des grandes entreprises ou des PME », affirme Corinne Erhel,

députée PS des Côtes-d’Armor. Pour cette spécialiste des questions d’aménagement numérique du territoire, « la conversion numérique de la société est en marche et le cloud computing doit être considéré comme une opportunité pour l’État et les territoires, afin de garantir une accessibilité permanente et sûre des données, en tous lieux. » D’autant plus que le cloud semble répondre aux nouvelles attentes du gouvernement, qui a créé fin octobre un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, visant notamment à développer l’e-administration. Il devra proposer, selon le décret, des mesures « tendant à la dématérialisation des procédures administratives » et inciter « au développement de services numériques ». Ce nouveau « cloud souverain » devrait permettre de répondre à ces attentes, grâce à des serveurs placés en France, dépendant intégralement du droit français et répondant aux normes maximales de sécurité. De quoi rassurer l’administration et lui permettre de s’envoler sans risque vers les nuages. M.T.

Numergy, le cloud à la française Les Américains ont beau être les leaders de « l’informatique dans les nuages », pas question de se laisser distancer et de dépendre de leurs services. C’est pourquoi la France a investi dans deux projets de cloud, parmi lesquels Numergy. ’ambition de Numergy est de concevoir, bâtir et opérer une « centrale d’énergie numérique » de confiance et sécurisée. C’est un projet stratégique pour donner un nouvel élan à la compétitivité et l’innovation des entreprises et institutions françaises grâce au numérique. Numergy est une société lancée en septembre par SFR, Bull et la Caisse des Dépôts. Jusqu’ici, les principaux services de cloud se

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situaient aux États-Unis, ce qui n’était pas sans poser de questions sur la sécurité et la confidentialité des données. Qui plus est, d’ici à 2016, le marché du cloud pourrait peser plus de 3 milliards d’euros en France. Il serait dommage de laisser les entreprises américaines, en pointe sur ce secteur, capter cette manne financière… C’est pourquoi la France a décidé de se lancer dans le cloud en investissant, via la Caisse des Dépôts, 150 millions d’euros

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dans deux nouvelles entreprises, dont Numergy. Cette dernière, dotée de 225 millions d’euros, compte trois actionnaires : la Caisse des Dépôts (33 %), SFR (47 %) et Bull (20 %). Numergy propose aux administrations et aux entreprises « une infrastructure extrêmement sécurisée, la mise à disposition de modalités de calcul et de stockage compétitifs et performants », explique Philippe Tavernier, président exécutif de Numergy.

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Le tout, bien entendu, sur le territoire français. Pour le moment, l’entreprise dispose de deux data centers, « mais nous avons l’ambition de créer une quarantaine de data centers units à l’horizon 2020 », affirme Philippe Tavernier. La Ville de Paris utilise d’ores et déjà les services de Numergy pour l’infrastructure de la plate-forme d’e-éducation déployée en partenariat avec SFR. Mais l’entreprise ne compte toutefois pas s’arrêter

aux frontières de l’Hexagone et espère bientôt devenir un acteur incontournable du cloud à l’échelle européenne. « Cela démontre la célérité et la pertinence de ce partenariat public-privé », se réjouit Philippe Tavernier. « Nous avons réussi, en six mois, à monter une vision commune, tracer un projet avec du sens et apporter les capitaux. Après en avoir beaucoup parlé, c’est désormais une réalité. » M.T.


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Innovation

Cap vers le portefeuille mobile ! Peu à peu, le mobile est en train de remplacer notre bon vieux portefeuille. Payer ses courses, valider son ticket de bus ou présenter une carte de fidélité avec un simple téléphone est en passe de devenir une réalité. Plusieurs villes de France expérimentent déjà quelques-uns de ces services, avec succès. ujourd’hui, nous transportons sur nous en permanence de l’argent, des tickets de bus, notre permis de conduire, des cartes de fidélité, voire même un ou deux coupons de réduction. Et si tout était réuni dans un seul et même outil, notre mobile ? Nice, Mulhouse, Marseille, SaintMandé, Strasbourg, Lille, Caen… Toutes ces villes s’essaient à des services qui constitueront demain le m-wallet, version numérique de notre portefeuille. À Strasbourg par exemple, plus de 2 000 commerces sont équipés d’un terminal de paiement NFC (Near Field Communication) capable de communiquer à courte distance

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avec un autre appareil. Ce qui permet aux personnes disposant d’un mobile équipé de la même technologie de payer leurs courses avec leur téléphone par simple passage devant le terminal de paiement. Ce nouveau moyen de paiement pourrait remplacer, à terme, les cartes de crédit, et fluidifier le passage en caisse. Et dès 2013, les titres de transport seront dématérialisés et intégrés aux mobiles des Strasbourgeois. Mais le portefeuille mobile à proprement parler va plus loin. Les opérateurs visent notamment à commercialiser dès 2013 ou 2014 des portefeuilles complets, comprenant une multitude de services

dépassant le paiement et les titres de transport : carte bancaire, carte vitale, permis de conduire, carte d’identité, cartes de fidélité, coupons de réduction…

en place et fédérer l’écosystème qui permettra d’embarquer tous ces services dans le mobile. En attendant, Vodafone en Italie, mais aussi O2 au Royaume-Uni et SFR avec sa SFR PayCard commercialisent déjà leurs premiers services bancaires sous forme d’une carte plastique prépayée. Cette carte permet de payer ses achats comme avec un mobile NFC. Sauf que cette fois-ci, la carte bancaire est proposée… par l’opérateur lui-même, en partenariat avec Mastercard. Objectif : habituer les consommateurs à cette nouvelle gestion de leur argent, avant d’embarquer le service dans les mobiles d’ici 2013-2014.

Des services à inventer Pour en arriver là, les opérateurs doivent inventer leurs propres services, en synergie avec les acteurs du secteur bancaire notamment. Mais aussi en intégrant ceux d’organismes tiers, comme les régies de transport, les collectivités ou les entreprises commerciales. Leurs atouts : des transactions sécurisées garanties par la carte SIM et le lien direct avec les propriétaires des mobiles. Leurs difficultés : mettre

Mulhouse expérimente le « SMS Parking »

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La technologie NFC, ou « sans contact », est au centre du futur portefeuille mobile. Reste à la développer sur notre territoire. n 2011, la France a souhaité encourager les expérimentations de la NFC en lançant l’appel à projets « Villes intelligentes / NFC » auprès des collectivités, dans le cadre des investissements d’avenir. En octobre dernier, quinze villes ont été sélectionnées parmi lesquelles Bordeaux, Caen, Grenoble, Mulhouse, Strasbourg ou encore Marseille. Elles bénéficieront de 66 millions d’euros d’investissement public afin d’imaginer de nouveaux services qui, peut-être, deviendront bientôt des classiques du portefeuille électronique. Car la technologie NFC commence à envahir nos mobiles… Si, pour le moment, le nombre de téléphones équipés NFC en France reste relativement modeste, cela ne devrait

E Mulhouse. Payer son stationnement avec un simple SMS. Une initiative économe Vingt-cinq agents municipaux ont été équipés de smartphones pour contrôler le paiement du stationnement à partir de la plaque d’immatriculation. Au final, le « SMS Parking » permet à la municipalité de faire des économies. « Cette mesure à l’avantage de diminuer la charge de prélèvement et de comptage de la monnaie, ainsi que

l’alimentation des horodateurs en tickets », explique Jean Rottner. Depuis mars, déjà plus de 30 000 paiements ont été effectués de cette manière, et le nombre de paiements SMS progresse de plus de 20 % par mois. Un succès qui a poussé plusieurs villes à tenter à leur tour l’expérience, parmi lesquelles Saint-Mandé, qui s’est lancée le mois dernier. M.T.

Les opérateurs téléphoniques ne sont pas les seuls à ambitionner de révolutionner nos moyens de paiement et notre bon vieux portefeuille. Dans la Silicon Valley, les géants Microsoft, Google ou encore PayPal et Apple, ont eux aussi lancé leur propre service, déclenchant une véritable « guerre des wallets ». Le cabinet Juniper Research estime quant à lui qu’en 2017 un consommateur sur quatre effectuera des paiements par NFC aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, contre moins de 2 % aujourd’hui. Un marché juteux, estimé à 180 milliards de dollars en 2017, soit sept fois plus qu’en 2012. Et les entreprises l’ont bien compris. C.C.

La NFC s’apprête à révolutionner le mobile

Depuis le mois de mars, les automobilistes de Mulhouse ont la possibilité de payer et de prolonger leur stationnement par SMS. Une première en France, qui s’élargit à d’autres collectivités. orénavant, plus besoin de se rendre à l’horodateur et de chercher de la monnaie pour régler son stationnement : un simple SMS suffit. Depuis le 15 mars, la ville de Mulhouse expérimente le « SMS Parking », en partenariat avec SFR et les deux autres principaux opérateurs mobiles. Concrètement, l’automobiliste envoie le numéro de sa plaque d’immatriculation à un numéro court. Le montant est alors automatiquement prélevé sur sa facture téléphonique ou décompté de son compte prépayé. Quelques mi nutes avant la fin de sa période de stationnement, l’usager est prévenu et peut la prolonger à distance. « Cela permet de faire face à des retards impondérables », se réjouit le maire de Mulhouse, Jean Rottner. « Plus de crainte d’une verbalisation pour dépassement et plus de contrainte de devoir aller remettre de la monnaie. »

Un nouvel Eldorado

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pas durer. Partout dans le monde cette technologie explose. Selon le cabinet d’études Berg Insight, 700 millions de mobiles NFC devraient être vendus dans le monde en 2016. Un boom énorme, comparé aux 30 millions d’unités écoulées en 2011. De leur côté, les principaux opérateurs ont annoncé la systématisation des cartes SIM avec fonctionnalité NFC permettant de payer avec son mobile. À titre d’exemple, SFR a annoncé qu’il généraliserait cette technologie dans toutes les nouvelles cartes SIM de ses clients dès fin 2012. Côté équipement des magasins, on estime aujourd’hui qu’un tiers des terminaux de paiement des commerçants sont prêts à accepter les paiements sans contact. M.T.


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Éducation Numérique éducatif

Au-delà de l’équipement, miser sur la formation L’intégration du numérique dans le parcours scolaire des jeunes Français doit encore progresser. Il s’agit en effet d’un enjeu essentiel dans notre société de plus en plus connectée, dont l’école ne peut être exclue. C’est pourquoi le gouvernement a décidé de s’emparer du problème en évoquant plusieurs projets.

«

n ne peut pas refonder l’école de la République et faire la République du XXIe siècle si nous ne prenons pas en compte clairement, volontairement et efficacement la dimension nouvelle introduite par le numérique dans notre culture et dans notre civilisation. » Pour le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, qui s’exprimait le 28 août à l’université d’été Ludovia, « de très nombreux secteurs de la société sont modifiés par le numérique et le seront encore plus demain, et particulièrement par Internet ». Impossible, donc, de laisser le numérique « à la porte de l’école ». Et pourtant, c’est bien ce qu’il se passe aujourd’hui en France. Si les jeunes de 13 à 17 ans passent cinq heures par jour connectés à Internet, deux sur trois ne l’utilisent jamais sur leur lieu de scolarité, selon les chiffres de l’Arcep (Autorité de régulation des télécommunications électroniques et des postes). Surconnectés, à Facebook, Twitter, Google, sur ordinateur, mobile ou tablette, ils voient naître régulièrement de nouveaux outils qui transforment leurs usages et leur quotidien. Mais tout cela reste en dehors de la salle de classe. Les jeunes Français ne bénéficient d’aucun accompagnement, ou presque, dans leur découverte et leur utilisation du numérique.

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L’autre fracture numérique Et pour cause : selon un rapport récent de l’Éducation nationale, seul un professeur sur vingt utilise le numérique au quotidien dans son enseignement. Pire, un sur cinq n’est « pas du tout convaincu » de l’intérêt des nouvelles technologies. Par ailleurs, en matière d’équipement, la France est en retrait par rapport à ses voisins européens : le Danemark compte trois fois plus d’ordinateurs par collégien et la Grande-Bretagne deux fois plus ! Dans ce pays, l’usage du numérique est obligatoire dans toutes les matières. D’après le rapport du maire d’Élancourt, Jean-Michel Fourgous,

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, en visite dans une école primaire à Aubevoye (Eure), le 4 septembre 2012. PHOTO CHARLY TRIBALLEAU/AFP

la France se place au 24e rang européen en ce qui concerne « l’accès à l’outil numérique » mais aussi « sa maîtrise dans un contexte pédagogique ». En effet, le matériel ne suffit pas. Aujourd’hui, la question de la fracture numérique concerne moins l’équipement, désormais accessible à la grande majorité de la population, que la culture numérique. Il existe aujourd’hui un fossé entre les personnes capables de comprendre le numérique, de s’approprier ses outils, voire même de développer les leurs et celles qui n’effectuent que quelques manipulations basiques et répétitives sur leur ordinateur. Savoir faire une recherche efficace d’information, échanger sur un forum, ouvrir un blog, connaître les codes et la culture du Web… Toutes ces compétences deviennent de plus en plus nécessaires dans notre société, et de plus en plus demandées dans le monde professionnel.

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Former les enseignants C’est que le chantier est vaste et les difficultés, nombreuses. Quand un collège se retrouve doté de matériel informatique performant, encore faut-il former les professeurs… Et s’ils le sont, encore faut-il qu’ils disposent de ressources pédagogiques pertinentes. Et tout cela doit se renouveler régulièrement. En numérique, les outils, les usages et le matériel sont rapidement obsolètes. La maintenance des équipements est trop rare, et quand un professeur décide d’utiliser le numérique lors d’un cours, il se retrouve souvent confronté à différents problèmes : incompatibilité de certains matériels, logiciels trop vieux, connexion trop lente… De quoi décourager la plupart d’entre eux. Afin de donner un nouveau souffle au numérique éducatif, le gouvernement souhaite lancer de nouveaux projets, dont Vincent Peillon a déjà donné les grandes

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directions. Selon lui, il faut former tous les enseignants à l’usage du numérique à l’école, mais aussi leur fournir des ressources pédagogiques. Il souhaite même développer une « offre de services publics numériques éducatifs » pour le soutien scolaire en ligne, et pour que les enseignants échangent entre eux et mutualisent leurs productions. Vingt millions d’euros seront attribués à ces projets lors de ces prochaines années.

Une option « Sciences du numérique » au lycée Sur le plan de la formation disciplinaire, un grand pas a déjà été franchi à la rentrée, avec la mise en place d’une option « Sciences du numérique » pour les Terminales S. Pendant deux heures par semaine, les lycéens découvriront les rouages de leurs ordinateurs, l’utilisation de langages informatiques ou encore le fonctionnement des algorithmes.

C’est la première fois qu’une telle matière trouve sa place dans une filière générale de l’enseignement public. Pour l’instant, seuls 500 lycées sur 2 400 la proposent, mais dès la rentrée prochaine cette option sera étendue à toutes les terminales générales. Et le secteur de l’enseignement supérieur pourrait bien, lui aussi, proposer de nouvelles formations. La ministre chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique, Fleur Pellerin, a notamment annoncé qu’elle réfléchissait à créer une filière consacrée aux nouvelles technologies. Aujourd’hui, les grandes écoles formant aux métiers du numérique sont essentiellement privées. L’État compte donc s’y faire une place, pour contribuer à former les centaines de milliers de professionnels dont le secteur numérique européen aura besoin dans les années à venir.

M.T.


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Éducation

« Il faut repenser entièrement la pédagogie à travers le numérique » La fondation Terra Nova a formulé 123 propositions relatives au numérique pour « renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance ». Dans ce rapport, une large place est consacrée à l’éducation. Précisions avec Nelly Fesseau, coordinatrice des pôles Culture et Numérique de Terra Nova et coauteure du rapport. Terra Nova a formulé sept propositions relatives au numérique à l’école. Pourquoi y accorder une telle importance ?

Parce que le numérique est de plus en plus fondamental. Il a totalement bouleversé nos rapports aux autres, que ce soit en termes de communication, de politique, d’économie, de production, de distribution ou de diffusion, mais aussi d’accès au service public. Par conséquent, plus il y aura une frange de la population en marge du numérique, plus cette frange sera en marge de la société. La révolution numérique a débuté il y a vingt ans, c’est au-delà même de la capacité humaine à intégrer ces modifications. Ce qui en découle est la nécessité absolue de sensibiliser et de former au

numérique dès le plus jeune âge, en l’intégrant dans le parcours scolaire. Vous prônez la mise en place d’une nouvelle pédagogie. En quoi consiste-t-elle et quel rôle y joue le numérique ?

À court terme, il faut absolument former les professeurs aux enjeux du numérique, pour que les élèves se l’approprient, du primaire au supérieur. Mais à moyen et long terme, il faut repenser entièrement la pédagogie à travers le numérique. Comment ? C’est encore à concevoir, mais de nombreuses questions se posent. Quel usage faire des tablettes ? Faut-il encore une présence systématique et continue des élèves en classe ? Si oui, sous quelle forme ? Et qu’en est-il du contenu ?

Concrètement, a-t-on déjà des pistes ?

dans toutes les filières. Comment y parvenir ?

On peut imaginer des plates-formes collaboratives de création et de partage de contenu libre, comme Sésamath, lancé par des professeurs de mathématiques et qui fonctionne très bien. Il faut repenser et décloisonner notre modèle pédagogique, renforcer l’interactivité de l’enseignement, qui ne doit plus être descendant. Imaginez un professeur très grand pédagogue, délivrant un cours passionnant… Pourquoi ne pas dupliquer ce message dans toutes les classes ? Le rôle des enseignants serait alors de faire médiation entre ce message et les élèves.

Il faut avant tout sensibiliser les professeurs à l’outil numérique. Pour des raisons générationnelles, beaucoup ont une certaine méfiance envers ces technologies, contrairement à leurs élèves qui, eux, sont nés dans cet environnement. Il faut montrer aux enseignants tout ce qu’ils peuvent faire avec le numérique, leur rappeler que ce n’est qu’un outil, qui n’est ni bon ni mauvais. Et réfléchir avec eux à la manière d’intégrer cet outil en classe plutôt que de l’interdire. Plus généralement, nous proposons aussi de refonder le Brevet Informatique et Internet et définir pour chaque niveau et chaque filière des compétences numériques à placer au cœur du parcours.

Selon Terra Nova, il faut enseigner le numérique du primaire au supérieur,

Le gouvernement souhaite refonder l’école en accordant une large place au numérique. Un plan de plus ?

Il est important que les hommes et les femmes politiques s’emparent de la question du numérique, car si nous ne faisons rien, nous resterons dans le suivisme. Et dans le cadre de la réflexion lancée sur l’école, j’ai pu remarquer que la question la plus récurrente et la plus constante était celle du numérique… Mais ce qui est fondamental, c’est la volonté politique, qui doit être ferme et déterminée. Cela dit, dans toute réforme, la difficulté est que chacun doit y trouver son compte et y être associé. Nous sommes dans un pays de révolutions plus que de réformes. Alors, est-ce que la révolution numérique va nous conduire à de véritables réformes ? J’espère bien !

M.T.

« e-école pour tous », un service clés en main pour les établissements Installation du matériel, mise à disposition de contenu pédagogique interactif, formation des enseignants, maintenance… En prenant tout en main de A à Z, le projet « e-école pour tous » veut faciliter le passage des établissements du primaire vers le numérique éducatif. as facile, pour les écoles primaires, de se lancer dans le numérique éducatif. Quel matériel utiliser ? Comment former le personnel ? Quels outils utiliser pour exploiter au mieux le potentiel pédagogique du numérique ? Ces questions sont d’autant plus complexes qu’elles impliquent généralement une multitude d’acteurs, comme les fournisseurs de matériel informatique, les éditeurs de contenu éducatif, les organismes de formation… C’est pourquoi SFR vient de lancer le projet « e-école pour tous », en partenariat avec itslearning, leasecom, Maxicours et Smart, quatre entreprises qui répondent, chacune, à ces différentes questions.

P

L’objectif : réunir, dans un seul service, tous les éléments nécessaires à la mise en place du numérique à l’école. À commencer par l’installation d’un tableau blanc interactif, outil phare de la numérisation de l’éducation, qui fait rentrer les nouvelles technologies dans le quotidien de la salle de classe.

100 000 exercices disponibles en ligne « e-école pour tous » inclut aussi une connexion Internet à haut débit et la mise à disposition d’un environnement numérique de travail. Cette plate-forme en ligne, disponible en permanence, est accessible aux écoliers, à leurs parents et aux enseignants où

qu’ils se trouvent. Il est possible d’y consulter les devoirs à faire, les documents déposés par les professeurs ou encore les actualités de l’établissement. Mais pas seulement. Cet environnement met à disposition de nombreuses ressources pédagogiques réalisées par des enseignants de l’Éducation nationale. En tout, 100 000 exercices, 20 000 fiches de cours, 5 000 vidéos et 1 200 animations interactives conformes aux programmes scolaires sont accessibles. Pratique pour les écoliers, qui peuvent bénéficier d’un service de soutien scolaire, pour les parents, qui aideront plus facilement leurs enfants à faire leurs devoirs et pour les enseignants,

qui y trouveront de quoi enrichir leurs cours et les adapter à l’ère du numérique.

Abordable pour les municipalités Car il n’est pas toujours évident pour les professeurs d’apprivoiser ces nouveaux outils. C’est pourquoi le programme « e-école pour tous » comporte une part d’accompagnement de l’équipe pédagogique. Les enseignants sont formés à la prise en main du tableau blanc interactif, de l’espace numérique de travail et des nouveaux contenus éducatifs. Enfin, « e-école pour tous » assure la maintenance du matériel et propose une hotline technique pour répondre en cas de difficulté.

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Une aide concrète pour les municipalités qui souhaitent numériser leurs écoles : le projet est simple et rapide à mettre en place, pour des tarifs abordables et mensualisés. La commune n’a plus à se soucier de la gestion des équipements informatiques et de leur fin de vie. Expérimenté depuis le mois dernier, ce programme « clés en main » espère contribuer au développement du numérique à l’école. Aujourd’hui en France, seuls 2,6 élèves de primaire sur 1 000 ont accès à un tableau blanc interactif. Soit dix fois moins qu’en Grande-Bretagne… M.T.

Plus d’informations sur e-ecolepourtous.fr


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Téléphonie solidaire

« Sans téléphone mobile, nous sommes encore plus exclus » La téléphonie mobile reste inaccessible aux plus démunis. Et pourtant, ce sont souvent ceux qui en ont le plus besoin. C’est pourquoi Emmaüs Défi a lancé, en 2010, avec SFR et la Ville de Paris un programme de téléphonie solidaire. Explications avec Charles-Édouard Vincent, directeur d’Emmaüs Défi. Plus on est pauvre, plus on paie cher l’accès aux biens et services : logement, crédits, assurances… et téléphone. Car les offres les moins chères ne sont pas adaptées aux modes de consommation des personnes en grande précarité, qui n’ont ni Internet, ni compte bancaire et ne peuvent pas s’engager sur la durée. Elles se tournent donc vers les cartes prépayées, bien plus chères… Résultat, leur budget téléphonique est complètement démesuré par rapport à leurs ressources. Il représente environ 15 % de leurs revenus, contre 2 à 5 % pour la moyenne de la population. Nous avons donc été voir SFR pour réfléchir ensemble à cette problématique. Concrètement, comment cela fonctionne ?

Nous permettons à des personnes en grande précarité d’accéder à la téléphonie à très bas prix. SFR nous donne des cartes prépayées que nous revendons 5 euros l’heure, contre 20 euros dans un bureau de tabac. Mais cette offre ne suffit pas. Quand une personne dépense 120 euros par mois dans la téléphonie alors qu’elle ne gagne que 600 euros, c’est qu’il y a un problème. Cela peut venir d’appels vers des numéros surtaxés, vers l’étranger, vers des services payants comme la CAF… Nous

aidons ces personnes à mieux comprendre leur utilisation du téléphone et nous les conseillons sur comment améliorer leur pratique. Toutefois, nous ne voulons pas créer de dépendance envers ce programme. Au bout de neuf à dix-huit mois, la personne doit retourner vers une offre de téléphonie commune. Pour cela, nous l’aidons à s’y retrouver dans la jungle des offres, afin de trouver la plus adaptée à sa consommation.

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De quel constat est née l’idée d’un programme de téléphonie solidaire ?

En quoi le téléphone est-il si important pour les personnes démunies ?

Charles-Édouard Vincent, directeur d’Emmaüs Défi.

Dans l’inconscient collectif, la possession d’un téléphone portable est encore un luxe. Et pourtant, que ferait un SDF sans son mobile ? C’est sa dernière adresse. Sans lui, il est injoignable. Le mobile lui permet de garder le lien avec ses proches, d’être contacté par son assistante sociale, ou d’appeler en cas de souci. Pensez aussi aux personnes frappées de plein fouet par la nouvelle vague de pauvreté : les mères célibataires, qui travaillent souvent en horaires décalées. Le téléphone n’est pas un luxe pour elles. Elles ont besoin de savoir si leur enfant va bien, s’il est rentré à la maison et il doit pouvoir la joindre à tout moment. Quant aux personnes qui recherchent un emploi ou un logement, sans mobile, même pas en rêve ! Nous sommes dans une société connectée, sans téléphone portable, nous sommes encore plus

exclus. Idem pour le numérique en général. Nous en sommes tellement imprégnés que les personnes qui n’y ont pas accès sont totalement larguées. Cela leur crée même des difficultés budgétaires supplémentaires, car Internet apporte des offres moins chères, des promotions et des comparateurs de prix. Emmaüs Défi, SFR, la Ville de Paris… Quel est le rôle de chacun dans ce programme ?

SFR apporte la technologie et les compétences de ses collaborateurs, Emmaüs Défi est un peu le chef d’orchestre du programme et la Ville de Paris est prescriptrice. Quand nous avons commencé, les travailleurs sociaux de la ville étaient complètement démunis. Ils savaient vers quels organismes orienter les gens sur les questions d’emploi, de santé, d’ali-

La téléphonie solidaire en cinq critères En quoi se distingue la téléphonie solidaire type programme Emmaüs Défi-SFR d’une offre dite « sociale » ou low cost ? Pour mieux s’y retrouver, l’Agence nouvelle des solidarités actives, qui accompagne des projets d’innovation sociale visant à lutter contre l’exclusion, a défini cinq conditions pour qu’une offre soit considérée comme réellement « solidaire ». 1. Des conditions d’accès moins restrictives G Les offres sociales labellisées

par l’État en 2011 ne sont accessibles qu’aux allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) ne travaillant pas. Les offres solidaires doivent être à disposition d’un public plus large, en proie à des difficultés avec le téléphone dans le cadre d’un parcours d’insertion.

2. Une proposition adaptée aux besoins, aux usages et aux capacités financières G Deux heures de téléphonie par mois

sont nécessaires, notamment pour les démarches administratives,

coûteuses en temps. Le tout pour 10 euros. L’offre doit pouvoir être payée a priori, en liquide ou par chèque.

3. Une offre accessible et visible G Les offres solidaires doivent être connues des structures sociales. Il faut garantir aux personnes en difficulté une information claire et fiable auprès des personnes qu’elles côtoient dans leur parcours.

4. Une mission de diagnostic et de conseil G Les structures qui proposent les

offres de téléphonie solidaire doivent

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être en mesure de diagnostiquer les besoins des personnes en insertion. Elles doivent aussi les conseiller sur leur utilisation du téléphone, et éventuellement les orienter vers des offres du circuit classique, si elles répondent à leurs besoins.

5. Un parcours d’accompagnement G Les véritables offres solidaires doivent être prescrites dans un parcours d’accompagnement large. Les personnes concernées par les problématiques téléphoniques ont souvent d’autres difficultés et l’aide dont elles disposent ne se limite pas au téléphone.

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mentation… Mais sur la téléphonie mobile, rien. Pourtant, de nombreuses personnes croulent sous les factures non réglées, les problèmes de contentieux et les poursuites liées au téléphone. Quand nous sommes arrivés avec notre projet, les travailleurs sociaux ont trouvé cela génial ! Ce sont eux, ainsi que 120 associations, qui nous envoient des personnes. Ce partenariat entre le secteur public, SFR et Emmaüs Défi est la force de notre projet. Associations, collectivités, entreprises : chacun détient une partie de la solution et nous devons la mettre en place ensemble.

Quel bilan depuis 2010 ?

Les retours sont très positifs, beaucoup de collectivités nous sollicitent. Nous avons pour le moment deux antennes, dans les XIVe et XIXe arrondissements de Paris. Nous allons bientôt en ouvrir une dans le sud de la ville. Deux mille personnes bénéficient en ce moment de ce programme, qui a prouvé sa viabilité économique grâce aux cinq euros demandés. Une solution qui fonctionne aussi bien socialement qu’économiquement, c’est rare ! Comptez-vous aller plus loin, développer d’autres services ?

Pour répondre aux demandes des autres collectivités locales, nous avons « packagé » ce programme pour qu’elles puissent le mettre en œuvre facilement chez elles. Nous aimerions nous développer dans toute la France, et pourquoi pas exporter le concept à l‘étranger ! Le Maroc, la Norvège et la Belgique nous ont déjà sollicités. Nous comptons aussi lancer l’an prochain un programme d’accès à Internet.

Propos recueillis par M.T.

Collectivités et numérique Pour en savoir plus sur les sujets abordés dans ce numéro, suivez les débats organisés* par SFR sur le stand G70. 20 novembre 10h20

SFR aux côtés des collectivités

Stéphane Roussel, SFR 11h30

La fibre optique : une chance pour demain

Yves Rome, conseil général de l’Oise Cyril Luneau, SFR Collectivités 14h20

Open data : l’avenir citoyen

Jean-François Laplume, Agence Numérique Aquitaine

Cyril Luneau, SFR Collectivités 12h20

Jean Rottner, mairie de Mulhouse Hugo Salaun, SFR 14h40

16h20

La place et le rôle des réseaux d’initiative publique

Hervé Rasclard, conseil général de la Drôme, Ardèche Drôme numérique Fabien Bazin, conseil général de la Nièvre, Niverlan

21 novembre 12h00

Le rôle du numérique pour le développement économique

Éric Kerrouche, communauté de communes Maremne Adour Côte-Sud Alain Lagarde, mairie de Tulle, syndicat mixte Dorsal

Numérique et égalité des chances

Antonella Desneux, SFR Jean-François Bourdon, ministère de l’Éducation nationale 16h20

Stéphane Martayan, Région PACA Jean-Baptiste Roger, La Fonderie

Vers le portefeuille mobile

La ville à l’heure de la NFC

Daniel Sperling, mairie de Marseille Antoine Veran, Nice Côte d’Azur, commission des nouvelles technologies Pierre-Emmanuel Struyven, SFR

22 novembre 10h20

Quoi de neuf pour l’e-santé ?

Christian Bordais, SaaS, FujiFilm Frédéric Forni, SFR Business Team 11h00

Les applications M2M pour les collectivités

Frédérique Liaigre, SFR Business Team

* sous réserve de modifications


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Transition énergétique

Le pourquoi et le comment de la transition énergétique Le président de la République l’avait promis, le gouvernement Ayrault l’a lancé : le grand débat sur la transition énergétique doit aboutir au printemps prochain à une loi de programmation. À charge pour l’industrie de s’imposer grâce à son savoir-faire. La France peut devenir un géant énergétique. Certaines entreprises comme Alstom ont déjà peaufiné leur stratégie du mix énergétique. Revue de détail avec son PDG, Patrick Kron. Alstom est un acteur majeur dans les équipements de production d’électricité. Ce qu’on appelle « la transition énergétique » fait-elle partie de vos réflexions stratégiques ?

Notre stratégie consiste à proposer toutes les solutions de génération d’électricité. Dans le thermique, nous proposons des centrales au charbon et au gaz performantes et propres. Nous sommes très présents dans le nucléaire : un tiers des centrales en service dans le monde – près de 140 unités – utilisent nos équipements. Dans les renouvelables, nous sommes leader mondial dans l’hydroélectricité et actifs dans la biomasse et la géothermie. Nous nous développons également dans l’éolien et nous travaillons aux solutions de demain : énergie marine, solaire thermique… Nous sommes donc capables de répondre à tous les modèles de production d’électricité. Nos dépenses en recherche et développement reflètent cette stratégie : nous investissons dans les éoliennes offshore de grande puissance ou dans les hydroliennes, mais nous venons aussi de sortir de nouvelles turbines à gaz. En ce qui concerne la lutte contre le réchauffement climatique, auquel renvoie la « transition énergétique », nous travaillons aussi sur l’amélioration du rendement des centrales, car consommer moins de carburant à production équivalente offre un double avantage, économique et environnemental. Il n’existe donc pas à vos yeux un modèle global de production énergétique ? Le modèle choisi par le gouvernement est-il le bon ?

L’équilibre entre les différentes sources de production d’électricité – ce qu’on appelle le mix énergétique – dépend d’abord, pour chaque pays, de l’accès aux ressources. Il n’y a aucune raison pour que la Chine, qui détient les plus grandes réserves de charbon au monde, fasse les mêmes choix énergétiques que le Brésil,

qui dispose d’immenses capacités de production hydroélectriques, ou encore que le Danemark, dont les côtes sont particulièrement favorables à l’éolien offshore. Cet équilibre dépend bien entendu aussi des choix politiques, en fonction de l’importance accordée à l’indépendance énergétique, des coûts acceptables de l’électricité et de la sensibilité de l’opinion publique. Il n’y a donc pas de modèle universel. La France a fait le choix historique de l’électricité d’origine nucléaire, qui a été payant, en termes d’indépendance, d’efficacité économique et de constitution d’une filière industrielle française. Peut-on rééquilibrer le mix énergétique, avec moins de nucléaire et plus de renouvelables ? Oui, bien sûr. C’est un choix politique. Alstom participera à ce titre pleinement au développement des énergies renouvelables en France. Le nucléaire a donc encore un avenir ?

Patrick Kron, Président-directeur général d’Alstom. PHOTO ÉRIC PIERMONT/AFP

Le nucléaire représente aujourd’hui un peu plus de 15 % du mix énergétique mondial. Après Fukushima, quelques pays, comme l’Allemagne, la Suisse ou le Japon, ont déclaré renoncer. Mais beaucoup d’autres – plus de trente – poursuivent des programmes nucléaires, à plus ou moins long terme. C’est le cas du Royaume-Uni, de la Pologne, de la Finlande, de la République tchèque, de la Turquie, de l’Inde, de la Chine ou de la Russie. La France a la chance d’avoir trois leaders mondiaux dans le nucléaire civil à haut niveau de sûreté, avec EDF, Areva et Alstom, sans oublier leurs nombreux sous-traitants. Nous n’avons pas trop de champions industriels ! Il est donc essentiel de soutenir une filière qui emploie en France beaucoup de collaborateurs très qualifiés et travaille massivement pour l’exportation. Lorsque nous remportons un contrat pour la future centrale russe de Kaliningrad, comme cela a été le cas au début

de cette année, ce sont des milliers d’heures de travail pour notre usine de Belfort. Vous avez remporté avec EDF Énergies nouvelles une grande partie du premier appel d’offres éolien offshore français. Que représente ce projet pour Alstom ?

Ce projet est une triple opportunité. Il nous a permis de développer une machine nouvelle, robuste et de grande puissance, qu’il aurait été difficile de lancer sans contrat. Nous allons ensuite fournir 240 éoliennes et pour cela nous allons construire quatre usines, deux à Saint-Nazaire et deux à Cherbourg, et créer ainsi 5 000 emplois, dont 1 000 emplois directs. Enfin, il nous permet de créer une base d’exportation, pour servir les besoins du marché européen, notamment britannique. Une de vos divisions – Alstom Grid – est spécialisée dans la transmission d’électricité. Quelle est la place de cette activité dans votre stratégie ?

Elle est très importante, non seulement parce qu’elle représente 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, mais aussi parce que Grid développe des technologies de pointe, qu’on appelle « réseaux intelligents » ou smart grid en anglais. Sans ces technologies, il ne sera pas possible d’intégrer à grande échelle dans les réseaux l’électricité d’origine éolienne ou solaire, qui est intermittente par définition, ou de piloter l’équilibre entre la production et la demande au niveau d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Le réseau doit être de plus en plus flexible et intelligent. Il s’agit d’une dimension essentielle de la politique d’efficacité énergétique. Ces technologies permettent aussi d’interconnecter les pays entre eux ?

Oui, c’est ce qu’on appelle les super grid, qui permettent d’abord de transporter, à très haute tension et en courant continu, de

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l’électricité sur de grandes distances avec des pertes minimums entre les centres de production et les zones de consommation. C’est le cas par exemple au Brésil, entre les centrales hydroélectriques situées dans l’ouest du pays et les grandes villes de l’est, ou encore en Allemagne, où se pose le problème du transport de l’électricité que produiront les éoliennes en mer du Nord ou dans la Baltique vers les centres industriels et urbains du centre et du sud du pays. Le super grid est un élément essentiel de la transition éner gétique, car il permet de résoudre deux problèmes : la distance – car les sources d’énergies renouvelables sont rarement à proximité des centres de consommation – et la stabilité – car les renouvelables sont pour la plupart intermittentes et il faut donc pouvoir aller chercher le complément d’électricité nécessaire.

Propos recueillis par Joël Genard


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Transition énergétique

Mobiliser toutes les sources d’énergie Comment préparer l’avènement d’un monde durablement doté des énergies nécessaires à son développement ? Comment faire face aux enjeux de la croissance démographique et économique tout en réduisant les émissions globales de gaz à effet de serre ? Par une utilisation efficace et raisonnée de l’énergie en premier lieu. Mais il importe aussi, en parallèle, de définir ce que doit être ce mix énergétique à la française. Explications de Manoelle Lepoutre son gaz. Mais nous respectons les choix politiques. Dans le choix d’un mix énergétique, il est important de réfléchir aux différentes solutions en imaginant les étapes pour y arriver et dans un cadre européen. Pour nous, le débat doit se faire sous plusieurs angles : économique, environnemental et sociétal, en tenant compte du jeu de contraintes internationales. Or, il manque aujourd’hui une réflexion sérieuse et un travail global. Les coûts d’accès, la manière d’arriver à telle ou telle solution, le coût social lié à la transformation d’une activité ne sont pas étudiés. Il faut mesurer les impacts de ces choix et les décider en tenant compte aussi des avis des industriels. Ce qui n’a pas été fait, y compris au moment de la conférence environnementale. Nous n’y avons même pas été invités !

Comment concevez-vous la transition énergétique chez Total ?

Dans ce mix énergétique, est-ce que vous tenez compte des difficultés de production mondiale et des conséquences des gaz à effet de serre ?

La demande mondiale en énergie, comme je vous le disais, va continuer d’augmenter dans les décennies à venir. Tous les scenarii de prospective à l’horizon 2020-2030

Comment voyez-vous le paysage énergétique de demain ?

ABDOU DIOURI

Nous avons une vision globale et internationale de la transition énergétique. Le mix énergétique ne peut donc pas être perçu du strict point de vue français. Ce mix diffère selon les régions et les pays en fonction des ressources disponibles sur leur territoire, des besoins à couvrir, du contexte économique, social, environnemental… Ainsi, au Brésil, l’hydroélectricité représente 15 % du mix énergétique et plus des deux tiers de la production électrique. En Chine, le charbon couvre plus des deux tiers du mix et près de 90 % de la génération électrique. Le mix énergétique peut également résulter d’un choix politique. En France, le nucléaire est à l’origine de 80 % de l’électricité produite et de 40 % de l’énergie consommée aujourd’hui. En termes de production énergétique, plus de 80 % de l’énergie primaire est de l’énergie fossile produite à partir du charbon, du gaz et du pétrole. Nos scenarii ne sont pas très éloignés de ceux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui considère qu’en 2030 cette part devrait diminuer pour passer à 76 %. Les changements ne peuvent donc pas se faire de façon brutale. La demande en énergie mondiale va augmenter chaque année de 1 % à 1,5 %. C’est beaucoup moins que la part du développement économique mondial. Dans le même temps on constate un développement de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la capacité à mieux utiliser l’énergie tout en ayant les mêmes capacités de confort, voire plus.

Manoelle Lepoutre, directrice du développement durable et de l’environnement chez Total.

concordent sur ce point. Comment satisfaire cette demande en intégrant systématiquement dans nos choix collectifs l’impératif de lutte contre le changement climatique ? Pour Total, il n’existe pas de réponse unique à cette question devenue centrale. La première urgence est de progresser en termes d’efficacité énergétique, de consommer moins, partout où c’est possible. Et pour le mix énergétique français ?

Il faut considérer que la France a une situation particulière avec une

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présence très forte du nucléaire. Il faudra réfléchir aux substituts à venir grâce aux énergies nouvelles. Mais ce sont des énergies qui demeurent chères. Il faut toutefois investir dans ces énergies car elles seront complémentaires. Mais la question est surtout celle du coût de ce mix énergétique. Il faut tout faire pour baisser les coûts. Quant au gaz de schiste, nous sommes sidérés de constater que l’on s’empêche de savoir si nous disposons de ressources ou non. La France ne sait donc pas si elle peut faire diminuer le coût de

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Le pétrole et le gaz vont demeurer pour longtemps au cœur de nos activités. Mais notre engagement dans les énergies renouvelables et autres énergies complémentaires a débuté depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, nous avons pour ambition de contribuer plus fortement encore à l’avènement d’une offre énergétique plus innovante, plus diversifiée et plus durable, de proposer une pépinière de nouvelles solutions, d’accélérer leur arrivée à maturité. Quelles sont, à partir de là, vos priorités ?

Nous avons choisi d’investir en priorité dans deux filières d’avenir où nous pouvons jouer un rôle significatif, où nos compétences peuvent faire la différence, au service de tous : le solaire et la valorisation de la biomasse. Dans le solaire, nous prenons appui sur une expertise reconnue dans la filière photovoltaïque pour apporter à ce secteur en pleine

effervescence nos capacités d’innovation. Les rendements sont encore faibles et le solaire, énergie très abondante sur certaines zones géographiques, prendra une part plus importante dans le futur. Notre position de troisième acteur mondial nous donne aujourd’hui une véritable légitimité. Nous travaillons activement au développement des bioénergies, en investissant dans des filières qui valoriseront de la biomasse de deuxième génération, pour compléter l’offre biocarburants mais aussi l’offre biomatériaux. Ces choix, clairement affirmés, sont guidés par trois grands critères : lutte contre le changement climatique, rentabilité intrinsèque des activités concernées, proximité avec nos savoir-faire. L’industrie nucléaire présente également un fort potentiel de croissance, mais l’accident de Fukushima a un fort impact sur son acceptabilité. En parallèle, nous continuons d’explorer d’autres voies encore moins matures sur de nouveaux domaines du paysage énergétique. Parmi ceux-ci : la filière hydrogène-pile à combustible et ses différentes applications, le méthanol, exploitable sous de multiples formes, et le diméthyl éther (DME), molécule propre et polyvalente qui peut servir de carburant, de combustible, de charge pétrochimique ou alimenter des centrales électriques. Nous exerçons aussi une veille active, sur les possibilités qu’ouvrent des start-up innovantes, en les accompagnant dans leur développement (le stockage de l’énergie, l’efficacité énergétique, l’écomobilité, les bioénergies, etc.). Le Groupe s’associe à des start-up innovantes centrées sur des concepts technologiques ou des business nouveaux mais susceptibles de se concrétiser à plus large échelle, dans le paysage énergétique.

Propos recueillis par Joël Genard


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Économie Comment être un acteur du développement régional quand on s’appelle Total ? Total Développement Régional soutient des Petites et Moyennes Entreprises (PME) qui se créent, se développent, se transmettent ou s’exportent. Le Groupe Total contribue ainsi, en partenariat avec les acteurs socio-économiques locaux, au dynamisme des Régions où il intervient, et à la création ou au maintien d’emplois. Les enjeux avec Yves Tournié, directeur de Total Développement Régional. Peut-on dire que Total est aujourd’hui un acteur du développement local ?

Total s’inscrit dans une politique de développement durable, en particulier en France. Cette démarche est notamment portée par notre filiale Total Développement Régional (TDR), qui assure un ancrage économique dans les régions traditionnelles d’implantation du Groupe. Nous veillons aussi à ce que les territoires conservent leur dynamique, y compris en cas de restructuration industrielle, comme à Dunkerque où nous avons dû fermer une raffinerie. Et puis, la bonne santé d’un territoire, c’est aussi la bonne santé d’un grand Groupe qui travaille avec lui ! Il s’agit bien d’un intérêt mutuel. Notre raison d’être est la création d’emplois au sein des PME, par des aides financières ou de conseil dans l’accompagnement de leur développement. C’est ainsi que nous avons déjà aidé plus d’un millier d’entreprises : au cours des seules dix dernières années ce sont 15 000 emplois qui ont été programmés ou créés, 60 millions de prêts qui ont été accordés, dont 20 millions pour la revitalisation des territoires. Quels sont les critères de sélection des entreprises qui bénéficient de cette démarche d’accompagnement ?

Il y a deux niveaux d’intervention. Le premier concerne l’aide à la création, au développement ou à la

DR

3 questions à

DAVID POUYANNE PRÉSIDENT DU RÉSEAU ENTREPRENDRE

reprise d’activité. Cette démarche s’adresse à des entreprises de taille modeste. Nous leur permettons de bénéficier d’un prêt de trois à cinq ans, sous forme d’avances remboursables à taux zéro, jusqu’à 50 000 euros. Ce sont des entreprises qui ont moins d’un an ou moins de cinq ans de reprise. Cet appui concerne tous les secteurs d’activité, sans lien avec nos activités. La seconde démarche consiste à apporter un appui financier pour les entreprises innovantes dans leur phase de développement, qu’elles soient matures ou start-up. C’est une action menée notamment avec Oséo* ou le Cetim**, qui identifient des « champions » de l’innovation. Oséo en repère environ 400 chaque année en France. Nous en sélectionnons une quarantaine par an, dans des secteurs spécifiques intéressant le Groupe, avec lesquelles nous prolongeons ainsi l’action d’Oséo pour leur permettre de passer le cap difficile du passage de la phase de recherche à la phase de production. Nous pouvons leur accorder jusqu’à 300 000 euros. Ce prêt s’effectue sur une durée de cinq à six ans, avec un différé de remboursement. Cet appui concerne des entreprises qui ont une démarche pertinente dans des hautes technologies utilisables dans le secteur de l’énergie, pétrole ou gaz par exemple. Cette démarche se limite à la France ?

Nous aidons des entreprises franQuel est le type de partenariat que votre réseau entretient avec Total Développement Régional ?

Total Développement Régional (TDR) nous permet de faire entrer des créateurs d’entreprise dans notre réseau et que nous accompagnons. À l’inverse, TDR finance des entreprises qui ont fait appel à nous. Cela permet ainsi de doubler la mise pour « booster » ces jeunes créateurs. Pour leurs besoins à l’export, ces entreprises font appel au réseau de Total dans le monde afin de faciliter leurs besoins de développement. Notre mission est de contribuer à la réussite de nouveaux entrepreneurs significativement créateurs d’emplois et de richesses en France. Le cœur de métier de Réseau Entreprendre, c’est :

çaises susceptibles d’intervenir à l’export. Plusieurs de nos filiales à l’étranger peuvent permettre d’accompagner cette volonté. Nous mettons à leur disposition notre connaissance du pays et des acteurs locaux, ainsi que, localement, des VIE [Volontariat international en entreprise, NDLR] qui leur sont dédiés. Il faut toutefois que cette démarche à l’international profite à la création d’emplois en France. Nous faisons en sorte que cette démarche soit en cohérence avec notre ancrage territorial. Est-ce que toutes ces démarches s’inscrivent avec les politiques menées par les Conseils régionaux, certaines villes ou départements ?

Ces entreprises nous arrivent par le biais du Réseau Entreprendre, d’Oséo, des Chambres de commerce et d’industrie (CCI), mais aussi par les régions d’implantation. C’est le cas en Aquitaine, Pays de Loire, Normandie, vallée du Rhône, Nord et l’Est et PACA. L’État fait beaucoup avec Oséo, UbiFrance, la Caisse des dépôts et consignations. Mais l’intervention d’un acteur privé est souvent utile pour évaluer la pertinence du soutien sur le plan de l’expertise économique ou industrielle. Nous conjuguons nos talents avec les Régions et nous utilisons le levier de l’État. Car je pense qu’il est nécessaire, comme en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, d’avoir recours à des fonds privés. Cela - l’accompagnement par des chefs d’entreprise. L’engagement de ces chefs d’entreprise au sein de Réseau Entreprendre est alimenté par leur passion de l’entrepreneuriat et leur envie de la transmettre à de nouveaux entrepreneurs dans un esprit de citoyenneté économique. Ainsi, les membres donnent bénévolement de leur temps pour étudier les projets, participer aux comités d’engagement, accompagner des lauréats et animer leur association… Ce qui représente plus de 70 000 heures de bénévolat par an. - un financement sous forme de prêts d’honneur, particulièrement intéressants pour leur effet de levier sur les autres financements, notamment bancaires.

permet de restreindre la prise de risque par un banquier. C’est une impulsion qui conforte les Conseils régionaux, l’État, et qui permet ainsi à des projets de voir le jour ou d’être confortés. Nous échangeons aussi sur ces bonnes pratiques avec plusieurs grandes entreprises du Cac 40 qui adhèrent à cette démarche, au sein de l’initiative « Pacte PME », et cela permet de développer cette approche fonds publics-fonds privés. C’est ainsi que des dossiers qui ne seraient pas pertinents avec notre propre logique d’ancrage régional peuvent être transmis à d’autres grands Groupes. C’est une dynamique qui doit être amplifiée, car, au-delà de l’appui financier, la caution est indispensable à l’entreprise qui présente son dossier aux banques. Avez-vous un exemple significatif d’entreprise qui existe ou continue d’exister grâce à votre démarche ?

Il y en a beaucoup ! Je citerai l’entreprise OTech, dans les Landes. Au départ il s’agissait d’un atelier agricole semi-industriel dans le secteur de l’arrosage. Nous trouvions sa démarche pertinente et nous l’avons aidée. Elle souhaitait élargir son champ d’action compte tenu de la saisonnalité de son activité. Nous l’avons emmenée en Australie afin de trouver une activité à contre-cycle. Et dans un second temps nous lui avons permis d’être présente au Kazakhstan. Elle réalise désormais 40 % Le soutien de Total est indispensable dans votre mission ?

Total accompagne les entreprises depuis longtemps. Cette action ne date pas d’hier. Ils ont un sens aigu des besoins des PME qui se développent. Nous avons la même finalité que Total Développement Régional pour créer des emplois dans les territoires. Nos missions sont donc très proches et cela conforte notre action de chef d’entreprise d’accompagner des jeunes créateurs ou repreneurs. Cet accompagnement repose sur des prêts d’honneurs de 15 000 à 50 000 euros pour permettre l’effet de levier des banques. Ensuite nous avons une démarche de partage d’expériences obligatoire entre ces créateurs. Chacun de nos lauréats

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de son chiffre d’affaires avec ce pays. Il s’est agi uniquement d’une mise en relation avec les entreprises locales de ce pays. Il faut s’appeler Total pour avoir cette capacité de contact. C’est donc un engagement de solidarité… ?

C’est d’abord un engagement d’ancrage économique auprès des territoires. C’est une démarche de solidarité. La bonne santé des territoires, comme je l’ai déjà dit, c’est la bonne santé de Total. Depuis que je suis dans ce métier, j’observe une grande qualité de dossiers, en particulier dans l’innovation. En France, on manque de crédibilité dans les soutiens et il faut plus de solidarité entrepreneuriale. Nous sommes dans cette démarche qui permet d’insuffler une dynamique entre fonds publics et fonds privés auprès des entreprises françaises parce qu’elles le méritent ! C’est pourquoi, ainsi que je vous l’ai dit, nous irons encore plus loin en faveur des PME innovantes en octroyant des prêts significatifs. Nous réfléchissons à la possibilité de faire de nos PME les plus innovantes des ETI [Entreprise de taille intermédiaire, NDLR]. Ce sera le nouveau front d’action de Total pour permettre de renforcer la compétitivité de nos entreprises.

Propos recueillis par J.G. * Epic qui finance les PME françaises pour l’emploi et la croissance. ** Centre technique des industries mécaniques.

est accompagné individuellement par un de nos chefs d’entreprise membres. Total Développement Régional adhère à cette façon de faire. Quelles sont les valeurs que vous défendez ?

L’accompagnement de Réseau Entreprendre est fondé sur trois valeurs indissociables : l’importance première accordée à la personne ; la seconde est celle de la gratuité des conseils, de l’accompagnement et du prêt d’honneur ; la troisième est celle de l’esprit de réciprocité, les lauréats étant invités à rendre à d’autres demain ce qu’ils reçoivent aujourd’hui. Nous avons la passion de l’entrepreneuriat.


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Pratiques Les fiches thématiques de l’Hémicycle

Les fonds transfrontaliers :

par Richard Kitaeff, Maître de conférences de l’IEP Paris

une aide européenne pour les Régions

L’articulation entre territoires transfrontaliers et politiques régionales (et nationales) est un enjeu central au regard de la logique européenne « de cohésion » 2014-2020. La coopération territoriale européenne est désormais intégrée au Fonds européen de développement régional (Feder). Les futures structures de coopération permettront à l’avenir de créer un portage politique de cette logique européenne transfrontalière.

T

Il est le petit lieu d’un grand projet, l’occasion de nouvelles transversales linguistiques et culturelles, l’hypothèse institutionnelle pour construire demain un territoire identitaire encore en dormition. Se forger ce type de destin, à deux ou trois États, suppose des références communes et c’est d’elles que tient compte la coopération territoriale européenne, notamment avec l’actuel Interreg IV 2007-2013. La convention-cadre de Madrid du 21 mai 1980 fut l’acte inaugural de la volonté transfrontalière des autorités territoriales en Europe.

Comment bénéficier d’un financement « Objectif 3 Feder – coopération transfrontalière » ? G Le projet doit concerner au moins deux pays, dont un de l’Union européenne. G Les porteurs de projet et leurs partenaires doivent se trouver dans le même

G G

G G G

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espace de programmation opérationnelle (documents « Orientations stratégiques communautaires » et « Cadre de référence stratégique national »). Les bénéficiaires peuvent être des opérateurs privés ou publics de l’Union européenne, n’importe quel organisme, des collectivités locales… Les opérations doivent respecter au moins deux des critères suivants : avoir un développement conjoint, une mise en œuvre conjointe, une dotation conjointe en effectifs, un financement conjoint. Le porteur de projet doit avoir d’autres sources de financement que les fonds structurels européens. Les partenaires au projet doivent désigner un « premier partenaire », chef de file chargé de la responsabilité de l’opération et de la gestion des subventions. Dans le cadre de l’Interreg IV, l’objectif principal est le développement d’activités économiques, sociales et environnementales transfrontalières au moyen de stratégies conjointes en faveur du développement territorial durable. Le développement du tourisme, la protection des ressources naturelles ou l’amélioration des transports constituent des initiatives appréciées. La France est concernée par 12 espaces Interreg IV. Les coopérations transnationales et interrégionales font l’objet de programmations spécifiques, et certains espaces Interreg antérieurs à 2007 continuent à pouvoir être programmés avec des dotations maintenues. En France, c’est la MOT (Mission opérationnelle transfrontalière) qui est chargée d’encourager les projets de ce type et de renseigner les futurs partenaires sur les formalités à suivre. Elle est dotée d’un comité de pilotage interministériel qui permet de recueillir les avis compétents sur les divers projets transfrontières.

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Selon l’article 2 de la convention, signée au niveau du Conseil de l’Europe, « est considérée comme coopération transfrontalière, au sens de la présente convention, toute concertation visant à renforcer et à développer les rapports de voisinage entre collectivités ou autorités territoriales relevant de deux ou plusieurs parties contractantes, ainsi que la conclusion des accords et des arrangements utiles à cette fin. La coopération transfrontalière s’exercera dans le cadre des compétences des collectivités ou autorités territoriales, telles qu’elles sont définies par le droit interne. » Depuis 2004, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe tentent de déterminer une structure de coopération unique, nouvelle forme de personne morale qui ferait l’unanimité en s’adaptant à tous les contextes locaux. On a eu les Groupements transfrontaliers de coopération territoriale (GTCT), les Groupements de coopération territoriale (GCT), l’Eurorégion Transmanche ou celle des Carpates, les Groupements européens de coopération territoriale (GECT) et enfin les « districts européens », dotés de l’autonomie financière et de la personnalité juridique (voir l’article 1115-4-1 du code général des collectivités territoriales). On passe ainsi progressivement des structures de fait aux structures de coopération, véritable portage politique de la logique européenne transfrontalière.

La subvention de la coopération entre frontières internes de l’Europe : le fonds Interreg IV La coopération territoriale européenne n’est plus un programme d’initiative communautaire spécifique mais est intégrée désormais au Fonds européen de développement régional (Feder), sous l’objectif 3. Le but est de promouvoir des solutions communes pour les autorités voisines, qu’elles soient de niveau interrégional ou transnational. Huit cent cinquante-sept millions d’euros ont été alloués à la France pour réaliser ce volet des fonds structurels. Les thèmes finançables sont très généraux : culture,

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coopération maritime, développement économique, espaces naturels, santé, tourisme, travailleurs… En matière d’aménagement du territoire transfrontalier, il est naturel que les partenaires souhaitent passer d’une existence cloisonnée à un espace partagé. Il en résulte la mise en place d’instances régulatrices comme l’Eurocité basque, l’espace franco-valdo-genévois, la concertation entre outils locaux de développement (Schéma de cohérence territoriale…), la création d’équipements communs (comme la gare d’Annemasse, en Haute-Savoie), etc. Concernant un exemple parmi d’autres – l’alliage entre les nou-

velles technologies de l’information et la santé –, on peut citer le biocluster Sud de l’Europe, réparti entre initiatives privée et publique. Grâce à l’Eurorégion PyrénéesMéditerranée, six bioclusters et réseaux entrepreneuriaux se sont réunis (après six ans d’activités communes) au sein d’une nouvelle entité rassemblant plus de 1 000 entreprises et 1 000 laboratoires (spécialisés en biotechnologies) du sud de l’Europe. Intervenue en 2010, la signature de la convention vise à faciliter « l’émergence de projets transrégionaux » et de programmes communs de recherche et développement sur la base de l’Eurorégion.

Bulletin d’abonnement 1 an (42 numéros*) pour 72 ¤ au lieu de 90,30 ¤ 2 ans (84 numéros*) pour 126 ¤ au lieu de 180,60 ¤ Tarif étudiant : 54 ¤ pour 42 numéros* Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2012

J OUI je m’abonne pour 42 numéros à l’Hémicycle, au tarif exceptionnel de 72 ¤ TTC au lieu de 90,30 ¤ TTC.

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J OUI je m’abonne pour 42 numéros et je souhaite bénéficier du tarif « Étudiant » à 54 ¤ TTC. Je joins une photocopie de ma carte d’étudiant de l’année en cours. J Je vous joins mon règlement par chèque à l’ordre de l’Hémicycle. J Je souhaite recevoir une facture acquittée. J Je préfère régler par mandat administratif. Nom Prénom Société Fonction Adresse Code postal

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* Soit environ un an, en fonction du calendrier parlementaire.

ornio-Haparanda à la frontière finno-suédoise, marquée par le fleuve Torne, l’Eurométropole Lille-KortrijkTournai entre France, Wallonie et Flandre belge, l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau au cœur de la voie de circulation du Rhin, le massif alpin entre France, Italie et Monaco, l’Eurotunnel… Voici quelques grands axes convergents de cette partie du continent. C’est que le territoire transfrontalier est situé à l’estuaire d’une volonté politique et d’une réalité physique – pour ne pas parler d’une chronicité géographique.


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Urbanisme

Les enjeux de l’adhésion citoyenne aux projets urbains L’engagement citoyen est au cœur de la construction des villes. Le citoyen souhaite donner son avis et proposer des solutions. Les collectivités vont devoir intégrer cette donnée, à l’exemple d’Amsterdam qui innove avec l’open planification ou en favorisant l’émergence d’initiatives bottom-up. Remi Dorval, président de La Fabrique de la Cité, un forum de réflexion sur la ville de demain créé à l’initiative de VINCI, est persuadé qu’un projet d’infrastructure ou d’aménagement urbain ne peut réussir qu’avec l’acceptabilité du citoyen. Avez-vous le sentiment que le citoyen est devenu incontournable pour la réussite des grands projets urbains ?

Avez-vous d’autres exemples très avancés en matière d’émergence de projets grâce aux citoyens ?

Le citoyen est un expert de la ville, qu’il vit au quotidien. Il revendique le fait d’être un acteur à part entière des projets qui le concernent. Il s’intéresse à son cadre de vie et souhaite participer à la construction de sa ville. Il entend donc dire son mot. Ses moyens d’expression, qui ont profondément évolué et sont aujourd’hui plus faciles et plus audibles, participent de ce phénomène. Chacun peut exprimer son point de vue notamment via les médias et les réseaux sociaux, sans passer par les structures institutionnalisées. L’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) bouleverse les choses. Elles permettent une expression en temps réel des opinions et de les partager largement. Il y a des communautés spontanées qui se créent autour d’une idée, autour de la défense d’un intérêt. Voilà donc un contexte qui change et qui rend peut-être la recherche d’adhésion difficile parce qu’il faut fédérer probablement des opinions beaucoup plus diverses mais qui donne également des opportunités extraordinaires pour mobiliser les citoyens et répondre à leur volonté de participation.

Je vous citerai le cas par exemple de New York, avec « Change By Us NYC », un site Internet qui sollicite les idées des citoyens pour améliorer leur cadre de vie – pour faire émerger des projets qui sont dans une logique bottom-up. Parfois cela va encore plus loin, c’est-à-dire que le citoyen devient un véritable acteur du changement et du projet de ville. Les effets sont de construire l’adhésion et de prendre en compte les usages qui se transmettent ainsi aux décideurs.

Mais est-on efficace en donnant le pouvoir direct aux habitants ?

Le citoyen est devenu incontournable et d’ailleurs on a tous en tête des expériences de projets urbains qui ont échoué par manque d’adhésion. Ils se sont traduits par des coûts importants. On peut mentionner à titre d’exemple, parce qu’il a été extrêmement médiatisé, le projet de Stuttgart 21 (la rénovation de la gare de Stuttgart), qui s’est traduit par des délais et également par un coût sociétal très important parce qu’il a donné lieu à des manifestations violentes, donc à une division de la société.

Est-ce que cela peut aller jusqu’au financement participatif ?

Remi Dorval, président de La Fabrique de la Cité. PHOTO LUC BENEVELLO On constate un coût de la nonadhésion extrêmement élevé chaque fois qu’un projet urbain, faute d’adhésion, est altéré dans sa réalisation ou abandonné. C’est un coût financier lié au changement de projet, aux reports, au temps perdu. C’est également un affaiblissement de la cohésion sociale, qui se traduit par un coût politique et par un coût d’image. Bref, c’est un coût collectif supporté par l’ensemble des parties prenantes. Cette adhésion est donc indispensable pour la réussite d’un projet urbain. Il s’agit d’un mouvement de fond et les élus en sont conscients. Le degré de mobilisation ou de refus est cependant variable en fonction de la taille de l’agglomération. Peut-on parler d’expertise collective des citoyens ?

Amsterdam a mis en place cette expertise collective de façon à définir les grands axes de planification urbaine pour faire adhérer la population. C’est l’une des

villes les plus en avance dans ce processus. Ce n’est plus l’élu qui cherche à valoriser un projet défini avec des experts, mais c’est le projet qui se construit avec les citoyens. C’est une manière de coconcevoir des projets urbains ?

On est sorti de la consultation sur le projet où viennent ceux qui veulent venir et où la grande majorité reste silencieuse. On entre dans un processus où chacun est capable désormais de réagir, de faire des suggestions et d’alimenter un débat. On voit se développer toute une série d’initiatives nouvelles, de processus nouveaux qui reposent très largement sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication et qui visent à associer les citoyens très en amont aux processus de définition, de décision et d’exécution des projets. Partir de ces données nous permettrait de construire la ville à partir des usages.

Cela implique-t-il à votre avis que les élus mettent en place des nouveaux modes de gouvernance ? Et y sont-ils préparés ?

Nous vivons dans des régimes de démocratie représentative. C’est le système institutionnel qui fait que les décisions appartiennent aux élus. La question est de savoir comment faire coexister, en totale synergie, le système institutionnel et un autre plus transversal qui permet de faire émerger des idées et d’orienter in fine les décisions prises. Un système de gouvernance ne doit pas en remplacer un autre. Il faut donc qu’ils soient complémentaires. Grâce à cela les projets s’enrichissent et la ville construite recueille l’adhésion des citoyens. Le citadin n’est plus seulement spectateur, même s’il est consulté et participe à des concertations, mais véritablement acteur, à l’origine d’un certain nombre de projets urbains, ce qui évidemment est la forme ultime de l’adhésion puisque, dans ce cas-là, la ville émane du citoyen lui-même et non plus uniquement des experts et des élus.

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Il y a des expériences en la matière. L’une des expériences qui est pratiquée en Allemagne est le Business Improvement District (BID) selon lequel certains citoyens prennent en main et prennent partiellement en charge, financièrement, aux côtés de la municipalité, l’amélioration d’un quartier, en étant à l’origine de la définition du projet. Ils y vont de leur poche ! On trouve également cela dans les procédures que l’on appelle de Crowd funding où, là encore, des citoyens, des habitants, se fédèrent et acceptent d’apporter des fonds autour d’une idée qu’ils ont euxmêmes promue pour essayer de faire sortir un projet. En conclusion, je dirai que la recherche d’adhésion n’est pas le problème d’une municipalité, d’un donneur d’ordre public, des pouvoirs publics ou des entreprises ou des citoyens ou des associations mais c’est en fait la responsabilité de tous pour enrichir la transformation urbaine.

Propos recueillis par Joël Genard Pour en savoir plus sur La Fabrique de la Cité www.lafabriquedelacite.com


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Développement durable

Ecofolio : une mission d’intérêt général Elle consiste à mobiliser, orienter, financer et accompagner tous les acteurs de la filière papiers en vue de faire progresser le recyclage. de papiers à copier et enveloppes ; autres assujettis. Le conseil d’administration est composé de 13 membres élus pour une durée de trois ans. Comme le prévoit l’article L.541-10 du code de l’environnement, un censeur d’État siège également pour renforcer le contrôle de l’État et s’assurer notamment du maintien des capacités financières de l’éco-organisme. Le conseil nomme le président, vote l’écocontribution et les barèmes, et se réunit très régulièrement.

réée en 2006, Ecofolio est une société privée à but non lucratif, agréée par l’État. Elle exerce une mission d’intérêt général. Plus qu’une entreprise, Ecofolio est un écosystème qui réunit l’ensemble des acteurs de la filière dans une démarche de responsabilité collective. L’ambition ? Construire la filière papiers de demain, en dépassant les intérêts particuliers. Trois « grandes instances » se complètent pour établir une feuille de route définie et acceptée par l’ensemble des acteurs de la filière, régulée et contrôlée par l’État, déployée par la gouvernance de l’éco-organisme. La commission consultative d’agrément (CCDA) rassemble tous les acteurs de la filière : ministères d’agrément, collectivités, opérateurs, recycleurs, metteurs sur le marché, ONG, associations environnementales et de consommateurs… Véritable instance de concertation, elle se réunit trimestriellement pour suivre l’activité et valider les orientations stratégiques. Les trois ministères d’agrément sont les ministères de l’Écologie, de l’Économie et de l’Intérieur. Leur rôle est double : définir les objectifs ; réguler et contrôler ; valider l’agrément de l’éco-organisme et donc sa capacité à appliquer la feuille de route établie par les ministères en concertation avec la CCDA.

C

La gouvernance de l’éco-organisme La gouvernance d’Ecofolio est composée de représentants de tous les émetteurs de papiers qui contribuent au dispositif de la responsa-

Du papier « déchet » au papier « ressource » Pour répondre à la transition écologique qui s’impose aux activités économiques (croissance décarbonnée et épuisement des ressources), Ecofolio fait primer l’économie circulaire des papiers sur la logique d’élimination des déchets. En effet, les tensions sur la ressource « bois » impactent fortement son prix et obligent à recentrer le recours à cette matière première sur les utilisations incontournables : production d’énergie, ameublement, construction. Il faudra toujours du bois à l’origine pour produire du papier vierge.

Une chance

bilité élargie du producteur (REP). Son rôle est d’appliquer la feuille de route définie par les ministères d’agrément et de la décliner en stratégie d’actions. Les associés

d’Ecofolio sont au nombre de 48. Quatre collèges représentatifs composent cette gouvernance : commerce et distribution ; annuaires ; fabricants et distributeurs

Pour autant, le papier se recycle cinq fois en papier et tous les papiers se recyclent. C’est une chance considérable ! Nous devons donc utiliser nos vieux papiers comme des matières premières (aujourd’hui, moins d’un papier sur deux est trié). Faire du déchet une ressource dans un modèle organisé en circularité,

c’est faire émerger la société du recyclage. Ecofolio, après cinq ans d’études, d’analyses et d’observations, se veut support de la filière du recyclage des papiers. Il exerce une responsabilité collective et oriente tous les acteurs de la filière vers l’industrie de demain.

Intégrer la contrainte économique Afin d’impulser la dynamique de croissance verte garante d’avenir pour les papiers, l’intégration de la contrainte économique est indispensable. La matière première représente 50 % des coûts de production pour une usine papetière. Aussi, pour que les vieux papiers soient utilisés à la place du bois, il faut que ceux-ci soient compétitifs. Faire émerger la société du recyclage en considérant les vieux papiers comme une matière première proche et régulière est la solution qui permettra de disposer d’une ressource compétitive pour nos industries.

L’économie circulaire comme modèle de croissance Mieux consommer et mieux fabriquer le papier sont les clés de sa croissance durable. En initiant des solutions (meilleur financement, maîtrise des coûts, écoconception), Ecofolio œuvre à la préservation de l’environnement, à la conservation des industries de production de papiers et de produits dérivés de la fibre qui représentent 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, à la consolidation de plusieurs milliers d’emplois dans nos territoires. Joël Genard

Pour atteindre l’objectif de recyclage fixé par l’État et servir l’intérêt général, trois missions indissociables sont confiées à Ecofolio

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Soutenir et accompagner le service public Ecofolio collecte l’écocontribution versée par les émetteurs de papiers, puis la reverse sous forme de soutiens financiers aux collectivités locales en charge du service public de gestion des déchets. Les barèmes incitent en amont à l’écoconception des papiers et en aval au recyclage des vieux papiers.

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Protéger l’environnement Ecofolio investit en R & D, met à disposition des acteurs son expertise (audit, études, analyses techniques et environnementales, etc.), pilote des expérimentations pour améliorer les performances du tri, de la collecte et du recyclage des papiers. Elle propose aussi des pistes d’innovation pour toutes les opérations (écoconception des papiers, précollecte dans les foyers ou les entreprises, bacs de collecte sélective, centres de tri, recyclage, etc.).

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Sensibiliser les Français Ecofolio mène des campagnes de communication et de sensibilisation au tri et au recyclage des papiers auprès de tous les Français. Il s’agit de remettre les papiers au cœur du geste de tri des citoyens et d’encourager un geste responsable et quotidien, au foyer, au bureau, dans la rue.


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Développement durable

Le recyclage du papier : priorité de la politique des déchets

Comment arriver à cet objectif de 60 % de papiers recyclés d’ici à 2018 ?

C’est un défi qui ne pourra être relevé que collectivement. L’écoorganisme est un « assemblier » : sa force réside dans la confiance que lui accorde l’ensemble des acteurs de la filière, au premier rang desquels se trouvent les collectivités. Il y a trois choses à faire pour faire progresser le recyclage des papiers. D’abord il faut que chaque citoyen trie plus efficacement. Aujourd’hui, il n’y a pas suffisamment de sensibilisation sur ce sujet alors que les papiers sont les premiers déchets de la poubelle des Français. Pour que les Français passent à l’acte du tri, il faut qu’ils comprennent tout l’enjeu de ce tri sélectif : de la protection de l’environnement à la création d’emplois de proximité. Le deuxième axe d’amélioration est donc la communication. Il faut redonner un sens au geste des Français. Ce sens est la promesse de recyclage. L’éducation des enfants au développement durable et à l’importance du recyclage est capitale ; ce sont les écocitoyens de demain. Ecofolio a déjà touché plus de 350 000 élèves grâce à des programmes pédagogiques en milieu scolaire et, au total, ce sont plus de 2 millions d’enfants sensibilisés au tri et au recyclage des papiers depuis 2009. Toutes nos actions de communication visent à encourager un geste de tri responsable et quotidien, au foyer, à l’école, au bureau, dans la rue… Le troisième point est que, pour progresser, il faut que nous fassions un vrai diagnostic avec les collectivités locales sur le mode de collecte. Celui qui a cours actuellement avec les emballages n’est pas forcément le plus approprié et le plus performant pour arriver à cet objectif ambitieux de 60 % de papiers recyclés. Il faut donc auditer les modes de collecte et de tri. N’oubliez pas que la gestion des déchets est la première dépense des collectivités, environ 9 milliards d’euros au total en 2010.

Vous allez aussi sensibiliser les collectivités locales ?

Cette année nous avons négocié avec l’État et l’ensemble des parties prenantes de la filière le réagrément d’Ecofolio, qui est la ligne directrice de notre action. Nous

HUGUES-OLIVIER BRILLOUIN / ECOFOLIO

Ecofolio organise et coordonne le recyclage des papiers en accompagnant financièrement les collectivités responsables de leur collecte. L’objectif ambitieux affiché est d’atteindre 60 % de papier recyclé d’ici à 2018. Pour cela, il faudrait revoir les modes de collecte et définir un projet d’économie circulaire où les papiers ne seront plus des déchets mais des ressources, assure Géraldine Poivert, directrice générale d’Ecofolio. Durant les quatre années du prochain agrément (2013-2016), l’enveloppe des soutiens financiers versés aux collectivités est revalorisée de près de 25 % pour atteindre environ 70 millions d’euros par an. L’enjeu du nouveau barème

«

POUR METTRE EN ŒUVRE UN PROJET D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE AUTOUR DES PAPIERS, IL FAUT QUE LES ACTEURS CONVERGENT VERS DES OBJECTIFS COMMUNS » avons notamment discuté avec les collectivités locales de ces modes de collecte et de tri. Nous allons, dès 2013, créer des outils d’accompagnement des collectivités locales pour faire un diagnostic complet et proposer des solutions de rationalisation innovantes. Nous irons à la rencontre des collectivités locales, au printemps 2013, lors de grandes rencontres régionales qui auront vocation à écouter les témoignages des élus et des habitants, coconstruire des solutions pour recycler plus les vieux papiers et partager les bonnes pratiques. Des formations plus techniques seront possibles pour les collectivités qui le souhaiteront. Avec les collectivités, quelle peut être l’incitation au recyclage ?

Il faut aller plus loin. L’argent n’est qu’un des moyens. Il faut aussi un projet et celui-ci est le projet de l’économie circulaire où les papiers ne sont pas des déchets mais des ressources. Les collectivités locales s’engageront à 100 % dans cette démarche lorsque nous aurons fait la démonstration que le recyclage des papiers préserve l’environnement et crée des emplois. La collaboration avec les collectivités va bien au-delà de la dimension financière. C’est un nouveau pacte économique.

c’est de soutenir davantage le recyclage et moins l’incinération. Notre ambition est de travailler avec les collectivités locales dans une logique de rationalisation des coûts du déchet papier. Aujourd’hui, nous devons rationaliser la filière et les modes de collecte et de tri. Car collecter les papiers seuls dans un bac d’apport volontaire revient à 100 euros par tonne. Lorsque l’on collecte le papier avec les emballages en porte à porte, cela coûte 500 euros la tonne. La question, qui ne doit donc pas être taboue, est celle de savoir s’il ne vaut pas mieux collecter les papiers avec un coût maîtrisé plutôt que de continuer dans la voie actuelle. En recyclant nos papiers, nous écrivons l’histoire de la croissance verte. Plus qu’un déchet dans nos bacs de collecte, nos papiers d’hier sont des forêts urbaines à cultiver. Vous préconisez donc une collecte sélective du papier ?

Nous croyons même à une collecte « très » sélective ! Il faudra que l’on définisse avec les collectivités locales et l’État ce schéma industriel de référence pour maximaliser les tonnes collectées et pour que ces déchets ne soient pas abîmés, pour qu’ils puissent être recyclés plus facilement. Le mieux serait donc de les collecter en flux dédié.

Géraldine Poivert, directrice générale d’Ecofolio. C’est un déchet propre comme le verre et la même démarche pourrait être engagée. Le déchet papier n’est pas un déchet comme un autre. C’est une trace de vie. Les Français eux-mêmes ne souhaitent pas mélanger leurs papiers avec d’autres déchets, y compris les emballages.

qui ne figurent pas dans une feuille de route commune. L’État stratège et la décentralisation stratégique doivent jouer ce rôle en permettant à l’État et aux territoires d’impulser le changement.

Avez-vous le sentiment d’être entendue des pouvoirs publics ?

Je crois que le papier est un des modèles vertueux en matière de déchet. Les collectivités locales les revendent en moyenne 50 euros la tonne. Plus on rationalisera les opérations et plus les tensions inflationnistes sur la fiscalité locale et l’écocontribution seront évitées.

Je crois qu’il y a trop de fragmentation à l’heure actuelle. Pour mettre en œuvre un projet d’économie circulaire autour des papiers, il faut que les acteurs convergent vers des objectifs communs. Il y a beaucoup de bonnes idées mais

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N’y a-t-il pas un risque de voir apparaître de nouvelles taxes pour financer cette démarche ?

Propos recueillis par J.G.


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L’admiroir

Chantal Jouanno, les Médicis et les Illustres du Sénat Par Éric Fottorino

hantal Jouanno est une grande lectrice de biographies historiques. Avec une prédilection pour les parcours de femmes. Sans doute l’ancienne championne de karaté puise-t-elle dans ces leçons de vie quelques règles de conduite (et de courage) pour affronter un monde politique aux codes et aux usages encore très masculins. « Nous sommes marqués par deux axes forts, le monarchique et le militaire, observe la sénatrice de Paris, désormais vice-présidente de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) fondée par JeanLouis Borloo. Le discours politique ne se prononce pas, il s’envoie. Il faut que la salle se lève, que les troupes soient menées au combat. Rien à voir avec, par exemple, un discours prononcé en Suède, qui en appelle d’abord à la raison. Chez nous, cette culture militaire suppose une certaine arrogance. Ça ne se dit pas, c’est sûrement inconscient, mais c’est très marquant. Je n’avais jamais connu cela avant d’entrer dans la vie politique. » En quelques mots, l’ancienne ministre des Sports de Nicolas Sarkozy, de sa voix posée, rentre dans le vif. Par ses lectures et ses admirations, Chantal Jouanno s’est inscrite à bonne école en se passionnant pour les Médicis, en particulier pour Catherine, cette grande reine avec qui « l’histoire a été injuste », dit-elle d’emblée. « Elle a mené un combat difficile à la tête du royaume. Son fils Charles IX était fou et impossible à maîtriser. Son mari la trompait avec Diane de Poitiers. Mais comme toujours en France, puisqu’elle était étrangère et femme de surcroît, elle portait la responsabilité de tout ce qui arrivait de mauvais en France. » Catherine de Médicis reste en effet mal jugée par ceux qui lui imputent le massacre de la Saint-Barthélemy, bien que

C

son action en faveur de la liberté de conscience des protestants soit établie. On la méprisa aussi parce qu’elle était « fille de marchands », héritière d’une fortune ne devant rien aux arts nobles et héréditaires… « Pour moi, poursuit Chantal Jouanno, ce fut une grande reine, une femme forte, solide, combative, qui défendit avec fermeté son clan familial. » Des qualités qu’elle prête aussi à Marie de Médicis. L’autre figure qui émerge spontanément dans son esprit est Clemenceau. « J’aime cette période de la fin du XIXe siècle qui constitue la base de tout ce qui a fondé la France moderne. Dans ce paysage, Clemenceau apparaît typique de son époque : profondément athée, gros travailleur, combatif à l’excès, avec bien sûr tous les défauts de son caractère… » Suivant l’ordre chronologique de ses affinités, la vice-présidente de l’UDI ne voit personne de très saillant jusqu’à… Georges Pompidou. Ou, plus exactement, jusqu’aux Pompidou, lui et elle, elle et lui. « Leur couple est symbole de progressisme, juge-t-elle. L’homme et la femme incarnent un équilibre familial. L’un ne va pas sans l’autre. » Chantal Jouanno est très sensible à l’esprit visionnaire qu’ils incarnent, chacun à sa façon. Airbus et le programme autoroutier pour l’un. La valorisation de l’art moderne pour l’autre. « En mettant en avant l’art contemporain, Claude Pompidou a estimé qu’on n’avait pas à juger s’il nous plaisait ou non, mais que le devoir des dirigeants était de le mettre en valeur. Ils ont exprimé un message très fort pour la société d’alors, pour qui le passé était forcément meilleur que le présent : l’idée au contraire que le contemporain et le futur pouvaient être mieux que le passé. » Si elle n’occulte pas les défauts du président Pompidou,

FRED DUFOUR/AFP

Combattante, Chantal Jouanno a été championne de France de karaté. Énarque, elle a longtemps été rattachée au service du ministère de l’Intérieur. L’ancienne ministre des Sports a su affronter un monde politique marqué par des codes et des usages très masculins. Féminité et force de caractère sont ses deux atouts.

elle admire sa capacité à « aller de l’avant », dans un temps de pouvoir « très court et très digne ». Lui non plus, estime-t-elle, « n’a pas été reconnu à sa juste valeur ». Poursuivant sa réflexion sans interdit, Chantal Jouanno estime important que se dégagent des références féminines en politique, là où trop souvent les hommes sont les modèles d’autres hommes. « Il faut pouvoir se dire que des femmes ont été des femmes de pouvoir et pas seulement des seconds rôles ou des femmes d’influence, comme au XIXe siècle, dans

les salons. Une femme doit pouvoir incarner le pouvoir sans être ramenée à un archétype masculin. Combien de fois ai-je entendu : Angela Merkel est un vrai mec. Mais ce n’est pas ce qu’on attend de nous ! » L’ancienne ministre à une idée précise de la femme politique de pouvoir : « Nous devons l’exercer avec notre caractère. » Les qualités féminines qu’elle discerne tiennent en quelques mots : « Une très grande détermination. Une plus grande fidélité à ce qu’on pense. » Et de préciser aussitôt : « ces qualités peuvent être des

défauts : nous acceptons moins le compromis et le dos rond, si cela heurte notre conviction. Nous faisons preuve de droiture. » Parmi les femmes qui incarnent cette force de caractère, Chantal Jouanno cite… Ségolène Royal ! « Cela va vous étonner », lance-t-elle, mais c’est ainsi. Elle voit dans la présidente de PoitouCharentes un modèle du genre car « elle a réussi à conserver une forme de féminité tout en faisant preuve d’une réelle force de caractère ». Elle évoque aussi Christine Lagarde, même si cette dernière « ne s’est jamais définie comme une femme politique ». Au bout du compte, Chantal Jouanno se reconnaît dans la défense d’un « idéal un peu naïf » qui est celui du combat politique, plein et entier. « Mon rêve, comme sénatrice, ce serait qu’une plaque à mon nom vienne rejoindre les quatorze autres plaques dédiées à des personnalités qui ont accompli des œuvres illustres dans leur action. » Parmi eux, si l’on se réfère à l’ouvrage de Paul Marcus Les Quatorze du Sénat (Bruno Leprince éditeur), on trouve les deux Victor – Hugo pour sa conversion républicaine, Schœlcher pour l’abolition de l’esclavage –, Clemenceau ou le Père la Victoire pour sa fougue de Tigre, ou encore Waldeck-Rousseau pour son action en faveur du droit syndical. Figurent aussi quelques anciens sénateurs devenus présidents de la République : René Coty et François Mitterrand, sans oublier Alain Poher, qui assura l‘intérim à deux reprises, ou l’ancien président de la Chambre haute Gaston Monnerville. On relève encore les noms de Michel Debré, d’Émile Combes et de Raymond Poincaré. Pas une seule femme ne figure dans ce prestigieux petit panthéon… Raison de plus, estime Chantal Jouanno, pour y laisser sa trace.

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582 ¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier (brunopelletier@lhemicycle.com) RÉDACTEUR EN CHEF Joël Genard (joelgenard@lhemicycle.com) ÉDITORIALISTES/POINT DE VUE François Clemenceau, François Ernenwein, Thierry Guerrier, Bruno Jeudy, Gérard Leclerc, Fabrice Le Quintrec, Éric Maulin AGORA Sébastien Petitot, Thomas Renou DOSSIERS Jean-Marc Engelhard, Tatiana Kalouguine, Elsa Nathan INTERNATIONAL Guillaume Debré L’ADMIROIR Éric Fottorino COLLABORENT À L’HÉMICYCLE Ludovic Bellanger, Florence Cohen, Antoine Colonna, Axel de Tarlé, Pierre-Henry Drange, Anita Hausser, Richard Kitaeff, Manuel Singeot, Guillaume Tabard, Brice Teinturier, Philippe Tesson, Pascale Tournier CORRECTION Aurélie Carrier MAQUETTE David Dumand PARTENARIATS Violaine Parturier (violaineparturier@lhemicycle.com - Tél. : 01 45 49 96 09/06 74 25 28 81) IMPRESSION Roto Presse Numéris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan. Tél. : 01 49 36 26 70. Fax : 01 49 36 26 89 ACTIONNAIRE PRINCIPAL Agora SASU Parution chaque mercredi ABONNEMENTS abonnement@lhemicycle.com COMMISSION PARITAIRE 0413C79258 ISSN 1620-6479 Dépôt légal à parution

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L’eau pour tous : Quelles nouvelles tarifications ? 3ème Forum des Idées neuves sur l’eau Présidé par Martin Hirsch Dès lors qu’une collectivité souhaite mettre en œuvre une tarification sociale et/ou environnementale, l’équation est complexe et les questions nombreuses. Pour y voir plus clair, Lyonnaise des Eaux a organisé en 2012 un nouveau forum d’experts, présidé par Martin Hirsch. L’ambition ? Traiter les questions clés du prix de l’eau dans leur globalité et leur complexité et proposer de nouvelles pistes de réflexion. Pour poursuivre le dialogue, conférence débat au Salon des Maires mardi 20 novembre 2012, de 12h15 à 13h15

des Idées neuves POUR l’eau

M&C SAATCHI CORPORATE

Pour recevoir la revue, écrire à : christine.varlet@lyonnaise-des-eaux.fr


*façonner l’avenir

© Alstom Transport - Vincent Baillais / TOMA -

Avec Alstom, concevoir la fluidité devient réalité

Alstom conçoit des solutions ferroviaires durables et intégrées, adaptées aux besoins des pouvoirs publics, des opérateurs et des passagers. Nous contribuons à la création de systèmes de transport plus fluides et plus souples dans leur planification et leur exploitation. Nous développons, fournissons et entretenons ces systèmes pour qu’ils répondent aux nouveaux enjeux d’une mobilité plus intelligente. Pour Alstom, le succès est au rendez-vous lorsque les passagers, qui voyagent sereinement et en toute sécurité, font de cette nouvelle mobilité un choix de vie. www.alstom.com/transport

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