Marie Bonaparte - Mythes de Guerre

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MYTHES DE GUERRE

MARIE BONAPARTE


Du même auteur GUERRES MILITAIRES ET GUERRES SOCIALES

FLAMMARION,

LE PBINTEMPS SUR MON JARDIN

FLAMMARION,

EDGAR POE,

Etude Psychanalytique

LA MER ET LE RIVAGE

DENOËL ET STEELE,

IMPRIME POUR

L'AUTEUR,

Travaux Psychanalytiques originaux (REVUE

1920 1924 1933 1939

FRANCAISE DE

PSYC~ANALYSE)

Le Cas de M m e . Lefebvre, 1927, I ;.DuSymbolisme des Trophées de Tete, 1927, I V ; L'Identi$cation d'une Fille 2 sa filère Morte, 1928, 111 ; Un petit accès de Kleptomanie larvée, 1929, 111 ; De la Prophylaxie Infantile des Néuroses, 1930-1, 1 ; Deuil, NicropJcSie et Sadisme, 1930-1, I V ; Des Autoérotismes agressifs par la Grifle et par la Dent, 1933, 11 ; De Eu Mort et des Fleurs, 1933, 11 ;L'/tomme et son dentiste, 1933, 111 ; La pens6c magique cher le Primitif, 1934, I ; Iniraductian. B In ~ h h r i tdes ! Instincts, 1934, 11, 111, 1V ; Passiziité, Il.fasochisrne et Fimirtiti, l935, 11 ; Vues Paléobiologiques e t Biopsychiques, 1936, I V ; La Portée de Z'Euiire de Freud, 1936, I V ; L'inconsci~ntet le Temps, 1939, 1.

Traductions de Sigm. Freud : M A VIE ET

LA PSYCHANALYSE

LE MOT D'ESPRIT ET SES RAPPORTS AVEC laboration avec Ie Dr. Marcel Nathan)

L'AVENIR D'UNE

ILLUSION

1930 L'INCONSCIENT (en COIGALLIMARD, 1930 GALLIMARD,

DENOËL ET STEELE,

1932

collaboration avec Mme, GALLIMARD, 1933 CINQ PSYCLIANAL,YSES (en collaboration avec Ic Dr. Rodolphe Loewenstein) DENOEL ET STEELE, 1935 METAPSYCIIOEOCIE (en coIlaboration avec Anne Berman) ESSAIS DE PRYCHANATIYSE APPLIQITÉE(en

Edouard Marty)

GALLIMARD,

1940


MARIE BONAPARTE

MYTHES DE GUERRE

IMAGO PUBLISHING CO., LTD. LONDON.


Tous droits de traduction, de reproduction et d' adaptation réservés pour tous pays.

Copyright by Imago Publiahing Co., Ltd., 1946.


MYTHES DE GUERRE


Le

monde croulerait qu'il faudrait philosopher encore. .-RENAN.

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PROLOGUE

RIYTIIOLOGIE GERMANIQUE On connaît Ia légende de Siegfried, le jeiine héros bIond vainqueur du Dragon e t conquérant de Brunhilde. Or, pour le pe.uple aUemand, vaincu en 1918 e t depuis courbé sous Ic poids de sa défaite, Hitler réincarna lc héros Siegfried. Des cartes postales, répandues dans toute l'hllcmagne, figuraient graphiquement cette identification. On y voyait IIitIcr, en dépit de son type alpin sombre, revêtu de l'armurc étincelante du blond Siegfried. Siegfried, avec les tronçons du glaive de son père, brisé par 1a lance de Wotan, porteuse des runes ou tables de la Loi, a reforgé Nothung, glaive invincible. Hitler, avec les tronçons des armes allcmandcs, brise& dans la dernikre guerre, a reforgé des armes au peuylr: allemand. Siegfried, heros de Iumière, abattra le sombre Dragon qui dort sur son trésor, Or du Rhin, anneau des Nihelungcn, qui confère la puiss ancc mondinlc. Hitler, avatar de Siegfried, doit combattre ics voleurs du Capital, détcnu au Nibelheim de la Juiverie internationale, et s'emparer du trésor pue gardent indfiment le8 Dragons, les possédants dc cc monde. Siegfried révc-ille Ia Valkyrie endormie qui Ie salue de ses Heil retentissants. Hitler réveiIle la Germanie assoupie depuis I'amée de honte 1918 (Deutschland erwache ! clamaient les jeunesses hitlériennes !) qui le salue en retour de ses rituels Heil Hitler ! Enfin Siegfried, héros file, vainc jusqu'au Dieu père, Wotan, dont il brise la lance. De même Hitler eût voulu briser la lance des Pères possédants de ce monde - qu'ils eussent nom Churchill, Staline ou Roosevelt. Mais il n'y parvînt pas, moins heureux que Siegfried.


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MYTHES DE GUERRE

Dans les Nibelungen, Siegfried e t Brunhildc sont en fia. de drame trahis par Hagen, fils d7Alberichlc Nibelung, qui voudrait récupbrer le Ring, Brunhilde e s t traitreusement ravie 21 son rempart de flammes, Hagen a fait boire B Siegfried un philtre d'oubli. Mais commc, au cours d'une chasse, il recouvre soudain la mémoire et chante ses exploits et ses amours perdues, Hagen, par derrière, le: perce de s a lance. De même, ailx yeux des Nazis enfin vaincus, l'Allemagne e t Hitler ont-ils 6th trahis ! Ces tknhhreux Nibelungen, les Juifs internationaux, sont-ds ceux qui ont perpetré la ruine du couple radieux ? Hitler, dont la mort fut si pompeusement annoncée le leir mai au mir, qui l'a frappe par derrière ? Quel Hagen ? Les Ilolcheviks, l c ~ Juifs, la Haute Banquc - le contraignant au suicide ? Mais, de bien plus haut, d'abord les lois dc l'histoire, qui veulcnt que les empires conquis sans le concours du tcmps s'écroulent aussi vite qu'da furent bktis, ensevelissant sous leurs ruines 143 Conquérant ttmeraire. O

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O

Quel sera l'avenir de la lEgende dc IIitler ? Salis douti: subira-t-elle le douhle destin de toutes les lbgendw de conquérants. Les peuples qu'il assaillit e t fit souffrir le maudiront. Aux yeux de ses victimes, Hitler fut un criminel n. Les Anglo-Saxons, B l'Occident, déclaraient combattre en Hitler e t ses complices les, forces du Mal (the forces of Euil). Ainsi clamaient-ils dans leur vocabulaire puritain et se sentaient-ils partis en croisade. Les Russes, l'Orient, vouaient Hitler e t &Cf3 abandits fascistes u quotidicnnernent 2 la mort, Ainsi, pour ses ennemis, Hitler - tel autrefois Napoléon - f u t e t restera longtemps l'Antéchrist, la Bête de l'Apocalypse, même pour les Russes déchristianisks, mais qui ont en réalité proclamé, avec leur credo asiatiqixe égalitaire, la dernière secte issue du christianisme. Mais dans son propre peuple, pour les Allemands, maintenant où la marche funèbre de Siegfried - Hitler a retenti sur l'Allemagne en ruines et en deuil, par d c b les malédictions passagères d'un peuple en dhtreasr;, la legende du héros mort renaîtra. Deux grands idéals croiseront leurs rayons au-dessus de la vieille Europe dgvastée. Vena de par deli I'Ocean, l'étendard Btojle Bottera A l'occident. Avançant du fond de l'Eurasie, l'étendard rougc avec la faucille e t le marteau. Mais la Germanic airx quatre-vingt miIlions


PROLOCIJE

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: MYTHOLOGIE GERMANIQUE:

d'hommes, au centre du continent, la grande blessé;c, écartelée entre quatre vainqueurs, n'ouliliera pas qu'elle fut un temps maîtresse de l'Europe. En dépit dc ~ O U ~ Cles S mal6dictions à l'ogre de Corse, ni la retraite de Russie ni Watcrloo n'abdirent, dans la mihoire des Franpais, la légende de Napoléon, << On parlera de sa gloire Soils le chaume bien longtemps. >> Malgré la différence en valcur humaine entre un Napoléon et un Hitler, malgré la rougeur des massacre8 ensangIantant son nom, Hitler demeurera, dans l'imagination populaire germanique, le Siegfried du combat au Dragon (Drachenkampf),le héros mytliique qui conquit Ia Mérc Europc et que seuIe put abattre la « traitresse D coalition de plusieurs Dragons avec les Nibelungen judaIques et leur vieux dieu Iahveh ! I'eut-étrc même, en dépit de l'annonce de sa mort, une nouvelle légende, ressuscitée de Barberousse, le situera t-dle aux cavernes de quelque KyKhauser, d'où il attendrait de ressurgir un jour de gloire vengeresse ? Car il ne suffit pas de tucr l'enncmi pour qu'il ne soit plus : il survit dans sa 1égende.l

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Londres, 5 juin 1945.

1 Je dois l'idée et maintea données dc IqintEres%antparallèle entre Siegfried e t Tlitler su Professeur Joachim Roeteutst.ber, de l'Université du Cap.


LE MYTHE DU CAIJAVRE DANS L'AUTO

Ua de mes amis et collègues psychanalystes, le Dr. R. Locwenstein, racontait, en I'automnc de 1938, après que les accords de Munich eussent paré à la guerre immédiate, l'anecdota suivante, dont il garantissait alors l'aiithenticie6. Je la rapporte textiiellcment : 1. K En Septemlirc 1938, un jeunc: Iiornme s'attendant à être mobilisé le lendemain ou d'un jour à l'autre cmmenait en auto sa fiancee, qu'il voulait laisser chez des parents ii Laval. Il s'arrête A

la sortie de Paris pour prendre de l'essence. Un couple de gens d'un certain âge lui demande o h il va et le prie de prendre la dame seule qui va aussi dans la direction de: Laval, le monsieur rentrant Paris pour être mobilise le lendemain. En route, la fiancee pleure, e t parle de leur séparation. La darne étrangère les rassura et dit à la fiancée dr: nc: pas plcurer: Vous ne serez sûrement pas mobilisé car il n'y aura pas de guerre. D'ailleurs Hitler sera mort dans les six mois ! - El10 l'affirme h plusieurs reprises. Arrivés $ Laval, avant de prendre cong8 du jeune homme, elle lui demande s'il a l'intention de rentrer à Paris e t qiiarlrl. Le jeune conducteur répIique qu'il rentre à Paris aussitôt. ci La dame lui conseille dc ne pas voyager de s&e, parce que, s'il voyageait cette nuit, il trouverait un cadavre dans sa voiture. Une fois de plus les jeunes gens la regardent comme compléternent cinglec e t prennent cong6 d'elle sans lui-demander son nom ni son adresse. Les parents du jeune homme A Laval le prient, avant son retour ii. Paris, d'y ramener un jeune homme de leur connaissance qui lui aussi s'attend B étre incessamment mobilisé. II y consent. Le passager, en cours de route, déclare qu'il a sommeil e t s'&tend sur la banquette arrière et dort. Arrivés i i Paris, la voiture s'arrete $ l'adresse di1 passager, le conducteur pour Ic r6veilIer ouvre la portibre e t trouvc le jeune homme mort. a Qui e s t cette femmc ? »


Un an plus tard, en l'automne de 1939, alors pue Hitler, contrairement & Ia prEdiction préchdente, avait assez vécu pour déchaincr Ia guerre, une autre anecdote, cette fois rapportée par un masseur du Hammam h mon mari, me revenait, accompagnée des mêmes assurances d'authenticité. L'événement serait, d'après lui, arrivé au beau-fritre d'un autre de scs clients habituels dont il précisa m2me le nom, Je rapporte h nouvcau ce t c x t e littéralement, tel que je l'ai recueilli par téléphone dct la bouche même du masseur : 2. <Un i monsietir est mobilise. 11 va cn auto avec sa femme e t sa fille VcrsaiIles. II est tard, il dit sa femme : je n'aurai pas d'essence pour montcr la côte. A deux ou trois cents mètres avant d'arriver en haut de la côte de Saint-Cloud, panne d'essence. II descend, regarde h droite et à gauche, mais ne voit personne. Sous les bois il aperçoit cependant des Romanichels. II1 les appelle pour lui prêter main forte et l'aider 2 pousser la voiture en haut de la côte. Le Romanichel cependant lui dit : Vous ne rentrerez pas ce soir avant d'avoir un macchabée clans votre voiture.-Il fait son plein dkssence. Sur Ir! chemin du retour, avant dc rentrer dans Paris, un sergent dr? viIlo Ic hèle et le prie de prendre et conduire un blcssi: à l'hapital. Mais avant d'arriver il l'hôpital Ic blessé, dans la voiture, était mort.- Il avait cependant dit au Romanichel : Puisque vous etes si bon prophéte, ne pourriez-vous me clire quand Ta guerre finira ? - A l'automne, avait rhpondu celui-ci, apréa de grands Ev6nernents.n Je commençai, dans les deux cas, en bonne rationaIiste, par être frappée de l'invraisemblance de l'histoire, et me moquai en moimême quelque peu 'dc la cr8dulité de mes idolmateurs, credulit6 d'ailleurs inégale et autremcnt accentuée chez lc masseur. Mais nous, psychanalystes, sommcs trop entrainés A prendre au sérieux les productions, même les plus folles en apparence, de l'imaginatiou humainc, pour quc je nc fussr: pas aussi frappée par la ~imilitudedu thErne sous deux versions analogues : un événement ardemmerit souhaité dont la réalisation sernl.de garantie chaque fois par la mort, Egalement prGdite, d'un homme. Hitler, ennemi redoutable, dcvrait périr : il mourra, de même que le passager dans l'auto est déjh mort. La guerre déchaînée par Hitler devrait finir : elle finira, de même pue dans l'auto un blessé ramassé sur la route, avant d'arriver 5 destination, est déjA mort.


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MYTHES DE GUERRE

J'appris d'ailleursb bientôt que des versions diverses du mgme thème avaient couru e t couraient toujours toute la France et se retrouvaient m&me à l'étranger, élevant l'histoire du cadavre dans l'auto A la dignit6 colicctive d'un mythe. Je tenterai d'abord d'en degager In tendance, lo sens, sur les deux versions prEcit&cs,les plus typiques, me réservant de mentionner plus loin les autres versions qua je yus par la suite recueillir. a

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Un lien de cause A effcf: transparait qui doit se Lruuver plus profondément enfoui que la simple v6racit6 d'une prediction en garantissant une autre, Pourquoi, dans les deux cas, cn garantie Ia mort d'un homme ? N'importe quel autre événement aurait pu suffire : un chien &rasé sur la routc, un arbre renversé par l'auto, une panne irréparable de l'auto, voire lin évhnement imprévu e t faste appris h l'arrivée : gros lot gagné, par exemple, à la Loterie nationale. &lais nous sentons aussitôt que les trois premier6 évenements, par leur banalité même, eussent: semhIé moins aptes à garantir un bonheur aussi grand, immense, que la mort de Hitler l'Ennemi ou la fin victoricusc de la guerre déchafnéc par lui. Quant au gros lot gagné à Ia Loterie nationale, il parait même moins adéquat : deux coups de chauçe juxtaposés seraient vraiment dc trop ! La mort du passager occasionnel, la mort d'un homme, semble une garantie autrement puissante : le verdict du Destin apparait par là p6remptoire. Et si l'âme contemporaine est frappée par la precliction fastc ainsi garantie par la mort et y croit, e t ai le mythe semble germer un peu partout, c'est que la guerre avec ses peines e t ses dangers a da venir ressusciter au fond de nous qucIqu'une des plus archaxques croyances de ~'hurnanité,sans doute dans ce cas la foi en la necessith, pour obtenir quelque grand bien, d'un sacrijce. ilt

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Dans leur bel Essai sur Ia natrlre cf ln fnnctiaiz dusucriJicel, Hubert et hlauss &rivent fort justement que << les sacrifices fiirent gen6raIement, à quelpuc degré, des dons conférant au fidèle (les droits sur son dieu >> (p. 30), cela que Ia victime offerte fût humaine, animale ou végEtale, e t que Jeu si~crifict:~ fusselit cûmrni~niels, expiatûirca 1L'nnrids sociologique, l'nris, Félix Alcun, 2mc année, 1897-1890.


(piacula), propitiatoires ou soi-disant siinplement honoraires (je ne crois pas pour ma part qu'il en fût jamais de tout désintiressés). Puis, apres avoir discuté lcs théories du sacrifice de Robertson Smith e t de Frazer, qui font ordinairement dériver celui-ci des rites toterniques, Hubert et Mauss écrivent : « Nous appelons sacrijartt Ee sujet qui recueille ainsi les bGnéjces du sacrijce ou en subit les #flets. Ce sujet est tantGt un individu ettantat une collectivité, famille, clan, tribu, nation. .» (p. 37). Plus loin, parlant de la consécration préliminaire de la victime : c on voit quel est le trait distinctif de la consécration dans le sacrifice : c'est pue la chose consacrée sert d'intermddiaire entre le sacrifiant . . e t la divinitk $ qui Ie sacrifice est genéralement adressé (p. 38). Puis, définissant le sacrifice, nos auteurs le distinguent ainsi de la simple offrande : «Tantôt, I'objet consacré est simplement présenté comme un exvota . celles des prémisses qui Gtaient seulement apportees air temple y restaient intactes e t appartenaient aux prêtres. Dans d'autres cas, au contraire, la consbcration ddtruit l'objet prhsenté, dans le cas où un animal est prEsenté à l'autel, le but que l'on poursuit n'est atteint que quand il a k t 6 égorgé, ou mis en pikces, ou consumé par le feL, en un mot sacrifié. L'objet ainsi detroit est la victime. C'est dvidcmment aux oblations de ce genre que doit être réservée la dénomination de sacrifice. On pressent que In différence entre ces deux sortes d'opérations tient à leur in6gale gravité e t à leur inégale efficacitk. Dans le cas du sacrifice, les énergies religieuses mises en jeu sont plus fortes. .»(p. 39). On a pris l'habitude, écrivent encore nos auteurs, a surtout en Allemagne, de ranger les sacrifices en un certain nombre de catégories distinctes : on parle, par exemple, de sacrifices expiatoires (Sühnopfer), de sacrifices d'actions de grâce (Dankopfer), de sacrificesdemandes (BittopSer}, etc. Mais en réalite, les limites de ces catégories sont flottantes . . .» (p. 42). Tous les sacrifices faits aux dieux apparaissent en effet comme des marchés, où les hommes paient soit avant soit après avoir étE dûment gratifiés : réglernent d'un vieux comptc- débiteur envers la divinité dans la sacrifice d'expiation, facture A acquitter pour une faveur déjà reçue dans le sacrifice d'action de grâces, enfin paiement effectué A l'avance dans le sacrifice-demande ou propitiatoire. L'homme c t aussi son dieu, conçu A son image, sont de bons commerçants, Et si, dans tous Ics

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MYTIIES DE GUERRE

cas, la victime, queIle qu7eUe soit, doit être sacrifiée, c'est A dire détruite, c'est sans doute que I'homme n'envisage pas de meilleur mayen d'envoyer dans l'autre monde, où résiderit donc les dieux, les dons qu'il leur conscrit. De plus son sadisme profond, universel, y trouve à se satisfaire l'abri de sa conscience puisqu'il accomplit, ce faisant, un devoir envers les dieux.

On a aussi beaucoup discuté pour dktcrminer si lc sacrifice humain avait préced6 historiquement l c sacrifice animal ou si ce fut I'iriversc. Dans I'Encyclop~diaBriiannica on peut lire l'article Sacrifice1 : <z Bien des théories sur la relation du sacrifice humain au sacrifice animal ont Et6 mises en avant, la plupart basées sur des faita insufisants. On a soutenu que le sacrifice animal etait la forme primitive e t que la décadence du totémisme ou Ie manque d'animaux domestiques leur avaient fait substituer une victimc humaine, mais on a aussi fait valoir que dans bien des cas les victimes animale8 étaient traitées comme des êtrcs humains et devaient par suite les avoir remplacés, que des hommes sont barbouillés du sang du sacrifice ct avaient di?xpar suite être eux-m81nessacrifiés avant qu'un régime plus doux eût permis qu'un animal les rernplaçà~.>> Au regard de la psychanalyse, c'est la scconde hypothGse qui s'avkre La conception freudienne du totémisme c t du sacrifice de l'animal totem, suhstitut du père de la Horde primitive mis à mort par les fils r6voltés pour la possession dcs feiiieIles, éclaire en effet d'un jour nouveau c t singuIicr un probléme resté si difficile à riswudte par les sociologues et ethnologues pr6-ou extra-analytiques. Et ,si l'antériorité du sacrifice Lumairi primitif leur n semble souvent difficile admettre, c'est sans doute en vertu même du refodement du parricide initial, dont l'assomption est d'aiileurs lc plus souvent repoussée par eux avcc m6pris ou colère, Le même m6canisme qui a fait autrefois substituer réellement l'animal totem au père, à la victime humaine cnsuiee q-uelle qa'elle soit, commande Ia même substitution sur le plan psychologique. Cependant les mythes des divers peupIes nous ont conservt5 des témoignages éloquents, pour qui sait les entendre, de la fiuite sans doute réelle des faits : c'est le bélier qui sur le bûcher hébraïque succède au fils d'Abraham et*sur l'autel grec la biche est substitubc 2i Iphigdnie. -

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Xlue Edition, 1910-191 1, Article S~crif;ce,par Northcote Whitridge'Thomas, h1.A.


Après avoir rappclé, d'après Robertson Smith, le festin t o t h i q u e de certaines tribus archai'ques, où l'animal totem reput6 ancêtre du clan, d'ordinaire épargné comme sacro-saint, est dévoré rituellement par la communauté, e t s'étant référé par ailleurs à l'hypothèse de la horde primitive, d'après Darwin, où un mâle fort et jaloux dominait un harem de femelles e t en chassait ses fils grandissants, ses rivaux éventuels, Freud expose sa propre hypothése : a U n jour, les freres chassés se liguèrent, tuèrent e t dévorèrent le pére et mirent par là fin à la hordc du père. Ils osèrent e t realisèrent, unis, ce qui fût demeuré impossible à un seuI. (Peut-etre un progrès culturel, la possession d'une arme nouvelle, leur avait-il inculqué un sentiment de supérioritC.) Qu'ils aient de pIus dévoré le mort, voilà qui va de soi pour Ie sauvage cannibale. Le puissant pére primitif constituait sans aucun doute un prototype à la fois envié et redoute pour chacun des mernbr~ade la horde fraternelle. Ils accompIissaient ainsi, en Ic d é v o ~ a n t l'identification , avec lui, ils s'appropriaient chacun une part de s n force. Le repas totémique, qui fut peut-être la premibre féte de l'humanité, serait la répétition e t la commémoration de cette mernorable et criminclic action, si riche de canséquences, avec laquelle déluthent I'organisrition sociale, lcs restrictions morales et Les Gls en effet, désormais constitués en horde fraternelle, s'interdirent, sous l'empire du repentir, ou de la peur du talion Ic renouvellement de l'acte, kpargnèrent apr&scoup Ia vie du pkre en ne tuant plus, sauf en des H fêtes 1) rituelles, l'animal totem réincarnant .«l'ancêtre » du clan, e t renoncèrent, avec la pratique de l'exogamie, aux femelles de leur propre clan, substituts des femmes du père autrefois crimineIlement convoitées, Mais pourtant les adversaires de Vantériorite du sacrifice humain ne semblent pas avoir toujours tort, si l'on en croit certaines apparences. Isaac en montant à la montagne du sacrifice cherchait où se trouvait l'agneau rituel, et tc si Ia tradition », poursuit l'Encyclvpadia Britannicu, « peut être un guide, le sacrifice humain semble dans Lien des régions assez larges être de caractEre secondaire. En depit du grand développement du rite chez les A z t è p c s , la

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Freud, Totem und Tabu, 1913, traduction française Jankélévitch, Totem et Tabou, Paris, Fayot, 1924. (Ln traduction dans mon texte cst pcrsonnelle.)

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MYTHES DE GUERRE

tradition dit qu'il était inconnu deux cents ans avant la conquête, en Polynésie Ies sacrifices humains semblent être rcIativernent modernes, e t aux Indes ils paraissent avoir été rares parmi les peuplades Védiques. Dans l'ensemble le sacrifice humain est de beaucoup plus frequent parmi les races il demi civilisées et Iiarharea qu'aux stades encore plus infhrieurrr de culture.» Nous rEpIiquerons, nous psychanalystes, que, sans préjuger des documents nouveaux que les ethnographes peuvent nous fournir, on peut évoquer ici les lois psychologiques générales de la régression e t du retour du refoulé. De même que la figure humaine du père primitif dé;ifik reparaît peu B peu au Panthéon 6gyptien peuple d'animaux-dieux, de même la viçtirr~eJ~umaincprimitive a pu r6ripparaPtre en des victimes animales et, cette fois de façon secondaire, se substituer elles sur les autels e t les bûchers.

Dans notre mythe moderne du cadavrc dans l'auto, une régression puissante, née de l'état dc guerre e t d'angoisse gui en dérive, a dû commander Ie retour d'une victime humaine offerte en propitiation au destin. Car c'est bien d'un sacrifice humain qu'ici il doit a u fond. s'agir, si par ailleurs sur Ie simple plan du désir, du fantasme. La comparaison des divers tcmps et él6iiients du rituel sacrificiel classique, d'après Hubert et Maiisfi, arec les éléments e t temps de notre récent mythe va nous permettre de solidement etablir la parenté profonde dc celui-ci avec le sacrifice humain de: nos ancêtres lointains. Hubert e t Aiausu, Etudiant le Schérne du aacri$ce, y distinguent trois grandes phases : l'entrée dans le sacré, le sacrifice même de Ia victime e t la sortie du sacré. a Le sacrifice», cxpliyuciit-ils, est un acte religieux qui ne peut s'accomplir que dans un milieu religieux e t par l'intermédiaire d'agents essentiellement religieux, Or, en général, avant la cdremonie ni le sacrifiant, ni le sacrificateur, ni Ie lieu, ni les instruments, ni la victime, n'ont ce caractère au . degré qui convient. La premikre pliase du sacrifice a pour objet de le leur donner. Ils sont profanes, il faut qu'ils changent d'état. Pour cela, des rites sont ndcessaires qui les introduisent dans le monde sacré e t les y engagent plus ou moins profondknent, suivant I'importance du rSle qu'ils auront ensuite 3 jouer. C'est cc


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qui constitue, suivant l'expression même des textes sanscrits, l'entrie dans le sacrijce.n (pp. 47-48). Toutes sortes de ri tes purificatoires, ablutions, jehnes, continence, ségrégation d'avec Ics autrcs hommes, doivent, chez les divers peuples, mettre le sacrifiant en état i c sacrém. Dans notre mythe actuel qui est, demanderons -nous d'abord, le sacrifiant, celui au b6néfice duquel le sacrifice va être accompli ? Evidemment c'est le jeune mohilisé qui dans un cas se rend A Laval et dam l'autre à Versailles, peu importe le Iieu. Et qu'est-ce qui tient lieu des rites le sacrant sacrifiant ? Je crois que c'est la mobilisation; le fait d'être mobilisé, voué au danger de guerre, de mort, a fait de ce citoyen, hier vulgaire, un être mudain sacré ; en recevant sa feuille de mobilisation ou en lisant l'affiche appeIant sa classe, il est soudain entre dans l'aura du sacre m. Mais le sacrificateur, oii est-il ? La victime sacrifiée au bgnéfice du sacrifiant e t qui est évidemment l'homme qui doit mourir e t pui en effet meurt, périt tout seul, dans le fond de l'auto, sans pu'on l'étrangle, sans qu'on l'égorge. Dans la seconde version seulement, le passant apparaft dejA blessé, mais on ne sait ni par qui ni par quoi. Lc sacrificateur reste dans i'ombre, dans l'anonymat. o h le plonge sans doute la rdpressiori, croissante au cours dcs siecles, (qui le croirait ?) de notre agression millénaire; C'est le destin seul p i semblera tuer la victime, la sacrifier sans aide aucune. Cependant, en vérité, la devineresse ou le Romanichel doivent jouer, par leur seule prédiction, le rôIe de prêtre ou pretresse sacrificateurs, incarnation de la divinité ou du destin homicides. C'est sans doute pourquoi, & l'audition de leurs paroles, on lprouve une impression insolite, cornme si l'on avait vu passer sur l'horizon noir dcs guerres quelque épée de feu prête à frapper. Cependant la victime, dans tout sacrifice, est le personnage central du drame, autour duquel tout semble rayonner. Cherchons donc, dans notre moderne mythe, à pénétrer l'identité de la victime ainsi qu'à déterminer ce qui lui coafGre le caractére nécessaire du sacré, L'étranger qui meurt au fond de l'auto est dans un cas un mobilisé, dans l'autre un blessé, Un mobilisé comme le sacrifiant, ce qui lui permet excelle~nmcnt de le représçntcr. << La victime)), écrivent Hubcrt et Mauss, « sc trouvc représenter aussi le sacrifiant.?) (p. 66). On fiacrific quelqiie chose $ sa propre place, pour se rache.ter soiB

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meme d'un wlheur e t acquérir un bonheur. Dans la seconde version du mythe, ce tour de l'inconscient apparaît plus patent encore : la victime est d6ja un bIesa6. Or Za guerxe antre temps a été déclar&e, le mobilise pourrait d'un jour à l'autre aller au front et y être blessé lui-même, un autre blessé le rachkte, l'identité du sacrifiant avec la victime dclate. Mais c'est l'autre qui cst offert en holocauste et Xui qui vivra, sans même 6tre bIcssé ou mutil6, la guerre devant bientôt finir e t naturellement l'autre blcssi? nynnt payé pour Iui la dctte de sang exigée par le Destin, diçu jaloux. U n dlément parait cependant 2 prerriihe v u e nialitluex daxis riotre sacrifice, I'utilisation ritlielie des restcs de la victime. K La victime sacrifiée», ecrivent Hubert et Mauss, c< ressemblait aux morts dont l'âme résidait, 2i la fois, dans l'autre monde e t dans Ie cadavre.)>Dans l'autre monde la victime était envoyée aux dieux A la fois'h titre d'offrande et de messager. Rien n'empêche l ' h a de notre moderne passager d'auto de s'envoler ainsi. Mais qu'advient-il de son cadavre sacré ? Aussi ses restes)), poursuivent nos auteurs, étaient-ils entoures d'un religieux respect : on leur rendait des honneurs. Le meurtre laissait ainsi derrière lui une matière sacrée, et c'est elle qui, comme nous allons le voir maintenant, servait à développer les effets utiles du sacrifice. On la soumettait pour ceIa 3 une double série d'opérations. Ce qui survivait de l'animal était ou attribué tout entier au monde sacre, ou attiibué tout enticr au monde profane, ou partagé entre l'un e t l'autre.,) (p. 7 1). Or, sur le sort ultérieur du cadavre de notre étranger, le mythe reste muet. Mais cette utilisation est si évidente qu'eIle n'a sans doute pas h être explicite. Le cadavre de ce passager subira tout bonnement les funérailles en usage dans le pays. II nc sera pas mangé, ni par le sacrificateur ni par Ic sacrifiant, comme dans les rites communiels dont ce sacrifice propitiatoire semble s'écarter ici : il sera ou inhum6 ou incinéré, après avoir subi certains rites ou religieux ou civils. Ce qui équivaut dire que les restes de la victime seront tout entiers réservés aux dieux, comme dans l'holocauste grec ou l'olâ

hkhrafqut:.

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Cependant, dans tout sacrifice, dcux éléments encore doivent être envisagés : le lieu et les instruments. Car, écrivent nos auteurs, H il ne sufit pas que le-sacrifiant c t Ic prCtrc soicnt sanctifiés pour


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que le sacrifice proprement dit puisse commencer. Celui-ci ne peut avoir Iieu ni en tout temps ni partout. . . Le lieu de la scérie luimême doit être sacre, en dehors d'un lieu saint, l'immolation n'est qu'un meurtre.» (p. 56). Il y a des lieux constamment consacrés : les temples, comme chez les Hébreux, il en est d'autres que l'on consacre à chaque fois pour la circonstance, comme chez les Hindous, où cc chacun pouvait se choisir le lieu qu'il voulait pour sacrifier; mais ce lieu devait être au pr6alabIc crinsacrC au moyen d'un certain nombre de rites dont le pIus essentiel est celui qui consistait 3 établir Ics feux.» (p. 57). Après les deux premières qui rn'étaicnt parvenues, j'ai donc recueilli plusieurs versions de notre mythe, que j e rapporterai plus loiri. Or, sous de trcs notabIes variantes, un élernent reste le plus constant : substitut bien moderne de l'autel ou du bûcher, l'auto, lieu du sacrifice, qui en est aussi un peu comme l'instrument, Et c'est ici que les rapprochements ethnographiques ou sociologiques ne nous suffisent plus. Seule la psychanalyse, avec Ia connaissance des symbolisme$, permet de comprendre pourquoi le sacrifice doit si souvent s'accomplir dans une auto, quelque surprenantes que puissent paraître ses explications A qui ignare cette science. La promenade en auto, dans les reves, est un symbolisme sexuel habitueI, tout comme l'ascension Xun escalier ou d'une côte. Les deux fusionnent d'ailleurs dans la scène de la seconde version du mythe : c'est sur une côte que l'auto reste en panne. Le mobilisé se trouverait ainsi accomplir de façon quelconque, pour l'inconscient, quelque acte sexuel. La présence, dans Ics deux cas, d'une femme - ou de deux - avec lui dans l'auto, corrobore cette interprétation. Qui meurt par contre est dans les deux cas qu'ici j'envisage un homme : la victime est même, mobilisé ou blessé, un doublet du sacrifiant. On peut se demander si quelque refiet mdipien ne se serait pas attardé dans notre mythe moderne du mort dans l'auto. Le sacrifice ne serait pas seulement propitiatoire, déclencheur d'un événement heureux immense, il serait aussi, permettant par Ib celui-ci, l'expiation d'unc faute obscure : un mobiIisé analogue au sacrifiant serait sacrifi6 pour celui-ci sa place, en chihiment de quelque péché originel archaïquement obscur, qui ne peut donc Ctre que lc parricide cedipien. Le sacrifiant fuyant Paris dans son

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auto, ~rornenadcsymbole dc l'acte sexucf, avec une ou des femmce, serait le << héras »X filial aedipien qui, aprés avoir tué le phrc origine1,

opére le rapt de ses femmes pour lesquelles il a tué. (Des soldats vainqueurs ne se font d'ailleurs pas faute d'opbrer la conquête, voire le viol, des femmes en pays conquis !) Pour pouvoir être pardonn6, racheté, Ic fils coupalile doit alors sacrifier un doublet de lui-même, un mobilisé ou un blessé p i , prenant sur lui le châtiment après le crime, tel le Bouc émissaire ou le Christ, l'en délivre en mourant, et en mourant pendant que l'auto marche, le châtiment prenant d o r s l'allure même du crime, le fils ktant puni par où il a péché. Mais cette victime à la fois propitiatoire et expiatoire (les victimes des sacrifices sont-elles jamais tout à fait l'un sans l'autre ?) c e t t e victime, dans un piaculurn souverain, rachete du même coup non seulement notre automobiliste mais encore tout le peuple, par dela lui, des autres mobilisés ses semblables, G l s coupables aussi, qui, une fois laves d'une fnutc originelle par le sang de l'un d'eux, pourront, soit par la mort du père, soit par la simple terminaison de la guerre, garder leur vie et retrouver le paradis de la paix. Ainsi du Christ, dieu-fils qui, par son sacrifice à la fois expiatoire e t a racheté du péché origine1 tous les hommes, fils comme lui du Piire éternel, sea frères en humanité, et leur a par là acquis le salut beatifique, la v i e éternelle dans le paradis céleste, Mais, 5 la diffhrence du grand mythe judéo-chrétien, le mythe du mort dans l'auto, par une régression plus archafque, se termine, s e couronne, par un retour patent du refoiilé. Le parricide originel, dans le mythe judéo-chrétien, ne peut qu'ctre inféré de par le talion du sang frappant le dieu-fils victime2; dans le mythe moderne, une 1 Duns le mythe, ce r&ve collectif des honimes, c'est, tout comme dans l'histoire d'mdipe, souvent irri Glu isol&qui, variant l'hypothèse freudienne dc la horde fraternclle, accomplit le parricide initial, prenant sur lui et la faute e t la gluire. Ce ~ e r a i t 18 l'origine de la conception du ü Gros m, ce hkos que rhantent tant de mythes. Voir Otto Bank, Der Mythus von der Geburt des Ilelden (Le mythe de la naissance du héros), Wien, Deuticke, 1908. 2 Freud, dans Totem st Tubou (lV, Lc rctour idaniile du tuternierne, 5) écrit : rcDana le mythe chrétien, le péché ûrigineI de l'homme e s t indiibilablement un pkché commis envers Dieu lc PEre. Si alors le Christ rachète les Iiomrncs de l'oppression du origincl par le sacriricc dt: ciü propre vie, ccci nous obiige tl condure que ce péché était un meurtre. D'après la loi du talion, qui a de si profandes racines dans lc sentiment humain, un meurtre ne peut etre expid que par le sacrifice d'une autre vie, le sacrifice de soi-même implique une dette de sang. Et quand ce sacrifice de sa propre vie amène réconciliation avec Dieu le Fkre, le crime expier ne peut être autre que le meurtre de ce père lui-même.» (Traduction personnelle.)


incarnation du père réapparait en Gn de mythe pour y Ctre frappée. L'Ennemi national n'est-il pas, pour I'inconscient, le père œdipien, ce primitif rival, ce premier cnnemi de tout garçon, mais projeté alors au delb des frontières ? Puisqu'est déjà expié le crime cedipien par la victime sacrifi6e dans l'auto symbolique, ce crime S C peut à prksent impunément accomplir : Hitler est donc tué et alors les fils mobilisés vont tous ensemble jouir en paix de la Patrie, cette M6re exaltée ! L'ordre temporel n'a pas besoin,' pour l'inconscient, d'être respecté, et lc crime peut fort hien, permis par lui, S U C C ~ ~au ~ Xchâtiment.

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Reste, d'après Hubert e t Mauss, retrouver dans notre mythe la sortie du sacrifice, le retour A l'état profane après l'état sacre sacrificiel destructeur. Qu'est-ce qui correspond, dans notre mythe, A l91te missa est qrri c18t Ie sacrifice chrCtien ? Je crois que ce doit être la de'rnobiZisation. Les moliilisés sortiront par là, après la mort de Hitler et la fin victorieuse de la guerre, de l'aura sacrée de la faute et du sacrifice, lequel les a vraiment rachetés et par là rendus à la vie normale. a .iy .a Je rapporterai à présent les quelques autres versions de notre mythe que je pus recueillir. Je mc mis a interroger autour de moi toutes les personnes que je rencontrais, au risque de paraître une maniaque du << mort dans I'riuta.>> J'allai aussi, à l'instigation de mon fils, visiter divexscs voyantes dans différents qliartiers de Paris et les fis parler. Le mytEic semblait avoir germé un peu partout de 1938 à 1940 et, sous diverses variantes, garder signification identique. Prc sque chaque fois l'authenticité dc l'anecdote était garantie, l'informant connaissait le plus souvent quelqu'un ayant connu celui ou celle R qui la chose serait personnellement arrivée. Les fantasmes de l'inconscient rCcIament créance. Je rapporterai toutes ces versions ~extucllement,telles qu7clIes me furent communiquées soit par &rit soit 8 0 dictée. ~ ~ Voici une version recueillie, en Novembre 1939, auprés d'une antiquaire du quartier d'Europe : 3. t< Eu rcvenant d'une promenade en auto, un jeune menage s'est trouvé en panne sur le bord de la route, pendant qu'il répare passe une femme p i entre en conversation avec eux e t leur prédit


MYTHES DE GUERRE

la mort prochaine de Hitler, comme elle leur prédit également qu'ils transporteront un mort dans leur voiture. Les automobilistes restent incrédules quant à cette prédiction. La voiture rkparee, ils continuent leur chemin. Presque arrivhs B destination, ils sont a d t é s par un voyageur qui leur demande une place. L'homme s'installe et l'auto continue son chemin. Quello n'est pas leur surprise, arrivés au terme du voyage, de constater le d6cès de leur compagnon de route. , .» On retrouve ici les divers figurants du sacrifice ; sacrifiant, sacrificatrice, victime, ainsi que I'aiito, il la fois fion lieu e t f ion instrument. L'entrée e t la sortie du sacrifice, représentées dans notre mythc dc gucrrc par la mobilisition e t la démobilisation ne sont cependant pas indiquées, mais doivent être implipu6es. Comment le jaune &poux ue serait-il pas, en France, en temps de guerre, mobilisable ? La femme accompagnatrice, elle, est expressément mentionnEe puisque c'est un cc jeune ménage >> qui voyage dans l'auto symbolique. Quant h la fin de Ia guerre elIe dérivera, sans avoir besoin da mention specialc, de la mort de Hitler. Autre version rapportée un peu plua tard par un jeune écrivain français. II l'aurait recueillie en Novembre 1938, avant la guerre, après Munich : 4. <c Un monsieur, du c8t6 dc Montauban, en Novembre 1938, s'en va en auto en week-end. Sur la routa il est arrêt8 par un homme B l'aspect de poète ou de vagabond. Il croit que c'est de l'auto-stop. Cet homme dit: - Hitler mourra le 8 Decembre 1933 (ail le 8 Mars 1939). 11 ajoute :. Je vais vous d o ~ e la x preuve que ce que j'ai dit est vrai : jc vais vous prédire un évbnement qui va arriver : tel endroit de Ia route de Blois, vous allez faire monter quelqu'un dans votre auto et celui-çi sera mort en arrivant B - Accident d'auto quelque part ; il y arrive directement. Un blessé se trouve 18. 11 faut vite l'emmener. A l'endroit prkdit, l'automobiliste se retourne : le blessé est mort.» Sacrifiant, sacrificateur e t victime bIcssée se retrouvent ici, Mais, en vertu de quelque campIexe particulier ii.mon informateur, tout s'y paase entre mâles ; la femme disparaît. Quant la mobilisation menaçante avant toute guerre, elle flotte dans l'air sans avoir besoin d'être soulignée, Encore une autre version rapport6e, en Novembre 1939, par une

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LE MYTHE DU CADAVRE nANS L'AUTO

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voyante du quartier d'Europe « d'après un de ses clients, un Russe, qui affirme connaftre la damc à laquelle c'est arrivé et qui lui conta la chose en Mars 1938, après le premier coup de Hitler, celui sur

l'Autriche.» 5. « Une damc, Suisse allemande, circule en auto avec son chauffeur ; elle va aller de Bâle à Zurich. ElIe déjeûne a Bile ; après dejeûner, une dame leur dit : Ne craignez jamais la guerre, car Hitler sera assassiné avant. Pour vous prouver que j'ai raison,. c'est aussi vrai que, en arrivant à Zurich, vous aurez une pasonne morte dans votre voiture. - En cours de routq, ils sont arretés par un accidenté qu'ils recueillent e t qui meurt avant qu'iis ne soient arrivés à Zurich.» Ici m2me conjuration de la guerre à éviter, puIsqu'eIle n'avait aIors pas encore éclaté. La victime est égaleljoent un blessé comme dans les versions 2 et 4. Le sacrificateur est de sexe féminin, variante en apparence notable, le sacrifiant aussi. Mais la propriétaire de l'auto est doublée de son chauffeur, sans doute, lui, mobilisable. Le lieu du sacrifice demeure l'auto syrnboli&e où le couple circule ; le payB n'est plus la France mais un pays en partie para-germanique, la Suisse, Or la Suisse, la Suisse allemande, après l'annexion de l'Autriche, se sentait menacée ; le national-socialisme tentait de s'infiltrer, elle &+ait d'être entralnéc dans le grand conflit qui allait éclater sur l'Europe. Le mythe conjurateur de l'angoisse y pouvait donc germer. Mais revenons ii des versions relatives A la guerre dejà éclatge. Une voyante du quartier Saint-Germain me rapporta, en Decernbre

1939, c e t t e autre version : 6. cc Une Bohémienne arrête un automobiliste sur la route : Votre pére a une congestion e t vous allez avoir un mort dans votre voiture. Aussi vrai que Hitler sera mort: dans trois mois.-La prBdiction sc réalise.» A noter, dans cette version pourtant assez succincte e t sans doute pleine d'omissions, cet élément fort intéressant : une grave maladie du père réel mise en rapport avec la mort de Hitler, le Pbre ennemi.

Le meurtre sacrificiel transparait davantage que dans les versions précédentes dans celles qui vont suivre. En Décembre 1939, j e pus recueillir les deux versions suivantes

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auprès d'un chauffeur parisien du quartier de la Muette, puie de ea femme. C'est celle-ci qui l'aurait apprise d'une personne soidisant connaissant le héros de l'histriirc. Version originale de la femme du chauffeur : 7. a U n monsieur, au cours de se0 randonnées en voiture, rea contre une femme qui lui demande une place dans sa voiture. Complaisamment le monsieur accepte. La converaation s'engage. La dame se propose A lui prhdirc l'avenir. Le monsieur s'y refuse, prétextant quo cela ne IfÎntéresec pas du tout. La voyageuse de r6pondre : Eh bien, en tous cas, ce que je puis vous dire, c'est que dans quelques jours voue aurez un homme avec vous e t cet homme doit mourir, e t s'il mcurt EIitlcr aussi mourra.- Le monsieur a mEme étk très ennuy6 par la mort de cet homme qui lui a cauné

bien des formalités.» Version déformée du chauffeur : 8. c Une dame a raconté qu'une cartomancienne l'avait prévenue qu'elle prendrait un monsieur dans sa voiture, qu'il lui arriverait un accident avec e t qu'elle le tuerait. Et eue l'avait aussi prévenue que Hitler mourrait dans l'année. La dame prit un monsieur dans son auto, ils eurent ua accident e t il fut tué.» On constate, détail plaisant, que, tandie que dans la version de la femme di1 chauffeur c'est un homme qui conduit, dans ccilc du chaufleur lui-même c'est une femme, e t qui cause un accident. Mépris des chauffeurs pour lcs conducteurs femmes ! Mais le intkressant de l'histoire gft ailleurs : dans la version du chauffeur, +

c'est la dame au tomobiIiste sacrifiante, devenue prêtresse sa crifica-

trice mieux que la distante cartomanciennc i qui tue elle-même son passager au moyen de son auto ; le destin seul ne reste pIua charge du meurtre. Et si l'automobiliste mâle de la version de la femme du chauffeur a a même €36 trks ennuyé par la mort de cet homme qui lui a causé bien des fûrmalit6s>),c'est sans doutc parce que lui aussi, par sa maIadressc de conducteur ou autrement, était responsable de cette mort. Hitler n'est TaiIleurs pas le seuI ennemi majeur dont la mort ait été prédite e.t garantie par Ic sacrifice d'lin homme, cn 1'espPlce par le cadavre dans l'auto. Voici un événement qui aurait eu lieu au printempe de 1939, au moment où les attaqucs dc la presse italienne contre la France battaient leur plein et où Alussolini

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n'était par suite pas trEs bien vu en France, surtout dans le Midi. J'en tiens Ic récit, qui me fut fait en Novembre 1939, d'une jeune femme du quartier d'Auteuil qui me dit Ic tenir elle-même d'une amie de Ia femme d'un médecin de la région du Var, laquelle bien entendu aurait connu la personne à qui la chose serait arrivec : 9.c U n automobiliste du Midi a une panne. Une Romanichelle qu'il rencontre lui predit qu'il aura un cadavre dans sa voiture avant d'arriver à Toulon, car ce monsieur avait é t é appelé de Nice à Toulon par quelqu'un de sa famille à Toulon, malade. La Romanichelle lui a prédit le cadavre près de Toulon, son retour brusque B TouIon auprès de quelqu'un de malade e t I'assassinat de Mussolini pour la fin avril.» Le malade de cette histoire rappelle le père qui a une congestion dans la version 6. La femme accompagnatrice manque ici à nouveau, comme dans la version 4 e t même dans d'autres où l'éI6ment féminin apparaissait changk Je place. Nous le verrons reparaitre en milieu majeur un peu plus loin.

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J'ai tenté de rechercher ce même thème du cadavre dans l'auto, prophétisant la fin des maux de la guerre, dans d'autres pays en armes encore que la France. De Gréce, où je passai quelques semaines pendant I'hiver de 1939-1940, je pus correspondre avc c des parents en Allemagne. J'appris alors que l'histoire du cadavre dans l'auto y etait aussi courante qu'en France, prophétisant le triomphe prochain de l'Allemagne sinon l'assassinat de Chamberlain ou de Daladier. On ne me communiqua alors pas de textes precis, mais une nièce de mon mari, mari& en Allemagne, m'écrivait ensuite, le 6 Octobre 1940, de Lindau, dans une lettre en anglais reçue trois mois plus tard : << Serait-ce peut-être de la propagande que de rCpandre ces histoires parmi le peuple ? D (Un diplomate allemand, A qui j'avais contk à Paris en 1940 1e mythe du cadavre dans l'auto, avait émis la même idée, tant la souveraineté de la « propagande n, de l'opinion populaire dirigée, dominait l'esprit allemand, au point de lui faire négliger la force et la légalité des réactions psychologiques spontanées de l'inconscient.) Ma nièce poursuivait : La rcssernblancc de ces histoires entrc clles e s t vraiment trop frappante à mes yeux !D Puis eue rapportait cette version :


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MYTHES DE GUERRE

10. a Il y a un homme condiiisant une a i ~ t oe t jl doit s'arrfiter pour une raison ou une autre (une panne ou un passage il niveau) et unc vieilIr: femme dit; Aussi sur que vous aurez un mort ce soir dans votre auto la guerre finira b telle e t telIe date (Juin ou Juillet). -Alrirs il çulitirrue e l Lieritôt se trouve en présence d'un accident d'auto et on lui demande de conduire un blessé à I'hôpitaI e t quand il y arrive I'hommâ est mort!» Et, citant avec un certain à pcu près le Roi des Aulnes de Goethe pour finir, ma niéce concluait : « Il atteignit le château 'avec peine et douleur, e t en arrivant l'enfant était mort. >> Ce rappel du Roi des Aulnes par ma nièce me suggère qu'en dehors de son symbolisme sexuel possible d6jA 6tudi6, la course en auto du cadavre pourrait bien symboliser la course A la mort comme dans 1e Roi des Aulnes ou la course $ l'abîme dans la Damnation de Faust. L'auto serait alors i'hquivalent moderne du cheval sur lequel chevairchc la Mort dans tant de repr6sentat.ion.s riii Moyen Agc (Ic père de l'enfant dans le poème de Goethe ne serait-il pas Iui-même le doulilct du Roi dcs Aulncs personnifiant la Mort e t son appel ?). Un véhicule - cheval, char ou barque - apparaît cn effet volontiers A l'iniaginatioli pupulaire comme nécessaire emporter, ô grand voyage ! les morts dans l'au-delà et c'est ainsi que la contemporaine auto en serait venue reprhentei., dans notre moderne mytlie, le cheval de la Mort ou la barque de Charon, barque d'aiïleure remplacée dans mainte ballade populaire de la Grèce moderne par un cheval sur lequel Charon charge les morts.. L o r ~de mon passage à Berlin sur la route de Paris A Athknes pour rejoindre la Grèce où la guerre italo-grecque avait &cIaté, mais que l'Allemagne n'avait pas encore attaquge, j e pus aussi recueillir, le 7 Février 1941, de la bouche d'un cousin de mon mari cette autre vcrsion germanique du mythe : Il. a Trois personnes dans un coupé. L'un dit : La guerre toiiche A sa fin.- Comment savez-vous ça ? -De même que je sais que 1 a Can it be perhaps propaganda tri sprcad ihesa storieri amongst the people ? The likenesses nre really too striking to my mind ! There is u man driving in a car and he hns t o stop for Borne reason (a panne or a Ievcl crossing) and an old womnn says : As sure as you'll have a dead man this evening in your car, the war wiii end at such and such date (June or July). Then he drives on and soon cornes across a motor accident, and he is tigked lo take aa iiijured man to honpital and when he gets there the man is dead ! Er erreicht den ITof mit Mühe und Not, und wie er da kam in seinen Armen das Kind war t o d t . ~


ce soir vous aurez un cadavre dans votre auto. Et ce monsieur-18 a tant e t tant dans sa poche. <c L'homme sort. E t trouve une auto. En route il trouve un blessé, qui meurt sur le chemin de l'hÔpital.>>l Le théme de l'argent deviné, que nous 6tudierons plus loin, s'intrique ici h celui du cadavre dans I'auto, Sacrifiant, sacrificateur, victime, lieu et instrument du sacrifice se retrouvent, mais la femme accompagnatrice disparaît, tout comme d'ailleurs dane Ja version germanique préciLdcntc,

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Je tentai de rechercher egalement nûtrc mythe en Angleterre. J'y écrivis à des amis : iIs nc purent d'abord Ie retrouver dans ce

pays, disaient-ils, trop sûr de soi. Cependant bientot une collègue psychanalyste a laquelle je m'étais adressée me faisait tenir la Icttre suivante, dat6e du 8 Mai 1940 e t signée de Mr. Charles Madge de Mass Observation, l'organisation qui recherche en ce pays les reactions populaires. Je traduis ici ce document : Chére Dr. Melitta Schmideberg, La question que vous soulevez est très intéressante parce que, j e le crois, les mobiles se trouvant a l'origine de ces histoires auraient bien besoin d'être psychanalysés. a D'abord l'histoire des Gitanes. Sous de3 formes variées cette histoire a circulé depuis au moins cinq ans. EUe surgit lors de la mort de George V, au moment de l'abdication d7Edouard VI11 et du couronnement de George VI. Elle semblait chaque fois impliquer le désir de la mort du chef d'Etat en question. On en parla diverses reprises dans la presse (par exemple dans 1' Evening Standard au Londoner's ûiary). On nous en fit souvent part à Mass Observation par lettre ou oralement. Avant Munich déjh l'histoire acquit un tour nouveau e t fut dès Iors appliquée à Hitler ; après le préIude ordinaire relatant la découverte d'un mort dans une auto vient la prophétie relative A Hitler, qui doit mourir A une certaine date. Cette histoire fut particulièrement en vogue en Septembre 1938, » On m'a aussi kcrit d'Angleterre, le 21 novembre 1942, que le 1 c i Drei Leute im Coup& Einer sagt: Der Krieg ist bereits zu Ende.Wie wisserl Sie dae ? - Ebeniigo wie ich weise, dass Sie heute abcnd eine Leiche irn Auto haben werden. Und der IIerr da h a t so und 80 vie1 in der Tasche. 9 Der Mann geht heraus. Und findet ein Auto. Auf dem Wege findet er einen Verw-undeten, der auf dem Wcge mm Spitai stirbt.3


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MYTI-IES DE GUERRE

mythe du cadavre dans I'au~o &tait tres rhpandu en Angleterre. l i a correspondante, unc jeune femme militarisée cmployée dans Ies transports de l'armee, ajoutait : a Moi aussi I'ai entendu conter, mais quand, rentrée ii l a maison, je le rapportai h la femme d'officier chez I a p e l l c j'habite, elie m'interrompit disant qu'clle aussi l'avait entendu conter auparavant dans le. Yorkshire dés Ie début de la guerre, en Essex dans u n e vilIe de garnison en 1940, et peu apreis dans le sud du pays de Galles. EIle ne pouvait se rappeler lcs sources e t les variantes exactes, mais le récit &ait invariablement accompagné des preuves les plus solennelles d'authenticité.»

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di

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Il ressort. de cette courte enquête que,

divers climats, des thèmes semblables surgissent spontanément de I'irnagination des peuples lorsque ceux-ci S C scntcnt menacés soit par une durc guerre étranghe, soie même autrement lors de la mort ou de la désertion de leurs chefs. Le mythe de desir du cadavre dans l'auto vient alors lier l'angoisse ambiante et permet d'espérer, donc de garder le courage de vivre et de lutter. Sans doute mythe semblable d'un mort trouv6 dana une voiture à chevaux ou une diIigence, moyens de transport de l'époque, diit circuler -en Angleterre et sur le continent du temps de Napoléon et servir à prophétiser la mort de 1' K ogrc de Corse n. Si point on ne le retrouvait dans les archives d'alors, cc serait probablement faute d'avoir ëté noté. J'ai même découvert parmi nous une version qui régresse de l'auto h la voiture A chevaux. La femme du même psychanalyste à qui j e devais Ia première version du mythe me rapporta A Saint-Tropez, le 9 Septembre 1940, l'histoire suivante qu'elle avait entendue 2 Paris, avant la gucrrc, en Mai 1939, peu après quc son mari eût entendu conter la version 1. Elle la tenait de sa modiste, établie avenue Victor ErrirriariueI : 12. << Eu Suisse, un beau matin, un bûcheron s'en va à son travail dans 1;i forct. Sur son chemin il rencontre unc bonne fcmme, une Bohémienne. Ils entrent en conversation et le bonhornrne commence à lui dire qu'il est 'très embêtg, il ne sait pas cc qu'il doit faire, s'il doit acheter des tcrres, car il craint la guerre. La bonne femmc : Vous pouvez êtrc certain qu'il n'y aura pas de guerre, car Hitler sera mort dans deux mois.-Elle est aussi sûre de la chose que de SOUS


ceci qu'il aura le soir niCrnc un mort dans sa carriole. Dans I'a~rèsmidi, des chasseurs qui chassaient e n foret viennent le trouver, disant : Nous voyons que vous avez unc carriole ; pourriez-vous transporter cet hotnine, qui a dté llcss4 pendant la chasse, jusqu'au village ?- On met le bonhomme sur la carriole, le bûcheron s'assied devant, il le conduit jusqu'au village ; en arrivant et se retournant il s'aperçoit que le bonhomme e s t mort dans la carrioIe.»l J'ai pu trouver un peu plus tard une version du même thème sacrificiel assez divergente. Un jcune homme de nos amis, replié de I'ecole des Roches en Normandie A Saint-Tropez dans le Var, m'y rapportait en ét6 la version suivante recueilfie en Normandie dès aprks la Pentecôte 1940 : 13. c< Un professeur de math6rnatiquca arriva A de grandes precisions par ses calculs. 11 avait annoncé $ un jour près I'invasion de la Norvège e t celle de la Hollande, Ensuite, pour s'amuser, il prédit à sou concierge qu'il lui arriverait un accident A une date donnée. Après il ajoute : A partir d'aujourd'hui Hitler n'en a plus quo pour six semaines.-L'accident arrive au concierge : il est renversé par une aiito.>> Ici l'auto, lieu du sacrifice, en devient l'instrument actif. La victime est évidemment le concierge, banal reprksentant de tous les Français a sauver. Quant au sacrificateur, il revêt ici Ies traits, modernement mathématishs, de l'antique devin aux redoutables savoira et pouvoirs hermétiques. 1 AU Cap, le 31) UCcernlrre 1943, K. Greshoff me communiquait la version sriivanto du mythe, où la voiture B cbcvaux n'est pas encore remplacie par l'auto. Elle date évidernmp.nt de la guerre 1914-1918. 1 2 his. rt Etr repastilint par Paris, 1c Permissionnaire entendit raconter l'histoire d'une dame qui sait quand la gucrre doit finir. a Cttte darne se rendnit dernièrement au Sacré C e u r , A Montmartre. Lc fiacre qui la conduisait nvançait cnliin-caha, car ln montée est rude. u Une pauvresse suivait péniblerncnt le mêtne chemin. La darne lui offre charitablement une place dans sa voiture. La vieille accepte et la conversation s'engage. cc Le sujet, tout Ic monde le devine. u - Rassurez vous, ma petite danic, Iii guerre sera finie au mois de. t< - En ., vous plaisantez ? - La guerre sera finie en . . . aussi vrai que le cnchisr qui nous conduit sera mort dans une Iicurc. ac Ellcn arrivent, se séparcnt e t chacune vu faire ses dévotions. En sortant, la damc aperçoit sa voiture, le siège était vide, u Elle cherche son coclier : un venait, lui dit-on, de le transporter dan0 une pharmacie voisine, mort d'une congestion. c< Voilii un conte à dormir debout; lc pIus extraordinaire c'cet que, parait-il, il est vEridique.» (Guillaume AIioilinaire, Anerdoriques, I'aris, Librairie Mon, 1926. Pogea 214-2 15.)

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J'ai réserve pour Ia fin Ia plus instructive, peut-etre, des variantes que j'aie pu noter en France. En Décembre 1939, une voyante, cette fois du quartier de la Muette, me communiquait la version suivante qu'elle disait tenir de deux jeunes filles ses clientes dont Je p&re avait une grande fabrique di: fromages en Normandie. Elle y croyait dur comme fer. 14. cc Un monsieur reste en panne sur la route de Paris-Soissons. Alors qu'il examinc son moteur, une autre auto passe e t s'arrkte. Un des occupants en descend et vient lui demander s'il peut l'aider. L'homme pensant réparer Iiii-rn6me sa voiture le rcmercic, mais ayant remarque que son interlocuteur avait un accent, lui demande sa natinnalitE. << Je suis Allemand. cc A ce momcrrt la coüversation s'engage sur les évhnements. cc Comment cela va-t-il ? demande le Français. a Nous n'en avons plus pour longtemps, r6pond l'autie. <c Vraiment ? Et Hitler ? c Hitler ? Hitler sera mort d'ici peu et ceci est aussi vrai que tout à l'heure vous allez repartir avcc votre voiture, qu'on vous arrêtera à un passage à niveau pour que vous emrncnicz une femme accidentée h l'hGpita2 le plus proche et que cette femme mour a pendant le trajet. a La prddiction de 17Allemand s'est réalisée point par point.» Ainsi, dans cette version, sacrifiant e t sacrificateur sont présents, mais de nationalités ennemies, dont: mobilisables tous deux de ~ 8 t hdiEérents de la frontière. La variante Ia plus saillante est cependant à nouvcnu la disparition de ln fcinme en tant qu'accompagnatrice, mais ici elle reparaît en lieu majeur sous les espèces de Ia victime. La victinie ~ i ' c s t eii effet plus un mobilisé, plus un homme, mais une femme, celle-ci B vrai dirc aussi blessée. Certes, daris nos guerres contcmporaincs, lcs femmes aussi sont susceptibles d'être victimes deb bombardements aériens ou des torpillages ! La bIesçurc cie la fcriime de c e t t e version quatorzième peut par là rappeler la hlessurc du passager de Ir version deuxième, aussi ramassé sur la route, qui lui-même évoquait par sa lIessure le mobilist5 de la version première. Il n'en reste pas moins que la victime du sacrifice expiatoire e t propitiatoire est c e t t e fois fkrnininc, et nc eaurait par suite represcnter le fils expiateur du crime

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Mais en rapprochant l'une de l'autre les deux grandes divergences de cette variante, peut-être s'éclairent-elles réciproquement. Si Ia fcmme accompagnatrice est absente, c'est peut-Gtre justement parce qu'elle fusionne ici avec Ia femme victime. L'automobiliste, fils coupable du crime mdipien, apparait implicitement sommd de restituer au Destin-père l'objet de convoitise pour lequel i1 a tué : la femme. Ce nkst peut-être pas en vain qu'une troisihme divergence fait ici du devin rencontré, prêtre e t incarnation, tout comme la femme e t le Romanichel auparavant, de la divinité, un compatriote de Hitler, Père ennemi. C'est 2 celui-ci qu'il faut implicitement restituer le butin du crime ; ce rifcst qu'après cctte restitution castigatrice pue Ie crime desiré pourra s'accomplir : la révolution œdipienne éclatera, les fils conjurés tueront le père-dictateur, le Français et l'Allemand, frères indiiment ennemis, se réconcilieront (l'Allemand rencontré sur la route pourrait d'ailleurs être un refugié chassé d'Allemagne par la terreur nationah-socialiste, constituant ainsi e n sa personne un compromis franco-allemand), la paix renaEtra eteles citoyens démobilisés jouiront de nouveau dc la Rlère sous la forme pure e t exaltEe de la Patrie libérée, On songe ici à Iphigénie sacrifiée pour obtenir des dicux le vent favorable aux vaisseaux, à la filie de JephtE offerte en action da grâces, A toutes les victimes féminines immolées sur Ics autels ou réels ou mythiques. Ainsi les dieux exigent parfois le sacrifice des enfants des hommes, et Iahveh demandant à Abraham son fils n'est que l'un des émules du dieu taureau Baal-MoIoch. Or, dans ces derniers cas, si la sourde rivalité œdipienne pouvait jouer e t aider à decider le p h au sacrifice de ce que par ailIaurs il chéris~ait,un élément du sacrifice apparait cependant au premier plan : la divinité demande B l'homme de lui donner ce qu'il possède de plus cher. << Prends Isaac, ton fiIs unique, que tu aimes !» cornmande Ie Seigneur. C'est la grandeur du sacrifice consenti qui garantit alors celle de 13 faveur accordée par Ies dieux en Echange. Cette sorte de sacrifice gagne, si l'on peut dire, Ics antipocIes psychiques des diverses versions rapportées jusp'ici du mythe du mort dans l'auto. Là, des étrangers seuls mouraient comme à Aulis sur l'autel d'hrtkmis, des êtres avec lesquels le sacrifiant, en c e cas l'automobiliste, n'avait pas dc Iiens affectifs réels. Sans doute, préhistoriqucmcnt, après le meurtre primitif du Père, Ie forfait


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renouvelé avait-il Gté accompli hientut sur dcs étrangers, des prisonniers de guerre, comme plus tard chez les Aztèques en projection du Père primitif sur l'Ennemi. Le sadisme humain trouvait par là 5 se satisfaire avec le minimum d'entraves, d'ambivalence. Cependant, avec l'intériorisation progressive de la morale, le retournement de l'agression sur soi dut pcii à peu s'accomplir et les dieux alors de plus en plus exigèrent que l'objet sacrifié fût luimême cher au sacrifiant, conférant par 18 au sacrifice toute sa vertu efficace. Avec l'intériorisation progressive de l'agression, le sacrifice offert aux dieux en peut 'même venir au siiicido rituel, dont Frazer rapporte tant d'exemples ; un reflet de ces pratiques peut ae retrouver dans l'offre de sa vie Dieu, pour sauver le monde de la guerre, faite par le pape Pie XI peu avant sa mort ou dans la prediction de Thérése Neumann, la voyante ailemande, prédisant

que Hitler mourrait trois mois après elle-même. D'inspiration analogue apparaissait une prediction, rapport& par ma nÎèce mari6e en Allemagne, dans sa lettre du 6 Octobre 1940 de Lindau. Une vieille femme de Stuttgart aurait prophétisé sa propre' mort en juin, quarante jours plus tard l'incendie de Londres, puis quarante jours après la paix.l J'ai pu aussi, par l'entremise! dc Paris-Soir, qui voulut hien insérer une annonce demandant qu'on lui communiquât des prophéties relatives à Ia fin de la guerre, recucilIir, non pas des Cf Janies George Frazer, The GoIderi Rriugh, Le rumcau d'or, Editiori abrégéc, Nouvelle traduction par Lady Frazer, Paris, I'iiul Geuihner, 1923, Chapitre XXIV. Lu m i s e à mort du roi divin, paragraphe 3 : a Cette province » (de Quilacare, dans l'Inde rncridionak) était a gouvernée par un roi qui, d'ur~juliilc $ l'autre, n'a pas plus de douze années à vivre. . . . A l'expiration des douze ans, unc foule innombrable se réunit, le jour de cette fête, et on dépense beaucoup d'argent pour le repas des Brahmancs. Le roi fait faire une estrade en bois, que l'on recouvre de tentures de soie ; puis, il va se baigner dans un réservoir, en grande cérémonie et au son de la musique ; après quoi il va vers I'idole et lui ndrcsse des prières, monte sur le pluncher, et, devnnt toute l'assistance, prend des couteaux très tranchants e t se nict 1 se couper le nez, les oreilles, les Ièvres, les membres et autant de chair qu'il peut ; i1 lance nu loin tous ces lambeaux de son corps, jusqs'à ce qu'il ait ~ i e r d i iiinei tclle quantité de sang qu'il commence g e'évariouir ; il dc coupe aIoril 13 gorge. 1.e roi de Calicut, sur la c6te de IlaIsbar, porte le titre de Samorin nu Samory. , . A i l t . r e f i ~ i ~le, S ~ m o r i ndevait se couper 1ü gorge cn public ail bout des rlouze nnnCcs de règni?. . .n Ces coutumes barbarce semblaient avoir pour but d'assurer, pur le suicide rituel périodique du roi, la ~irospéritédu royaume. I<videmment, parmi nous, dc scmblablcs sncrificcs offerts au cicl présentent un ~rirüci2re~rlointi sanglant e t repoussant ! Ni Thérése Neuniann ni lc pape ni la vieille femme de Stuttgart ri'üuraient sungE à éclabousser le pcuple assemble de leur sang, mai8 I'intentiori liropitiatoire

...

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est analogue.


versions nouvelles du mythe du cadavre dans l'auto, mais, parmi d'autrcs mythes que je citerai plus Ioin, le c dicton D suivant : 15, Je puis vous conter un dicton qui court actueIlement dans la Corrèze et q u i s'exprime en ces termes : Pendant le siège de Parie en 1870, un évêque dc Tulle est mort trois moia avant I'armistice, en 1918 un autre éveque de Tulle est mort environ trois moia avant l'armistice, e t vous pouvez savoir facilement qu'un autre évêque de Tulle, toujours, est mort il y a environ une quarantaine de jours. Vous pouvez donc en déduire que la guerre actuelle finira d'ici un mois e t demi ou deux mois. J'ignore si la mort. de8 deux premiers dvéques citke ci-dessus est exacte, trois mois avant l'armistice ; h vous de vous renseigner. Signé : Lavergne Léopold> cc Caporal aux armées. << 9 Décembre 1 9 3 9 . ~

Peu importe la réalit6 mat6rielIe des trois mois. La réalité psychique est ici cc qui nous intéresse : Tulle, dans son orgueil local, s'est attribue, parmi toutes les villes de France, l'insigne honneur d'être l'autel où accomplit le sacrifice humain, propitiatoire et expiatoire A la fois, qui chaque fois rachétc la France en danger. Et les pieux évêques, s'ils avaient été consuItes, eussent certes volontiers, tel le pape Pie XI ou la voyante alIernande, offert. leur vie B Dieu en sacrificc,volontaire pour sauver Ia Patrie. Le Christ sacrifié par son père mais consentant lui-même h sa passion reste le modèle de tous ces croyants. Et le sacrifice de soi peut, ee maintenant au niveau de la v i e conservke, commander tous Ies-ascktismes, tous les renoncements c que l'on offre à Dieu n. &lais ils restent pour les croyants l'objet d'un marché, et d'un marché avantageux aux hommes, puisqu'en échange de leurs passaghea tribulations terrestres Dieu leur accordera 1'6terneüe bdatitude du ciel- Ce calcul est aussi B la base du pari de Pascal. Ainsi le sacrifice a dû passer par d'innombrables stades dont la plupart survivent dans notre inco-iscicnt et les fantasmes qui en gmanent. C'est pourquoi l'on peut penser qu'en recueillant un plus grand nombre encore de versions des mythes prophétisant la mort de Hitler ou la fin da la guerre on y décderait, grâce A des régressions eclielonnées, la reviviscegce des stades divers par lesquels a passé


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la pratique universelle du sacrifice offert par les hommes afin de le8 rendre propices, O

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aux

dieux

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Au printemps de 1941, j e me trouvais en Grkce e t pus recueillir trois prophéties relatives A la mort récente de Metaxas, le dictateur grec. Une dame du Pirée me fit, le 2 Avril, le récit suivant : 16.

Un vieil employé de

la Banque popuIaire aurait prédit, l'hiver passd, qi~t?le 28 Février un dcs grands hommes de notre Bpoque, dont le nom commençait par un RI, allait moiirir. On croyait que ce scrait Mussolini ; ce fut R1etaxas.n (Crlui-ci moiIrlit <î

d'ailleurs le 213 Janvier.) Le ~ G m efonctionnaire prophète aurait aussi prédit que hfussoIini e t Hitler seront pendus. Et, en garantie dc la véracité de ses prédictions, on ajoutait qu'il aurait de mdme an1~uuc6la date exacte de Ia prise, par Ies troupes grecques d'Albanie, de Koritza e t d'Argyrocastra

Ainsi Ies réelles victoires grecques d'alors apparaissaient garantes de la mort de quelques dictateurs. blussolini eût dû le premier mourir ; Metaxas mourait à sa placc e t l'on peut se demander si la mort du dictateur national nc devenait pas alors ii son tour comme le garant sacrificiel de la mort des dictateu~sennemis ? Bien malgré lui, Metaxas eût alors joué un peu Ic rôle de Pie XI offrant sa vie R nie11 pour ramener à l'humanité souffrante la paix, conséquence de la pendaison des deux dictateurs ennemis. D u m6me type, mais plua accentu6 est la prophétie suivante qiie rnc rapportait mon fils vers la même époque : 17. c Uric tzigane aurait prédit sa propre mort pour une certaine date, la mort de Metaxas à une autrc date, et annoncé qu'ensuite, à une date ultericure, blussolini mourrait.» La troisième prophetic, également rapportec aprks coup, par la. même dame du Pirée le 2 Avril, était la suivante : 18. << Ori aiirait donné à iine petite filIe malade uiie tasse de lait. Elle aurait dit : Je veux bien hoirc ma tasse de lait, mais je vais mourir e t Metaxas mourra aussi le mcrnc jour. Elle a bu s r i tasse de lait, puis est morte, e t deux ou trais heures après on a appris la mort de filetaxas.» Une autre inrorrnatricc, d9Athèncs cctte fois, ajoutait que la petite rriourante aurait prtdit des defaites grccque8, suivies de la paix.

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Si Metaxas, dans la prédiction précédente, jouait le rôle du pape Pie XI offrant sa vie à Dieu pour ramener la paix, voici une petite Thérèse Neumann grecque dont la mort apparaît également conjointe à celle d'un dictateur. Mais nous avons ici une variante assez rare du mythe sacrificiel : la variante défaitiste. L'agression, au lieu de frapper le chef, le peupIe ennemi, frappe, par un retournement contre soi-même, et le chef et le peuple nationaux : Metaxas meurt et c'est la defaite qui amène Ia paix. Peut-être faut-il voir là p e l q u c signc de fatigue chez un héroïque petit peuple en armes contre un grand ernpirc depuis cinq longs mois et qui attendait d'un jour a l'autre l'attaque d'un second grand empire ? Le désir formateur du mythe scrait alors simplement le désir de paix, celui même qui fait soupirer de satisfaction les peuples e t Ies armées lorsque, même par la &faite, arrive la paix, Les deux mêmes informatrices me rapportaient à Ia même date cette autre prophétie : 19. i c Un berger a predit qu'A Pâques il y aurait la paix : il l'a vu dans les os d'un agneau. Il a dit : J'ai douze cents c&vres que je sacrifierai si je perds mon pari.» Voici une version toute parfuméc d'un aromc antique ! Les bergers grccs, de nos jours cncore, lisent volontiers l'avenir, comme leurs ancêtres, sur l'omoplate des agneaux. Mais de plus le sacrifice animal, comme souvent autrefois, se substitue ici au sacriGce humain. Le berger cependant, au lieu dc sacrifier ses chèvres s'il obtient la paix qu'il désire, les sacrifiera s'il ne l'obtient paa. Retournement moderne, peut-être, du sacrifice antique, sous l'influence du pari aux courses où l'on paie si l'on perd'? Peut-être d'ailleurs ce retauruement était-il 1c fait de mes citadines informa trices, entre les dcux résidences desquelles s'étend, au Nord-Ouest de la grande route allant d'Athènes h la mer, le champ de courses du Phalère ? Jc recucilIais encore un peu plus tard, le 21 Mai, à Alexandrie, auprès de la femme d'un diplomate évacué d'Athkncs, la version suivante qui lui aurait été communiquée, entre le 18 e t le 28 janvier, date dc la mort Je fiictaxas, par une dame d'Athénes, qui prétcndait connaître le boulanger en qixestion : 20. << Un houlangçr d'Athènes qui a son fils au front d'Albanie rêve p u e son fils sera tué le 18 janvier e t qiie Mussolini mourra Ie 4

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28. Son fils meurt, il attend la mort de &Iussolirii,niais c'cst Metaxas

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qui meurt le 28.» Cette version tient de la version 16 où Mussolini devrait mourir et où c'est Metaxas qui meurt à sa place, mais aussi de la vcroion 18 o h la mort d'un innocent garantit non pas celle du dictateur ennemi mais celle du chef national. Jc doute d'ailleurs qire cette histoire eiit été contée à mon informatrice avec l'affirmation de cette date avant le 28 janvier : il doit y avoir la erreur d'optique rétroactive.

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O

Plus tard, après la défaite et l'évacuation de la Grèce, je pouvais encore rccucil!ir las mythes suivant, de même type, a e t t o fois en

Afrique du Sud : 21.t~Quelqu'un va da Durban A Pictcrmnritzburg ; elle rencontre une Dohemienne : Avant Ia tombée de la nuit vous aurez un cadavre dans votre voiture. - Elle rencontre un lioralrie: qui a eu un accident. Elle le ramasse, Il meurt avant d'arriver 3 l'hôpital.)) La prediction de la fin de la guerre ici manque, mais c l k avait du sûrement avoir lieu. 22. c< Un officier aviateur, descendu h Durban A 17HôteI Caister, a reçu une lettre de sa sœur, qui habite le Sussex, disant que-des Bohémiens avaient demandé à queIqu'un la permission de camper dans iin champ. LFpropriétaire du champ aurait répondu: Oui, vous pouvcz camper dans ce champ-ci ! - Mais un des Bohemiens aurait réplique : Non, pas dans ce champ-ci, car un grand désastre y aura lieu !- Deux joiirs, ou vingt-quatre 'i~uresplus tard, un bombardier s'y écrasait ! LGjour suivant le proprietaire du champ alla trouver le Bohémien qui avait prédit lc desastre c t lui demanda : Comment pouviez-vous le savoir ? - A quoi le Bohernicn rgpliqua : J e puis aussi vous clire quo la guerre sera finie en Octobre prochain, mais vous nc serez pas 12 pour le voir. Trois jvurs plus tard le vicux monsieur mourait d'un arrêt [tu cmur.» (Ces deux variantes d'aprks la fcrnme du maire de Durban, lc 14 Septembre 1341. L'Evériemcnt aurait eu lieu trois mois plus t8t.) Le sacxifice humain, dans cette version, apparaît doublement figurd : par le lombardiclr qui s'ecrasc, par le vieux monsieur qui mcurt. L'auto reste absente, niais l'avion cn est un substitut.

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Une variante 2 peine différente du même mythe m'était communiquée, en Septembre 1941 également, par une lettre d'Angleterra reque à Durban : 2 3 . Des ~ Bohkmiens demandent à un fermier la permission de passcr la nuit dans l'un de scs champs. II y consent, mais stipule qu'ils devront camper dans un certain champ. Lc lendemain matin il découvre qu'ils ont passe la nuit dans le champ qu'il leur avait interdit. Ils expliquent que des bombes vont tombex dans Ie champ qu'il Ieur avait indiqué, c'est pourquoi ils ont passé la nuit dans l'autre. La nuit suivante, les bombes tombent, comme il avait été prérlit. Le fermier, profondément impressionné, demande aux Bohémiens de lui dire quand la guerre finira. Ils disent que ce sera trois mois après la mort du fermier.» (D'après une collègue psychanalyste de Londres, qui ajoute : << L'ami à qui je dois cette histoire me dit qu'elfe circulait en Angleterre depuis Juin 1 9 4 1 . ~ ) Le sacrifice humain reste ici l'offrande garantissant la fin des maux de la guerre. Mais, comme dans la variante 22 précédente, le cadre du sacrificc humain, celui 06 il s'accompIit ou bien est predit, apparait modifié sous l'iniluence du danger majeur couru par l'Angleterre : lcs bombardements aéricns massifs. C'est à Ieur propos qu'une prediction faste mineure d'abord s'accomplit : Ta préservation de la vie des campeurs, suivi commc i1 convient par Ia prophétie fastc majeure de la fin dcs maux de Ia guerre, mais toujours sous la condition du sacrifice préalable d'une vie humaine ail destin.

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PY

Toujours en Afrique du Sud, j'apprenais, au début de I'année 1942, qu'une version du mythe du cadavre dans l'auto avait coure, relative à un automobiliste circulant entre Johannesburg et Pretoria. Ce bruit me revint de plusieurs c8tks, mais aucun texte pr4cis ne put m'être fourni. Par ailleurs, le 26 Juillet 1942, Sir Herbert Stanley, jusqu'à la fin de 1941 gouverneur de la Rhodésie du Sud, à qui j'avais donné & lire un tiragc à part dc 1'Arnericun Imago oir avait paru une première esquisse dc mon chapitre sur le « Mythe du cadavre dans l'auto)), m'écrivait une Iettrc dont j'extrais le passage suivant : 24. « Juçqu'à cc que j e l'ai lue, j e n'avais aucune id& que cette histoirc - dont unc version m'avait été contée voici un ou deux ans comme venant d'avoir lieu en Rhod6sie du Sud - était lin


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mythe largement répandu. Je n'en avais jamais entendu parler avant un jour -je ne me souviens pas si c'était en 1941 ou 1940 - o ù quelqu'un (dont j e ne puis à présent me rappeler l'identite) me dit que Ie matin precédent deux dames se rendaient en auto à Salisbury d'une ferme près de Marandelias (un endroit se trouvant A pas tout à fait 50 milles de Salisbury sur la route d'Umtali) et qu'eues avaient rencontré un Européen vieux, mal m i s et sale cheminent sur la route. Eiles s'arrêtèrent e t lui offrirent une place, 11 accepta e t dans la banlieue de Salisbury il demanda à descendre. Il offrit de payer e t comme on refusait, il dit : Rh bien, j e vais vous donner de bonnes nouvelles. D'ici douze mois IIitIer scra mort. - Elles parurcnt incrédules, et alors il ajouta : Jo vous dirai quelque chose de pIus. Avant la fin de ce jour, il y aura un mort dans votre auto. - Sur ce iIs sc séparkrent, Lea dames firent leiirs courses, déjefinèrent au Grand 11Ôte1, c t prirent le chemin du retour. A quelpues milles de Salisbury elles recentrèrent une auto accidentée e t on leur demanda de ramener un blesse à l'hôpital de Salisbury. C'est ce qu'elIes firent, et en arrivant b l'hôpital elIcs s'aperçurent que l'homme etait rnort. (Elles l'avaient mis sur Ic siège d'arricre de l'auto ; clles étaient toutes deux assises devant.) << Mon informateur m'assura que c'était là iinc histoire vraie e t qu'il connaissait les darnes en question. Je ne m'informai pas de

Ieurs noms.»l 1 c Until I rcad it, I hüd no idea thnt this story-of w l i c h a version had bcen toJd tci me a year or two ago as having just occurrcd in Southcrri Rhodesiu-was a wideIy sprend mytli+I liad never hcard of it until onc day-1 forgct whether it was in 1941 or 1940-somebody (wbosc identity 1 crinriot at the morncnt recall) told me that on the previous morning two ladics wcre motoring into Salisbury from a farm nenr Marandcllns (a place not quite 50 miles from Snlisbiiry on the TJmtali road), and that on ihcir way they Lad passed an old, éihabby and grubby-looking European man, tmdging elong. They stopped and offered h h n lift. He accepted and asked tu Le put diiwii on the outskitts of Salisbury. IIe offcrcd payrnent, and when that waa refused, he said : Well then, I will give you some good news. Within twelve montha from now IIitler will be dead.- They lookcd increddoug, and he then added : 1 will teii you something more. Before this day is over, there will be a deüd rIiari iri yvur car. -Upon that tbcy parted. The ladics did their elicrpping, luncbed, a t the Grand Hotel and started back on their home-ward drive. A few miles out of Salisbury they came upon a wrecked car and were asked to take an injured man bnck into Salisbury t o the Hospital. This they did, and when iliey arrived at the hospital, they found that t,hs man had died, (Tbçy had put him in the back scat of the car ; they hoth were

sitting in front.) cc My informant assured me that this wns a truc stoty, nnd ihat lie knew the ladies. 1 did not inquire as to their mmm.#


LE MYTHEDU CADAVI-~EDANS L'AUTO

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25. LC 14 Septembre de la même année 1942, un jour où je déjeûnais chez Waldorff, un grand restaurant du Cap, la patronne du lieri, sachant que je m'intéressais aux predictions de guerre, m'a mena un monsieur sud-africain à qui, disait-elle, était arrivée en personne une étrange aventure : << J'étaisn, me dit-il, <c avec mon fils. Je fis monter dans mon auto trois marins pour les mener aux docks. En arrivant l'un des marins se rçtourna e t me dit : Pardon, monsieur, mais vous aurez un cadavre dans votre auto avant d'être rentrés ensemble. -Et ensuite : La guerre sera finie en novemhrc, - Je recueillis un homme en route et il mourut A l'hôpital. C'était il y a deux moia.»l Le témoin semblait assez blagueur, ce qui ôte bien de la valeur son témoignage, le seul en apparence direct que j'aie pu recueillir ! Je ne pus jamais joindre Bon fils. Encore en Afrique du Sud, comme nous avions A dfner, le 7 Mars 1943, deux garçons de la Royal Air Force arrivés récemment avec un convoi au Cap, l'un d'eux me rapporta la version suivante : 26. « C'était en 1939, six mois avant la guerre, Un voyageur @'en allait le long de la route en Angleterre. 11 s'arrête pour prendre une Bohémienne dans son auto e t avant de redescendre elle remercie l'autûmobiliste de son amabilité et lui dit qu'en paiement de celle-ci elle voudrait lui prédire l'avenir. EUe poursuit en lui disant trois chosea : 1°, avant d'arriver A sa destination il verrait un immense incendie ; 2' il aurait un cadavre dans son automavantla tombée de la nuit ; 3' IFitler serait mort avant douze moia. u Il prcnd le chemin du retour e t bientôt aperçoit un immense incendie. 11 poursuit sa route e t tombe sur un grave accident d'auto. La police rkquisitionne sa voiture B titre d'ambulance. Et il embarque un blessé de l'accident lequel meurt avant d'arriver

l'hôpital. a HitIer à present devrait mourir dans les douze mois. blais ne l'a pas fait.))"

il

--

1 was with my son. 1 took three saiiors in m y car down to the docks. When and said : Excuac me, sir, you will have a dead body in your car before you go home togcther. -And then : The war will bc over by November. -1picked up a man on the road and he died a t the hospital. It wali ~ W O months ago.8 r2 <(: It was in 1939, six months before the war. A traveller was travelling along the road in England. IIe stops t o give a gipsy a Y i and before the gipsy leaves him she ihanks the driver for hi6 kindness and says that in repayment of hia kindneas she lu

we came round one turned round


40 a J'ai

MYTHES DE GUERRE

entendu m, ajoutait mon informateur, rapportée de quatorze sources différentes,>>

a cette

histoire

On vvit que le mythe du cadavre dans l'auto dtait courant en Angleterre, comme des informatrices prkckdentes me l'avaient dbjii indiqué en termes gkndraux. L'intkrêt de cette version 26 réside dans la prédiction d'un « immense incendie». On peut y voir le reflet du bQcher sur lequel les victimes des sacrifices sont souvent rituclicment consumées, leur fumée envoyée en holocauste au ciel, Enfin, en Afrique du Sud également, j'avais reçu, de mon collègue Hauns Sache, une lettre de Doston datee du 8 Avril 1942. ElIe contenait le passage suivant que jc tradnifi littéralement : 27.a Lundi deinier, l'une de mes anaIys6es, la Doctoresse R. B., me disait que lors d'une excursion de week-end, elle était entr6e en conversation avec le conducteur du train. 11 lui avait dit que la guexre serait terminée en JuiIlet. Un de ses amis, un automobiliste, avait rencontré un individu qui I'avait dit et, voyant l'automobiliste rester sceptique, il avait ajouté qu'il le savait parce qu'il était le 7ms fils d'un 7me Sis, lui-même fils d'un 7me fils, et, comme preuve de sa connaissance de l'avenir, il y aurait un homme blond de mort dans l'auto de l'automobiliste ce jour même, L'automobiliste ramassa sur la route un blond qui fait de l'auto-stop ; il se trouve pris dans un embouteillage et ne fait pas attention A son passagex pendant un moment. Quand il le regarde ii nouveau, il le trouve mort,)) La même lettre contenait l'extrait de journal suivant, que je trndi~isde même 1itt.kralement :

28. « La rumeur d'aujourd'hui. c< Celle relative à la diseuse de bonne aventure commença h circuler au printemps passe. a Ce bruit vient de Sudbury. a Un homme que tout le monde connait circulait en auto le long d'une route ; une femme lkrrete et lui demande de l'emmener. wouId like t o disclose the Iuture to bi~n.She tberi goes on tri tcll hirn tliree things : 1. before he reaches hie destination he would see a huge fire ; 2. he wuuld have a corpse in his car befvre nightfall; 3. Hitler would be dead before twelve months. a IIe goes home and he soon sees a hugc firc. Ile goes furtlier aiid cornes across a very bad car accident. The police commandccr his car as an ambulance. And he takes an injured man from the crash, who dies on his wliy to Iiospilal. a Now IIitler oiight to die is tweIvc pio~ths, Dur he did r i o t . ~


Elle déclare être une diseuse de bonne aventurc e t elie offre de la lui dire. Il répond que ça ne l'intéresse pas, elIe réplique qu'elle lui dira v a n d même queIque chose. Elle dit que six scmaincs apres le jour où il aura transporté un cadavre dans sa voiture Ia guerre finira,

« E h bien, croyez-le si vous vouiez, quelques jours plus taxd l'automobiliste arrive sur le lieu d'un accident d'auto et un agent de police lui demande de conduire un jeune blessé à i'hhpital. Et, vous l'avez deviné, e n arrivant A l'hhpital le jeune blessé &taitmort. Ce bruit commença A circuIer au printemps passé e t maintenant ~ r o v i e n t de fait de n'importe quelle région que vous pourriez n0mmcr.n (Boston Globe du Mardi, 24 Février 1942.)1 L'intErêt de c e t t e dernière version américaine ironique consiste en san caractère critique. Le thkme du cadavre dans l'auto y est reconnu comme étant mythique. Un mécanisme anaIogue A celui qui fait penscr un dormeur : Ce n'est qu'un rêve ! voile ici Ic sérieux profond, Ia grave réalité psychique du thème sacrificiel

Enfin, pour finir, cette version du théme sacrificiel où la victime humaine est franchement remplacée par la victime animale : 29. << Récemment, un de mes amis ayant une propriété en Sologne me rapportait Ie fait suivant : Sa vieille servante lui dit de bon matin : a - Ne laissez pas sortir votre chien de chass3, sans cela il sera

mordu, à midi, par une Mpére ! c< Le chien sortit quand même 3 midi e t fut mordu. Cette même personne déclara en 1942 à qui voulait l'entendre : To day's Rumor. That One About the Fortune Teller Started Last Spring. a This one cornes frorn Sudbury. a A man evcrybody knows wasmotoring along a road and wae stoppecl by a woman who nsked for a ride. She said she was a fortune-teller and offered tri tell hi$ Sortune. When he aaid he was not interested ahe said she ivould tell him something anywüy. She said t h a t six wecks from thc day he cnrried a corpse in his cnr the wnr would be over. << R'elI, ivell, believe i t or not, ii few dnye aftcr that the motorist drove up to the sccnc of a n automoliile accident and was askcd by a policeman to carry an injured boy to n hospital. And, you gucssed it, when they drove up t o the hospital the injured boy was dead. << That rumor stnrted last Spring an11now cornes frorn practically nny cornmunity you want to narne.iP (Uosfon Globe, Tuesday, 24 Fchruary, 1942. l

c<


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MYTHES DE GUERRE

- L n guerre

se terminera le 13 Avril 1945.

...

« Ces prëdictions, faites iI y a trois années . . .sont assez troublantes. Lea eujeux tirrut ouverts : u La guerre finira-t-elle . . . le 13 Avril ? » (Libiration-Soir du Jeudi, 22 Mars 1945.) La guerre en Europe finissait la 8 Mai 1945.


LE MYTIIE DE L'ARGENT DEVIN^? Une autrc sorte de prophéties relatives la mort dc Hitler e t à la fin de la guerre était aussi très répandue. Ici mêmes garanties d'authenticith : c'était presque toujours qulqu'un connaissant une personne témoin de l'événement qui le ~apportait. Je note A nouveau toirtes Ica versions telles qu'eIles me furent communiquées, soit par écrit soit sous dictée, Voici une première version de cet autre mythe, d'après une voyante du quartier d'Europe que j'allai voir en Novembre 1939 ; l'épisode aurait eu lieii en automne au début de la guerre : 1, << Dans iin train, dans lin wagon plein, une dame laisse tomber son porte-monnaie. Elle se baisse pour ramaeaer le contenu en petite monnaie qui s'est rhpandu par terre. Une autre dame qui est la dit : Peut-on ainsi &ranger tout 1s monde pour 20 francs !La dame au porte-monnaie répandu rdplique : J'avais justement 20 francs en tout dedans !- Un monsieur présent dit alors à la dame qui a si bien devin6 : Vous avez du nez.- Celle-ci riposte : Et vous, vous avez 500 francs dans votre portefeuille.- Le monsieur estomaque dit : Si vous etes si forte, vous devriez bien me dire quelque chose sur Hitler.- Eh bien, il sera assassiné le 27 Octobre de cette annke H Et voilà unc autrc version du même théme, recueillie A la même &poque de nouveau chez une voyante, celle-là du quartier de Neuilly. Ellc m'a déclaré la tenir d'une de ses clientes ; l'événement serait arrivé en prdsence de la femme de ménage de celle-ci : 2. <c La femme de ménage se trouvait au marché, une dame en payant ce qu'elle a v a i t achet6 laisse tomber son porte-monnaie. L'acheteuse 643 haisse pour le ramasser. Une Bohémienne qui était là met vite le pied dessus.- Voulez-vous me le prendre ? demande aIors Ia dame.- II n'y a là dedans pas assez d'argent, réplique la Bohémienne, rien que 60 francs. Mais ce monsieur qui est là-bas en a bien plue : 2.000 francs dans son portefeuil1e.- On ouvre le

...


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MYTIIES DE GUERRE

porte-monnaie de la dame et le portefeuille du monsieur: 60 francs e t 2.000 francs ! -Mais j e vous dirai autre chose, poursuit Ia

,

Bohémienne. avant la fin de l'année, Hitler sera assassiné.- Le monsieur impressionne s'&rie : Si c'est vrai, je vous donnerai les deux mille francs ! » Autre version, recueillie en Déccmtirc 1939 par Puris-Soir dans son enquête e t entendue, paraît-il, Zi Bourg-la-Reine : 3. cc Une Anglaise amenant en cette banlieue une fillette se trouvait dans un autobus assise à cÔt6 d'une Gitane. A t-elle eu un mouvement de recul ? Peut-être, e t celle-ci lui dit : Ce n'est pas la pciae de me regardcr 'ainsi parce que j'ai une robe de quatre sous, cela pourrait vous arriver, Et tenez, pour vous montrer que j'ai quelque puissance, voyez-vous cet oficier sur la plate-forme ? Il a 2.000 ffaric~ dans yortefeuillc. - L'oficier iutcrlocpe dit qiic c'était facile A vgrifier, il le fit e t reconnut l'exactitude du fait. Voyant cela, il dit A la Gitane : Et alors sauriez-vous quelque chose pour Ia guerre ? - Bien sûr, dit-elle, Hitler sera assassiné la 23 Novembre (mais peut-être l'est-il sans qu'on le sache) et Ia guerre finira au printemps. - L'officier prit l'adresse de la Gitane e t Iui promit les 2.000 francs si Ies prédictions se réalisaient.» Quatrième version, recueillie aussi par Paris-Soir en Décembre 1939, auprès de ce même caporal aux armées qui lui communiqua le dicton relatif 2 la mort des évêques de Tulle (chapitre 1, versiûn 15). 4. a Voici un cas,>> écrit le caporal, ci raconté par un camarade actuel dont je veux taire le nom : « Le frère de ce camarade, trop jeunc pour être mobilisé, sc trouve nctucllcmcnt à Paris. Un jour ---- il y n environ un mois il se trouvait dans le métro, une vieille dame etait assise en face de lui, un monsieur assez jeune &taitdelout, uu autre rriousieur, eucaisseut d'une banque probablement, était assis sur un siège voisin. Le monsieur qui etait debout dksirant se moucher sort son mouchoir de Ia pocbc de son pantalon ; en faisant ce geste il fait tomber son porte-monnaie ; en voyant cela la dame qui était assise dit au frère du camarade : Voyez ce monsieur qui vient de faire tomber son porte-monnaie, eh bicn il y a 16 francs 25 dedans, par curiosité demandez-lui. - Passant sous silencc tous Ics détails de la conversation le fait Etait exact; ensuite la dame toujours assise e t fi'adrsssant toujours au frère du camarade lui dit : Quant 2 cet


L E MYTHE DE L'ARGENT

DEVINS

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encaisseur qui est IrS. assis, il a 18.000 francs dans sa sacoche.-Aprgs une autre conversation assez longue le fait s'est trouvé exact. A ce moment-lh, la glace étant brisée si je peux dire entre les quatre intéressés, la dame leur dit : Voyez, en ce moment nous sommes en guerre ; eh bien je puis vous dire que le 8 Janvier 1940 Hitler sera mort et la guerre sera finie et vous verrez par vous-meme que je ne me trompe pas.» Et le caporal. correspondant de Paris-Soir d'ajouter : <c Autant qua vous puissiez le souhaitor je le souhaite mssi en attendantbque les événements le confirment, Si cela peut vous être utile c'est dc bon cœur.>> Inutile de faire observer que les événements n'ont confirmh aucune de ces prédictions ; ni le 27 Octobre, ni le 23 Novembre, ni en fin d'année, ni le 8 Janvier ou au printemps de l'année nouvelle Hitler ne fut assassiné. Je recueillis cependant le 25 Décembre 1939, de la bouche de la femme d'un ethnographe, la version suivante prétendant ii une sorte de v6rification. Cette dame me I'6crivit ensuite sur ma demande e t j e reproduis textuellement sa communication : 5 . ct Nous sommes arrivEes 21 Paris le Mardi 31 Octobre e t rentr6es à Châteauroux le Dimanche 5 Novembre. Sejour de quatre jours A Paris. « Le 3 Novembre, la concierge me dit qu*une jeune fille du quartier allant A (ou revenant de) son travail avait assisté B une conversation d'un monsieur et d'une dame sur Ia guerre, assassinat de Hitler, etc., le monsieur ajoutant : Personne ne peut donc le tuer ? Je sacrifierais bien ma peau pour cela, etc.- La dame r6pond : Rassurez-vous, Monsieur, le 6 IIitler doit être assassiné. - Le monsieur restc sceptique. La dame lui dit : C'est aussi vrai que vous avez 2.000 francs dans votre poche. - Le monsieur sort son portefeuille et a cn effct 2.000 francs. II dit alors A cette dame : Dennex-moi votre adresse ; si c'cst vrai ces deux mille francs sont à vous.» c< Le 7 avait lieu l'attentat de Munich. >> N'oublions pas que l'anecdote ne fut rapportde qu'à la fin de Décembre e t qu'il est facile de prophétiser aprks coup. A noter cependant dans cette vcrsion l'intrication discrète du thème du sacrifice humain, qui se trouvait h la base du mythe du cadavre


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dans l'auto, au theme dc l'offrnndc d'nrgcnt. Lc monsieur déclare en effet qu'il sacrifierait bien sa peau pour tuer Hitler. Cependant l e risque r6el J'êtrc luis iiiorl pour ~ u u attentat t A la divine personne du Führer voile au maximum le thème sacrificiel archaïque. Dans une antre version, l'intrication du thème du sacrifice humain à celui de l'offrande monétaire apparalt plus clairement, Je la recueillis e n Décembre 1939 par l'intcrmediaire d'une de mes cousines, qui une amie communiqua ce texte qu'cllc me remit : 6. Dans un train,ale 2 , 3 ou 4 Septembre 1939, un monsieur est assis dans un cornparti~ricntcn facc d'une femme âgé,. 11 rejoint son dépôt. Son equipement exterieur peut le laisser deviner. Soudain la vieille dame se penche et lui dit : Ce n'est pas prudent d'aile1 a la' casernc avec tant d'argent sur soi !-Il la regarde étonné et elIc précise alors qu'il a six miLie franca dans son portefeuille. Vous savez, je suis un peu voyante, ajoute-t-elle. Elle lui dit encore qu'il a unc fillc c t lui pnrlc dc son passe ainsi que de ses facilites ou difficultés présentes, puis se plaint des temps et ajoute : IIeuréusement que IIitler mourra le 14 Dbcembre, malheureusement je nc scrai plus là pour le voir car moi je n'en ai plus que pour un mois au maximum. - Il lui demandc alors son nom ct son adresse

-

-

avant de Ia quitter.

«Au bout de quarante jours, en raison de son âge, il est renvoyé chez lui. Il repcnse à la vieille dame, décide d'aller la voir c t apprend par la concierge qu'elle est morte depuis quelques jours, « Cette histoire se racontait beaucoup en Suisse en Novembre, laissant un vaste espoir h ceux qui croient que la mort de Hitler changerait to&. » Cette vieille dame tripIemcnt prophétesse, à Ja fois sacrificatrice e t victime, rappelle le pape Pie XI oifrant sa vie pour mettrc fin aux maux guerriers de l'humanité. Si elle prédit e t accepte sa mort avcc tant dc sérénité, c'cst parcc qu'cn rtalité elle l'offrc Dieu, au Destin, en rachat des maux des hommes. C'est pourquoi, devant un sacrifice aussi insigne, le pIus grand, ceIui de la vie humaine, l'argent deviné n'a pIus besoin d'être offert. S i par ailleurs l'histoire Brait alors courante en Suisse, c'est que la Suisse, au dE2iut dc la guerrc, SC croyait aussi menacée.

*

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Y;

Mais revenons-~npour finir au mythe simple de l'argent devine.


mes correspondantes en Allemagne, d'en recueillir, lors de mon séjour en Grhce au début de. 1940, deux versions circulant outre-Rhin. L'une me fut cornmuniqu6e par unc cousine par alliance habitant le Hanovre. Je la traduis littéralement d'aprés sa lettre. Après m'avoir confirme la similitude des versions allemandes du mythe du mort dansl'auto avec les versions francaises, elle poursuit : 7. c< Voici ce que j'ai entendu rapporter par W., Directeur à Ettersburg. U n ami de son gendre voyageait en chemin de fer et: il lui arriva la même chose avcc l a Gitane e t le porte-monnaie, Elle lui dit combien il avait d'argent sur lui, sur quoi il lui demanda a i eue pouvait aussi dire quand on aurait la paix et elle prbcisa alors : le 22 Fevricr, bien entendu avec notre victoire. Sur quoi cet homme lui promit ses appointements d'une année si c'&ait vrai ! »l L'autre version me fut envoyée par une nièce habitant alors la campagne en Rhenanic, mais rés id an^ habituellement B Berlin, la même à qui j e dus un peu plus tard la version 10 du mythe du cadavre dans l'auto. Je traduis littéralement ci: passage de sa lettre &criteen anglais: Je n'ai pas cu l'occasion de voir ici beaucoup de monde e t par suite d'entendre grand chose. Je n'ai entendu qu'une seule histoire du type qui vous intéresse, mais j e crois qu'eIle voua semblera intéressante &tant tellement semblable à l'exemple 2 de votre lettre. Je l'ai entendu rapporter par trois personnes différentes, qui elles-mêmes l'avaient entendu raconter par d'autres personnes que je ne connais pas. L'histoire cst la suivante : 8. c< Une Boh6mienne entre dans un tramway e t s'assoit tout près d'un homme qui se recule, &prouvantun dcgoût évident pour la sale Bohdmienne. Elle dit alors : Vous n'avez pas à vous donner de teIs airs, vous n'avez pas pIua d'argent dans votre porte-monnaie que je n'en ai.- L'homme rkplique : Com~nentpouvez-vous savoir combien j'ai d'argent sur moi ? - La femme lui dit : Vous avez exactement-telle e t telle sommc sur vous.-(Bien entendu la somme varie dans chaque version). Les autres personnes qui sont dans le J'eus la chance, grâce

1 (< lcli horte von W., Uirektor in Ettcrsburg ; der Freund seines Schwiegersohns reiste in der Dahn und h n t t e das sellie Erlebnis mit der Zigeunerin, mit der GeldLifirse. Sic sagte ihm wie vie1 Gcld er hatte. Worauf er dann frug, uli sie sngen konrite wann dcr Friedc kanie und sie nünnte den 22. Februar, natürlich mit unserrn Sicg. Darauf versprach dieaer Mann ihr fiein. Gchalt von cincm Jahr, wcnn es ~ 7 i i l l rwHre ! a


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MYTHES DE GUERRE

tramway commencent à s7int&resserA l'étrange crkature e t quelqu'un dit : Eh bien, si vous pouvez deviner de teIIes choses, prkdisez nous quelque chose sur l'avenir.- Sur quoi elle répond : Vous savez bien qu'il est interdit de dire la bonne aventure e t le moxieieur q" est assis là-bas est un agent de la police criminelle (KrirninalLeamter) et il m'arr6terait.- Tout le monde se tourne vers l'homme qu'elle a dkeigné lequel reconnait en riant que la Bohémienne est tout A fait dans le vrai et qui ajoute : Mais allez-y e t prbdiseanous l'avenir ; vous avez rEussi h &veillerB te1 point notre inthrêt ;

pour une fois je laisserai passer la chose,-Nors la femme de dire ; La guerre finka à telle nu telle date.» << J'ai entendu cette his toirf: n, poirrsuit ma correspondante, << pour Ia premiere fois au début de Novembre (19391, on prophhtisait alors que la guerre finirait au milieu de Novembre, Hélas, ttl nc fut pas le cas ! Mais je trouve des plus curieux que cette histoire ressemblr: tcIlcrncnt à votre exemple 2. Bien enteudu, clraque personne la rapportait avec de légères variantes, tantôt l'événement se passait daus le ruEtropolitain, tantôt dans un omnibus ; la date a u ~ s ide la fin de la guerre était autre, etc. Mais il n'y avait jamais de prédiction d'une rOvolution ou d'un assas~inatdans d'autres pays. '» Notons d'abord la variante locale, bien caractéristique, de l'agent de Ia police crSminelle, tout ce qui touche A la police terrifiant l'Allemagne nationale-socialiste. Notons aussi l'absence, d'après mon informatrice, des prkdictions d'assassinats de chefs. Sans doute ni Mr. l cc A gipsywoman gets into a tram and squcezes hersclf down cIose t o a man who draws himself away in evident dispst of the dirty gipsy. She says : Yau neadnt givc youreelf such airs, you haven't got nny more money in pour puree than 1 have.'rhc man ans*-ers : IIow do you know how much mouey I've gat on me?-The wuman tclls him : You have exactly that and that aum on y o u . 4 0 f courae the sum changes in each version,) hTow the other people in the tram begin to tnke interest in the strangc creature, and one person snys : WeU, if you can teIl such things, tell us something about the future.-To which R ~ P : nnswers: YOUknow quite well that Wahrsagen isn't aiiowed, and that genllemnn over there is a Krirninalbeamrer and would arrest m e !-Everybody turns towards the man shc has pointed out. and be laughingly adrnits that the gipsy is perfectly right and adds : But go a1ong ailil le11 us the future as we have al1 got BO intercsted, for once 1: will l c t it pas.-So the woman says : The war will be over then and then. " 1 have heard this stciry the Grvt ~iriiehglniriitg of Novembcr, the prophesy was that it wodd end m i M e of Novembcr. Alas, it hasn't ! But X think it is highly curioua that this talc nhould be so very like your examplc No. 2. Of course, every pcrson told it with slight variations, such as that it took plisce in thc underground, or bus; the date of the end of the war was different, etc. But there was no case of prcdiction of revolution or murder in other countries.~


Daladier, ni hIr. Chamberlain, l'homme au parapluie, n'étaient-ils de taille $ appeler la 'tiomhe, la balle ou le couteau. Dans le mepris de ces aducrsaires, Ia victûirc des armes allemandes apparaissait $a elle seiiIe trophde assez éclatant aux yeux germaniques. Quant à l'Angleterre, où je n'eus pas l'occasion de recueilIir des versions du mythe de l'argent devine, j e m'imagine qu'il n'y fut certes pas absent et s'y dut trouver accouplé, comme en France, avec la prédiction de la mort de Hitler, l'Ennemi monumental.

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Voici enfin une dernière version recueiIlie cette fois, deux mois après I'armistice signé par la France, auprès d'une dame habitant Nice : 9. a M a femme de menage, d'origine italienne, me raconte : Une dame que j e connais était allée d'Antibes B Nice. Entraient deux soldats et, tout de suite après, une Bohémienne. Un des soIdats a fait un gcste mécontent (sic) et la Bohémienne lui dit : Vous ne voulez pas vous asseoir A &té de moi, vous avez peur que je vous prenne votre argent, voua qui n'avez que 2 francs en poche ! Mais l'autre, il a de l'argent, il. porte six mille francs 6ur soi.- Ce qui était vrai. Alors celui-ci dit la Doh6mienne : Si vous savez ceIa, vous pourrez peut-être mc dire quand la guerre sera finie ? Elle a fait une grimace, a regardé droit devant elle c t dit : La guerre sera finie dans un mois. -Sur quoi le soldat donna son adresse en disant : Si e d s t vrai e t si la guerre est finie d'ici un mois, j e vous donnerai la moitié de ma fortune. » Cette histoire, ajoute ma correspondante, lui avait étb racontée la prernihe fois pendant la guerre en France, mais la femme de ménage, a ma demande, lui en renouvela ainsi le r&cit. On y observera la prddominance des soldats, et la grimace faite par la Bohémienne avant de prédire la paix, sans mention de victoire, grimace que la sorte dc paix promise à la France en 1940 mérita& sûrement! Entre Les premier et deuxième récits, qui certaincment differaient, la defaite de la France avait en effet eu lieu,

...

Dans le mythe de l'argent deviné, nous avons 2 faire à une version sans doute plus tardive et épurBe de l'offrande que dans le mythe, L d'inspiration plus archaique, du cadavre dans l'auto. Mais cherchons

n


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MYTHES DE GUERRE

d'abord à retrouver, dans ce mythe nouveau, les éléments classiques du sacrifice. Le sacrijiunt, c'est &idemment Ie monsieur au porte-monnaie bourré de biilets, c7est à dire d'offrandes en puissance. Le sacri$cateur, ou plutSt la sacrijcatrice, c'est la Bohemienne ou la dame substituts du prêtre ou de la prêtresse des archanpues sacrifices ; elle s'identifie comme autrefois aux dieux ou au dcstin dont elle révèle l'oracle. Le lieu du sacrifice, ce sera e t Je lieu où l'argent cst devin4 ct le lieu où l'argent sera remis, ce dernier sanctifie par la seule presence de la prêtresse chargée de ses cMuves divins. Et Ia fonction divine du clergé dévorateur des offrandes au Dieu est éminemment remplie par elle, qui empochera donc les deux millc francs. Quant h la victime offerte, c'est l'argent. Il a fallu, pour en arriver, de la victime humaine, par les transitions de la victime animale, de la vég&taIe,de l'inanimée, jusquq5cette nouvelle forme de l'offrande : Ia monnaie, toute une longue évolution culturelle et 6conamique. Cette offrande-Ià ne fie pouvait imaginer qu'ii l'ért: de Ia Bourse e t de Wall Street. Mais c'est bien, malgre les apparences de simple offrande, de sacrifice qu'il s'agit, tout comrnc lorsqu'on donne, afin d'acheter quelque faveur spirituelle, ii lTgIisc, au denier de Saint-Pierre. Car l'offrande sera détruite ici ou là, consomm&e ou par le Papc ou par Ia Bohémienne, tout comme les restes, non attribués aux dieux, des victimes antiques Etaient con~omrn6spar les prêtres, ces personnages sacrés. Cependant la variante la plus notablc dans ce dernier mythe prophétique, c'est que l'offrande-sacririce n'aura lieu qu'après pue le destin se sera exécuté. C'est un sacrifice nori plus propitiatoire mais d'action de grAces qui s'accomplit 1h. L'homme, dans son marché avec le destin, est ici devenu prudent, seticent, A l'instar d'un paysan normand. II ne paiera qu'aprés avoir reçu, Et c'est lil le principe m&medi1 pari avet: la dcstin qui ni: différencie par la du pari aux courses ou 2 la roulette. Ici, si jc gagne, je suis payé ; 1?i, si j e gagne, je paierai. Tel apparait aussi lc principe de la mise à prix de la tête d'un criminel. Dans notre mythe de l'argent deviri6, Ia tete de Ilitler est comme mise à prix par l'homme : c'est a la destinee-prêtrcssc de savoir la prendre. La mort de Hitler e s t d'ailleurs en général achetée bon marché, Sa mise à prix o~cdle


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LE MYTHE DE L'ARGENT DEVlKÉ

de 2,000 francs h unc scule fois 18.000 francs (version 4); un si maigre sacrifice pccuniairc pour racheter de la mort non seulement soi-nicrnr: (Ic rnonsieiir est Sans doute mobilise bien que ce ne soit dit explicitement que dans la version 6) mais les siens, mais tous 1cs fils de France, tout lc pcupie des soldats veillant aux frontières ou dcs marins épars aux mers ! C'est là un fantasme de pauvre, et au sacrifice d'action de grâces se mkle sans doute quelque sacrificc d'expiation infligec par les pauvrcs aux plris riches : c7cst à eux de payer ! Ainsi des élémemts sociologiques, économiqixcs, peuvent, comme toujours, se rncler aux p~y~I~01ogiques pour commander et lcs actions et les reves des

hommes.

On olijcctcra

sans doute que l'argent deviné n'est offert en holocauste que dans les versions 2, 3, 5 e t 7. Je crois que, dans les versions 1 e t 8 la conclusion logique tout simplement manque. Dans la version 4, celle de l'encaisseur aux 18.000 francs dans sa sacoche, on sait trop quel cst souvent lc sort des encaisseurs. Quant A la version 6, celle où la vieille dame consent au sacrifice de s a vie, nous avons d6jà vu que cette offrande majeurc a rendu vaine l'offrande d'argent, qui n'aurait d'ailleurs plus pu &tre diposée que sur une tombe. ili

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J'ai recueilli plus tard en Afrique du Sud, au Cap, en Octobre 1941, la version suivante. M a fille la tenait du maire de la ville : 10. « ]Le docteur m'a dit : La gLxerrc sera finie lc 15 &lars.- Une amie d'un dc mes amis, qui est lui-meme un réfugie de l'Irak, était dans le tramway e t quand Ie conducteur se prgsenta pour recueillir 1e prix des billets, la dame en face d'eile- dit : Je vais payer pour vous car vous n'avez pas d'argent dans votre portemonnaie, - Mais j'en ai, r6plipa-t-elle. - Cependant en ouvrant son porte-monnaie elle découvrit que c'&taitvrai.-Mais vous pouvez aussi lire dans l'avenir, ajouta-t-elIe, quand la guerre sera finie ? Je suis une voyante, dit la femme, Ia guerre sera terminéc le 15 Mars.» Le 31 Mars 1942, la g u e p se poursuivant plus sauvage que jamais alors que les Japonais diferlaient sur l'Asie, je recueillais- moimême au Cap une version analogue, de la bouche d'une dame âgGe très bien pensante qui disait la tenir de quelqu'un la tenant de Xa

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MYTHES DE CVERRE

dame ellc-même à qui c'était arrive, et qui était venue du Caire au Cap. L'histoire mc fut contée en anglais ; je !a traduis littéralement : 11. cc Une dame, au Caire, entre dans un autobus. A ce rnowent une autre dame entre aussi et s'assied auprès d'ele. Quand le receveiir passa pour recueillir le prix des billets, la seconde dame paya pour la première qui protesta e t lui demanda pourquoi elle l'avait fait. Celle-ci répliqua : Parce que vous n'avez pas d'argent dans votre sac, - et quand la damc ouvrit son sac elle la trouva vide. La seconde dame lui avait dit : Vous avez pris le sac qu'il fie fallait pas, il est vide, - e t quand elle l'ouvrit il était vraiment vide. Elle dit alors : Si vous êtes si forte dites-moi quand la guerre finira ? Et cette femme dit: Le 30 Juin. - Mais ceci a et6 contredit, d'autres disent le 13 hiai. Cependant ceci me semble un peu tôt», concluait mon informatrice. Elle ajoutait qu'il fallait beaucoup penser A la victoire pour la faire venir: Ne croyez-vous pas au pouvoir de la pensée ?» Elle manifestait sur ce mode Ia racine magique de la grande campagne du signe V. Cependant elle croyait encore que si, malgré la toute-puissance de la pende et Ia force de leur bon droit, Zes Alliés avaient subi et subissaient alors tant de revers, cela devait être en expiation de leurs péchés. Elle soupirait : <<Nousavons dû beaucoup pécher pour que Dieu nous punisse ainsi!» Le masochime mord des humains empêche le Mal, pourtant régnant pour eux sur terre, d'kbranler leur croyance en Dicu, et même plut8t la soutient ! Mon as, enfin, m'a envoy6 d'Egypte l'extrait suivant de la Bourse égyptienne, daté du 20 Octobre 1941 : 12. << Les pronostics du Fakir. << Cette perspcctivc de la victoire prochaine est aussi envisagée par un fakir hindou de l'armée du Nil dans les conditions suivantes relatées par la revue AI I t n e i n . « Le tramway No. 15 venait de Guizeh. En première classe se trouvaient trois jeunes gens, un officier hindou e t une dame égyptienne. « Le receveur se présente dans notre coinpartiment. Il tendit la main à l'oficier hindou qui lui remit deux piastres, prix dc deux billets : l'un pour lui et I'autre pour la dame égyptienne assise en face de lui.

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1,E MYTHE DE L'ARGENT D E V I N É

« La dame fut surprise. Elle dit A l'officier hindou elle nc Ie connaissait pas e t qu'eIle ne comprenait pas pourqiioi il lui paierait le trajet. L'officier répondit qu'il Iui était agréable de lui &rit le billct. Mais j'ai de l'argent et je peux payer ! dit la dame. « Pas du tout, madame, répondit calmement l'officier, Je vous ai paya le trajet parce que je sais quc vous avez oublié votre portemonnaie B la maison. La dame ouvrit son sac e t constata effectivement qu'elle n'avait pas d'argent, ayant oublie son porte-monnaie h la maison. << Les assistants, surpris, entendirent ensuite l'officier expliquer qu'il était un fakir hindou d'une famiIlc connue pour savoir prédire I'avenir. Iis lui demandèrent s'il pouvait Ieur prédire des choses qui IFS conccrriernient. Mais il s'excusa en disant qu'il était officier dans l'armge. Il ajouta qu'il allait au front la semaine prochaine en sachant qu'il sera blessé au bras. Il ira quand même, parce qu'il sait que tout est écrit (Alektoub !). << Les assistants lui demandèrent des nouvelIcs de la guerre. 11 répandit qu'elle finira prochainement, : Je ne vois rien de pritcis, mais je vois les capitales etlropécnnes illumin6es la veille de Noël.» Dans cc tte dernière version (où le sacrificateur fusionne d'ailleurs avec la victime) le thème du sacrifice humain, atténue, cri tant que blessure au bras, s'intrique à celui de l'argent deviné. On pcut se demander si, dans tous ces personnages mystérieux doues de pouvoirs surnaturt:ls, leur permet tant de voir A travers les vêtements l'intirieur des porte-monnaie ou des portefeuilles e t aussi de Iire dans l'avenir, ne transparaîtrait pas quelque réminiscence dcs liaruspiccs antiques lisant dans lcs entrailles des victimes l e futur ? Le berger grec de la vereion 19 du chapitre précédent, lisant la fin de la guerre sur les os d'un agneau, en était déjà un moderne avatar. Toutes ccs prgdictions fastes sur ln guerre, garantics soit par Ie sang, soit par l'argent, soit par les deux à lri fois, semblent ainsi plus ou moins régresskes au stade que nous appelons sadique-anal, ce terroir primitif si fdcond en rituels magiques, Ik

t

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Nous avons ainsi passé en rcvuc quelques versions de deux mythes relatifs à Ia mort, ardemment souhaitée par dcs millions d'hommes,

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MYTHES DE GUERRE

du Démon ennemi Hitler, ou h la fin du fléau déchaîné par lui. Il nous est chaque fois apparu que cet év6nemcnt dcvait être acheté par une offrandc, u n sacrifice, de nature certcs diverse, faite au Destin-divinité. L a plus imposante de ccs offrandes restc cependant la victimc humaine, la plus précieusc, éminente, celle qui, de plus, e n ces temps de combats, tomba le plus ~ouvcntréellement comme en Lolocaus~e aux champs de bataille terrestres, adriens ou maritimes. Nous retrouvons chaque fois dans las diverses vcrsions des deux mythes les éléments principaux du rituel sacrificiel classique : sacrifiant, sacrificateur, victime, avec un lieu de quelque façon sacré pour la circonstance. Et chaque fois, qu'il s'agisse de victime humaine ou d30iFr'r;indcd'argent, l'oflrande est un sacrifice-holocauste qui disparaît, ddtmit, soit consommé entièrement s'il est corps humain dans le sarcophage, soit le plus souvent empoché par la G prétrcssc n divine. Et le devin ou la devineresse sont, c h a p e fois, omniscients comme à nos yeux IG Destin. Un trait commun nous frappera : si le resiiltat di1 sacrificc, fies bienfaits 6rninents, débordant la personne du sacrifiant, doivent s'étendre A tout un peuplc, par oillcurs il n'y a pas ici de communion au sens matériel suc le corps de la victime ; la communion reste spirituelle, un peu comme Ics fidGles assi~tantsiniplcmcnt à la messe participent aux grâces réparties entre eux tous par le sacrifice accompli sur l'autcl e t la communion du seul prêtre. Le problème des rapports du sacrifice tout court e t du sacrifice communiel nous confronte ainsi pour finir. Dans nos mythes, l'dlément du sacrifice communiel est-il ou n'est-il pas totalement absent ? On sait quc, d'après Robertson Smith, tous les sacrifices à l'origine eusseut Et6 communiels, auraient eu le scns d'un licrz établir ou retablir entre tine puissance sur4aturellc e t les hommcs grâce A un sacrifice offert par ceux-ci, et oh lea derniers partageaient quelque victimc en un repas sacrb avec les dieux. Dans notre mythe mridcrne du cadavre dans l'auto, le mort n'est jamais dévori: : l'anthropophagie est trop refoulée au caeur contemporain. Autrefois sans doute il l'aurait été pour mieux s'assurer l'alliance du dicu aux desseins de la tribu menacée. Dans notre rnythc de l'argent devin&, l'argent restc impartagé.


Il me semble d'ailienrs que les sacrifices, et ceci assce tôt, n'aient pas dû être tous comrnuniels. De bonne heure, it en a dû être de plus humbles ; pour les bien personnels qu'il désirait, l'hornrno isolé pouvait accomplir des sacrifices individuels aux esprits de ses morts, plua tard aux dieux issus d'eux, sacrifices expiatoires, propitiatoires ou d'action de grâcce, Je ne rnc hasarderai pas jusqu'à decider si tout sacrifice collectif fut à l'origine cornmuniel, ni rie saurais rechercher jusqu'ii quel degr6 il a pu, dans chaquc peuple e t à chaque occasion, le demeurer sous (les formes lus ou moins symboliques, Cependant qu'il soit prière A la divinité ou au destin par la victime vivante immolée oii par la plante ou par l'objet, voire A un stade 6voIué par le sacrifice ascétique des plaisirs egoïstes, le sacrifice garde un caractère cssenticllement religieux : celui d'une imploration ii quelque force supérieure qu'on pcnse iléchir par un don, un tribut, tel quelque roi barbare. Mais la vieille foi magique, plus primitive cncorc que la religion, n'a pas pour cela renoncé : les participants au sacrifice doivent avoir, écrivent Hubert e t Mauss, a dans le r6sultat automatique du sacrifice une confiance que rien ne démenten. (p. 61). L'homme croit toujours au fond da lui-même acquérir par son sacrificc en soi des droits sur ses dieux, une force qui contraindra le destin et par suite modifiera au gré humain l'ordre de l'univers. Parce qu'une victime humaine est morte en holocauste au fond d'une auto, ou parce que de l'argent fut oiFert au Destin servi par quelque prêtresse, Hitler aurait da, conformément A nos désirs, sans ddlai mourir, et la guerre qu'il déchalna victorieusement finir.


LE MYTIIE DU VIN DE L'INTENDANCE Ea Octobre 1939, par l'intermédiaire du Zme Bureau, parvenait un rapport à Monsieur le Génkral commandant en chef les Forces terrestres, rapport adressé par le Général commandant la w"' région militaire. A Paris on se le passait un peu partout sous le manteau. Etait-il ou non l'œuvre d'un mystificateur ? II reflétait en tous cas une légende courante dans 1'armEe française. Tels sont les termes de ce rapport : Etat-Major-

Le Gcncral

2me Bureau.

X.

Commandant lu Nme Région Militaire.

No. 60 64.2

à ilionsieur le Génerul Commandant en Chef les Forces Terrestres.

G.Q.G.

E.M.G.

l2me Bureau.

S'ai l'tionueur de vouéi errviryer ii~algréaon caractere un peu spécial e t courtelinecique un rapport du Commissaire d7Atniens. Je ne crois pas que l'accusation contrc lç vin de l'intendance suit fondée, né.anrnoins, comme ce bruit circule, qu'il m'est signal6 de différents cotés et qu'il peut agir sur le moral, j'ai estimé devoir vous en rendre compte. Si@ : X. Le 12 Octobre 1939 .

Le Cornminsaire de Folice, Chef des Services de Sûreté à Monsieur k Commissaire Central d'Amiens. . Au riciquc dc n'ctrc autrcmcnt pris au séricux, voire même quelque peu ridicdisé, j'estirne de mon devoir et ai i'honncur de me faire l'écho de racontars d'un caractére un peu spFciul, qui tendent à prendre consiutance par la diversité de leur provenance aussi bien que par leur pluralitk. Le bruit tend en effet ii se rcpnndre dans les milieux niilitaires que le vin alloué par 1'Int.endiince rait. ririphi~t,iqui:et que sa conannimation provoquernit une carence presque complète des fonctions g&n&sii~ues du solJnt. Il vient en effet de m'etre rapporté de source absolunent certaine cluc six femmcs de réservistes du S F e R.A.D. stationng dans les environs d'I-Iirçrin, h la truuée du haut plateau de l'Oise, qui avaient pu aller voir leurs rnüris 1 lcur cantonnement la semaine dernière, et passer la nuit avec eux, sont toutes six rentrees P Amiens, sans qu'aucune d'elles ait trouvé son rnari en Etat de rernpIir ses devoirs conjugaux. Deux réservistes casernés à Friant, un sous-officier et un homme appnrtcnnnt à la cumprigriic de pasauge, eL ~ o u sJeux Egés de 33 B 38 ans exprimaient avant-hier


de même ordre ; un troisième à deux agents de m o n service des doléances réserviste, Georges de la caserne Friant, Lgalement disait hier, toujours à un inspecteur de mon service, qu'il n'oeait plus partager le lit conjugal, crainte de se voir reprocher une frigidité anormale, et d'étre taxé d'avoir noué une liaison extra* conjugale. Enfin, le mardi 10 courant, un réserviste de 25 à 26 ans, et taille en athlète, amenait devant moi, dans l'après-midi, une fiJle ixmmise à laquelle il &clamait des honoraires, vers& en avance d'hoirie, soit 15 francs, sous le prétexte qu'il n'y avait pas eu usage ; à quoi la fille rétorquait en substance; « C e n'est pas de ma faute, .j'ai fait tout le possible pendant deux heures, mais il n'y a rien eu à faire, et j'estlrne avoir gagné +mon argent.m Je fais recherchcr

s'il n'existe pas d'autres faits de cet ordre. Il m'eet egalement revenu que certains militaire@aseuraient que le vin avait un goht pharmaceutique trCs prononcé. Le Commissaire de Police ClieC des Services de la Sûreté. SignB : Illisible.

Le rapport, authentique o i i non, peut être amusant ; intéressant est le fait auquel il fait allusion : la carence, chez beaucoup de soldats, en ce debut de guerre, des fonctions genésiques, attribuée par eux, je l'appris par ailleurs, à du bromure qu'on e û t mêlé à leur vin.

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En Juillet 1940, après la prise de Paris par les armées du Reich, j'eus l'occasion de voir, A Saint-Cloud, dans une villa voisine de la notre qu'il occupait, un capitaine de l'aviation allemande, préposé A ia justice militaire et dans la vie civile avocat à Berlin. 11 me rapporta de son c8té qu'en Septembre 1939, au début de la guerre, se trouvant dans une petite ville frontière d'Allemagne face A l'Alsace, les aoldats allemands se plaignaient de ce que l'intendance mêlait de l'iode à leur café e t de l a A «soude » (sic) à leur viande afin de diminuer leur ardeur génitale. Les soldats de Hitler ne recevant pas de ration de via devaient donc incriminer autre chose, cafk ou viande. Mais leur connaissance en pharrnacologie apparaissait infgrieure A celle des soldats français, ni J'iode ni le bicarbonate de soude ? ne possédant les vertus calmantes du bromure de potassium ! Lc fait intéressant n'en demeure pas moins que de jeunes Allemands, tels certains jeunes Français, se trouvaient frappés, à l'aube des hostiIités, d'impuissance temporaire. ia

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J'appris depuis, en Août 1940, d'uii jeune cousin, combattant français démobilis6, decoré de la croix de guerre avec palmes, que


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MYTHES DE GUERRE

la legende du vin bromuré de l'intendance avait circulé dans certaines unités fin 1939 e t début 1940 jusqu'il la veille de I'attaque allemande sur le front occidental. (Un autrc informateur me signale qu'on découvrait parfois au fond de son quart de vin un dépôt blanchâtre suspect,) D'autres fois les soIdats, doutant de la sophistication du vin, accusaient une autrc denrée : un «cuistot » du régiment iuterrogg aurait incrimiué le sel. «Toujours est-il,), ajoutait mon cousin, « que Ies camarades perdaient qui 50%, qui 90% de leurs facultés ! c t que ccux qui n e mangeaient plus à la popote, mais au restaurant, Ics recouvraient ! » (Fait infirmé par un autre informateur.) Mon jeune cousin croyait d'airleurs fermcment à la réalité du vin bromuré. II ajoutait que les mêmes pratiques auraient scvi dans l'intendance lors de la guerre de 1914-1918, fait qu'un autre informateur encore, médecin qui avait participé aux deux guerres, par contre niait, expliquant l'absence alors de la légende par ceci quc le conflit avait déjuté Semblde en 1914 par la guerre de mouvement, c De plus », ajoutait mon cousin, « c'&ait une coutume courante dans l'armée, afin dc garder tranquilles les recrues, que de les droguer. Même avant la guerre, en 1935-1936, les jeunes gens qui faisaient leur service militaire s'en plaignaient,>> L'abaissement de la puissancc sexudlc des recrues ctait en tous cas, d'après lui, un fait incontestable. J'eus aussi l'occasion, vcrs la meme époque, d'évoquer ce sujet devant un jeune officier démobilisé de la Légion polonaise en France, qui me parla ainsi : G Mais cela cst très connu ! Quand j'étais en Pologne à l'école de cavalerie de Graudenz, nous savions tous que le café était drogué ! Pendant les trois premiers mois, on n'&rait plus capablc de rien avec l e s femmes. C'est certain qu'il y avait quelque chose dans le café. Moi-même en ai ressenti les effets. On veut donc tenir les jeunes gens tranquilles. 11 n'y a 18 aucun

mythe.>> Peut-Gtre la fatigue e x t r h e des premiers temps d'erztraluement militaire n'était-elle pas étrangère $ la carence genésique chez les recrues, mais d'autres causes, plus générales et plus profondes, doivent jouer dans l'ensemble des cas qiie nriiis venons de rapportnr.

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Plus

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tard, vers la fin de 194t1, me trouvant, après la retraito de Grèce, en Afrique du Sud, j ' recevais ~ une lettre d'Angleterre me


LE hIYTEIE DU VIN DE L'INTENDANCE

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révélant que, dans les camps anglais de jeunes internés akrnands oii autrichiens, la même ldgende avait cu cours. Ici, l'anxiété, l'agression rentréc des internes, des jeunes réfugiés en grande partie anglophiles e t pourtant traités en ennemis, pouvait j oucr un rôle important dans l'étiologie de l'inhibition génEsique. J'avais pu observer semblables inhibitions sexuelles, qu'ils n'attribuaient alors pas A des manœuvres clandestines de la part des autoritCs, chez quelques hommes angoisses lors de l'cntree de Hitlcx à Viennc. Une irnmcnsc agression impuissante e t par suite rentree semblait la fonder. Enfin, au Cap, en Mars 1942, alors que, la Malaisie perdue, l'Afrique du Sud a'attcndait à quelque raid japonais A travers l'ûcéan indien, j'appreaais, par 17iinterm6diaired'un ofic,ier d'intendance sud-africain stationni- à Simonstown, la base navalc anglaise, qui lc rapportait ii l'unc dc mes amies grecques, qu'un bruit analogue courait dans I'armge sud-africaine. Je traduis le petit document qu'il lui faisait tenir $ mon intention : « Les soldats en Afrique du Sud croient très communément que Ics autorités militaires ordonnent aux cuisiniers de l'intendance de mettre un produit chimique appelé* pierre bleue (bluc stone) -je ne sais pas s'il existe un produit chimique portant ce nom - dans la nourriture destinée aux troupes, ceci dans un but antiaphrodisiaque. Les soldats auxqueIs j'en ai par16 en ~ a r l e n ttoujours en des termes très géneraux et ne fournissent jamais d'exemples spécifiques relatifs à des cas où ils seraient sûrs que cela eût ét6 fait. J'ai parlé n, ajoutait notre informateur, cc $ l'homme dcpuis très longtemps préposé aux rations il Simonstown e t il m'assure qu'aucun produit chimique de cet ordre n'a jamais &télivre par les autorit6s.n La pierre bleue n incriminée serait, d'aprés un médecin de l'hôpital militaire de Wynberg qui me confirma la grande fréquence de ce mythe, du sulfate de cuivre, Il ajouta que l'histoire de la x pierre bleue » aurait déjà eu cours, en Afrique du Sud, lors de la guerre précédente (1914-1918) et qu'auj ourd'hi les soldats disent qu'on a recommencé à leur jouer le même tour qu'autrefois ! La correspondante h qui je dois les indications sur Ia fréquence en Angleterre du mythe du cadavre dans l'auto m'&rivait auasi, ii la date du 21 Novembre 1942, que la même informatrice (la femme d'oficier chez laquelle elle loge) lui aurait déclar6 avoir


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MYTPIES DE GUERRE

entendu conter en Angleterre iine histoire semblable A celIe du « vin de 17intendanccn cn France. Son mari, un civil en temps de paix, lui aiirait dit « qi1'en ent,rant. dans l'arrnee il avait d6couvert qu'il était presque de notoriété publique qu'au pain distribué aux troupes (peut-stre A Ia farine) était adjoint, en vertu d'ordres secrets, un ingrédient spécial destiné à réduire la puissance e t les désirs scxucis. En Angleterre, vers 1942 e t dcpuis, un mythe semblable aurait eu cours parmi les A.T.S,, femmes mobilis6es dans la Defensc territoriale, Ces jeunes amazones se seraient plaintes de ce vie du bromure eût été mélangé 2 leur thé. Le fait pour ces jeunes femmes d'être devenues des guerrières ressuscitait dans leur esprit le mythe arcbalque de la continence propitiatrice aux combats.

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Ne retrouvons-nous pas ailleurs dc paratlèies h l'impuissance, reelle bien que temporaire, de ces jeunes soldats c t gut:rriers ? J'ai recherché dans le Cycle du Rameau d'Or dc Frazer, cette mine inépuisable de dociirnents, les pages relatives aux « tabous >> sur les guerriers. Voici ce qu'on y peut Iire :X « Les sauvages croient .. . . que les guerriers se mcuvent, pour ainsi dire, daus uue atrrlusphGre di: dariger spirituel qiii lcs furce à oliaerver diverses précautions superstitieuses entièrement différentes, dans leur caractère, de ces precautions rationelles qu'ils adoptent, comme une chose toute naturelle, contre des enliemis en chair e t en os. . . Quand les Israélites partaient en guerre, ils etaient tenus h certaines régles de pureté rituelle identiques aux règles observées par Ies Maoris ainsi que par Ics Noirs d'Australie quand ils font la guerre, Ln vaisselle dont ils se servaient k t a i t sacrée ; ils devaient pratiquer

.

la continence.

...

«Pendant les trois ou quatre semaines précédant leur départ pour une expédition guerrière, les Indiens Nootkas avaicnt invariablement pour règle de se baigner cinq ou ~ i fois x par jour ; ils se lavaient alors et se râclaient de la tête aux pieds avcc des Iiirissons e t des ronccs, si bien qu'ils avaicnt souvent la tEtc c t le corps tout couvcrts Janics George Frazer, Le Cycb Ju Rnnwa~td'Or, T d o u cl les. I ) é ~ i l sde l'âme, traduction de l'anglais par Ilenri Peyre, Piiris, Librairie orientiiliste Paul Genthncr, 1927, chal)ilre IV, Tabous sur Ics personnes ; 4, T;iburts sur les gtit,rrit.rs, pages

132-137.


de sang. Pendant cette dure eprcuve, ils Iie cessaient de s'écrier : c Dieu bou ou grand, fais que je v i v e ; que je ne sois point malade ; que je trouve l'ennemi ; que je n'aie pas peur de lui ; que je le trouve endormi, et que j e tue beaucoup de ses guerriers.» Pendant tout ce temps, ils n'avaient nul commerce avec leurs femmes. . . a On nous rapporte, des Indiens Creeks et d'autres tribus avoisinantes, qu'ils ne cohabitent pas avec des femmcs quand iIs sont à la guerre ; ils s'abstiennent religieusement de toutes relations avec leurs épouses pendant les trois jours et les trois nuits qui prgcédent leur départ en campagne. . . . En guise de préparatifs, avant d'attaquer l'ennemi, ils se rendent A la maison d'hiver e t la, pendant trois jours et trois nuits, ils hoivent une décoction chaude de leurs herbes eE de leurs racines saintes, souvent sans aucun autre aliment. Ceci doit amener la divinité ii les dkfendre e t A les secourir au milieu des dangers p i les menacent. Tant que dure cette sanctification de leur personne, il leur est defendu de prendre la moindre nourriture, et même de s'asseoir, avant le cpucher du

.. .

soleil.

...

« U n Indien qui veut partir cn guerre commence par se noircir le visage ; il laisse pousser ses cheveux longs, néglige de soigner son visage e t souvent jeûnc pendant deux ou trois jours dc suitc, il s'abstient de tout commerce sexucI. Si ses rêves sont favorables, iI croit que le Grand Esprit lui donnera le s u c c è s . ~ J'ajoiiterai ceci : en passant par Belgrade sur la route de Paris à A t h è n ~ s ,en FBvrier 1941, j'ai appris, e t ceci de la meilleure autorité, que les soldats serbes, lors de la guerre de 1914-18, croyaient que, s'ils avaient des rapports sexuels avant de combattre, iIs seraient battus : cette croyance est une vieille tradition des guerriers serbes.

*

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Xc

Ainsi des peuplades variecs attribuent à diverscs pratiques superstitieuses, parmi lesqiielles l'abstinence d'aliments et de rapports sexuels tiennent une grande place, une vcrtu magique, une force propitiatoire, à Ikaurorc des combats. Les guerriers doiveut, chez ces peupladix, sciemment s'abstenir de commerce selruer, abstinence qui, au même titre que Ic jcûne rituel, autre forrnc de sacrifice, doit amener la divinité à les défendre e t i les sccourir ail milicu des diirigers qui les menacent ou qui, en d'autres termes,


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MYTHES DE GUERRE

inclinera Ie Grand Esprit h leur donner le succés. Chez nos guerriers modernes, Français ou AIlernands, ct même chez les jeunes recrues qui, avec l'exercice militaire, font une sorte de r6pht.i.tinn générale: de la guerrc, un mécanisme psychique analogue doit jouer, conditionnant lciir continence. Mais contincncc non plus voulue, acceptée, comme aux tribus indiennes d'Amérique ou chez Ics guerriers serbes. Lcs jeunes soldats de 1939 se trouvaient iualgre eux frappés d'une impuissance contre laquelle Ieur conscient B'insurgeait. Le commandement archaïque de la continence avait etc, comme il est de règle, enfoui au cours de l'évolution biologique et culturelle de plus en plus dans l'inconscient d'où il ne ressurgissait eu fin de compte qu'à titre d'inhibition, imposant la même continence aux Français et Allemands du XXm" siécle qu'aux Içraëlites de la Bible, aux Maoris, aux Noirs d'Australie ou aux Indiens d'Am6rique. Cependant, dans tous les cas, chez IFS primitifs comme parmi nous, la continence des guerriers voulue ou subie n'est pas attribude par eux à une puissance interne, mais ù quelque force externe de coercition. Chez les Israhlites cammr: chcz Ies Indiens dont parle Frazer, des prescriptions magico-religieuses l'imposaient soi-disant du dchors. Chez nous, la même action répressive impérieuse, à laquelle impossible de désobéir, est attribuee aux autorités, aux de l'intendance. Dans les deux cas, un commandement interne, tabou imperatif chez le ri mit if, inhibition n6vrotiquc chez le civilis6, se trouve projeté sur des puissances dressées A l'extérieur d'eux-mêmes par l'imagination des soldats, des guerriers,

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11 convient à présent de nous le demander : pourquoi la continence des gue~riersest-ellc cens6e favoriser la victoire ? On pourrait penser que la continence garde aux hommcs des forces qui s'écoulent dans l'acte sexuel. Tout homme a pu éprouver la lassitude succedant au coit, e t la continence e s t recommandée aux athlètes avant les joutes. Cependant Frazer, dans la diseussiop des cas qu'il rapporte, s'éIève contre cettc explication. Aprés avoir cité maints exempIcs de jeûnes, d'abstinence, de macératious, pratiques par les guerriers de diverses tribus sous différents climats, il conclut : Quand nous


LE MYTlIE DU V I N D E L'INTENDANCE

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constatons quelIe peine prennent ces malheureux sauvages pour se rendre inaptes la guerre en se privant de nourriture e t de repos et: en se dechirant le corps, nous iic sommes guère disposés à attribuer Icur continence pendant Ia guerre à une crainte rationnelle qu'ils auraicnt de dissiper leur Cnergie physique en plaisirs charnels. Il nous semble, tout au contraire, quc Ic motif qui leur faisait observer une règle de chastcté pendant leurs campagnes était tout aussi frivde que celui qui lcur faisait dépenser leur force en des jeûnes rigoureux, des fatigues inutiles, des blessures volontaires, au moment precis oii la pmclencc aurait conaeilI8 un r6girnc l i e n diff6rent. Quelle est la raison exacte POUT l a p e l l e les sauvages se font une loi d'éviter tout rapport sexuel en temps de guerre : nous ne le savons pas de façon certaine ; néanmoins nous conjectrirons que leur motif provient d'unc crainte superstitieuse ; d'aprh les principes de la magie homéopathique les guerriers s'assimileraient la faiblesse et la poltronnerie des femmes par le contact avec elles. Certains d'entre eux croient q u e le contact d'unc fcmme en couches sufit pour énerver un combattant e t enlcver toute forcc à ses coups. Les Kayans de Bornéo vont jusqu'à prétendre que le simple fait de passer la main sur un métier B tisser ou sur dcs vêtements féminins débiliterait un homme à tel point qu'il &houerait dans la chasse, la pêche e t la gucrrc. .N Plus Ioin Frazer, parlant à prksent des tabous généraux sur les meurtriers1, expose comment les guerriers ayant tué dans les combats, au même titre que les meurtriers ordinaires, sont soumis au retour des campagnes diverses restrictions. « Le lecteur n, écrit F'razcr, « qui se demande encore si les règles de conduite que nous venons de considérer sont fondées sur des craintes superstitieuses ou dictdes par une prudence rationnelIe, verra probablement ses doutes sc dissiper en apprenant que des règles du même genre sont souvent imposées, avec plus de eévérit6 encore, aux guerriers après leur victoire et quand iIs n'ont plus à craindre l'ennemi humain e t vivant. Dans les cas de ce genre, une des raisons de ces restrictions gênantes impos6es aux vainqueurs à l'heure de leur triomphe est probablement la peur des esprits en courroux de ceux qui ont été tués ; du reste, l'influence quc la crainte des esprits vengcurs exerce sur Ics meurtriers s'exprime souvent d'une façon

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Loc. rit. 5, Tabous sur les meurtriers ordinaires, pp. 137-158.


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MYTIIES DE GUERRE

bien nette.» Parmi les exemples que cite ensuite Frazer, je choisis quelques-uns: a A Logea, ile située au large de l'extrémité sud-est de 1a Nouvelle-Guinée, les hommes qui ont tué ou crintribu6 A tuer dcs ennemis ci'enferment chez eux pendant une semaine, Ils doivent éviter tout conirnerce avec Ieurs épouses et Ieurs amis, et de toucher leur nourriture avec les mains, Ils ne pcuvent manger que des aliments végétaux, qu'on lerir apporte cuits dans des plats spéciaux. L'objet de pareilIes restrictions est dc protéger Ics hommes contre l'odeur du sang des tués ; car s'ils venaient A sentir ce sang, ils tomberaient, croit-on, malades et mourraient. . << Certaines tribus sud-africaines exigent de celui qui a tué A la guerre un ennemi très brave qu'il se tienne loin de sa femme e t de sa famille pendant dix jours aprés s'être lavé le corps dans une eau courante. Quand u4 Nandi de l'Afrique Orientale anglaise a tué un membre d'une autre tribu, il peint en rouge tout un c6té de son corps, de sa lance et de son épée ; il peint l'autre c8té en blanc. Pendant quatre jours après le meurtre, il est regardé comme impur e t il ne peut pas a1Ier chez lui. On exige p ' i l se bâtisse un petit abri prhs d'iine rivière, oii il demeurera ; il lui est défendu de s'unir à sa femme ou à son amie. Chez les Akikuyus de 1'Afriquc Orientale anglaise, tous ceux qui ont versé du sang humain doivent être purifiés. . . . Pendant une durée d'un mois après qu'ils ont vers6 le sang, il leur est défendu d'avoir aucun contact avec des femmes. Au contraire, quand un pexrier Ketosh de l'Afrique Orientale anglaise, qui a tué un ennemi a la guerre, revient chez lui, il e s t de toute première nécessité qu'il s'unisse $ sa femme aussit6t que possible ; ceci, croit-on, empêche l'esprit de son ennemi défunt de le hanter e t de l'ensorceler. , tc Chez les Indiens Natchez dc 1'Arnériquc du Nord, Ies jeuncs braves qui avaient pris leur premier scalpe étaient contraints pendant six mois à observer certaines règles d'abstinence. Ils nc devaient pas dormir avec leur femme, ni manger de la viande; leur seule nourriture &taitdu poisson e t de la bouillie. La violation de ces regles efit ent.rainé dr: graves cons6qucnces ; I'ame de l'homme qu'ils avaient tue aurait cause leur mort par la magie ; ils n'auraicnt plus pu triompher de leurs ennemis, et la moindre blessure leur aurait étk mortelle. . . .n Arretouu ici ces citations pour nous demander jusqu'h quel point

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l.E MYTHE DU V I N DE I,'INTESD.~NCE

Frazer a penétré la caiisatiori de ces rites en rattachant, d'une part, les tabous propitiatoires sur lcs guerriers à la rnagic homéopathique, d'zutrc part les tabous expiatoires sur les xneurthers, si étrangement analogucs aux prc~niers, à la crainte du retour vengeur de

l'esprit des morts.

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Etudions d'abord ses explications des tabous propitiatoires sur les guerriers, ceux qui constituent justement. un étrange parallèle à l'impuissance de nos soldats. Je crois l'explication de Frazer par la magie hornéopatliiclue fort justo ; Ia vertu imaginaire de la contiricncc pour garder sss forces 'au guerrier dépasse en eget de beaucoup les frontières dc la rkalite. Mais aussi, semble-t-il, de la simple niagic horndopathique par le contact coutaminant de la femme, e t c'est ici que la psychanalyse peut allcr plus loin que Frazer dans la compréhe~ision. D'abord, revenant à la première tentative d'explication qui se présentait 3 l'esprit, la vcrtu fortifiante d e la continence, j e crois que c e t t e vertu peut, dans l'imagination primitive survivant dans notre inconscient, être d'essence, non pas rationnelle, mais magique ; on connait rn psychanalyse la toute puissance attribuée au liquide fécondateur mâle ; Ic garder serait alors conserver devers soi un mythique talisman de victoire. Mais un élément d'inspiration cette fois mi-religieux mi-magique cornmande encore plus impérieusement la continence comme prélude aux victoires : l'angoisse archayque, infantile, des fils devant le Père, ce premier de tous nos ennemis ! L'ennemi d e l , actuel, lc figure, le ressuscit-d Il faut alors, pour acquérir le droit de le vaincre ensuite, d'abord lui sacrifier: on lui sacrifie alors le bien le cher, la possession des femmes, de ces mêmes femmes pour lesquelles, lors du parricide initial en la IIorde primitive, les fils l'avaient tué ! Ainsi, après avoir été symboliquement expié d'avance, le crime initial pourra étre, sur le corps de l'ennemi, victorieusement renouveIé. La continence, consciemment voulue des primitifs par le tabou ou inconsciemment irnposce A nos soIdats par l'inhibition, sera d'ailleurs comme l'équivalent d'une castration temporaire offerte en obéissance au Père, à ce même Père qui, préhistoriquement, dut châtier par la castration ses fils grandis quand ils convoi-


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MYTIIES DE GUERRE

taient ses femelles, castration dont la circolicisiuri, si répalidue encore sur la terre, est restke thmoipage et symbole. Et n'y aurait-il pas de plus, comme me le suggErait u n e amie, femme d'un de nos une sorte de fidélité homosexuele gard6t: meilleurs ii la horde des frères à laquelle It: soldat, en entrant ail regirncnt, s'est incorporé ? Quant au jeûne des guerriers primitifs, en particulier leur abstinence de viande, il doit figurer un rcnoncernent au cannibalisme initial dcs fils après Ic parricide. Mais lc cannibalisme étant, plus que tout autre trait archaïque, refoul6, siirmout6 parmi rious, point .n'est surprenant qu'il ne fût plus besoin de le ziitrr par des ritcs, e t que Ics soldats dc 1939 OU 1940 n'aient jamais boude A leur repas ni à la viande que contenait leur gamelle. Par contre la sexualité n'ayant jamais pu etrc aussi reprimée, nous retrouvons, dans le mythe guerrier du viu fiançais ou du café allemand de l'intendance c t même dans les 1riythet; ariaIogues épars aux casernes du temps de paix, de cette paix trop précaire, la survivance d'un archajrque rite propitiatoire de Ilaute valeur e t grande efficacité dins l'imagination inconsciente des ~oldats.

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Cependant les tabous expiatoires sur les meurtriers, si répandira parmi les guerriers primitifs, ne semblent pIus sc rencontrer chez les civilisés qui, après la victoire, rentrent chez e u x sans remords dm sang versé de l'ennemi, Freud avait d6jA remarqué cette différence, il écrivait en effet, lors de la pricédente guerre, dans ses Conside'rations actuelles s u s la guerre et sur la mort : a Auprès du cadavre dc la personne aimée prirent naissance, non seulement la doctrine de J'ime, la croyance à l'immortalité et une puissante racine du sentiment dc culpabilitd de l'humanité, mais encore les prernicrs commandements éthiques. La première e t plus importante in~erdiction de la conscieuce iiiorale e b t la suivante : Tu ne tueras point. Elle avait été acquise à titrc de réaction contre la satisfaction haineuse touchant la personne air né^, satisfaction cachée derrière le deuil ; peu à peu elle s'etendit à l'ktranger non aimé e t ealia même l'ennemi.» Freud, Zeiig~m.Gsses~ b n Kricg r und Y'od, 191 5; Considdraiioris aciu~EEess i w Irr grrPrrP sur 1 r ~mort, dans Essais de psychririalysti, trad. JarikElCvitch, I'aris, Priyot, 1927. (1,;i traduction dans mon iexte est personnells.) 1

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Elle devait donc aboutir,

rette interdiction, au précepte chrétien, si peu suivi d7üilIciirs: Tu aimeras tes ennemis. Cependant Freud poursuit : cc Dans ce dernier cal; l'interdiction n'est plus ressentie par l'hommc civilise. Quand les luttes sauvages

de cette gucrre auront abouti dans un sens ou l'autrc, chacun des combattants victorieux rentrera tout joyeux chez lui retrouver sa femme et scs cnfants, sans se laisser troubler par la pensce des enncmis qu'il aura tués dans des combats corps 5 corps ou au riioyen d'arrncs 2 longue portée. Il est curieiix de le constater : les peuples qui subsistent cncore sur notre planète e t qui se trouvent certcs plus proches de l'homme primitif que nous se cornportent autrement en cette matière - ou bien se cornportaient autrement tant qu'ils n'avaient pas encore subi l'influence de notre civilisation. Le sauvage - Australien, Bochiman, FuEgien - n'est aucunement un nieurtricr sans remords ; quand il revient vainqueur d'une expédition guerriére il ne doit pas rentrer dans son village, il ne doit pas toucher sa femme avant d'avoir expié ses meurtres guerriers par des pénitences souvent longucs et pénibles. Naturellement nous expliquons ceci a i s h e n t par ses superstitions; le sauvage craint encore la vengeance dcs esprits de ceux qu'il a tuEs. Mais les esprits des ennemis massacrés ne sont rien autre que l'expression de sa rnauvaisc conscience touchant sa dette de sang ; sous cette superstition se dissimule une sorte de dtlicatesse morale que nous, civllis6s, avons perdue.» Je crois que nos soldats du XX"'Csiècle eux-mêmcs ne l'ont pas tout b fait perdue, cette délicatesse morale du primitif. Mais ceci suivant un processus qui fait de plus en plus refluer en arrière dans Ic temps Ics pratiques, leu rites primitifs à mesure qu'ils sont de plus en plus refoulés dans l'inconscient au cours de I'Fvolution culturelle. La circoricisioil, chez les primitifs rite de la puberté, qui présidait à l'entrét: dans la société des hommes, a k t & refoulée de lus en plus haut dans le temps e t n'est plus pratiquee, parmi nous, chez les Israclitcs observateurs du rite, et ceci depuis de nombreux sièclcs, que chez les enfants au berceau. De même le rite expiatoire de Ia contineacc, propre à apais'er les esprits des morts, est pratiqu6 ii présent chez nos gucrricrs modernes, avant le meurtre, avant les combats, ainsi qu'eu témoignc: le mythe du vin ou du cafe


R.IYTIEES DE GUERRE

de l'intenda~ice.Aussi, dEs les corribats lichevgs, a v a r i l la d6mubiIisation, Ies soldats de nos armees? victnricuses oii rncmc vaincues, peuvent-ils retrouver leur pirissance @nesique un temps cntrav6e. Le inêmc jeunc et héroiquc cousin dont j'ai rapport6 plus haut les dires nir: contait commcnt l'un de ses camarades, au cours dc Irt retraite ou plutôt de la déroute des armées fraliçaises, c-n J'uin 1940, alors qu'on cornprit que tout Etait pcrdu pour la .patrie, s'était comporté. A partir du 12 Juin, il se livra a une véritable orgie sexuelle : il ramassait, au bord ries routes, LIC j c u ~ i e srkfugiées et dans fe fariil dri carninn qiii le transportait les possedait, cependant que les camarades 2 l'avant du camion avaieut discrèterncnt tcndu les toilcs. (En gkneral cependant lcs soldats harcelks par la rctraite ou la clCroute avaient d'autres prCoccuplitions : Ixiariger, surtout dorrr~ir!) Dans l'armée aJlcmande d'occiipation dt: la France et sans doute aussi aux aiitres pays envahis par Hitler, le code ~riili~airc punissait de mort Le viol. Si une tclle sanctioil était pr&viic, c'cst que la tentation dc cortiincttrc le crime, cliez lcs soldats vainqueurs, cst toujours très forte. Mais ri'6tuient pas punies de mort les relations sexuelles consenties par Ies femmes des pays vaincus avec les soldats vainqueurs. Et l'on sait que Vénus eut toujours des sourires pour Mars. Ces déchaincmeuts génésiques suivant I'arrCt clcs combats, auxquels les primitifs tentent d'opposer des talious presque aussi implacables que parmi nous l'interdiction du viol aux armees allemandes, sont B rapprocher de l'ordre magique impérieux rapporté par Frazer e t donné b l'inverse de ces tabous eux-memes au guerrier meurtrier Kctosh de s'iinir au plus vite, dès son retour, i sa femme, afin de triompher A nouveau de la force de l'ennemi, cette fois de son esprit, Dans ce retour du rcfoulé dans le refoulant, nous voyons transparaître le reflet du double crime =dipien initial, meurtre du pere aussith suivi de la trioiriphale prise de possession de ses femmes. Or les déchaînements sexuels de certains des soldats européens, dès la fin des c o d a t s , c6Ièbrent 2 nouveau ce lointain triomphe sur leur mode detourné. Lors de la fin de la guerre en Europe, cn 1945, cette attitude archaïque de guerriers vainqueurs devait se manifester sur une large échelle, en Europe centrale, par le viol des femmes aux pays vaincus. Et ceci en raison directe de la sauvagerie des troupes


d'invasion restEes, suivant leur origine asiatique ou coloniale? plirs proches dc I'origirielle bnrlnrie. C

Lc: niythc: du

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vin de l'intcnrlance » nous pcrincttra dc répondre, rnieiix vncorc qiic les deux prkcédents dri <c cadavre dans l'auto D oii de « 1';rrgcnt deviné», A urie question que se sont peut-Gtre déjà p o s k nies leçtcurs. Le fait quc des mythcs arzaIogucs sc retrouvent en tant de Iicux divcrs est-il d û à leur diffusion ii partir d'une source comlnrrnti ou à une uniformit6 de l'esprit liiimain qui porterait en t o i l ç pays rnêmes fruits commc le poirier, partout où il croit, porte dcs poires ? Nous sommes ici en face dii même prollème posé aux folkIoristes par les contes d'enfants, Chaperon noiigc ou Belle au Bois Dormant, retrouvés partails du pays des Cafres à celui des Eskimos. On serait tentE, pour nos mythes du cadavre dans l'auto ou de l'argent deviné, d'être diffusionistc, eu ce temps de communications rapides, même en temps de guerre, par la télegraphie sans fil et par l'avion. Il est plus difficile de l'i3rc pour Ic mythe du vin de l'intendance qui, l'inverse dcs dcux premiers, ne circiile pas en pleine clarté. Si la diffusion ne saurait être exclue dans la propagation de certains mythes, Yunicite dr: l'esprit humain cst ce qui d'abord Ies cngcndrc. Nous psychanalystes qui voyons, du sauvage au civilisé, les mêmes complcxrs hanter Ic trkfonds inconscient du psycliisme humain, nous nc saurions nous étouner si nos mythes de guerre conternporains, nourris aux cources lcs plus a r c h a ~ q u c de ~ l'humanité, s'avélrent eernblab1ti.s Eoirs tous les climats. c<


BIYTIIES DE L'ENNEMI IMPUISSANT OU AMICAL ET DES LARMES DE LA MÈRE

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Dans les trois thF~nevmythiques qui preckdent, ceux du cadavrc dans l'auto, de l'argent deviné, du vin de l'intendance, nous avons retrouvé des traces archafques du sacrifice humain, de l'offxandesacrifice, de la continence propitiatoire. Chaque fois l'angoisse arnbiantc, due à la guerre menaçante ou dkclarée, se trouvait liée par un mécanisme psychique analogue : cn Gchange d'lin sacrificc imposé au combattant, lc Destin abattrait l'enncrni soit par l'intermédiaire d'un assassin, soit par la force r l u combattant luimêmc heureusement accrue de par sa continence. Mais la valeur redoutable de l'ennemi n'était niée par aucun de ces tnythes ; Hitler, dans les mythes français, rayonriait dans toutc sa terriblc majesté. Il devait sculemcnt être ahrit.t.ii par quelque aclversairc plus fort encore que lui-même, soit son assassin présumé, soit le soldat français vainqueur des soldats hitlériens. L'angoisse se trouvait donc lice par une sorte d'identification de l'adversaire de Hitler h la force redoutEe de celui-ci, identification obtenue du Destin grâce aux pratiques mi-religieuses mi-rnagiqucs du sacrifice qui implore mais aussi qui force lc Destin. Dans les mythcs qui suivcnt, lcs peuples angoissés par la menace de t'agressiori enncmie emploient un autrc mécanisrnc pour lier leur angoisse devant le dangcr, mécanisme plus sirriplc e t primitif encore : ils nient simplement que l'ennemi soit dangereiix. Avant que n'éclatat la guerre, peridaut l'Gt6 Jc 1939, je pus recueillir en France, dc la bouche i l c diverses personnes, le r E c i t suivant, chaque fois étrangement identique : 1. Un Anglais voyageait r6cernnielit cn Rhhnanie (ou sur les Erontiercs de la Slovaquie o i i dé: la Hongrie), dans uue superbe


Rolls-Boyce. A un tournant de la route, il se trouve soudain face à facc avec un dEfilé dc chars d'assaut allemancls. II marchait trop vite pour pouvoir frcincr à tcirnps ; l'auto va faire coElision avec le char; l'autorn~bilistcferme lcs yeux, croyant sa dernihe heure venue ; le choc a lieu. , L'Anglais alors rouvre lcs jfcux ; quelle n'est pas sa si~rprisc de voir sa Rolls-Royci: intacte mais le char d'assaut allcrnand gisant e n pikccs sur la route ! Tant le matériel des chars d'assaut allemands, faits de bois e t de fer blanc, est

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mauvais. >> .1

Lc narrateur au Ta narratrice ajoutait chaque fois tenir le fait dc quelqu'un qui connaissait cet Anglais. Voila, me: dis-je alors, un mythe exprimant admirablcmcnt l'espoir, que ressentent les Occidentaux, en particulier les Français allik de l'Angleterre, de la supériûritk industrielle de l'Empire Britannique sur les armcrnents allemands. Quel plus beau syrnholc dc cette supériorité qu'une RolIs-Itoyce, ce magnifique produit de l'industrie britannique ! Quant au char d'assaut en fcr blanc, il figure de façon excellente ce que les adversaires de l'Allemagne voudraient que fussent tous ses bruyants armements : un bluff colossal. La guerre &datait pourtant et voici quc bientôt me parvenait, rapportee par une cousine par alliarice, originaire du Danemark, le r6cit suivant : 2. ct: Sais-tu m, me dit-elle un jour, «qu'au Danemark on rapportait juste avant la gucrrc Ie fait suivant, qui serait arrivé 2 un Allemand voyageant e n Anglcterrr: ? Cet AlIemand parcourait l'Angleterre dans une superbe IIercédès. A un tournant de la route, il se trouva soudairi face à face avec (les chars d'assaut anglais. 11 marchait trop vite pour pouvoir freincr à temps ; l'auto va faire collision avec le char ; l'Allemand ferme les yeux, pensant sa dernière heure venue ; le choc a lieu. L'autûmtibiliste rouvrc les yeux ; le char d'assaut gisait devant lui en pièces tandis que sa Mercédès était intacte ! Talit le mathiel des chars d'assaut britanniques est mauvais. .n Ainsi le même mythe, prcsquc c n tcr~nesidentiques, avait exprimé

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1 En Afrique du Sud, en Mars 1953, uri jcune soldat anglais d'un convoi (celui de la version 26 du rnythe au cndavrc dans l'auto) mc précisait que ces tanks de eussent é t é ainsi faits, d'après cette Ilgende : un char en bois pcint monté sur un tout petit chassis d'Opel. F!n Avril 1943, un ethnographe sud-africain rn'expliquuit que la légeiide serait néc de ce fait : aux manœuvres de l'armée allcrnande, on eût fait défiler des tanks en bois actionnés pur des hommes à bicyclette cachés dedans. afin d'économiser le carburant !


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MYTIIES DE GL~ERRE

l'espoir dii camp adverse : la puissance iridristrielle allemande, figurée par la superbe RIercédès, victorieuse dcs arrnç~nentsbritanniques, eux-rnê~nesun bluff colossnl ! Dans ccs deux versions en iniroir du même niytlic de l'auto c t du char d'assaut, une identique ncgation de la forcc dc l'ndvcrçaire venait lier I'angoise née de l'imminence de la guerrc.

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Voici A présent quelques mythes d'allure plus familiere, bien que toujours de l'ennemi impuissant. J'cxtrais ce pittoresque récit d'une lettre reçue de Suisse ct adressée, vers la fin dl: 1939, par l'un de ses compatriotes, à l'un de nos collègues psycl.~analystes, le Dr. Leuta, résidant à Paris : 3. Que je te raconte une chose drôle au possible car si je veux t e la dire de vive voix, je pourrais hélas ! peut-&treattendre lorigtemps. Or, dans la nuit du 10 au 11 Novembre, ayant mission de créer des incidents de frnnt.ikre, p111~ie1~rs paquets de 20 Boches fusil en avant ont franchi un pont queIquc part sur le Rhin. Arrivés sur une grande place, sans cssuyer un seul coup de feu et ne voyant âme qui vive, ils avaient un peu l'air culcul la reinette. Tout coup 2 uu signal de clairon 150 A 200 soldats suisses sortant dc tous les coins les cernent e t un afficicr d'une voix de tonnerre crie : Garde à vous, fixc, arme à terre ! Et tous les Boches d'obéir e t de se faire interner. Un peu plus loin, ne voyant rien bouger, tine cinquantaine d'autres Hoches à poil, leur uniforme e t Ieur fusil dans un sac de caoutchouc, ont franchi lc Rhin h la nage, poussant leur sac devant eux. Arrivés sur notre rive, nos soldats leur ont aide B sortir, ont pris soin des sacs et les ont mis au garde B vous fixe dans leur tenue plus que légère. Je tiens la chose d'un voyageur sérieux (en Suisse commis-voyageur) dont un client pharmacien &tait à la fête. Inutile de te dire que ça n'a pas paru dans les journaux je rie sais ail juste polir qrielIr: raisnn.» On voit que le correspondant de notre collèguc attachait grande cr6ancc ù GO récit* J'appris par aillours qu'avec de 1égérr:s variantes les deux episodes qui le constituent couraient la Suisse : soldats allernarlds averitur6s en sol suisse internés sans rkistauce par des détachements de l'armke helvétique ; soldats allemands ayant franchi le Rhin à la nage puis surpris ridiculement à poil et sans armes par des Suisses qui les font prisonnie~s.L'orgueil patriotique de Ia


fière pcti tr: nation menacCe dalis sou indépendance séculaire. alors qu'on craignait une violation allemande de son territoire. trouvait ainsi à SC satisfaire par ces rikits, gvidemment mythiques. où de braves soldats s i i i s s c s s'emparaient sans rksistanco dt: soldats allemands ail désarmés dans leur nudit&ou impuissants à se servir de Ieurs armes, t a n t ils étaient intirniclés par la vaillance helvétique. Ainsi revivait, dans ccs mythes, quelque chose de Ia legende de Gessler e t Guillaume Tell. L'impuissance de l'ennemi est doiic le désir Ic plus intense des peuples rncnacés, désir qui alimentait cn Suisse le si curieux mythe 3 la Guillaume Tell dont uous venons de rapporter des variantes. comme en France, en Allcmagne e t sans doute aussi en Angleterre! le mythe si représentatif de l'auto e t du char d'assaut. C

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Cependant le danger que constitue l'adversaire peut êtrc ni6 de façon plus eriergique encore dans des fantasmes où l'agression ennemie n'est plus seulement neutraIisée, mais se rctourne en son contraire,

Voici deux anecdotcs recueillies au début de 1940 : 4. <ïA la source o h iIs vont puiser de l'eau, des soldats allemands e t des. soldats français se rencontrent. - Personne ne nous voit, disent-il5, on ne va pas se tirer dessiis ! 1, 5. « Un soldat des avant-postes se trouve tout à coup en face d'une sentinelle allemande armée de sa mitraillette. Le soldat se sent perdu, il voit son dernier moment venu. La sentinelle, un homme plus trhs jeune, lui dit dans un excellent français : Débine-toi, mon vieux, et vite, car derrière moi il y a un j e u n c qui, lui, ne t e raterait pas! >> Les jeunes sont en effet plus fanatiques, plus féroces que les vieux, ainsi que le sait si bien le Führer dcs jeunesse8 hitlÉrienncs. Je transcris' enfin d'une lettre, moi adressee le 26 Août 1940 par l'un de nos collègues psychanalystes, les deux extraits suivants : 6. « Un détachement qui apporte le ravitailrement aux avantpostes se perd en route e t se trouve tout B coup avec sa soupe devant un avant-poste ennemi. Celui-ci, au lieu de le capturer, déclare ceux qui le composent qu'ils se sont trompes de direction et lciir montre par où aller pour rcjoinbre les lignes françaises. (S'ai lu, ajoutc mon corrcspondaiit, cette petite histoire dans un


7,1a

MYTHES LIE CCERRE

périodique amhricain, je crois quc c'&tait Life. L'histoirc cnrrespond d'ailleurs en plus à l'idée que Ies Américains avaient dc cette guerre avarit les derniers évenements dc NorvEgc. Ils l'appelaient ~~olontiers une phoney zvar n (drole de guerre). >> 7. c Un jeune officier commande un avürrt-poste devant la ligne Maginot dans un secteur tout a fait calme. Un beau jour le hautparleur allemand leur annonce que, dans trois heures exactement, ils seront bombardés par l'artiilcrie lourde allemande et qu'ils doivent se retirer auparavant, afin de n'etre pas ccrasés. Les Français n'en croient pas un mot e t ne bougcnt pas. Deux heures trois quarts exactement après ce premier avertissement le haut-parleur allemand recommence à parler, disant qu'il ne reste aux Français que quinze minutcs pour se retirer. Autrement, ce sera pour e u x la mort e t on ne veut donc pas les tuer ! Cette fois I'officier français prend la chose au sérieux; il se deplace avec son détachement et il voit récllcmcnt 5 l'heure indiquée des obus lourds éclater B I'ernplacement où il se trouvait auparavant avec ses hommes. (L'histoirc, ajoute umi correspondant, m'a été rapportCe par une amie américaine Zt laquellc le jeune oficier, fiancé de sa nièce, l'aurait personnellement racontée. Cas typique par ailleurs de la rr~auiére dont on apprend cette sorte d'histoire.) >> Et mon collègue de conclure : cc Ces deux Eegendes me semblent très intéressantes e t typiques A plusieurs égards, en particulier comme exemples du désir de nier la réalité de la guerre e t ses dangers. Ennemi amical, retournement d'une chose en son contraire, tout ceci dans le but dc maîtriser c t surmonter la pei1r.n Je ne saurais M ~ U Xdire. A ce cycle appartenait sans doute la ligendc, si courante en 1914-1918, des bons Wurtemhergcois prévenarit les Français, dans les tranchees d'en facc, qu'ils allaient etre rclevés par des Prussiens féroccs. Ou bien celle des Anglais e t des Allemands jouant ail football entre lcs lignes, dans le No Man's Land, histoire où le mépris des Frünqais pour leurs allies trop sportifs trouvait à se satisfaire en même temps que le danger constitué par l'ennemi Ctait nié. De merne, en Autriche, It: bruit courait vers cette 61ioïpe que les Russes e t les Autrichiens se rencontraient amicalement entrc les lignes e t nr: se tiraient dessus quc! sur un signc convcnu lorsqu'avait lieu une inspection.


~IYTI~E bES L'ENNEMI IMPUISSANT OU AMICAL

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Le jeune cousin qui rne rapportait de si intéressantes précisions sur le mythe du vin de l'intendance me contait le fait suivant : 8. N Après I'armistice franco-allemand, un de ses jeunes camarades, qui se trouvait en zone libre, voulait aller voir sa femme qui venait d'accoucher à Bordeaux. 11 s'y rend. Arrivé à la frontikrc des zones, une sentinelle allemande lui demande ses papiers, Ils ne sont pas en règle : bien qu'en civil il n'a pas ét6 d6mobilisé. L'Allemand lui dit alors de rebrousser chemin, car s'il continuait, il serait fait prisonnier.» Le cousin m'affirma cette fois la véracité du fait. Sans dourc, alors que les Allemands étaient devant Bordeaux, avaient-ils déjh des prison~iiers$ revendre e t ne tenaient-ils pas à en ajouter aux deux millions environ qu'il3 tenaient déj2. Le fait pourrait donc être véridique, mais son substratum mythique, le fantasme de désir qu'il exprime, n'en anilne pas moins le récit. Un fait reei peut parfois coïncider avec un mythe,

J'ai rnoi-mêrnc vu, &tant en Rretagnc, lors de l'invasion du Finistère, des officicrs c t soldats français sc promener tranquillenient dans les rucs dc Quimper aupres des Allemands, ceci avant mêrile la signature de l'armistice par la France.l

'

Gn nddecin hollunduis, Ic Dr. Meerloo, longtemps déporté en Allemagne. me rapportait, en Juin 1945, quc lcs Allrmands durcnt longtemps lutter contre rriyllie de l'Anglais conven;iliIe » (difi ntyth of ihe decent Bririsher), où leur adversaire britannique était figuré plein d'aménitb. J'ajouterai que le mythe de l'enncmi ainical cont icrit, commc d'niiieurs tout rnytIie, un noyau tic realite. 1,'hnnirne c s l donc foncicrement ambivalent et ne peut exclusivement airner scs omis ni hair ses ennemis. Je rappellerai ici la condilite, lors de la prise dc Vienne par les Tu'aziu, du Dr. Anton Sauerwlild, prcposé corrirric commissaire aux affaires de la maison d'édition de Freud et de tout c e qui touchait à sa faniillc. Cet Autrichien, ctiimistc de profession, nationalsocialiste convnincu, parce que p~iriisundc la Grande Allernngnc, donc de l'Anschluss, ainsi que Leaucouli d'Autricl~iens, sc montra envers la famille Freud pIein de compréhension et de bienveillance. 11 ne put éluder l'ordre de destruction des livres de la maison d'i.di~ion,ni celui de la confiscation des valeurs mobilières poesédées par Freud e n Autriche, mais s'appliqua par contre a 5vitcr à lui et 2 sa famille les vexations pcrsnnnelles. Enfin ce fut gràce à lui que Freud put emporter A Londres le0 objets nuxqucls il tenait le plus : outre scs meubles sa bibliothèque entiére t t toute sa prCcicuac colIection d'antiquitfs et qu'il put même être accompagné, lors dc son départ pour l'Angleterre, par un mcdccin, le L)r. Josefine Stross, ce que nécessitait son grand ùge et 1'ét.at priçnire de sa sanrl.. U n << ennemi >> qui, sans doute grâce au niveau élevé de sa formation culturelle, s'avéra vrüi~ncnt amical ». Ce qui d'ailleurs eût pu n'être pas sans danger Iiriur lui. Enfin. r n 1945. apres la rlcfüite de llAllcmagnc, il fut impossible au g4nQaI Eisenhower d'irnpolicr aux soldats ang1;iis ct nmSrirnins orcupant I'Allcrnngne l'ordre prirnit.if de << non-fraternisation,,. Il du1 6tre rapporté en droit par étapes, nprCs l'avoir été en fait, et pas seulement sur lc! plan Mars-Venus.


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M Y T I I E S 1)E G U E R R E

L'arniistice une fois conclu, d'atitrcs rriytlics dc e I'enncxiii arnicain se mirent à circuler. A Paris ma femme (le chambre rric rappurla, or1 DGceriitre 1940, le trait suivant, que venait de Iiti conter notre chaiiffviir : 9. H A Versailles, un Allemand sort d'un restaurant où il a fait un bon repas. Il d i t qu'il en a assez de la gucrrç, ryu'ori vit bien en France, 11 crie alors : Vive la France ! Un autre Allemand Ir: prcnrl au collet, On l'aurait fusillé.>> Je tiens de ma femme dc chambre encore l'liistoire suivante qu7eIle me dit lui avoir étk rapportée par une dame connaissant le jeune homme dont il va être q~restion: 10. cc Un simple: soldat était ordonnance chcz iin officier français.

Ils avaient combattu ensemble sur ln ligne Maginot. Ils sont faits prisonniers. L'ordonnance dit : C'est tout dc même embktant d'être à présent prisonniers !-Son oficier lui dit : Nc t'en fais pas ; nous verrons d'ici quelques jours !- Au hout de qurlqucs j ~ i z r s l'officier français s'amène en officier allemand e t donne à son ordonnance le plan pour s'évader. Le jeune homme e s t arrive 3 Paris sain e t sauf.» Voici A présent des mythes o u le caractère rrdoutable da l'ennemi, loin d'être n i é , est exagéré, mais où le rare privilègt: de son atnitiF n'en cst que plus patent : 11. Un officier allemand prcnd congé de son hatesse parisienne en l'exhortant à cacher ses enfants dans la cavc cn cas dc: départ des troupes allemandes, car en sc rittirant 1ç: commandement donnera l'ordre de tuer tous les petits Français.» L'annonce: dr: CC: noiivcaii rnassacrt: dt:s 11inocc.nts rn'a & t é rapportée, le 20 DEcembre 1940, par l'un de nos call&girespsychznalystce, le Dr. Paul Schiff. Une smur dc la Petite Roquette aurait appris la chose en venant de Villacoublay. D'autre part, un monsieur dc: Na~iterjl'aurait rapportée i son fils lequel l'aurait répette à iin acteur de Paris, lequel l'avait entendu aussi conter par sa proprc mère, laquelle le tcnait de sa mère li clli: habitant la Queue les Yvelines. Le même informateur nit: rapportait, le mêmc jour, cctte autre version, qu'il tenait d'une de ses malades, laquelle la lui aurait contée il y avait un mois : 12. Une infirmière a soigné un officirr allcitiri~iri.Rccorinaisant,


il veut bien lui i'airc uri cadeau g elle refusel Comme cadeau il lui donne alors 11: conseil, en cas de dtpürt des troupcs allemandes de Paris, de mettre 2 l'abri tous ceux auxqucls clle tient, parce que les Allemands ont reçu des ordres formels de procéder un massacre de tous les Français. 11s devront obéir la mort dans l'âme.» Ainsi, dans ces deux derniers mythcs, l'arnitie d'un ennemi par ailleurs redoutahlc e t féroce apparaît commc une grâce exceptionxicllc de hautc valeur. De plus, fantnsmc dc désir consolatcur, les Parisiens gémissant sous le poids de l'occupation enncrnie se permettent d'escompter lc départ rev6' de leurs opprcsseursf l

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Je rapporterai elifin un autrc << rnythe dc pitié » d'une tout autre nature. Ters Ics mois de Mars oii Avril 1940, un nciuvcau mythe se ]nit à circuler, reproduit rnêrne comme une importante nouvelte par divers journaux : 13. <<Lasourcc de Sainte Odilc en Alsace, à sec depuis très Iongtemps, se serait remise coulcr ! Et cctte source, on l'assurait, c'était de notorité publique, aurait d6jà coulé de mêrne trois mois avant E'armisticc, en 1870 et en 1918. Donc, dans trois mois, la France aurait la paix ! D Par ailleurs, j'appris alors de mon fils, qui revenait d'un sejour à Assise, que la-bas régnait une 16gende analogue relative à une source intermittente : 14. « C e t t e source, qui sourd prés de la cellule de Saint François, coulerait toujours quelques semaines avant un grand dvénement 1 Le rnythe de l'eniic~niii la fois tcrrib1c ct amical crcnit, sur Ics côtes kantCes par les sous-~niicinsallemands, lu ltlgcridc suivante. Je la rccuciliis au Cap en 1942-43, sous des formes peu varices. Lin suus-rnarin smerge aiiprks des canots de sauvetage du bateau qu'il vient de couler. Après I'intcrrogatoirc d'usage sur l'identitk de sa victime, le commandant du sous-marin iridique aux rescapés leur pcisitioii et leur distance de la terre (ce qui arrivait vraiment parfois). hiais ici conunence le mythe : le commandant rkvèle aloru aux rescapés curnnicnt, voici cluelques jours, ayant atterri sur une côte déserte, il a gagné l a ville du Cap et là passé la soirée dans un cinéma. Il peut même leur offrir (dans quclqucs versions) des billets pris à leur intention. Les rescapés regagnent la

terre.

Quelques jours plus tard, ils croisént dans une grande rue du Cap le commandant du sous-marin, très reconnaissable grâce à une grande balafre sur la joue. Ils veulent alerter un agent de police, mais le preste ennemi a dij8 disparu dans la foule. Sur la cdte Est de l'Amérique, alors que la guerre sous-marine battait son plein, une Iegende analogue aurait circulé avec persistance.


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MI'TlIFS T)E GUERRE

national, e n 1918 avant l'nrmisticc. cataclysme sismique de 1lessine.n

Ellc nurnit memc aiinonci: lc

Je tradiiis enfin du DEçtEor~rcuire J e Iu s u y e r s ~ i ~ i o r ulïemardel c ; « Les eaux permettent de prédirc lc temps e t la croissance des moissons. Innombrables sont en Allemagne les << sources dc la faim » (Hungerbrunnen), les flaques de la faim (Ilungerpiitzen) qui, Iorsqu'elIes coulent, prédisent l'élévation du coût de la vie (d'ou leur nom da ic sources de la vie chère» (Teuerbrunnen), et qui, lorsqu'elles tarissent, annoncent au contraire une bonne année d'où encore leur nom de << sources des moissons », << sources du via». - Quand les sources tarissent en automne, ellcs vont vcrs Ie b16, c'est. à dira qu'une annéc fertile s'ensuivra, dit un adagc, cite par nos auteurs d'après Schtin~rerth. Rapprochons-nous l'un de l'autre ces trois mythes, peut-être leur sens s'kclairera-t-il. Nous frappe d'abord ce fait que l'effluente des sources prophétiques peut annonccr quclquc CvCncmcnt nefaste : l e cataclysme de &lessine ou dcs discttcs. On pourrait peut-être rctorquer que, si les sources tarissantes N en automne n ~irddiçent l'abondance, c'est que l'imagination populaire peut croire qu'elles nc: tarissent au-dessus de terre que pour mieux couler au-dessous du sol <«versle b l 6 ~ Il . n'cn reste pas moins quc la disparition de l'eau apparente se trouve mise en rapport avcc un honheiir et sa reapparition avec un malheur, contrairement à cc à quoi l'on pourrait s'attendre cn fait de fertilitC ! Et si le désir ambiant de victoire eût dû faire prophétiser aux eaux de la source de Sainte-Odile comme de la source d'Assise, en sus de la paix la victoire, cependant la plupart des versions du mythe de Sainte Odilc se bornaient cn 1940 à prédirc I'armistice, sans préciser plus, ainsi p e me le confirmèrent des amis alsaciens.

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On sait que, pour I'enfant comme pour Ie primitif, taute la naturc pst aathropomorphisée. Aux yeux de ceux-ci, la Terre elle-mêmc apparait volontiers comme quelque gtre gigaritesquc qui nourrirait de ses produits toutes les créatures, ses enfants, à l'instar dc la mère r&elle,A cctte mère immensifiée peuvent alors êlrc attribués tous les sentiments qui agitent Ies humains, et les sources inter-

' JJanJuicirterbuch i;riiutt.r

& Co., i

des deu~sclicri .4bcrglr~ulicirs, Ilerliii uiiil L~ipzig, Waller d e 1938, vol. IS.;irric?r R'ussr~rgrisl~r (Esprits drs raux), I I . 37.


mittentes et prophétiques figiirent sans doute, au regard de 17irnagination populaire, les larmes dc la Tcrre-RIère pleurant les maux de ses enfants. Ellc pleirre d'avancc, dans lcs prédictions de disette, les souffrances dr: la faim que subiront lcs humains, et c'est pourquoi la disette siirvient, A rebours du réel, non quand Içs eaux tarissent, mais Iorsqu'elles coulcnt, lc symbole s'avérant plus fort que Iri réalité. ElIr: plcura d'avance, à Assise, les ruines e t les morts du cataclysme sismiqiir! de Messine. Mais là aussi, commc en Alsace Sainte Odile, la Terri:-Mére pleura pour annoncer l'armistice, la fin des combats. Ici, dira-t-on, nous lie cornprenons plus tr6s bien. La Terre-Mère pleure-t-elle de joie à l'annonce de la paix qui va revenir ? Je ne le crois pas. Ellc doit être supposée pleurer, notre mére Ia Terre, dans cc cas, les maux actuels dc: ses enfants. Ses fils en effet, par aîileurs, jonchcnt son corps immense, l'arrosent de leur sang, il y a donc dc quoi pleurer I Et les larmes sourdant aux sources doiveiit alors apparaître comme une immcnse imploration au PCrc célcst e de la Mater dolorosa qui le supplie de mettre fin au martyre dc ses enfants. Si Ia fii.re annoncc de Ia victoire manque au mythe si souvent, c'est sans doute parce que l ~ eaux s pitoyables dc l a source alsacicnnc: de Sainte Odile gardent, avant toute autre chose, pour mission de

supplier. Ont-elles vraiment coulé, les eaux de la source de Sainte Odile, en le printemps de 1940 ? Je ic crois, les sources de montagne coulant volontiers au printemps, lors de la fonte des neiges. Toujours e s t 4 que leur eauence réelle importe moins aux yeux du psychologue que leur emuence symbolique. Et voilà qiie le Père céIeste parut pour un temps exaucer la supplication de Ia Terre-Ere en semlilant mettre trêve aux combats sur Ia terre de France environ trois mois plus tard, en Juin.

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Je recueillis d'ailleurs li Saint-Tropez, en Septembre 1940, un mythe où la Merc pitoyable reprenait sa forme humaine. La fcmrne du psychanalystc dont j'ai palle, 5 qui je dcvais dejà L%istoirt: du Bûcheron e t de la carrioie (version 12 du mythe du cadavre d a u l'auto) rne dissit qu'à Beg-hieil, où rlle avait séjourne c e t et6 de


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hIYTIIES DE GUERRE

Juillet, ~ O I I Capres I'ar~riiutiçc franco-allemand mais sous l'oppression de l'occupation, on racontait dans le village que Ia Sainte Vierge était apparue une petite fille de huit ans, lui disant : 15. K Lü paix sera signee le 15 Août, mois toi tii ne le verras pas, rbartoi alors tu seras morte.» Intrication poetiqiie du thème du sacrificc Iiurnain, étiidiE plus liaut, avec ceIui de la hlèrt: pitoyable, incarnée en la Sainte Vierge par I'iriiagination rti1igit:usc dcs Urctoiis. Un autrc mythe m'était rapporté, au &but d'ûctolirc, par une amie, refugike de Paris aux 1,ccgucs par Siiint-Cyr (Bouches du Rhône). L'épisode aiirüit Cvidemment eu lieu avant le désastre de la Franct: ; mon amie en tenait le récit de son hôtessc : 16. cc Deux soldats sont sur la route. Un paysan les rejoint et Icur offrc des laces dans sa carriole. Quand ils y montent, ils y trouvent rine jeune religieuse dEjii ins talI6c. L'lus loin, en pleine campagne, elle se prétend arrivée destination c t dcrnandc 5 descendre. Avant de les quitter cllc dit aiix militaires de n'avoir aucune crainte, quc la gucrrc se terminerait avant l'été, qu'ils n'auraient aucun mal ct quc tout serait pour le mieux. i< Elle disparaît c t lcs hoinrnes voient par terre un papier perdu, pensent-ils, par la bonne s a u r . Ils le ramassent et A leur grande &motion ils retrouvent dans l'image pieuse représentant la petite smur Sainte Thérèse de Lisieux les traits exacts de leur compagne

guerre,

es1

dc voyage.» Dans cette version, la Mbre pitayablr: e ~ figurh t par cc daiiblet de la Bonne Vierge qu'est devenue pour les croyants la petite sainte de Lisieux, laqueIle parait d'ailIcur8 encore prornettre A la guerre une issue heureuse. Cep~ndant,dans les deux versions précédentes, les yeux de la Mère apitoyée ne pleuraient pas. Oc voici que, dans cette Corse que hlussoIini voulait arracher h la France, malgré l'ombre de Napoléon ! la Viergc, telle la Terre aux sources pleureuses, s'est miracu~eusernent mise à verser de vraies larmes, de ses yeux humains, sur les malheurs de ses enfants : 17. << La Sainte Vierge pleure à Sartène » pouvait-on lire dans

...

le Paris-Soir du 7 Janvier 1941, cc Le Vierge pleure ! La Vierge pIcurc ! - Oii cela ? - A côté, cours Santana, dans la maison jaune. . Toute une ~ o p u l a t i o n

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MY'I'lIES UE L'ENNEMI IMPUISSANT OU AMICAL

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curieuse, émue, angoissée, roule aussitôt vers le cours Santana e t se bouscule pour eritrcr dans la maison jaune. E t les plus favorisés grimpent l'escalier, arrivcnt au dernier etage, sous le toit, et pénètrent dans u ~Iogis i modeste, mais propre, o h s'alignent trois lits. Les murs sont blanchis ii la chaux. <c L'effigie de la Vierge a été décrochee de la paroi e t exposée sur une comrnudc. C'est une image de couIeurs vives reprksentant Notre-Dame-des-Sept.DouIeurs, le cœur percé de sept glaives, bref, un chromo comme en vendent les marchands ambdants, et que l'on encadre ensuite. Rien donc que de très ordinaire, si les larmes ne s'y reconnaissaient à première vue. cc Une larme au coin de la paiipière, . . a En effet, entre le verrc et l'image, j'en vois diijh perler une au coin de la paupière. Une autre a roulé dans la main que ]la Sainte Vierge ouvre cn forme de caIice. D'une façon générale, les larmes suintent, ruissellent, comme sur une vitre embuee. A Le fait e s t donc patent. C'est l'humidité, disent quelques-uns. Mais, cn vérité, il n'y a aucune hulniditk dans c e t t e pièce. Je touche les murs en plusieurs endroits : ils sont parfaitement secs. En outre, lc phénomène s'est déjh produit une première fois et, depuis, les larmes se sont renouvt:lées et ont mystérieusement disparu. a Un grand silence régne parmi les visiteurs, Le clergé vient alors chercher l'image, afin de la placer en observation dans la sacristie de la paroisse Santa Maria, où une foule défile aussitbt. En attendant que 1'Eglise se soit prononch, tout le pcuple de Sartène vit dans l'impression d'un profond, d'un auguste mystère.» Ainsi la Vierge dc Sarténe, six mois après le désastre de la France, pleurait tout comme, trois mois avant celui-ci, Ia Sainte Odile d'Alsace. Dans deux marches >> de la France m e n a c h , mêmes larmes maternelles ruisselaient.

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MYTHES DE COMBAT CHEZ VAINCUS ET VAINQUEURS

Trurh is rhe $rst cusualty i n iuat. ( L a véritd est lu premi81-e victlr~csde la guerre.) Quand deux cerfs aux forêts s'affrontent e t engagent le combat, ou bien deux coqs au poulailler ou même deux chiens dans l a rue, chacun d'eux croit bien entendu qu'il sera Ic. plits fort. Sans quoi il fuirait comme Ic lapin devant le renard ou la gazeue devant le lion. Le sentiment d'invulnérabilité, d'immortalité propre 2 l'inconscient insuffle ainsi $ chaque courba~ta~it une conviction de forcc invincible. De xnêrnc des hommes : quand un peuple s'en va 5 la guerre, il se croit sûr d'être, Iui, le plus fort. S'il ne le croit pas, il tendra, sauf des cas extrêmes d'heronsme, 2 se dérober tel, devant le renard, le lapin, ou devant le lion, la gazelle. C'est ce que firent A Munich, en Septembre 1938, 1'AngIeterrc et la France, malgré la signature de celle-ci l'engageant h soutenir la Tcheco-Slovaquie. « A Munich», comme l'écrivait Weygand dans un article du Journal daté du 'il Novembre 1938, t< la faiblesse française dut s'incIiner devant la force allemande.» Cependant, le 15 Mars 1939, Hitler entrait à Prague, malgri: les assurances données A Munich $ Chamberlain qu'il serait dEsormais sans ambitions territoriales. « Le nou ut on devint enrage;», Chamberlain se sentant bafoué r6agit e t donna, dEs le 31 Mars, la garantie andaise 5 la Pologne à son tour mcnacée, l'encourageant par là 2 résister aux exigences de Hitler. Car l'Angle terre, f i h de sa inaitrise des mers et de son long pas& d'invinciliilitk, se dkcidait à affronter le combat contre l'hégémonie germanique de l'Europe, nialgr6 la trop r6cente e t trop restreinte conscription de s r i n armée terrestre. La France suivait dans son sillage, malgré sa pauvreté en matériel de guerre et surtout en avions, chaque allié comptant sur l'autre pour parer éventueIlemcnt à la carence, I'unc de son arxnce, l'autre de son matériel e t de son aviation.


MYTHES DI< COMB.4T C l I E Z V.4lKCUS ET VAINQUEURS

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Mais surtout lcs Puissrinccs occidcntaIes, l'une dans le scntimcnt de sa valeur militaire éprouvkc, l'autre dc sa maîtrise incontestGe des mers, se croyaient si terrifiquement imposantes que Ilitler, les voyant dFcidécs a u combat, rcculerait. Tous les jours on parlait, dans les journaux de France ou d'Angleterre, du cc bluff » hitlcrien. Hitler Xiluffait, il avait déjà bluffé 2 Munich e t on s'y était laissé prendrc ! La prochaine fois, mieux avises, rnieux armes - n'avaiton pas cu le ternps de forger dcs armes ? - on resterait ferme, on lui ferait pcur. Et cette attitnde de Cermet6 suffirait, sans avoir même besoin de tirer l'épée, pour lui faire respecter tous les territoires qu'il convoitait, cn Pologne ou ailleurs. Ainsi Chamberlaiu magnifipuc garantissait en pllis de la Pologne, la Roumanie, la Grèce et la Turquie. Qii'importait, puisque devant s i formidable menace que la garantie britannique, Hitler reculerait ! De leur cûté, les Allemands croyaient au « Liluff » occidental. Jamais les Anglais, jamais les Français, pensaient-ils, n'iraient se faire tuer pour des Polonais ! Les Français en particulier ne seraient pas assez sots pour aller, suivant l'expression d'un de leurs journalistes, « mourir pour Dantzig >> ! Ainsi, de part ct d'autre, la croyance au « bluff » de l'adversaire, en tous temps l'un des plus dangereux mythes fauteurs de guerre, poussait chacun 2 adopter ces attitudes d'intransigeante jactance à partir desi~uellcson ne peut plus reculer, Or, dés que les soldats allemands eurent pénétre aux plaines polonaises, qui, du lointain Occident, put aller secourir Ia Pologne, fût-cc par les airs ? On repoussa la tardive médiation italienne ; on ne sut oppasex à la foudroyante progression germanique quc les mythes habituels négateurs ou palliateurs des défaites réelles, mythes où l'ennemi est dépeint tantôt sans bravoure, tantôt sans succès, e t toujours sans foi ni loi.

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Je n'entends pas avancer qu'un enacrni, insrne victorieux dans l'ensemble, ne soit jamais de ci de la, localement, sans bravoure ou sans succès, ni surtout qu'il ne soit jamai; sans foi ni loi ! Il n'est pas dc morale internationale, malgré toutes les aspirations des moralistes, malgr&lcs rêves de Societé des Nations, parce qu'il n'est pas, on l'a souvcnt rappel&, de morale sans sanctions.

La force arrnEe, qui seule pourrait appliquer des sanctions, r e m


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MYTHES DE GUERRE

cn chaque pays au service du seul intérêt national, e t tous les pays, qu'ils l'avouent ou non, ~ u i v e n tla vit?ille maxime énoncee par je ne sais plus qui : My country rig7zt or wrortg. Car le seul devoir d'un Etat est la grandeur nationale. Or, autant e t plus qu'une autre nation, I'Nle~iiagne Etait animée d'un farouche esprit national ; cIlc s'est donc entcndue à renier magnifiquement sa parole, 1'Allcrilagne dc IIitler e n particulier, Quand Chamberlain reprochait à IIitIer d'avoir violé cn cntrant à Prague e t convoitant Dantzig la parole donnée Munich, Ie chancelier du Reich proclamait fièrement qu'il n'avait à tenir sa paroIe qu'envers un seul : le peuple allemand, auquel il avait

donc promis la rcvision du diktat dc Versailles. sacrce, il la tenait ! *.

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Ccttc promesse

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Mais c'est de rnythes que nous rivons à traiter. J'étudierai ici surtout les mythes glanés en France, où jc rCsidai c n 1939 e t 1940. Outre que ce sont les mythes que je connais te mieux, ils presentent cet interêt d'etre suuveut deb: rEactiuus de rl8cr~sc très typiques contre l'angoisse que par ailleurs ils trahissent, étant ceux d'un peuplc XiientCit vaincu. On connaît les vantardises de guerre des peuplades primitives et leurs vilipenderies de I'enncrni ; on se souvient aussi de celIcs si grandiloquentes $es héros de l'Iliade. Transposées en langage du siècle de Ia machine et da l'avion, les mêmcs vantardises et les mêmes accusations SC croisaient dans I'air du XX"'" sikclc. Dés que lcs troupes du Reich eurcnt franchi les frontières de Pologne, les atrocités toujours attribuéçs à un envahissçur furent rapportées. Les cruautes de caractère militaire : liomliardçments de nilit de tous les champs d'aviation polonais, éclabousçement de ci dc là d'éclats dc bombes sur les populations civiles, souffrances sans sccours, s u r les routes, des hless6s soIdats ou non, tout cela, mal néccssaire de la guerre, ne suasait pas à l'animositg populaire, affamke d'liorreurs dout charger l'eliue~riipour le mieux harr donc mieux combattre. Si les plaines dc Pologne restaient trop lointaines pour qu'y parvinssent les armgcs, voire les avions de l'occident, [es rumeurs, ~ l u svolatiles, s'envolaient plus aisément d'Est à Ouest e t arrivaient à Paris. Donc les ALlemands, d'abord, étaicnt sans bravoure, Leurs


MYTHES DE COMBAT CHEZ VAINCUS ET VAINQCEURS

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aviateurs, ces rncmes liommes qui avaient lScliement, dc nuit, anéanti tous I r a avions polonais au sol, nc montaient leurs appareils, tant ils avaient peur, qiic si on les dopait ! Les quelques aviateurs quc les Polonais auraient capturés étaient incroyablement jeunes, on devait Ies attaclier h ln carIingue, e t tous sentaient l'Cther,l En tous cas, à terre, le fantassin polonais é t a i t incomparablement supérieur ail soldat allemand, autrement brave e t mordant ! Si les Polonais reculaient, c'&tait que les AIlemands se trouvaient en nornlrc supGricur, mais Ics pcrtes de ceux-ci étaient egalcment trois fois, dix fois, sup6rieures ! Qu'est-ce qui resterait de l'armke allemande aprés la campagne dc Pologne ! Leurs chars d'assaut euxmêmes s'avéraient' en matériel infkrieur, tcl le char d'assaut du mythe b l'auto, irn matcriel rlc pacotille, un vrai bluff! Leur plus graad nombre seul permettait ailx AlIemands de progresser. (Le mythe di1 mailvais char d'assaut siirv6cut même à la tatalc defaite

Si les Allemands, de plus, marquaient des succGs, c'était q u ' i l s se servaient d'arrnes dEIrryatce. Leurs avions n'attaquaient-ils pas, de préférence aux objectifs militaires, lçs villcs ouvertes, Ecoles, hhpitaux, ambirlanccs de la Croix Rougc ! Ne poursuivaient-ils pas systématiquement les femmes et les enfants fuyant sur les routes et dans les champs ? Une photograpliie montrant une fiIlette pleurant, dans un champ, sur le corps de sa smur mitraillée, fut reproduite par toute la presse illustrée occidentale. De ce point de vue i1 &tait curietzx de comparer Ies ail6gations de la presse ct dc: la radio françaises ou anglaises avec cc que disait, cn sous main, I'Etat-major français. J'eus l'occasion de I'apprendre: par un dipIornatti! qui avait parle avec un officier de cet Etatmajor. D'après ce dernier, Ics Allemands, cc stade initial de la guerre, auraicnt vraimcnt cn Pologne vise, comme ils le prétendaient? dcs objectifs militaires, si par ailleurs Ies bombes éclaboussaient forcgment les civils. . . . Quant à Varsovie, il sufisait dkvoir ouvert Mai 19-11, aprl:s I'attaqnt: des parnrhutistes sur la Crete, j'appris par miiii fils à qui un nficicr grcc, ~irisonnicrcIuclrIueshcurcs des Allemands, en montra, quc I r s parnchut.istcs etaielit munis, c i r i t r ~il'arnirs et d'aliments, de tablettes de chocolat 5 la kola e t d'iine poudre bIsntlie nunimee Energrn, destinée à les remonter quand lcurs forces, physiques 011 rt~orales,fl6cliisri;iient. Les Allemands méthndiqucs savvnt donc se servir, puur Iciir aurrCs, 11t3 ~ O U ~ Cles S rcssuiircrs de la scieilce, e t il est fort pussiblc que les aviateurs allemands cn Polognc aient aussi ahsorhd, non pas rlr l'éther, mais rlr la Kola c t de IWnrrgrn (Saris diiutc di? la IIenzGdrine). 1


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MYTIIES DE GUERRE

ses yeux et ses oreilles pour avoir entendu e t lu, meme dans les

radios et journaux anglais e t français, qua les assiegeants avaient donné à la ville, laqucllc avait annoncé qu'elle se défendrait, vingt-quatre heures pour I'Evaciiation de scs civils, délai qui fut prolongé de vingt-quatre heures encore avant Ic bombardement systématique. Mais le rappeler, voirc simplcmcnt s'en souvenir, c'&ait dc la gcrmanopliilie. . . . Car, en temps de guerre, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et il convenait de maintenir sur toute la ligne le mythe de l'ennemi toujours-et partout lachernent c r r i ~ l ,propre à exciter à la haine donc à la Iutte.

Cependant les Allemands, cn fait d'atrocités contre lcs enfants, eussent fait plus cncorc que les rnitraiIlcr ! Les histoires de mains coupécs n'étaient pas, comme cri 1914 c n Belgique, au premier plan. Le3 Allemands, cette fois, aiiraiçnt lancé dit haut dc ltturs avions, pour tenter les enfants, dc jolis pctits ballonnets, rnniv tout remplis d'ypErite. Et, 8tratagème pli13 raffine encore, dcs bonbons empoisonnes. Des gcns dignes de foi affirmaient en avoir tenu en mains. On aurait d'ailleurs trouve cn France et jusque dans Paris de tels bonbons e t dc tels ballonnets. La hantise des gaz prenait dcs proportions insignes. Lors dcs alcrtes aérieiirics blanches qui r6sonaaient alors si souvent sur Paris, des femmes affolées croyaient sentir dans l'air des odeurs toxiques : certaines r n h e se jetaient aussitat à terre, ce procedi! etant rccomlnand6 cri cas d'cmpoisonliemexit par I'ypéritc et on les trouvait ainsi planqtiées. Les Russes, liés momentanément aiix AlIemands par un pacte de non-agression, cnvahissniciit ii lcur tour la Pologne, prcnant ses armées en retraite à revers. Après dix-huit jours de vains combats, la dernière résistance p o I u r ~ a i ~~i'effuriilrait. e Uri étrange Llargissement des accusations alors s'ensuivit : non seulement l'ennemi, ailquel on ne pouvait pIus c o n t e s t ~ r rnythiqiiement le succès, restait stigmatisé comme un barbare indigne, mais l'alIi6 battu était couvert d'insulte et d'ignominie. Si l'on concbdait encore au soldat polonais son inutile bravoiire, l'inconsistant Ueck, le falot Ridz-Smigly et tout le parti des «colonels» polonais qui avait h i en Roumanie, servaient de ~ O U C S émissaires à la déception


B[YSEII.:SU L CUMBAT CZIEZ VAINCUS ET VAINQUEURS

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populaire clcs peuples ûccidentaiix devant l'écroulemc~it dc leur allié ûrient,al.I ik

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Taiidis qu'en Septembre 1939 les Occirleritaux s'indigiiaioiit ainsi au récit des atrocités alle~nandesen Poiognc, les .4Ilernnndu rendi6rissaient sur la cruautC des I'olonnis qui eussent iriassacré, torturé, voirc chittrt;, les aviateurs allcrnands quand ils etaicnt Corccs d'a ttcrrir. Le complexe de cas tratiun j CI aa d'ailleurs un r6le dans la genitse de cette guerrc : Hitler, dans sori célèbre entretien avec ITenderson, en Aoiit 1939, rapporté par le livre blanc anglais, éleva contre les Polonais cc grief capi-ta1 d'avoir chitré des Allemands. Et j'avais tutijoiirs pciisE, depuis qu'avait E t 6 sigii6 Ie traité de ircrsailles, que cc traité coritcnait quatre clauses redoutables pour la paix 5 vcnir dc 1'Europc : indeinnit6 écrasant,e &chelonnée sur trente-deux armees, confiscation de toutes les colonies altemandes, obligation pour l'Allemagne de declarer dans l'article IPr du traité qu'cIlc se reconnaissait seule coupablc de la guerre, ce qui constitirait. une liieri vaine huniiliatiori du vaincu ; mais la plus gravc peut-être des cauçcs de conflits à venir me semblait la cons-. tirution du corridor de Dantzig, coupant Ic corps de 1'Allcmagne de sa province de I'russe oriezitalc. La Pologne ressuscitee avait heau avoir besoin, pour respirer, de ce pournori, dc I'accgs A la mer par le chemin de la Vistule, le tc complexe de castration», dt: rnutilatiori, d'lin grand peixglc viril cn dtait excité. Et c'est cn effet h propos dc Dantzig et rrierne d3Allernands soi-disant châtrés par des Polonais - coïncidence étrange - qu'éclatait la guerre en 1939. Qu'y avait-il dc vrai rians les atrocités attribuées par le8 Ailexnands aux Polonais, comine par Ics Polonais aux Allemands ? La fureur populaire, quand ne l'eudigue pas la d i s c i ~ l i n cmilitaire, peut bien se livrer à des exces contre un envahisseur hai ! Mais les impitoyables représailles al1t:rriandes durcrit vite y rnettre fin : pour tout franc-tireur, corrirne en 1914 e n Belgique, les Allemands ri'hEsitGrcnt pas 5 incendier en Pologne des villages entiers, I Au Cap, ru Février 19.12, un diplornate polu~iaisme rapporta deux autres mythes ayant eu cours cn l'ulogne a i l cours cle l'inviisiciri. T,t*s aviateurs allemands auraient ltintrc, du haut dcs airs, des feiiillcs rlc tabac dans Ics prrrirics où yaiseüient les bestiaux afin d'empêcher çcux-ri, que l'odeur dc la nicutine eût rcpoussks, de brouter : ainsi ils niourrairrit dc fairil. Des paysans Iiolonnis étaient dc plus (mythe précoce de la Ciuguième colonne) aca~si.s de fuulcr aux pieds, cn ccrclc, l'hcrlie de leurs champs afin d'y trerct drs ccrt.lcs dcs1iiii.s à guidcr dans leurs a t t ~ q u e sles aviateurs ennemis.


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MYTIIES DE GUERRE

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voirr! à passer par les armes leiirs habitants . . Les atrocités aont loin d'être toujours un mythe, I'liornme est resté un loup pour l'homme, suivant l'adage latin. Je veux seulement indiquer comment la vieille barbarie, même quand elle est Partiellement endiguée par 13 discipliiie chez l'crincirii, lui e s t altrihu6e totale, comme Ia mauvaise foi. C'est ainsi que la légende d'obus à gaz fournis aux Polonais par les Anglais apparut en.Allemagne en réplique à celle des ballonnets d'ypérite Iances par les Allemands cn Pologne et sur Paris. Toute I'Allemagne s'indigna, par sa presse et sa radio, de cette IAche

perfidie britannique, puis, au bout de quelcpcs semaines, 13. Pologne b bas, on n'en parla plus. Car les mythes se fanent comme, les fleurs, pour rcnaî trc d'ailleurs, elles, dans les rncines circonstances dc saisons e t rie c1irnats.l O

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Cependant. qiic l'hiver s'avançait glacial et rude air-dessus du front dfOccidcnt quasi iminobiIe, le 7 Novcmbre eclatait h Municli, dans une brasserie où il devait parlcr, une Lombc dcstincc à Hitler, tuant un certain nombre dc ses partisans assernbl6s, L'expIosion ne manquait le Fiilirer que cle ijai:lq,ues inilliites' ; suu discours ayant ,te un peu plus court qu'il ri'é,tait prévu, il venait dc yuittcr la salle. La propagandr: allemande s'empara aussitot de l'attentat pour attiser la fureur du peuple contre I'ennemi ! C'etait 1'Intcligence Service britannique qui aurait monté le coup ; deux de ses agents &taient arrêtés 5 la Iionti6re de Belgique dans un guet-apens et toute la diabdique organisation paIicière anglaise déno~icée. L'InteIligence Service semblait pourtant hien incapable de tant de ruse eficace ! Mais le mensonge-mythe se trouvait aussitOt avalé tout chaud par le pcuple allemand d'où s'élcvaicnt des hurlementa de colisre contre l'ennemi qui recourait à d e tels procédés. La perfide Albion et on lord de l'Amirauté ChurcIiill, l'archi-ennemi de 1 En Avril 1941, h Athènes, un aviateur nllernand AgF de vingt an#, abattu en Macédoine, interrogé par mon fila, lui dcclarait : Mais comment, m o n capitaine, aurions-nous pu ne pag faire la gucrrc à la Fologne, aprea cc qu'elle a fait ! ' Vous connaiesez donc Prisen ? C'est une ville allemande ! Eh Lien, 1; lcu Polonais avaient massacré cinquante mille Allemands ! -Et vous croyez ça, na+ifs que vous ktes ? répliquait mon fils.-Mais j e vous assure, iiio~i~i,i~jitüirie, q i i e c:e ri7&tuitpas de la propagande, c'était la pure vérité ! - llien ne put élirsrilpr la conviction du jeune fanatique. Tant qu'un mythe, tel celui-ci, conserve sa ~iciriitionde combat, il pcrsist e.


MYTIIES DE COMBAT C I ~ E Z VAIYCCS E T VAIKQUEURS

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l'Allemagne, n'avaient-ils pas déjà? di.s le 3 Septcnihre, la girerrc 6tant à peine décIaréc, fait torpi.llcr, disait la propagande allemande, le paquebot Athenia charge de passagers arnkricains, afin de faire croire A quelque attentat par irn ~ous-marinalIemand ? Ainsi. tout carnrnc autrefois grâce air torpillage de la Lusitania par un soidisant sous-marin allemand, eût été provoquée l'cntréc en guerre des Etats-Unis contre l'AIlernagne, A présent, c'etait à Ia vie di1 Führer ador6 rliie: la perfide Albion s'en prenait ! Cependant, de l'autre c8té des fronts de bataille, en France et en Angleterre, un autre mythe s'accréditait : c'eût été Hitler Iuimême qui aurait fait monter l'attentat de Munich par dcs agents de la Gestapo afin de fouetter I'enthousiasme ddjà dtclinant du peuple pour sa personne. La guerre eût été de plus en plus impopulaire e l i Allemagne, on en rendait le Fulirer responsable, il sentait la partie perdue pour lui. Alors, par ses agents, il aurait fait insérer, dans Ir?plafond de la salle de brasserie rnunichoise, ln machine infernalemais avait eu bien soin d'écoiirtttr son discours de façon à sortir avant le moment où le mécanisme d'horlogerie v mettrait le f~fu! De plus, dérrioniaque: rnachiavélismc, Hitler, en faisant 6c.Iater unc bombe clans une salle remplie de ses partisans, aurait ainsi trouvé moyen de se débarrasser sans en avoir l'air de certains d'entre eux ! On négligeait, ce disant, que Hitler n'avait pas besoin d'exalter par un attentat feint sa papulariti! dans une Allemagne tout enivréc: de sa r6c.ente victoire en Pologne. L'énigme de l'attentat n'a pas été résolue et ne le sera peut-6tre jamais publiquement. Je m'imaginerais volontiers quc seuls des dissidents du national-socialisme, au sein même du parti, purent monter un attentat aussi hardi et insérer la bombe au pIafond de la brasserie en dépit de toutc surveillance. En tous cas, ni Ie mythe allemand de l'Intelligence .Service ni l e mythe franco-anglais d e l'attentat provocateur de Hitler contre lui-nieme ne me semblent résûudrc cette énigme-là. d

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Cependant, dGs Avril 1940, dès la campagne de Norvkge, les communiqués des deux partis commençaient à manifester de typique8 discordances qui, jusqu" la fin des hostilités, n'allaient plus beaucoup varier. Ecoutions-nous alors la radio d'AlIemagnc, voici cc que nous eritendio~is: « Nous avons coulé 18.000 tonnes b r u t e


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~ T Y T H E SDE G U E R R E

de vaisseaux anglais Ie Iong des chtes rla Norvégt: ! » Silence par contre sur ses pertes propres, ou aveu du coulapc d'un pctit Irarisport ou d'un petit contre-torpilleur. Ecoutions-nous le ~nêmc: soir la radio d'Angleterre : « Noiis avons», déclarait-cllc son tour, « coiil6 cinq transports de troupes allemandes aix large de la Norviige ; nous-xiiêmes n'avons perdu qu'un seul contre-torpilleiir.» Qui croire ? L a dissimiilatiori de scs propres pertes e s t un dogme de combat. Et le desir sinon la mauvaise foi pcut magnifier les pertes de l'ennemi ct faire croire que tout navire paraissant toiiché a coulé. La campagne de Korvège doit cepcildant avoir coûté à l'Allemagne unc bonne partie de sa flotte. Mais je ne sais combien de ses vaisscaiix h la Gri~n~lri Eretxgne. En tous cas, malgré lcs tentatives d'aide alliée à la NorvEgc, vite changees en rexnbarqucmeiits ccvictorieux f i , elle valut A Hitler, gain cette fois non mythique, la possession intégrale des côtes atlantiques scandinaves et du fer suédois. Les mêmes discarilanccs en miroir se manifestaient d7aiIleirrç, e t ceci dès le début de la guerrin, dans les coniptes rendus des cornbats d'aviation. « Nous avons abattu aujourd'hui», proclamait la radio allemande, « vingt-cinq avions britanniqiies au-dessus de la Norvège. Deux de nos avions n'ont pas rejoint leur base.» La radio anglaise, le même soir, annonçait : c< Nous avons aujourd'hui ahattu trente-deux avions allemands. Un de nos avions est rnanqiiant.>?

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Avec la campagne de Norvège dc nouvelles sortcs de rnythes, de source parfois officielle mais surtoiit ~iopiilairc, sr: portèrent d'ailleurs au premier p h i h Londres et & Paris : ceux relatifs 2 la Cinquième colurinc et aiix ~iarachiitistçs. On sait que la Cinquième colonne fut le nom attribut, pendant la guerre civiIe d'Espagne, niix sympathisants franquistes qui, dans Madrid, sur laquelle convergeaient quatre colonnes de troupes, pussent rriiriL d u illeclürrb Iit ~ t L i h ~ ü t ~JCY c t : assii'gSs. Qiie Ia Cinqiiiéme coIonne existât aussi en 1939 e t 1940, voilb qui uc sc saurait nier, vil le caractère sp6cial de la guerre d'alors, guerre de religion sociale autant quc nationatc. On se battait donc d'un côté pour la liberté individuelle, ct pour celle, nationaIe cette fois, de conserver ce qu'on avait aux pays possesseurs des biens de ce


MYTHESDE COMBAT CIiEX VAINCUS ET L-.AIDiQCEUHS

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monde. (L'Empire colonial franco-britannique ne recouyrait-il pas prés du tiers des terres émcrgéea de Ia planète ?) On dédarait se battre de l'autre côté pour l'instauration d'un ccordre social nouveau» où chacun posséderait soi-disant selon son travail, où Ics nations pauvres opposées aux peuples riches (les «ploutocraties» occidentales) opérerarcnt une redistribution des richesses de l'univers suivant les forces et besoins vitaux de chacun. Et de ce caté-lii était alors l'esprit r6volutiorinaire qui aspire a u x changements. Or l'appel au changement, ai la réforme des choses existantes, est autrement stimulant pour les jeuncs homrries que le sirnplt: souci de maintcnir un vieil ordre existant. Quoi d'étonnant alors si, en tous pays, il se rencontrait des jeuucs gens ~ n e m enon allemands fanatiques de XJitler, prophètc du nouvcl ordre ? Et l'activite occultc, l'espionnage luimeme, dans ces cas de pros&Iytismeintensif, semble aiix fanatiques permis, voirc ordoriné e t méritoire. Les religions adoptent donc tous les moycris de se propager. Les nationaux-socirilistcs ne craignaient d'ailleurs pas d'employer 2 leurs desseius, en tous les pays, surtout chez leurs voisins, tous les moyens de séduction, flattant chez les uns l'intérêt, chez les autres I'arnhition. Ori attribuait 5 IIitIcr ces paroles : << Je trouverai en tous pays des snobs, des traîtres ou des imbéciles pour me servir.)) Ainsi s'ktait ouvert sans défense aux navires allemands le port d'Oslo, où Quisling, lui peut-être un convaincu de l'Ordre Nouveau, forniait trientot le gouvernement hitlérien de Norvège, cependant que Ir: roi Haakon se réfugiait en Angleterre. 4t

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La Cinquikrnc colonne devait oyiércr ailleurs encore. La IIolrinde e t Ia Belgiyire, redoutant son activite, arrêtaient Lient& par milliers les espions allcmarids urx même souvent leurs propres sujets, sympathisants hitlériens, Peu importait ! Lü Cinquième colonnc semblait renaftre dc ses cendres, par le rhlc mi-rFe1 et mi-fictif qu'elle allait jouer. I,e 10 Mai 1940, cepeldant que la propagande alIemandr? de Goebbels proclamait i nouveau, comme pour la Norvège, que le Reich ne faisait que devancer les Alliés d'Occident dans leurs plans d'invasion, les troupes alleniandes pgnéiraient la fois au Luxembourg, en IIollande et çu Belgique. Leur progression incroyableriicrit rapide fut alors attribuée, bien moiiis qu'à la supcriorité de


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MYTIIES I)E GL'ERRE

leurs armes e t de leur stratégie, 21 l'action occulte et déloyale toujours e t partout de la Cinquième coIonne. C'est ello encore e t toujourb q u i aurait Iaiicé à tel régiment te1 ordre de repli dont on ne porivait retroriver l'origine, qui aiirait empêche de faire sauter tel pont, livre tellc imprenable forteresse, réglé mystérieusement tel tir allemand dans tc1 combat ; elle encore qui faisait donner aux populations civiles Fpouvant6es de mystérieux ordres de fuite afin d'cmboutrilIer les routes. On ne prête certes qu'aux riches, mais On Iui prêtait beaucoup, mettant à son compte réel j u s p ' à cct avoir fictif: l'incurie, l'impr6paration, Ja désorganisation, bref la pagaye D vite croissante des ktats-majors et des administrations en IIoXlande, Belgique ou France. Quant aux mythcs relatifs aux paracliutistcs, c'est 2 partir de l'invasion dcs Pays-Bas que je les pus recueillir Ic plus abondamment. Ils avaient déjà commencé de germer lors de l'attaque de ln Norv&gc, o ù les troiipcs allemandes avaicnt &técn grande partie renforcées e t ravitaiflees par air ; pr6scnt ils florissaient de tous chtCs, depuis que les inondations tendues en 11oIlaiiJt: avaiciit &té victorieu~ementtournées également par air. Non contents d'employer largement cette arme noitvellc : des comiiattants tombant inopinément du ciel, arme dont la loyauté 6tait fort discutée et dont l'héroïsme n'avait pas le droit d'être soupçonné, voilà que l'enuemi, dans sa perfidie, aurait recouru aux

plus infimes stratagèmes. En affirmant que leurs parachutistes descendaient vêtus de blanc mais se trouvaient au-dessous revetus d'un unifornie militaire spécial bien que peii voyant qii'ils arboraient en touchant tcrre, les Allemands mentaient ! Nc savait-on pas que la plupart de lcura parachutistes atterrissaient cn civil, pour mieux tromper les populations ? 0 1 1 hie^, periidie si~préme,en 'uniformes hollandais ?l Les parachutistes n'étaient-ils pas cammiflés niErne en colporteurs, factcura, macons, parfois en femmes ? L'cnnrmi 1 En Avril 1931, à AthEncs, jr pus, 5 1'Etat-major grcr, rccucillir Ir r6cit suivant : a Sur le Croitt de l'Olympe, alors tcnu Iiür Ics 860-Zélnndnis, les Allvmands ont endossé dcs uniformes grecs e t ont passé p&a des NEo-Z6landais sans avriir l'air d~ rien. Tout A coup iIs SC sont TC-tournés e t ont mitrail16 les N4o-Z&lantlajs. Crux-ri (.ri ont fait prisonniers un grand nombre n, ce qui authcntiliait 1i: fait. Je tâchai rl'approfundir la chose c t de découvrir, si posuihlr, t c s yrisonnirrs. .le recueillis alors une deuxième version de la même histoire se terrnin;int sinsi : Ilcs Néo-ZCIiinduis, exiispGrés dc tant de perfidie, ont müss;trré juuqu'riu d ~ r n i r r de r-es Allemands déguisés eii Grecs 1). donc impossible d'en retruuver un seul.


MYTIIES DE COMBAT CIIEZ VAINCUS ET VAlNQUEURS

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poussait plus loin encore I'ignorninic, il faisait, ruse sacrilège ! emprunter à ses liarachutistes l'habit le plris sacre : ne les trouvaiton pas vêtus cn pretres, voire en nonnes ? Ainsi on ne se méfiait pas de ces soi-disant saints personnages qui pouvaielit impunément accomplir leurs tEnélreuscs bcsogncs à l'arriére cics hauts, par exemple allumer des incendies ou assommer des notables dans leurs maisons. L'anticl6ricalisrne toiijours ambiant chez lc peuple trouvait ainsi à se satisfaire en même temps que la haine meprisante de l'enucmi, De pauvres gens, des prfitres et des religieuses, furent victimes de cc mythe, assaiIlis par la foule, molestés, bless6s, peut-être même tués. BientGt les .Allçmands passaient la Aleusc entre Liége e t Sedan et pénétraient en France. Ce n'&tait rien, déclarèrent les journaux, on allait « colmatcr la pochc >> ! Mythe nouveau, qui berça d'espoir

quelques jours l'angoisse de la France. Cependant les mythes aux parachutistes continuaient à battre leur plein. On croyait en voir de pris dans Ica arbres des avenues de Paris ; on en signalait dans le Bois de Boulognc, la police était alertée pour aller les capturer. Et comme le flot des réliigiés du Unc troisicme version, toujours émanant de I'Etat-niüjor grec, me fut enfin rapp o r t & ~Cclb-15 . se tcrminnit ainsi : a Les Allcniancis déguisés en Grecs, g r l c e ii çcttc abominable ruse, ont reussi à faire prisririniers Iriuu les 860-Zclandais qu'ils rivaient attaqu6s.s Donc, pliis m&mc possible d'interroger ces témoins-lia I'ar uilleurs, lors de l'rittaque dcs parachutistes allcmanils sur la Crète, cn fin Mai 1951, un officier grec ami dc mon Iils Iui rapporta le fait suivant; Deux paracliutiates faits prisonniers, parnii d'autres habillEs en AIlemands, auraient rkellenient étk revêtus il~uni~ornies néo-zélartdais. L'officier grec les aurait vus, les aurait intcrrcigcs, ils auraient dEclari5 avoir pris ces uniforrncs en Grèce, dans dcs dépôts abandonnes p;ir les Néo-Zglandais, Ct~pcridantle GknéraI Frcybcrg, cornrriandrint Ics troupes riéo-zélandaises en Crète, interroge plus tard par moi, Alexandrie, nie déclara qu'aucun Allemand attaquant lu Crète n'était en unifornie n&o-zhlandais.On sait que Cliurchill, qui l'ovaik d'abord prnclami., le d c m ~ i i i i t1iuLiIiquenient erisuite. Jc crois qu'un enncnii clécidi! ;i viii~icrcri tout prix est fort capable d'employer n'irnprt e i~ut:llt:ruse ulilc, miiis cette accusa tinn de l'uniforme de l'adversaire indûment revêtu se rcrictiiitre trop ri!gulii.rerncnt lors de toute invasion pour n'etre pas souvent niytliiquc. Le 2 Mars 19~12,5 l'émission dc 6 heures du soir, I n B.B.C. annonçait que, lors dc i'nttaque de Java par les Japonais, ceux-ci se seraient approchés d'un puste aUié déguisés en soldats angliiis. L,e type ethnique des Nippons devrait pourtant suare à démentir le mensonae d'un tel i~riifrirmc. Je ne nie cependant pas que, dans rcrtains cas, les combattants n'aient recours cette runc dc guerre cliissiquc ! Je soiilignc ici sculcmcnt qu'on cn charge volontiers I'cnnerrii. qu'il y rccoure uu non.


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MYTHES DE GUERRE

Nord de la France se joig~iaitatrx refugies rlc Belgique pour cncombrer les routes, on accusa da plus en pliis les ordres secrets de la Cinquième colonne de Ies faire ainsi fuir abandonnarit tous Icura liens, leurs fermes, leur liétail. HeIas, la terreur devant Ies Allemands eût s u f f ~ adjointe , ail désarroi dc l'administration française. . . . Je nc nie pas que la CinquiiPme colonnc na fût ii l'rieuvre en maint endroit : ii témoin peut-Stre cet ordre ~iiystérieuxdonne on ne sait par qui 2 certains défenseurs de la Meuse dc rallier Compiègne où trente mille hommes se seraient retrouvés. On me conta la chose, au Qirai d'Orsay, Fous le sceau du secrct. .Ir: prétends seulement qu'on la voyait partout ; sans doute attribuer la defaite i son activité déloyale était-il rnoins humiliant que d'admettre qu'on r e c ~ i l a i ~ le plus souvent parce que l'ennemi était plus fort, mieux armé, mieux commandé, e t qu'il n'est pas de soldats, fussent-ils français, qui pussent fioutenir d'être sans cesse bombardés du haut des airs sans pouvoir répliquer ! Les Gaulois ne craiguaierrt rieli, disaientils, si ce n'&tait que Ie ciel leur tombât sur la tête. Or voilà que le ciel tombait. . , .

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Les Allemands avançant toujours inarchaierit sur Abbeville. Un mythe particulier de Ia Cinguikmc colonne prit alors cours. un Une histoire bien désagréable, racontait-on, venait d'arriver Francais, disons habitant Ia Somme. Avec une g6nérosit6 bien française, il avait recueilli un réfugié de Belgique et l'hébergeait dans sa niaison. Or, comme les Allemands approcbaicnt, il voit un beau matin le réfugie sortir de sa chambre en uniforme d'officier ailcmand ! Cc mythe, très tenace, devait se situer, à mesure de la progrcmion de l'avance allemande, de plus en plus bas sur la cartc dc Fra~ice. Plus tard, dans le Midi, j e Ic retrouvai sous un mode vari&. Lc 5 Octobre 194<0,à Saint-Tropez, une de nies coiisirres &liefaisait ce récit : Une iuiirmière de la Gare de l'Est qui se trouvait là nu moment de la ferrncture de Ia cantine raconta le fait suivant : AprCs l'arrivée des Allemands et la fermeture de la cantinc des sriIdats, clle s'est occupée d'une cantinc pour réfugies. Lcs approvisionnements n'étaient distribués 5 cc rnomcnt que par les Alicmands. Comme ils venaient à manquer c t que l'adniinistratcur de la cantine craignait


MYTHES DE COMBAT CHEZ V A I N C U S ET VAINQUECRS

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de demander des supplhments, l7inhrmièrc s'offrit à le faire. ElIc se fait concluire chez lc coIoiiel allemaiid commandant la Gare de l'Est. Ellc moirtc: cn ascenseur jusqu'à son bureau ; la porte deux soIdats bniorinettc au canon Ici demarident ce qu'e1le veut. Elle se trouve alors face A face avec un officier qui veut savoir comment elle s'cst plissée jusquella. Elle dit chercher le coloncl. C'&tait lui-meme. Elle lui demande alors des approvisionnements pour ses trois cents relugiés, arguant que lui seul les detenait. 11 lui accorde aussitot di1 pain, que portent aux réfugiés deux soldats allemands, puis lui propose une auto aIlernande pour aIXtr eue-même cherchcr de la viandc aiix abattoirs. Eile refuse, disant ne pas vouloir circuler dans une voiture allemande, ce dont l'officier la félicita. Il parlait d'ailleurs parfaitement le français, et lui demanda alors si elle le reconnaissait. Devarit sa dénégation, il se mit à lui expliquer qixe, six mois avant Ia déb3clc de la France, iI avait é t é lui-même à la cantine de la Gare de l'Est. Il releva le revers dc son uniforme e t lui moutra un insigne qu'elle reconnut aussitot pour l'avoir déja vu sur des soldats français. Le dit insigne servait de signe de reconnaissance aux Allemands hnhiiiés el1 Fran9ais.-Cette infirmière a d'admirables cheveux blonds. -'CTous avez le type aryen, lui dit le coIone1. Seriez-vous alsacienne ? Non, auvergnate, rien n'est plus frang'ais,- J'ai fait alors une faute que vous auriez dû remarquer, poursuivit l'cifiicier. Lcs soldats vous appelaient Rladarne et je vous ai appelée Schwester.- Des Alsaciens d'ailleurs le faisaient, répliqua-t-elle.>> Une autre version m'avait été rapportée, le 8 Septembre 1940, par la gardienne d'origine italienne da ma villa à Saint-Tropez : Mon neveu m'a conté », nie dit-elle, cc qu'une dame da Lyon, qu'il connaft, a hébergé pendant tout l'liiver un oflicier polonais. Et ce n'cst que maintenant, apres Ie coup dur, apres que la France a ét6 battue, qu'il a été la remercier, cette fois en capitaine allemand ! Il lui a dit que quoi qu'il arrive il n'oubliera jamais qu'elle a été si geutilIe polir lui ; si elle n besoin de quelque chose iI lui rendra service avec plaisir.)) Ainsi Ie theme de I'H ennemi amical s'intriquait dans ct:a deux derniers rQcits à celui de l'espion fourbe. Et, dans tous ces cas, je m'imagine que le démasquage d'un espioii avait besoin du truchement de l'uniforme pour se concrétiser aux yeux populaires, avides


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d'images. Il y avait 1% le même << souci dc figurahilit6 » que dans le langage du rêve. r(i

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Cornme, parmi les milIions de réfugiés sillonnant Ics routes de France, des espions allemands s'étaient incontestablcment glissés, on rn'airrrrnn encore I'histoire suivante, recueillie 2 Saint-'rropez en Août de Ia bouche d'unc cousine la tenant d'une autre cousine A elle : Des amis à moi avaient ét6 recueillis, dans uri couvent du Gers, par de bonnes sœurs qui hébcrgcaicnt aussi des religieusca réfugiées de Uelgiq-ue. Or voici qii'irn beau matin des gendarmes surgissent dans le couvent, Ils font déshahiller les reIigieuses. On découvrc alors, sous leurs habits sacres, trois hommes, trois espions

allemands ! » Un jeune hlirririieu de nos amis, le même a ~ ~ q ujc e ldevais la version 13 divergente du mythe au cadavre dans l'ati~o me rapportait, l'kt6 de 1940 à Saint-Tropez, avoir cntendu conter, l'école des Roches en Normandie où il se trouvait lors de l'avance allemande, l'histoire suivante rapportee par l'un de ses professeurs : a Une religieuse, A Vitry-le-François, faisait la quctc 5 la gare pour Ies oeuvrcs de guerre, quand brusquement quelqu'un s'aperçoit qu'eue a des mains un peu hommasscç. On l'a dévisagi:e, on a reconnu en elle un AlIemand. La police a essayé de l'emmener mais n'a pas pu ; la foule l'a tu6 sur place.)) Des amis, d'après lesquels j'ai cité déjà plusieurs mythes, m'affirmèrent avoir entrevu, 5 Paris, en n6cernhre 1939, en fiortant d'un cinéma des Champs Elysées, alors que Ia ville était plongkc dans I'obscuritG, une figurc étrange. « Au coin d.c la rue Marbeuf nous entrevoyons une nonne - il était près de minuit ! -visage rasé, allure suspecte. Elle disyurait vite ! Nous avons regretté de ne pas l'avoir signalée à iin agent.)) Sans doute versions varikcs des nonnes parachutistes. On connaft Ic mot -raccourci saisissant - de Jean Cocteau, cite par André hIauroisl : << Ou ne voyait plus, sur toutes les routes de France, que des bonnes smiirs qui remettaient leurs bandes rr~oletiéres.» Y

JIç

ry

Il v eut aussi l'histoire des chefs de gare, de ceux, par exemple, 1

T r q i J i e cn Francc, lcditions de 1ü Maison Francnise, 1940, p. 111.


SI'r'TIIt:S DE COhlBA'I' CHEZ VAINCUS ET VAINQUEURS

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de Bar-le-Duc c t de Villers-Cotterets. Je rapporte ce dernier d'aprés un informateur ~isychünaIyste,celui de la version 1 du mythe au cadavre dans l'auto, venu me voir, aprés avoir 6th démobilisé, à Saint-Tropez, Ie 8 Septembre. cc J'appris, alors qiic noue nous trouvions avec notre régiment, au cours de la rctrnite, à cinq kilomètres de Villers-Cotterets, que .le chef de gare de cette ville, à la lin dc Mai, aurait été démasqué comme espion. On avait remarqué quc les aviateurs allemands réussissaient à savoir quand il y avait des trains militaires en gare et qu'ils les atteignaient. Or le chef de gare, sous divers pretextes, retardait souvent le débarquement des trains militaires d'un quart d'heure ou de vingt minutes. {La gare de Villers-Cotterets était une gare d'arrivée ou une gare régulatrice.) Un jour, pendant qu'il était cn conversation avec un oficier français, Ie petit garçon du chcf de gare arrive en courant : Papa, un te télhphone I -L'homme se trouble e t dit : Non ! que racontes-tu Ià ! Le téléphone est coupé ! L'enfant insiste et précisa que c'est en bas qu'on teléphone, dana la cave. L'officier pris de soupçon exige qu'on lui montre où ae trouve ce téléphone. Il descend, prend le récepteur en main e t entend au hout du fil un Allemand ! Le chef de gare traftre a été fusilIé. La meme histoire m'a kt6 rapportée», ajoutait mon informateur, c< par une jeune femme des sections automobilistes du front retour de Bar-le-Duc, où le même fait se aerait produit.» Mon mari me dit avoir entendu raconter la même histoire du chef de gare espion à Paris e t en Normandie, avant l'occupatiori, et on m'affirme quc la T.S.F. française l'aurait même alors radio-

diilbée. 11 scrait intéressant de savoir, demandai-jc alors, si ces chefs de gare espions, lors des bombardementa qu'ils appelaient, se réfugiaient cux-rntrnes dans leurs caves ? Quelques jours plus tard, lin ami danois, venu aussi nous voir Saxnt-Tropez, me rapportait: une histoire identique, c e t t e fois touchant le chef de garc de Palaiseau, prés de Paris. Rien n'y manquait, ni le thlephone dans la cave, ni l'innocent enfant trahissant son père ; la seuIe variarite était d'un inspecteur de police rempIaçant l'ofiicier. Le chef de gare était de mCma fusille. Le menie inforniuteur ajoutait qiie Ie chef de gare d'Amiens efit é t é un espion tout aussi dangereux, qui prévenait les


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MYTHES DE GUERRE

Allemands du passage des trains pour les fairc Lombarder e t qu'on avait &galementfusillé. D e même des cliefs dc gare d'Autunle-Rouan, di: Metz e t de Longïby. C'était 2 croire p u e tous les chcfs dc gare français étaielit espions, qu'on les aurait puasiment choisis exprès. Ainsi avait sévi, comme il cst de regle en teinpç de guerre, l'espionnite, certes parlois justifiée, mais le plus soirvent mythique, oii tout au moins enveloppant d'une large auréole dc ~nytlieun petit noyau de realité.

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A mesure dc l'avance des

armees demandes oti pouvait aussi voir surgir l'antique terreur guerrière de8 femmes d'êtrc m016es. De vieilles femmes en treml-iIaient et fuyaient eu conséquence, fuyaient devant l'ennemi, et sans ïlaiitt: aiissi devant leur proprp desir inconscient inavoué. Peut-être l'&€range phenornéne qui faisnit craindre tunt de villes, de villages, de devoir être particulièrement vis& par Ics

aviateurs allemaiids était-il d'csscnce féniinoïde analogce, fait de narcissisme, de crainte et de désir mêlés. iIr

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Les colonnes motorisCes a1Ïcrnandr.s avaient atteint la mer, coupant en deux les armees alliées, encerclant dans les Flandre8 la pointe témerairement avancée des armées motorisées francobritanniques avcc Ies armees hollandaise e t belge. L'armée hollandaise se rendait, la reine Wilhelmine se riifugiait en Angleterre ; le roi Léopold, resté cn 13eIgiqi;e à Ia tCte de son armée, capitulait. Un cri unanime de réprobation s'éIevait alors en France, en Angleterre. Lc rai LEapold a v a i t trahi ! Rcynaiid le fitrissait B la radio ; le peuple, allant plus loin, faisait de lui I'agent royal de la Cinquième colonne en Belgique ; il aurait appelé expris aux plaines belges les Français e t les Anglais a h de les livrer à l'ennemi! Sa m h e , la reiiie EIisabetB, la noble hgroïi-ie de 1914-18, Ia compagne d'Albert XCr, le roi chevalier, était stigmatisée comrne son inspiratrice? parce que ni.e Wittelsbacli {on oubliait I'antagonismr: s k u laire de la Prusse et: dc la Bavière) ! On allait jusqu'ii insinuer qii'AIbcrt 1'' n'avait pas été victime d'un accident de n~ontagne mais d'un assassin suscite par sa femrne, agent de l'Allemagne !


M ~ T H E SDE COMBAT CHEZ V A I K C ~ ~ET S VAINQUEURS

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Quand Ics troupes britanniques, la Royal Expediiionary Force, ee fut presque tout entière rernbarquée aiix plages de Dunkerque, cependant que les divisions françaises, plus au sud couvrant sa retraite, perdaient les deux tiers dc leurs effectifs en prisonniers ail morts, elle abandonnait, à l'instar des Français, tous ses canons, ses munitions, ses chars d'assaut, le plus précieux des matériels alliés, , , Cependant un nouvcau mythe, plus gros encore que celui de toutes les « retraites stratfigiques » de Norvège, fut alors Iancé par la propagande anglaise : les opérations de Flaiidre, <iui avaient menacé de tourner au désastre, s76taient donc changées en triomphe ! Car le moral des peuples, malgré Iee défaites patentes, doit être maintenu haut, si l'on \.eut poursuivre la lutte, et ceci dans l'espoir de lendemains victorieux. Là git la fonction des mythes de combat. Ilais pour qu'ils la puissent rernpIir de façon efficace, il faut à ces armes spirituelles le soutien matbrie1 aux batailles des canons e t des avions. Or on reccilait. Les malheureux soidats fraiiçais, démunis du materiel perdu dans les Flandres, exposés aux avions ennemis qui les mitraillaient sans répit sans qu'ils pussent se défendre, sans qu'un aviateur allié parut au ciel, se sentaient vraiment peu soutenus par cet autre mythe qu'on leur servait : l'aviation alliée eGt travail16 ailleurs ! Malgri: de beaux actes de bravoure locale, comme 8ur l'Ailette o ù dea r6giments d'infanterie alremande entiers furent fauches, ou à Saumur où les élèves de 1'écoIe de cavalerie défendirent le passage de la Loire, la retraite se transformait en déroute, bien qu'on ne l'avou5t pas mais qu'on parlât sans cessa de résistance. C'est alors que jc pus recueiIlir de la bouche d'un préfet de l'un de nos départements de l'Ouest le mythe qui circuIait de ci de là e t auguet lui-même semblait croire. Weygand, qui avait succédé à Gamelin, eût fait exprès de reculer ainsi afin de prendre ensuite comme dans un fiIet les armées allemandes imprudemment aventurées !

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On

Y

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sr: consoIait encore en re temps B l'idée des c( lourdes pertes » infligées à l'adversaire qui avançait, pertes quotidienneirienc proclamees par les communiqués, pertcs, ajoutait-on, sans rapport avec le gain de terrain réali~é. C'est donc là le clichd


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MYTHES DE GUERRE

de sa propre supériorité maralr! sur un ennemi réputé sans foi ni loi. L'envahisseur nc multipliait-il pas ses liches attentats contre les civils e t les objectifs K non militaires >} ? Ne progressait-il pas que grice ii sa barbarie ? Ses

On

se consolait encnre à l'iriir?

colonnes ii~otoris&es écrasaient tout sur leur passage pour avancer plus vite ; des vagues d'aviation d'assaut lcs précédaient Liomlardant, mitraillant férocement hGpitaux, croix-rouges, &coles, voire, comble d'horreur, cirnetièrcs ! Des morts, ces ossements sacrés qu'on ne doit pas troubler dans leur dernier sommeil, &taientainsi LparpiIlhs à tous Ics vents ! (Les morts ne peuvent pourtant plus être ni t u é s

ni blessés.) Mais c'&tait surtout sur les routes de Franco qu'eût sévi la lâche cruauté de l'ennemi et qu'il lioursuivai t inlassabIemeiit, pour en détruire Ia race, les femmes et Ies enfcnts ! Car Ic lamentable flot des refugiés fuyant devant l'envahisseur s'enflait de jour en jour. S'i5chelonriaient le lnng des chemine aritos pleines de bagages. avec sur le toit les niatelas familiaux, charrettes de ferme chargées de fcmmes, de vieillards, d'enfants, dc chiens et de poulets, de matériel et de hardes entassés A la hite, cyclistcs avec derrière la selle leur petii Laluchoii, pietona cherniliant et tombant parfois, de fatigue e t de faim, dans les fossés au bord des routes. A ce flot de civils se mklait de plus en plus celui des troupes; en déroute. Alors les avions ennemis qui ,les poursuivaient mitraillaient souvent dans le tas, alors malheur aux civils rnkles aux soldats ! De même des bombardements de l'aviation aux villes. Le centre d'Evreux fut détruit en quelques heures e t des milliers de civils engloritis sous Ies décombres des maisons. Mais Evreux hebergeait 1'Etat-major britannique. Lors de l'unique bombardement de Paris, auquel j7assistai, prks d'un mitlier de personnes furent blessées ou tiiées. Cependant le centre d e Paris n'avait pas Eté visé, mais au pourtour les usines, les champs d'aviat.ion, lcs vriics fcrrfics- n f i s avions bombardant d'une hauteur de 5,000 métres ne pouvaient viser avec précision ; alors malheur aux civils proches 1 Ainsi, en matière de civils tuds, la réali~és'alliait au mythe. Des civils Ctaieu~ccrtcs tu&, e t c'est ce qui d'abord importe. L'élkmcnt mythiquc in~ervient quand le peuple, dans sa rancmur compréhensible, attribue 2 l'ennemi l'intention rlémouiaque constante de tuer de pr6jZrence des civils.


3IYTITES DE COMBAT CHEZ VAIECCrS ET VAINQUEURS

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S'il avait voulu, I'cnnerni, il eut pu tuer bien plus de civil3 fuyant par les routes ! Mais c'était sur ICS objectifs militaires qu'alors il concentrait ti7riliord son action dans son dFsir d'en finir au pIus tôt par m M pfi'ierrcéclair » efficace. L'Etat-major allemand n'aime pas gaspillcr ses efforts, Le bombardement systamatiquc des 1popuIations civiles restait rescrvc pour plus tard, pour l'Angleterre, si 17ile, daris sa Jierte, nc: capitulait pas si-tot après la Francc.

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Malgré tous Ics mythes berçant les défaites françaises, Paris fiit pris. L'Itrrlic attaquait à son tour la France vaincue sur le frortt dcs M y e s e t bombardait de ci de 12 du haut des airs ses villes e t ses villages. Alors, un dernier mythe leurra la France : la Russie exaspérFe des trop grands succés germaniques allait tout de suite attaquer l'Allemagne et mobilisait acr sa frontihre. Les troupes sovigtiques cependant n'occapaient que les pays haltes et trois jours apres la prise de Paris, Ic 17 Jiiin, le Maréchal Pétain deman dait l'armistice. Seul Ie génerril de Caullc, de Londres, gardait haut Te drapeau, tleclarait vouloir poursuivri: la lutte auprh des AngIais et appelait dans les rangs de sa petitc armée les Français voulant restcr fid&Icsh la tradition libcrale. Cependant l'agressivité d6çuc du peuple francais, qu'on avait dressée tant de mois contre l'ennemi germanime, en grande partie pliait et déviait ailleurs. Ln sourde hostiüté que tout peuple éprouve envers ses aIliés, et qu'on pouvait percevoir partout où campaient en France des contingents étrangers, se renforqa de toute l'agression qui n'allait pIus contre l'ennemi aupuel on cédait. Déjh, di% 1939, on avait accusé Ies Anglais en France de voler, de piller, voire de tuer les femmes en les tatouant (mythe recueilli à Rennes par ma fi1Ie) ! A prEsent l'Anglais avait désappointé les plus grands espoirs ! Ne iioirs avait-il pas entraine dans cette gucrrc e t ce dés:istre ? Et le l'arisicn sentait l'ironie, alors, de lsafKche figurant 1'Exiipire franco-liritannique avec au-dessc~us inscrit : Nous vaincrons parce que nous sommes Ics plris forts I» e t qui s'dtala encore iin temps dans les inctros (le Paris, près des Allemands bottés e t casqués dcs troupes d'occupation assis dans les wagons. Mais les Anglais, Ics riIliCs dc: la veilIe n'ctaient pas les setils accusés du désastre dc la Francc pour I'nroir entraînée, sans préparation adéquate, dans une gueric perdue d'avance : il y avait

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aussi les Francs-Maqons ct les Juifs ! Les Juifs ~ u r t o u t ,ces boucs émissaires, à travers les siècles, rIcs peuplcs rnalhcureux, Le graud mythe antisémitic~uc deux fois millenaire, germé A l'ombre de la Croix, dans Ic gang répandu du Christ, et au nom duquel Zcs saints croisés, sur lcur passage, massacraient aux ghettos les Juifs e t leurs enfants, refleurissait en France. sous les couleurs nouvclles du sauvage credo raciste proclame par Hitler. Depuis que, sclon le mot de Nietzsche, H Dicii est mort)), le Juif n'est donc plus d'abord le mecréant religieux, mais iZ n'cn est que plus indél6bilement le mécréant raciste. Ainsi, de même que l'Allemagne, riprés sa défaite de 1918, avait entendu, par la voix de IIitler, inaugurant la plus grande croisade au~is6rnitiquede tous lcs temps, accuscr Ics Juifs d'être enuse de sa dissolution, de l'avoir poignardée i< dans le dosn, la France vaincue de 1940 accusait une partie de ses propres ~itoyciis d'avoir et6 complice des Juifs internationaux H, de l'Internationale ou rouge ou dorée, pour la mener au désastre. Ce n'était pas en vain que, voici un demi-siècle, elle avait été déchir6e par l'affaire Dreyfus. Le ministère de l'idéaliste Léon Blum, pendant lequel la production industrielle française fléchit sous les grèves juste avant le combat, fournissait un noyau de réaIité apparente au grand mythe du Juif rc ferment de di?;solution». Aussi devait-on voir la France, la France la veille encorc: champion officiel du libéralisme, en fait d'intolérance raciste, bientôt emboîter le pas B ses vainqueurs. Comme le disait pittoresquement l'un de nos amis, les Français, las d'avoir tant d'années mangé du curE, mangeaient à prksent du Juif. Cependant les Anglais, uIcérés d'un tcl effondrement de la France. du rejet de I'offre i n extremis faite par CIiurchill d'une fiiaion des deux empires et surtout de l'absence, cri leurs ports, dc la marine française, que l'armistice consignait dans les ports franqais, craignant la mainmise des Allemands sur elle, sommaient, à Mers-elKebir, une escadre francaise de sc rendre en Angleterre, aux colonics anglaises, à l a Martinique ou bien de se saborder, Sur le -refus de l'amiral Gensoul, ils ouvraient le feu sur leur allié de Ia veille et du sang versé se trouvait ainsi entrc eux. Le parti anglophobe en France se: r e n f o r ~ a i t . Aiisfii, le 3 Septembre 3940, 21 Saint-Tropez, une de nies amies me rapportait le propos suivant qu'elle venait de recueillir de la bouche d'un Tropéricn : cr Iles Anglais sont 110s cnnernis héré-


~ ~ ' ~ ' T I I1 Ei S~C O ~ W ~ Z TCITEZ VAINCUS ET VXIKQUELTRS

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ditaires. Ils nous ont fait déclarer 1a guerre pour nous dktruire, c'était u n pi;zi3.)> Elle-mcmc trouvait ce propos exagér6, mais ajoutait : ct II v a pourtant un peu de vrai 15-dedans. Si les Anglais rlous ont si p e i i aidés, s'ils nous ont envoyé en t o u t e t pour tout dix divisions, c'est qu'ils espEraie~itque 1'AlIemague et !a France &'amoindriraient réci~iroqiiemente t qu'eux alors trôneraient seuls ! »

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Cepcndant l'ennemi, dans les trois cinquiémcs dc la Frauce qu'il occupait, avait surpris les Frayais par Ia i c correction B de son attitude, malgré 1'infiexil)ilité de sa discipline e t de ses réglements. Car, cn dépit de la rEputation de barbarie qui l'avait prdcEdé, l'Allemand, à leur graiid étonnement, n'avait pas massacré partout et toujours les La I-iaitie agressive avait alors souverrt fait chez Ics vaincus A une admiration soiirnisc e t Cascinée pour Ieiirs vainqii~iirs. Or, malgré la raréfactioii des denrées, dont il accusait le blocus anglais, l'nllcmand avait su vaincre, grice à sa technique, griice ses ersut;, ces produit5 magiques en lesquels il savait ophrer, te1 autrefois les alchimistes, la transmutation des substances ! brais l'or n'étant plus en vogue, les pays à or, les ploutocraties » ayant montré, disait-on, leur faiblesse, ce n'était plus en or qu'il convenait, les substances, de les changer ! On avait donc été vaincu par la supkriurité dc l'ennemi en avions, en chare d'assaut, bref eu mathiel motorisé ;malgré leur soi-disant pénurie d'essence, cent fois pro cIamde, les Allemands n'avaient cessé de l'aIimenter, leur matériel de victoire ! Alors, au moment même où, en France occup6e ou non, l'essence, le precieux fluide, de pIus en plus manquait à la vie civile, alors que Ies autos, l'une après l'autre, devaient s'arreter, voici le mytlie qui courait : K Des soldats aIlemands arrivent dans un village. Ils demandent de l'essence. II n ' en ~ a pIus : Ça ne fait rien, disent-ils, donneznous de l'eau ! On remplit d'eau leur r6servoir à essence ; ils y ajoutent une petite pastille et poursuivent leur chemin.>r (Version recueillie en Juillet 19411 à Galan, Ilaute-Garonne, par une jeune réfugiée de Paris.) Dans d'autres versions, c'est une petite canule immerge@ dans l'eau qui engendre le carburant. (Version recueillie un peu plus tard par Ia même informatrice, h Saint-Tropez.)

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MYTHES DE GUERRE

Dans une version plus éloqircnte encore e t rccucillie aussi A Calcin en Juillet par la même jeune fille, ce n'cst pas pour eux que les Allemands accomplissent leur tour. magique. De pauvres rkrugiés, de ces malheureux dont des millions silIonnercnt lcs routes, xnanquant d'essence sur le chemin de leur retour, rencontrent des Allemands de Ia troupe d'occupatiou. Lcs AlIcmands secouraliles, avec l'une de leurs féeriques pastilles, transmutent pour eux lkaii de la fontaine cn essence, Les rérugiCs reconnaissants continuent leur route, (Un jeune homme maIveillant aj oti tait d'aiIleurs, atténuation au miracle, que l'auto des r6frrgiés se serait arrêtée après quelques centaines de mktres.) Voila qui rappelle un peu Ies noces de Cana avec leur eau changee en vin. Mais c'est en essence, cette denrée actuellenient de toutes la plus précieuse, que se trouve transmuee l'eau ! De pIus, 2 cc thème de l'Allemand mngicicn souvernin vient s'intriqucr de fayion riiagnifiqire, dans Ia version derniéri: di1 rnythc à la pastille où des réfugiés sont secourus, Ir: thhrrie déjà inentioniié de 17ic ennemi arnicalu. L'erincmi est deverni, ayrEs notre vaiuqueur, notre sauveur. On repense à l'affiche apposée un peu partout alors en France occupde, figrrrürl~un soldat allemand tenant par la mairi un jeune enfant cependant qu'il en porte un autre dans ses bras cit lui sourit : {c Popirlations abandonnhcs « faites confiance « au soldat allemand I » Kous voilà Ioiri des aviateurs ennemis 1anc;ant ailx petits enfalits des bonbons empoisannés.

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Cependant, 2 mesure que Ie rat.ionnemcnt se faisait pliie dur en France, la haine en dérivaut, si elle s'orientait souvent, en France non-occupée, contre l'Anglais e t son blocus, se dirigeait de prCférence en France occupée contre l'Allemand dont on sentait la botte c t qu'ou accusait justement de prél6veint,:ntu excessifs sur toutes 14s denrEcs raréfikes. Mais toutcs sortes de fhrocités supplé~nentaires se trouvaient de nouveau attribuees arr vainquçur. Ainsi, en fin 1940, je pouvais recueillir les diverses histoires suivantes : (u) Version recueillie par Ina fille à Saint-Tropez, en Octobre


MYTHES DE COMBAT CIIEZ VAINCUS ET VAINQUEURS

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Une dame que je rencontrai sur le port me dit: Voici une petite fille qui vient de reveuir de la zone occupée. EIle a quatre ans, eue est dans u n état de nervosité indescriptibIe. Elle pleure quand on parle des Ailemancls, enfin elle en a tres peur. -La dame mc dit alors ; Les Allemands sont trCs cruels. N'orit-ils pas réquisitionné en France toutes les jeunes fdles de treize à dix-huit ans ? On les a mises dans des bordels pour les soldats allemands.)) ( b ) Autrr: type d'histoire, cette fois directement recueilIie A Paris * en Décembro 1940, aupr6s de la femme d'un ambassadeur de France, mais qu'une de mes amies me rapporta : « Un soldat aIlenrand est ramas& sur Ies roiites lors de la retraite et soigné à l'hopital par mon amie l'ambassadrice. Il est reconnaissant ; on lui demande GP qu'il dhsire. Il riposte : J e n'ai qu'un regret, rie pas vous avoir massacrEs tous ! » Des mythes dc caractère pllis specialement alimentaire, comme il convenait à la situation, étaierit les plus fréquents. Toutes les variantes qui suivent ont ét6 recueillies à Paris en iin Décembre 1940. ( c ) hfa femme de chambre me raconta un matin : cc Un militaire nllemand est rexivoyé ca permission en Allemagne. II dit à un Français de ses amis : C'est bien dommage ! J'aurais voulii re6tt.r pour voir les Français crever de faim ! » ( d ) Une antiquaire de la rue de Constantinople (celle de la version 3 di1 mythc au cadavre dans l'auto) rapporte à mon mari : ~c Une amic de ma bonne faisait la queue pour adicter des victuailles quand elle entendit un Allemand parIailt trés bien français dire : Coniment ! ils trouvent toujours à nianger ! Je volidrais les voir crever de faim ! )> ( e ) Un de mes colIégues psychanalyste me rapporte Ir: fait suivant : « La belle-smur d'une femme dc ménage quc nous connaissous aurait cntcndu dc ses propres oreilles le didogue suivant entre u n officier allernand très sympathique et la dame qui l'avait log6 a i l moment ou il prenait congE d'elle, &tantdéplacé. La danie, ~nalgré ses sentiments patriotiques, n'ayant eu qu'à se louer de l'officier, se croyait obliggc dc Iui exprimer des rcgrets de son départ. Lui répliqua : Moi aiissi je regrette bien de partir, hIadamc. car j'aurais bien voulu restcr jusqu'en Février oii il n'y aura plus de pain ni de viande pour lcs Français e t vous voir tous crever de faim ! ?> 1940 :

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10G ( f ) Lc mCme informateur ~ i i cdit encore :

MYTHES DE GUERRE

J'ai elitcudu depuis de trois autres sources l'histoire de l'Allemand qui voudrait vair r~iuurirde faim les Français. La inère de l'acteur qui avait rapporté le mythe du massacre des Irinocerits (version 11 de l'Ennemi pitoyable) aurait aiissi coiitk le trait suivant : 1)evant une triperie de la rue Roulard, une dame raconte qu'un oficier allemand fcrt aimable qui l'avait surprise par sa correction et dont ellc prenait cong6 Iiii aurait dit cl'uunc voix douce : Et moi aiissi je regrette de vcus quitter; j'aurais tant aime vous voir mourir de faim en Février.-Cette meme histoire a 6ti: racontée à ma îcxnmen, poursuit mou informateur, « par une clientc venant de Normandie, laquelle la tcnait de sa hnnne qrii la rapportait d'aprks une voisine de villa.- Lui avez-vous demandé de qui elle la tenait ? -Je n'cil ai pas eu l'idée ! >> Le caractère mythique dc l'histoire n'tcheippait pas P mon informateur: ( g ) Enfin cette autre version recueillie le 29 D~ccrriLre A Arles mais provenant de Ia zone occupée : « Un off~cier allemand est loge chez une dame. Il est charmant, tres aimable. II reste un certain tcmps, toujours aussi courtois. Au moment de partir, il prend congé de la darne e t la remercie, puis ajoute avec un charmant sourire : Oui, je regrctte bien de partir, car j'aurais été heureux de vous voir crever tous ! 3 On voit, dans les trois versions, l'hypocrisie s'allier chez 1'Allemand la férocité. Ainsi se reflète dûment, dans ccs anecdotes, at la certaine correction cxt6rieiirc des occupants e t leur dureté . ÎntrinsEquc non moins réelle. Le promoteur dc: désir en toutcs cce histnires Pvidemment mythiques est Ic besoin de justifier la haine profonde ressurgissant au coeur des Franqais un temps séduits par Ieurs vainqueurs. Ccla fait du Iiien de savoir l'ennemi si mauvais : on peut alors le haïr b crieur joie ! L'iiicoricjcient Bcs U I ~ Ypressent d'ailleurs fort lricn l'i~icanscientdes autreb. La Kgende et le mythe, qui cn émanent, sont par siiite souveut pliis vrais que l'histaire, e t le mythe de 1'Allcmarid souhaitant aux Français la mort par la faim exprime trés justement l'archaiqutt et persistant désir du Germain d'être enfin débarrassé de son voisin et ennemi sécuIaire le Franc.l i<

Des mythes de lu férocit6 barbare de l'ennemi, cette fois envers des prisonriiers de guerre, ont aussi circulé parmi les Anglais, Ma fille recueillnit au Cap, vers la


M Y T I I E S 1 ) ~COMBAT CEIEZ VAIKCL'S ET Y ~ I X Q U E U I ~ S

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mi-l)écemhre 1912; les récits suivants : ( h ) Un homme rlc couleur fait prisonnier ii Tobrouk écrit ri sa f'cmme, en Afrique du Sud, qu'il est trts hicn traité par 1t.s Italiens. Kt il ajoute que, puiuqu'ellc fait une collection de timbres, clle dcvrait décullcr le timbre de l'enveloppe, clu'cllc n'a sûrement pas. Kllc le fait et t.rouve &rit dessous : Je suis Licn mallieureux, on m'n coupé la langue ! ( i ) Un ni;ijcir fait prisu~lrli~?r & Sillgiipour écrit à sa femmr? qu'il est très bien traite par les Japrinuis. Mais il lui recornmande d'vrilcver le timbre dc l'enveloppe, Dessous est écrit : On rrr'ü coupé la langue. Cvs rnythcs, où revit le souvenir archai'quc de la castration de guerre, transf6ri.e à la langue, se sigrialcrit par I'invraisembl~ncenotoire de leurs données. Car, sur lcs cartes de prisonniers, un cachet ct non un tirn6rc etnit apposé. t'n autre react des castrat ions ct mutilations guerrières archaïques transparaissait dans la 1t;grnde. qui courait toute l'Afrique, d'après laquelle les Polonais, ,soldots et oiIicirrs, stationnPs dans Ics cairipa de Pietermaritzburg ou ailleurs, eussent tranché avec leurs dents les mamelons des femmes asriez imprudentes pour s'cn laisser courtiser. Le même mythe avait dkjà couru près du camp de Coëtquidan en Bretagne où était itationn6e en 1939 la Légion polonaise.


MYTIIES AUTOUR D'ALBION MENACIJE Après la defaite de la France ne se dïcssa plus devant Hitler qu'un seul adversaire : l'Anglais, maitre des mers, retranché dcrrisre sa ceinture dc flots c t plus malaisé à atteindra q u ~ne lc déclarait, à I'une dc nos amies, rin oiricier allemand de l'armée d'occupation de Bretagnc : « England, disait-il, <las nimntt m.an nicht, dus schluckt man !D (L'AngIeterrc, ça n e se prend pas, Ca s'avaIe !) Maig I'AlIemagne possédait alors la supEriorit6 au domaine des airs. Aufisi tandis que I'on attendait, do jour en jour, en cet &té, uii débarquement aIlemand e n Angleterre, les avions allemands iii'acharnaient sur Ica côtes, les ports, Ics iiavires, les usines, les voics ferrées, les champs d'aviation, les postes antiaériens, lcs villes brit aiiiiiques. L e s bombardements allemands redoublaient sans cesec rIe violence ; des escadrilles toujours plus nombreuses e t plus Sriquentes partaient, de jour, bientôt aussi de nuit, vers Portsmouth, Bristol, Londres ou Liverpool, La Royal Air Furce répliquait e t s'en alIait, en de longs vols dc nuit, hornharder la Riihr, les villes hanseatiquea ou Berlin.

Or, t o m ICB jours,

dans tous les cornrnuniqués de l'air, les mémcs discordances se produisaient, augmentant seulement d'amplitude 2 niesure que l'été avanqait et que les combats eus-mêmes s'élargis~aicnt.

Voici, 2 titre d'ilustration, q u e r q u r s bilans dcs pertes aériennes quotidiennes, publies au debut di: Scp tc~riLirepar L d 7 ' ~ r n p:s

-Lundi 2 Scytembre Berlin annonce :

Avions Avious Londres annoncc : Avions Avions

anglais abattus . . . alemands nzariyilants . . allemands abattirs .. anglais perdus . . .

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86 23 42

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Bcrlin annoiice : Londres annonce :

Mardi 3 Septembre Avions anglais abattus . . Avions allemands perdus Avions allemands abattus Avions anglais perdus . . Mercredi 4 Septembre,

Loridrcs annonce : Avions allemands abattus Avions anglais perdus R ~ r l i nannonce : Avions angrais abattus Avions allemands perdus

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Samedi 7 Septembre Londres annonce : Avions allemands abattus Avions anglais perdus .. Berliai annoricci : Avions anglais abattus . Avions allemands perdus

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39 12 23

15 45 11 54 17

99 22 94 261

Nous lisions de plus dans Le Temps du Mercredi il Septembre la note suivante : « Le Ministère de l'Air Britannique rectifie le bilan de la journée du Samedi 7 : 103 appareils allemands auraient été abattus, dont 75 par la chasse e t 28 par la D.C.A.» Les mêmes discordances sc pours(iivaient quotidiennement. Si noiis comparons à présent la somme totale des pertes en avions pub1ii.e par chaque combattant, en Juillet et Août 1940, les discordances prennent pIus de relief encore.

Lc 2 Septembre, Ie D.N.B., l'agence d'information otricieuse de Bertin annonce que, malgr6 Ies conditions atmosphériques défavorahles, l'aviation allemande a détruit, en Août, 1.386 appareils anglais, dont 1.234 en combats aériens c t 101 au SOI. Ide reste, soit 51, a été abattu par la D.C.A. En outre, 293 ballons de barrage ont 6 t é détruits. L'aviation allemande a perdu 360 appareils. (Le Te~npsdu 3 Septembre 1940, d'après l'agence Fournier.) Le 5 Septembre, Churchill fait un exposé devant la Chambre des Coiriniunes, exposé d'ailleurs retardé par une alerte aérienne. << L a tentative de I'Allemagrlc, dit-il, de damiiicr Ia Royal Air Force et notre défense antiaérienne cn plcin jour lui a coût6 très 1 1.c Times du Lundi, 9 Septembre, donnait les chifCres suivants : 2 Septembre, avions allemands abattus 55, avions anglais perdus 20 ; 3 Septembre, avions allemands abattus 2 5 , avions anglais perdus 15 ; 4 Septernbre, avions allemands abattus 54, avions anghis perdus 17.


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cher. La proportion dcs pertes est de trois à un pour les avions e t de six à un pour les pilotes e t les équipages. , Les Allemands prétendent qu'en JtiilIet et Août, 1.981 avions anglais nnt At4 détruits. Nos pertes, pour ccs deux mois, sont de 558, e t nos pertes en pilotes soiit heureiiserneint bien moindres. . . .» ( L e IJérnps des Vendredi 6 e t Semedi 7 Septembre 1940.) Nous voilà loin des 1.386 appareils britanniques du D.N.D. abattus en Ie seul mois d'Août comme aussi des 360 pertes alleinandes avouées par ce in&iileD.N.R,, puisqirt: 558 x 3 = 1.674, chiffre qui divisé par deux donne 1.674 : 2 = 037 appareiIs allemande perdus pour un mois. Quelqu'un dissimsIe, ou bien sa trompe, c'est évident, Les Anglais et les AngIaphiles disent que ce sont les Ailemands ; les Allemands e t les Germanophiles affirment que ce s o u t lrra Anglais. En toiis cas, Ic dogme de combat de la dissimulation de ses proprcs pertes doit ici jouer plus ou moins des deux cîités. Je n'ai pu alors interroger d'aviatèur britannique, mais ai pu parler avec uu major aviateur allemand: en ce qui concerne les pertes de l'adversaire, il m'affirma que n'est consid6rE comma perdu un avinn ennemi que si deux observateurs indépendants Ie voient choir. &fais quatre observateur5 ne peuvent-ils pas, dans Je feu du combat, comptcr un seul avion abattu deus fois ? Le desir peut aussi être g6nérateur d'illusions Iaissant croirc que tout avion touché est perdu, Et ~iuis,u ~ ne i saurait donc aifirmer la perte que des avions ennemis que l'on trouve écrases au sol. A toutes c.es causes d'erreur peut s'ajouter, en haut lieu, quelyue remaniement de chiffres, cette fois volontaire, quand la réalit6 des faits n'apparaît pas assez substantielle pour nourrir I'opti~nisriiede Ia nation. Aussi, indépendamment di1 caractère national PIUS ou moins véridique propre à chacun: celiri qui dissirnule le rnoins, c'est Ie vainqueur. Les assertions rassurantes du vaincu sont toujours sujettes à caution. Mais on ne comprend pas toujours d'cnibl&e, par les comrnu~iiqués coutradictoircs, lequcl remporta ou non l'avantage dans cert.ains combats ztexiens détermini%, Seule l'isstw finale de Ja longue ct inonutone sarie d e s batailles d'avions iriontrera qui Ie moins difisimillait : celui qui aura conquis la maîtrise incontestée (les airs. Or ce devaient ê t r c les Anglais.

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Que les raids au-dessus de l'Allemagne ou de la Grande Bretagne en lYté de 1940 aient d'abord surtout visé des objectifs militaires, voila qui dut certes être de règle au début, Ics aviateurs préfihant alors lie pas gaspiller Icurs pr6cieust.s bombes. Mais il est dc règle tout autant quc les bombes tombent à côté des buts, détruisent des maisons, tuent des civils, comme je le pus voir de mes yeux lors du bombardement de Paris en Juin. Et il est de règle encore que les populations exasperhes r6cIarnent alors des représailles, le bombardement des vilIes, des populations ennemies, cette fois visées cxprés, e t non plus tukes par des bombes lanc6es sans plan (planlos) suivant l'expression de Berlin, ou bien sans discrimination (indiscrirniitutely) suivant celle de Londres. Néanmoins une double tendance générale inspirait les communiqu6s d'alors : non seulement c notre ü supériorité morale sur l'adversaire ~ ' ymarquait, car cc nous » ne visions que des objectifs militaires tandis que Iiii bombardait sans scrupule les civils, mais encore <<notre>> sup6riorité matEriellc devait s'y affirmer ! « Nous i> faisions toujours subir à l'ennemi bien plus da pertes sur mer ou aux airs qu'il ne nous en infligeait ; mêinc ses lus sauvages bomlxirdements, dYig6s coritre les civils, nc faisaient pas grand mal ; seule leur intention restait abominable, lâche, infilme ! Or ces dernières attitudes oficicllcs reflétaient magnifiquement Ies attitudes psychiques propres à l'inconscient, comme aiitrefois 2 I'homnle primitif, lequel survit donc aii fond de chacun de nous pour ressurgir en période de crise, quand notre vie est menacée.

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Dans ses Considrilraiior~sactuelles sur la gucrre PI sur lu. iitort, que naus avons déjrt citées, Freud, étudiant notre relation 5 Ia mort1, écrit : t< L'liornme primitif avait, envers la mort, une attitude très curieuse. Attitude pas univoque, bien plutbt très contradictoire. D'un chte il prenait la mort au séricux, il la reconnaissait comme étant la suppression de la vie e t c'est dans cc sens qu'il s'en sexvait ; d'autre part, il niait en même temps la mort, il la reduisait à rien. Cette contradiction était rendue yos~iblepar ce fait que l'homme primitif adoptait une attitude radicalement différente envers la

' L.c. II. Liiser

V~rhri'ltniazurn Tude. ('l'riid~ii.tiiinp ~ r s t i n n t ~ l l ~ ) .


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dc l'étranger, de l'ennemi, qii'envers la sienne propre. IAamort d'autrui, voila qui lui convenait, voil2 qui amenait l'angantissement de ce qu'il haïssait, aussi l'homme primitif n'éprouvait-il aucun scrupule à la provoquer. 11 était sana aucun doute un etre ~iicjrtd'autrui,

plein de passion, plus cruel et plus méchant yuc les riulres animaux, I I tuait voli~ntierset cela lui semblait tout naturel. . . .» Par corhlre cr sa propre mort semblait certainement à l'homme primitif tout aussi inimaginable et irréeile qu7aujaurd'hui chacun de nous, , ,N Freud avait commence par le poser : « Notre propre mort est donc inimaginabre, e t chaque fois où nous essayons de nous la représenter, nous pouvons l'observer : nous voici demeurés 18 à titre de spectateur ! Aussi I'école psychanalytique put avancer que personne ne croit au fond à sa propre mort ou, ce qui revient au même, que dans l'inconscient chacun est couvaincu de son imrnortalit&.>> « Noss demandons-nous >>, poursirit pIus loin Freud, « comment natre inconscient se comporte envers le proldème de la mort, telle apparaît la réponse : à pcu près oommc l'homme primitif. En ceci comme à bien d'autres egards, I'homme prehistorique survit dans notre inconscient. Ainsi natre inconscient ne croit pas à notre propre mort, se comporte comme s'il était irrimortel. Ce que noua appeIons notre (c inconscient », les strates les plus profondes de notre psychisme, constituEes par des émois instinctuels, ne conaait cn e f f e t rien de négatif, ignore la négation - les contraires y coincident - et ne connaît par suite pas non plus notre propre mort, 5 Iaquelle nous no pouvons donc donner qu'un contenu néigatif. Rien d'instinctuel ne peut par suite 6tayer la croyance en notre propre mort. Peut-être est-ce Ih même le secrct de l'héroisme. La inotivation rationnelle de l'héroïsme repose EU^ CF: jugemcrlt que notre propre vie ne saurait avoir autant de prix qiie certains biens abstraits et generaiix. &fais je crois que l'héroïsme instinctif, impulsif, est le plus fréquent, 17h&roïsmequi nc tient pas compte de motivations semblables et brave simplement le danger sentant. : II ne peut rien t'arriver !>> Ces attitudes-là nc sont-elles E i a S les memes rpe celles inspirant les coniptcs-rendus des combats? Il suffit, pour s'en rendre compte, de consulter n'importe quel communiqu6 d'dors. L'cnnemi y est toujours proclamé largement atteint, voire anéanti, il subit de

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lourdes pertes » ; « nous » par contre n'en subissons que peu ou prou. Les très minimes pertes que nous avouons sont d'ailleurs le tribut de la fiction à la réalité, cornnie l'était, à I'invulnérable Achille, son talon. C'est pourtant par 18 que, pour Ie plus faible, pourra se glisser un soir, comme pour Achille, la mort, la d6fait.e. . . . N

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Cependant, en reflet aux mêmes attitudes primitives envera la vulnérabilité matérielle de l'adversaire opposée à notre propre invulnérabilité, des fantasmes de desir plus imposants encore que les meilsongea mythiques des communiqués circulaient parmi le peuple, touchant cette fois la vulnérabilité morale de l'adversaire. En Angleterre, en France, au camp, resté nombreux, dea AngIophiles, on affirmait que la popdation civilâ allemande n'aurait pas Ic cran dc suppcirter longtemps .les bombardements intensifs de la Royal Air Force. On déplorait que ceux-ci ne fussent pas plus htensifs. Car les Allemands n'&aient ni habitués ni même prepares A subir ce pilonnement ! Goering, disait-on, et leurs journaux leur avaient au contraire promis qu'ils en seraient indemnes. Alors les soldats de I7rxrrn6c d'occupation cantonnes en France, ai present condamnés $ une longue inaction, sentant leurs parents, leurs femmes, leurs enfants demeurés à l'arrihe, bombardés, massacres sans trêve, un beau jour se révolteraient. Ils crieraient : i c Assez ! Que cela cesse ! » Ils renverseraient Hitler, exigeraient Ia paix, fût-ce au prix do l'évacuation de tous les territoires conquis par 1'AIIcmagne ! Le blocus anglais, de pIus, affamant i'hllemagna, contribuerait à cetta victoire sans combats en rase campagne. Par contre, aussi en ce niéme k t & , un fantasme en miroir courait l'Allemagne, répété par les Fransais devenus Anglophobes. C'était la population civile anglaise qui n'était pas préparée, dans sa fierté insulaire d'invincibilité, 3 étre ainsi pilonnée ! ELle n'aurait pas le cran de se laisser ainsi indéfiniment bombarder; les Anglais se révolterailent contre le belliciste Winston Churchill, le renverseraient e t exigeraient la paix. Sans doute avant même que le débarquement: allemand n'eût bcsoin d'être tente. Le blocus «total u de 1'AngIeterre par les sous-marins, les mines, lcs avions allemands, d'ailleurs concourrait à cet effondrement. Ces fantasmes de d é s i r berqaient 1"espoir réciproque des belIigerants de n'avoir pas besoin d'affronter le plus dur des combats :


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MYTEIES DE GUERRE

ceIui des forces terrestres contre les forces tcrrestr~s; i l ~pera

pétuaient les mythes du début des hostilités ~ i pridisaient i prompte famine c t imminente révolution aux pays ennemis, L'un des deux adversaires devait pourtant cn fin de compte avoir raison, la rcali~érejoindre Ic mythe : l'un des deux colosses en fin de lutte chancellerait. Mais le combat corps h corps final n'en restait pas moins ni6 par Ic fantasme de l'effoudrerrrent moral subit de l'adversaire suus un déIuge de bombes d'avion. C'est pourquoi il fallait le faire vraiment pleuvoir sur l'adversaire, ce terrifique déluge. Aussi, dès le début de Septembre, les Allemands, -alors supérieurs au domaine des airs, prenaient-ils le facile prétexte de civils tués en Rhénanie, aux villes hanséatiqucs ou à Berlin pour inaugurer, & titre de soi-disant « représailles D, le bombardenient vraiment à present avoué « sans discrimination » de la capitale britannique, méthodiquement poursuivi nuit après nuit. u L'homme B, écrivait Nietzschr: à Ia fin di1 siècle passe, « a déjà volé leurs vertus A tous les animaux, ce qui fait que l'homme, de tous Ies animaux, a CU In vie la plus dificiIc. Les oiseaux seuls sont encore au-dessus de lui. Et s i l'homme apprenait encore 3 voler, inallieur ! jusgu'uh - rre s'c.iivolerait p r i s sa soif de proie! >>

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La France, depuis la nuit de Juin o ù elle avait déposé les arrnce, n'était plus que spectatrice du duel gigantesque entre le colosse continental teutonique e t le maître britannique des mers. Elle s'était donc e n grande partie détachée de l'Angleterre et son opinion publique se divisait. Tandis que les uris retournaient toute leur rancœur, toute leur agression, contre l'allié anglais qui len aurait, disaient-ils, engagés dans une guerre désastreuse sans les avoir siiffifiamment assistes e t que ceux-ci acceptaient plut6t de paciiser avec l'ennemi vainqueur, d'autres, ayant gard6 au cmur un tcnace espoir, croyaient toujours h la victoire finale, fatale, dr: l'Anglais, maitre de la mer. Pourquoi la flotte francaise ne sf6tait-elle pas juintc à la flotte anglaise au lieu de se laisser massacrer ii filers-clKébir ? Poiirquoi le Maréchal Pétain, au lieu de s'enfermer ii Vichy, n'avait-il pas gagné Alger o u rejoint b Londres le général de ci Allc~iTieren kat der Mensch sclion ihre Tugenden abgeraubt : das macht, vori aUcn Tiercri Lut e u der hleiiscli am scbwcrsten gehabt. Nur noch dic Vfigcl sind üher ilin. fynd wenn der Mensch nuch flirgcri lerritc, wchc ! tcohc'rcauf - nürde seine Racblirsi flicarn ! f i (rllso Sprnch ZutotJiuutra, IJI, 12, Von alten und neuen Tnfeln.)


MYTHES AUTOUR U'ALBION M Ë ~ , ~ C : ~ E

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Gaulle, la reine des Pays-Bas e t Ie roi de Norvège, pour y attendre Ta victoire inkluctable du maître de la mer e t y concourir ? L'Anglais demeurait l'espoir de ces fervents, I'Anglais qui, généreux, malgr6 la défection de la France, avait promis, après sa propre victoire, de restaurer celle-ci dans son indépendance et son intégritk ! Et pour ceux-là douter un seul instant de la victoire de l'Angleterre, c'était contribuer A affaiblir sa rksistance, tant l'esprit de l'homme reste empreint de magie e t croit 5 la toute-puissance faste ou néfaste de la simple pensée !

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Voici d'abord iin rnythe d'inspiration anglophobe où perce, mieux encore que dans le mythe de la pastille 2 essence, l'admiration soumise e t fascinge des vaincus pour leurs vainqueurs. Les Allemanda auraient posséd6 unc « arme secrète>>,cette axme secrkte dont on parlait tant depuis que Hitler, dana son promier discours de guerre, y fit allusion. (Le peuple ne pensait pas encore la bombe atomique, qui &ait sans doute l'<carme secreten en préparation.) Ce serait un gaz mysterieux qu'au moment de débarquer ils projetteraient sur toute l'Angleterre et qiii ferait s'endormir tous le^ Anglais eri liloc Ie temps ndcessaire à dkbarquer, à lca surprendre. , , (J'avais d'ailleurs dPjà entendu attribuer aux Allemands pareille arme, on avait mis à son compte devant moi la prise des forts de Liège, dont les défenseurs eussent ainsi été paralysés pour une heure. Des m6decins militaires allemands les auraient ensuite r&veiUéspar des injections appropriées.) Ce gaz rnystkrieux rappeIait le Rayon de la Mort du d&batde cette guerre ou la Tmpinite de la dernière, susceptible de faire sauter presque t o u t e la terre, mais qu'alors les Frarigais s'attribuaient à eux-memes. Le mythe du gaz soporifique de l'été 1940 était d7aiIleurs bien moins répandu. J e citerai A présent &vers mythes d'inspiration germanophobe oii angIophilc ayant circulé en France pendant l'été, l'automne ou l'hiver de 1940, Les uns illustrent la soi-disant démoralisation alleniande, d'autres l'cfficienço britarinique, les derniers font éclater un coup de foudre vengeur. Un psychanalyste de nos amis, le 1n6me auquel j e devaia la version première du mythe du cadavre dans l'auto, vient nous voir en Septembre 1940 à Saint-Tropez. 11 me fait le récit suivant : (a) « Un civil venant de ï'hiviers raconte qu-un autre civil venant

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MYTIIES DE GUERRE

d'hgoul&nle aurait vu Ià-bas un couiinanda nt allemand dans son bureau en train de pleurer. Il nc l'a pas interroge, mais l'ordonnance de celui-ci lui aurait expliqud qu'il avaiL reçu des iiouvcllcs de sa f a d e comme quoi le pays k t a i t très bombardé et il &ait très angoissé,>> ( b ) E n Septembre 194\0, A Saint-Tropez, j'apprenais de la femme de cet ami que <( l'on donne l'alerte en ALlemagae quand passént des trains de blesses (provenant des c o d a t s sur la Manche évidemment) pour que la population réhgiee dans les caves ne Ics voie pas.» Plus tard, en Janvier 1941, Vichy, une dame me contait le fait suivant d'après un officier français rencontre dans un train ayant lu Iui-même les inscriptions : (c) << Des soIdats allemands étaient sur le point dc quitter Paris. Auparavant, ils avaient kcrit fiur Ies vitres d'un hôtel de I'avenue de Ia Grande Armée : Nous en avons assez! Nous voulons rentrer chez nous ! » Toujours en Janvier 1941, Vichy, ma fille me faisait ce d o i t : (d) Une dame hollandaise m'a racontE que, dans un des grands palaces d'Amsterdam réquisitionné par les Allemands pour y loger des aviateurs, il y avait, voici quelques jours, soixante-dix de ces derniers qui se suicidèrent, la raison 6tant qu'ils ne voyaient lus la fin de la guerre.» Ma fdle ajoutait l'information que voici : (e) Les Allemands n'auraient pas renoncé $ envahir l'Angleterre. Pour s'exercer à traverser la Manche, on les force sauter du rocher de la Vierge à Biarritz (endroit connu pour ses courants dangereux) et tous les jours il y en a une centaine de noyés.» La démoralisation attribuée aux troupes d'invasion bordant la Manche ne SC saurait d'ailleurs mieux illustrer que par l'anecdote suivante, rapportée à moi le 30 Janvier 1941 par le nr. Paiil Schiff, mon informateur parisien le plus habituel : ( f ) « Un officier allemand loge chez un Frariqaiu dans uno ville dc province. Una nuit il réveille brusquement son hôte : Il faut que vous me meniez de suite B Villers-Cotterets (ou ailleurs). Il cst deux heures d u matin, je n'ai pas de chauEeur. Je vous l'ordonne, je suis le maître ! - L'Allemand sort son revoIver. Le Français fait trois ou quatre cents kilomètres dans la nuit avec le revolver sur la nuque. 11s arrivent. L'officier alemand sort e t s'éloigne. 11 revient au bout d'une demi-heure effondre : Retournons à la maison. J'ai été dira adieu à mon fils qui,


ayant refusé de s'embarquer pour I'Angleterrc, va être fusillé demain matin.» Je réserve pour plus loin l'étude du mythe le plus typique touchant l'invasion de l'Angleterre. Passons aux mythes dc I'eficience

britannique. Un amie refugiéc de Paris me racontait h Vichy, le 29 DCcembre 19P0, Ie fait suivant soi-disant arrivé .en Bretagne : Cg) cc Deux oficiers allemands happent à 1a porte d'une vieille Bretonne : Logez-nous ! - Mais jc n'ai pas de place ! - C'est un ordre ! Elle les loge. Le lendemain matin, la bonne femme va dans la chambra des deux officiers, 11s sont partis ! Mais sur la cheminée ils ont laissé une pancarte avec &rit dessus : Thank you !C'étaient des AngIais dEguisés en AIlemands.~Mythe en miroir de celui oii des officiers allemands se déguisaient en Français, PoIonais, Belges ou lIollandais. Beaucoup de versions en circulaient alors cn France. Le même masseur du IIammam à qui je dus l a version 2 du mythe du cadavre dans I'auto rapportait, le 12 DEcembre 1940, l'histoire suivante à mon mari : (Tt) » Près de Paris il y a le grand mouliri de GaiIlon. Un officier allemand cn tournée y arrive e t demande : Qu'est cela que vous avez là dedans ? - Il y avait vingt et un mille quintaux dc ble, L'officier ordonna alors de transporter tout ce blé dans un certain hangar. Or, la meme nuit, une bombe d'aviation anglaise tombe en plein dessus e t incendie le tout. L'officier était un Anglais deguisé en Ailemand qui voulait emp6cher que tout cc blé passât en Allemagne ! » Les populations franqniscs auraient d'ailleurs volontiers prêté leur aidc aux Anglais ou aux Anglophiles, ainsi qu'en témoigne l'histoire suivalite, moi rapportce, le 30 Janvier 1941, par mon informateur parisien habituel : (i) a Beaucoup de gens, voulant gagner l'Angleterre, allaient en Bretagne. Ils voulaient passer par mer. Les Allemands font la chasse de maison en maison. De ces fugitif6 voient alors passcr un enterrement et se mêlent au convoi. Une darne du convoi reconnaissant un etranger et comprenant de quoi il s'agissait dit aiissitôt : Donnez-moi le bras, Monsieur ! u hion informateur avait recueiIli deux versions de cette histoire, l'unr situant le fait dans un village dc Bretagne, l'autre dans un vilIage près de BouIogne-sur-Mer. Voici enfin le mythe au coup de foudre vengeur.


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hlYTl1ES DE GUERRE

Au début d'Octobre 1940, tout Paris se réjouissait Jc c c t t c nouvclle que me rapportait ma femme de chambre : ( j ) << Le maréchal Goering, qtii prbsidait aux bombardements de l'Angleterre, a été lui-même tu6 dans le bombardement aérien du Havre par l a Royal Air Farce. Une Lombc aurait atteint un rassemblement, un casino, où il se trouvait avec cent ciriyuante officiers. On a vil passer 5 Paris de grandes couronnes et les drapeaiix allemands dans Paris, du ministère de la Marine place de la Concorde, ont été en berne.)) Un collègue psychanaIystc me relate le 17 Octobre 1940 cette variante : ( k ) c< Gocring a c':té I,less6 la jamlir: prés de Trouville, II n'y avait pas de clinique. On l'a transport6 Rouen oii il serait mort.]) ( I ) Pierre Laval apparaissait alors dEjh, aux yeux de Ia plupart des Français, comme un mauvais, un traître vendu à l'Allemagne ct jouant en sous-main des tours au RTarEchal Pétain. Aussi lc bruit de son assassinat courait-il la France avec autant de persistance que ceIui de la mort de Goering. Le roi des Belges Léopold, pour avoir capitul6 devant la force allemande, devrait, d'après la vindicte populaire, lui aussi être puni. Aussi, en Janvier 1941, ma fille, que j e rencontrai à Vichy, me faisait Ie récit suivant d'après une dame qui avait assuré 3 un monsieur ami de ma fiile la véracitg du fait : (in) c Le roi Léopold a été tué dans Ia rue ou dans son parc tandis qu'il se promenait avec un officier allemand.,, Ce compagnon de promenade est une figuration concrète de la raison pour laquelle le «méchant » LeopoId devrait donc sirbir la peine de mort !

Enfin la plus jolie, la pIus d6pouiliée, des versions de ce type de mythe m'avait 6té rapportée, dès le 20 Octobre 1910, Paris, par un éditeur de mes amis : ( T E ) « U1i mousieur va acheter uu journal tous les jours au même endroit. En le lui tendant, la marchande de journaux Iui glisse à voix basse : II est mort ! - Qui ça ? demande-t-ü. - Chut, c h i i ~ , répond-elle, il est mort I » L'imagination peut ici se donner libre cours : le pire des méchants, des criminels qui nous oppriment, est mort ! ik

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r)

J'ai réserv6 pour la fin l'étude du mythe le pltis courant, Ie pIus


tenace, le plus typique et imposant, mythe ayant circulé dés l'été dr: 1940, presqu'aussitôt aprés la capitulation de la France. Alors que la monotonie des combats d'avions ne suffisait plus A fouetter l'irnpaticnte imagination populaire, dès Juillet 1940 commencèrcrzt à se repandrc les bruits suivants en France occupée comme en France non occupée. On les disait parfois Ianck~ipar la radio russe ou suisse, Ie plus souvent iIs etaient rapportés avec assurances individuelles et directes d'authenticité. 1. Version recueillie en Juillet A Paris, auprès d'un chef cuisinier pui dit connaître un médecin ami du directeur d'usine B qui la chose est arrivée : Un monsieur, directeur des usines Le Sueur, qui a une villa à Dunkerque, où il est rctourné ces temps-ci, a tenté d'aller vers la plage. Des soldats allemands, bai[onnette au canon, Ia gardent, car ils ne veulent pas qu'on voie que la mer rejette des cadavres ct des cadavres sur la plage. Les AIlernands les enterraient dans Ic sab1c.n 2. Version recueiIlie en Juillet ii Paris auprès d'une cousine à qui une dame l'a racontée : « Unc dame aIlant à Saint-Malo rencontre sur la route un camion en panne : Qu'avez-vous 1A dedans? demande-t-elle au soldat allcmand qui le conduit. - Des cadavres &choués, répond-il, nous en brûlons tous les jours des quantités au four crématoire. - Les soldats allemands savent d'ailleurs le sort qui les attend ; pour les forcer A s'embarquer pour l'Angleterre, on doit les attacher dans les bateaux.» 3. Version recueillie en Juillet à Paris par mon mari auprès d'un grand commerçant français du quartier de l'Opéra : c Mûri propriétairc, un gros marchand de bois à Calais, a une fiUe. ElIe a Bt6 Ià-bas, elIe vient d'en revenir e t elle dit qu7iI y a e u une grande bataille livxéc par les AlIcmands contre l'Angleterre. Car il y a 35.000 morts 6choués sur la cote ! Ce ne sont pas des on-dit ; elle les a vus ! Et la preuve, c'est que j'ai été retrouver cette dame et qu'elle m'a ajouté que l'on payait 8 francs I'heure ceux qui enterraient les cadavres.)) 4. Version recueillie vers la mi-Août B Saint-Tropez, donc cette fois en zone non occupéc, auprès d'une cousine, femme d'un cousin oficier rie marine, et qui habite Toulon : 9 On raconte h Toulon qu'une grande bataille a déjh été perdue par les AlIemands contre l'Angleterre. Ils auraient tenté de débarquer, e t leurs cadavres


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MYTHES DE GUERRE

joncheraient la mer. On aurait mobilisé les Français de la pour ramasser les cadavres qui se monteraient h 35.000. Les Anglais auraient gagné leur victoire en répandant l'essence sur Ia mer e t en y mettant Xe feu.» 5. Version recueillie aussi vers la mi-Août à Saint-Tropez, au près de jeunes amia, nos voisins : Les AIlemands ont attaqu6 l'Angleterre avec 100.000 hommes de troupes à débarquer. Allais tout a étB anéanti par les Anglais au moyen de pétrole versé et enflammé sur la mer.» 6. Version reciieilIie le 18 Août a Saint-Tropez auprès d'amis alsaciens habitant la côte : Les AlIemands ont tenté de débarquer en Angleterre ; la radio anglaise aurait annoncé un soir qu'il y avait eu 60.000 morts rejetés sur les plages. Cea 60.000 hommes ont été tout isimplement grilles par les Anglais au moyen d'esscnc.e répandue et enflammée sur la mer.» 7. Version reciieilIic le 29 Août 1940, auprès d'une amie Ilalitalit Nice : «Aujourd'hui une dame me rapporte que les Anglais ont installé une ccinture de mazout autour de leurs iies e t que quand les bateaux allemands se sont approchés pour débarquer les hommes ils ont tous flambé : 10.000 ou 100.000 ? » 8. Version recueillie le 4 Septembre 1940, auprgs d'une dame habitant Saint-Tropez : <c Un monsieur du Zmc bureau confirme qu'une attaque aurait eu Iicu contre l'Angleterre et aurait été repoussée.» 9. Même soiirce à la m2me date, d'après un jeune prisonnier français, chauffeur d'un camion qui aurait conduit des Allemands, membres d'uns commission, dans le Midi r a C'est quand, voici environ quinze jours, las canons allemands 2 longue portée se sont m i u h .t;rer sur la c8te anglaise que I'awaque se serait produite. L e a canons à longue portee anglais avaient répliqué, puis se sont tus ; les Allemands les ont cru ddtruits, Alors ils ont d&clenchI leur attaque. La ruse de guerre reussit ; les canons anglais ont repris jeu1 tir au moment du débarquement allemand ; du mazout a aussi été versé sur Ia mer : l'attaque allemande a été repoussée.» 10. Même source A la même date, cette fois d'aprés un grand commerçant de Marseille, qui dit lui-même tenir ce récit d'un colonel de l'armee française : << Ce colonel aurait dit 5 cc monsieur que les côtes de Bretagne seraient jonchées de cadavres. II y aurait


eu une attaque de 300.000 Allemands contre I'AngIeterre ; on ne sait pas combien auraient été tués ; par contre il y aurait des brûlés qui ont 6t6 transport& jusqu'à I'h8pitril d'AngouIême.)~ 11. Version recueillie le 6 ~ e ~ t e m b rà oSaint-Tropez, auprès d'un réfugié de Paris da passage qui venait de Cintrac (Dordogne) : « Les Allemands. ont essayé de débarquer en Angleterre. Il y a des blesses jusque dans les hôpitaux dc Bordeaux. On a réquisitionné à Paria tous Ies hôpitaux, qui sont pleins. Dcs trains ne cessent d'arriver remplis de blessés avec leurs pansements. L'IIOpital Rothschild, près duquel habita ma femme, qui me l'a assuré, est pIein de brûlés des yeux c t de la face, car les AngIais avaient enflammé la mer.)) 12. Version recueillie par ma filie au début de Septembre auprès d'une dame habitant Saint-Tropez : « Lcs Allemands ont essayé de débarquer en Angleterre. Ils ont lamentablement échoué, c'est tellement vrai que je connais un m6decin lequel a lui-même soigné deux soldats allemands briilés b la face, brûIés en tombant dans la mer sur laquelle les AngIais avaient enflammé du mazout.» Un autre informateur ajoutait que si les Anglais n'avaient pas encore proclamé ce succès, c'était pour ne pas paraftre trop barbares ! 13. Veraion recueillie Ie 6 Sep~emlircpar ma fille auprès d'un Italien antifasciste, venu en visite chez une cousine, notre voisine à Saint-Tropez : J'arrive avec de bien bonnes nouvelles I Je les tiens de mon ami, consu1 du Brhsil à Hambourg. L'état d'esprit des Allemands est A plat! Ils sont aux cent coups à l'idée de voir durer la guerre, qu'on Ieur avait promise courte. On ne trouve pas de volontaires pour attaquer l'Angleterre ; personne ne vcut marcher. Car trois attaques ont d6jà eu lieu et pas un soldat n'en est revenu ! On est obligé de fusiller des miiliers de personnes tous les jours. Si cela dure encore un an, l'Allemagne est perdue.>> Dans cette version, au thème de la mer victorieuse s'allie celui de la révolution en pays ennemi. Des trois généraux britanniques dont se moquait HitIcr dans son discours du 3 Septembre, lc général Révolution, Ie général Famine et le gén6ral Bluff, Ie premier a suffi, de concert avec la mer alliee de l'Anglais, pour assurer A celui-ci sa victoire ! 14. Version également recueillie à Saint-Tropez en Septembre auprès d'un jeune homme de Nice récemment d6mobXsé : « Les


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MYTIIES DE GUERRE

Ailemands auraient tent6 deux fois, uac fois il y a cinq serriaines, une autre voilh trois semaines, de debarquer en Angleterre. (On l'a appris chaque fois une semaine aprEs par des partisans de de Gaulle ou dcs Israélites.) La prcmikrc fois ils auraient eu 25.000 tués, la seconde 60.000. Ils tentaient le débarquement au moyen de Ieurs Schnellboote (vedettes rapides) et de radeaux. Les Anglais auraient répandu des nappes de naphte, de pétrole, c t incendié la mer. Tous les Allemands étaient griIles ! » 15. Version recueillie par mon fiIs à Constantinople également en Septembre 1940 auprès d'un Turc venant d'Ostende oh il travaillait : H 11 aurait vu sur la plage des soldats alignés qui ramassaient les cadavres des soldats allemands reveliant par ccntaines hrûIés sur les plages oh les rejetait la mer,» 16. Version rccusillie à Saint-Tropez Ie 7 Septembre de la femme d'un psychanalyste, réfugiée de Paris, qui revient de Beg Meil en Bretagne e t qui m e fournit d&j& la version 12 du mythe du cadavrc dans I'auto comme aussi le joli mythe de la Sainte Vierge apparue à la petite fille bretonne : H Des officiers allemands A Quimper m'ont raconté, vers le 20 Juillet, ii moi-même comme A des amis, recit provenant de trois sources, qu'il y a eu une tentative de débarquement en Angleterre partie de CaIais e t de Brest. Les AUemands ont employé des canots en caoutchouc (comme ceux aur lesquels ils traversent les fleuves et les riviéres.) La tentative a &choué, (Nicht gelungen !) Combien il y a eu de morts? On ne aait pas. A partir de ce moment le moral a beaucoup baissd. Dea Allemands disaient : Nous avons assez de la guerre ! Nous voulons rentrer chez nous ! U n p~rmifisirrnnaire revpnii d'Allemagne aurait déclar6 : Ce n'est pas gai de revenir de chez soi e t devoir rester mobilisés sans fin, Tout le monde chez nom en a assez et voudrait que la guerre cesse, Elle avait entendu dire qu'à Urest seulement, les Allemands avaient dû fusaex deux cents des leurs. C'est maintenant, aurait dit un autre officier allemand, que nous pouvons craindre la révolution.- Depuis lors, on était obligé d'embarquer Ies soldats allemands avec le revolver sur la tempe, Les Allemands répétaient qu'ils ne voulaient pas mourir noyés, s'exprimant pittoresqucmcnt : Nich# knput glouglou ! Une a m i e venant de FIorac (Lozère) rapportait Ia même chose.» Le maii de mon informatrice ajouta devant moi avoir appris à Thiviera

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MYTIIES AUTOUK L)'ALHIQX M E N A C ~ F ;

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en Dordogne, o ù sou régiment s'était replié, quS5Angoulême aussi deux cent cinquante Allemands auraient é t 6 passés par les armes. On voit à nouveau, dans c o t t c version, le théme de la révolution, cette fois e n pays occirpe, s'intriqircr à celui du d6barquement rate. Ceci sans préjuger du degré d'impatience, de désillusion, voire de mécontentement sans doutc réels dans unc armée 2 qui l'on avait fait miroiter la fin de Ia guerre toute proche c t qui ne la voit pas venir. Ce qui est curieux dans ce dernier cas, c'est d'entendre le mythe émaner de houches allernandcs, ce dont je ne saurais douter, vu la véracité de mon informatricc. Choc en retour, rançon de l'occupation : le^ vainqueura cux-mêmes peuvent être contaminés par les mythes des vaincus. Je citerai encore une version du mythe aux cadavres noyés e t brûiés, de toutes la plus sinistre, recueilIie auprès d'un jeune c o ~ ~ s i n habitant Saint-Tropez, e t qu'il me rapporta le 6 Octobre : 17. cc J'ai entendu dire voici quelque temps que les Allemands ont essaye de débarquer en Angleterre. 350.000 hommes ont été brulés par le mazout répandu sur Ia mer ! Les Anglais ont alors ramassé les cadavres, Ics ont identifiés grâce à leurs plaques d'identite, les ont pris dans leurs avions e t sont repartis les jeter chacun dans son village afin de terroriser les f a d e s e t de ddmaraliaer les populations.>> Mon informateur ajoutait que, << de Calais ii Honfleur, on a vu arriver des soldats allemands nagcant debout. C'était une armée de noy&s! Leur équipement lourd aux pieds, ils tenaient ainsi dehout ! » 11 achevait son récit disant. que «les Aliemanda ont telIement peur de s'embarquer pour l'Angleterre qu'on est obligé de mettre des mitrailleuses derrière eux. Et de leur attacher les mains pour les empêcher de se suicider.n Mon jeune cousin, frère du jeune héros dont j'ai à diverses reprises rapporté les dires, se signale par une grande imagination e t par son goût d'effaroucher les gens. Je ne garantirai donc pas ce qui, dans ses rgcits, était rapporté ou de son propre crû. Peu importerait d'ailleurs du point de vue de la réalité psychique, et même folklorique, les mythes devant donc prendre naissance quelque part e t celui-ci ayant, o h fût ne, eu des chances de se répandre


justement par son caractère frappant e t atroce.' On pourrait multiplier à l'infini les variantes du mythe aux cadavres noyés e t brûlés, variantes aussi nombreuses, semblait-if, qu'il &ait d'habitants en France ! L'attaque rcdoutét. y etait déjà repoussée ; plus d7angoissc à &prouver, le danger Etait vaincu, passé ! Le chiffre des attaquants tendait d'ailieurs à croltrc avec le temps : des 35.000 de la version 3 en Juillet il s'enflait aux 60.000 de la version 6 , aux 100.000 des versions 5 e t 7 en +40ût, jusqu'aux 300.000 de la version 10 au début de Septembre, sans compter les 350,000 de la version 17 en Octobre ! La victoire allait s'amplifiant ; le nombre d'attaques aussi pouvait se multiplier, ainsi qu'en témriigncnt les versions 13 et 14, En toiis cas, aux diverses versions restaient prodiguées toutes les preuves possibIes

d'authenticitd. Pourtant la radio anglaise, que j'écoutais en Juillet e t Août tous les soirs, n'annonça pas alors semblable nouvelle, et cc fait nkgatif .

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que les croyants expliquaient par de mysterieuses raisons stratégiques et que la version 6 tend d'ailleurs à infirmer - eiit à lui seul suffi à etablir le caractère mythique de l'histoire. On n'a pas coutume de dissimuler pareilles victoires! Au Cap, en Mars 1942, je pus encore rrcucillir une version du m6me mythc. Un oficier sud-africain fit b la même amie grecquo qui m'avait fourni I'histaire de la « pierre bleue n (voir p. 59) le récit suivant : 17 bis. d'ai appris d'un monsieur résidant au Cap qu'il avait, fin 1940 ou début 1941, par16 à deux soldats d'un convoi qui passaient par le Cap e t qu'il avait emmenés faire un tour en auto : ceux-ci auraicnt dit qu'ils avaient et6 cmployEs pendant preRque une semaine à enterrer des Allemands noyés et demi-brÛI&s,Icsquela araient i t e rejctEs sur Ics plagcs du sud de 1'Anglcterre.n Le 7 Mars, au Cap, l'un des deux garçons dc la R.A.F. 5 qui je dois la version 26 du mythc au cadavre dans l'auto me riipporlait l'histoire suivante : 17 ter. t< En Septembre 1940, il y eut npparemrricni iinr: inva~iandes forces aUem n d e s sur la côte sud de 1'Anglcterrc. Apparefiinieiit du pétrole fut lBché sur l'vau et allumé. Toute la cBte sembla cette nuit-lil une fournaise ardente. Iles cadavres furent rejetés lc long de 1ü c6i.e le lcndcmain matin. Ccci me fut conté par un rliauff'ciir de la R.A.F. qui avait pritroiiillé le long de la côte.» (a In Septembcr 1940, there w;is apparcntly an invasion of the Gerrnan forces on the South Coast of England. ApparentIy oil was released o ~ the i water and Eghted. Tkc whole sea wns a t night Iikc n Iri1;izirlg f0rnar.e. Corpscs were waslied up along the eocist thc next morning. This w a s told me hy a M.T. drivcr of the R.A.F. who bad been p a t r o b g the toast,>>) )Ion informateur croyait à la véracité du fait, Son camarade n'y c r o y i t pas : ~i ICB Anglais, pensait-il, avaient eu un tel succès, ils l'auraient proclamé ! Un nutre jeune soldat du convui ayant touché alors au Cap, quc je pris le Iendeniain dans mon auto sur lu roirte dc Muizenberg, me prdcisa qiie les traiipes d'invasion aIIrmandes euswnt &té détruites siir le4 c A t r ~ de , l'île da Wight !


Surtout au inornent où le bombardement iritentionnel des populations civiles sortait délibérément du domaine du mythe pour entrer dans celui de la réalite, alors qu'au delnt de Septembre les Allemands, à titre de soi-disant représailIes pour quelques civils tu& a Berlin, Nuremberg ou aiIleurs par les bombes nocturnes de la Royal Air Force, annonçaient et realisaient ces bombardementg aériens massifs de la ville et de la popuIation de Londres, renouvelés nuit après nuit, éventrant maisons, hôpitaux, églises, massacrant civils, femmes e t enfants.

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Tandis qu'en France tant d'esprits se retournaient contre leur ex-allie, on pcut être surpris de trouver Ie mythe aux cadavres noyes e t brûles aussi répandu parmi lcpl Français. C'est que les mythes germent dans I'inconscient dca hommes et des peupIes, e t ce mythe-là semble prouver que l'inconscient des Franpais, malgré Mers-el-Kébir, malgré Ie blocus anglais étendu à la France e t la radfaction des denrées, qu'ils savaient d'ailleurs bus en grande partie aux prélèvements de l'occupant, restait plus fidèle que leur conscient 21 leur ex-aIlik. On entendait en effet répéter cette histoire, non sedernent par des Français anglophiles, mais encore par des Français plus ou moins neutrea, e t jusque ~ a r f o i spar des anglophobes. Tant l'inertie propre au psychisme humain inconscient gardait de force et maintenait la fidélité à l'alliance ancienne que Ie conscient pourtant souvent répudiait. Ce faisant, Ica Français d'aiUeure restaient surtout fidèles à l'idéal chez; eux hélas ! aIors vaincu par les armes hitlériennes, $ leur idéal de Liberté. Un sentiment, qui n'ameurait pas toujours jusqu'à leur conscience leur faisait, au fond d'eux-memes, esphrer la finale victoire britannique libératrice, malgré la foi nouvelle en l'Ordre nouveau, d'inspiration germanique, auquel beaucoup se conver tissaient bruyamment. Pourvu que les Anglais gagnent ! auraient dit les uns. Pourvu pue ces cochons d'Anglais gagncnt ! auraicnt dit les autrcs, Ainsi l'on caractérisait plaisamment la seule différence entrc les deux camps.

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a

Le mythe, tcl le rlve, semble cependant parfois prophétique. Ceci lorsque la dalit6 peut mettre au servicc du désir qui l'engendra assez d'effective puissance.


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Le 11 Septembre, Churchill, dans uii discriilrs radiodiffusé, et yui fit d'ailleurs tomlcr la livre anglaise sur Ies divers marchés du monde, annonçait que les assall1ants des Iles britanniques ae trouvaient h pied d'œuvre masses dans tous les ports du continent, de la NorvEgc au golfe de Gascogne, avec leurs pénichcs motorisées et leurs vedettes rapides (Schnellboote), prêts & tenter l'assaut. Ce disçuurs, d'ailleurs, à l'inverse de notre mythe, replaçait dûment dans l'avenir la tentative dxnvasion des Iles Lritanniques. AU ES^ une version atténuée du même mythe me parvenait, le 13 Septembre, rapport& par une cousine, notre voisine à SaiatTropez : 18, N Un ancien oflicier de marine de nos amis, qui c0nnai.t beaucoup d'officiers de marine à Toulon, leur a entendu dire que les cadavres brûlés échoués sur les côtes de la Manche s'expliqueraient ainsi : les Allemands auraient fait un essai, non pas de débarquenzerl$, mais d'embarquement, une manmiivre ; les Anglais I'ont vu e t sont alors venus Ies bombarder par air avec des bombes nouvelles, des plapuettes incendiaires ; un de leurs bateaux a pris feu e t c'est comme ça qu'il y a eu des Iiriilés, mais bien 3.000 ! D'OÙ le bruit qui avait couru.» Ainsi le rnytLe, se faisant plus modeste, se rapprochait de la r6aIité. Car, vers le 16 Septembre, Ie mythe aux cadavres brûlés e t noyCs, qui avait donc bercé tout un ét6 l'espoir des Français opprimes, se rkalisait vraiment à la façon dont sa version 18 le laissait prévoir. Non pas dans un assaut brisé contre lcs côtes il'Anglc terre, mais avant même que les troupes de débarquement chtissent pris la mer. La radio anglaise du 24 Septembre au soir annonçait en effet que les AUemands, bombardés depuis pIusieurs jours déjà dans Ieurs « ports d'invasion», avaient perdu environ chpante mille hommes. Elle ajoutait même qu'un si grand nombre cle leurs pEniches auraient et B coulée^ qti'il rivait fallu réquisitionner Jc la maln d'muvre pour débarrasser les entrees obstruées des ports. J'appris plus tard, en Janvier 1941, à Vichy, d'un amiral adjoint a u gouvernement français, que la tactique employde par les aviateiirs britanniques avait été la suivante : les Allemands auraient imprudemment exécuté des manauvres d'embarquement de grande envergure, dans divers dcs ports conquis par eux de la R'orvège an Finistère, sans s'aesirrer iinc protcction cff-cacc par 11.C.A.


Alors les aviateurs anglais, Ics ayant repérés, seraient venus par vagues massivcs les arroser de pétrole puis de plaquettes inccndiaires, grillant péniches et soldats. Ainsi, dix semaines euviron apr6s sa naissance, Ic mythe aux cadavres brûles c t aoyis se serait trouvé réalis&.

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Plus tard, deux versions officieiles de Ia manœuvre d'embarquement avortée Etaient reproduites par Ies journaux britanniques. Le Cape Argus du 20 Juin 1944 reproduisait les déclalations suivantes dc Winston Churchill : << hir. Churchill, à qui l'on demandait, à: la Chambre des Communes, s'il voudrait bien dira-question d'intér6t historique - si lea Allemands avaient jamais mi8 e n brade une invasion par mer dee Ilcs britanniques, répondit (d'après Sapa-Reuter) : Je n c sais pas très bien cc qui est entendu par mettre en branle. Mettre en branle dans le sene de traverser la Manche, non, mais mettre en branle dans le sens de concentrer beaucoup de troupes e t de bateaux afin de la traverser, oui. a Comme on lui demandait ni ces bateaux jamais sortirent des ports situés de I'autre c6ré de la Manche, Mr. Churchill dit : Pas A ce que je sache. Une grande partic en fut coulée dans les pokts, e t alors ils changèrent d'avis. (Rires).nl Le News Chronicle du Lundi 4 Juin 1945, aprhs la defaite dc I'AUemagne, reproduisait des dédarations de Mr. Geoffrey Lloyd à sa première conference de presse comme ministre de l'Information, dont j'extrais les passages suivants : « 11 mit en Iuiiiiérc que la jlarnrne de la résisfance britannique était bien plus qu'une expression symbolique. Leb Allemands auraient trouvé des flammes balayant les plages, souMant dans les défilés entre les falaises e t brûIant leurs tanks comme ils entraient dans les terres ; éclatant en jets ardents des haies e t des murs de u Mr. Churchill, wlien asked in the IIouse of Commons to-day if he wudd, as n matter of historical iuterrst, say whethcr the Gcrmans ever set in motion the apparatCs

of a ~ca-borneirivasiori against Britain (states Sapa-Reuter), replied : 1 don't quite know what is rneant hy sct~ingin motion. Setting in motion in the sense (if crossing the Chünncl ' no,' l u t sctting in motion in the sense of making a very heary concenlration of troops and sbips t o cross the Channel, ' yes'. u Asked if nny of thiv shipping ever emerged Crum ports acrnss the Charinel, :Gr. Churchill said : Kot t o niy hclicf. A great deal of it w;is sunk iri tiic ports, and i h c i they chanRed ihcir rninds. (Lnugliter).~


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MYTHES DE GUERRE

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jarbi~i.. , On coupa court 5 la hiireaucratie et bientet des experts en matikre d'essence, de feu et d'explosifs avaient mis sur pied un terrifiant système de lance-flammes, qui pouvait non seulement mettre Ie feu à la mer par des pipelines sous-marines, mais était capable de EortiGer tout point d'appui sur terre. Mr. Lloyd e t ses aidcs firent de rapides progrés e t leur succds fut tellement redoutabIe qu'un jour Mr. Lloyd faillit y laisser sa vie. Des raidera allemando bombardérent les expbrimentateurs dès le premier jour e t virent toutes les rbpétitions suivantes. . . J'entrai en rapport avec Lord IIankey. ..C'était vers le 25 Juin. (Ainsi) la rumeur qui dbfcrla sur le monde voici environ cinq ans et d'après laquelle une flotte d'invasion allemande avliir. pris ia mer pour aborder ici mais avait subi une desastreuse défaite dans une mer de flamme, cette rumeur ne correspondait pas à la vérit6. Mais elle y eût pu correspondre. L'Angleterre etait prête à accueillir de cette façon des envahisseurs. Et les AUemauds tuèrent des miilicrs de leurs propres isoldate en s'efforçant de leur redonner la conGance 1ii oii la terreur de ce feu meurtrier s'6tait au plus vite répandue - dans les rangs de la Wehrmacht. Ils organisèrent une grande demonstration destinée à montrer que des troupes sp4cialerüeat LquipEes pouvaient passer indemnes à travers une mer de feu. Des milliers de vGtement-s en amiante furent confectionnés e-t chacun des hommes devant prendre part li la démonstration en portait un. (100.000 vêtements en amiante furent commandés' rien qu'à Paris !) U'immenses quantités do pétrole furent répandues a u large des côtes dc France et on y mit le feu. L'armada d'essai s'en alla vers son désastre, Un grand nombre des pièces de tête des vêtements étaient fautives, et Ics hommes qui les portaient furent rôtis vivants. Pendant dea semaines, les corps briilés de soldats allemands furent ramenés par les vagues sur les cotes du sud de l'Angleterre. Cependant des feuilles jetées par avions, e t des campagnes par radio et par rniirmiirr: répandaiant l'histoire des terrifiantes défenses ignécs de l'Angletcrre.>~l

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1 ct IIe made it clcar thet rhejïame of British resis~ancewas far more than a symbolic expression. The Germans would havc found flame aweeping the bcachea, blasting the dcfilcs through thc Jiffs nnd shrivelling their tnnks as they drove inland ;biirsting in searing jete from hcdgcs and gtirden walls. Red tape wa3 cut, and soon petroleum, fire and explosives experts had ready n terrifying system of flame-thrûw+ing, which could not only set the sea tifirr: by uriderwa~erpipelines, but could fortify every conceivable vantage point on land. . . German raiders bombcd the experimenters on their first days, and saw al1 the subsequent rehearsals. X got in touch with

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On voit, par ces deux déclarations contradictoires en tant de points, combien il est difficile d'établir la vérité, surtout en temps de guerre. Quant à moi, je m'en tiendrais plus volontiers aux déclarations de Mr. ChurchiIl, si solrcs et pures dc ccs traits d'allure fantasmatique qui flamboient ai. travers les divuIgations journalistiques prêtées à &Ir. Lloyd.

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ia

En 1940, l'assurance des Anglo-Saxons, retranchés derrière leura flots, n'abreuvait h deux sources, l'une réelle, I'autre mythique. Ccrtcs, l'Allemand méthodique, s'il n'etait pas sûr du succ&s, ne tenterait pas l'invasion des Iles Iritanniqucs, dc jour cn jour mieux défendues. Opposant sa maîtrise actuelle des airs la maîtrise des mers britannique, il intensifierait, au maximum de son potentiel et de sa fureur, les attaques aériennes contre les ports, les usines, !es villes de l'île imprenalile ; il multiplierait de mgme les destructions de vaisseaux par Ic sous-marin, la mine ou l'avion. Bref, il remplacerait l'assaut trop hasardeux contre la forteresse britannique par Ie siège de ses bastions et de ses lignes de communications de la mer du Nord à l'Atlantique. Ce qui n'était qu'un ersatz. Cependant la réalité ne sufit pas à enflammer l'imagination d'un peupla. Certes, la ceinture de flots qui entoure l'Angleterre était rempart réel, difficilement franchissable, contre les assauts directs par les eaux sinon par les airs. Mais l'assurance que l'on prêtait 5 I'Anglais, et que d'ailleurs il possédait, émanait d'une autre source encore que la réalitd, d'une source inconsciente plus profonde :gardé par les flots dans son PIe qui, depuis le 28 Septembre 1066, n'a plus connu de conquérant, l'Anglais était comme l'élu de quelque force

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Lord TTankey . . that wns ~ l i o u tJune 25 . . . ( s o ) the rumour which swept the world nearly five ).cars ago that a Gcrman invasion fieet had suiIed for tbis country and had Liwn disastrously deléated in a sca of fire was untrue. But it might well have been true. Britain was reüdy tu do just that thing t o invaders. And the Germans killcd thousands of their own troops in nn eKort t o rcstore confidence where terror of thc fire weapon spread fastest-through the ranks of the Wehrmacht. They arranged a great derrionstration tu show that specially cquipped troopei could paea unscathed evcn if the sca was on b e . Thousaads of asbcstos suits were made, and each man of the troops to rakc part in the demonstration wore one (100,000 asbestos s u i t s were ordered in Paris donc !). IIugc quantities of oil were spread off the French coast and set on fire. The trial armada set out-to disaster. A large number of the head pieces of the euits were defective and the men inside were roasted to death. Fur n-eeks afterwards thc liurncd bodics of Gcrrnan soldiers were being washed up on the South Coast. Meanwhile by pamphlets dropped by planes, radio, and whi~pering campaigns, storics of Britain's terrifying 6 r e defences were being 8pread.m


surnaturelle, qu'il l'ayyeIâ~Dieu, qu'il la nommât Providence, qu'il l'implorât en ces sotennelles prieres nationales dont les Allemands se moquaient. Même apres ses defaites dc Norvege e t de Flandre, même aprèa pue Hitler, l'«<Attilamotorisé D, comme on I'a appel6, plus redoutable que Nappléon, e t t conquis les c8tes de l'Europe du Cap Nord aux Pyrknécs, l ' h g l a i s se sentait encore l'abri des débarquements sur ses plages, il s'attribuait une absolue maritime immunité, e t d'autres que lui y croyaient. Car la mer, plus encore s'il est possible que la terre, constitue pour tous les humains u4 symbole maternel. Et ii juste titre; la vie, autrefois, n'en est-elle pas issue, et les animaux terrestres euxmêmes, aux âges géoIogiques, ne aont-ils pas, l'un ayres I'autre, sortis des eaux ? Une sorte d'obscure intuition semble l'avoir révélé aux hommes bien avant que la sciencc nc lc lcur cUt uppris. Matrice universelle de la vie, la mer, dans les mythes e t légendes des peuples comme dans les rêves des irrtlividus, figure rii eflet volontiers une grande Mère au sein immcnse, Mors l'Anglais maître des mers se sentait e t apparaissait coinme l'enfant préféré de cette grande Mère et, de niêrne que tous les fils que préféra la génitrice, une grande assurance Iui en venait, uii grand prestige l'enveloppait. Ce n'était pas non plus par hasard qu'il ignorait la loi salique, que des grandes reines avaient parfois presidd à ses destinées : quelque influence matriarcale protectrice semblait être montée vers lui des rivages de ses mers. Aiissi HitIer, avec sa farouche agressivité, avec la virile puissance symbolique de ses mille avions, devait-il par excellence figurer pour l'imagination inconsciente britannique, e t même pour celle des peuples spectateurs du grand duel, Ie Père ennemi qui veut arracher l'enfant préfdré de la Mérc au paradia rnaterncl. La MSre se devait alors de défendre son petit avec toutes ses forces, ces forces pui, pour l'Anglais, apparaissaient A la mesure irr~uiense de su11 symboie : la mer ailx horizons infinis. Ceci sans préjuger de l'issue réelle du duel gigantesque oh, en ces mois héroipuee oii l'Angleterre résistait seule,- France abattue, Russie e t Amérique encore incertaines - maîtrise temporaire de6 airs et maîtrise durable des mers s'affrontaient pour ddcider du sort de I ~ u n i e x s .


LE 31YTIIE D U JUIF-SATAN

1'. Points de vue passionnels Hitler l'a yroclürn6 inaintes reprises, e t A sa suite les dirigeants nazis : << Le national-socialisme est inséparable de I'arrtisémitisme.» Et ceci h juste t i ~ r c: il fallait donc à l'Allemagne vaincue en 1918 trouver un responsable do sa défaite ; il fallait 2 l'Allemagne dbprès gucxxc, hantée tfe la iiostalgic dc sa revanche, découvrir un ennemi interieur contre lequel d'abord mobiliser ses jeunes troupes avant dc les lancer 5 l'assaut de l'univers. Aussi doit-on confiidérer les violences des jeunesses hitlbriennes, en 1833, contre les Juifs d'Allemagne e t les excè8 de 1938 des memes jeunesses en Autriche e t en Allemagne, malgré l'horreur justifiée qu'ils inspirèrent au monde civilisé, comme les grandes manœuvres peut-être pragxnatiqueine-nt nEcessairr~st k I'agressivité grrmanique renaissante. a

*

a

Hitler a lui-même raconté sa conversion à l'antisémitisme :l a &fais si mon jugement ijur I'antisémitisme SC modifia avec le temps, ce fut bien IA ma plus pBnille conversion. «Elle m'a coût4 les plus durs combats intérieurs et Ge ne fut ip9aprGs des mois de lutte où s'affrontaient Ia raison et le sentiment que ia victoire commença à se déclarer en faveur de la première. Deux ans plus tard, le sentiment se rallia A la raison pour en devenir Ie fidèle gardien e t conseiller. Pendant cettc lutte acliarrike entre l'éducation qu'avait reçue mon esprit e t la froide raison, les leçons de choses que donnait la rue a Vienne m'avaient rendu d'inappréciahlas services. II vint un temps où je n'allais plus, coinnie pendant Ies premiers jours, en aveugle h travers Ierj rues dc I'énormc viIle, mais où mes yeux ouvrirent pour voir, non plus seulement les édifices; mais aussi les hommes.

...

' J f e b ~KancpJ . l f u r ~CriniBrii- trarl. intcgrale par .J. Gaudefroy-D~momhj-neeet -4. Calrnpttrn, l'nris. Nciuvelltts F ~ ~ ~ ~I ,Ta lIi WI nI ;H \'<'ril. 1, (:hap. 11.

131

L


MYTHES DE GUERRE

Un jour où je traversais la vieilje ville, je rencoritrai tout 2 coup un personnage cn long kaftari avcc des houcles dc chcvcux noirs. << Est-cc ià a u s ~ un i Juif ? Telle frit iiia ~ ~ r e m i è rpens6c. c << A Linz, ils u'avaient pas cet aspect-là. J'axaminai l'hommc ù la cii.robée et prudernnient, mais plus j'observaia ce visage etranger e t scrutais chacun de ses traits, plus 13 prernierc question p c je zii'etais posée prenait dans Inon cerveau uiie antre forme : << Est-ce là aussi un AIlrtmand ? >> (C'&tait évidemmeut là uri Juif polonais.) Hitler achète alors des brochiires aritisémitcs et se plorigc dans leur lecture. « L'aEaire nie paraissait si inonstrueuse, les accusations étaient si démesiirkes que, torturé par In crainte de cornmettrc une injustice, je recommençai à m'inquiéter et A IiEsiter. « II e s t vrai que sur un poiri~,celui de savoir qu7iI ne pouvait pas être question d'Allemands appartenant A une curifession particulière, mais bien d'un peuple A part, je nc pouvais pIus avoir de doutes, car depuis que j'avais commenc6 2 m'occuper de cette question, e t que mou attention avait et& a~ipcIée sur le Juif, je voyais Viennc S O U S un autrc aspect. Partoiit ou j'allais, je voyais des Juifs, et plus j'en voyais, plus mes yeux apprenaient ii les distinguer nettement des autre^ homnies, Le c e u t r ~de la vilIc et Ies quartiers situCs au nord du canal du Danube fourmiliairtnt nettement d'iine populatiorl dont l'extérieur n'avait déjA plus aucun trait de ressemblance avec celui des Allcrnands. . . cc Le cosmopolite sans énergie ryiia j'avais 6 ~ jiisqii'iilors 6 devint un antisémite fanatique.)) La trans~nutation moderne dc 1'antisErnitisrnc confessionnal en antisémitisme racial s'illustre au mieux dans cette page : cc La vie que le Juif rnéne currrxlit: parasite dans le corps d'autrcs nations e t ktats, comporte un caractke spécifique, qui a inspiré à Schopenhauer le jugement d6jA cit6, que le Juif est le grand rnaftre en fuit de mensonges. Son genre de vie porte le Juif 2 mentir e t ii toujours mentir comme le climat force l'habitant du Nord à porter des vêtements chauds. i< Sa vie au sein d'autres peuples ne peut durer que lorsqu'il parvient à faire croire qu'iI ne doit pas ctre considCr6 comrne un

-

.


233

LE MYTIIE DU JUIF-SATAN

peupIc, inais comme uric

coiirni~iiniltiic religieuse,

il est vrai d'un

genre particulier. << Mais cela est

le premirr dc

ses

grands mensonges.

Il est obligé, pour poiivoir vivre comme parasite des peuplea, de renier cc qu7il.y ri de particulier e t de fondamental dans son espèce. Plus grande est l'intelligence d'un Juif e t plus cette supercherie' aura de succés. Cela peut aIler si loiri qu'une grande partie du peuple qui leur donne l'baspitalité finira par croire sérieusement qu'iIs sont des Français oit des Anglais, des Allemands ou des Italiens, bien qu'appartenant ii une confession diffdrente. . . . <ï

Juifs ont toujours formé un peuple doué de caractères propres A sa race : ils n'ont jamais été simpIement les fidèles d'une religion particulihre ; mais, pour pouvoir progresser, il leur a fallu trouver un moyen de dhtoiiriier civeux une attention qui pouvait être gênante. Le moyen le plus pratique et en même temps le plus propre 2 endormir les soupçons n'était-il pas de mettre en avant le concept, emprunt& de comrnunaiit6 religieuse ? »' n Les

Toutes les d6rnonstrations des anthropo~oguestendant 2 ktablir que Ica Juifs contemporains, disperses par le monde, constituent un agrégat panachd de races diverses agglomérées (surtout dea méditerrankennes) grlice ii des conversions successives, viennent se briser contre le fanatisme racial. Aussi, sûr de soi e t de sa croyance. IIitler, en un autre passage, après avoir stigmatisé la presse, l'art juifs, la Haute Banque et le marxisme international, ce ({poison juif », conclut-il par ces inipressionnantes images :

Si Ic Juif, ii l'aide dc E n profession de fai marxiste, reinporte la victoire sur Ies pciiples de ce monde, son diadème sera la couronne mortuaire de l'humanite. Alors notre planète recommencera parcourir l'éther comme clle l'a fait il y a des millions d'années : il n'y aura plus d'hommes sa surface. M

K

La nature &terneHese venge impitoyablement quand on trans-

gresse ses commandements. «C'est pourquoi j e crois agir selon l'esprit du Tout-Puissant, notre creatcilr, car L,c, Vol. 1, Chap. XI.


134

MYTHES DE GUERRE

« En n o ddfendani contre le Juif, je rombals Irorir &fendre I'mrlt?re

du Seigneur,» l

On comprend qu'avec Irr conviction d'uuc telle mission HitIer sr soit cuirassé contre toute pitié envers It: Juif, et, pape sinon dieu du Racisme, ait d6crét6 1'Inquisitiun corilre le Juif, iiicarilation dri

Diable, du Mal. Et les Juifs d'AIlemagne, nierne ceux qui avaient, de 1914 5 1918, vers4 pour elle Ieur sang, se sont vus systkmatiquement ,pourchassés e t dépouillés ; tous leurs biens, c< volés aux Aryens», leur ont été repris, depuis les Rothsch;ld jusqu'aux petits boutiquiers de Vienne ou de Berlin dont de jeunes fanatiques pillaient les stocks. Avocats, médecins, pharmaciens, écrivains, s'ils étaient juifs, se sont vus retirer la droit d'exercer Ieur profession e t leur esprit. Et Ies c a m p de concentration, de sinistre renommée, ont étouffe les lamentations dc nouveaux J&rémies, de ceux auxpueIs la voie salvatrice de l'exil restait interdite de par la fermeturt? progressive des frontières aux autres pays. . . . Le fanatisnic, par la libkration ries iiistincts agressifs qu'il apporte à l'âme, est tiès contagieux. La conviction antisémite di* son Führer a gagné 1'Alleinague - e n attendant d'cn d&lorJer. De furieux propagandistes se sont évcrtri& à la propagex. Ouvrons au hasard un exemplaire du Stürrner (l'Assaillant), cet hebdomadairt du << CornLat pou.^ 1a vérité », coinrne i I s'intitulait. C'rst la Sci~ilI~. de Julius Str~ichcr,X'inspiratczir des Iois riacistes dc Nurcrnbcrg. On y lit tant& que tous les régicides ont été juifs ou poussés par des Juifs (10 Octobre 19401, tantot que toutes Ics maladies (lèpre. peste, syphilis, va~iole)physiques ou itiorales de IYliiirnanité: ont et6 apportees aux Aryens par les juifs (CI'; OctoIjre 194,O). Et au bas des pagcs s'ktaieiit invarialilcrnttnt en grossv5 Icttrr.~, dr: tcllcs maxirnes : 1. « Lcs Juifs sont cause dc la gut!rrr.n 2. << Qui connaît Ic. Jiiif connaît Ic Jiahlt-.» 3. « Les Ju?fh sont notrc malheur,>> Ce que les vainqiieurs trausformaieri-t ii l'irsage dcs vaincus cbri l'adage suivant qui s'&talait Iiicntôt s i i r des Ecritcaux cn Frnucc* occupEe « Lcs Juifs sont aotrc! malheilr ! u 1

L e . , Vnl. 1. conclusion du C h a ~ i J. I .


A u s ~ i .eu Juillet 1940, 5 peine un mois aprèe la défaite de la France, alors que les Français désemparés e t douloureux cherchaient les « responsables >> de leur désastre, à Paris paraissait dans La France au travail, I'un des jeunes journaux heraults de 1'« Ordre nouveau D, un article de tête intitulé : Les trois guerres juires.

Jc le cite ici en entier : « LES TROIS GUERRES JUIVES »

« La première guerre juive ! C'est Edouard Drumont. dans son immortellq France juive, qui a lancé, pour la premikrc fois, l'expression de guerre juive. Et c'est lorsqu'il raconte comment les Juifs eurent leur guerre de 1870, prélude des deux autres. a Quand ils eurent raflé Ic produit des grosses affaires e t des r.rriprunte d'Etat, vid6 les petites bourscs par des appels aux souscriptions publiques, épuisé tous Ies béncficcs usuraires e t la paix prospère du Second Empire et declaré qu'un u'aurait jamais la guerre, parcc que Mc. Rothschild n'en voulait pas, il y eut chez eux soudain un revirement. cc Laissons parler Edouard Drumont : c-La paix &ait uséc. Les Juifs alIeinands, comme base d'opération, prirent Ia guerre : ils organisérent, sous des apparences militaires. la pIus vaste e t la plus admirable sp6cuIation financière qui fiit jamais été esgayée e t réussic. , . , <<. . . L'Allcmague, en réalité, eut peu de chose faire e t les agents de Sieher, le chef de la police de Berlin, qui lança sur nous des arindes d'espions, trouvèrent la besogne toute faite. Le Juif livre à I'Mlernague la France garrottee.« Druinont explique la c o d i n c juive : «-Avancer à Bismarck tout la papier-monnaie dont il avait besoin, « Fuis, pour échanger ce papier-monnaie contre des espGces sonnantes, faire la guerre à l a France, seul pays où il y a de l'argent. Dépouiller la France pour Ia Prussc, depouiller la Prusse par Ie jeu bancaire, tel était X e plan qui fut d9aiUeursréalisé. << La dificulté f i r t de faire naître le casus belli,


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MYTHES DE G L ~ E R R E

Juifs d'Allemagne e t Jiiifs {Te France se dririnkrent la main pour provoquer cette fructueuse catastrophe. M Napoleon III regimbait, -résistait àt la pression de I'Ii~ipératrice rt

aiguil1onni.e par le Juif Bauer,-ex-coulissicr devenu un pretre infime e t confesseur de l'Impératrice. Le Roi Guillaume regimbait aussi.« Edouard Drumont écrit; : c -Guillaume sentait sa conscience troublce en pensant aux cent mille hommes qui, aujourd'hui, cultivaient la terre tranquillernrint e t qui, dans un mois, quand une parole aurait été prononcCe, seraient couch& morts sur les champs de bataille. Jusqu'à l'hcurc supremc, la reine Augusta fut prks de lui une suppliante de la paix ; on dit même qu'elle se jeta une dernière fois aux pieds de son mari quand tout gemblait fini, pour le conjurer de tenter un dernier effort. <ï Guillaume fit ce que certes, l'Empereur n'aurait pu faire A sa place, la candidature du prince dc fIohcszollern au trône d'Espagne fut retiree. cc Les Juifs déscspCré~ tentèrent Ic coup dc la fausse nouvelle, qui leur a presque toujours réussi, le coup du tartare, comme on dit chez Rothschild. Une ageuce juive, 17age~ict:Wolff, aririouya que notre ambassadeur avait été grossièrement insulté par le roi de Prusse, et vous voyez d'ici l'entrain avec lequel la pressc juive française renvoya le volant. 9 On a manqué- de respect à notre ambassadeur, on a soumeté la France, mon sang bout dans mes veines ! (Ainsi s'écriaient ces futurs fondateur6 de la République, qui, aujourd'hui, rcgoivcnt taus les coups de pied diplomatives, en disant grand merci ! - (Ecrit en 1886.) u 11 est imrtile d'ajmiter que l'ambassadeur, comte Benedetti, a démenti formellement dans son livre fifa mission en Prusse, l'histoire de cet outrage imaginaire. i c La fausse dépêche d'Ems compléta le tohu-bohu qui fit déclencher la guerre. s Toute la canailie judéo-maçonnique s'enrichit dans les f o i ~ r nitures d'un guerre prolongée à plaisir par Gambetta, que ce foutriquet de Reynaud voulait imiter en prolongeant ceIle-ci, et Drumont ajoute : c -Il y eut, d'un bout à l'autre de l'Europe, un Iiouannah juif qui


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LE MYTHE DC JUIF-SATAN

accon~pagnaitIe bruit des millions. Les Juifs refirent, niais cn cles proportions prodigieuses, ce que Iiothschild avait fait en petit a u moment de la liqiiidation dc 1815 ; ils s'enrichirent en pretant aux Français ; ils rcprircnt aux Prussiens ce que les Francais leur avaient payé. Des cinq milliards, quatre au moins restèrent dans leurs mains.« Edourird Drumont c s t mort en Février 1917, avant d'avoir pli nous donner son impression sur Ia deuxième guerre juive ; quant à la troisième guerre juive il l'avait predite indiquant comment: sous-l'action juive, la vieiIle France se dissolvait et se décomposait. « Ses écrits sont un pharc à Ia larrrrr duquel nous retrouverons la trace du crimc juif dans la deuxiéine e t troisième guerres juives. «Car ce n'est pas la dernibe guerre qu'il s'agit de liquider, ci: sont les trois guerres, avec la restitution par les deux (ou trois) cents familles juives des milLiards volss par Israël, depuis prcs d'un siècle, au milieu des tueries et des incendies chers 2 Jehovah. cc Jcan DrauIt.» (La Fronce au trarail, 24 Juillet 1940) Inutile de relever, pour qui connaît un peu l'histoire, à quel point le rôJe personnel de Bismarck dans la genhsc de la guerre drt 1870, comme de 1864 et 1866, est ici méconnu ! Les admirateurs du Chancelier de fer, du génial bâtisseur de l'Empire allemand, ne trouveraient pas ici leur compte.

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Ce n'était d'aiileurs là que le début d'une vaste campagne. S'inspirant des dogmes de l'évangile di1 vainqueur, de la révdation hitlérienne, I'antisE~nitisrnefrançais devait bien vite faire rage dans la presse de la zone occupée et même de Za zone libre. Les FrancsMaçons et les AngIais partageaient d'ailleurs avec les Juifs Ia fonction de servir de cible 2i la rancmur d'un peuple malheureux. On pouvait ainsi lire, en zone libre cette fois, dans Gringoire dti 22 Aofit 1940, un long article de premikre page, signé Robert Boucard, sur le sujet suivant : De Jacques de Molay Ù Z'Unioiz Jack. Il y était dkmontré que Ies Francs-Maçons et les Anglaic, ces enjuivés, étaient demeurés A travers l'histoire, et ai: grand dani de la Francc, les vengeurs occultes du grand maître des Templiers, supplicié en l314 par PhiIippe le Bel. Je glana dans cette prose quelques-uns des crimes contre la France perpétrés, au cours des


MYTHES DE GUERRE

sièclcs, par ces misérables :

par la prise de 1a Bastiiic, ancienne geôle du grand maitre du Temple, que commence la Rcvolution. Sa destruction est prevue depuis 1314 ! . . . « Mais défense est faite d'incendier la tour Saiiit-Jacques, dernier vestige de l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, dans les fondations de laquelle les Templiers ont enterré une partie de leurs archives. . a Louis XVI ddchu. sa rkidence doit être une prison : l'ancien palais des Templiers, resté debout avec son donjon e t ses tourelles pour attendre le royal prisonnier promis ii d'inexora bIcs ~ouveniss.~ (Il fallait en effet qu'un Capétien paye pour PhiIippe le Bel, meurtrier de Jacques !) ï< Pendant ce temps, le canon d'alarme tonne sur le Pont-Neuf, exactement sur l'emplacement où s'éleva Ie bûcher de Jacpues. r< C'est toujours au Temple de Paria, ancienne maison-mère de l'Ordre, que le petit: Louis XVII est martyris6 par Simon, l'ignoble savetier juif.» (On connait donc l'alliance occulte e t démoniaque d'Israël, du Temple et d'Albion !j n L'effroyable vengeance de Dourguignon de Molay na sera-t-elle donc jamais consommée ? b) L'auteur de ce document poursuit : « Dans certaines hautes loges de l'Ecossisme, les disciples de Jacques de Molay prztent toujours le serment d'allégeance devant une reconstitution du tombeaii de Bourguignon d e BToIay. Sous une urne, un crâne, le front ceint de lauriers, domine une tiare papale e t une couronne royale. Est-ce assez clair ? Sur le socle du monument, se: lisent les chiffres siiivantes : «13141793487070 « Ces nornlixes d'apparence énigmat.ique ne sont, cn rhalité, qu'un rappcl de certaines dates historiques : « 1314 : SuppIice dc Jacqucs de Molay ; « 1793 : Proclamation de la Prelniere République Française ; ci 1848 : Proclamation de Ia Deuxîémc République Française ; 1870 : Proclamation de la Troisième République Française cc 1870 : Confiscation des biens temporels du Saint-Si+.» (Ces sculs exemples montreraient quelle vengeance les occultes forces, héritières du Temple », surent exercer contre le tronc et l'autel !) c< C'est

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...


139

LE; \II'TIIE: IIU JUIF-SATAN

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Mais passons h l'emprise propre du « Temple » sur l'Angleterre : « Est-il nécessaire dc donner maintenant ces trois preuves supplémentaires de Ia survivance de8 TcmplXers, ennemis de la France et d~ Ç ~ rois, F dans la Maçonnerie d'Ecosse en particulier et dans le gorivernemcnt de Grande-Bretagne en genéral ? « 1 . La devise des armoiries d'Angleterre (et de la Maçonnerie cl'Ecosse) est ceIle de Jacquea de Molay : Deus rneurnque jus (Dieii e t iizon droit) ; « 2. Le drapeau national britannique (Union Jack) est le drapeau de Jacques de Molay ; << 3. L'ensemble des possessions britanniques se nomme c< Union Jack,). en français Union pour Jacques)). La critique rationnelle de semblables élucubrations est superflue ; o n dirait des divagations d'un schizophrène prenant des associations verbales pour dcs associations réelles. Toujours en zone dite libre., dans L'Emancipution nationale, journal dirigé par Jacques Doriot, chef du <c parti ouvrier français», paraissait en premiere page, Ie 7 Septembre 1940, un article signé (le son directeur et intitulé : Il faut r6gZer la question juive. Au-dessus l'en-tête suivant en grosses lettres : Juiverie et Franc-fifaçonnerie dsr1.r cadeaux de l'Angleterre ! Voici les passages essentieh de ce réquisitoire : i c La guerre et la dgfaite imposent: la France le réglernent da la question juive. . , .» A p r è ~avcir rappelé ses cfforts antisémites d'autrefois, Doriot pourmit : C< L'action dc I'arniéc juive de France fut plus décisive qu'on ne 1~ rroit communément. Puisant sa force dans son or, placée ii prcs[pxe tous les lcviers de commande, peuplant la presse, la radio, IP cinGma ; agissant air gauverncment tantot par Blum, tantôt par Maridcl, toujours associés dans la coulissc, cIlc monopolisa la propagrinde, l'information. . . . « Cette politique ne fut pas le fait de quelques juifs. Tous lt-s Juif'Ei résidant cn Francc y ont participe. Les quelques exceptions connues ne faisaient que confirmer Ia règle. a Lcs juifs voulaient la guerre, Ils ont parfaitement reussi à faire trioriipher Icur programme. « Ils voulaient la guerre. Nous l'avons eue. Ils voulaient leur guerre, et nous l'avons faite. Car si les fils d'IsraëI ont revêtu I'uniforme, ce ne fut guère pour se battre. . . .» (J'ai pourtant connu *


M Y T H E S DE: G U E R R E

plus d'un Juif combattant aux armées 1 ) « Ils croyaient que la guerre qu'ils ne faisaient pris leur apporterait Ia fortune en ~r~erric teirips que la victoire. C'est Ia dCfaitc qui e s t venue, Mors la France a w i la fuitc &perdue de tout Israël. Les Rothschild et les Mandel (cc qui est tout un), 1t.s Blu~ri,les fdev>. fuirent, emportant l'or, les bijoux, les titres, cherchant à ruiner Ic pays qu'ils avaient assassiné. . . « Lc problème juif a donc k t & pose en plcinc IurniCrc par les juifs eux-mêmes. . . . Le gouvernement français alerte par de multiples manifestations populaires antisémites dans Ia zone non occupée se préocupe de la question. . . . cc TJn statut doit provisoirement fixcr le sort dcs juifs. Le gouvernement doit apporter une solution immédiate qui rétablira les Français dans leurs droits. a Ces solutions, si radicales qu'elles soient, svront d7nilleurs

.

...

provisoires. <c Une des conclusions do la guerre 1939-1940 sera le réglernent européen de tout le probIè~riejuif. a L'Europe, qui a subi tant de malheurs de leur fait, decidera sans doute de se séparer des juifs. Elle' leur assignera un territuire lointain, où, enfin jetés, ils réfléchiront à loisir sur les incûnvEnien~s qu'il y a à provoquer des guerres pour lc bon plaiair d'Israël.>} Ainsi le peuple d'Israël t o u t entier se trouve désigné comme responsable de tous les malheurs européens, e t la panaci+ 2 tous ces maux devrait être son expulsion globale.

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3k

Repassrins de zonr: libre e s zone occupee. Dalis Ic niinii.ro d' Au pilori, c e t t e fcuilIe v o u k 5 la fustigatiou hebdomadaire des Juifs, on pouvait lire à la date du 27 Septernlire 1940 sou5 le titre : Le Juif est-il intelligent ? les accusations suivantes : « Une propagande effrontée, orchcstrCc avec art, a fini par donner aux pauvres chrdtiens que nous sommes un véritable cornplexe d'inférioritt, pour employer une expressiuri clière à Freud. cet imposteur type de la race élue.>> Certes cc si les talents des Juifs sont incontestables pour s'earichir rapidement par la rapine, l'usure et la corruption, la race élue, dans tous les pays où elle a prolifEré, a toujours laisss dans son sillage des ferments dc décornpositjon, de rixinc et de mort.» Mais


141

L E MYTHE 1)L' JCTIF-S?iTAN

Icg plus grands hoiuincs, p u r s u i t notrc inîorrnateur, n'étaient pas J-iiifs ! h témoi11 Jules Cesar et Ih'apol6orr (on l'a pourtant insinué de celiii-ci dans Lu F~CCILCC Juive, d'Edouard Drumorit !), 31ichelhn;e. Ic Grkco, Ecctlloven, Wagner (on a cependant murmiire de ci: dernier qu'il était un bâtard juif !), Racine, hlolière, Goethe,

Pasteur ou Edison. En fait de Juif célébrc notre auteur ne trouve a citer qu'uii seul noxn : K du cbté d'Israël, un liorn~neest ulriverseIleüient connu, il symbolise üdnYraLlemcnt à nos yeux les rares vertus de ce peiiple : son nom est Judas.)) (Notre auteur oublie d'ailleurs de citer un autre nom juif au rnoiris aussi célélire : Jésus.) Puis l'rilliancc paradoxale du capital et du bolchevisme sous le Juij' capitaliste subnouveau évoquCc : i't:Bidc Jrx Juif est ventionnant IP Juif r é v ~ l u t t ~ n n a i ryeour lui permettre d'entretenir uri foyer d'agitatioii, de dksagrtgation favorables à ses entreprises de l u ç r c . ~ Cependant Hitler ayant dénoncé cc péril, « sa présence rendue indesirable dans Ic T I I m R e i c h , la vermine du rriondc si: mit à pulluler en France, nation choisie pour être l'instrurnçrit de la vengeance d'Israël : la défaite est pourtant veuue, frustrant les espoirs des malfaiteurs sémitca ! Et. A présent, semblables A ccs bêtes des ténèbres que la lumière du jour éblouit et: fait fuir, lc Juif voit s'effondrer sa puissance dès qu'on fait son procès piililiqucment, eu pleine clartG.» Xous apprenons ainsi que! Ie Juif, peu inteIligent s'il est parfois rusé, a reussi partout à rouler lc chrétien, l'Aryen, ce qui ne semble pas très ù I'lianncur de I'intclligencc, dira-t-on, de ce dernicr. De plus ici, com~ric~i souvent dans c e t t e littérature, la Haute Banque e t le Bolchevisme sont stigmatisés cornme complices, ce qui est un paradoxe évident. La Haute Danpue internationare n'a en effet pas de pire enriclni que le Bolclievisme, ainsi qu'on l'a bien vu en Russie, et ce dont se sont aperçus tous Ica porteurs d'emprunts russes ! Mais Ic caractcre d'internationalisme commun à la Haute Banque cornrne aux aspirations révo1utionnaircs prolétariennes cr6e l'erreur d ' o ~ i t i c ~ i i cct , nos théoriciens discernant dans l'une e t l'autre «Internationales» des profils juifs, voient rouge, ce qui n'est pas le moyen de voir clair.

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iP

Mais repassons encore une fois la frontike des zones et citons 5 nouvcau Gringoire. La « b ê t e des ténèbres » n'y e s t pas moins


stigmatisée ! Le 3 Octobre 1940 Gringoire 6crivait ; H nt: 1921 A 1928 et de 1932 à 1940, le parti qui a exercé la plus grande influence Eur la pofitique franqaise est le parti radical-socialiste, 11 c,ontrÔlait tout. . Le parti radical-socialiste obéissait aux ordres de Ia r u e de Valois. La me de Valois n'&taitque le bureau exécutif des Loges e t il n'est plus permis d'ignorer aujoiird'hui aprhs les dacuiiients publiés par Gringoire et par plusieurs de uos confrCres, que la Maçonnerie, organisme occulte et interriatioiial, recevait ses consignes de Londres, le gouvernement de Londres é t a n t lui-insine dominé par la City où régnait l'int~rnationalejuive,» Et voilà le Maçon, l'Anglais e t le Juif, tryptique diabolique, ii. noiiveaii démasqu6a ! Ainsi « par l'intermédiaire de la Maçonnerie, le sort du peuple français, en definitive, reyolsait entre Ies rriains du gouvcrxiriiient anglais e t des capitalistes juifs internationaux». Après avoir rappelé p u e « l'enjuivement de l'hgleterre est beaucoup pIus ancicn que celui de la France, (puisque} c'est en effet Cromwell (1599-1658), homme dc main du rabbin hollandais Manessé, qui a autorisé les Juifs ii s'installer dans les îies britauniques», Gringoire montre à I'œuvre chez AIbion DisraëIi, Lionel Rothschild, Levy Lawson, Rufus Isaacs, Sassoon et autres, jusqu'à Chamberlain l'homme au parapluie, traité lui atzssi de juif! Cringoire rappellc plus loin les certes iiialadroites corriplaisarices de l'Angleterre envers l'Allemagne d'après 1 9 18 e t les explique sommairemest : cc Plus fort sera IE Reich, plus g r a i d a sera Ica chance d'en obrenir de l'urgent sous forme d ' l n t a r z t ~ aux bar~pues», attribuant bien entendu cc raisonncrnent si~iiplisteaux capitalisrrs juifs angIais. a Mais le flirt germano-ariglais fi, poursuit-il, <<nedevait pus être de longue durée. Les mesures antisémites ordonnées par les nazis, e t que l'Italie allait imiter, ajoutées B la fermeture des Luges par Mussolini et par Hitler, devaient bientôt inquiéter le gouveriiernent judaïsant de Londres et son satellite, la Fraiic-hlaçonr~erit!.>> Airssi n'y eut-il, d'aprés lui, d'autre cause A la guerre quc la suivante : u Un jour, l'ordre arriva de venger Israël. Le F:., -.grand inspecteur genéial, souverain 33"lr, resut des instructions formelles. La France déclarerait Ia gucrre, et puisque cctte guçrre n'était pas popiilairi: parmi les Français, puisque les députés e t les senateurs

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143

I,F MYTHE DU JUIF-SATAS

socialistes e t radicaux, les francs-maçous eux-m6mes, hésitaient par crainte de leurs Becteurs à la voter, on passerait outre, on

violerait la Constitution qui prévoit que le président de la République ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des deux Chambres. . . . cc Voila comment en l'an de griice 1939 les grands capitalistes juifs e t le gouveruernent judaisant de Londres décidèrent cfue la France prendrait les armes pour Israël.>> On d o i ~certes admettre que les Juifs en tous pays ne pouvaient adorer le national-socialisme qui les persécutait et qu'ils désiraient forcément le voir mettre A -bas. D'ou chez certains Ic rêve d'une guerre victorieuse, A peu près seul moyen d'aboutir à cc résultat. Mais tous les cmurs épris de libéralisme en étaient là; il n'était pas besoin d'étrc juif, il suffisait d'aimer la liberte. Et cc qu'on peut reprocher à la Francc comme à l'Angleterre libérales, c'est moins de ne s'être pas passivement courbEes devant les puissances autoritaires que de ne s'être pas préparées h les combattre efficacement un jour.

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iY

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Cependant, revenant A la zone iicciz@ée, prenons à présent l'hebdomadaire Lu Gerbe daté du Jeudi 10 Octobre 1940, L'articIe evidemment com~nandé Andse Gaucher, Le Juif dans la nature ~t dans l'histoire, y Ctale des prétentions la philosophie de l'histoire.

II

rappel6 comment, au Moyen-Age, les Juifs e t les lépreux associés à n'en pas douter empoisonnaient les puits des chrétiens, ensuite comment plus tard, le Juif s'unit h cet autre cc lépreux >> de la cité, le prolétaire, pour empoisonner de même par Ie BoIchevismc l'esprit pubiic. Puis on nous montre la puissance diabolique de l'or juif tapi dans l'ombre, la corruption juive de l'ordre blasphématoire des Templiers et enfin le « mervei~leux synchronisme de l'ascension des peuples et de l'éviction des Juifs ». La panacée universelle est proposee 2 la France actuelle à Ia lumiére du passé : rc A partir de 1394, époque à lapellc: elle chasse les Juifs, la France monta toujours. A,partir de 1789, époque à laquelle elle les reprend, elle descendra sans cesse 2 (cité d'après Edouard Drumont, Ln France Juive, 1, p. 186.) Et a ceci n'est pas une c s t d'abord


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MYTHES DE GUERRE

simple observation particuliérc A notre histoire. C'est une loi. Une loi vérifiée par Ie merveilleux synchronisme de l'ascension des peuples et de 176victiundes Juifs, ou bien de l'integration des Juifs et de la décadence rapide des malhcurcuscs nations qui ont eu Za faiblesse d e les accueillir.» On pourrait O ~ P O S C I au (< rtiervcilleux synchronisme H mis en avant par Gaucher un autre synchronisme non moins étonnant. Il S C trouve consigné- dans le rapport de Christophe Colomb sur son expédition : << En ce même mois où Leurs Majestés promulgu6rent l'édit par lequel les Juifs devraient être expulsEs du royaume et de ses territ o i r ~ , s eri , ce même mois Elles Ine donnérent l'ordre d'entreprendre avec un nomlirc d'hommes sufisalit rnon expcdition de d6couvcrte aux Indes.» Or c'est ri partir de sa découverte du Nouveau Monde et de la pléthore d'or qui s'ensuivit que commença la décadence de l'Espagne, malgré 6a bruyante cxpulsiori des Juifs ! Et l'on pourrait dificilement soutenir que depuis Iors l'Espagne, le pays d'Europe o h se trouvaient le moins de Juifs, eût gardé la préémincncc en Europe plutôt, par exemple, que l'Angleterre ilc Cromwell ou d'EiÎsabeth. 1,'expiilsion des Juifs orrcloonnee par Ferdinand e t Isabelle, l'accueil réservé aux Juifs par le Protecteur, ne devaient pas empecher, sur les mei-s, les vaisseaux britanniques de porter un coup mortel et symbolique i l'invincible Armada. Mais peu importe la pauvreté intellectuelle de leurs arguments 5 nos furieux polémistes. Ce qu'il s'agit d'exciter, de fixer sur un olijet rlEterminé, c:'t:fit la haini? d'un pcuyIe malheureux qui a besoin de trouver e t dc châtier uu c< responsable >> de ses malheurs.

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Les antihitlériens eux-mêmes puvent partager à leur façon les convictions de G ~ I Uqu'ils ~ comhattcnt, C'est cn eflet un mythe assez répandu quc le suivant : Hitler serait juif, un renégat juif, à preuve telIe stèIe funéraire, dans quelque cimeti&rejuif dc Roumanie, sur laquelle on lirait : Ci-gît Adolf Hitler ! (Myttic de désir d'ailleurs dc la mort de Hitler.) Or, Hitler a écritL:u 11 n'y a pas lieu de s'&tonnersi dans notre peuple la personnification du diable comme ernblkaic dc tout ce qui est mauvais emprunte la forme corporelle du ' L. c., Vol. 1, Chap. XI.


. Pour beaucoup dc gcns, en effct, rnème déchristianisés, le Juif est resti: une diabolique incarnation du Rlal. Cependant, à nos anttihitlériens, Hitler apparaît donc aussi, tel Napoléon en son temps, commc l'AntEchrist, Alars, deux facteurs égaux à us truisième Stant égaux entre eux, puisque IIitJer = Antéchrist e t Juif =An téchrist, il résulte mathkmatiquement que Hitler=Juif. Telle est l'équatiun inconsciente par IaqueUc bien des gens attribuent le judaïsme 3 IIitler. J'ai même entcndu, cn 1'6té de 1939, avant la guerre, un honorable commcrçan.t de Saint-Tropez me décIarer s6rieusemcnt que si Hitler le Juif chassait les Juifs d'Europe centrale, c'était en réalité, sous coulcur de les persEcuter, pour mieux assurer, avec leur dispersion mondiale, leur domination universelIc. Oa croit donc par ailleurs que c'est à c e t empire qu'ils aspirent séculairement, ainsi qu'en tFrnoignent les Protocoles des Sages dc Sion n auxquels, maIgré la démonstration patente qu'il s'agit d'un faux notoire, tant de gens accordent créance, dont Hitler Iui-même, projetant par là sur le peuple abhorré son propre rêve de domination. l f

C'est après avoir écrit cet essai que j'eus connaissance de la si intheseante conférence faite par Otto Fenichel à I'rngue. en Avril 1937, au bénéfice de la Fondation David-'Eder. Fenichel y commence par indiquer que l'antisémitisme ne se saurait comprendre du point de vue psychologique seul, mais qu'il faut aussi tenir compte dee facteurs politiques, historipucs ou économiques dans en genèse, ce qui d'ailleure est le cas de tous Ies phénomènes sociaux. Du point de vue psychologique, il souligne tout particulièrement 1c mecanieme de la projection 1 I'œuvre dans l'antisémitisme. Lee antisémites projettent sur le Juif,attribuent au Juif tous leurs mauvais imtincts plue ou moins inconscients : soif du sang, de I'or, de l'ordure, de la luxure ; ainsi, en n'en déchargeant sur Bon dos, ils s'en iavcnt eux-mgmes et apparaissent A leurs propres yeux tout rayonnants de pureté. L e Juif se prête ainsi à merveille il &tra u n e projection du Diable, qu'on n'a donc sorti de l'enfer que pour le mieux ressutrciter sur t m e . Sur cette nouvelle incarnation du Mal peut alors se fixer I'agreasion dee pcuplea bbteé. Mais pourquoi le Juif justement, e t pourquoi pas, par exemple, les hommes roux ? Penichel ici attribue au type ethnique noir du Juif un certain rôle. Les nègres en Amirique assument aussi une telle fonction de fixation de I'agression des peupIes hatee, ainsi que tant de lynchages en font foi. Parmi nous, les Tziganes, les Bohémiem sont aussi chargGs, ii tort ou à raison, de toute sorte de méfaits, vola, meurtree, rapts d'enfants, etc. Le facteur argent, commerce, joue aussi un r61e dans l'horreur inspirée par le Juif, c t il dut Ie jouer de mtme dans les pers6cutions, les maseacres des Arméniens par les Turcs. Lc caractkre étrangement inquiétant m ( u h i m l i c h ) du Juif fut du, pendant trés longtempe, h la persistance de sa foi e t de ses rnœure particuliCrea, dont nu premier plan I'archufque circoncision. Il resta par là l'étranger parmi nous, donc l'ennemi dans notre sein et jusqu'aujourb'hui ce trait regte anachroniquement attaché au Juif mtme le plus assimilé des sociétés européennes, en vertu de i'inertie propre aux attitudes psychiquee de l'inconscient humain.


On potiriait multiplier à l'infini les citations de la prcsse frauçaise en 1940, ou depuis. La presse en zone occupée était évidemment inspirée par le vainqueur, l'riiitrc! emboitait de pIus ou moius loin le pas. Le vainqueur, outre sa foi fanatique en la nocivité foncière du J d , le mécreant majcur de la uouveUc foi raciste, avait en e f f e t un intérêt puissant ii fouetter l'antisériiitisnze des Français. Car la haine au cœur des homiiies c s t un capital restreint : autant en irait au Juif, autant en serait détourné de 1'AIlemand ! Ainsi se trouverait favorisée la << collaboration >> du vaincu avec le vainqueur, c'est A dire l'acceptation, par la France vaincue, de sa vassalité. La France 6crasée ne pouvait résister à la pression anUsémite allemande, que bien des ~Eactionnairesfrançais d'ailleurs appelaient en réaction au large accucil français des années précédentes aux persécutés d'Europe Centralcl Et puis les homrnes sont ainsi faits qu'ils prennent vite leur parti de persécutious ne les atteignant pas. Au~ifiipour c o q l a i r e à Berlin e t ses prosélytes, le gouvernement de Vichy promulgait-il, le vendredi 18 Octobre, en attendant pire, un premier « Statiit des Juifs >> interdisant, m8me à ceux dont les familles étaient françaises depuis plus de cent v u c z u t cinquante ans, mCme aux anciens ou récents comhattants des armées françaises, d'être officiers aux ar~nées,de remplir des emplois politiques ou adminis~ratifs,de devenir, au-dcssus d'un certain pourcentage, mkdecins ou avocats, e t barrant 3i l'intelligence juive, malgré ses éminentes contributions à la culture eurupéeilne, l'acciis iî tout professorat - sauf exception qu'il faudrait mendier ! Mise au pas de l'oie de 1'Etat français ; conv-crsion officielle du vaincu A l'idéologie du vainqueur ; défaite defi idéals succédant à Ia defaite des armes ; réaction contre les principes de 89 jusqu'cn leur berceau ; les ((Droits de l'hommc >} foulés en France sous la botte triomphante des soldats de Hitler. C'est sans doute cette rancœur xhophobe qui permit l'inscrtiori, parmi les clauses de l'armistice frnnca-allemand, de ce honteux tirticle 13 par let~uella France s'cngageait B livrer à 1'Ailemagnc les rcfugiés politiques rillcniands rEsidai.it cn E'rance que l'A1leniagnc désignerait. Une telle violation du droit d'asile. colisidcri comme sacre depuis Ics ipmps antiques, devait pe.rmtt.t.ri:deux ans pliis tnrtl, au gouvernement de Picrre Laval, lia livraison en masse h I'lillcrriepne, jusqu'cn zone nuIl circupk, de millirrs da Juifs réfugiés avec Icurs îenirries e t lcurs enfants. T,c: plerg& françüis en vain tentait de Ics prritbgçr; cti ~ a i I'inilignntinn n soulevait tous 1 ~ rcpurs s gt!n&reiiir d e l'univers : Ics gendarmes franç;iis devaient livrer lea victimes à lcurs bnurreaux, qui I r s allaient Iüisscr mourir de faim, de froid, OU mnssacrcr dana lcs ghettos de I'olognr.


1-17

LE MYTHE DIJ JUJF-SATAS

2. Yiiints de vue historiques L7antisEmitismc i:st plus que millénaire, e t l'on se souvient que les saints croises, sur leur chemin vers la Terre Sainte, préludaient dignement à l'attaque cuntre les mhcréants mahametans par d'abondants pogroms des Juifs rnécreants partout oh ils passaient. Mais de nos jours où la vieillc foi chretienne a partout décliné, pourquoi la jeune foi raciste a-t-elie justement choisi pour lui porter ses coups ces memes rnGcréants, qu'à ses yeux le baptême ne saurait pIus racheter ?

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O

Lbantisérriitisrnc apparait pluridéterminé: ses causes sont rriultiplcs, et c'est là sans doute ce qui fait la discordance entre les auteurs l'ayant ktudi6, Ics uns rnvttarlt cn rivant telle cause, d'autres en souligrian t ti:llc autrt:. Jc citerai d'abord L'explicatiun simpliste des Chrétiens : si les .Tirifs sout persecutt?~,c'est parce qu7eei1x-rncmesont appelé sur leurs &es le rnrilheur le soir fatal o c iIs ont, Iibérant Barrabas, condamné Jésus au supplice. Le peuple juif n'ri-t-il pas alors cri6 : << Que sari sang retombe sur nous et b r i r nos ttnfarits ! » Alors, dc siéclc en siècle, le sang retombe ! Mais il y a du vrai dans ccttc: î ~ c i r l a r econception di: la respoiisahilit6 colIective, C'est certainamcnt en grande partie le meurtre du Christ que t a n t de Juifs aux ghettos ont dU payer de Ieur vie à travers les Agcs. Unc criilse religieuse est d'abord A l'origine des pogroms : il faut donc & toutes 1t:s croyances, tant qu'elles sont jeunes e t fortes, des ir16crCants A persécuter; les religions puis.&Entes, pour prospérer, o n t besoin dc se nourrir de chair et de sang. Et qucIlk proie plus aieGe quc celle constituée par unc minorité rcligieirse faroucliernent orgueilleusi? et conservatrice dc ses pratiques différentes, tranchant sur le milieu, quelle meilleure cible qu'un petit groupe humain tout proclie offert sans défense aux coups ? Pas I~csoin rnerne pour cela de partir en croisade, e t les bons Clirétieris s'en sont dunnd: h cmur joie. Cependant le Juif a dû payer loiirdement, pour d'autres causes encore, sa diaspora. La malédiction d'être un peuple sans sol national s'mt largement vengee : dans les pays ayant consenti bon gré mal gr6 2 i'accueiilir, au Juif fut rcfusce la terre à cultiver. Alors, puisqu'il faut bien manger e t nourrir F e F enfants, le Juif en fut réduit aux


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MYTIIES DE GUERRE

métiers que les nntionarlx meprisaient : il dcvint parfois pctit artisan mais le plus souvent cornmcrçant. Il échangeait les produits dus au labeur des autres et, pour ce service, ~irkl~iivait uri profit, aussi haut évidemment qu'il pouvait. Il en. vint ainsi au cornmercc de la denrGe-~y~re : 2 celui de l'argent preté A intérêt. Et ceinine Ie Juif est intelligent tous ces co~nmcrces Iiii réirssissriicnt. C'cst alors que la malediction de l'or, a p r b ccllt. du sang, rc~ornbasur lui : la paysan, l'artisan appauvris ou dFpouillCs sc retournèrent avec fureur contra celui que Shakcspeari: incarna granciioserucut:

dans Shylock.

Une malhdiction encore pesait siir le peuple épars parmi les nations : grsce à aa foi, ses pratiques persistantes, il ne se fondait pas dans le milieu ambiant malgré le passage des génerations. II faisait par suite partout figure d'étrangçr c t l'on sait que pour le primitif, comme pour l'inconscient o ù Ie primitif survit donc dans chacuu de nous, étranger est synoayme d'ennemi. Alors, dCs qu'un malheur - et la vie en est fertire -frappait une nation, l'étranger inclus en cellc-ci en était aisement rendu respon~ahlaet, devenu bouc &nisaaire, devait payer. Payer de son sang et, quand il. en avait amassé, de Lie8 denicrs. Mais un autre facteur n'est pas ;i négliger : le Juif, l'immémorial talmudiste était forme par sa reIigion, sa inorale subtiIe, aux excrcices intellectuels. De bonne heure, au Moyen Age, il primait dans certaines professions, dont la médecine. Des n~édecinsjuifs eurent même l'honneur de soigner des papes. Alors la haine s6culairc du manuel contre i'intellcctuel devait forcément se dresser contre lui, e t contribuer aux révoItes des chrétiens, paysans, artisans ou chevaliers, contre celui qui ne travailIait pas dc ses mains e t se trorrvait entouré de l'auréole malhfiquement magique du savoir. Je crois ces quatre grandes causes, dea degres divers, encore 1'4euvre de nos jours en plus d'un Lieu, malgré la défaite de Ilitler,

le pape du Racisme. C

Y

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Mais écoutons l'un des plus grands esprits parmi Ics Juifs euxmêmes traiter des causes de I'antisCmitisme : Dans la dernikre œuvre qu'il ait publiée avant sa mort, Moise et le Monothéisme, Freud grnet l'hypothèse (dEjà avancée avant lui par SeLiin et même Goethe), que le fondateur de la religion mosarpue,


lui-mêinc émirlc ggyptien di1 pharaon seformatt-iir Ikhnaton, aurait 6th assassiné par les Juifs avant d'atteindre la Terre Promise. l Ainsi le meurtre originel du pkrc dc In Il'orde prirnitivc2 SC serait trouvé renouvelé siir la personne d'un nouveau cc père ». Mais justrient ii cause d<: cette actualisation historique du crime prfhistorique de l'humanité, Ics II&brcux,en réaction B la culpabilité qu'ils e n auraient dû doublcmcnt ressentir rnais qu'ils ac pouvaient supporter, nièrent avcc hncrgic le parricide accompli par cux e t édifièrent iin cultc jusque-Ii inégalé du Père : leur religion implacablement monothéiste dominée par Ia figurc farouche de

Iahveh. Or voici quclles eussent été les conséquences de cette attitude : « Le pallvre p u p l e juif », écrit Frcud, « qui persistait à nier avec sa coutumiLtre opiniâtreté le ~ncurtrccommis sur le père, a dû au cours des âges lourdement expier cctte non-reconnaissance de Bon crime. On lui a sans cessc à nouveau reproché : Vous avez tué notre dieu. Et cc reproche est justifié, à condition de le traduire comme ii convient. Rapporté l'histoire des religions voici cc qu'il veut dire : Vous ne voulcz pas admettre que vous avez assassiné Dieu (le prototype de Dieu, le Père primitif et scs réincarnations ultérieures). On dcvrait rijoutcr : Nous avous certcs fait la memc chose, mais nous, nous l'avons ctzfoue' et nous sommes depuis Iors absous. Lcs diverses accusations <yuc l'antisémitisme porte contre les descendants d u peuplc hébraique e t qui servent de base à ses persécutions sont Ioin d'être toutes aussi justifiée S. U n phénomène presentant l'intensité et la pérennit6 de la haine que les peuplefi vouent aux Juifs doit natureliement être fondé sur plus d'une cause. O n peut en présenter toute une série, dont bcaucoup dérivent Evidemment dc la réalité e t n'ont pas besoin d'être interprétees ; d'autres émanent de sources secrètes, pIus profondes, e t l'on serait tenté de les reconnaître comme etant les causes spécifiques de I'antisémitisrne. Parmi les prerniGres, I'accusa tion portéc contre le3 Juils qt1'Js sont des etrangers i : s t sans doute la plus fragile, car eri bien des lieux où règne aujourd'hui I'antisémitisme les Juifs appartiennent à la partie la plus ancienne de la population ou bien l Sigrnuiid lJreud, 17.10:~~s ur~ddie .ilfono~heistischeRr!Eigion, A~nstertlam, rlIlert d e Lnnge, 1939. Traduction frariçaisc par Anne Uermun ii paraître ;iParis chez Gallimard. a Voir page 15.


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MYTHES UE GUERRE

avoir élu domicile avant les habitants actuels. Tel est par cxemple le cas de la ville dc Colognc, oii les Juifs arrivèrent avec les Romains avant même qu'clic ne fût occupée par Ics Germains. D'aiitres fondements de la haine contre Ies Juifs sont plus soiides, par exemple cettc circonstnncc qu'ils vivent en géngral parmi d'autres peiiples à l'etat de minorités, car le sentiment dc soIidarit6 reliant entre cux les individus d'unc foule a besoin comme compli5rncnt de I'hostilité A éprouver contrc iinr! minoriti: r:xtriiisèque, et la faiblesse numérique de ces exclus est bien faite pour exciter la fuult: b les opprimer. Mais dcux outres pnrticuIarités des Juifs sont tout ii fait impardonnables. En premier üeu, ils soni à bien des points dc vue différents des peuples rju'ils aparasitent B . Non pas radicalement différents, car ils ne sont pas des Asiatiqires de race étrangère, ainsi que le prétendent leurs cnnemis, mais sont pour la plus grande partie dcs reliquats agglomér0s des peuples méditerrranéens, héritiers de la culture rnkditerranéenne. Mais ils sont cependant autres, hien que souvent de façon indéfinissable, autres surtout que les peuples nordiques, et l'in* tolérance des foules se manifeste, ce qui peut sembler &tonnant, avec plus de forcc contre de petites clivcrgcnces que contrc des différences fondamentales. Le sccrind point agit cncore plus fortement. Les Juifs defient t o u t cc qui tend 5 les écraser, les pershutions, m4me Ics plus cruelles, n'ont pus r6ussi à Jeu exterminer, ils semblent même plutôt possEder la faculté de s'affirmer dans la M c économique et, I;i uù oil lcs admet, dis fournir des contributions de valeur 2 la vie culturelle. « Les racines les plus profondes de la haine çonLre les Juifs se trouvent cependant en des âges depuis longtemps révoIus, ces causes agissent du fond de l'inconscient dcs peuples e t j e suie tout préparé à ce qu'elles semblent de prime abord peu dignes de foi. J'oserai avancer que la jalousie port6e au peuple qui se dit le fils aîné et préfér6 de Dieu le pkre par les autres pcuples n'cst pas encore &teinte aujourd'hui tout comme si ces peuples avaient admis cettc prétention d'Israël, De plus parmi les coutumes qui mettaient les Juifs à part, celle de la circoncision a fait une impression désagréable, étrangement inquiétante, impression qui s'expliqiie par l'allusion b la castratiou redoutée et par là touche une partic volonticrç aiibli6e du passe préhistorique. Enfin ln motivation la plus récerite clc cette série se trouvent


LE M Y T ~ I EDU JUIF-SATAN

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profonde : on ne devrait pas oublier p u a tous les peupIes qui se distinguent aujourd'hui par lcur haine contre les Juifs n'ont Eté christianisés qu'A des époques historiques tardives et souvent forcés d'accepter le christianisme sous une contrainte sanglante. On pourrait l'avancer: ils sont tous des u mal baptises 1) (,,schlecht getauft"), sous un mince vernis dc christianisme ils sont demeurés cc qu'étaient leurs ancêtres, fervents d'un barbare polythéisme. Ils n'ont pas surmonté lcur rancœur contrc la religion nouvelle qui leur a &téimposée, mais ils l'ont déplacée sur Ia source d'où le christianisme leur est venu. Le fait que les kvangElistee racontent une histoire se passant entre Juifs et qui en réaIitb ne parle que de Juifs leur a facilité un tel déplacement. Leur haine des Juifs est au fond de la haine du Chrétien, e t il n'y a pas à s'étonner de ce que, dans Ia révolution nationaIesociaIiste allemande, ce rapport intime des deux grandes religions monothéistes trouve une expression si patente en le traitement hostile de I'une comme de l'autre.» l

On saisit sur le vif ccttc dernière motivation de I'antisémitisme germanique si l'on prend Ia peinc de lire l'ouvrage capital d'Alfred Rosenberg, Le M y t h e du X P Siècle, sorte de Bible de la jeune religion nationale-socialiste. Le diabaligue esprit « syriem, esprit du fihl incarn6 e t dans le peuple juif c t dans 1'Eglise Romaine, y apparaît stigmatisé ; le Suif et le Jésuite s'y opposent en bloc à la vertu radieuse de l'Aryen, du Nordique, auquel tout ce qui est de bicn sur terre se trouve attribu6.

3.

Points de vue fonctionnels

Un phénomène aussi persistant, toujours renaissant, au cours des siècles, sous &vers avatars, doit avoir pourtant quelque justification pragmatique, Tout ce qui est est naturel, e t c e t adage engIabe jusqu'aux pires injustices ayant souiilé, aux yeux des moralistes, le cours de l'histoire. Aussi convient-ii à présent de rechercher froidement queue fonction l'antisémitisme peut bien remplir chez les nations. L. c., III, pp. 162-lh5.


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MYTHES DE GUERRE

a . Fonciion magique. Frazer'l dans Ie Cycle du Rarnear~d'Or, nous rapporte pIus d'lin fait intéressant e t instructif du point de vue qui nous occupe : a Cette idée que nous pouvons transmettre cuIpabiIité e t souffrance A quelve autre créature qui s'en chargera à notre place est familiiore à l'esprit du sauvage. Elle provient d'une confusion manifeste entre ce qui est spirituel et ce qui est physique, entre le materiel e t l'immateriel. Parce qu'il cst possihk de: fairc! passer une charge de bois, de pierres, ou de quoi que ce soit de notre propre dos siir celui d'autiui, le aauvngc s'imagine qu'il lui est kgalement possible de colIoquer le fardeau de ses peincs e t de ses dnuleurs à quelquhn d'autre, qui le portera pour lui. II agit e i i conséquence ; Ic résultat en est l'emploi d'un nombre incalcuIable d'expédients peu genéreux pour se debarrasser, sur un autre, des maux qu'on ne tient paf; A supporter Le -1, expose ensuite Frazer, peut étrc transféré ainsi à des objets inanimks, h dcs pierres, B dcs bâtons, i des plantes, 5 des animaux, A des hommes. « Dans la partie occidentale de l'de de Timor, lorsque des hommes ou des femmes accomplissent de longs et fatigants voyages, ils s'éventent avec dcs branches couvertes de fcudlages, qu'ils jettent ensuite sur des emplacements particuliers, comrnc l'ont fait avant eux leurs ancêtres. La fatiguc qu'ils ressentaient. est ainsi pasfiée, croient-ils, dans les feiiiües, et iis I'ont abaridonnée derriere eux. D'autres emploient des picrrcs au licu de feuilles. De même, dans l'archipel Babar, les gens fatigués se frappent avec des pierres ; ils s'imaginent qu'en agissaur: aix~si;la trailhférent dans Ies picrres la fatigue qu'ils Eprouvaient e s eux-mêmes. Puis ils jettent les pierres dans dea endroits spocialement reservés ii cet usage. Ce aont une croyance et une pratique analogues qui, dans maintes parties éloignées du globe, ont donné naissance à ccs <c cairila >> ou amas de bâtons et de feuilles que les voyageurs remarquent souvent sur le bord du sentier, e t auxquels chaque indighnc p i passe ajoute son tribut, sous formc d'une pierre, d'un Bâton- ou d'une feuiüe. Ainsi, dans les fies Salomon e t les îles Banks, les indigènes ont

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James Gcurgc Frazer : LR bouc Grnissaire, &tudecnruliüréc d'liistoire Traduction française par Pirrre Sayn, Paris, Piiul Gcuilincr, 1925. Chap. 1. Trünsfcrt (lu mal, p. 1.

d e s ret'gious


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LE MYTHE DU JUIF-SATAN

coutume de jeter des bâtons, des pierres oix des feuilles sur d e tels tcrtrcs avant d'aborder une pente raide ou un' sentier difficile, en s'&criant : c< Voilà ma fatigue partie ! » Cet: acte . . . n'est pas autre chose qu'une cérhmonie magique pour se débarrasser de la fatigue que lc sauvage, dans ça simplicité, s'imagine poiivoir incorporer à un morceau de bois, unc fcuille, une pierre, e t pouvoir rejeter ainsi trGs 1oin.n1 c< Chcz les Siliakanas dc Madagascar, quand un liomme e s t très malade, il arrive parfois que le devin ordonne aux parents d'expulser le mal au moyen de choses variees : lin bâton par exemple, provenant d'un arbre d'cspècc: particulière ; un chiffon ; une pincée de tcrre prise dans une fonrrniiière ; un peu d'argent; que sais-je encore ? Quels que soient Ics ohjets choisis, on les porte chez le malade ; quelqu'un les tient prés du seuil, pendant qu'un exorciste, A I'intérieur de la demeure, prononci: la formule requise pour expulser la maladie. Ceci fait, on jette les objets dans la direction du sud, e t tous ceux qui se trouvent dans la maison, y compris le malade, s'il en a la force, secouent leurs robes flottantes e t crachent vers le seuil pour accéErer le dépaxt de la maIadie.n2 Citons 21 présent quelques cas de transfert du mal à des animaux : « Un négre de Guinée qui ne se sent pas hicn attache autour de son COU un pouIet vivant, de façon A ce qu'il lui repose sur !a poitrine, Lorsque le volatiIe hat des ailes au piaille, l'homme s'imagine que c'est bon signe, car i1 suppose que le poulet est atteint du mal, dont il csperc êtrc lui-même licntat soulagé et que, sans cela, il aurait dii cndurcr. Quand un Maure a la migraine, i1 saisit parfois un agneau ou une chèvre, et se met A taper dessus jusqu'à ce que la bête tombe à terre ; il s'imagine alors que son mal de t ê t e est passé dans l'anirnal.~~ Ou bien encore : « Certains Todas des montagnes dri NiIghcrri Iichent un veau . . cn guisc dc cérémonie: funèbre ; il est possibIe que ce soit dans l'intention de transférer Ies péchés du défunt à l'animal, Dans le Kurnaon, canton du nord-ouest de 1'1nde, on pratique quelquefois cette coutume de lacher un jeune taureau comme bouc émissaire

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L. c., p. 8. L. E . , pp. 2-3. 3 L, c., 1'. 27. l


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M Y T E ~ E SDE GUERRE

au cours des funeraillcs. On suspend une cloche au cou de l'animal, on lui en met d'autres aux pieds, e t on lui annonce qu'on va le chasser afin de sauver des tourments de l'cnfer l'esprit du mort. Parfois ori imprime au fer rouge url trident sur la c u i s ~ edroite du taureau, e t iin disque sur Ia ga~~clie. Il peut se faire que Ie Lut initial de ces coutumes ait 6té de hanriir la contagion de la mort par l'intermédiaire de la hête, qui l'emportait et assilrait ainsi I'e,uistence des survivants. L'idéc de péche n'est pas p~imitive.nl Cependant l'idée de péché à expulser en peut venir à emplir presque t o u t le contenu du K ma1 fi A chasser, comme aiitrcfois chez les Hébreux aux étroites prescriptions rnoraZes. On connaît donc la célèbre c6rémonie h6lraïiIue que rapporte la Dible : a Le jour de l'Expiation, le dixième du septikme mois, le Grandprêtre juif plaçait ses dcux mains sur la t ê t e d'un bouc vivarr~, confcsriait sur Iui toutes 1cs iniquités des enfants d'Israël, e t , ayant ainsi fait passer dans la bete tous Ies péchés du peuple, il le chassait dans le d é s c r r . ~En ~ perdant ses péchés, le peuple d'ailleurs se trouvait du même coup défiarrass6 dcs maux qui les eussent dû chdtier et, par ce détour, soi-disant dElivri: de toute souffrance. Passons enfin au transfert du mal à des hommes ; « Le Roiic émissaire que l'ou charge périodiquement des péchés du pcuplc peut aussi etrc une créature humaine. A Onitsha, sur le Niger, on sacrifiait chaque année dcux êtres hi~rnainspour qu'ils emportent les pécb6s e t en débarrassent Ie pays. On achetait les victimes par souscription publique. Ccux qui, dans 19ann6e, avaient commis de gros p&ches,tels que le8 incendiaires, volcurs, adultéres, sorciers, e t c . , devaient fournir iiuc çou~riLu ticiu de 213 ngugas, c'est à dire un peu plus de 50 francs. On emportait l'argent ainsi recueilli dans l'intérieur du pays, et on l'employait A acheter deux personnes malades dcstinécs ii être offertes e n sacrifice pour tous ces crimcs abominables, une pour le pays, e t l'autre pour lc fleuve. On louait un homme dans queIque ville voisine, pour leur donner la mort. Le 27 Février 1858, J. C. Taylor assista au sacrifice de I'une des victimes. Il s'agissait d'une femme de dix-neuf vingt ans. On la traina toute vive sur le sol, le visage contre terre, depuis Ia maison du roi jusqrr'au fleuve, sur une distance de trois kiIométres ; la

' L. c., pp. 32-32. ' L. c., Cbup. IV, Uuucs eniisenires publics, p. 189.

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foule qui suivait criait : Perversité ! Perversité ! Le but poursuivi $tait do débarrasser le pays dc son iniquité. Le corps fut traîne sans merci, coinme si le fardeau dc leurs péchés Ieur fût entevk à toui: ainsi. De telles coutumes, dit-on, sont cncorc observées chaque annEe, c n secret, malgré la vigilance du g;ouverncment britannique, par dc nolnbreuses tribus du dclta du Niger.»l il arrivait que les << 4près une guerre >> (cIicz l e s Banyoros) dieux conseillassent au roi de renvoyer uri bouc émissaire afin dc libérer les guerriers de yuclque nia1 qui s'était attaché à I'arm4e. On choisissait ririe csclavc d'eenerc les prisonniers, ainsi qu'une vache, un bouc, un volatile e t un chien, et on Ies renvoyait aux frontiéres du pays d'où ils étaient venus ; là on les mutilait c t on les laissait mourir. L2-dessus, on dechrait l'armée purifiee, e t on lui donnait lc droit de pénétrer dans la capitale.na Mais cc n'est pas chez Iea cc sauvagcs s seuls quc de telles pratiques sc rencorrtraient. Quclle plus haute civilisation que l a culturc hellénique ? Cependant, cc dans la Grèce civilisée . . toutes les fois que hIarseiile, I'une des plus actives e t des plus brillantes colrinias grecques, était ravagée par la peste, un homme des classes pauvres venait s'offrir comme houc émissaire. Pendant toute une année, on l'entretenait aux frais dc l'état, e t on lui servait des rncts délicats e t choisis. L'annee terminée, on l'habillait do vêtements ~ a c r é on ~ , le parait de branches Lénies, et on le conduisait par toute !a ville ; on faisait, en même temps, dcs prières pour que tous les malheurs du peuple tombent sur sa tête. On le chassait alors de la citf: ou bieri le peuple le lapidait hors des murs. Les Athénien8 entretenaient: rtgulièrement, aux frais de l'état, un certain nombre d'individus dégrades et inutiles ; c t quand une calamité, telie que Ea peste, la sécheresse, la famine s'abattait sur la vilic, ils sacrifiaient deux de ces r6prouvéç, comme boucs émissaires. On sacrifiait l'une des victimes pour les hommes, et I'autrc pour les femmes, La première partait autour du cou un collier dc figues noires, la seconde un collier de figues blanches. Quelqiiefois, semble-t-il, la victime mise à mort pour les femmes &tait une femme. On les menait d'abord par toute la ville, puis on Ics sacrifiait, seIon toute apparence coups de pierres, hors des mirrs de la ville. Mais de teIs sacrifices n'étaient

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' L.c., 1). 189.

L. c., 1). 174.


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MYTHES DE GLERRE

pas réservés aux occasions extraordinaires de calamites plibliql~es; il semble que chaquc annee, h l n fctc des Thargélies, en Mai, on emmenait hors d9Ath2iicse t on tuait à coups de picrrcs deux victimes, I'une pour les Iiomrnes, l'autre poiir lcs femmes. On purifiait pi~liliquement, une fois par an, la cité d'Abdère en Tlrracc ; iiu citoyen, ~ipécialcmentdEsign6, était assomrn6 5 coups de picrrcs comme l o u c &missaire, ou en qualit6 de victime cnpiatoire, p u r que la vie de totzs les autres habitants fiît 6pa,rgn&c? ; six jrii~rsavant h o r i csecution, on I'excommuniait afin <lue lui seul fût char$ de ttoiii les péch6s du pcuple. u Du Saut de l'Amant, colline escarpée,

a la

pointe inéridionalc de l'île, Ies habitants de Lcucadc précipitaient chaquc année dans la mer un criminel, comme bouc émissaire. Alais, pour amortir sa chute, ils lui attachaient au corps dea oiseaux vivants e t des plumes, et une flottiile de petites embarcations attendait pour le recueillir e t le transporter au-delà des frontikres. Ces prEcautions compatissantes représentaient sans doute l'adoucissemeut d'une coutume plus ancienne dans laquelle on lançait le bouc Emissaire 2 Ia mer pour l'y noyer. . . Lü cérémonie de Leucade avait lieu 1 l'epoque d'un sacrifice à Apollon, qui avait en cet endroit un temple ou un sanctuaire. Ailleurs, il &tait d'usage dc lancer, chaque annce, un jeune homme 2 la mer, avec la prikr~;: Sois notrc rebut, Cette cérémonie passait polir débarrasser lo peuple des iriiius qui le gucttaicnt, ou, selon une interprktation quelque peu diaCrente, elle le rachetait, grâce au paiement de la dcttc qu'ii devait au dieu de lu nier. La coutmiic du bouc éiiiissairc, telle quc la pratiquaicut les Grecs d'Asie hIincurc au VI"" siècle avant notre ère, était la suivante : quand une cite souffrait de Ia peste, de la famine, ou de quelque autre calamit6 pulilique, on choisissait une personne laide ou difforme pour la charger de tous les maux c r i accablaient la communauté. On la menait cn un endroit convenable, oh on lui mettait dam la main des figues &ches, uu pain d'orge, ct du fromage, qu'eelle mangeait. Puis, on la frappait sept fois sur Ics orgüucsgénitaux avec des sciUes, des branches de figuier sauvage e t d'autres arbres sauvages, tandis que les flûtes jouaient un air particulier. On la brûlait ensuite sur un bûcher fait de trois d'arbres foresticrs ; on lançait ses cendres à la mer. 11 semble: r p e les Grcc8 d'Asie: c~hsr:rvaient

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chaque iinnFe i l u c coutume analogue à la f6te de la moisson des

Mais nulle part peut-être Ie transfert du mal affectant: tout uri peuple A un bouc émissaire h~irnainnt: rcvêt forme plus pittoresque que dans le récit qui suit : « Dans le JutaLu, cette c~llectiond'histoires indoues qui narrent les nombreuses transmigrations du Bouddha, se rencontre un rkcit. instructif, qui nous montre comment Ics péchés e t les malheurs peut-ent être trausfEr6s à un saint ascète par l'intermédiaire de la salive. Une damc de mœurs faciles, nous dit-on, avait perdu la faveur d u roi Dandaki, e t se demandait comment elle pourrait bien la reconqu6rir. EIle se prorncnait dans Ie parc c t se livrait à ses méditations, quand elle aperçut: un dévot ascète nommé Kisavaccha, Une id& lui vint : Sûrement, se dit-eIle, ce doit être Pas-de-Chance. Je vais rue débarrasser de mon péché sur sa personne, e t puis j'irai me baigner. - AussitGt dit que fait. Elle mâcha son cure-dent de manière à amasser dans sa bouche une grosse boule de salive, puis envoya son crachat sur la tignasse de l'homme véneralilo ; en même temps, e t par-dessus le marché, elie lui lança à la t e t e son cure-dent, e t s'eu aUa, l'âme en paix, prendre un bain. Le stratageme réussit parfaitement, car elie rentra dans Ica bonnes grâces du roi, Peu de temps après, il arriva que le roi destitua de sa charge son chapelain particulier. Chagriné, comme de juste, d'avoir perdu la faveur royalc, le prêtre alla trouver la Lumière d'Amour du roi, e t lui demanda comment elle s'y était prise pour regagner l'affection du monarque. CeLIe-ci lui raconta franchement comment elle s'était debarrassec de son péché e t avait retrouvé aa pureté sans tachc en crachant s u la tête de Pas-de-Chance dans le parc royal. Le chapelain entendit Ic conseil, e t se rendit tout droit dans Ies jardins, et, de la même façon, ~ o u U adè son crachat 1a.cheveIure sacrse du saint homme. En cons6quence, peu aprés, il fut réintégré dans ses fonctions, Tout: cela aurai^ été très bien si Ies choses s'en étaient tenues IA ; malheureusement il n'en fut pas ainsi. A quelque temps dc là, des troubles Matèrent à la frontiere du royaume ; le roi en personne prit la t 8 t e de l'armée pour se mettre en campagne e t Be battre. Le chapelain particulier eut alors une malheureuse idée. Enthousiasmé par le succks de l'expédient qui lui avait rendu -. . .. .... . L. c., VI, Boucs émisaaires humains dans l'antiquit6 classique, pp. 228-229. .

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la faveur de son Prince, il demanda au roi : Sire, voulez-vous la victoire ou la défaitc ? La victoire, Lien sûr, r6pondit 'le roi.Alors, ecoiitez mon conseil, reprit lc chapelain, allez donc craclier stir la tête de Pas-de-Chance, qui habite dans votre parc royal ; vous lui transmettrez ainsi votre p6ché tout entier. -Cette idCe parut géniale au roi ; il y ajouta encore, eri proposant que toute l'armée 19accompagn5t c t se debarrassât de ses p6çhi:s dc seniblabla manigre. Tous les soldats firent donc cornrne i1 leur était ordonné, en commençazir; par le roi; après quoi la tete du saint honide se trouva dans un joli é t a t ! Mais ce ne fut pas la la pis. Après le départ du roi, survint le général en chef, qui, vuyalit la pitoyable condition du pieux ascète, prit pitié de lui, -t fit complèternent iiettoyer sa pauvre tignasse souillée. Il e s t facile de deviner qucllcs furent les conséquences de ce 6harnpoin.g bien intentionné niais si peu judicieux. Les p&chésqui avaient été transmis 2 la Iicrsouue du saint, par l'interrn6diairc de la salive, furent alors rendus à leurs propriétaires respectifs ; et, pour châtier ceux-ci de lcurs cririies, le fcii di1 cicl s'abattit sur eux, e t an6antit t o u t le royaume çoiuaute lieues h la Ainsi s'avère le danger qii9iI y a A vouloir sauvcr de leur sort les boucs &missaires! Que fût-il par exemple advenu des pauvres fiIs d'Adam si qirelquc philanthropc! ma1 avis4 eût sauvh de In Croix Jfsus de Nazareth ? Or le peuple d'Israël, depuis des siècles, jouc pour les nations parini lesquelles il se trouve épars le rôle de Pas-de-Cliancen. Le rble qu'il jouait en 1940 en France vaincue, rrprGs l'avoir JZjA joué depuis l'avénement de Hitler cri Alleiiiügne humiliee, ne saurait m i e u x se marquer que dans le propus de l'u~ides journalistes amisémites tes plus notoires de France, coinme je lui reprochais cet &té-là ses excitations à la haine. Aprés avoir rappelé le iiial Sait à la France par les grèves sous le iniiiistère dc Leon Bluni, il ajoutait : i< Et puis il faut bien l'avouer, 11ous sommes e n pkiodc sélvnlritinnnaire, Le sang n'a pas encore coulé. . . . Mais Ie peuple a besoin de s'en prendre à quelqu'uri, il lui faut des victiliies. Alors les Juifs. . .» Cert,es d'autres groupes humains ont aussi assum6, A diverses époques, role sernblalile : il suff~rra de citer les sorcièrte au RIoycn-Agc ; tous les rnhréants sous l'Inquisition ;

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c.,

Chiil). I , Trarisfcrt d u mal, pp. 36-37.

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LE MYTJIE DU JUIF-SATAN

Jésuites, curés e t moines aux époques anticlérieeles; « suspects » sous la Révolution; K bourgeois » au pays de Soviets; chacun a leur tour incarnation du Mal, maudits dont la pers6cution, l'expulsion ou l'extermination devait assurer aux peuples le bonheur. Mais les Juifs, par les raisons diverses que nous avons étudiées e t d'autres que nous allons voir, semblent voubs à un rôle électif de persécutés, rôle qui jusqu'ii cc jour leur est resté. Aussi avons-nous assisté, au XX"" siècle, au plus vio1cnt e t vaste déchaînement antisémite de tous les tcmps sous I7irnpu1sionde Hitler.

L'accusation la plus frequente, ia plus rkpanduc cie nos jours contre les Juifs, même de la part dc ceux qui ne confessent pas le credo national-socialiste, est que les Juifs sont un i c ferment de dissolution>^ Je l'ai entendu dire e t répéter par des gens posés, des professeurs, dcs universitaires, fort &des par ailleiirs en inatiérr: dc foi politique, uniquement préoccupés de leurs travaux. Jc n e ferai pas l'injure A ces intellcctiiels desin~6ress6sde suppaser, à leur toltrancc tacite des lois rncia1::s &dictees en France, ct qiii évinçaient de 19Universiti: professeurs donc concurrents juifs, une « infrastriic,ture économique n plus ou moins inconsciente. Ils Ctaient donc arrivés et patriotes. Le spectre de Blum les hantait, avec son humanitarisme sincère mais désorganisateur en fait, de par les grèves qui e n abusérent, et ceci juste avant le combat, des industries de guerre françaises. Le Juif serait donc un «ferment de dissolution ». Quel Juif ? faut-il alors demander. Evidemment, c'est au Juif boIch6vjsant que pensant d'abord ceux qui accusent I s r a ~ ld'être un <c ferment de dissolution». Ou connait la façon dont HitIer, dans M e i n Karnpf; a stigmatisé Ia conquête progressive par le Juif des peuplea qu'il parasite)). Après nous avoir décrit les phases préliminaires de l'infiltration du Juif chcz les divers peuples, Hitler conclut : a L'knormc 6volution économique amkne une modification des couches sociales constituant Ie peuple. L a separatifin entre l'employeur e t l'employé paraît accomplie aujourd'hui dans tous les domaines. Combien, à ce point de vue, l'enjuivement de notre

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MYTHES DE GUERRE

peuple a fait de progrès, on s'en aperçoit au peu d'estime, sinon au mépris que l'on a pour le travail manuel. Cela n'est pas allemand. . (Le Juif) se rapproche de l'ouvrier, feint hypocritement d'avoir de la compassion pour son s o r t ou même d'être indigné de la misère et dc la pauvret&qui sont son lot ; le Juif gagne ainsi la cnnfiance de l'ouvrier. 11 s'efforce d'étudier toutes les 6preuves, réelles ou imaginaires, que comportc la vie de I'ouvrier et d'éveiller chez celui-ci le d h i r vident dc modifier ses cunditions d'existence. Le besoin dc justice sociale qui sorrirrleille to,ujours dans le cmnr d'un Aryen, le Juif l'excite habilement jusqu'à ce qu'il se change cn haine contre ceux qui jouissent d'un sort plus heureux et il donne un aspect philosophique prhcis (Veltunschauung} au combat livré contra Ies maux sociaux. Il jette les bases de la doctrine marxiste, . . . En refusant b Ia personnalité et, par suite, 5 la nation et ii. la race qu'elle représente, tout droit B l'existence, elle détruit la base &Idmentaireda ce qui constitue l'ensemble de la civilisation humaine, laquelle dépend prdcisément de ces facteurs.» Et Hitler ddecrit comment les ,Tuifs empoisonneraient par la francmaçonnerie les ~oi-disantintelIectueIs, par Ia presse les masaes bourgeoises et prolétariennes, par l'organisation marxiste terrori~tc les milieux ouvriers. L e Juif tenterait en meme temps de m6tisser les Aryens en skduisant leure filles, parcc pu' a un peupIe de race pure et: qui a conscience de ce que vaut son sang ne pourra jamais etre subjuguk par le Juif. . Mais, au yuirit de vire politique, il commence à remplacer I'idCe de la démocratie par celle de la dictature du prolétariat .>> sur Iequel il compte bien rdgner, e t réalise par la son rêve de domination mondiale! Car dans la masse organiçke des marxistes il a trouvé I'arme qui lui permet de se passer d e la démocratie e t qui le met également à même de subjuguer et de gouverner les peuples dictatorialement d'un poing brutal.- Il .travaille syst6matiquement A amener une double r6voIution: Bconorniquement e t politiquement.- Il entoure, grâce aux influences internationale8 qu'il met en jeu, d'un réseau d'ennemis les peuplee qui opposent une énergique résistance A cette attaque venue du dedans ; il les pousse à la guerre et finit, quand il le juge nbcessaire, par planter le drapeau de la rkvolution sur le champ de bataille.Il ébranle kconumiquement les Etats jusqu'g ce que Ics entreprises sociales, devenues improductives, soient enlev6es à I'Etat e t sou-

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LE MYTHE DU JUIFaS.4TAN

mises à Bon contrôle financier.-Au point de vue politique, il refuse à 1'Etat les moyens de subsister, mine les bases de toute résistance e t dhfense nationale, ruine la confiance que le peuple avait dans l e gouvernement, rbpand l'opprobre sur l'histoire et sur le passé e t j e t t e au ruisseau tout ce qui est grand.-En ce qui concerne la civilisation, il contamine l'art, la littérature, dupe les sentiments natureIs, renverse tous les concepts de beauté et da noblesse, de dignité et de bien et entraîne en échange les hommes dans Ie'domaine de la vile nature qui est la sienne,-La religion est ridiculiske ; la morale et l e s rntleurs sont donnees pour des choses mortes et désuètes jusqu'A cc qiie,les derniers appuis qui permettent à un peuple de lutter pour son existence en cc monde, soient tornbks. (Ainsi )le Juif dcmocrate e t ami du peuple donne naissance au Juif sanguinaire e t tyran des peuples. Un effroyable exemple de cet esclavage cet fourni par la Russie où Ie Juif a, avec un fanatisme vraiment sauvage, fait périr au milieu de tortures féroces ou condamné 2 mourir de faim près de trcnte millions d'hommes, pour assurer à une banda d'dcrivains juifs et de bandits de la Bourse Ia domination sur un grand peuple.nl Ainsi Hitler, dans son style enflammé, nous montre, au cours de ces pages consacrGes ii «l'évolution du JudaTsme», comment Ic Juif, ce diable incarné, devient un ferment n, toujours plus viruient, de s dissolution» !

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Une tclle simplification polcnliquc du probIème juif ne saurait donc être agr6éc par un pcnseur. Lcs points faibles, et ils sont nombreux, en seraient aisement tous refutés. Qu'il nous suffise de rappeler que le marxisme, s'il porte le nom d'un auteur juif, est pourtant fils, non pas dt: la religion mosaïque aristocratique, mals bien plutôt de la religion chrétienne égalitaire, ainsi que de Ia Philosophie allernandc et de son grand prêtre Hegel. Quant à l'extinction progressive du christianisme, qui a permis l'éveil des credos ~ o c i a u x nouveaux, elle s'est accomplie surtout au cours des deux derniers &eles : au XVIII1""en France sous le marteau des encyclopédistes, lequels n'étaient pas eu général des Juifs, ni un VoItairc, ni un Diderot, ni un Rousseau, puis au cours du XIXme siècle, sous la massue autrement lourde des philosophes allemands de IIegel à

' L. c., Vol. 1, Çhap. XI.


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MYTHES DE

GUERRE

Nietzsche e t avec la critiquc syst8rnatipue des textes e t des dogm~s sacrirs. En Russie, dans les massacres qui ont ensanglanté l'aurore du Bolch6visme, il faudrait raire la part à la barbarie asiatique des peuples bigarrés de l'Empire des Tsars ! Et gi un Léon Trotzki e t d'autres com~nissairesdu peiiyle 6taiént des Juifs russes, on oublie que Ic grand artisan du jeune état sovibtique frit un Lenine, n6 Oulianof, un Slave sans doute plus ou moins rn6tiss6 de Mongol ainsi que son facies en tdmoigne. Quant au continuateur de 0on œuvre, à Staline, c'est uii Caucasien. Mais quittant la Russie e t ses steppes et même 1'Allernagne e t ses forets, comme: la réfutation des excks polémiques d'un Hitler, recherchons à pr&wnt jusqu50ù l'accusation portée contre fe Juif d'être, parmi les peuples qu'il « parasite» , un i c ferment de dissolntion » peut se justifier. nt

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Par exeniple, en France, où il est diverses sortes vraiment de Juifs. Envisageons les chacune parx, Il y avait en France dcs Juifs siicialisants e t des Juifs cnui~iiuaisants. L'intellectuel qui n'a pas dans la sociétC la plncc à layuelle il se croit avoir droit passe volontiers à gauche, et c'est s u i ~ v e r i tJe cas des trés nombreux intellectuels juifs, quand ils n'ont pas réussi par ailleurs, ce qui n'est de fait pas la règle génhrale. Mais c e t t e attitude revendicante n'est pas spkciale au R peuple d u ressentiment», comme eut dit Nietzsche : tous les intellectuels aigris en sont si~sceptibles, espérant que quelque bouleversement social leur accordera enfia une place digne du mérite qu'ils s'attribuent. Les Juifs ne sont donc, dans les mouvements socialo-commuuistcs, des ferments de dissolution que dans la mesure oh, socialeinent, ils sont des m6contcnts. 11 y a d'ailleurs souvent lie11 d'en t-oulnir à la sociétc, quand on est juif! Il y avait aussi en France Je Juif commerçant, Celui-la, quand il rbussit, n'a pas intérêt Zi ï<dissoudre n cxpres la société dont il vit ; s'il la dissout c'est malgré lui. Un usurier évidemment épuise & la longue son propre sol nourricier, mais ShyIock n'habite plus à Paris la rue des Francs Buurgeois I Et Seligmann l'antiquaire dc la rize de la Paix n'avait certes pas intéret à la ruine d'une France riche, accueillante aux étrangers, auxqiiels il vendait ses précicixx objets

d'art.

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1.E MYTHE DU JUIF-SATAN

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Il y avait encore en France les RothscliiId, aux nombreux cousinages internationaux. La Ilaute Banque internationaIe, eue, est donc l'objet des attaques d'un Hitler à l'égal du non moins international marxisme. Tout ce qui est international est haïssable, par definition, par essence, au nationalisme, par l'ingérence extrinsèque dont il menace le corps national. La Haute Banque e s t forcément antichauvine ou plut& « achauvine », si l'on peut créer ce mot, e t par 13 sEcrEtc un certain cc ferment de dissolution >i des farouches nationalismes. Alais cc cyui est dificile à imaginer et accepter, c'est la collusion, cent fois dénoncee par IIitler e t d'autres, avec le marxisme ! La Haute Banque e t l'lntcrniitionalc prolétarienne sont forcément aritagonistcs. «Prol&tairesde tous les pays, unissez-vous !» Contre qui ? Contres lits nationalismes belliqueux, qui font se massacrer cntre eux les ouvriers. Mais, << unissez-vous » aussi, est-il irripliquE., contre Ieu banquiers.' Reste une autre classe de Juifs : le Juif intellectuel. 11 y a eu en France Marcel Proust, Andrd Maurois, et d'autres hcrivains. II y avait en France encore Widal et Debré enrichissant la science et l'art de prolonger la vie, e t IIcnri Bergson le philosophe de l'intuition et de la vie & Irt personnelle existence ascétique mourant à Paria, sous l'occupation allerniinde, faute d'avoir, pour chauffer ses frêles membres, assez de charbon. L e s intellectuels juifs sont-ils en @ndraI des « fermente de clissolution n ? Widal ? Debr6 ? Bergson ? Faut-il avouer que oui ! Pour la simple raison que tour iriteUeclue1 e s t un u ferment de dissolution >> au sein de groupements religieux mystiques, ainsi que tendent 2 en constituer les peuples européens, de nos jours, sous l'empire des jeunes credos niitionaIistes. Aiais ceci n'est pas spécial aux Juifs. En &crivant cette rnodcste &tude,j e suis moi-même un u ferment de dissolution». Pour d'autres credos, d'autres religions, les intelIectuels l'ont été de toirt temps ; tel, pour en citer un trés grand, GaliI6e comparaissant devant le tribunal de l'Inquisition pour avoir soutenu que tournait la terre. Aucune foi, tant qu'elle conserve la vigueur de la jeunesse, ne tolère le libre examen ; une intolérance dogmatique est son atmosphÈre. Or tout intellectuel tend ii examiner librement les faits de l*univers et la matière humaine, dont les credos et les dogmes humains font donc partie. C'est aussi pourquoi, fort cuns&quemment, Hider, dans eon


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MYTHES DE GUERRE

Iivrc, comprend dans ses réprobations r.t les ,Juifs e t les ci-devant «professeurs » allemands. Si la guerre, en 1918, a é t é parduc, c'est,

dit-il, parce que les écolcs allemandes, au lieu d'enseigner la boxe e t par 1à l'agression aux jeunes gens, formaient trop d'intelIectuels. Tout cela fut possible eedement parce que nos dcolcs supérieures avaient pour principe de former non pas des hommes, mais des fonctionnaires, des ingénieurs, des techniciens, de8 chimistes, des juristes, des Littérateurs et, pour que c c t t e intel1ectuaIité ne mourût pas, des professeurs.»l Aussi les intelIectuels allemands ont-ils &té,prcsque à 1'Fgnl des Juifs, pourchassés par la révolution nationale-socialistc coirime le sont d'abord lcs iritcllectuels dans presque t o i ~ t crévolutior,. Les gloires de la pcnsde ou de la science allemandes, juives ou non, sont pour la plupart 4migrFcs ; une foi jeune c t forte ne saurait donc tolérer que celui qui se courbe sa discipline. Certains d'ailleurs, en Allemagne, l'ont fait, et ceiix-la sont demeurés, au prix de l'indépendance de leur pensee. Ainsi, uolis: rcsumant, nous pouvons rcpondre A notre premikre question : le Juif intellectuel est-il un ferment de dissolution ? qu'a l'cst, dans ta mesrire où, au regard des jcuncs fois nationalistes, il adopte des professions de ciiract2re libéral. Cornme, vu son intelligence e t son activité, il Ic fait souvent, les nationalismes in~olérants redoutent e t pourchassent: le Juif intellectuel. Mais c'est aIors au fond moins parce qu'il est juif p u c parce qii'il est intellectuel.

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Le Juif, cepcndan t, qu'il soit intcllcctucl ou sim~ilecommerçant, est forcément toujours un liberal a i l sens politique, le 1ibGülismc étant la seule atrnosphcrc où il puissc respirer, vivre, celle qui lui a permis, après 89, dit fiostir des vieux ghettos. Sa cause e s t par suite la même que celle des grandes ddmocraties, Empire liritanniquc, Etats-Unis d'Amtrique. C'est d'ailleurs cette commu~iautéd'idGaIs, cette recherche d'une m&meatuusphére de liberti: où rcspircr, qui permit 2 la propagande allemande de proclarncr, faussant la pcrspcctive des faits, confondant la cause et l'effet, q u c l7Anglçterrr:en giicrre & t a i t l'«agent de la Juiverie internationale». L'Angleterre, qui dbfcndrait donc son Empire avec le même ténacite, qu'il y eut des Juirs ou non, apparaissait

L. c., VUI. I I , Cllull. II.


LE FVIYTIIE

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JJU JUIF-SATAN

aux Juifs persCcut6s comme un asile que le triomphe britannique définitivement leur assurerait. De même de l'Amérique. Mais Ic lih6ralismc: cst un agent de dissolution, dc dissolutiou, s'entend, de tous les credos, puisqu'il en permet l a discussion, la critique. Et Ic Juif libéral, Iorsqu'il est; inteuectuel, avec sa foite tradition taIrnudiste, est un rcdoutalile adversaire, au domaine de l'esprit, pour les nouveaux dogmatismes. Agent de dissolution, le Juif l'est donc en tant pue mécontent des ordrcs qui l'oppressent, en tant qu'intellectuel, en tant que .libéral. Mais tout libErat, tout intellectuel, tout mecontent l'est de même, qu'il soit juif oti n'importe quoi. 9lt

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politique Cependant l'antisémitisme, malgré toutes ses injustices qui heurtent lc c a u r comme la raisou, malgr6 Ia persécution des plus hauts esprits, tels Einstein chassé de Derlin ou Freud de Vienne, remplit peut-être dii point de vue fonctionnel politique une importante mission. Au printemps de 1941, Ics armees motorisées du Reich, précédées de Ieur aviation écrasante, avaient élu une nouvelle proie : Ies Balkans. En vain I'héioïque Grèce, renouvelant les exploits de bfiss olonghi ou de Marathon, avait-elle brisé, cinq mois durant, dans les montagnes et les nciges d'Albanie, les assauts de SItaEe, Eue &tait bienth terrassce avec la Yougoslavie, e t l'Europe, du Cap Nord à la CrEtc, subissait le joug allemand, ce que le nationalsocialisme traduisait par cette formule pue l'Europe entiére rentrait enfin dans le cadre b6ni de l'Ordre nouveaii -sauf la Russie, 2 laquelie on méditait d'ailleurs de bientôt rEgIcr son compte. L'Ordre nouveau est économique : des échanges avantageux doivent être instaurés entre les pays conquis et le conquérant. L'Ordre nouveau comporte aussi de tous Ies payb conquis des envois de travailleurs en Allemagne, libérant alitant d'Allemands qui peuvcnt alors micux se spécialiser dans leur m6ticr de conqukants. L'Ordre nouveau impIique enfin une structurc idéologique siir JaquelIe repose tout l'édihcc national-socialiste. Il faut croire à la race, 2 la supériorité divine du Germain, et, h un degré certes moindre, à celle en général de I'ic Aryen m. Or, pour établir sur terre l'empire c. Fonction


béni de ces &lus,il convient de; pourchanwr sans pitié leur contraire, le Juif, le << Syrien », le maudit, d'en purgcr après l'Allemagne l'Europe entière. En dépit des Spinoza, des Einstein, des Freud, pour nc citer que les plus grands, les Juifs en bIoc sont décrétés non seulement race néfastc, mais race inférieure. Tout véritable «raciste>>,scnsibic à la supériorit,k ni1 infériorité réelle des diverses fi races >> hiimaines, en est révo1ti.l. Mais peu importe à la foule, à la plSLe, pcnsee ou penseurs ! L'antisémitisme fait, en tciiis pays. son entree triomphale, non seulement dans lcs fourgons, mais avec: les avant-gardes de IIitIer. O

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La haine, au cmur des Iiommes, est un capital qui sc doit pIacer quelque part. Un placement semblait, de préférence à tout autre, s'offrir à la rancune des peuples piétinés : l'envahisseur. Et iinv bonne part de la haine ambiante s'attacha de fait aux casques et aux bottes de l'Allemand brutal. On lui en voulait, en France et es tous pays occupés, dcs ratioas ecourtécs, des stocks pillés, des logements occupés, des maisons cc démenagées n, de8 journaux baillonnéa, de 1a li braine censurée, des appels téIéphoniques épiés, dt:la correspondance survciU6e, de toute la broussaUe oii l'on s'cmpêtrait pour la rnoisdre démarche, sans parler des arrestations e t des exécutions de plus en plus fréquentes, e t des déportations. O n lui en vouIait, en somme, d'avoir p r d u sa iîkrté, la liberté, de hnirr: ou manger, liberté de lire, écrire ou parler, liberte de se déplacer, ex la suprèmc de toutes, Ia liber~ede vivre. Cependant un conquérant, meme oppressif, est cn même teinps que ha1 toujours plus ou moins admiré : il est en tout peurle vaincu une fcrrriuio mnniis~: que la force séduit. Alors, vu I'ariibivalcnce des peuples soumis envers leur conquérant, uric part disponible de c< haine flottante D restait libre de se porter ailleurs. Et 1'Allernand habile dans la propagande savait l'exploiter et la diriger, dans chaque pays, vers ces <<fauteursde guerre f i que les peuples à présent acciisaient de leu avoir poussés à resister à un adversaire qii'nn eût dû savoir invincible et d'avoir par 19 causé leur malheur. Les Anglais, Tee alliés impuissants ;i le cnnjures, ltaient aussi accusés. On disait qu'ils encourageaient tous les peuples à verser pour eux leur sang, n'envoyant pour les secourir que quelqiies petits


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LE Myli'HE LIU JUIF-SATAN

paquets de soldats, puis effectuant une de leurs brilIantes << retraites stratkgiques s abandonnant leur dupe et son territoire à l'ennemi : ainsi de la Norvège, de Iü IIoliande, de Ia Belgique, de la France, puis de la YougosIavie, de la Grèce. . Une part de la rancœur, de la haine que les Allemands cherchaient à dCtourner d'eux-mêmes s'oricatait ainsi aiskment, chez les vaincus, vers les Anglais. Mais l'Anglais était parti, on ne la voyait plus aux pays conquis, et il faut A la haine visualiser son objet. Les Francs-Maçons ne se pouvaient toujours exploiter, les loges étant partout dissoutes. Restait Ie Juif, I'archi-ennemi, le maudit, le diable, present, vis&Ic, discernable, au sein de chaque peuple vaincu. En Hongrie, en Roumanie, en Pologne, l'antisémitisme était une maladic chronique d'autres disaient que c'est le Juif qui l'était ! Alors le dogme hitlérien du Juif malheur de l'humanité trouvait en ces pays d'Orient des complices tout prêts. En Grèce, à Salonique, la tolérance s6cuIaire des Grecs pour les persécutks de Ferdinand e t d'Isabelle se voyait remplacée par une nouvelle persécution des Sephardim que certains Hellènes aux-mêmes ne désapprouvaient pas, un antisémite sommeillant au cmur de tout chreticn comme au fond de la I-ioiirsc dc tout négociant auquel on supprimc un concurrent, J'ai étudié plus haut Ic réveil violent de l'antisémitisme en France. En Bclgiqiie e t en Hollande, phénomènes analogueb, sans parlex dc l'Italie fasciste qui, même avant Ia guerre, avait emboîté le pas à Hitler, malgré le faible pourcentage des Juifs italiens. C'est dire que, dans presque t o u t e l'Europe, les AIlemands mobilisaient l'antisémitisme latent dans chaque peuple, par la détournant d'cux-mêmes ilne part de la haiuc demeurée au cœur des opprim6s.l Ainsi l'antishitisme européen d'un Hitler servait un dessein fort vaste, constituant comme un abch de fixation » ii l'agression europ6eane ambiante. Dans Malaise dans la civilisation< Freud écrivait : rc Il est toujours possible d'unir les uns aux autres par les Iiens de l'amour

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Une lEgende qui circuiait A Londres vers la fin de la guerre illustre I'antishitisme ambiant jusque chez les adversaires de IIitlcr : Il y avait à Londres de8 fish-queues, dce queues de menagèree pour acheter le poisson alors rare. Dans l'une de celles-ci, une Juive se pousse en avant et réclame le plus beau poisson. On h i objecte qu'elle devance son tour. Eilc crache alors sur le poisson afin que personne d'autre ne l'achètc. Figuration concrète de la cupidité e t de la malpropret6 physique et morale attribuées par le peuple aux Juifs. Das Unbehagen in der Kultar, 1931. Traduction dc M. et Mme CharIes Odier, Bibliothèque psychanalytique, Paris, Denoël et Steele, 1934. Pages 50-51.


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une plua graride niasse d'hommes, à la seule condition qu'il cn reste d'autres en dehors d'elle pour recevoir les coups. O n y constate une satisfaction commode e t relativement inofferi$ive de l'irl~tiiict agressif, par laquelle la cohésion de la communautk est rendue plus facile à ses membres. Le peuple juif, du fait de sa dissémination en tous lieux, a dignement servi, de ce point de vue, la civilisation des peuples qui I'hebergeaient ; mais hélas, tous les massacres de juifs du moyen âge n'ont suffi à iendre c e t t e yCrioclc plus paisible ni plus sûre aux frères chrétiens. Lorsque I'ap0trc Paul eût fait de 1'Amow universel des hommes le fondcmcnt dc sa cornmuuauté chrétienne, la plus extrcme intolérance de la part du christianisme à l'égard des non-convertis en fut la conséquence iinevitrible. . . Ce ne fut pas non plus l'œuvre d'un hasard ininteKgihIe si les Germains firent. appcl h I'antisémitisme pour réaliser plus complètement Ieur rêve de suprématie mondiale ; et l'on voit comment la tentative d'instaura~ior~en Russie d'une civilisation communiste trouve son point d'appui psychologique dans la persécution des bourgeois. >>

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Certes, les dits chrétiens ou plutolt dits aryens, dc nos jours, maIgré toutes ces soulageantes persécutiaas, ne s'en massacraient entre elix q u ' A qui mieux mieux sur tous Ies champs de bataille des eaux, des terres et des mers. La haine au cœur humain est lin capilal si vaste qu'il en sembIa toujoi~rsrester pour des placemests multiples. Il n'en demeure pas moins que Hitler l'a justement souyçonné : Ia haine contre un cnacmi commun, en ce cas Ic Juif, pourrait rapprocher les uns des autres les divers pciiples européens courbhs sous Bon joug. Rieri ri'uriit en effet les liommes entrc eux comme une haine commune.

Hitler a écrit :

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<< Le mouvement national-socialiste doit ouvrir les yeux de notre peuple sur ce que sont Les nalions etrangères et ne cesser de lui ruppeïler quel est le ve'ritable ennemi du monde actuel. Au Iieu J e prêcher la haine des peupLes aryens, dont presque tout peut noris séparer, mais auxquels nous unissent la communauté du sang el les

grandes lignes d'une civilisation identique, il dénoncera d Eu coEère de tous l'ennemi r n a ~ u i s a n t de t'hurnanit&, dans Ieqr~el il montrera le véritable auteur de tous nos maux.


T,E MYTHE

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JITIF-SATAN

<< Mais il doit veiller ii ce qu'au moins notre pays sache quel est son plus rnorrel ennemi et faire en sorte que 1s combat, mené par nous contre lui, soit comme une étoile annonciatrice des temps nouveaux qui montrera aux autres peuples la voie où ils doiv~nts'engager pnur

salut rE'iiite humanite' aryenne militante, u Poirr le reste, pue la raison soit rrofre p i d e r e t la volontB fiogre force ! Que le devoir sacré qui dicte nos actes nous donne ta persévérance cf que notre foi reste pour nous la proteclrice et la maîiresse suprême !»1 Ta

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Les mythes engendrent les actes. Les résultats de ce mythique credo sauvage ont apparu à la lueur sanglante de cette guerre immense : Hitler a rempli à l'extrême son cc devoir sacré >> en instituant, pour desinfecter l'Europe de la cc vermine >> juive, les abattoirs de Pologne, Par milliers, par millions, hommes, femmes, enfants, déportés d'Allemagne et des pays envahis, y ont ét6 entassés, asphyxiés dans les fourgons e t les chambres gaz létal, Le reste du monde a stigmatise ces massacres, mais n'a rien pu faire pour lee empêcher. Et eussent-iIa pu agir, qu'auraient-ils fait, les autres peuples, qui si longtemps gardèrent plus ou moins barrt5es leurs frontigxes ? Ainsi, g r b e aux progrès de la technique, à l'esprit de mé~hode e t d'organisation germaniques, a pu s'accompIir, au XXmRsiècle, sous l'empire d'un fëroce credo, le plue grand massacre des Innocenta qu'ait connu l'histoire.

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Mais le maasacre par Hitler des Juifs d'Europe a CtP. la mule non illusoire de ses victoires, Car, après la ru6e germanique jusqu'aux portes d'Alexandrie e t l'invasion de la nussie jusqu'h Stalingrad, les armées hitlhriennes commençaient A reculer. Les Angle-Américains, en Novembre 1942, débarquaient en Afrique du Nord, puis en 1943 envahissaient l'Italie, qui capitulait. Enfin,ayant maitris6 le danger sous-marin, conquis la maitrise de l'air e t longuement bornbardd l'Allemagne comme les pays occupée, ila dkbarquaient, en l'étE de 1944,au Nord et au Sud de la France, 11;. c.,

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Vol. II, Chap. XXTI.

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Cependant que les armées sovi6tiqucs, dans Iri plus vastt., la plus longue des contre-offensives victorieuses, avaient libéré tautc la Russie, reconquéraient la PoIogne et menaçaient ;i !'Est les frontières du Reich. Aussi, le 20 Juillet 1944, des officiers aIlemands, devant le spectre de la défaite, tentaient de tuer le Führer, fanatique de la resistance, et de s'emparer du pouvoir. Ils échouaitnt, mais, malgré uue purgc sauvage de l'armée par la Gestapo, l'édifice du Nazisrne cllancelait avant de s'ecrouler. 11 ne suffit pas de massacrer des Jiiifs pniir devenir le maître de l'univers.

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EYILOGUE MYTHOLOGIE UNIVERSELLE Le ler Mai, h dix heures vingt-six du soir, la radio de Hambourg annonçait la mort de IIitIer. Le lendemain, les Russes entraient à Berlin, cependant que Ieurs troupes, qui avaient joint les armées anglo-américaines, se répandaient sur tout I'est de l'Allemagne. Le 7 Mai, l'Amiral Doenitz signait la capitulation sans condition

de la ~ c h r m a i h t . La bombe a t lc canon se taisaient sur l'Europe. Mais pas lcs géniissements dc la douleur ! Car les arm6es alliées, à mesure de leur avance, découvraient l'borreui des camps de concentration allemands.

Les deportés politiques de tous les pays, pas seulement des Juifs, e t jusqii'à des Allemands, entassés dans les camps de Buchenwald, de Bclscn, dc Dachau, après ccux dc LuMin et d'Auschwitz, apparaissaient par milliers & la lurniérc, haves, decharnés, usés par la faim, le travail forcé, Ics coups, la torture. Quand ce n'était pas que leurs ossements, entassés par hauts monceaux auprès des fours crématoires, qui frappaient le regard. Un cri d'horreur parcourait l'univers. Lc monde se trouvait confronté par ce problème angoissant: Comment un peuple aussi cultive la veille encore qurc lcs Ailemands, qui avait produit les plus grands philosophes, les plus grands musiciens, était-il retombé à une telIe l~arbarie? Les réponses differaient. La plupart attribuaient t a n t d e cruauté au caractérc ailemand foncier, racial. <c Seuls des Allemands », declaraient-ils, cc pouvaient accomplir semblables horreurs. Aucun autre peuplc en ce monde n'en eût été e a p a b l e . ~Réponse se fondant sur Za croyance au monopole du mal détenu par une collectivité particuliére. En sûrnrne, au Diable e t à ses assesseurs. Tout Allcrnand, à ces yeux-la, &taitun diable eu puissance, ~ l i i sr b u moins 11It:ri cau~oriflC, depiris le vicillnrtl l~ranlant jusiyu'A l'enfant a i i berceau. D'cih la çonclusiori qu'i2 conviendrait de supprimer Ie plus


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possible d'Allemands, C'&ait l'attitude n r a c i s ~ e>> des Nazis retournée g l'envers, transférée du Juif au Germain, attitude aussi simpliote que barbare. D'autres - les Chrétiens convaincus - expliquaient l'explosion de cruauté dee Nazis par l'abandon de la foi chrétienne. Certes les Germains, cornrne l'a écrit Freud, ont et6 assez c mal baptisés),. Mais l'abandon de la foi chrétienne n'est pas leur fait exclusif. Elle a décIin6 chez tous le6 peuples chrgtiens, malgré les prières et les hymnes chantés par les clergymen britanniques. Et il ne trouve justelnent que ce fut lorsqu'efle était la plus florissantc et fortc, la foi chrétienne, que le plus de cruautés, de massacres furent commis au nom du Christ -comme au temps des procès de sorciéres, dl: 1 ' I n p i s i t i o n et des guerres de religion.

Or c'est justement dans ce fait histo~iqueque gît Ia vraie explication aux débordements de cruauté des Nazis. Les Chrétiens ne vedent pas l'admettre, inais eue est puurtant la seule vraie. Ce il'est pas pni CE! qu'ils ont perdu l'esprit religieux, mais ail contraire parce qu'en eux il a féroceinent ressuscité, que les Allemands purent s'avkrer si cruels. << Les dieux ne surit pas immortels, mais l'esprit religieux, lui, est 6terncI.n1 Et si les Nazis prépos&s aux camps de concentration, à ces camps de la torture et de la mort, y massacrérent aussi largement leurs victimes, c'est qu'ils obkissaierit ii un commandomenr religieux intense, B un imperatif catkgoriqiie mystique qui leur faisait considérer leur affreuse besogne comme une reuvre salut aire de purification.

C'est le visage féroce des jeuncs rt.Iigiuizs trioiripbantpe, avideb du sang des herétiques refusant leur credo, qui oorifronte l'iinivers dans les massacres accomplis ailx camps nazik de concentration. Avec la bonne conscience du devoir accompli, de la vraie foi servie, les jeunes croyants nazis, obéissant aveugIement: à des commandements barbares, battaient les travailleurs forcés, les femmes et les enfants, ouvraient les robinets de gaz létal sur Juifs, faibles c t malades incapables de travail. Un médecin nazi, épuisant jusqu'au bout Ics forces des prisonniers malades et mourants des commandos, déclarait : « Leurs dcrnièrcs forces a ppartienncnt A 1 Gustave

189.4, Livre

Le Bon, Lois psychologiques bc l'dt~oiution des peuples, Paris, Alcnn, TV, Chap. II.


EPILOGUE : MYTTIOLOGIE UNIVERSELLE

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la Grande Allernagnc.>>l Certains médecins allemands cux-rnemes, adonnés de plus au celte sans frein de leur science, se livraient sans remords sur ces hérétiques condamngs à des épreuvcs de médecine oxpérimentale. Avec la meme bonne conscience, les Inquisiteurs autrefois envoyaient ii la salle de torture et au bûcher les hérétiques du Christianisme e t Ies juges de la Terreur A la guiliotine les hgrétiques de la jeune foi révolutionnaire. Avec la même bonne conscience du devoir accompli, les Russes expédiaient et expédient aux steppes mortelles du Turkestan ou de la Sibérie, ou aux camps de Kaluga, les nobles et les bourgeois des territoires qu'ile possèdent ou occupent, hérétiques que sont ceux-ci de la nouvelie foi egalitairc qui fanatise 1'Empirc des Soviets, Rien n'est terrible comme la foi. C'est un très grand mythc que celui qui affirme que la religion est toujours bienfaisante e t adoucit les meurs. Qucl que soit son contenu, même si, telie celle du Christ, elIe prêcha l'amour, sa démarche de jeunesêe est toujours rude e t crue.lle, l'intolérance étant sa loi. On sc souviendra ici des pensees prêtées au vieux Brotteaux par h a t o l e France dans Les Dieux ont ' s o i f : Il se défendait toutefois de vouloir attaqucr la religion, qu'il estimait néceseaire aux peuples, 11 déplorait que les jacobins voulussent la remplacer par une religion de la Iiberté, de l'égalité, de la république, de la patrie. Il avait remarqué que c'est dans la vigueur de leur jeune age que Ics religions sont les plus furieuscs e t les plus cruelles, e t qu'elles s'apaisent en vieillissant. Aussi, ~ouhaitait-il quaon gardiit le catholicisme, qui avait beaucoup dévord de victimes au temps de sa vigueur, e t qui maintenant, appesanti sous le poids des ans, d'appétit médiocre, se contentait de quatre ou cinq rôtis d'htrétiques en cent ans.» On n'a jamais dit mieux. Cc n'est qu'aux pieds des dieux, des dieux jeunes, comme autrefois aux pieds de la statue d'Huitzilopochtli, Ic dieu aztèqae de. Ia guerre, que tant dc sang peut être versé sous le fouet du devoir. Les atrocités des camps nazis de

...

1 (< lhre letzten Kriiftc gehoren Grtilisdeutsch1and.m (D'après une communication verbale du Dr. Paul SchifF, retour de captivitd à l'hopital dc prisonniers de Rottenniunster, où cc propuei lui aurait été tmii par un médecin allemand depuis signalé II la Coinmission rlea vrini~sde guerre.) Voir ausai le5 ordres secrrte de IIimrnler ~ u SS* x ravélés au prucèa de PTurem1~ri.g.


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concentration n e se peuvent cornprcndrc que si on les envisage sous leur vrai jour : des actes de foi, des aut~daféa, La phpart s'&crieront: c'est &pouvaritalilc qu'au XX"'5iècle des Européens se soient comportés coirirne autrefois les Azthques ou les seides de Torquemada. On e û t cm que l'huirianit6 avait progressé ! IIéIas, autre mytlie dii progrès des se1ïtimerit6 humains I Seule l'hypocrisie liuiriairic a progressé. IIiller nc se serait: pas fait figurer, comme autrefois les Pharaons sur les rnonuincnts d'Egypte, ~riutilant,tuant ses prisoniiiers, Il n'eût pas nori plus organisé de spectacIc puLIic, pour édifier son peuple, tel iin Torquemada, de ses autodafés. Mais la r6grcssion zi. la barbarie primitive chez l'homme -le gorille lubrique et fkrocc de Taine - est toujours possible, sous certaines consteilations de mallieur e t surtout sous l'étoile d'une foi nouvelle lui justifiant sa criiauté. CerteE, irne certainc propension au sadisme manifeste était nécessaire dans les tortureurs des camps nazis, e t les plus elnvés des AIcrnanda dans l'échelle culturelle ne se seraient pas prêt& à être ces instruments dc la foi sauvage uouveIle. Car uue klite pIus au moins étroite échappe toujours aux grands courants collectifs mystiques. Mais il n'cn rcstc pas moins que tout peuple, même celui qui, en tenipç de sécurité, pratique les mmurs les plus humaines, peut être susceptible de régresser à la Larbaric originelle, Les nations diverses qui se partagent la terre ont seulement progressé momentanément plus ou moins loin de ce commua point de départ, en proportion, semble-t-il, de la somme de bonheur, cn particulier de nourriture assurée, qui leur est &hue, et qui permet le loisir de la cl11t,i~re. semblerait-il, à Tels sont les Anglo-Américains. Recon~iaissa~its, leur ancien Dieu de leur prospérite, iIs orit conservé la vieille foi chrétienne, mais modernisée, atténuée en cent sectes diverses et agissant à la façon d'un vaccin - tant qu'il n'cst pas tout épuisé contre la virulence des jeunes fanatismes. Ils peuvcnt alors mieux que d'autres cultiver la raison. Aussi, lors de l'invasion de l9AIlexnagnc par les Slaves dc l'Est et les Anglo-Américains de l'Ouest, les populations hpouvant6cs tentaient toutes dc fuir vers l'Occident. Car les Aiiglû-Américains, malgré les boinbardemcnts massifs des ville5 e t clvs po~~ulatioris allemandes, étant les peuplcs les inicux nourris, les plus c o i i l l ~ l i . ~ ,


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EPIEOGUE : MYTHOLOGIE UNIVERSELLE

sont actuellcmcnt les plus ration~iels,les plus libkraus, les nioins cruels, donc les moiris redouti.~. +k

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Il nous restr! à examiner Ics divcrs Idéals que les peuples avaient inscrit sur leurs étendards de combat. Quelle fut la part, dans ces idéals, de la réalité et du mythe ? Lcs AZlcmands se battaient pûur l'Oidre, Ieur << Ordre nouveau}), qu'ils qualifiaient de Droit, Justice, Civilisation, Ils baptisaient même-du nom de Liberté le droit pour leur peuple à envahii ses voisins, disant qu'il fallait plus d\« espace vitaI 1) à Ieiir grand peuple A I'étrojt. Ils ressentaient, devant le spectacle de l'Empire britannique aux immenses espaces encore si souvent incultes, la révolte envieuse du pauvre contre le riche, du pauvre qui voit, par les fenêtres écIairhes, les riches attablks e t laissant dans leur assiette assez de nourriture pour nourrir leur nichée affamée restée à la maison. Révolte transposée ici à la «faim de la terre» ! Alors il leur semblait «juste >> de fouler aux pieds les terres de leurs voisins, de les dépouiller, e t d'en deporter chez eux les habitants pour les faire, dc gr6 ou de force, travailler à la grandeur germanique. La « moraIe n pimitive veut qu'on n'ait de devoirs qu'enveri lcs siens. Sur les drapeaux des Anglo-Américains, les soldats de ces nations lisaicat d'abord le mot magique de Liberté. Sous le même étendard combattaient les guerriers antiesclavagistes de LincoIn, descendants des Anglo-saxons séculairement libéraux. 11s cornbattaient, ils mouraient << afin quc ces morts ne soient pas morts en vain, pour que cette nation, soumise à Dieu, ait une nouveIle renaissance, e t qire le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne périssc ni nc disparaisse de la surface de la terre».l Tel est reste l'évangile de ces peuples qui se battent au cri de Liberté. Et cet dvangile-là n'est pas tout mythique ! Il est vrai que dans les pays anglo-saxons, ou ceux dominés par l'influence occide ntalc, la liberté individuelle est respect Ee autant qu'elle peut I'Ftie en un etat organise, qu'on y pcut critiquer la gouvernement et s'endormir le soir sans crainte d'être rEveilIé au petit jour par la visite de quelque Gestapo fouiIlant vos tiroirs et vous emmenant en prison. Tels apparaissent par suite aux Anglo-saxons le Droit, l'Ordre, la Justice e t la Civilisation. Adrc~aede Grttysburg. 1'1 Novembre 1863.


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MYTHES DE GUERRE

Mais les Anglo-saxons, au cours de c e t t c guerre, avaient donné au mot de Liberté inscrit sur leurs drapeaux un sens plus &tendu encore. i< CVe j g h t for world freedom I n « Nous combattone pour la liberte universelIe ! », c'est-à-dire pour la liberation de toutes les nations momentanhment foulges par la botta nazie : Pologne, France. Norvège, Danemark, Belgique, IIollande, Grkce, Yougoslavie. pays Baltes, e t cctte liberte nouvelle, ils la proniettaient inê~nc aux peuples séides de XIitIer, Italie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Finlande, et jusqii'au peuple allemand, s'il reniait ses tyrans, sans compter la Chine, R l'extremei Orient, victime du Japon. Or c'est ici que la réalité se nimbe de mythe. Les pays de l'ouest européen sont h portée de l'Union Jack et du drapeau EtoiIé. Mais les pays de l'Est européen ne verront flotter quc l'étendard rouge avec la faucille et le marteau. Et ce n'est pas la mcmc aorte de liberté qui découle de ses plis que de ceux de l'Union .Jack ou du drapeau itoil6. Une longitude différente, terrestre et mystipe B la fois, plus encore qu'une langue diirerente, donne aux mots de Freedom et de Svoboda des sens divergents, comme d'ailleurs au mot, faussement analogue, de D6rnocratie, à l'Occident se confondant avec aspiration à la liberté individuelle pour tout Ie monde, à l'Orient impliquant aspiration a l'égalité sous la dure <<dictature du prolétariat)). Aspirations d'ailleurs aussi impossibles $ concilier qu' il tout B fait rgaliaer. Les Russes se sont pourtant battii~a u s ~ i leur façon pour la Liberté, mais une liberté bien diakente de celle des AngIo-Saxons. et qui aux Occidcntnux, jaloux d'abord de leur libert6 personnelle, ne semble pas plus mériter ce non que la a liberté » allemande au sens nazi. Les Russes se soucierit peu de la libert8 individuelle que leur r6gime méprise et supprime, mais beaucoup de la nationale, de celle de la Russie, dc sa terre, ses champs, ses bois, voire cle son ordre, son régime, auquel ils sont soumis. C'est cela pour eux le Droit, la Justice, l'ordre, voire Ia Çivilisatioii. A ces idéals-18 il leur semble juste de tout sacrifier, et ils ont rendu aux vaincus lcs maux que ceux-ci leur infligèrent, tuant, dépouillant, déportant par milliers leur tour les Allernandb, avec les <c profascistes n dcs pays envahis, pour en faire des travailleurs forcEs aux espaces immenses de la Riissie,


EPILOGUE

:

MYTKIOLOGIE UNIVERSELLE

177

Mais il est par aille~rscertain que les s01da.t~de l'Armée rouge, en penétrant ccrtains paya regtés très féodaux, y font vraiment figure de libérateurs aux yeux du petit peuple. Ke Iihèrent-ils pas les paysans polonais, baltes, hongrois, roumains, de la tutelle séculaire de leurs seigneurs ? Si ces derniers doivent expier leur classe sociale, sinon leur race comme chez les Nazis, aux camps de concentration sovi6tiques, les paysans qui se partagent les d6poudIes accueillent forchment les étendards rouges comme ceux de 13 Liberté nouvelle. E t les déshérités e t les rn6contents cn tous pays les acclament dc loin.

Mais telle n'est certes pas la Liberth au sens occidental. Et si la presse, la propagande e t 1a radio entretenaient la confusion entre Freedorn e t Svoboda, c'est que la force des intérêts vitaux menacés e t de la gdographie, ce destin des peuples d'après NapoIhn, avait pour un tempa cimente l'alliance paradoxale, d6nonche prérnaturëment par Hitler, entre capitalisme occidental et s w i é tisme oriental c ~ n t r el'ennemi hidérien commun. Ce n'est pas en vain que Ia Germanie, de tous temps, posskda des frant ières terrestres battues à l'est par les masses slaves, e t bordées sur le Rhin e t au del& par les puissances atlantiques, destinées à s'unir lorsque l e danger gerrnanipe deviendrait trop grand.

Ainsi, ii condition de donner des sens différents A ces mots suivant les peuples, de comprendre la reiativith d e ces ideals, tout le monde s'est battu A sa façon pour l a Liberté, Ie Droit, la Justice, 13 Civilisation. Car qui ne croit pas combattre pour ces idéals, qu'il pense alors absolus, combat mal.

La Patrie a toujours raison, la Patrie qui incarne nos maniéres de sentir, de penser, d'agir. Donc ses mmurç, donc ses lois, donc sa civilisation, son ordre, son droit, sa justice, apparaissent au patriote comme la Justice, l'Ordre, la Civilisation, la Loi, le Droit. Et celles des autres patries, à la lueur dcs combats, semblent lYInjusticc,la négation même de la Loi, de I'Ordre, du Droit ct de la Civilisation. En vérité chaque pcuple se bat, en plus de pour sa loi, sa justice, sa civilisation, 8on droit, son ordre, sa liberté, par dessus tout pour sa vie. Ur le combat pour la vie, the struggle for Iife, n'est pas tendre e t les luttes entre les hommes, les pIus intelligents dans la nature


plus avides des animaux, sont de Ies pltis vastes. e t les

O

*

t o u t e s 1t.s

plus cruelles et

JR

« Lc temps approche, du combat pour la maîtrise de la terre, - il sera mené au nom de principes pl~ilosophigues.. . .a d'idéologies, dirait-on plutôt aujourd'hui, Ainsi s'écriait Nietzsclie la fin du siècle passé. Et encore : << Comment Ia terre sera t-elle gouvernée: comme un tout ? fif L'impérialisme d'un Hitler lui faisait vanter dans Mori Combat a une paix non pas assurie par des rameaux d'olivier qu'agitent, la larme facile, des pleureuses pacifistes, mais garantie par l'épée ~ i c t o r i e u s ed'un peuple de maitres qui met le monde entier au service d'une culture supérieure.>>X Le sien, bien entendu. Pax gerrnanica. L'imp&iaIismc du grand bâtisseur d'Empire que fut Cccil Rhodes lui faisait écrire vers la fin du siècle passé : Je prétends que nous sommes la première race sur cette terre e t que plus MUUS peuyleroiis d'espace en ce monde, mieux ce sera pour la race humaine. Je pretends que chaque acre ajoutke A nos territoires permet la naissance de davantage de la race anglaise, qui autrement ne verrait pas le jour. Ajoutons ici que l'absorption de la pIus grande partie du monde BOUS notre dominatioii signifie tout simplement la fin de toutes les guerres.»" Pax britannica. Et Gogol, dans Taruss Doulba, prêtait dgjh à l'hetman mourant ces paroles : «Attendez 1 Le temps viendra où vous apprendrez ce qu'est la vraie foi russe. Dorénavant les peiiples proches e t lointains l'entendront : un Tsar s'6lévera sur la terre russe e t il n'y (<

Die Zeit kommt, wo der Kampf uni die Erdherrachaft geführt werden wird,nac ch las^. Vol. XI,

.

er wird im Namen pAilosophisch~rCruridi~hrengcführt werden , , >>

p. 309). ct Wie sol1 die Erde a l s Ganzcv verwultct werden ? D (Wille rrc Mncht, Vol. XIX, p. 31-41 % . e i n Friede gesrützt nicht durch die PolmwedEE trünenreicher paai$stischer Khgeweiber, sondern begfinJet durch dus siegreicha ScILwert eines die Welt i n den Dhnss einer Jioheren Kultur r~ehmenden1lerrenuoIkeu.n (fifeirc Kampf, Vol. II, Chap. II.) ' a 1 contcnd that we are tlie first rnce in the world, and that the more of the wurld we inhabit, the better it is for the burnan rnce. I contend that every acre addcd to our territory provides for the birth of more of the English rucc, who otherwise would not be brought into existence. Addcd to whicl the nbsorption of the gregter portion of the wtirld under our rule simply rneans the end of al1 war8.m (Extrait d'une esquisse manuscrite de Rhodes jeune intitulée u Some of my ideass, citée par J. C. Macdonald dans Rh0des-a Life, London, Geoffrey Dlcs, 1927, Cha~i. a.

1V.)

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..

aura sur terre aucune pilissance qui ne sc courbe devant lui, .» P a x slatlica. Ces aspirations à la domination mondiale sont-elles susceptirile~ de r%alisation? Le sort des armes a relégué le rêve d'un Hitler au rang des mythes, comme bientôt après le reve de R la plus grand^ Asie Orientale n du peuple di1 Mikado. Restent les deux puissantes aspirations impérialistes des mandes anglo-paxon et slave.

Le rêve d'un Cecil Rhodes si* réduit de plus en plus pour l'Angleterre aux dimensions de la possession des biens déjà acquis. Mais la jeune Amérique en semble avoir hérité, et aspire à élargir sans cesse sa zone d'influence, voire aux dépens de sa mére vieillie. Quant à Tarass Boulba saluant Ie Tsar de l'univers A venir, savait-il que ce serait, aprh un Lénine, un Staline, pape du credo nouveaii, qui incarnerait son rêve d'influence mondiale par la nouvelle religion égalitaire prschée à tout l'univers ? Ainsi, en plus des querelles de détail succ6dant à toute guerre mûrirliale, deux grands impérialismes, celui du Vieux e t celui du Nouveau mande, s'affrontent au-dessus des ruines de l'immense conflit de l'Atlantique au Pacifique. Et deux grands idhals économiques se heurtent, que chacun va représentant : capitalisme d'btat -coordonnant au rnaximum la production e t capitaliamc privé fouettant l'initiative individuelle.

* Cependant la terreur d'une nouvelle guerre, plus destructrice encorc que la dernière avec ses V1, V2 et ses massifs bombardements par air hante I'humanitE, surtout depuis que les deux premières bombes atomiques, j e t h s par les Américains, ont ravagé Hiroshima et Nagasaki, amenant le Japon B la capitulation immddiate. Cette terreur fait rechercher à l'humanité épuhke quelpue garantie de repos e t de paix. Dans cc but, en pIuç des mobiles trop humains de vengeance, du retour l'esprit di1 <c triomphe romain», e s t réclamé le châtiment exemplaire des n ciiminels de guerre », non seulement tortionnaires sadiques, mais chefs d'Etat, ministres, fonctionnaires, chefs d'arméc des pays vaincus. Dans ce dessein, les délégués des Nations Unies victorieuscs se concertent en des conférences groupant Ies grands d'abord,


Hélas ! qui entend la voix des petits ! Ft la' voix des grands est souvent discordante. Car l'insatiabilith est la loi des forts. Aussi la seconde SociCt6 dcs Nations, si l'on parvicnt P I"Sdifiii.r, est-elle sans doute vouée à Gclairer une fois de plus la valeur mythiqut du grand mirage dont l'huzuallit&,malgr6 ses indcstructibIes instincts d'agression, de conquête, rêve 2 ses heures de lassitude : le mythe suprême de la paix universelle e t perpétuelle.

PARIS

*

- SAINT-TROPEZ - YICIIY - A T I I E N E S ALEXANDRIE

- LE

CAP

- LOYDRES.

1939 - 1'345.


t.

Prologue : MythoIogie germanique

.

7

1~ inythû d u cadavrc dans l'auto

.

10

.

43

Le ~ l ~ t du h evin dc l'iatendanc~

56

I I . Lr inythc de l'argent deviné 111.

IV. Mythes dc l'ennemi iinpuissant ou amical e t des larmes de la mkre

V.

VI.

VII.

70

M ~ t h c sde cambat chez vaincus et; vainqueurs

82

.

Mythes autour d'Albion menacée Lemythedu Juif-Satan

.

.

108 131

1. Points de vue passionnels 2.

Points de vue historiques

3.

Points de vue fonctionnels a. Fonction magique

b. Fonction socialc G,

Fonction poIitiqtxe

Epilogue : Dlythologie universelle

.

.

171



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