Didier Goux s'offre un bungalow

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Même pas, d'ailleurs : c'est la remorque. René l'attache derrière sa Mobylette pour aller chercher le foin nécessaire à l'engraissage des lapins de Suzanne (que nous avons dégustés, il doit vous en souvenir, lors d'un épisode précédent – de préférence à la moutarde parce que mon père adore ça). [Puisqu'on a fait un détour imprévu par les cabanes à lapins, il convient de préciser que, lorsque l'un d'eux atterrit sur la table de la cuisine, généralement dans une cocotte en fonte noircie, ma mère se réserve la tête de l'animal, qu'elle mange au complet, y compris la cervelle et les yeux – us quasiment néolithiques dont la simple évocation suffit à conduire l'Irremplaçable Épouse à deux doigts (si je puis dire) de la régurgitation spontanée. Aujourd'hui que les lapins n'ont plus de tête, Christiane compense en se confectionnant de délicieuses chips avec la barquette de polystyrène (j'ai eu un mal à l'écrire, celui-là...) de l'hypermarché où sont cultivés ces léporidés adorables (beaucoup moins cons que des hérissons, je l'affirme bien haut) .] Revenons à la remorque, restée à la traîne. Lorsque Patrick (mon oncle, de trois ans mon aîné : ce sera la dernière fois...) et moi en avons assez de faire du vélo sur le trottoir jaune, ou d'aller jouer les cousines arboricoles dans les branches basses du grand sapin, planté à l'arrière de la Chambre de Commerce, il y a toujours la ressource de sortir la remorque. Dans ce jeu, j'ai toujours trouvé que j'avais le rôle le plus enviable, celui de l'enfant assis dans le véhicule considéré. Alors que Patrick, en tant que le plus fort des deux, est celui qui doit pousser ou tirer l'engin (en bois, donc pas spécialement léger) autour du pâté de maison comprenant les parcs mitoyens de la Préfecture et de la Chambre de Commerce. Et il doit le faire en courant, aussi vite qu'il le peut, puisque le but de l'exercice, ses fins ultimes sont de parvenir à faire verser la remorque, et moi avec, en négociant l'un des virages à angle droit du trottoir atrocement mal pavé. Autre caractéristique du jeu, au moment du départ, il se trouve toujours un adulte pour me dire : « Fais attention à ne pas mettre tes doigts dans les rayons ! » Ce que j'ai bien dû faire tout de même une fois ou deux – plaisir et douleur de la transgression. C'est ainsi que passaient les années et les jours. Mais ils passaient tellement semblables qu'ils en devenaient immobiles, et le temps, gentiment, contournait le boulevard Fabert, pour aller exercer ses ravages du côté de la rue Thiers et de la place Turenne. De toute


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