Extrait de "Se lancer dans un parcours artistique"

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Conception : bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création (APMC) – SMart asbl Coordination de la publication : Julie De Boe et Annelies De Brabandere, bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart Ont collaboré à cet ouvrage : Jacques Bonniel, Pascale Bonniel-Chalier, Rachel Brahy, Roger Burton, Julie Dupont, Pascal Gielen, Laura Herman, Delphine Hesters, Gert Keunen, Rudi Laermans, Xabier Landabidea Urresti, Cristina Ortega Nuere, Laetitita Sibaud, Greet Simons, Jérémy Sinigaglia, Sofie van den Borne, Jérémie Vandenbunder, Virginie Xhauflair Et le bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart : Julie De Boe, Annelies De Brabandere, Quentin de Ghellinck, Anne Dujardin, Tim Jansens, Héléna Rajabaly, Louis-Henri Volont avec la collaboration de Sébastien Bours, juriste de l’APMC et Éric Lauwers, directeur de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart Les auteurs souhaitent remercier Alain de Wasseige, Nick Hannes, Lisa Matthys, Caroline Mierop, Julie Nathan, Frédéric Platéus, Hannelore Van den Abeele, Julie Van Elslande, Sophie Vanhulst, Benoît Vreux pour les entretiens accordés ainsi que toutes les personnes qui ont contribué à cette publication. Le contenu de chacun des articles n’engage que son auteur. Relecture pour Les Impressions Nouvelles : Charlotte Heymans Traduction (néerlandais/français) : Laurent Bayer Le traducteur a réalisé les traductions du néerlandais vers le français avec le plus grand soin, il ne peut être tenu responsable du contenu du texte traduit. Couverture et illustrations : Félicie Haymoz Mise en page : Art Mature Sprl - Catherine Ruelle (cath.ruelle@skynet.be) Collection Les Métiers de la Création En français et en néerlandais, cette collection de publications comble un vide dans l’édition en Belgique et se veut un outil pour une meilleure défense des métiers de la création, objectif poursuivi par l’APMC – SMart. Trois publications sont déjà parues dans la collection : L’artiste au travail : état des lieux et prospectives, coéditée avec Bruylant en 2008, L’artiste et ses intermédiaires, coéditée avec Mardaga en 2010 et L’artiste, un entrepreneur ?, coéditée avec Les Impressions Nouvelles en 2011. Toutes nos publications et textes sont sous la licence Creative Commons. Cette licence permet au public de télécharger ces textes et de les distribuer à des fins non commerciales, sans modifications, avec l’obligation de mentionner les noms des auteurs et les références de la publication. © 2014 Les Impressions Nouvelles / Association professionnelle des métiers de la création – SMart asbl ISBN : 978-2-87449-197-9 Dépôt légal : février 2014 Éditeurs : Les Impressions Nouvelles et Association professionnelle des métiers de la création – SMart asbl – Rue Émile Féron, 70 1060 Bruxelles Tél : 02/542.10.80 www.smartasbl.be


Se lancer dans un parcours artistique Collectif sous la direction du bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart



EXTRAIT



Avant-propos Éric Lauwers directeur de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart

Se lancer dans la vie d’artiste… À ces mots, l’on pense spontanément à une « vocation ». D’après le cliché romantique, l’artiste se sentirait appelé avant d’entamer son parcours artistique ; il ne connaîtrait plus ensuite qu’une progression constante, avec des hauts et des bas, certes, parfois aussi la misère. Les persévérants au caractère bien trempé, qui survivent aux inéluctables processus de sélection, cueilleront immanquablement le fruit de leur labeur acharné : la renommée au sein de leur propre milieu, dans leur région ou leur pays, voire même le succès international. Il va de soi que cette caricature de carrière rectiligne ne s’observe que rarement. En réalité, l’artiste effectue un parcours cahoteux, jalonné d’étapes intermédiaires, de doutes existentiels, de crises économiques et financières, et de mille et une compétences acquises par la force des choses : notions élémentaires de marketing, comptabilité, sens commercial, développement d’un réseau et suivi des dernières avancées technologiques. En outre, on constate depuis plusieurs années un glissement marquant d’un parcours artistique « pur » à une approche plus hybride, qui combine la technologie, la créativité et un bon modèle économique. À l’heure actuelle, les artistes exercent en parallèle plusieurs disciplines (artistiques), par intérêt mais plus souvent aussi par nécessité. Mais pourquoi tel artiste parvient-il à percer, alors que tel autre, après avoir consenti aux mêmes efforts et accumulé les mêmes connaissances, reste à l’écart du succès artistique et financier ? Existerait-il une sorte de cocktail ou de formule magique du succès qui aiderait l’artiste à entamer son parcours sous de bons augures ?

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Suffit-il tout simplement, pour « devenir artiste », de suivre une formation artistique ? Est-il possible, après avoir acquis son savoir-faire artistique – on est professionnel, après tout –, de se lancer dans le métier et d’arriver à percer, moyennant une grande confiance en soi, un vaste réseau et un peu de chance ? Et est-ce que l’autodidacte et l’amateur peuvent espérer aller aussi loin, voire plus loin encore, que les autres ? Les principes de l’offre et de la demande propres à l’économie de marché jouent naturellement aussi un rôle. Et nous n’avons encore rien dit de l’influence des valeurs esthétiques, émotionnelles et sociales1 du moment. Cette première livraison d’une série de trois publications2 s’intéresse de plus près au « lancement » de l’artiste. Elle consiste en un recueil d’articles, de témoignages et d’interviews d’artistes et d’experts. Nous avons délibérément choisi de ne pas parler de « carrières », mais de parcours ou de trajectoires d’artistes. Cette optique est plus réaliste et correspond mieux à ces artistes et créatifs qui, pour la plupart, n’atteignent finalement pas la renommée mais ont néanmoins décidé de faire de leur créativité leur gagnepain. Les carrières classiques s’opposent en général aux parcours artistiques. Ces derniers n’en sont que plus passionnants, mais aussi plus capricieux et moins sûrs. La crise, profonde et persistante, pèse lourdement sur tous les secteurs économiques. Ceux qui gagnent leur vie dans le secteur de la culture ou de la création sont durement touchés, mais la « sécurité de la carrière » des métiers plus classiques a aussi fortement diminué. D’ici quelques années, nous saurons avec précision quelles incidences cette crise a eues sur l’emploi dans les différents secteurs, y compris celui de l’art.3 Il semble qu’outre les connaissances et compétences artistiques, une approche commerciale solide prenne de plus en plus d’importance dans le déroulement d’un parcours. Sans un minimum d’esprit commercial, les choses se compliquent, à quelques rares exceptions près. Ce qui pose de plus en plus problème, c’est le caractère impérieux du marché, qui se reflète dans la manière de travailler des artistes, et s’impose même à elle. La pression qui pousse

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Sofie Jacobs, Ellen Loots et Annick Schramme traitent, dans leur article intitulé De symbolische waarde van de creatieve, 2013, des neuf valeurs qui influencent l’industrie créative, parmi lesquelles, pour plus de commodité, nous rangeons le travail des artistes.

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Les deux publications suivantes aborderont les thèmes de la durée et de la fin du parcours professionnel artistique.

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Depuis le début de la crise en 2008, rien que dans l’industrie, 56 100 emplois ont été détruits. Ce sont surtout les secteurs subventionnés qui créent actuellement de nouveaux emplois, mais pas assez pour occuper l’ensemble de la population en âge de travailler. Le système du chômage temporaire et la redistribution du travail ont permis d’atténuer les effets de la crise. Source : De Standaard, « Vooral gesubsidieerde sectoren creëren banen » (« Ce sont surtout les secteurs subventionnés qui créent de l’emploi »), le 10 juillet 2013.

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les créatifs à se soumettre aux lois du marché ou du management s’est énormément intensifiée ces dernières années. Les artistes semblent devoir prendre les entrepreneurs pour exemple. On ne peut que se réjouir que les artistes et les créatifs soient un peu mieux formés à la gestion des aspects commerciaux de leur activité artistique, car ainsi ils sont mieux à même de se défendre. Mais ce qui doit primer avant tout, c’est la création artistique, et non la situation inverse, où l’on crée une entreprise – quelle que soit d’ailleurs sa forme – dans le but premier, voire unique, de faire du profit. Ce serait le monde à l’envers. Il est à déplorer que cette conception gagne du terrain, y compris dans le secteur de l’art. Heureusement, il existe depuis plusieurs années diverses organisations qui se préoccupent des difficultés de gestion rencontrées par les artistes et les créatifs dans leur parcours, et qui ont précisément axé leur action sur ces aspects.4 Elles aident les artistes à fixer et à demander un juste prix pour leurs œuvres ou leur travail, à choisir parmi les différents statuts juridiques et à effectuer d’autres démarches administratives… Parallèlement à ces trois publications, nous étudions dans des documents distincts5, en nous appuyant sur notre vaste base de données, les tendances qui se dégagent des parcours de nos membres. Par exemple, combien de contrats artistiques sont conclus au début d’un parcours ? Sont-ils complétés par des contrats non artistiques à des fins alimentaires ? Constate-t-on une évolution spécifique dans le parcours artistique d’un même membre après quelques années ? Quels effets la crise économique que nous traversons actuellement a-t-elle sur la nature du travail artistique et sur les revenus de l’artiste ? Cette série de publications vise deux types de public : le monde institutionnel et, bien sûr, les artistes et les créatifs eux-mêmes. D’un côté, cet état des lieux formule des recommandations qui peuvent déboucher sur l’adoption d’instruments politiques visant à améliorer les parcours des artistes et des créatifs. De l’autre, il importe que les gens de terrain aient eux-mêmes une bonne compréhension de leurs propres façons de travailler. Cela devrait les aider à encore mieux se préparer et à s’armer pour développer les différents aspects de leurs parcours artistiques. Le succès artistique n’est pas garanti pour autant, mais au moins la voie qui y mène est un peu mieux préparée.

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On trouvera un aperçu sur le site www.aidesauxartistes.be.

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Ces documents seront publiés à partir de 2014.

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Introduction Le démarrage du parcours d’artiste ou de travailleur de la création : une sinécure ? Définition, déterminants, motifs Anne Dujardin et Louis-Henri Volont chercheurs au bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart

Nul ne peut prédire la réussite d’un parcours professionnel dans les métiers de la création ; mais ce qu’on peut affirmer avec certitude, c’est que le début du parcours n’est pas une sinécure. Dans cet article introductif, nous allons porter notre attention sur les déterminants principaux d’un parcours durable en tant qu’artiste. Ces paramètres vont de la recherche d’authenticité à l’importance des réseaux, de l’obtention de subsides à la diversification des compétences, du facteur chance à l’influence de la politique culturelle. En effet, se lancer dans les métiers de la création reste une aventure difficile mais passionnante.

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A priori, le parcours des artistes et des travailleurs de la création6 est une donnée socioéconomique inscrite dans le cadre d’une économie qui, dès le début des années 1990, s’est mise à évoluer profondément dans chaque secteur, et donc aussi dans celui de l’art et de la création. L’économie hiérarchique, organisée de haut en bas, a fait progressivement place à un discours économique nouveau, dans lequel le travail par projet, de même que l’authenticité, la responsabilité personnelle, la liberté et la créativité, ont servi de devise au travailleur.7 « L’artiste est le travailleur modèle de la nouvelle éthique du travail. La créativité est considérée comme une qualité indispensable dans l’environnement du travail, raison pour laquelle le néomanager accueille à bras ouverts l’autonomie (artistique) du travailleur créatif – d’autant plus qu’il sait très bien que les bonnes idées ne peuvent fleurir que dans la liberté. »8 Autrement dit, quiconque veut se maintenir dans la réalité actuelle du travail par projet doit obligatoirement combiner deux qualités : celle de l’artiste et celle de l’entrepreneur. Le bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart a entamé en 2013 une recherche sur les parcours professionnels dans les métiers de la création, à partir de la base de données des membres de SMart. L’objectif de cette étude est double : d’une part, identifier les facteurs qui déterminent ces parcours ou trajectoires et les stratégies mises en œuvre par les artistes et travailleurs de la création pour exercer leur activité dans la durée (diversification des activités, réseautage, ajustement des aspirations, etc.) ; et d’autre part, établir une typologie de ces parcours en fonction notamment de l’évolution des revenus, du volume ou de la continuité de l’activité. Le présent article pose le cadre de cette réflexion autour des parcours des artistes et travailleurs de la création : à quoi correspondent ces trajectoires ? Quels en sont les moteurs et les freins ? Enfin, le début de chaque parcours retient notre attention, et plus précisément les difficultés d’entrée dans les métiers de la création, dans le contexte actuel de crise économique.

Depuis le 1er janvier 2012, les critères d’affiliation à SMart en qualité d’artiste ou de travailleur de la création sont plus stricts. Pour devenir membre, il faut exercer une activité qui relève de la notion des métiers de la création, à savoir les métiers artistiques (musicien, artiste plasticien, etc.), les métiers technico-artistiques (construction de décor, son et lumière, etc.), les métiers connexes au secteur artistique (production, distribution, etc.) et tous les autres métiers qui font historiquement partie de SMart et qui partagent des similitudes importantes avec les travailleurs de la création (animation, métiers de l’Internet, etc.).

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Boltanski, L. & Chiapello, E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999.

Van Winkel, C., Gielen, P. & Zwaan, K., De hybride kunstenaar : de organisatie van de artistieke praktijk in het postindustriële tijdperk, Expertisecentrum Kunst en Vormgeving, AKV l St. Joost (Avans Hogeschool), Breda, 2012.

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Le parcours, une succession d’étapes retraçant l’histoire des travailleurs de la création Les parcours professionnels dans les métiers de la création sont des itinéraires singuliers marqués par des étapes successives et des positions dans la pyramide professionnelle évoluant avec le temps, sans ordre préétabli.9 Un parcours retrace donc l’histoire d’un artiste ou d’un travailleur de la création : depuis sa formation et ses premières expériences de travail jusqu’à sa sortie de la profession, en passant par ses projets et engagements successifs mais aussi par l’apprentissage des règles en vigueur dans son secteur, les rencontres et événements décisifs, son insertion dans des réseaux, l’acquisition de nouvelles compétences, la construction de sa réputation, etc. En résumé, on identifie généralement plusieurs temps dans la trajectoire des artistes et travailleurs de la création10 : • l’initiation à la pratique artistique ou créative et la socialisation par les pairs, la famille, l’école, etc. ; • le parcours de formation (incluant des modes d’apprentissage formels et informels) ; • l’entrée dans le métier (en prenant comme repère la date du premier contrat rémunéré) et la période critique d’insertion professionnelle au cours des premières années ; • l’exercice de l’activité professionnelle dans la durée ; • et enfin, la fin de trajectoire, qui peut être prématurée, prendre la forme d’une reconversion, d’un abandon ou d’une éviction pure et simple du marché du travail artistique et créatif.

Cette définition s’inspire des auteurs suivants : Coulangeon, P. & Roharik, I., « Trajectoires professionnelles et stabilité sur le marché du travail : le cas des musiciens en France, 1987-2000 », Papier présenté aux 10es journées d’études Céreq – Lasmas-IdL, Caen, France, 2003 ; Heinich, N., Être artiste : les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Klicksieck, Paris, 1996 ; Liot, F., Le métier d’artiste, L’Harmattan, Paris, 2004 ; Paradeise, C., « Les métiers du comédien », Actes du séminaire « Contradictions et dynamique des organisations », vol. 11, n° 1, 1998, pp. 7-19 ; Perrenoud, M., « Figures du musicien entrepreneur, Quelques éléments de réflexion sur le rapport au travail des musiciens ordinaires », dans SMartBe, L’artiste, un entrepreneur ?, SMartBe/Les Impressions Nouvelles, Bruxelles, 2011, pp. 321-338 ; Sibaud, L., Les musiciens de variété à l’épreuve de l’intermittence : des précarités maîtrisées ?, Université d’Évry-Val-d’Essonne, Évry, 2011.

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Voir les auteurs suivants : Rannou, J. & Roharik, I., « Parcours de formation, itinéraires d’insertion et réussite professionnelle : essai de modélisation des carrières des danseurs intermittents », Relief, vol. 24, 2008, pp. 197-208 ; Sibaud, L., 2011 ; Sinigaglia, J., « La consécration qui ne vient pas. De la réduction des aspirations aux stratégies de reconversion chez les artistes du spectacle vivant », Papier présenté au colloque international « Reconnaissance et consécration artistiques », Poitiers, France, 2012.

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Nous choisissons de ne pas employer le terme de « carrière » qui renvoie davantage à un parcours standardisé lié aux notions de réussite ou d’ascension dans une hiérarchie professionnelle.11 Or, il existe une diversité de parcours professionnels dans les métiers de la création qui sont loin d’être linéaires et ascendants, notamment en termes de réussite ou de revenus.12 Ainsi, les trajectoires peuvent être en dents de scie, c’est-à-dire qu’elles peuvent alterner entre des phases ascendantes puis descendantes et vice-versa. Il y a également des ruptures d’activité dans un parcours, entre deux engagements par exemple, avec la généralisation progressive du travail par projet dans les métiers de la création.13 Ainsi, les artistes et travailleurs de la création évoluent de plus en plus dans une organisation du travail par projet : « Les personnes ne [font] plus carrière mais [passent] d’un projet à un autre, leur réussite sur un projet donné leur permettant d’accéder [éventuellement] à d’autres projets plus intéressants. »14

Déterminants d’un parcours dans le secteur artistique et créatif Malgré la singularité et la variété des parcours professionnels dans le secteur artistique et créatif, on peut identifier un ensemble de facteurs qui contribuent au développement des trajectoires professionnelles dans les métiers de la création.15 Le parcours professionnel dans ces métiers peut en effet s’apparenter à un processus progressif de constitution d’un portefeuille d’activités, de clients et de ressources.16 Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de répondre à la question suivante : quels sont les facteurs susceptibles de faire, mais aussi de défaire, le parcours professionnel de l’artiste et du travailleur de la création ?

Le contexte macroéconomique On peut d’emblée affirmer que le contexte macroéconomique du secteur artistique et créatif fait obstacle à la durabilité des parcours. Qui aspire à une trajectoire durable dans les arts est tôt ou tard confronté à l’économie du « winner takes it all » et à l’« income penalty ».17 Quelques éclaircissements s’imposent ici.

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Heinich, N., 1996.

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Paradeise, C., 1998.

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Coulangeon, P. & Roharik, I., 2003 ; Sibaud, L., 2011.

14

Boltanski, L. & Chiapello, E., 1999, p. 144.

15

Rannou, J. & Roharik, I., 2008 ; Sibaud, L., 2011.

16

Voir les auteurs suivants : François, P., Les trajectoires d’insertion professionnelle des sortants du conservatoire, Ministère de la Culture. Direction de la musique, de la danse, des théâtres et des spectacles, Paris, 2005 ; Menger, P.-M., Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Gallimard/Seuill/EHESS, Paris, 2009.

Abbing, H., Why are artists poor ? The exceptional economy of the arts, Amsterdam University Press, Amsterdam, 2002.

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Sur un marché du travail classique, la rémunération dépend des prestations en termes absolus. Considérons par exemple deux travailleurs : le travailleur A remplit 100 boîtes en un jour, tandis que le travailleur B n’en remplit que 99 dans le même laps de temps. Le travailleur B a donc produit 1 % de moins que le travailleur A ; la conséquence logique est qu’il reçoive aussi 1 % de rémunérations en moins. En revanche, dans une économie du « winner takes it all », la rémunération repose sur une base relative. Si l’athlète A court 1 % plus vite que l’athlète B, il remporte tout et l’athlète B n’obtient rien. L’histoire ne s’arrête toutefois pas là. Le gain de l’athlète est objectivement mesurable ; par contre, la vente d’une œuvre d’art, l’achat d’une place de concert, l’obtention d’une commande, etc. ne dépendent pas d’une échelle de mesure objectivable : le « gagnant » décroche la commande, tandis que les autres restent les mains vides. « Dans les arts, les rémunérations reposent dans une large mesure sur les performances relatives. De légères différences de performances peuvent entraîner de grandes différences de revenus. »18 Le mécanisme que l’on voit à l’œuvre ici est celui de l’« avantage cumulatif »19. De très faibles différences au début de la trajectoire professionnelle (différences de capacités intellectuelles, rapidité d’achèvement des études, rencontres fortuites, capacité de concentration et d’imagination et pensée divergente) peuvent s’accumuler au fil du temps, se renforcer mutuellement et entraîner d’autres avantages, pour déboucher au final – à un stade ultérieur de la trajectoire – sur une très grande disparité entre l’artiste A et l’artiste B. Nous ne nous prononcerons pas sur la question de savoir si cette différence de succès est justifiée. Ceux qui entament un parcours professionnel dans le secteur artistique et créatif sont frappés d’un double « income penalty »20 : ainsi, non seulement le revenu moyen dans le secteur artistique et créatif est plus faible que sur le marché général, mais en plus la répartition des revenus est très inégale. Un petit réseau, souvent fermé, d’artistes de haut niveau décroche la timbale, tandis que les artistes et les travailleurs de la création qui occupent les « degrés inférieurs de la pyramide »21 doivent se partager une fraction beaucoup plus petite des revenus totaux entre un nombre nettement plus important de personnes. Plusieurs analyses22 indiquent que les coûts du travail dans le secteur artistique et créatif augmentent d’année en année, alors que la productivité resterait inchangée, ce qui aurait pour effet, globalement, de faire baisser aussi les revenus (financiers) dans le secteur à long

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Abbing, H., 2002, p. 108.

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Menger, P.-M., 2009, pp. 294-296.

20

Abbing, H., 2002, pp. 111-112.

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Perrenoud, M., 2011.

Baumol, W. J. & Bowen, W. G., Performing arts : the economic dilemma, Twentieth Century Fund, New York, 1966 ; Menger, J.-M., 2009 ; Throsby, T., « Economic circumstances of the performing artist : Baumol and Bowen thirty years on », Journal of Cultural Economics, vol. 20, n° 3, pp. 225-240.

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terme. Cette vision apparaît cependant trop étroite si l’on considère, par exemple, le montant facturé à SMart (via l’outil de gestion de contrats). Ce montant a connu une forte croissance au cours des 10 dernières années, jusqu’à atteindre plus de 100 millions d’euros en 2012. Les revenus non financiers, comme la reconnaissance, l’expression de soi et le capital social et culturel, doivent être pris en compte : nous aurons l’occasion de revenir sur ce point plus tard. En effet, l’art et la création sont notamment déterminés par des facteurs économiques, mais le raisonnement ne s’arrête pas là. Ainsi, on peut faire valoir que la productivité des arts a bel et bien augmenté au fil du temps et que les artistes et les travailleurs de la création ne sont pas seulement motivés par les revenus financiers et d’autres considérations du même ordre.23 « Par conséquent, en termes de revenu financier, il n’est pas payant de devenir artiste. Les revenus moyens sont faibles, voire extrêmement faibles. Néanmoins, la volonté de travailler pour un faible revenu est élevée. »24 La concurrence, la fluctuation des revenus, la flexibilité et toute une série de risques rendent l’avenir quasiment incertain. Dans le même temps, d’autres considérations entrent en ligne de compte : motivation et détermination énormes, reconnaissance et satisfaction. Les artistes et les travailleurs de la création se caractérisent plutôt par une « vocation ». Se pose alors une question très intéressante : pourquoi ceux qui se hasardent à un parcours professionnel dans le secteur artistique et créatif, en dépit de circonstances macroéconomiques incertaines, sont-ils si nombreux ? Les 17 000 membres de SMart qui, en 2012, ont presté au moins un contrat le démontrent. Pour ceux qui veulent affronter cette réalité macroéconomique, voici à présent un aperçu des principaux déterminants d’un parcours durable.

Déterminants d’un parcours durable dans le secteur artistique et créatif La créativité, l’authenticité, les réseaux, la diversité des compétences, la gestion des risques, le charisme, la mise en balance des intérêts, la réflexion, la persévérance, le développement, le sens de la clientèle, etc. La liste des déterminants qui ont une influence sur un parcours durable est infinie. Aussi voudrions-nous articuler notre étude autour des aspects suivants : 1) l’art (les compétences) ; 2) l’artiste et 3) l’environnement artistique. Il n’existe toutefois pas de recette miracle. La logique qui préside à notre raisonnement n’est donc pas : déterminant 1 + déterminant 2 = succès. Les déterminants et les compétences que nous allons examiner de plus près sont des conditions certainement nécessaires, mais pas suffisantes pour s’assurer un parcours durable dans le secteur artistique et créatif.

Cowen, T. & Grier, R., « Do artists suffer from a cost-disease ? », Rationality and Society, vol. 8, 1996, pp. 5-24.

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Abbing, H., 2002, p. 113.

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1) L’art : diversification des compétences et des activités La réalité socioéconomique de l’artiste et du travailleur de la création est irréversible : il évolue dans un cadre hyperflexible dans lequel le travail par projet s’est généralisé. Pour survivre dans ce contexte, l’artiste ne peut « céder à la tentation du repli sur soi et à l’illusion du travail autonome »25. Outre l’essence même de la production artistique autonome, l’artiste peut s’appuyer sur des activités secondaires, plus ou moins liées à son activité principale. Autrement dit, il cumule des fonctions artistiques, para-artistiques et non artistiques.26 La diversification des compétences dans le domaine de la communication, de l’entreprenariat et de la création accroît aussi dans une large mesure la flexibilité d’un trajet professionnel dans le secteur artistique et créatif.27 Ainsi, l’artiste et le travailleur de la création peuvent, premièrement, diversifier leurs activités sur le plan interne, en pratiquant l’art dans le plus possible de contextes de travail différents. Par exemple, un musicien peut offrir ses services dans le cadre non seulement de concerts, mais aussi de projets dans le secteur audiovisuel (radio, télévision, postsynchronisation, etc.). Ils peuvent, deuxièmement, élargir leurs compétences aux activités connexes : tâches administratives, enseignement artistique, etc. Enfin, les revenus supplémentaires tirés d’une activité professionnelle non artistique exercée à titre complémentaire relèvent de la diversification externe. Beaucoup d’artistes et de travailleurs de la création se trouvent donc dans une situation différente de celle des travailleurs classiques qui se constituent durablement, année après année, leurs droits à une pension auprès du même employeur. Si l’artiste veut continuer à enchaîner des projets successifs, il lui est plus que jamais nécessaire de bien gérer son temps et de tenir à jour un agenda structuré. Ainsi, les artistes et les travailleurs de la création gèrent un enchaînement de projets différents (à des périodes de travail succèdent des périodes d’inactivité), mais idéalement, ils devraient gérer plusieurs projets simultanément. Il va de soi que la mobilité géographique, l’efficience et la recherche d’un équilibre entre les compétences artistiques et commerciales contribuent considérablement à l’élaboration d’un parcours professionnel dans ce contexte d’emploi hyperflexible. L’étude De Hybride Kunstenaar28 examine de près trois groupes d’anciens étudiants d’écoles supérieures d’arts plastiques en Flandre et aux Pays-Bas. Il ressort des résultats que pas moins de 86 % des anciens étudiants combinent des formes artistiques autonomes et appliquées (activités dans le design, commandes artistiques, travaux d’illustration, enseignement). Nous avons déjà fait allusion, dans les lignes qui précèdent, au discours économique basé sur le travail par projet,

Van Heuven, R., « Kunstenaars moeten de lol leren inzien van ondernemen », Boekmancahier, vol. 89, n° 12, 2011, pp. 89-94.

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26

Menger, P.-M., 2009.

27

Paradeise, C., 1998, pp. 14-15.

28

Van Winkel, C. et al., 2012.

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qui est une forme de travail très présente dans le secteur artistique et créatif ; les compétences en communication, l’entreprenariat, le sens des responsabilités, la réflexion critique et la capacité à concilier valeurs artistiques et impératifs économiques gagneront de plus en plus en importance, à côté de l’activité artistique autonome29 ; l’étude L’artiste, un entrepreneur ?, publiée par SMart en 2011, porte sur cette matière.

2) L’artiste : précaire, mais authentique La réalité du secteur artistique et créatif est précaire : non seulement les possibilités d’emploi, mais aussi la production d’œuvres d’art (sous quelque forme que ce soit) sont incertaines étant donné que leur originalité esthétique n’est pas mesurable à l’aune de critères uniformes. Pourtant, cette précarité peut être considérée comme un facteur potentiel de succès.30 En effet, l’incertitude engendre l’innovation et, en cela, elle favorise la recherche de l’originalité. « C’est ce qui confère à la compétition une indétermination suffisante pour que le nombre d’aspirants artistes dépasse de beaucoup celui qui serait atteint si une anticipation parfaitement rationnelle des probabilités de succès était à leur portée. »31 Une telle course à l’originalité s’exprime logiquement par une recherche d’authenticité et de reconnaissance.32 L’authenticité artistique, c’est-à-dire la possibilité de faire des choix qui permettent de façonner sa vie personnelle, offre à l’artiste et au travailleur de la création l’occasion de construire leur propre identité. Cette « personnalisation » de l’œuvre et de la vie avait très bien été comprise par certains « grands », tels que Duchamps, Dali et Van Gogh, qui avaient chacun leur vie et leur personnalité propres.33 Ceux qui occupent les « degrés inférieurs de la pyramide » doivent eux aussi participer à cette course à l’innovation en contestant les modèles existants et en espérant devenir ensuite eux-mêmes un modèle. Le fait de pouvoir et d’oser prendre des risques est donc incontestablement un

29

Voir les auteurs suivants : Davel, E., Lefevre, F. & Tremblay, D.-G., « Carrière artistique et entrepreneuriat : la créativité comme voie de recherche », Papier présenté au congrès international de l’Académie de l’entrepreneuriat, Sherbrooke, Canada, 2007 ; Lampel, J., Lant, T. & Shamsie, J., « Balancing act : learning from organizing practices in cultural industries », Organization Science, vol. 11, n° 3, 2000, pp. 263-269.

30

Menger, P.-M., 2009.

31

Menger, P.-M., « Œuvrer dans l’incertitude », dans SMartBe, L’artiste, un entrepreneur ?, SMartBe/Les Impressions Nouvelles, Bruxelles, 2011, p. 158.

32

Voir auteurs suivants : Martin, B., « L’insertion professionnelle des artistes plasticiens sur le marché de l’art contemporain », dans Bourreau-Dubois, C. & Jeandidier, B. (reds.), Économie sociale et Droit : Économie et Droit du travail, L’Harmattan, Paris, 2006 ; Peterson, R. A., Creating country music. Fabricating authenticity, University of Chicago Press, Chicago, 1997.

Heinich, N., « Peut-on parler de carrières d’artistes ? Un bref historique des formes de la réussite artistique », Cahiers de recherche sociologique, vol. 16, n° 2, 1991, pp. 43-54.

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élément inhérent à la réalité des artistes et des travailleurs de la création, ainsi qu’à leurs chances de succès.

3) L’environnement artistique : réseaux, capital et politique culturelle L’environnement de l’artiste et du travailleur de la création, pour ce qui est tant de son entourage que de ses caractéristiques fondamentales et de son encadrement socioéconomique, joue aussi un rôle dans l’évolution du parcours. Nous allons à présent nous focaliser sur les réseaux, le capital et la politique culturelle.

L’importance des réseaux La réussite de chaque projet et de chaque production dépend en fin de compte de l’entretien d’un réseau stable, c’est-à-dire d’un ensemble de relations informelles. Les échanges d’informations, les partenariats et les possibilités de financement public, mais aussi privé, y trouvent leur origine. Parallèlement à un réseau de pairs, il est aussi essentiel de développer un réseau stable avec des clients : ce faisant, l’artiste stabilise son cadre de travail hyperflexible. S’il arrive à entretenir une relation durable avec un noyau dur de clients qui fera appel à lui en priorité, il parviendra à maximiser son volume de travail et ses revenus artistiques et, partant, à limiter les risques liés au travail par projet. Les travailleurs actifs dans le secteur artistique et créatif en retirent donc un avantage concurrentiel, car, au fil des projets successifs, les artistes et les clients peuvent évaluer leur relation, la renforcer et la faire évoluer en une relation de confiance.34 Outre le réseau que l’artiste entretient – avec d’autres artistes, mais aussi avec des clients –, d’autres variables socioéconomiques jouent aussi un rôle. Opère-t-il dans un marché qui lui permet de se démarquer, ou dans un secteur saturé ? L’artiste ou le travailleur de la création connaît-il les règles spécifiques du marché et du secteur en question ? Comment s’y adapte-t-il ? Ses attentes sont-elles justifiées ou doivent-elles être ajustées ? Autant de questions que l’artiste et le travailleur de la création devront se poser s’ils veulent intégrer efficacement le secteur artistique et créatif. En outre, les intermédiaires, qui se situent entre l’artiste et le public, jouent un rôle important (encore qu’on ne les retrouve pas dans tous les secteurs). La collaboration avec les bookers, les galeries, les organisateurs, etc., permet de confier à des acteurs externes certaines activités telles que la promotion, la vente, la commercialisation et les relations publiques.

34

Pilmis, O., « Des ‘‘employeurs multiple’’ au ‘‘noyau dur’’ d’employeurs : relations d’emploi et concurrence sur le marché des comédiens intermittents », Sociologie du travail, vol. 49, 2007, pp. 297-315.

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19


La répartition du capital au sein de la « pyramide » Bien que cela puisse sembler restrictif, le secteur des arts doit essentiellement être considéré comme un champ dans lequel un certain nombre de positions sont partagées de manière hiérarchique entre un certain nombre d’acteurs35 : on pense ici à la « pyramide », qui comprend une large base, avec un grand nombre de positions, et un sommet très restreint36. La réussite d’un parcours dans le secteur artistique et créatif dépend de la répartition du capital : du capital culturel (connaissances et compétences cognitives acquises dans le système de l’enseignement, normes et valeurs transmises dans la sphère familiale) et linguistique (maîtrise de la langue), mais aussi et surtout du capital social (relations et réseaux) et symbolique (reconnaissance par le public, ainsi que par les collègues artistes et travailleurs de la création). A priori, la répartition du capital est inégale ; ainsi, les différentes formes de capital ne sont distribuées de manière uniforme ni entre les classes sociales, ni entre les différents réseaux et positions artistiques. On l’a vu, cette répartition inégale du capital tout au long du parcours peut déboucher sur un « avantage cumulatif ». Ainsi, il n’est pas rare de constater une différence – justifiée ou non – entre le degré d’investissement (financier ou motivationnel) dans le parcours de l’artiste ou du travailleur de la création, d’une part, et la rétribution par laquelle cet investissement se traduit sur le plan de la reconnaissance, d’autre part.37 Autrement dit, l’origine socioéconomique de l’artiste ou du travailleur de la création, ses motivations, ses compétences, son engagement et sa connaissance du secteur ne conduisent pas toujours au même niveau de succès et de reconnaissance ; en revanche, le développement d’un réseau, le fait de se faire connaître du public et l’acquisition de notoriété sont en interaction constante et constituent des facteurs importants de tout projet artistique et créatif.38

L’influence de la politique culturelle Enfin, la politique menée dans le secteur artistique et créatif exerce une grande influence sur la marge de manœuvre des acteurs. La « protection de l’intermittence » (que l’on désigne aussi par le vocable de « statut de l’artiste »39)

Bourdieu, P., « The field of cultural production, or : the economic world reversed », Poetics, vol. 12, 1983, pp. 311-356.

35

36

Perrenoud, M., 2011.

37

Bois, G., « Les ressources et degrés d’investissement des écrivains de littérature peu reconnus », Papier présenté au colloque international « Reconnaissance et consécration artistiques », Poitiers, France, 2012.

Beuscart, J.-S., « Sociabilité en ligne, notoriété virtuelle et carrière artistique. Les usages de MySpace par les musiciens autoproduits », Réseaux, vol. 152, n° 4, 2008, pp. 139-168.

38

39

La « protection de l’intermittence » est un régime spécifique (visé par l’article 116, paragraphe 5, de l’A.R. du 25 novembre 1991) en faveur des artistes et des techniciens qui travaillent exclusivement dans des contrats de courte durée et dans une vision restrictive aux artistes

20

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représente, pour les artistes et les travailleurs de la création qui travaillent exclusivement sous contrats de courte durée, une amélioration considérable de leur situation financière ; elle renforce aussi – et c’est logique – leur motivation à mener un parcours durable. Il existe ainsi une interaction permanente entre la politique culturelle, d’une part, et les activités quotidiennes du secteur, d’autre part. Comment la politique culturelle définit-elle le rôle social de l’art ? Le soutien financier de la politique culturelle accorde-t-il un espace plus important à l’art autonome, ou la combinaison avec les formes d’arts appliqués (comprenez : la diversification des compétences) devient-elle un mal nécessaire ? Il va de soi que l’aide apportée aux artistes et aux travailleurs de la création40, qui va du « statut de l’artiste » à l’octroi de bourses, au financement d’ateliers publics, à l’organisation de concours, etc., peut donner un coup de pouce au trajet professionnel. Force est toutefois de constater que tous les artistes ou travailleurs de la création ne peuvent prétendre à la « protection de l’intermittence », et que le soutien aux artistes se limite souvent à un domaine artistique bien défini (on peut citer en exemple les arts plastiques et la littérature). De ce fait, les nouvelles formes artistiques et les projets transdisciplinaires éprouvent souvent des difficultés financières en raison de leur caractère « inclassable ».

Les déterminants d’un parcours durable : nécessaires, mais pas suffisants Menger répond à la question « Quels sont les facteurs susceptibles de faire et de défaire un parcours artistique ? » de la manière suivante : « La réussite dépend de l’artiste lui-même ; elle dépend de l’environnement de son activité et des conditions (matérielles, juridiques, politiques) dans lesquelles son travail est entrepris ; elle dépend de la qualité du travail de l’équipe qui s’affaire dans le projet échafaudé pour créer une œuvre ou un spectacle ; elle dépend de l’évaluation de ceux (pairs, professionnels, consommateurs profanes) qui reçoivent l’œuvre achevée. »41 Nous avons traité des trois premiers facteurs dans les pages qui précèdent ; il est toutefois impossible de dresser une liste exhaustive des déterminants. C’est précisément pour cette raison que le quatrième facteur de Menger – l’influence des personnes qui reçoivent l’œuvre achevée – gagne en importance. Même si l’artiste réalise une bonne performance au regard des du spectacle, aux artistes créateurs qui « tournent » avec le spectacle et aux techniciens du spectacle. Il peut s’agir de musiciens, d’acteurs, de danseurs, de metteurs en scène, de scénaristes, de chorégraphes, de costumiers, de constructeurs de décors, de techniciens lumière, etc. Cette règle permet de maintenir au même niveau leurs allocations de chômage pendant 12 mois. Au cours de l’année précédente, le bénéficiaire doit avoir travaillé au moins trois fois comme artiste ou technicien du spectacle sous contrat de courte durée. SMart a réalisé un répertoire des aides aux artistes, consultable sur le site www.aidesauxartistes.be.

40

41

Menger, P.-M., 2011, p. 147.

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21


déterminants décrits ci-dessus, d’innombrables circonstances imprévues, comme la rencontre fortuite d’une personne au bon moment et au bon endroit, peuvent élargir considérablement ses débouchés. À côté de la considération des acteurs du champ culturel, concurrents stratégiques qui jouent toujours des coudes, le hasard pèse souvent plus fort dans la balance que la stratégie.42 Si rationnelle la stratégie d’un parcours durable dans le secteur artistique et créatif puisse-t-elle être, le talent (qui est peut-être le déterminant le plus important) et l’influence des caractéristiques sociales, relationnelles, culturelles et économiques fondamentales décrites ci-dessus, sur lesquelles on n’a pas toujours prise, joueront toujours un rôle. Certes, tout projet artistique résulte de circonstances prévues et imprévues, mais ce qui est sûr, c’est que les choix que les artistes et les travailleurs de la création font au début de leur parcours auront une influence sur leur réussite ultérieure. Ce que les économistes qualifient de « path dependency » (dépendance au chemin emprunté) s’applique donc tout autant au « chemin » du travailleur de la création. En bref, tout parcours artistique est soumis à une certaine forme de détermination ; Dujardin et Rajabaly43 ont déjà démontré que l’âge, le lieu de résidence, le sexe, les revenus annuels, le nombre annuel de jours prestés, les fonctions, le nombre de clients et l’ancienneté de l’affiliation à SMart varient aussi parmi les prestations et les projets artistiques de nos membres44. Ce sont précisément ces variables qui joueront un rôle de premier plan dans la recherche que nous réaliserons sur les déterminants des parcours des artistes et des travailleurs de la création.

42

Laermans, R., « Complexiteit als opgave : Bourdieus veldanalyse in systeemtheoretisch perspectief », Boekmancahier, vol. 8, n° 30, 1996, pp. 435-447.

Voir les auteurs suivants : Dujardin, A. & Rajabaly, H., Être intermittent dans le secteur artistique, SMartBe, Bruxelles, 2010 ; Dujardin, A. & Rajabaly, H., Développer ses projets artistiques. Le cas des « Activités » de SMartBe, SMartBe, Bruxelles, 2012.

43

Nous partons de l’hypothèse que les ressources dont disposent les artistes varient en fonction de la typologie des parcours artistiques, qui reste encore à définir. Nos chiffres provisoires laissent supposer que la diversification interne, connexe et externe des compétences est apparemment indispensable dans une situation où l’art et la création semblent très rarement les seules sources de revenus : ainsi, pas moins de 47 % des membres prestent au moins un jour par mois, ce qui leur permet de gagner en moyenne 5 300 euros bruts par an. En outre, les variables de l’âge et de l’ancienneté de l’affiliation à SMart semblent avoir une influence positive sur le nombre annuel de jours prestés et sur les revenus annuels de l’artiste : nos chiffres montrent que les membres ayant un an d’ancienneté ont presté en moyenne 21 jours pour un salaire annuel brut de 2 408 euros. Par contraste, les membres ayant 10 ans d’ancienneté voient leur nombre annuel moyen de jours prestés (soit 31) augmenter de 10 % et leur salaire annuel brut (3 926 euros) de 63 % (Dujardin & Rajabaly, 2010, 2012).

44

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Se lancer, un parcours du combattant Se lancer dans les métiers de la création comporte donc de nombreux risques, les chances de réussir sont faibles. Quand un artiste ou un travailleur de la création démarre son parcours, il n’a en effet aucune garantie de pouvoir s’installer durablement dans son secteur. La concurrence accrue, la flexibilité des relations d’emploi, la fluctuation des revenus, la consécration qui ne vient pas sont autant d’obstacles à surmonter.45 L’insertion dans les métiers de la création représente donc une phase délicate qui s’apparente à bien des égards à un parcours du combattant. Aucun titre spécifique n’est exigé pour se lancer dans le secteur artistique et créatif. Le diplôme, en particulier, joue un rôle moins déterminant que dans d’autres secteurs d’activités. Il n’y a pas non plus de procédure de sélection à l’embauche comparable à celle qui se pratique habituellement sur le marché du travail salarié.46 La formation (que ce soit dans une école d’art, via des stages, des cours particuliers ou de manière autodidacte) revêt néanmoins pour l’artiste ou le travailleur de la création une grande importance tout au long du parcours professionnel, à travers l’apprentissage de nouvelles techniques et compétences artistiques.47 Les écoles et structures de formation artistiques servent également de porte d’entrée vers le monde professionnel.48 La période préalable au parcours proprement dit, à savoir l’initiation à la pratique artistique ou créative ainsi que la socialisation par les pairs et la famille notamment, permet aussi l’acquisition d’un savoir-faire et influence le parcours de l’artiste ou du travailleur de la création. On peut supposer que ce dernier appréhende sa trajectoire différemment en fonction de son origine sociale, de son éducation, de sa participation à des activités artistiques ou créatives au cours de sa jeunesse, etc. La date du premier contrat rémunéré peut être prise comme repère pour marquer le début du parcours professionnel.49 L’insertion dans les métiers de la création s’effectue ensuite par tâtonnements. Peu à peu, l’artiste ou le travailleur de la création apprend les ficelles de son métier et peut éventuellement se spécialiser dans un créneau particulier. Il étoffe également son portefeuille de clients, travaille de manière récurrente avec certains d’entre eux et accumule des ressources (compétences, réseaux et réputation) qui seront capitales pour le développement futur de son parcours professionnel.50 Un des enjeux majeurs pour l’artiste ou le travailleur de la création en début de parcours est de rendre

45

Menger, P.-M., 2009 ; Paradeise, C., 1998 ; Sinigaglia, J., 2012.

46

Menger, P.-M., 2009.

47

Sibaud, L., 2011.

Brahy, R., Fraiture, S. & Megherbi, S., L’insertion professionnelle des comédiens, Les éditions de l’Université de Liège, Liège, 2010.

48

49

Coulangeon, P. & Roharik, I., 2003.

50

François, P., 2005.

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son travail visible et de se démarquer de ses pairs. Avec la généralisation du travail par projet, un autre défi est d’enchaîner un nombre suffisant de contrats sur l’année pour se faire une place dans son secteur, voire tenter d’accéder à la « protection de l’intermittence » (pour les artistes qui peuvent y prétendre), afin de poursuivre son activité à plus long terme.51 Comme on l’a vu précédemment avec la notion de « path dependency », les premières années dans le métier sont cruciales et constituent une période critique car elles déterminent le maintien ou non sur le marché du travail artistique et créatif.52 Seul un nombre restreint d’artistes et travailleurs de la création y « survivent » et parviennent à s’inscrire de manière durable dans son champ. À titre indicatif, une enquête sur les musiciens interprètes en France montre que 23 % des musiciens quittent le secteur pendant les deux premières années de leur parcours professionnel ; ce pourcentage s’élèverait à 30 % pour les comédiens et atteindrait près de 48 % chez les danseurs.53 Une autre enquête auprès de plasticiens (diplômés d’écoles artistiques en Flandre et aux Pays-Bas) parle également d’un « effet d’extinction ». Cette étude révèle que près de 60 % des plasticiens interrogés ont arrêté leur activité artistique au cours des quatre années suivant la fin de leur formation, pour des raisons économiques, familiales ou par découragement face aux difficultés d’insertion dans le milieu artistique.54 À noter : la qualité du travail, évaluée par la confrontation avec soi-même, ses pairs ou le marché (clients et public), joue également un rôle dans la continuité de l’activité. Une qualité jugée insuffisante entraîne généralement un abandon du travail mené par l’artiste ou le travailleur de la création. Dans le contexte actuel, le choix de se lancer dans les métiers de la création peut paraître aventureux. Cependant, l’attrait du travail créateur (comme le qualifie Menger) réside en grande partie dans la satisfaction qu’il procure à ceux qui le pratiquent. Plus qu’une profession, on parle généralement de vocation.55 Le travailleur de la création est souvent motivé par l’objet même de son activité et par son aspect créatif, sans nécessairement en attendre un retour direct en termes de rétributions.56 Le travail créateur n’offre donc pas uniquement une valorisation financière mais aussi symbolique : par l’expression de soi au travers de la pratique de son art, par l’aspect non routinier du travail ou encore par la reconnaissance des pairs, de la critique voire même du public.57

51

Paradeise, C., 1998.

52

Coulangeon, P. & Roharik, I., 2003 ; Rannou, J. & Roharik, I., 2008.

Coulangeon, P., Les musiciens interprètes en France. Portrait d’une profession, La Documentation française, Paris, 2004.

53

54

Van Winkel et al., 2012.

55

Heinich, N., 1996.

56

Menger, P.-M., 2009.

57

Paradeise, C., 1998.

24

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[…]


Table des matières Avant-propos

9

Éric Lauwers, directeur de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart Introduction Le démarrage du parcours d’artiste ou de travailleur de la création : une sinécure ? Définition, déterminants, motifs 13

Anne Dujardin et Louis-Henri Volont, chercheurs au bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart

Comment devient-on artiste ? L’art et la manière. Pourquoi et comment devient-on artiste ?

33

Laetitia Sibaud, postdoctorante à la Fondation Maison des sciences de l’homme (France) Acquisition des savoir-faire dans le champ des métiers de la création : de la filière institutionnelle au système D 47

Roger Burton, agitateur d’idées au sein de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart L’artiste en tant qu’autodidacte

55

Rudi Laermans, professeur de théorie sociale à la KU Leuven Rencontre avec Frédéric Platéus, plasticien

67

Rencontre avec Nick Hannes, photographe

68

Une école de la maturation ? Analyse de la formation artistique entre immédiateté du don, rythme des études et processus de création 71

Jérémie Vandenbunder, doctorant en sociologie à l’Université de Versailles et au Laboratoire Printemps (France) Se lancer dans la vie active. Enquête auprès d’un panel de diplômés d’une école supérieure des arts 87

Julie Dupont, employée à l’École supérieure des ar ts Saint-Luc Bruxelles Rencontre avec Hannelore Van den Abeele, chargée de cours à Sint-Lucas Gent 96 Rencontre avec Caroline Mierop, directrice de l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre 98


Quelles aides pour se lancer dans un parcours artistique ? Quelle politique culturelle pour l’aide au lancement des parcours artistiques en Fédération Wallonie-Bruxelles ? 103

Entretien avec Alain de Wasseige, auteur de plusieurs ouvrages sur les politiques culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles Quelle politique culturelle pour l’aide au lancement des parcours artistiques en Communauté flamande ? 111

Laura Herman, auteure et commissaire d’exposition Quelles aides pour débuter un parcours artistique ?

123

Quentin de Ghellinck et Tim Jansens, chargés de projet au bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart Rencontre avec Benoît Vreux, directeur du Centre des arts scéniques

141

Rencontre avec Julie Van Elslande, conseillère au Kunstenloket

146

Le libéralisme répressif. Réflexions sur l’art, le marché et la politique culturelle aux Pays-Bas 151

Pascal Gielen, professeur en sociologie de l’art et directeur du Centre de recherche Arts in Society de l’Université de Groningen (Pays-Bas) L’accompagnement des artistes en émergence : un enjeu complexe pour les politiques culturelles publiques en France 173

Pascale Bonniel-Chalier, consultante pour la coopérative La terre est ronde et Jacques Bonniel, directeur du master « Développement de projets artistiques et culturels internationaux » à l’Université Lumière Lyon 2 (France) Rencontre avec Julie Nathan, comédienne

184

Rencontre avec Lisa Matthys, illustratrice

186

L’entrée dans le parcours professionnel, une période décisive ? Quel statut social pour les artistes qui se lancent ?

191

Sébastien Bours, juriste au ser vice juridique de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart De l’école d’acteurs à l’insertion professionnelle du comédien : rupture ou continuité dans les logiques du travail au projet ? 201

Rachel Brahy, coordinatrice scientifique de la Maison des sciences de l’homme de l’Université de Liège et Virginie Xhauflair, chargée de cours à HEC - ULg Rencontres avec Nick Hannes, photographe, Julie Nathan, comédienne, et Sophie Vanhulst, comédienne 217 Un jeu d’aspirations. L’engagement en carrière des artistes ordinaires

Jérémy Sinigaglia, chercheur au Laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (SAGE) de l’Université de Strasbourg (France)

221


Phases et facteurs de succès du parcours artistique

231

Sofie van den Borne, titulaire d’un master en politique et management culturel de l’Université d’Utrecht (Pays-Bas) Connaître le contexte pour mieux se lancer ? En bonne voie. Insertion dans les laboratoires artistiques

249

Delphine Hesters et Greet Simons, chercheuses au Vlaams Theater Instituut La percée du mainstream alternatif

261

Gert Keunen, professeur à l’École supérieure ar tistique Fontys/ Rockacademie à Tilburg (Pays-Bas), au PXL Music à Hasselt, à l’École supérieure Rits à Bruxelles et à la School of Arts de Gand La mobilité et l’apprentissage

275

Cristina Ortega, directrice de l’Institut des études sur les loisirs, Faculté des sciences sociales et humaines de l’Université de Deusto (Espagne) et Xabier Landabidea, doctorant en loisirs et développement humain de l’Université de Deusto Synthèse

285

Julie De Boe et Quentin de Ghellinck, chargés de projet au bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart Réflexions finales

289

Roger Burton, agitateur d’idées au sein de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart

Biographie des auteurs

293

Présentation du bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart asbl 301


Se lancer dans un parcours artistique mars 2014 Les publications du bureau d’études de l’APMC – SMart explorent le cadre général dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les métiers artistiques et de la création. Cet ouvrage aborde la genèse et les premières étapes du parcours des artistes, tant d’un point de vue sociologique et théorique que d’un point de vue pratique : quel statut choisir pour se lancer ? Quelles sont les aides dont peuvent bénéficier les artistes qui débutent ? Quelles compétences doivent être acquises ? Comment se former, s’inscrire dans un réseau et gérer la multiactivité ? Les contributions d’experts de Belgique et d’ailleurs sont ponctuées par des témoignages et des entretiens avec des acteurs de terrain et des artistes. Des illustrations inédites viennent compléter cette publication qui entend aider tous ceux qui osent le défi d’un parcours artistique. Parmi les contributeurs, nous retrouvons Laetitia Sibaud, docteure en sociologie ; Rudi Laermans, professeur à la KU Leuven ; Julie Dupont qui travaille à l’ESA Saint-Luc Bruxelles ; Pascal Gielen, professeur en sociologie de l’art ; Caroline Mierop, directrice de l’école La Cambre ; Hannelore Van den Abeele, professeur à Sint-Lucas Gent ; Pascal BonnielChalier, consultante et Jacques Bonniel, maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2 ; Delphine Hesters, chercheuse à l’Institut du théâtre flamand et Greet Simons, licenciée en sciences politiques ; Cristina Ortega, directrice de l’Institut des études sur les loisirs de l’Université de Deusto et Xabier Landabidea, doctorant de la même université ; Gert Keunen, docteur en sociologie de la culture ; Rachel Brahy, docteur en sciences politiques et sociales et Virginie Xhaufelair, anthropologue et docteur en sciences de gestion ; Jérémy Sinigaglia, docteur en sociologie ; Sofie van den Borne, chercheuse ; Jérémie Vandenbunder, docteur en sociologie ; Nick Hannes, photographe ; Benoit Vreux, directeur du Centre des arts scéniques ; Julie Nathan, comédienne.

Rendez-vous sur : www.lesimpressionsnouvelles.com www.smartbe.be Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874491979 ISBN 978-2-87449-197-9 304 pages – 20 €


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