Shobogenzo

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PROJET : EPURE SŌTŌ ZEN ASSOCIATION - [SUISSE]

Shōbōgenzō Trésor de l’Œil de la Vraie Loi Traduction française Folium : corpus 1

正 法 眼 蔵

Boulli Editions



Shōbōgenzō 『正法眼蔵』 Trésor de l’œil de la Vraie Loi FOLIUM 1



Shōbōgenzō 『 正法眼蔵 』 Trésor de l’Œil de la Vraie Loi

Traduction française de Rd. J.Y. Kakudō PIERRE GERARD

Boulli-Editions



Shōbōgenzō Trésor de l’Œil de la Vraie loi All Rights Reserved © 2007

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement du SŌTŌ ZEN ASSOCIATION, est illicite. E-ISBN

Publié par Boulli-Editions


Collection Folium Corpus dirigée par Rd. J.Y. Kakudō Pierre Gérard La particularité de cette collection est que vous pouvez vous la procurer sur le site Projet : Epure Soto Zen Text french Project. Pour le lire, vous avez besoin d'une version récente d'Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement sur leur site. Vous pouvez aussi vous procurer un utilitaire qui vous permettra de l'imprimer sous un format “ booklet “.


Table des matières Table des matières

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Avertissement

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Eihei Dōgen | 永平道元 Compilation de la transmission de la lumière. xi Aperçu de la vie de Maître Dōgen

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Prolégomènes

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[1] Genjō Kōan | 現成公案 L’existence comme expression de l’éveil.

1

[2] Maka hannya haramitsu | 摩訶般若波羅蜜 Prajñā-pārāmitā. 7 [4] Shinjin gakudō | 身心學道 Pratique conjointe corps et l’esprit

13

[5] Sokushin zebutsu | 即心是仏 Cet esprit-là est Bouddha.

25

[8] Shinfukatoku | 心不可得 Le sens profond ne peut être saisi.

31

[9] Kobussushin |古佛心 L'esprit originel des vieux Bouddhas.

37

[10] Daigo | 大悟 Compréhension absolue.

43

[11] Zazengi | 坐禪儀 Protocole pour la méditation assise.

51

[14] Kūge |空華 Fleurs dans le ciel.

55

[21] Zenki | 全機 Etat dynamique.

67

[65] Nyoraizenshin | 如來全身 Le corps intégral du Tathāgata.

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[91] Shōji |生死 Naître et mourir.

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Bibliographie

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Vocable

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Avertissement

Pour cette traduction, nous avons utilisé à la fois, le Konbokōtei Shōbōgenzō de Dōshu Okubō (Chikuna Shobō) dans la traduction anglaise de l’Abbé Kōsen Nishiyama [avec sa permission], les commentaires et les enseignements qui nous ont été donnés sur le Shōbōgenzō et la pensée de Maître Dōgen, sans toutefois plagier leurs auteurs. Dans cette traduction, nous avons évité - comme le suggère Saint Thomas d’Aquin : “ Un bon traducteur doit, tout en gardant le sens des vérités qu'il traduit, adapter son style au génie de la langue dans laquelle il s'exprime “ - de présenter comme “ apport conceptuel original “ la seule traduction littérale de Kanji, sans nous laisser aller à la traduction accommodante en “ déguisant le sens “. Nous avons travaillé dans l'esprit de la pratique et laissé aux professionnels le champ des annotations sans jamais perdre de vue ce que disait Johannes Claudeberg “ le sens authentique, c'est ce qu'il faut d'abord chercher, sans se demander s'il est vrai ou faux, adéquat ou inadéquat, en adoptant une attitude d'élève qui cherche à comprendre plutôt que de censeur qui juge, approuvant ou désapprouvant “. Nous ne prétendons pas avoir su ou pu retranscrire toutes les subtilités de la pensée de Maître Dōgen, mais nous avons fait en sorte de toujours œuvrer pour que l’esprit du maître Zen, du penseur et surtout du Dharma, y soient fidèlement présents dans le choix des mots que nous avons utilisé. La transcription des noms et des termes japonais a été faite selon le système Hepburn modifié – voir les notes de bas de page. Nous avons parfois gardé dans le texte certains termes comme : “ kūge, Nyoraizenshin, Shōji, Shinjndatsuraku “ pour faciliter la lecture et la compréhension.



Eihei Dōgen | 永平道元 Compilation de la transmission de la lumière.

Liminaire

Le 51ème Patriarche, [le prêtre] Eihei Maître Dōgen, pratiqua sous la direction de Maître Tendō Nyojō. Un jour, lors d’un enseignement qu’il prodiguait aux moines pendant le zazen du matin, Tendō Nyojō dit : « Pratiquer zazen, c’est abandonner le corps et l’esprit [Shinjindatsuraku1]. » Lorsque Maître Dōgen entendit cela, il eut la compréhension de son moi véritable. La séance de zazen terminée, il se rendit aussitôt dans les appartements de Maître Nyojō, afin d’y faire brûler de l’encens. Nyojō le voyant faire, demanda : - Pour quelle raison brûlez-vous de l’encens ? - Shinjindatsuraku, répondit Maître Dōgen. - Shinjindatsuraku, Datsurakushinjin2, lui répondit Nyojō. - Brûler cet encens n’est rien en comparaison de ce que peut représenter le fait d’avoir compris son moi véritable, je vous prie Maître, ne me donnez pas le Sceau de la Loi gracieusement. - Je ne vous donne pas le Sceau de la Loi gracieusement. - Que voulez-vous dire ? - Que vous avez déjà abandonné le corps et l’esprit. Maître Dōgen se prosterna devant son Maître et lui dit : - Le vouloir abandonner a aussi été rejeté. Se traduit souvent par, "rejeter le corps et l’esprit" ou, "abandonner le corps et l’esprit." 2 Se traduit par, "le corps et l’esprit ont été abandonnés." 1


Eihei Dōgen | 永平道元

A ce moment-là, Kohei (Huang-Ping) de la province de Fuku, jisha3 de Maître Nyojō dit : « C’est inhabituel qu’une telle distinction soit remise à un étranger. » Alors Tendō Nyojō rétorqua : « Combien d’étudiants dans ce monastère pourraient prétendre la recevoir ? Vous, Maître Dōgen, n’êtes plus attaché à cette notion d’abandon, vous avez été libéré et avez pratiqué la compassion. Ainsi, votre moi, a été vaincu. » Circonstances

Maître Dōgen – Source de la Voie – est son nom de moine, et son nom de famille est Minamoto. Il est le descendant (la neuvième génération) de l’Empereur Murakami par la branche du fils Gochusho. A sa naissance – en 1200 – un astrologue l’examina et dit : « Cet enfant est béni, ses yeux profonds sont le signe d’un être prometteur. Dans un ouvrage ancien, il est écrit que lorsqu’un enfant béni naît, sa mère va certainement mourir. A ses sept ans, il y a de fortes chances que sa mère décède. » La mère de Maître Dōgen ne fût pas surprise ou effrayée par cette prédiction, au contraire, elle montra encore plus de compassion envers son enfant. Dans sa huitième année, comme il avait été prédit, la mère de Maître Dōgen mourut. Malgré l’année d’écart, tout le monde reconnu la prédiction du devin. Pendant l’hiver de ses quatre ans, assis sur les genoux de sa grand-mère, Maître Dōgen lu l’ouvrage “ Les Cents Poèmes “ d’un écrivain chinois Li-chiao’s – et à l’automne de ses sept ans, il présenta à son père adoptif – son oncle, Michito, son père étant déjà décédé – un recueil de poèmes inspirés du même auteur, calligraphiés de sa propre main. Les plus grands confucianistes de l’époque unanimes disaient de lui qu’il n’était pas un enfant ordinaire, mais plutôt un prodige.

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Secrétaire particulier. xii


DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'Œil de la Vraie Loi

Il fut profondément affecté par la mort de sa mère survenue dans sa huitième année. Lors des funérailles au temple de Koyuji, quand Maître Dōgen vit la fumée de l’encens s’élever, il prît conscience du caractère impermanent du monde et se mit en quête de la Voie. Au printemps de ses neuf ans, il lut l’Abhidharakosha de Seshin Vasubandu et les vieux érudits dirent de lui qu’il était aussi brillant que Manjushri et possédait de réelles facultés pour étudier le Mahayana. Alors même qu’il n’était qu’un enfant, ces paroles l’imprégnèrent à un tel point qu’il étudia avec une grande détermination. A cette époque, l’aristocrate Fujiwara Moroie, Régent de l’Empereur, était un modèle pour tous les ministres. Moroie fit de Maître Dōgen son héritier et lui transmit par la même occasion les secrets de la famille Fujiwara, ainsi que les hauts faits de la vie politique. A l’automne de ses treize ans, son père adoptif avait organisé des réjouissances pour marquer l’entrée de Maître Dōgen dans la vie adulte, afin de la cautionner pour une future carrière de haut fonctionnaire de la Cour. Mais en secret, Maître Dōgen quitta la résidence de Kobata-yama (au Mont Kobata) pour se rendre au pied du Mont Hiei (le principal temple bouddhiste Tendaï) où résidait le moine Ryokan Hogen. A cette époque, Ryokan Hogen était le supérieur du temple et Maître des enseignements Tendaï tant exotériques qu’ésotériques. Il était aussi l’oncle maternel de Maître Dōgen. Fort surpris, il lui demanda : « Les réjouissances pour ton entrée dans l’âge adulte devaient avoir lieu, autant ton défunt père que ton père adoptif vont être fâchés et surtout très déçus ! Que penses-tu de cela ? » Maître Dōgen répondit : « Lorsque ma tendre mère trépassa, elle m’a demandé de renoncer au monde et de pratiquer la Voie. J’abonde en son sens, je ne désire pas perdre mon temps au milieu des futilités d’une vie mondaine. C’est pourquoi, je désire profondément renoncer au monde et me consacrer à l’étude de la Voie. Par cette attitude, par ce renoncement, je souhaite exprimer toute ma gratitude envers ma chère mère, ma grand-mère et mes oncles. » Emu aux larmes, Ryokan accepta Maître Dōgen comme aspirant à la Voie et l’envoya étudier au Sendoko à Hannya-dani sur le Mont Hiei. xiii


Eihei Dōgen | 永平道元

Le neuf avril de la première année de l’ère Kempo (1213), dans sa quatorzième année, Maître Dōgen se prosterna devant l’Abbé Koe, le recteur de l’école Tendaï, et se fit raser le crâne. Le jour suivant, Maître Dōgen reçu les préceptes de Bodhisattva et fut ordonné moine dans l’enceinte de l’Enryaku4. Il étudia ensuite la pratique de shikan – tranquillité et contemplation (Samatha et Vipasyana) – ainsi que les enseignements ésotériques Shingon du sud de l’Inde. A l’âge de dix-huit ans, il avait déjà lu tous les textes du canon bouddhique. Après quelques temps, Maître Dōgen s’enquit auprès de son oncle maternel Koin – Abbé de Miidera, enseignant émérite des pratiques ésotériques et exotériques – quant à savoir quel est l’ultime dessein du bouddhisme. Alors Koin lui expliqua : « Ce que tu demandes à l’instant correspond au stade final dans l’enseignement de la tradition Tendaï, qui a été transmis par les Maîtres tels que Dengyo et Jikaku. Je ne peux résoudre ceci pour toi. J’ai entendu dire qu’il y a longtemps, un Maître indien, Bodhidharma, serait venu en Chine et aurait transmis le Sceau de la Loi. Puis son enseignement, devenu la tradition Zen, s’est répandu partout. Si tu as besoin de trouver une solution à ce doute, tu devrais rendre visite à Eisai, Abbé du monastère de Kennin-ji. Il te donnera des conseils sur cette question essentielle, et si tu n’es toujours pas satisfait, va en Chine chercher la source de la Voie. » A l’automne de ses dix-huit ans, le vingt-cinq août de la cinquième année de l’ère Kenpo (1217), Maître Dōgen rendit donc visite à Maître Myōzen au monastère de Kennin-ji et intégra officiellement la secte Rinzaï. Au temps d’Eisai, les étudiants devaient attendre trois ans avant de pouvoir prendre l’habit [de moine]. Cependant, Maître Dōgen eut la permission de porter la robe rinzaï en septembre de la même année, et en novembre il reçut le kesa5. Ceci nous montre combien il était vertueux.

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Lieu spécifique où les moines reçoivent les préceptes lors de leur ordination. Vêtement de la transmission [du Bouddha].

xiv


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Myōzen avait reçu la certification de trois traditions différentes : exotérique (Tendaï), ésotérique (Shingon) et Zen (l’esprit de Bouddha), et il était le successeur d’Eisai. Dans les annales du monastère de Kennin-ji, Eisai a écrit : « Seul Myōzen a reçu la transmission du vrai Dharma. Tout étudiant recherchant l’enseignement vrai d’Eisai doit s’en remettre à Myōzen. » C’est ainsi que Maître Dōgen se rendit auprès de Myōzen et qu’il reçu les préceptes de Bodhisattva, la robe et le bol de moine. Il apprit les 134 pratiques pures, ainsi que les instructions du rituel du feu de l’école Tani. Maître Dōgen étudia également le canon bouddhique, les préceptes et la pratique de la contemplation, shikan. Pour la première fois, il reçut l’enseignement de l’école Rinzai et les enseignements des trois traditions (exotérique, ésotérique, Zen). Maître Dōgen devint alors le seul successeur de Myozen dans le Dharma. Sept ans plus tard, au printemps de ses vingt-quatre ans, (le 22 février 1223), il se prosterna devant le stupa érigé à la mémoire du Maître Zen Eisai, le fondateur du monastère de Kennin-ji, et à fin mars, il quitta Hakata – province de Kyushu -, pour se rendre en Chine dans le pays de la dynastie des Song. Au début du mois de juillet, il arriva au temple de Keitoku, sur le Mont Tendō. Pendant son séjour en Chine, Maître Dōgen rencontra plusieurs maîtres, dont le moine En (Ju-yen) du Mont Kin. Celui-ci lui demanda : - Quant es-tu arrivé dans ce pays ? - En avril de l’année dernière. - Tu as eu tout le temps de rencontrer des maîtres, alors pourquoi es-tu venu jusqu’ici ? - Je n’ai pas rencontré de vrai maître. Je suis venu en ces lieux et je n’espère plus. Maître En rétorqua : - Il se pourrait que tu aies rencontré différents maîtres et pourtant tu es quand même ici. xv


Eihei Dōgen | 永平道元

Alors Maître Dōgen répondit : - Il et vrai que j’ai rencontré plein de maîtres, mais pouvez-vous me dire pourquoi je suis quand même venu jusqu’ici ? Le moine lui En administra une gifle et lui dit : - Quel moine bavard tu fais ! - Qu’est-ce-que cela peut faire que je sois bavard ou non ? C’est alors que Maître En lui proposa de boire le thé. Maître Dōgen se rendit également à Shosuigen dans la province de Dai où il rencontra le moine Banzan Shitaku. Maître Dōgen saisit cette occasion pour l’interroger : - Comment rencontrer Bouddha ? - Bouddha se trouve dans la galerie des Bouddhas. - Vous dites qu’il est dans la galerie des Bouddhas, mais expliquez-moi pourquoi il est dit qu’il se trouve dans les dix directions et partout dans le monde ? - Le Bouddha qui se trouve dans la galerie des Bouddhas illumine le monde entier. - Alors notre entretien se termine-là, conclut Maître Dōgen. Lors de ses pérégrinations en Chine, Maître Dōgen rencontra effectivement un grand nombre de maîtres. Tous les entretiens qu’il eut le rendirent encore plus imbu de lui-même et il commençait à croire que personne ne pouvait le surpasser, non seulement en Chine, mais également au Japon. Il finit par se convaincre de retourner au Japon et c’est à ce moment-là qu’il croise Roshin, qui l’encourage vivement à aller voir Maître Nyojō : « Il est le seul Maître dans la Chine des Song à avoir saisi la Voie. Si tu le rencontres, il se peut fort que tu apprennes quelque chose de lui. » Bien que Maître Dōgen reçu ce brillant conseil, il dut attendre une année pour le suivre. A ce moment-là, le Maître Zen Musai Ryoha (Wu-chi Liao-p’ai) décéda et fut remplacé au Mont Tendō par Maître Nyojō. Maître Dōgen ressenti ceci comme une rétribution karmique. Il posa alors xvi


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la question qui lui tenait à cœur à Maître Nyojō. Lors de cette première entrevue, Maître Dōgen laissa tomber son orgueil, il se prosterna devant Maître Nyojō, et devint ainsi son disciple. Décidé à pratiquer intensivement sous la férule de Maître Nyojō, Maître Dōgen lui adressa une lettre dans laquelle il lui relate les faits suivants : « Quoique encore jeune, j’ai fait de la recherche de l’esprit de Bouddha une de mes préoccupations principales. J’ai étudié auprès de différents maîtres au Japon et d’une certaine manière, je peux dire que j’ai saisi le Dharma du Bouddha. Pourtant, je ne connaissais pas encore le vrai Dharma du Bouddha et éprouvais encore de grands doutes quant à l’enseignement bouddhiste et ses principes. J’ai eu plus tard la chance de rencontrer le Maître Zen Eisai avec qui j’ai appris pour la première fois les principes de l’école Rinzaï. Suivant Myozen, je suis arrivé dans la Grande Chine des Song et j’ai finalement l’immense chance de vous rencontrer. Je suis très heureux de cette rétribution karmique. Cher Maître, ayez s’il-vous-plaît la compassion de bien vouloir m’accepter auprès de vous et de m’enseigner. L’insignifiant personnage que je suis, venu de l’étranger, a besoin d’être auprès de vous jour et nuit, et si jamais je me comportais de façon inadéquate vis-à-vis de vous, permettez tout de même, avec tout le respect que je vous dois, que je puisse vous poser les questions sur l’essence même de l’enseignement bouddhique. Je fais appel à votre grande compassion et vous demande de prendre en compte ma détermination à suivre l’enseignement du Bouddha, et ainsi de me donner l’opportunité d’être enseigné. » - Disciple Maître Dōgen, avec ou sans kesa, tu pourras me poser sans restriction toutes les questions que tu voudras. J’aurai à ton égard l’indulgence d’un père vis-à-vis de son fils, lui répondit Maître Nyojō. Ensuite, jour et nuit, Maître Dōgen étudia l’essence de l’enseignement bouddhique et en eut la véritable compréhension grâce à l’enseignement clair de Maître Nyojō. Un jour, ce dernier demanda à Maître Dōgen de devenir son assistant (jisha). xvii


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Maître Dōgen s’insurgea et lui dit : - Je viens d’un pays lointain. Si j’acceptais de devenir l’assistant de ce grand monastère en ce grand pays, cela pourrait causer de grands troubles, je ne désire donc que recevoir votre enseignement jour et nuit. - C’est tout à fait raisonnable et humble de ta part de refuser cette fonction, d’une certaine façon, je partage ton avis, conclut Maître Nyojō. Par conséquent, Maître Dōgen continua simplement à s’entretenir avec Nyojō et à recevoir son enseignement. Quelque temps plus tard, durant une période de zazen, Maître Nyojō entre dans le Zendo, et voyant que certains dormaient, les admonesta : « La pratique de zazen est "abandonner le corps et l’esprit" [Shinjindatsuraku]. Il n’y a nul besoin de brûler de l’encens, de se prosterner, de réciter le nom de Bouddha, de se repentir ou de chanter les Soutras. Il vous suffit de vous asseoir en posture et vous pourrez réaliser l’abandon du corps et de l’esprit. » A l’instant où Maître Dōgen entendit cela, il eut l’Eveil. Ceci est le point principal. Depuis sa première rencontre avec Maître Nyojō, Maître Dōgen n’a eu de cesse de pratiquer la Voie jour et nuit, ne s’étendant même pas pour dormir, ce qui amena Maître Nyojō à lui dire : « Ta pratique est comme celle des vieux Bouddhas. Nul doute que tu vas propager la Voie des Patriarches. Lorsque je t’ai rencontré, c’était comme lorsque Vénérable Shākyamunii trouva Mahakashyapa. Ainsi, en 1225 (la première année Karoku du calendrier japonais et la première année Hokei en Chine), Maître Dōgen devint le 51ème Patriarche de la lignée. Maître Tendō Nyojō lui donna les instructions suivantes : - Rentre dans ton pays au plus vite et fais en sorte que la Voie des Patriarches se propage. Installe-toi dans les montagnes et fais en sorte que ce que tu as atteint puisse s’exprimer sans entrave. Pendant qu’il était en Chine, Maître Dōgen a également eu le loisir de consulter les documents concernant la transmission des cinq xviii


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écoles Zen (Rinzaï, Sōtō, Igyo, Unmon, Hogen). D’abord, Maître Dōgen rencontra Eiitsu Seido (Wei-i Hsi-t’ang), ancien moine du monastère de Kofuku-ji (Kuang-fu), qui lui dit : - Examiner ces documents est un grand privilège. Combien en avez-vous déjà vu ? - Je n’en ai jamais vu auparavant. - Alors, je vais vous en montrer de très anciens. Ils ne m’appartiennent pas, on me les a remis parmi d’autres affaires ayant appartenu à un vieux moine. Ces documents étaient d’un style unique et très ancien. Maître Dōgen ne put les étudier en détail, mais il vit qu’ils étaient estampillés du sceau de la lignée Hogen. De même, alors que le vieux Sesso Sogetsu (T’Song-yüeh) était le moine supérieur au monastère du Mont Tendō, Maître Dōgen eut la chance de consulter ses documents estampillés du sceau de l’école Unmon par son Ancien. Alors Maître Dōgen demanda : - Pourquoi les documents sont-ils différents selon les écoles ? Si le Dharma a été transmis de l’Inde à la Chine, intimement de maître à disciple, ils ne devraient pas l’être ? - S’il y a des différences, nous devons comprendre que le Dharma de Unmon est "comme ça". La raison pour laquelle le Patriarche Shākyamunii est devenu Vénérable, est qu’il a atteint le Grand Eveil. La raison pour laquelle Unmon est devenu Vénérable, est qu’il a aussi atteint l’Eveil. Quand il entendit ceci, Maître Dōgen commença à avoir une certaine compréhension de la situation. Annexes Cela fait maintenant plus de 700 ans que le Dharma du Bouddha s’est répandu au Japon, mais Maître Dōgen a été le premier Maître Zen qui fit progresser la Vraie Loi du Dharma. Ainsi, 1500 ans après l’accession du Bouddha dans le Nirvana, des statues de xix


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Bouddha et des Soutras furent ramenés au Japon – pendant la 13ème année du règne de l’Empereur Kimmei – depuis Shinra en Corée. L’année suivante, arrivèrent également de Corée deux rouleaux d’icônes. C’est après cela que le miracle du Dharma du Bouddha pu commencer à émerger et se répandre à travers tout le Japon. Onze ans après l’arrivée de ces premiers Soutras, on raconte que le Prince Shotoku6 est né avec une relique de Bouddha dans les mains. Plus tard, il fit des lectures publiques du Soutra du Lotus (Suddharma-Pundarika) et des Soutras Shoman (Shirimaladevi) et Yuima (Vimalakirti-sutra), et c’est ainsi que les enseignements bouddhiques se répandirent à travers tout le pays. Suite à la demande du Prince Tachibana, le Maître Zen Giku – disciple de l’enseignant national Enkan Seian de la dynastie des Tang en Chine – vint à Nara, capitale du sud du Japon. Il est malheureusement reparti assez rapidement en Chine, ce qui fait qu’il n’a laissé aucun successeur, que son enseignement ne s’est pas transmis et que seul reste de lui une épitaphe sur une pierre à Nara. Plus tard, le Vénérable Kakua – vrai disciple dans le Dharma du Maître Zen Bukkai (Fo-hai) de Katto – vint également au Japon, mais son enseignement ne fut pas prospère. Puis Eisai, successeur de Torin Esho, 8ème Patriarche de l’Ecole Zen Rinzaï Oryu, tenta de répandre l’enseignement en écrivant un traité, le "Kozen-gokoku-ron" (promotion du Zen et Protection de la Nation)7, formulé comme une demande à l’Empereur. Mais il fut ennuyé par le gouvernement des monastères de Nara et de Kyoto. Incapable d’enseigner le Zen originel, il créa une forme combinée de Tendaï, de Shingon et de Zen. Néanmoins, Maître Dōgen ayant parfaitement maîtrisé le vaste enseignement Rinzaï, il devint le successeur d’Eisai. Il a rendu 6 7

3ème année du règne de l’Empereur Yomei. Le titre exact étant : Le Traité de protection de l’Etat en recourant au Zen. xx


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visite à Maître Tendō Nyojō en Chine et a pu appréhender avec lui le grand sujet de la vie et de la mort. Puis il retourna au Japon en 1227, afin d’y répandre le vrai Dharma. Sincèrement, ceci fut une grande chance et une vraie bénédiction pour le Japon. Comme Bodhidharma, le 28ème Patriarche qui a été le 1er à partir en Chine et à y introduire le Dharma, Maître Dōgen est le premier à avoir introduit le Vrai Dharma du Bouddha au Japon. Même si, dans la lignée de la Chine des Song, Maître Dōgen est le 51ème Patriarche, ici au Japon étant le fondateur de notre Ecole, il en devient alors le 1er Patriarche. Même s’il y avait dans la Chine des Song de vrais maîtres et que leur enseignement était très répandu en tout le pays, et si Maître Dōgen n’avait pas eu la chance de rencontrer le vrai Maître qu’a été Tendō Nyojō, comment l’Œil et le Trésor de la Vraie Loi des Patriarches auraient-ils pu être clairement rendus accessibles ? A ce moment-là, la Chine était déjà dans une période de déclin du Dharma du Bouddha et les maîtres ayant atteints la compréhension se faisaient rares. Par conséquent, quelque chose manquait toujours, même si Musai Ryoha, Hsi-wen Ju-t’an (un Maître Zen remarquable de l’époque) et d’autres encore étaient prêtres de grands monastères. C’est pourquoi, Maître Dōgen s’apprêtait à retourner au Japon, du fait qu’il ne trouvait pas en Chine de vrai maître. Seul Maître Tendō Nyojō – 12ème descendant de Maître Tōzan – pouvait lui donner la transmission des Patriarches. Bien que Maître Tendō Nyojō n’ait pas divulgué le fait qu’il possédait la transmission, il ne le cacha pas à Maître Dōgen et lui transmis l’enseignement des Patriarches, ainsi que ses ultimes conseils. C’est une chose vraiment très rare et exceptionnelle. Aujourd’hui, Maître Dōgen nous donne ainsi la chance d’approcher les descendants de la tradition Zen Sōtō, tout comme cela s’est passé entre le 3ème Patriarche chinois (Kanchi Sosan) et le 4ème (Daii Doshin). Bien qu’il y ait quelques différences dans les traces laissées par les Patriarches indiens, chinois ou japonais, leur enseignement est pratiquement identique, car en finalité l’essence même du Dharma transmise comme telle est inaltérable. xxi


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Lorsque nous comprenons le Dharma du Bouddha, reste-t-il quelque chose de particulier en l’essence de l’esprit ? Avant toute chose, nous devons saisir que notre esprit originel est nature de Bouddha. Lorsque Maître Dōgen comprit totalement la Voie du Bouddha, il saisit que la pratique de la Voie, c’est abandonner le corps et l’esprit et se libérer des illusions. Si nous ne pouvons abandonner le corps et l’esprit, nous ne sommes pas dans la pratique de la Voie. Nous pensons tous que nous sommes faits de peau, de chair, d’os et de moelle, mais lorsque nous comprenons ce qu’est réellement le moi originel, nous réalisons naturellement que rien de tout cela ne nous appartient. De nos jours, les gens pensent qu’il y a deux façons d’interpréter l’esprit. L’un étant l’esprit de discrimination menant au relativisme, et l’autre étant la tranquillité qui ne montre alors aucune discrimination. Cette sérénité est considérée comme l’esprit, mais nous ne remarquons pas que même au sein de cette tranquillité se trouve l’essence de la conscience (perception). Les Anciens l’appelaient l’état de profonde et immobile clarté intérieure. Mais vous, apprentis, ne confondez pas, ne prenez pas ceci pour l’esprit (citta) ! Si nous regardons de plus près, nous constatons qu’il y a trois sortes de discrimination : l’esprit (citta), la cognition (manas) et la conscience (vijnana). La conscience est l’esprit de discrimination de l’amour-haine. La cognition est l’esprit de discrimination entre le chaud et le froid, les douleurs et le bien-être. L’esprit va au-delà du discernement entre le vrai et le faux ou entre les douleurs et le bien-être. Il est comme un mur fait de pierres et de bois. Il est vraiment calme comme s’il n’entendait ni ne voyait. Lorsque nous parlons du point de vue de l’esprit, c’est comme l’homme de bois ou la statue de fer : bien qu’ils aient des yeux ils ne voient pas, et bien qu’ils aient des oreilles ils n’entendent pas. Même si cela ressemble à l’esprit, il connaît le chaud, le froid, la douleur et le bien-être, c’est l’essence de la cognition. C’est de là que surgissent la cognition et la conscience. Nous ne devons donc pas prendre ceci pour l’esprit originel.

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Pratiquer la Voie, c’est être en dehors des notions d’esprit, de cognition et de conscience. Elles n’ont rien à voir avec l’idée du corps et de l’esprit. Nous devrions réaliser qu’il existe toujours une merveilleuse clarté spirituelle qui est imperturbable pour l’éternité. Si les étudiants du Zen observaient attentivement, ils pourraient sans doute la percevoir. S’ils parviennent à saisir cet esprit, le corps et l’esprit, pas plus que le moi et les autres (le sujet et l’objet) ne sont impliqués. C’est à ce moment-là qu’il est dit que le corps et l’esprit sont abandonnés. Arrivé à ce stade, si vous cherchez attentivement, même en regardant avec une centaine d’yeux, vous ne trouverez même pas un grain de poussière qui puisse être nommé peau, chair, os ou moelle. L’esprit, la cognition et la conscience ne sont plus non plus distincts. Comment alors pourriez-vous sentir le chaud, le froid, le peine, la joie ? C’est pourquoi l’on dit : « Quoi que vous regardiez, il n’y a rien [tout est absolu ; l’esprit originel n’a ni formes, ni relatifs]. » Lorsque Maître Dōgen a lui-même expérimenté ce stade, il a dit : « Le corps est l’esprit sont abandonnés. » Puis Maître Nyojō a confirmé ceci en lui répondant : « Corps et esprit abandonnés, abandonner le corps et l’esprit. » Et pour finir, il conclut : « Abandonner a été abandonné. » Une fois que nous avons atteint ce stade, nous sommes comme un gobelet de bambou sans fond ou un bol laqué troué. Peu importe s’il ne retient rien, vous constaterez qu’il n’est jamais vide. Que vous le remplissiez à ras-bord ou non, vous constaterez qu’il n’est jamais rempli. Ce stade est nommé "le gobelet sans fond" [perfectionner la Voie et finalement arriver au stade de la totale liberté]. Si nous pensons que nous avons atteint l’Illumination ou la réussite, nous ne sommes pas sur la Voie, c’est un simple jeu de l’esprit qui nous fait gaspiller notre énergie vitale. Les moines et les sages devraient pratiquer assidûment, afin de percevoir et de comprendre qu’il y a un corps, et qu’ils ne sont pas attachés au fait qu’il y ait la peau, la chair, les os et la moelle. Essayez d’abandonner ce corps, essayez de le quitter, vous verrez que cela vous sera impossible [parce qu’il est déjà abandonné]. xxiii


Eihei Dōgen | 永平道元

Parlant de ce stade-ci, il est dit que lorsque quelque chose est totalement achevé, il reste encore autre chose qui ne l’est pas [lorsque quelque chose est tombé dans le gobelet sans fond, il y a pourtant toujours quelque chose qui reste]. Si nous comprenons profondément cette étape, jamais plus nous ne douterons des enseignements des Vénérables Prêtres dans le monde et des Bouddha du passé, du présent, du futur. Touche finale Quelle est l’essence de ceci ? Voudriez-vous, je vous prie, écouter ? Cet état est clair et brillant, Il n’y a ni intérieur, ni extérieur. Comment peut-il y avoir un corps ou un esprit à abandonner ? [L’œil et le trésor de cet état sont l’esprit serein du Nirvana]. Eihei Dōgen | 永平道元

Ouvrage de Référence : Den Kō Roku | 伝光録 Compilation de la transmission de la lumière [nitescence] De Maître Keizan Jōkin | 瑩山紹瑾 Traduction Anglaise du Rd. Kosen Nishiyama Traduction Française de la Seror Jihō Myoshitsu

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Aperçu de la vie de Maître Dōgen.

Que peut ressentir un enfant de sept ans face à la mort, lorsqu'il découvre soudain qu'il est seul pour affronter la complexité du monde ? Plus tard, devenu adulte cet enfant écrit : « Pendant le peu de temps que dure votre vie fragile comme la rosée, pensez à la voie du Bouddha et à rien d'autre. » Les rares auteurs francophones qui l'ont étudié, sont unanimes pour dire que ce contact avec la mort, l'impermanence, moteur d'un système duquel nous avons une impression d'instabilité, a été à l'origine de sa vocation. L'enfant, c'est maître Dōgen (1200-1253) ; l'adulte, c'est le fondateur de l'école zen Sōtō japonaise. Le tout est l'homme qui est aujourd'hui considéré comme un des penseurs les plus originaux et profonds que le Japon ait légué à l'humanité au même titre qu'Aristote, Hegel, Sartre et Heidegger en occident. La tradition veut que Dōgen ait été le fils unique du ministre Kuga Michichika (décédé en 1202) et de la fille d'un poète réputé Fujiwara Matofusa (décédée en 1207). Son enfance, il la passa dans un milieu culturel et social privilégié. À l'âge de douze ans, il réussit à convaincre son oncle maternel de le laisser prendre les vœux de novice. Comme on envisageait pour lui une grande carrière ecclésiastique, il fut envoyé au Senkōrā de Yokawa considéré comme la référence de l'enseignement bouddhique grand temple Tendai sur le mont Hiei (Heizan). À quatorze ans, il reçut officiellement l'ordination de moine bouddhiste. Si la mort de ses parents est à l'origine de sa vocation, sa quête spirituelle est apparue l'année suivant son ordination de moine. Le jeune Dōgen butait sur un problème fondamental qui le troublait profondément : si tous les êtres possèdent la nature de bouddha, quel intérêt y-a-t-il à produire la pensée de l'éveil et de pratiquer l’ascèse ?


Approche sommaire

Le fait qu'il ne trouva pas de réponse satisfaisante peut nous faire supposer que sa véritable question - celle qui n'est pas reportée était bien plus complexe et moins sentimentale. Son œuvre - sa vie de moine durant- se développera par la suite, à partir de son refus du quiétisme qu'on lui offrait comme réponse au sein des courants bouddhiques japonais du moment. À la recherche d'une réponse, Dōgen quitta le Mont Hiei en 1217 ; on peut passer sous silence certaines de ses rencontres lors de ses pérégrinations. Mais, celle avec Myōzen est plus intéressante. C'est avec lui que Dōgen étudia neuf ans - dans une relation de maître à disciple - et ensemble, ils entreprirent le grand voyage vers la Chine des Song à la recherche d'un enseignement authentique. Voyage qui fût funeste à Myōzen, puisqu'il y laissa la vie. De son voyage en Chine, trois faits sont mis en exergue par ceux qui tentent de retracer sa vie et de comprendre sa pensée. Dōgen s'était fait à l'idée de devoir retourner au Japon, découragé de ne pas avoir trouvé en Chine un maître digne de ce nom Myōzen été déjà très souffrant - c'est à ce moment-là qu'il fît la connaissance d'un vieux moine cuisinier et que son voyage prit un tournant décisif. Une coïncidence ? Le cuisinier lui indiqua l'adresse du temple de maître Tendō Nyojo qu'il rencontra en 1225. De Cette rencontre naîtra par la suite la relation de maître à disciple qu'il souhaitait. C'est le premier fait. Plus tard, Dōgen dira de cette rencontre avec Tendō Nyojo qu'il y eut une reconnaissance immédiate et mutuelle. Il suivra son enseignement, celle de la tradition Ts'ao-tung (Sōtō en japonais) dont la doctrine principale est de pratiquer zazen. C'est le deuxième fait. Le troisième, mérite que l'on s’y attarde un peu plus longuement. Dōgen raconte - événements rapportés dans le Denkō-Roku de Keizan - que cela se produisit un matin très tôt, durant le zazen, son voisin somnolait et lui-même était perdu dans sa méditation. Soudain, Tendō Nyojo s’en prit à celui qui sommeillait et le frappa en criant : « La pratique de zazen, c'est dépouiller le corps et l'esprit. À quoi penses-tu arriver en somnolant ? » Dōgen sursauta, à ce moment-là, dit-il, il eut la parfaite compréhension, sa montagne de doute fut dissipée.

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DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'œil de la vraie loi

Des années plus tard, Dōgen confiait à Ejō,-celui qui deviendra son premier successeur “ Tout homme est équipé de la Voie, elle est inhérente à chacun, mais son éveil dépend des autres. Tout homme est doué d'intelligence et de qualités foncières, mais c'est par le soutien des autres qu'il progresse sur la voie. » II disait aussi que l'éveil est une transmission de SOI-MEME à SOI-MEME. Comment peut-on associer ces deux notions ? Dōgen de dire : « De même qu'il faut polir la pierre, il faut que l'homme s'astreigne à une pratique. “ Ainsi, on peut penser que le fait de rechercher l'éveil est une spécificité humaine, mais pour l’atteindre, il est nécessaire de cheminer vers son humanité qui s'exprime grâce à la pratique. De retour au Japon en 1228, après avoir reçu l'authentification de son Maître Tendō Nyojo, il consacra vingt années à enseigner ce que son maître lui avait transmis. Ces années peuvent être divisées en trois périodes distinctes : Au cours de la première, où il séjournait à Kōshō-ji, son enseignement est marqué par un libéralisme œcuménique qui rejette les distinctions traditionnelles entre laïcs et moines, hommes et femmes. Cet aspect libéral de Dōgen constitue encore aujourd'hui une des spécificités du zen Sōtō. Bien que par la suite il ait un peu revu ses positions. En 1243 commence sa deuxième période. Il abandonne son approche de vulgarisation pour se consacrer exclusivement à la direction d'un groupe de moines et se met à construire le temple d’Eihei-ji. On peut interpréter cela comme le désir de Dōgen de suivre les dernières recommandations de son Maître Tendō Nyojo de se retirer dans un endroit calme, loin du tumulte des villes et des compromissions. Dès ce moment, il met l'accent sur le fait qu'il est l'unique représentant de la tradition Sōtō. Il insiste sur l'importance de la lignée et l'enseignement de Tendō Nyojo , qui peut se résumer à la pratique exclusive de la méditation assise, shikantaza. Une notion qui va au-delà du simplement s'asseoir courant. S'il préconise d'être totalement dépouillé de toutes opinions personnelles pendant le temps de zazen, néanmoins dans toute son œuvre, il encourage l'adepte à se cultiver, à s'investir dans la vie quotidienne (Gyoji), mais sans prétention aucune (Mushotoku). Pour Dōgen, toute autre approche de l'éveil serait souillée par l'avidité et par la préméditation. C'est comme si xxvii


Approche sommaire

on était entravé par le Bouddha. Le shikantaza -toujours dans le temps de zazen - est selon lui l'expression subite de l'éveil à l'instar des Bouddhas et des Patriarches, shikantaza est inséparable de certaines attitudes de l'esprit telles que la foi et l'humilité. Car l'état d'esprit contribue également à l'abolition de la division entre soi-même et les autres, entre l'homme et son environnement. L'homme en harmonie avec son environnement immédiat constitue ainsi la cause principale de l'éveil, tandis que l'authenticité de la pratique et la rencontre avec un maître en constituent les conditions essentielles pour sa réalisation. Dans la dernière période, Dōgen ne semble plus s'intéresser aux questions métaphysiques de ses débuts. Il se consacre à la rédaction des règles monastiques propres à la tradition Sōtō zen. L'image qui ressort des études récentes sur Dōgen, est celle d'un moine détaché de toute ambition d'ordre social et préoccupé uniquement par la pureté de la doctrine. Cette doctrine qu'il compare au silence de Shakyamuni tenant la fleur et le sourire de Māhākashyapa en guise de réponse, celui auquel Bouddha aurait transmis le Shōbōgenzō. Pour Dōgen, son maître chinois, en lui transmettant l'essence de l'enseignement véritable du Bouddha - le trésor de l'œil de la vraie loi - avait agi selon la pure tradition et il était convaincu qu'il se devait de la poursuivre. Son œuvre principale qui se présente sous la forme d'une compilation de nonante-cinq livrets (95) regroupés sous le titre de Shōbōgenzō, constitue - selon Bernard Faure - un développement rhétorique qui vise non seulement à persuader, mais aussi à séduire, plutôt qu'un simple commentaire des kōans dont il fait référence. L'usage des Kōans par Maître Dōgen est différent de celui que l'on peut faire dans le zen de Maître Rinzai, il n'est pas systématique. Le seul et unique Kōan qui mérite que l'on s'y arrête serait celui de la présentation de la fleur par Bouddha. Le seul reconnu et le seul qui fut résolu. Dōgen est considéré comme celui qui a créé le langage philosophique japonais. Les sources, qu'il a utilisées, sont essentiellement les cinq recueils classiques du T'chan qui reportent les faits et gestes des grands maîtres indiens et chinois.

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DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'œil de la vraie loi

Jacques Brosse va jusqu'à comparer son style à celui de Luther et sa démarche à celle d'Heidegger. D'autres auteurs trouvent qu'il y a dans la pensée de Dōgen une certaine ressemblance avec la Phénoménologie de Husserl. Mais aucun auteur francophone n'a osé faire un parallèle entre la vision de Dōgen et ses contemporains mystiques Européens, sauf avec maître Eckhart pour quelques phrases choc, ou avec Saint François d’Assise ou saint Thomas d’Aquin pour le désir de pauvreté. Dans les écrits de la première partie de sa mission, on peut déceler une teneur “ philosophique “ et voir un certain radicalisme qui cède progressivement le pas dans la deuxième période, au conservatisme et au purisme. Il préconise une purification des motivations sectaires comme retour aux sources. Avant Dōgen, la tradition bouddhique japonaise était un syncrétisme de croyances populaires et de bouddhisme ésotérique. La purification des motivations sectaires selon lui est sortir ce bouddhisme-là de la gangue du syncrétisme réducteur. Le terme secte, ici, est pris dans le sens courant d'école, donc il diffère de celui qu'on lui prête aujourd'hui. Si on épure les mouvements qui se prévalent du bouddhisme de ce qu'ils ont d'éléments extérieurs, alors on retrouve le Bouddhisme pur, épure de tout syncrétisme, au-delà de toutes les divisions. Pour Maître Dōgen le zen Sōtō devrait l'expression du Bouddhisme. Le Dōgen œcuménique de ses débuts fait place au Dōgen qui commence à se définir comme le tenant strict de l'orthodoxie de 1'école Sōtō, allant jusqu'à refuser l'appellation “zen “. Pour lui, cela n'a aucun sens parce qu'au temps du Bouddha, cette spécification n'existait pas, le zen originel n'avait rien de Mahayana ou d'Hinayana. Pour lui, c'est une spécificité qui ne fait qu'ajouter une difficulté de plus. Le moine et poète Ryokan (1758-1831) disait au sujet du Shōbōgenzō : « Maintenant que j'examine les paroles de Dōgen, je réalise que le ton ne s'accorde pas avec les croyances communes (...) ; à qui ces paroles éloquentes étaient-elles destinées? Les préoccupations de Maître Dōgen étaient plutôt d'ordre pratique : former des disciples, les guider sur la Voie, pour qu'ils puissent à leur tour transmettre l'enseignement du Bouddha.

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Approche sommaire

En son temps, il s'adressait à des moines issus de la branche du Darumashu. Mais aujourd'hui, cette œuvre pourrait s'adresser à celles ou ceux qui cherchent 1' exemple concret d'une approche spirituelle avant de voir en lui uniquement une machine à penser ou le fondateur des règles de l'école Sôtô Zen. Pour saisir et comprendre le sens de son œuvre principale - le Shōbōgenzō - il ne suffit pas de se prévaloir Bouddhiste ou Bouddhologue. Sa pensée n'est pas d'un abord facile, pour la saisir, il est nécessaire non seulement de connaître parfaitement les écrits canoniques, les réponses des Patriarches du zen, mais surtout de pratiquer zazen. On ne peut que regretter l'absence d'études plus conséquentes, en langue française, de son œuvre mais aussi de l'homme, de sa psychologie et de ses matériaux. Il n'y a aucun doute, si on a accès à ces outils, que l’on puisse trouver dans l'enseignement de maître Dōgen une alternative pour une spiritualité renaissante.

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Prolégomènes

Cessez de vous préoccuper de la dialectique du bouddhisme et apprenez à vous regarder dans votre esprit – Fukanzazengi |普勧坐禅儀. Pour Dōgen, l'objet principal de la pratique n'est pas amasser des connaissances sur le bouddhisme, mais c’est d'être soi-même le bouddhisme qui se montre. Comme il n'a pas pu résoudre son questionnement, de lui-même, par le savoir et la connaissance, il a fait le choix de poursuivre sa quête en faisant l'expérience des dires des Bouddhas et des Patriarches. Il a fini par accepter que la pratique de la réalisation soit la réalisation en soi. Shinjindatsuraku | 身心脱落, c'est entrer dans la demeure du Bouddha. Notre quête reprend possession de notre quotidien. Rependre possession de son quotidien, c'est reconquérir son moi véritable. Reconquérir son moi véritable, c'est renoncer au moi présent. Renoncer au moi présent, c'est sortir des schémas qui prennent racine dans ce vouloir qu’il soit invariable. Dans le livret Genjō kōan, Dōgen dit : - Comprendre la Voie du Bouddha, c’est Comprendre le Soi. Comprendre le Soi, c’est s’oublier. S’oublier c’est se laisser attester par le dharma du Bouddha. Réaliser cela, c’est abandonner son narcissisme qui prend la forme d'un abandon du corps et de l'esprit chez Maître Dōgen, le shinjindatsuraku | 身心脱落. C'est lors d'une séance de pratique de zazen en Chine qu'il le réalise véritablement. S’oublier, c'est l'acceptation de vivre dans le samsāra. L'homme s'identifie trop souvent au monde (avidité, peur et ignorance), d'où la nécessité d'oublier ce moi-là. Sa libération ne lui viendra pas du monde, mais du regard qu'il porte sur ce dernier et sur luimême. La vérité a toujours une autre face, celle que nous avons perdue de vue. S’oublier est l'opportunité qui nous est offerte


Introduction

d'accomplir ce pourquoi nous sommes faits. C'est la réalisation vraie, la compréhension absolue. Concrètement, pour Maître Dōgen, cela implique l'abandon de l'obtention de l'Eveil, s’oublier pour se permettre d'être intime avec l'esprit de Bouddha, sa nature de Bouddha. Sokujin Zebutsu |即心是仏 [cet esprit-là est Bouddha], pour Dōgen, n'est pas une théorie, c'est un besoin de pratique qui devient l'éveil et la sagesse. C'est l'essence de la pratique du Bouddha [le zen]. Ceux qui ont choisi de suivre la Voie de Bouddha y accèdent par la relation [directe, de contact] de maître à disciple. Cette proximité permet la transmission du vrai Dharma. Dans cette approche, le Disciple doit dépasser le Maître et exprimer sa propre nature de Bouddha. Quand le Maître est trop présent, alors le disciple est faible et inversement. Dans le cadre de l’école Zen, cet échange réciproque est salutaire. Craindre la mort, c'est l’attachement erroné à une certaine conception de la vie et de la mort. Dans chaque moment il y a vie et mort. Dōgen dit : - Shōji |生死 est la vie de Bouddha. Si vous le détestez et le rejetez, alors vous perdez la vie de Bouddha. Si l'attachement à soi est abandonné, nous nous rendons compte que le processus de la naissance et de la mort - la souffrance - est une des expressions de la nature de Bouddha. Le monde où il est possible aux Bouddhas d’apparaître est vie et mort - le samsāra.

Rd. J.Y. Kakudō Pierre Gérard

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[1] Genjō Kōan | 現成公案 L’existence comme expression de l’éveil.

現 Gen. Ce terme peut être traduit s'il est utilisé comme un verbe par “apparaître“ et par “présence“ s'il est employé comme substantif. 成 Jō. Peut se traduire par “s'accomplir“ou “se réaliser“ 公案 Kōan. Désigne un écrit qu'on affiche sur un mur pour diffuser un décret public. Pourquoi : L'existence comme expression de l'éveil ? Selon Maître Gudo Wafu Nishijima le Genjō kōan pourrait se traduire par la loi réalisée de l’Univers. Pour Madame Yoko Orimo, la traduction devrait être - si on se réfère au “ Recueil de la transmission de la Lampe - Zenko dentōroku T.51, n°2007 - la réalisation du kōan comme présence." Le kōan est notre existence, la présence n’est que l'expression de l'éveil la réalisation du Dharma - la loi réalisée de l’Univers. Genjō kōan pourrait se traduire par - L'existence comme expression de l'éveil. Mots clés : Dharma, Eveil, Kesa, Soi. Noms Clés : Bouddha, Sangha, Bodhisattva, Phrases Clés : Comprendre la Voie du Bouddha, c’est Comprendre le Soi. Comprendre le Soi, c’est s’oublier. S’oublier c’est se laisser attester par le dharma du Bouddha.


Genjō kōan| 現成公案

Texte 1. Dès l’instant où tout est envisagé1 comme étant le Dharma du Bouddha, il y a éveil, illusion, pratique, vie, mort et êtres sensibles. Quand tout est considéré comme n’ayant aucune substance2, il ne peut y avoir illusion, éveil, Bouddha, êtres sensibles, naissance et mort3. Fondamentalement, la Voie de Bouddha se transcende d’elle-même, et n’a que faire des notions telles que richesse ou pauvreté. Néanmoins, la naissance, la mort, l’illusion, les êtres sensibles et l’éveil subsistent. Mais, penser ainsi n’évite pas le sentiment de regret de voir les fleurs tomber et l’exaspération de voir les herbes pousser. 2. Vouloir mener sa pratique dans l’unique dessein de parvenir à un éveil affirmé4 en ne se fiant qu’à son propre jugement est une illusion. Pratiquer et s’éveiller au cœur des phénomènes, c’est l’Eveil véritable. Parvenir à s’éveiller5 de ses illusions, c’est être un Bouddha. S’illusionner au sujet de l’éveil, c’est du ressort de tous les êtres sensibles. De plus, certains ont le pouvoir de continuer à s’éveiller, tandis que d’autres ne font qu’accumuler les illusions. Lorsque les Bouddhas ont été certifiés, ils n’ont plus ce besoin de se sentir reconnus et de s’affirmer comme tels. Et pourtant, ils ont tous fait en sorte de réactualiser leur expérience, en poursuivant leur pratique.

Il fait référence à la nature de chacun, à l'existence. Dōgen utilise exactement le terme ware|われ (jap.) ; désignant le sujet "je" ou le "moi". Le kanji chinois 我 qui désigne le “ je “, le “ moi “ se lit en japonais ware comme われ. Dans le bouddhisme chinois le kanji |我 est utilisé aussi pour traduire l’ ātman (skt.) : la substance, ou l'essence de quelque chose, la chose en soi distinct de sa fonction. Nous avons préféré garder la traduction de Kosen Nishiyama roshi “ comme n’ayant aucune substance“. 3 Référence au samsarā, non_naissance et non_mort fait référence au nirvaña. 4 Shō | 証 : un éveil visible pouvant être exhibé contrairement à kaku | 覺. 5 Réf.Livret [10] Daigo| 大悟 ; L’éveil parfait. 1 2

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DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'œil de la vraie loi

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3. Par notre corps et notre esprit — s’ils sont en harmonie et s’ils ne font qu’un — nous pouvons appréhender la vraie forme et entendre le vrai son des choses. Alors, ce n’est plus regarder une image se refléter dans un miroir ou le reflet de la lune dans l’eau. Néanmoins, si nous nous contentons d’observer les choses sous un seul angle, elles ne se révéleront à nous qu’à moitié. Comprendre la Voie du Bouddha [le Dharma du Bouddha], c’est comprendre le Soi. Comprendre le Soi, c’est s’oublier en tant que soi. S’oublier en tant que soi c’est se laisser attester par le Dharma du Bouddha6. Réaliser cela, c’est abandonner son corps et son esprit et toutes notions narcissiques. Dès ce stade sera atteint, vous vous détacherez de l’éveil, tout en continuant à vous y adonner sans y penser. Quand le Dharma authentique est transmis, le Soi-même [le soi véritable] apparaît. Dès l’instant où nous recherchons le Dharma — comme un objet extérieur à obtenir-nous nous éloignons de l’endroit initial où il demeure. 4. Si nous essayons de comprendre la nature des phénomènes à partir de nos perceptions compliquées, nous pourrions commettre l’erreur de croire que notre nature est permanente. En outre, si nous avons une pratique juste et que nous retournons au Soi [originel], nous pourrions voir avec évidence qu’aucune chose ne possède de soi permanent. C’est comme si vous étiez en bateau et que vous fixiez le rivage, vous finissez par imaginer qu’il bouge, mais si vous regardez dans la direction du bateau, alors vous découvrirez par contre que c’est le bateau qui bouge. 5. Dans l’enseignement de Bouddha, il n’a jamais été dit que la vie se transforme en mort. C’est le non_naissance7 qui est exposé dans l’enseignement du Dharma où la mort ne pouvant se changer 6 Il y a plusieurs traductions de cette notion proposée par Maître Dōgen. Elles varient selon les auteurs qu’elles soient anglaises ou françaises. « Connaître la Voie du Bouddha [le Dharma du Bouddha], c’est Comprendre le Soi. Comprendre le Soi, c’est s’oublier en tant que soi. S’oublier en tant que soi c’est se laisser attester par le Dharma du Bouddha ».Certains traduisent ce passage par : étudier la voie du Bouddha c’est s’étudier soi-même et d’autre par apprendre la Voie de l’éveillé, c’est s’apprendre soi-même. Le choix a été fait de traduire plutôt par comprendre le Soi qui est le Dharma du Bouddha mais non pas son soi limité psychologique. 7 Fushō |不生 non_naissance.

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Genjō kōan| 現成公案

en vie est désignée par non_extinction8. La vie et la mort ont une existence propre et n’ont entre elles de rapport que celui qu’entretient l’hiver avec le printemps. N’allez surtout pas penser que c’est l’hiver qui se change en printemps ou le printemps en été. Une fois que les bûches sont réduites en cendre, elles ne peuvent redevenir des bûches. Nous ne pouvons pas prétendre pour autant que la cendre soit un état potentiel de la bûche et vice versa. La cendre est radicalement de la cendre et la bûche est complètement une bûche. Toutes deux ont leur propre existence, leur passé, leur présent et leur avenir. Pareillement, quand les humains meurent, ils ne peuvent retourner à la vie. 6. Quand nous parvenons à l’éveil, c’est comme la lune se reflétant9 dans l’eau. La lune apparaît dans l’eau, mais elle n’est pas mouillée et l’eau ne se trouve pas troublée par sa présence. De plus, la lumière de la lune qui éclaire la terre entière peut se contenir dans une mare, une goutte de rosée et même dans une particule d’eau. L’éveil n’est pas une source de tracas. C’est comme la lune qui ne crée aucun problème à l’eau. Ne considérez pas l’éveil comme un obstacle à votre vie. Une seule goutte de rosée peut contenir la lune et le ciel tout entier. Lorsque le Dharma n’a pas encore été totalement assimilé par le corps et l’esprit, nous avons la fâcheuse tendance à croire que nous possédons la totalité du dharma et que notre travail est fini. Lorsque le Dharma est effectivement compris, nous avons le sentiment que quelque chose manque encore10. 7. Lorsque vous êtes sur un bateau en plein océan et qu’il n’y a aucune terre à l’horizon, si vous regardez dans toutes les directions, l’océan vous apparaîtra comme une immense étendue circulaire. Bien que l’océan ne soit pas une étendue circulaire et que ses spécificités soient infinies, c’est un palais pour les

Fumetsu |不滅 non_extinction. Metsu | 滅 peut vouloir dire tomber en ruine, périr.

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Yadoru | 宿 se loger, résider. Ref. Livret [45] Mitsugo 密語.

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poissons, un bijou précieux11 pour les dieux à nos yeux, il nous apparaît tout de même comme une immense superficie circulaire. Il en va de même pour toutes les choses de ce monde. Si l’on se réfère à notre point de vue, nous voyons les choses d’une manière sélective. Mais avoir une vision correcte des choses dépend essentiellement de notre pratique et rarement de notre point de vue. Pour appréhender toutes les formes du possible, nous devons étudier toutes les caractéristiques et les vertus des montagnes, puis des océans, en plus de notre façon de les percevoir. Nous ne devrions jamais oublier qu’il en va de même pour tout ce qui nous concerne. 8. Le poisson dans l’eau trouve l’océan immense, comme l’oiseau dans le ciel estime qu’il est sans limites12. Cependant, le poisson et l’oiseau n’ont jamais quitté leur élément. Ils s’en servent en toute liberté selon leur besoin et leur limite. Toutefois, si nous dissocions les oiseaux et les poissons de leur élément réciproque, ils périraient. Ainsi, l’eau représente la vie pour les poissons comme l’air pour les oiseaux. Les poissons dans l’eau représentent la vie comme les oiseaux dans les airs. Beaucoup d’autres choses peuvent être interprétées de la sorte, par exemple la pratique et l’éveil. Mais un poisson ou un oiseau qui essaieraient de comprendre l’eau ou l’air avant de nager ou de voler, ne trouveraient aucune raison à le faire dans ces éléments. Si nous pouvons comprendre ce point de vue, chaque instant de la vie devient genjō kōan. Si nous sommes sur la Voie, toutes nos actions sont, elles aussi, genjō kōan, tant bien même que ce chemin ne soit pas grand ou petit, qu’il n’ait aucun rapport avec nous ou les autres et encore moins avec le passé ou le présent. Il existe simplement. 9. Si nous pratiquons et réalisons la Voie de Bouddha, nous maîtriserons et pénétrerons chacun des dharmas. Entre autre, nous affronterons et surmonterons toutes les sortes de pratiques. En tout lieu, nous pourrons approfondir la Voie et élargir le 11 Dōgen fait allusion au collier de perles porté par les nobles dans l'Inde ancienne en sanskrit muktāhārā. 12 Le poisson dans l'eau et l'oiseau dans le ciel est la relation singulière entre le Soi, le moi et la pratique.

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Genjō kōan| 現成公案

champ de nos perceptions. Nos connaissances existent conjointement en nous et dans l’accomplissement du Dharma. Quand cet accomplissement est devenu le fondement de notre perception, il n’est plus nécessaire de croire à la nécessité d’une compréhension intellectuelle. Mais même si la réalisation se manifeste instantanément, elle n’est pas pour autant définitive. Un jour, un moine s’approcha et interpella Maître Hotetsu13 du Mont Mayoku qui s’éventait : « Il est dit de la nature du vent qu’elle est immuable et que ce dernier souffle partout. Pourquoi usez-vous donc d’un éventail ? “Bien que tu saches que la nature du vent est immuable, tu n’as pas compris le fait qu’il souffle partout, rétorqua le Maître14.” “Alors expliquez-le-moi.” Hotetsu ne répondit pas et continua à s’éventer. Finalement, le moine comprit et se prosterna devant lui ». 10. Expérimenter, réaliser et vivre le vrai Dharma est comme cela. Prétendre qu’il n’est pas nécessaire de s’éventer parce que la nature du vent est immuable et affirmer qu’il est possible de sentir l’air sans éventail, ne signifie pas que l’on ait vraiment saisi le sens de la nature immuable et le fait d’être présent partout. C’est parce que la nature du vent est immuable que la Voie du Bouddha transforme la terre en or et l’eau des rivières en lait sucré 15! Genjō kōan | 現成公案 Ecrit en automne 1233 à l’intention du disciple laïc Yō-kōshū de Kyūshū. Ce texte a été révisé en 1252

Successeur de Baso-itsu. Ici le maître demande au moine de cesser de théoriser et d'être un peu plus factuel (Dori | 道理). 15 Cho Ga | 長河 la voie lactée. 13 14

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[2] Maka hannya haramitsu | 摩訶般若波羅蜜 Prajñā-pārāmitā.

摩訶 Maka . Prononciation phonétique du mot sanskrit Mahā qui veut dire “ grand“. 般若Hannya. Prononciation phonétique du mot sanskrit prajñā qui traduit habituellement par “sagesse transcendante“. 波羅蜜 Haramitsu. Prononciation phonétique du mot sanskrit pāramitā ; une pratique si elle est bien menée, permet d’accéder à l’éveil. Pourquoi : Prajñā-pārāmitā ? Ce texte concerne le soutra de la grande sagesse, le Dai hannya haramitsu kyō [600 livrets]. Maka hannya haramitsu n’est que la transcription japonaise de la Prajñā-pārāmitā (skr) . Dans le texte nous n’avons pas traduit les termes comme : Prajñā-pārāmitā, Prajñā, Bodhisattva, Pretyekabuddha etc. Mots clés : Vacuité, Dharma, Préceptes, Prajñā, Pārāmitā Noms Clés : Shākyamunii, Kanzeon, Subhūti, Indra. Phrases Clés : Apprendre la vacuité, c'est s'instruire à partir de la prajnâ Apprendre la prajnâ, c'est s'instruire à partir de la vacuité.


Maka hannya haramitsu| 摩訶般若波羅蜜

Texte 1. Lorsque le Bodhisattva Kanzeon1 fît l’expérience et comprit la vérité par la pratique de la Prajñā-pārāmitā2, il put percevoir que tout existant était constitué de cinq agrégats3 et que, si on les examinait au moyen de la prajñā, ils étaient vides4. 2. Dès que vous aurez fait vôtre cette vérité, vous serez à même de concevoir l'expression : la forme est vide, le vide est la forme. La forme est forme et le vide est vide. Il en va de même pour les herbes et pour les phénomènes. Il est possible de saisir la Prajñāpārāmitā au travers des douze domaines des sens [les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps, l'esprit, la forme, l'odeur, le son, la saveur, la sensation et le raisonnement] additionnés aux six perceptions [la vision, l'audition, l'olfaction, la gustation, le toucher et le mental]. 3. Il y a quatre sortes de Prajñā-pārāmitā : 1- tout est souffrance ; 2- l'origine de la souffrance ; 3- la cessation de la souffrance ; 4- le sentier octuple5. Il y a six pratiques de Bodhisattva désignées par les six pārāmitā : le don, les préceptes, la pratique, la ténacité, la contemplation et la sagesse. Dans la Prajñā-pārāmitā, il y a trois façons d'appréhender la temporalité6, six sortes de perceptions de la matière et de la 1 Kanjizai-Bosatsu |観自在菩薩 Avalokitesvara, le Bodhisattva de la compassion. Cf. livret N°. 18. 2 Prajñā (Skt) : la connaissance supérieure ou la meilleure. , Pārāmitā (Skt) : Perfection 3 Go un |五 蘊 (jap.). La forme, la perception, la conception mentale, la volonté et la conscience. 4 Sūnyatā (skt) ou Ku | 空 (jap.). 5 Les quatre nobles vérités | 四諦. 6 Le passé, le présent et le futur.

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spiritualité qui se fondent sur la terre, le feu, le vent, l'air, l'esprit et quatre champs d'observation de nos faits et gestes7. Toutes les formes de Prajñā-pārāmitā, sans distinction, s'actualisent dans la perpétuité de l'instant présent, c'est-à-dire l'Eveil parfait [compréhension absolue]8. Dans le sangha de Shākyamunii, il y avait un moine qui nourrissait une grande inquiétude au sujet de la prajñā. Il ne cessait de se répéter : - J'éprouve un profond respect pour la Prajñā-pārāmitā et ses mérites qui sont exprimés par les cinq aspects du dharmakāya [les préceptes, la contemplation, la sagesse, le détachement et la compréhension intellectuelle bâtie sur l'esprit de l'abandon]. Il en va de même pour les quatre étapes de la pratique de l'Hinayana à savoir : l-sotāpanna, l'abandon des vues erronées ; 2-sakagamin, le stade où il n'y a plus qu'une vie avant le nirvāna ; 3- anagamin, le stade de non-retour à la vie dans ce monde ; 4- sravaka, l'éveil en écoutant l'enseignement de Bouddha. Je n'ignore rien du pratyekabuddayana, du véhicule de l'éveil par soi-même, des Bodhisattvas, de l'Eveil parfait, du respect des trois trésors, du fait de devoir tourner la roue de la loi, et de faire vœu de sauver tous les êtres. Shākyamunii percevant ce qu'il pensait secrètement lui dit : - Ce, à quoi tu penses est vrai. Cependant, la grande Prajñā-pārāmitā ne pourra jamais être explorée et saisie par ton intellect. Le moine était intrigué par les phénomènes et vouait une attention toute particulière à la prajñā, celle qui dévoile l'origine de la souffrance. Si nous respectons la prajñā, tout s'actualise naturellement. C'est ce qui est désigné par Préceptes, Samadhi, Intuition et les Vœux de sauver tous les êtres, mais aussi par la vacuité. Cela se produit selon les principes développés précédemment. Elle est acceptée comme Prajñā-pārāmitā profonde et subtile, même s'il nous est impossible de l'évaluer.

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Marcher, se tenir debout, s'asseoir, se coucher. Daigo |大悟 Livret N°10. 9


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4. Indra demanda : - Vénérable Subhūti9, comment devraient s'y prendre un Bodhisattva et un Mahasattva, s’ils souhaitaient approfondir la Prajñā-pārāmitā ? - Ô Indra, le Bodhisattva et le Mahasattva qui voudraient apprendre la Prajñā-pārāmitā doivent étudier la vacuité. Apprendre la prajñā, c'est s'instruire à partir de la vacuité. Apprendre la vacuité, c'est s'instruire à partir de la prajñā. - Ô seigneur Bouddha ! Comment les disciples fervents doivent-ils protéger la Prajñā-pārāmitā qu’ils ont reçue et dont ils se réclament ? S'il-vous-plaît, montrez-nous et enseignez-nous la méthode juste. C'est Subhūti qui répondit à la place de Bouddha : - Ô Indra ! Penses-tu que l'on puisse protéger le Dharma ? - Non vénérable, je ne connais aucune méthode de protection qui le puisse vraiment. - Ô Indra ! La Prajñā-pārāmitā protégera sans relâche le Dharma, si les disciples - femmes et hommes - suivent l'enseignement de Shākyamunii. Nous ne devrions pas oublier que les humains et les êtres sensibles qui s'évertuent à le rechercher à n'importe quels prix, finissent par trouver cela difficile et ne l'obtiennent finalement jamais - Ô Indra ! Si tu veux protéger le Dharma, tu dois suivre l'enseignement du Bouddha. Il n'y a aucune différence entre la Prajñā-pārāmitā, les Bodhisattvas et la vacuité. Nous devrions prendre conscience que s'instruire, chanter, lire les soûtras, veut en réalité dire protéger et préserver la prajñā. Les deux termes “ Souhaiter et protéger10“ devraient être utilisés dans le sens de préserver, de chanter et de lire les soutra, etc.

Un des dix grands disciples de Bouddha. Il a été celui qui a le mieux comprit cette notion de Sūnyatā. 10 Dai-Hannya-kyo. 9

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Mon dernier Maître, Nyojō, disait : Le moi, est une bouche béante Suspendue au vide De quel sens vient le vent ? C'est sans importance. Les cloches à vent ont toutes le timbre de la prajñā Lorsqu'elles instruisent la Vraie Sagesse Ding ding ding.11 5. Ce sont les paroles d'un sage - le son de la Prajñā - qui ont été transmises successivement de génération en génération de Bouddha et de Patriarches. Le moi véritable, les autres et les quatre directions sont l'expression de la sagesse. 6. Shākyamunii dit à Subhūti : - Tous les êtres sensibles devraient respecter et vénérer la Prajñā-pārāmitā de la même manière que Bouddha. À chaque moment où tu songes à la Prajñā-pārāmitā, tu devrais la voir comme une offrande faite au Bouddha. Car la Prajñā-pārāmitā n'est pas différente de Bouddha et vice versa. Subhūti, l'éveil de Bouddha lui vient de la Prajñā-pārāmitā. Les Bodhisattvas, les Mahasattvas, les Pretyekabuddhas, les Arhats et ceux qui ont atteint anāgāmin, sakadāgain et sotāpanna sont aussi issus de la Prajñā-pārāmitā. Même les dix préceptes, les quatre types de méditation, les quatre sortes de méditations sur la vacuité comme les cinq pouvoirs miraculeux12 sont tous issus de la Prajñā-pārāmitā.

11 Ces vers est un extrait du recueil Nyojo-Osho-go-roku ; compilation des propos de Maître Nyojō. 12 Les cinq pouvoirs sont explicités dans le livret n°35 Jinzū | 神通 - Pouvoirs miraculeux.

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7. C'est pour cela que tous les Bouddhas ne sont que Prajñāpārāmitā. La Prajñā-pārāmitā est la totalité du Dharma du Bouddha, et ce Dharma est la forme de la vacuité - ni naissance, ni mort, ni pureté, ni impureté, ni gain, ni perte. La manifestation de la Prajñā-pārāmitā est la manifestation de Bouddha. Si vous cherchez la vérité, alors apprenez que respect de la Prajñāpārāmitā est la rencontre avec le Bouddha et que vous ne pouvez pas prétendre l'avoir rencontré si vous ne lui êtes pas dévoués.

Maka hannya haramitsu | 摩訶般若波羅蜜 Prononcé devant les moines à Kannondôri-in durant la sesshin d'été 1233 Retranscrit par Ejō en mars 1244 à Kippôji dans la préfecture de Fukui

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[4] Shinjin gakudō | 身心學道 Pratique conjointe corps et l’esprit

身心Shinjin. corps, esprit. 學, 学 Gaku. Etudier, apprendre. 道 Do . Voie, conduite. Pourquoi : pratique conjointe corps et esprit ? Alors que Shin jin gakudō littéralement donnerait ceci : Etude de la voie par le corps et l’esprit. Il y a une difficulté de traduction avec le terme étudier “ 学 gaku “. Car il sous entend le fait qu’il ait compréhension. Etudier la voie pour maître Dōgen c’est avant tout comprendre et comprendre la voie – dans le sens actif - c’est pratiquer. Le choix a été fait de traduire Shinjin Gakudō par : “Pratique conjointe le corps et l’esprit“. Mots clés : Bouddha, dharma, esprit, ordinaire, non_penser, hotsubodaishin. Noms Clés : Hyakujo, Bodhidharma, Kokushi. Phrases Clés : Le désir de l'esprit d'éveil est pur et innocent comme l'esprit d'un nouveau-né. Dès que la pratique s'épanouit, par l'esprit d'éveil, nous comprenons que toutes les formes de soi sont en réalité le non_soi.


Shinjin gakudō |身心學道

Texte 1. La Voie qui mène à la bouddhéité est une Voie sensée sur laquelle on ne s'égare pas. Mais si vous accordez trop de crédit aux interprétations de ceux qui n'y ont jamais adhérée1, vous risqueriez de vous perdre. Car il peut nous sembler que pratique et réalisation n'aient rien en commun. Elles sont difficiles à harmoniser et si nous n'y parvenons pas, nous risquons l'égarement. C'est pourquoi, depuis Shākyamuni et de génération en génération, tous les Bouddhas ont fait en sorte que leur pratique et leur réalisation s'harmonisent, disait Maître Nangaku Ejō2. Nous devons veiller lors de notre évaluation - au sujet de la Voie - à ne pas commettre d'erreur. 2. Il y a deux manières d'appréhender la pratique bouddhique, l'une par l'esprit et l'autre par le corps. Dès le début de notre démarche, il est nécessaire de comprendre les différentes caractéristiques que l'on prête à l'esprit3. Une fois qu'elles ont été comprises, il nous faut encore susciter l'esprit d'éveil4. Si notre recherche est sincère, alors il nous sera donné de ressentir la compassion de Bouddha, de maîtriser la pratique et la réalisation. 3. Développer l'esprit d'éveil n'est pas facile, mais le nôtre pourrait se manifester en observant la vie, en étudiant l'enseignement ou en s'inspirant des expériences des Patriarches du passé. Si nous Icchantika (skt). C’est ainsi que Bouddha nomme celui qui tue, vole, et ment au sujet du Dharma et conduit les autres dans ses erreurs. 2 Nangaku Ejō |南嶽懷讓 (677-744) successeur de Maître Daikan Enō |慧能. 3 Terme utilisé pour esprit 心 (jap.) qui regroupe tous les sens suivants : le cœur, l’esprit, les dispositions d’esprit, les pensées, la réalité absolue ou en sanskrit : citta (esprit) manas (mens) – karida (organe) – irida (conscience). 4 Bodai Shin | 菩提心 cf. le livret N°54 Senjō | 洗淨. 1

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apprenons sérieusement, nous pouvons nous rendre maître des différents états comme : kobusshin, esprit originel des vieux Bouddhas, hei-joshin5, conscience des trois mondes, sengai isshin, soi universel. Dès que la pratique s'épanouit, par l'esprit d'éveil, nous comprenons que toutes les formes de soi sont en réalité le non_soi. Le non_soi est l'esprit qui n'est pas fragmenté, celui qui est au-delà de toutes discriminations et toutes analyses. Pour comprendre la Voie, nous avons besoin de penser sans penser. 4. La remise par Bouddha du Kesa d'or à Mahākāsyapa, le sceau de la transmission que Bodhidharma légua à Eka en lui disant : - tu possèdes ma moelle, la certification que Kōnin concéda à Enō qui pilait son riz, ne sont que l'illustration de l'étude par l'esprit. Mais simplement se raser le crâne et porter l'habit noir est une indication de la détermination de celui qui veut étudier la Voie par l'esprit. Vous devez rechercher la Voie avec la même détermination que Siddhārta lorsqu'il renonça à ses privilèges de prince et qu'il troqua son esprit étroit contre celui de l'esprit originel. Ainsi, le moi doit effectuer un revirement si vous souhaitez étudier la Voie. 5. Renoncer au monde peut être perçu comme une sorte de discrimination – créant un monde de laïc et de religieux. Mais faire le choix d'une quête n'est pas une affaire du raisonnable. Ce n'est qu'une étape vers le “ non_penser “ qui est au-delà du désir d'obtention de la connaissance. Si vous atteignez l'état du “ non_penser “, alors vous vous rendrez compte de la pureté de votre esprit véritable. C'est du “ non_penser “ que vous devriez examiner les phénomènes. Toutes les actions des Bouddhas se fondent sur ce principe du “ non_penser “. Votre compréhension ira en grandissant, si vous le pratiquez assidûment. Tous, nous possédons l'esprit de Bouddha mais, sans la pratique de la Voie, jamais il ne se révélera. En prenant exemple sur les anciens et leur persévérance, notre véritable esprit se manifestera de lui-même. Une fois l'esprit manifesté, le sceau de la transmission pourrait nous être donné.

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Byojoshin |平常心 L’esprit normal, esprit dans la réalité des trois mondes. 15


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6. Que peut-nous apporter le contact avec l'esprit originel ? Le fait de reconsidérer la diversité des formes que peuvent prendre les montagnes, l'eau et la terre. Il y a toutes sortes de montagnes. Il y a celles qui sont semblables au Mont Sumeru, d'autres recouvrent d'immenses surfaces, certaines sont hautes et d'autres ne le sont pas. L'eau se manifeste tant dans le ciel que sur la terre. Il y a des grandes rivières, des petits ruisseaux, des grandes et des petites mares, des lacs et des océans. Qui oserait prétendre pouvoir décrire exhaustivement les multiples formes que peut prendre la terre ? Souvenez-vous que le sol n'est pas toujours la terre et inversement. La superficie d'un champ n'implique pas forcément qu'il soit fertile. Il en va de même avec l'esprit originel, même si nous en disposons tous, il ne donnera des fruits que grâce à la pratique. Symboliquement, il y a la terre du cœur et la terre du trésor. Toutes ces terres ont pour origine l'expérience de la réalisation. Montagnes, rivières et terres ont toutes comme origine le "vide" et leurs manifestations sont vides de toute forme. 7. Chacun a son propre entendement des phénomènes. Nous prêtons au soleil, à la lune, aux étoiles et à l'eau toutes sortes de significations. Par exemple, les personnes qui ont une vue matérialiste ne verront rien de spécial dans l'eau. Mais celles qui ont une vision spirituelle y verront un immense trésor. Différents points de vue, expériences différentes. Pour voir véritablement les choses, nous devons les accueillir comme elles sont et faire en sorte qu'il ait relation entre le sujet à l'objet. Ainsi, les choses seront comprises dans leur essence, car notre esprit n'est plus animé par l'action d'un mental fragmenté. Ne pensez pas pour autant que tout n'est qu'élucubration de l'esprit. Habituellement, nous pensons que la terre, les rivières, le soleil, la lune et les étoiles sont hors de l'esprit, mais, en vérité, elles font un avec lui. Abandonnez toutes notions d'intérieur et d'extérieur, de naissance et de mort, car l'esprit non fragmenté ne se trouve ni à l'intérieur, ni à l’extérieur ; il s'en va et il s'en vient sans aucune propension. Chaque pensée est distincte. Chacune d'elle est une création singulière, vitale et brève [une pensée : montagnes, eaux, terres ; autres pensées : montagnes, eaux, terres différentes].

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8. L'esprit non_fragmenté6 n'est pas concerné par les notions de grand et de petit, de loin et de proche, d'être et de ne pas être, de gain et de perte, de gratitude et d'ingratitude, d'éveil et de non_éveil. Il transcende les opposés. Dans le bouddhisme, l'étude par l'esprit est un moyen de parvenir à la stabilité. Nous devons accepter les choses comme elles nous viennent car elles sont indépendantes et éphémères. Nous devons faire attention à ne pas confondre la réalité avec l'idée que nous nous en faisons. Par exemple, ce, à quoi peut ressembler une maison est différente de son apparence réelle. Il y a une grande différence entre le fait de quitter son domicile et celui de renoncer au monde. 9. Dans le bouddhisme, il y a différentes manières de parvenir à la vraie connaissance. C'est pourquoi, les maîtres transmettent le dharma à leurs disciples en prenant en considération leurs aptitudes et en respectant leurs différences. Si nous voulons mener notre recherche hors de tout protocole, nous devons être attentifs au fait que les notions telles que les trois mondes ne sont que l'esprit ou le dharma, ne deviennent pas une érudition abstraite. Nous utilisons les termes se référant à la maison comme “ murs, tuiles, pierres “ pour illustrer le fait que les trois mondes ne sont que l'esprit. 10. Le maître Zen Sōzan qui vivait au temps de la dynastie des T'ang, avait montré un début de compréhension du bouddhisme avant la période Kantsu (860-873), mais ne connut la réalisation complète qu'à la fin de cette période. Totalement éveillé, il aurait pu se faire éclabousser ou être traîné dans la boue par des médisances sans être vraiment inquiété. Le fait d'être un homme libre, détaché de la notion de représentativité lui procurait une certaine force. Un pilier, une clôture, un mur ou une lanterne de pierre ont tous le même esprit, mais il ne peut toutefois pas être comparé à celui du cosmos tout entier. Une clôture, une lanterne resteront toujours une clôture et une lanterne. Si notre vision est juste, nous ne pouvons que considérer chaque objet tel qu'il est. L'esprit du Bouddha implique les dix directions et il ne contient aucun d'obstacle à la réalisation. Si notre perception des phénomènes est complète, elle les embrassera toutes. 6

Hen |片 partie, fragment. 17


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11. Hotsubodaishin7 est l'esprit d'un véritable disciple du Bouddha. Prendre cette décision, c'est vouloir vivre en contact constant avec l'esprit de Bouddha. Les questions au sujet de la naissance et de la mort, le désir du nirvana etc. deviennent des ressources essentielles pour y parvenir. Nous ne devons pas attendre le moment idéal ou l'endroit propice pour s'y adonner ; l'éveil ne dépend ni des circonstances, ni des lieux et encore moins des facultés intellectuelles. L'esprit de Bouddha émerge de lui-même et il en a toujours été ainsi. Il ne repose pas sur des notions comme celles de l'existence ou de la non-existence et celles du bien ou du mal. Lieux, circonstances ou karma n'ont aucun ascendant sur lui. 12. Pour certains, l'esprit de Bouddha n'existe pas, puisque dans la doctrine bouddhique il n'est pas question de début et de fin. Il ne faut pas oublier qu'il est autonome et peut apparaître n'importe où. Il est le fondement même de la réalité. Lorsque notre pratique atteint sa maturité, nous prenons conscience que le monde du Dharma est protégé par hotsubodaishin. Souvent, les gens essaient de changer le cours des choses, évidemment cela n'est pas possible. Il nous faut abandonner notre cupidité et nous consacrer totalement au développement de notre compréhension de la Voie. 13. L'objectivité et la subjectivité devraient fonctionner d'un seul accord, comme une seule entité. Certains pensent que seuls les Bouddha possèdent ce désir de parvenir à l'éveil. À vrai dire, il est présent en enfer, dans les démons, les animaux et les asuras. Le désir de l'esprit d'éveil est pur et innocent comme l'esprit d'un nouveau-né. Avec cet esprit, les choses nous apparaissent plus nettes, sans pour autant cesser d'exister par elles-mêmes. Toutes les infimes parties du monde phénoménal sont toutes en relation entre elles. Il ne s'agit plus de parties distinctes mais d'un ensemble. Il en va de même pour les apparences physiques [une feuille de lotus paraît ronde, l'arête d'un diamant semble effilée] qui ont toutes une forme qui leur est propre, mais ces formes sont du domaine du monde des phénomènes et ne peuvent pas être considérées comme une base de référence. 7

Hotsu bodai shin| 發菩提心 cf. le livret n°63. 18


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14. Au sujet de l'esprit d'éveil, on raconte l'histoire suivante. Un jour, un moine vint voir Maître Daishō Kokushi et lui demanda : - Qu'est ce que l'esprit originel des vieux Bouddhas 8? - Tuiles, haies, murs et pierres, répondit Daishō Kokushi. 15. Généralement, ces choses ne sont pas vues ainsi, mais pourtant elles expriment toutes l'esprit de Bouddha. “Murs, tuiles et pierres “ symbolisent l'esprit ordinaire. Bien que cet esprit n'ait aucun rapport avec le passé ou le futur, il est actif actuellement et n'a de rapport qu'avec l'instant présent. Le passé est abandonné, car il est passé ; le présent et le futur sont contenus dans chaque instant. Maintenons notre esprit dans le présent. Si nous entretenons la nostalgie des temps passés, notre vision reviendra comme elle était par le passé et elle en sera faussée. L'esprit ordinaire ouvre ses portes à chaque instant de l'existence. Le passé, le futur, la naissance et la mort y ont tous accès librement. Le ciel et la terre ne doivent pas être vus ni au présent, ni au futur, sachez qu'ils coexistent dans chaque instant qui s'écoule. Les gens ne se préoccupent guère de la composition du ciel ou de la terre jusqu'au moment où apparaît l'imprévu. Un éternuement inopportun et soudain, pour moi, est semblable à un écho qui manifeste la brièveté de la vie de la terre et du ciel. Tout ce qui est contenu dans le sens donné au ciel et la terre et de sa relation avec l'esprit, se réduit à l'éternité de l'instant. Si nous n'arrivons pas à comprendre cela, il ne nous sera jamais donné de saisir la signification d'un éternuement ou l'importance des faits qui nous paraissent anodins. 16. Tous nos actes ont pour creuset l'esprit ordinaire. La plupart du temps, nous l'oublions. Les Bouddhas, eux, en sont toujours conscients. Si nous avons le corps de la loi - la solution pour atteindre l'éveil suprême - nous pénétrerons la Voie de Bouddha sans aucun doute. Le désir d'éveil ne dépend que de nous, mais pas d'autrui. C'est cela accéder à la Voie en étudiant par l'esprit. 17. À présent, voyons comment accéder à la Voie en étudiant par le corps. Cette approche est plus difficile que celle de l'esprit. La 8

Cf. dans le livret n°9 Kobusshin |古佛心. 19


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compréhension par l'approche intellectuelle doit faire unité avec la pratique par le corps. Cette unité est appelée “ le corps humain véritable “9, c'est aussi la perception de l'esprit ordinaire dans les phénomènes. Si nous pouvons harmoniser la pratique avec notre corps, le monde dans sa totalité sera perçu dans sa forme véritable. Si nous réalisons le corps humain véritable, nous serons préservés du mal, tout en sauvegardant les huit préceptes en même temps que le vœu de protéger les Trois Trésors. Le corps humain véritable est le véritable but de la pratique bouddhique. Tous ceux qui cherchent la Voie devraient l'avoir continuellement à l'esprit et par la même occasion, laisser tomber leur vue erronée. 18. Selon le Maître zen Hyakujō10, les humains ont tous originellement la faculté d'œuvrer dans le détachement comme Bouddha et notre corps est Bouddha. Si nous prenons cela au premier degré, nous pouvons croire qu'il n'est pas nécessaire de pratiquer ou de parvenir à l'éveil pour réaliser la Voie Bouddhique. Cette déclaration de Hyakujō n'est pourtant pas ésotérique. Ce genre d'affirmation audacieuse ne peut être émis que par quelqu'un qui aurait accumulé des années de mérite par la pratique et fait l'expérience de l'Eveil. S'il nous est permis de parvenir au même rang que Hyakujō, nous pourrions faire la merveilleuse expérience de cet Eveil. Ce stade se distingue par un complet détachement, une parfaite sérénité et une harmonie entre le concret et l'abstrait. À ce niveau, nous pouvons aider les autres à trouver le salut par la diffusion du Dharma. 19. Il y a trois façons de diffuser le Dharma. Nous pouvons prendre appui sur notre expérience personnelle, ou utiliser la vie et les dires des autres ou encore enseigner en montrant l'exemple. Répandre le Dharma ne se fait qu'au bénéfice d'autrui, bien qu'expliquer le Dharma ne soit que le déploiement de notre pratique et transcende les questions relatives au moi et au tien. Pour diffuser le Dharma, il est important de s'oublier soi-même. Si nous y parvenons, la force de notre enseignement, par son retentissement, balaiera toutes les instructions fausses. 9 10

Shinjitsunintai | 真実身. Hyakujō Ekai| 百丈懷海 (749-814). 20


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Comprendre par la pratique a toujours existé depuis les temps les plus reculés et c'est une bonne méthode pour approcher la vérité bouddhique. Nous devrions avoir la même détermination que celle du Patriarche Eka qui s'est coupé le bras afin de démontrer à Bodhidharma le sérieux de son engagement. Finalement, il reçut la moelle de son enseignement qu'il transmit en héritage aux générations futures. Eka a diffusé le Dharma pour son bien et pour celui de ses semblables. 20. Notre monde se définit par les dix directions. Chacune d'elles contient dans sa totalité le fondement originel des autres directions. Ainsi les points de l'espace ou du temps, individuellement, contiennent tous les éléments de la vie. Ils sont nécessaires à la compréhension de l'esprit ordinaire. Il y a souvent confusion entre le concret, l'abstrait et l'esprit ordinaire. Ce n'est pas juste. L'esprit ordinaire n'est pas autre chose que notre moi véritable qui se constitue en Bouddha et qui ne s'oppose à aucune des dix directions. Les dix directions sont contenues dans la vie ordinaire. C'est peut-être la première fois que vous entendez ce genre de propos. Garder à l'esprit que chacune des directions [temps] et chacune des divisions [espace] peuvent être saisies en une expérience. Elles ont toutes la même importance et existent ensemble dans la vie ordinaire. Pour la majorité des gens, il est impossible qu'un grain de poussière puisse contenir le monde dans sa totalité. Leur compréhension se fonde sur des vues superficielles. Avec une perception juste, un grain de poussière ou un quelconque objet petit ou grand peut être vu comme un monde indépendant qui contiendrait toute une multitude d'expériences. Si nous avons la compréhension juste, une pagode ou un monastère peut être construit dans un grain de poussière, chaque parcelle de vie possède cette possibilité d'être sans limites. De plus, même nos locaux - dortoirs, pagode et salle de méditation - contiennent tous les mondes possibles. Dans l'expression "la totalité du monde est contenue dans chaque particule", il n'est pas question d'espace, mais d'expérience. Quand l'expérience n'est pas concernée par des notions discriminantes et qu'elle contient tout, l'éveil se retrouve n'importe où. L'esprit ordinaire est notre corps véritable et nous devons étudier la Voie

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Bouddhique à travers l'étude du Soi11 véritable. Si nous maîtrisons cette Voie, nous devenons peu à peu conscients du sens profond de nos actes de tous les jours, comme de s'incliner, de peindre ou de lustrer. Le temps passe, mais la vie se métamorphose. Après avoir renoncé au monde, votre situation apparaîtra moins enviable que celle d'un ramasseur de fagot ou de celle d'un paysan. Mais dès que vous vous asseyez en zazen, intérieurement, vous êtes un Bouddha et vous êtes aussi riche qu'un prince. Cette Voie est au-delà du bon ou du mauvais, de l'illusion ou de l'éveil et de toutes les oppositions. 21. Pour les gens ordinaires, la naissance et la mort ne sont qu'une transformation. Pour les saints qui ont transcendé le profane et cheminent sur la voie spirituelle, les notions de naissance et de mort sont rejetées. Soyez au clair avec la mort et la vie, acceptezles telles qu'elles sont. Alors vous n'aurez plus jamais peur. La vie et la mort coexiste dans le présent. Encore mieux, la vie est la vie, la mort est la mort. Ces deux facteurs ne s'opposent pas entre eux et ne s'expliquent pas logiquement12. Généralement, les gens ordinaires comparent la vie à un chêne et la mort à quelque chose d'inerte. Quelquefois, la vision que l'on a de la vie d'un chêne diffère de sa vie réelle. Parfois, l'idée que l'on se fait de la vie est en contradiction avec ce que nous vivons réellement. Si nous avons une vue juste de la vie, elle n'est jamais un obstacle. Elle ne vient pas en premier, comme la mort ne vient pas en dernier ; la vie ne s'oppose pas à la mort comme la mort ne s'oppose pas à la vie. 22. Maître Engo13 Kukugon disait : - La vie contient toutes les activités de la vie et la mort contient toutes les activités de la mort. La vie et la mort sont l'activité du vide infini14. Engo a laissé beaucoup de propos concernant la vie et la mort, sans toutefois pouvoir donner une explication claire. Ainsi, pour comprendre ce qu'il a dit, nous devons faire l'expérience de l'esprit ordinaire. La Genjō Kōan |現成公案 livret n°1. Shōji|生死 livret n°91. 13 Maître Engo Kokugon (1063-1135) est celui qui a fait la compilation du Heikiganroku , connu aussi sous le titre “ Blue Cliff Record “. 14 Zenki | 全機 livret n°22. 11 12

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vie et la mort apparaissent et disparaissent sans discontinuer, en un va-et-vient perpétuel. Tête, queue, mains et pieds bondissent tous à travers l'univers. L'esprit ordinaire est la pure observation de la vie et de la mort par le corps et par l'esprit. N'oubliez pas que la vie et la mort peuvent être vues dans un grain de poussière, mais ne peuvent être comprises par un raisonnement logique. 23. L'éveil et l'illusion cohabitent, semblables aux falaises ou aux coteaux dans un plat pays. Nous pouvons penser que l'école zen du sud et celle du nord puissent cohabiter de la même façon. La véritable liberté n'est que transcender les opposés, découvrir la réalité vraie, pour finalement arriver au détachement.

Shin Jin Gakudō |身心學道 Prononcé devant les moines d'Horinji en septembre 1243

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[5] Sokushin zebutsu | 即心是仏 Cet esprit-là est Bouddha.

即Soku. Se traduit généralement par "ici et maintenant" ou conforme à. 心Shin. Peut vouloir dire à la fois : - l’esprit, le mental, la conscience mais aussi le cœur. 是Ze. Le verbe être. 仏 Boutsu. Bouddha, éveillé. Pourquoi : Cet esprit-là est Bouddha ? Alors que Sokushin zebutsu | 即心是仏 peut se traduire par l’esprit en soi est le Bouddha ou encore par le cœur en soi est éveillé. L'accent a été mis sur Soku | 即 pour exprimer cette notion d'être totalement là - ce qui se réactualise instant après instant. Nous avons donc préféré utiliser : cet esprit-là est Bouddha. Dans le texte qui suit l’expression Sokushin zebutsu n’a pas été traduite. Mots clés : Sokushin zebutsu, Bouddha, Nature de Bouddha, Illumination. Noms Clés : Senika, Shākyamunii Bouddha. Phrases Clés : Sokushin zebutsu, c'est l'actualisation de notre nature de Bouddha, en faisant l'expérience de notre vie quotidienne.


Sokushin zebutsu | 即心是仏

Texte

1. Un des fondements de l'enseignement transmit jusqu'à nos jours par les Bouddhas et les Patriarches n'est rien d'autre que Sokushin zebutsu. Bien que tous les postulats nous soient venus de l'Inde, c'est en Chine que cette conception est apparue. Les disciples et les érudits du début l'ont mal interprétée et se sont tous fourvoyés. 2. Lorsque les sots entendent l'expression Sokushin zebutsu, ils s'imaginent qu'ils sont eux aussi des Eveillés. Alors ils finissent par prétendre qu'il n'est plus nécessaire pour eux de pratiquer les recommandations bouddhiques. C'est une grave erreur. Ces personnes n'ont jamais rencontré de véritables Maîtres et leur supposé éveil n'est que simple illusion. 3. L'histoire suivante illustre comment une telle hérésie est apparue : - II y avait en Inde un hérétique du nom de Senika1 qui prétendait que la Voie véritable existait dans notre corps et qu'elle devrait être de compréhension facile. Il affirmait que souffrance et bien-être, chaud et froid, douleur et plaisir, pouvaient être facilement appréhendés. La grande Voie ne subit pas l'influence des choses ou des circonstances, même si les choses vont et viennent et les circonstances apparaissent et disparaissent. Elle existe partout et ne fait pas de distinction entre les gens ordinaires et les saints. Les illusions aussi apparaissent et disparaissent au gré de nos expériences. Selon Senika, il ne peut exister que cette sagesse. Son allégation manque d'objectivité. Même si notre corps est détruit, la sagesse ne périt pas avec lui ; 1

Senika symbole de l'hérésie ou de celui qui ne suit pas la Voie Bouddhique. 26


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elle se désincarne comme quelqu'un qui sortirait d'une maison en feu. Ainsi, la sagesse existe par elle-même et c'est cela la véritable essence de l'éveil. Tout un chacun possède intrinsèquement l'éveil. Cette essence contient à la fois l'illusion et l'illumination. La sagesse ne peut pas se réduire en une notion ni en un objet matériel. En outre, la sagesse est éternelle. Senika prétendait que l'objectivité est la sagesse. Il disait aussi qu'elle existe par ellemême et qu'elle possède une réelle substance. Elle est la cause et l'effet, même si la sagesse ne peut être comparée à l'objectivité qui, continuellement, apparaît et disparaît. La sagesse n'est pas influencée par la lumière et l'obscurité. Hors de l'ignorance tout devient clair, en d'autres termes, nous pouvons atteindre le moi véritable et l'illumination originelle, la véritable nature et le corps véritable. 4. Si nous saisissons cette nature véritable, nous retournons à l'existence éternelle [comme un grand homme revient à la vérité], alors il n'est plus question de réincarnation. Nous parviendrons au grand océan du véritable soi dans lequel la naissance et la mort ne sont plus présentes. Comme le soi véritable n'est pas exprimé, alors les six mondes2 du samsara peuvent exister de toute part. C'est ce qu'enseignait Senika. 5. Maître Nanyō Echū 3 demanda à un moine : - D'où venez-vous ? - Du sud ! - Combien de maîtres de qualité enseignent dans le sud ? Questionna Maître Echu. - Il y a beaucoup de bons maîtres dans le sud, lui répondit le moine. - Qu'enseignent-ils ?

Le monde de l’enfer, le monde des esprits avides, le monde des animaux, le monde des humains, le monde des titans, le monde des dieux. 3 Maître Nan-yō Echū | 南陽慧忠 (675–775) un des successeurs de Maître Daikan Enō. 2

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Sokushin zebutsu | 即心是仏

- Les maîtres du sud enseignent que le soi est Bouddha et que par Bouddha ils entendent l'Éveil. Il est professé à tous les disciples qu'ils possèdent tous la véritable faculté de l’illumination. Cette faculté œuvre sans entrave par le corps. S'il est présent dans votre tête, alors la tête fonctionne correctement, s’il se trouve dans vos pieds, eux aussi fonctionnent correctement. C'est la raison pour laquelle la véritable nature est la connaissance. Bouddha ne peut se découvrir que dans la parfaite connaissance. Notre corps dépend du bon plaisir de la création et il est sujet à la destruction. La véritable nature du soi est éternelle. La création et la destruction de notre corps sont similaires à la mue du serpent, au changement des os du dragon ou au déménagement d'une personne. Le contenant a changé, mais pas le contenu. C'est ce qui est enseigné par les maîtres du sud. - Si ce que vous dites est vrai, alors l'enseignement de ces maîtres est comparable à celui de Senika. Il disait qu'il y a une nature véritable mystérieuse incarnée en nous et que c'est grâce à elle que nous pouvons ressentir peines et joies. Quand le corps est détruit alors la nature véritable le quitte comme quelqu'un qui s'enfuirait à toute vitesse de sa demeure en flammes. La maison a changé, mais le propriétaire reste le même. Si nous étudions de près le raisonnement de Senika, on est frappé par son aberration. 6. Lors de mon périple en Chine et de mes entrevues avec certains maîtres, j'ai entendu ce genre d'enseignement. Devant des centaines de disciples, les maîtres du sud exposaient leurs idées fondées sur cette vision erronée et sur un mauvais commentaire du Rokusodankyo4 . Ainsi, leur enseignement était plutôt nuisible qu'autre chose. Aujourd'hui, il sévit encore. Les disciples acquièrent ainsi une vision erronée du sujet et du chemin à suivre. Peut-on encore prétendre que c'est une authentique transmission de l’enseignement du Bouddha ? C'est une situation désastreuse, ils pourraient perdre leur nature de Bouddha. Ces maîtres sont uniquement de bons conférenciers. Mais comme le

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Rokuso dankyo |六祖壇経 le soūtra de l’estrade de Maître Enō |慧能. 28


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disait Vimalakīrti5, même si cela est fait avec une grande conviction, ils ne répandent pas l'authentique essence du Dharma. 7. Maître Echu était l'un des plus grands disciples du sixième Patriarche Enō et sa compréhension des enseignements du Bouddha en son temps n'a jamais été égalée. Son enseignement est fidèle aux principes et évite toutes les idées propagées par Senika. L'enseignement sur Sokushin zebutsu a été transmis de Bouddha en Bouddha, de Patriarche en Patriarche. C'est l'enseignement suprême, si bien que ceux qui suivent Senika ou les Hynayanistes ne peuvent pas espérer - même en rêve comprendre et en saisir la sagesse. 8. Sokushin zebutsu, c'est l'actualisation de notre nature de Bouddha, en faisant l'expérience de notre vie quotidienne. Nous réalisons qu'individuellement, toute vie n'est pas conditionnée par la forme et n'a pas d'existence autonome. Cette compréhension est aussi illustrée par la périphrase abandonner le corps et l'esprit. Cette réalisation est dynamique et n'est surtout pas figée comme une statue. Surtout, n'espérez pas que cette vérité vous apparaisse facilement sans le moindre effort. Sans effort, cette vérité reste cachée. Abandonner le corps et l'esprit représente la vérité universelle, la réalité dans le présent, celle qui n'est ni tournée vers le passé, ni préoccupée par le futur. C'est la pureté qui ne peut ni être souillée par l'eau sale, ni affectée par des éléments extérieurs. Savoir, comment l'expression sokushin zebutsu s'articule6, n’est pas important, mais c'est la doctrine exacte transmise qu'il faut étudier. Notre esprit est dans tout et tout renferme notre esprit. C'est ce qui a été transmis jusqu'à présent. Les Anciens disaient que si notre esprit est clair, alors le ciel peut s'effondrer, la terre peut se désintégrer et nous serions en mesure de tout comprendre. Si vous pouvez maîtriser cela avec sincérité, alors toutes vos actions porteront des fruits (à vouloir s'acharner nous manquons le but, à ne pas vouloir s'en préoccuper nous risquons de tomber à côté de la vérité).

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Soūtra de la liberté inconcevable, enseignements de Vimalakīrti. Notre esprit en lui-même est Bouddha, Bouddha lui même est notre esprit. 29


Sokushin zebutsu | 即心是仏

Maître Isan Reiyu7 aurait dit à son disciple Kyozan8 : - Qu'est-ce qu'un esprit clair et lumineux ? Les montages, les rivières, la terre, le soleil, la lune et les étoiles. 9. Les montagnes, les rivières et la terre ne sont que montagnes, rivières, terre, et ne sont rien d'autre. Les vagues et les nuages n'ont aucun intérêt. Le soleil, la lune, les étoiles ne veulent rien dire d'autres que soleil, lune et étoiles. Il n'y a ni brouillard, ni brume. L'esprit naissance et mort, c'est seulement naissance et mort, passé et avenir. Il n'y a ni illusion, ni illumination. Esprit du mur, de la tuile et de la pierre n'est rien d'autre que haies, murs, tuiles et pierres. Il n'y a ni boue, ni eau. Dans l'esprit des quatre éléments et des cinq agrégats, il n'y a ni chevaux, ni singes. Dans l'esprit de la chaise et du chasse-mouches il n'y a ni bois, ni bambou. En résumé, Sokushin zebutsu, c'est la pureté de notre esprit, Bouddha est Bouddha. Rappelez-vous, le véritable esprit de Bouddha n'a que faire des spéculations. Sokushin zebutsu ne peut être séparé de la quête de l'éveil, de la pratique spirituelle, de l'Eveil lui-même et du nirvāna. Tant que nous n'en ferons pas l'expérience, nous ne comprendrons jamais le véritable sens de Sokushin zebutusu. Si nous faisons une expérience authentique ne serait-ce qu'un tout petit instant - nous pouvons comprendre. Si certains disent qu'il faut pour cela avoir beaucoup étudié, cela veut dire qu'ils n'ont pas compris grand-chose. Ils n'ont jamais eu une vision juste du Dharma et n'ont jamais rencontré de véritables maîtres. “ Bouddha “ veut dire Shākyamuni Bouddha. Il représente tous les Bouddha du passé, du présent et du futur. Shākyamuni Bouddha est tout simplement sokushin zebutsu.

Sokushin zebutsu | 即心是仏 Prononcé le 25 mai 1239 devant les moines à Kannondôri-in. Ce texte a été retranscrit par Ejō le 12 juillet 1246 à Eiheiji. Recopié durant la sesshin d'été 1278.

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Fondateur d’une des écoles zen chinoise Igyō. Maître Kyōzan disciple de Maître Isan Reiyu. 30


[8] Shinfukatoku | 心不可得 Le sens profond ne peut être saisi.

心Shin. Peut vouloir dire à la fois : - l’esprit, le mental, la conscience mais aussi le cœur. 不 Fu . Préfixe de négation. 可 Ka. Exprime l’approbation, le consentement, l’agrément 得 Toku. Profit, avantage, bénéfice, gagner, acquérir. Pourquoi : Le sens profond ne peut être saisi ? Shin fukatoku dans une traduction littérale donnerait “l’esprit ne peut se saisir“ en étudiant le texte de Maître Dōgen il serait plus juste de traduire par “l’esprit ne peut être appréhendé par la connaissance“. Pourquoi faire le choix de traduire Shin fukatoku par “ le sens profond [des choses ou dharma] ne peut être saisi“ car il traduit correctement - il nous semble- ce que tente de nous expliciter Maître Dōgen dans ce livret – référence à l’anecdote de Tokusan et la galette de riz. Mots clés : Dharma, gâteau de riz, vielle femme, maitre. Noms Clés : Tokusan, Ryutan, Shākyamunii. Phrases clés : Il y aurait donc une grande différence entre acquérir des connaissances par les livres et le fait de les acquérir par l'expérience. Notre esprit ne peut être conçu avec le passé, le présent et le futur.


Shinfutkatoku | 心不可得

Texte 1. Shākyamunii dit : « L'esprit du passé du présent et du futur ne peut se concevoir1.» C'est-à-dire que l'esprit ne peut être appréhendé par une connaissance empirique. Cet enseignement a été transmis par la pratique de tous les Bouddhas set les Patriarches. 2. La seule façon de comprendre le passé, le présent et le futur est d'utiliser notre esprit dépouillé de toutes influences. Chaque fait et geste devrait émaner de cet esprit. Depuis Shākyamuni, tous les Bouddha ont cherché avec un esprit dépouillé de toutes influences au moyen de la pratique de zazen. Si les Bouddha et les Patriarches n'y étaient pas parvenus, nous n'aurions rien pour orienter nos recherches. Afin de percevoir l'esprit pur [dépouillé de toutes affections], il nous faut être d'un tel niveau que même les bouddhologues ne peuvent se l'imaginer. Toutefois, ce niveau n'est pas inaccessible, il est même à notre portée. Nous allons le démontrer dans l'exemple suivant. 3. J'ai totalement assimilé l'enseignement du soûtra du Diamant ; ma compréhension des commentaires de Seiryuji2 est sans égale mais je pense être le seul à l'avoir correctement interprété, aurait affirmé le maître Zenkan Tokusan3. Il aurait écrit douze volumes Référence au Soutra du Diamant Vajracchedikā-prājñāpāramitā-sūtra (skt).Kongō hannya harmitsu kyō |金剛般若波羅蜜經 ou couramment Kongōkyō |金剛經 (jap.).La traduction de référence en langue chinoise est celle Kumārajivaī. 2 Seiryuji ou les commentaires du Kongōkyō du temple de Seiryo-ji l’œuvre du moine Do-in pour une commande de l’empereur Genso (713-755). 3 Zenkan Tokusan |徳山宣鑑 (780-865) successeur de Ryutan Soshin, il passait pour un spécialiste du Kongōkyō. Mais lorsqu’il réalisa que l'esprit ne pouvait être appréhendé par une connaissance empirique, il brûla ses livres. 1

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de commentaires et la qualité de ses conférences était sans pareille. Il avait la réputation d'être un des plus grands érudits du pays et le dernier des maîtres zen à avoir défendu la nécessité de l'étude des textes. 4. Un jour, il eut vent de la présence dans le sud d'un maître fameux qui enseignait le Dharma authentique. Tokusan ne pu retenir sa jalousie et décida de mettre à l'épreuve ce maître. Il prit avec lui quelques volumes de ses notes et de ses commentaires. Sur la route, il eut la confirmation qu'une sesshin dirigée par Maître Soshin Ryutan4 allait avoir lieu. Il décida de s'y rendre. Sur le chemin, pendant qu'il prenait un moment de repos, une vieille femme voulant faire de même vint s'asseoir près de lui. - Qui êtes-vous ? lui demanda Tokusan. - Je vends des gâteaux de riz, lui répondit-elle. - Pourrais-je vous en acheter quelques-uns ? - Et pourquoi donc ? lui rétorqua la vieille femme. - Pour manger pardi, répondit Tokusan. - Vénérable, pouvez-vous me dire ce qu'il y a de si important dans votre baluchon ? - N'avez-vous jamais entendu parler du grand maître expert du soûtra du Diamant ? Eh bien, c'est moi. Je sais tout ce qui peut être connu à son sujet. Dans ce baluchon, j'ai mes notes et mes commentaires. - Pourrai-je vous questionner à ce sujet ? demanda la vieille femme après-avoir écouté Tokusan. - Interrogez-moi autant que vous voudrez. Surtout, ne vous gênez pas.

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Ryutan Soshin (782-865) Successeur du Maître Tenno Daogo. 33


Shinfutkatoku | 心不可得

- Il y a fort longtemps, dit la vieille femme, j'ai entendu une personne chanter ce soûtra et je me souviens tout particulièrement d'un verset qui disait ceci : « l'esprit du passé, du présent et du futur ne peut pas être conçu. Dites-moi vénérable ! Avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau que vous voulez m’acheter ? Je vous céderais bien un gâteau pour une réponse. Sans réponse, vous vous en irez sans rien.5 » | Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de la SŌTŌ ZEN ASSOCIATION, est illicite |

5. Tokusan fut si surpris, qu'il ne put lui répondre. Alors elle se leva, s'épousseta, ajusta ses vêtements, résolue à le laisser le ventre vide elle s'en alla. C'est vraiment regrettable qu'un si grand érudit, ayant étudié des milliers de volumes de commentaires, puis exposé le contenu et le sens de ce soūtra durant des années, ne puisse répondre à une question aussi simple. Il y aurait donc une grande différence entre acquérir des connaissances par les livres et le fait de les acquérir par l'expérience. Dans un premier temps, Tokusan, désabusé, apprit que l'image d'un gâteau de riz ne remplit pas le ventre de celui qui a faim. Plus tard, il devint le disciple de Maître Ryutan qui lui transmit le Dharma. Encore qu'il n'a probablement jamais pu oublier sa rencontre avec la vieille femme. De toute façon, malgré toutes ses années consacrées à l'étude, il n'avait pas réalisé la véritable sagesse bouddhiste et il était loin d'avoir connu l'éveil. 6. Cependant, nous ne devons pas nous moquer de lui et faire l'éloge de la vieille femme, même si ce qu'elle avait dit fit perdre à Tokusan ses moyens. Nous ne sommes pas sûrs pour autant qu'elle fut elle-même éveillée. À ce moment-là, Tokusan n'était pas encore le vrai Tokusan. Il n'était pas suffisamment compétent pour mesurer le degré de compréhension de la vieille femme. D'autant plus qu'elle-même n'a pas répondu à sa question et si elle l'avait fait, nous aurions pu en prendre acte. Peut-être que ces versets du soûtra du Diamant voulaient seulement dire, pour elle, que l'esprit que l'on ne peut pas concevoir ne peut pas exister. Il est nul besoin d'être éveillé pour énoncer une vérité. Cela s'applique aussi à cette vieille femme. D'une autre façon, Tokusan avait fauté par vantardise.

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Mumonkan cas n°28. 34


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7. Reconsidérons cette histoire en nous mettant à la place de Tokusan. Il aurait pu répondre à la vieille femme : - ne me les vends pas. S'il l'avait fait, cela aurait confirmé son éveil ou simplement une bonne compréhension. Inversement, s'il lui avait répondu :- je ne sais pas quel esprit est utilisé lorsque nous mangeons un gâteau de riz, la veille femme aurait pu répondre : votre esprit est trop préoccupé par le gâteau de riz à tel point que vous ne vous rendez même pas compte qu'il le contient. L'esprit lui-même ne sait pas ce qu'il doit pendre comme nourriture. Si Tokusan n'avait pas compris, sûrement qu'il ne l'avait pas, la vieille femme aurait dû lui offrir trois gâteaux de riz et lui dire : notre esprit ne peut être conçu avec le passé, le présent et le futur. Au moment où Tokusan saisit les gâteaux, elle aurait dû en escamoter un et le lui jeter à la figure en criant : - moine stupide, cesseras-tu un jour de faire l’idiot ? Si Tokusan avait répondu correctement, elle aurait été ravie et elle aurait sûrement retenu la leçon. Par contre, la situation présente aurait dû inciter la vieille femme à l’affranchir. 8. Dans l'histoire, elle le laissa en plan, et ne montra aucune intention. Mais Tokusan ne lui a pas dit non plus : je ne puis vous répondre. Voudriez-vous m'expliquer ce que cela peut bien vouloir dire ? Tokusan et la vieille femme ne montrent aucune compréhension. C'est une situation regrettable. 9. Les péripéties de Tokusan ne s'arrêtèrent pas là. Il se remit à étudier avec acharnement sous la direction de Maître Ryutan. Pour la première fois, il avait le privilège d'avoir un véritable enseignement, mais n'obtient pas pour autant l'éveil. Jusqu'à un soir où, soudainement - Ryutan et lui marchaient dans un corridor sombre - le maître éteignit la lanterne6.

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Allusion à la transmission de la lampe ou le Den Kō RoKū | 伝光録. 35


Shinfutkatoku | 心不可得

10. Le chemin vers l'éveil peut être très long mais il peut soudainement vous surprendre, comme par enchantement. Mais n'allez pas penser que cet événement soit un accident. Pour recevoir la transmission, vous devez étudier le Dharma avec précaution, sérieusement et avec humilité. Ne soyez pas des paresseux, ni des fumistes ! N'évitez pas les difficultés. Elles sont nécessaires à nos progrès. Cela est vrai pour tout enseignement bouddhique. Ne faites pas en sorte de ne dépendre que de vos facultés intellectuelles. Essayer d’appréhender les choses uniquement par l’intellect, c'est comme si on essayait de manger la représentation d'un gâteau de riz7.

Shinfukatoku | 心不可得 Prononcé devant les moines à Kannondōri-in, Kōshōhōrinji à UJI en 1242 durant le camp d'été.

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Gabyo |畫餅 [27] Une galette de riz en tableau. 36


[9] Kobussushin |古佛心 L'esprit originel des vieux Bouddhas.

古 Ko. Peut se traduire par "ancien", "vieux" ou "éternel", 佛 Butsu. Se traduit par Bouddha, 心 Shin. Peut vouloir dire à la fois : - l’esprit, le mental, la conscience mais aussi le cœur. Pourquoi : Esprit originel des vieux Bouddhas ? Kobusshin aurait pu être traduit littéralement soit par “ l'esprit des éternels “ soit par “ la pensée des vieux Bouddha“. Dans ce texte Maître Dōgen fait mention d’une dimension historique qui appartient aux “vieux Bouddha“ en personne et d'un attribut commun à tous “l’esprit originel“ dans le sens de l’esprit initial. Mots clés Esprit originel, vieux Bouddhas, Patriarche, Maitres. Noms Clés : Bouddha, Sakyamuni, Sōkei. Phrases clés : Avant même qu'il ait “l'esprit originel des vieux Bouddhas “ l’esprit originel est. La portée et les qualités de l'esprit originel se révèlent dans les actes des vieux Bouddhas.


Kobussushin |古佛心

Texte 1. La transmission de la succession dans la Voie Bouddhique a été arrêtée comme suit : Six Bouddhas précèdent Bouddha Sakyamuni et quarante Patriarches avant Sōkei1. Puisque la transmission a la spécificité d’être réciproque celle de Sōkei lui vient tout naturellement des sept Bouddhas. Elle est aussi réflexive, Sōkei la reçoit de lui-même comme il la reçoit de ses descendant en la leur donnant. Ici, il n’est nullement question de notion de prédécesseur ou de successeur. Au temps de Sakyamuni il y avait des Bouddhas dans les dix directions. Au temps de Seigen [le septième patriarche] il y avait son condisciple Nangaku2 et tous les deux se valaient. Au temps de Sekitō il y avait Kōsei3. A chaque époque il eut des Patriarches. Ils ne se sont jamais gênés parce qu'ils avaient en commun cet esprit originel des vieux Bouddhas. 2. Pour comprendre, il nous faut étudier les fonctions et les spécificités de cet esprit originel des vieux Bouddhas. Bien que nous décernions le titre de vieux Bouddha à tous les Bouddhas et les Patriarches qui ont succédé à Sakyamuni, chacun possède son propre esprit, son propre corps, son propre rayonnement et son propre champ d'action. Comprendre la Voie Bouddhique c'est comprendre l'éveil des vieux Bouddha. Le terme “ vieux Bouddhas “ est au-delà de notions telles que “ ancien “ ou “ nouveau “, “ présent “ ou “ passé “, ils passent au travers du temps. 1 Maître Daikan Enō, le sixième patriarche chinois et le trente troisième depuis Bouddha Sakyamuni. 2

Seigen et Nangagu étaient tous les deux disciples de Daikan Eno.

3 Sekito Kisen était le successeur de Maître Seigen et Kosei de Maitre Baso successeur

de Maître Nagaku. 38


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3. Mon vieux Maître disait : - J'ai rencontré un vieux Bouddha du nom de Wanshi sur cette montagne". J'en ai déduit qu'il y avait un Ancien Bouddha au Mont Tendō et par intuition je compris que le Mont Tendō était l'esprit originel des vieux Bouddhas. 4. Maître Engo4 disait : - Il m'est arrivé de me prosterner devant le vieux Bouddha du Mont Sōkei. Nous devrions, sans exception, nous prosterner devant le vieux Bouddha Enō avec le respect qui est du au trente troisième patriarche depuis Sakyamuni. Maître Engo avait l'apparence et rayonnement d'un vieux Bouddha, c'est ce qui lui permit de se prosterner devant un vieux Bouddha. C'est ainsi, conscient des aptitudes de Sōkei - juste du commencement à la fin - nous devrions nous souvenirs que les vieux Bouddhas sont l'action de saisir l'anneau nasal5. Celui qui a l’habilité lui permettant de saisir l'anneau nasal est un vieux Bouddha. 5. Maître Sōzan6 disait : - Il y a un vieux Bouddha au sommet du Mont Daisōrei, son visage majestueux illumine tous les environs. N'oublions pas que Sōzan a rencontré un vieux Bouddha. Nous ne devrions pas continuer à chercher, au Mont Daisōrei se trouve un vieux Bouddha. Ceux qui ne sont pas des vieux Bouddhas ne parviennent pas à la vraie compréhension. Seulement un vieux Bouddha sait ou se trouve un vieux Bouddha. 6. Seppō7 disait : - Jōshū est un vieux Bouddha. Si Seppō n'avait aucune clairvoyance il n'aurait jamais réalisé que Jōshū est un vieux Bouddha. Si nous examinons notre vie quotidienne, nous nous apercevrons que graduellement nous avons conscience de l'esprit originel des vieux Bouddhas ; sans vraiment le réalisé pleinement. C'est ainsi, l’esprit originel des vieux Bouddhas essaie sans relâche, de se manifester pour nous aider. Seul un grand Maître comme Seppō sait la méthode de la réalisation intérieure sans dépendre des mots. La portée et les qualités de l'esprit originel se révèlent dans les actes des vieux Bouddhas. Nous devrions prendre Maître Jōshū pour exemple. Sa détermination, Maître Enō Kokugon (1063-1135) successeur de Maître Goso Ho-en. Ici, il est fait référence à la saisie de l'anneau fixé aux naseaux d'un buffle d'eau. Une métaphore pour illustrer l'humilité, la maîtrise de soi. 6 Maître Sōzan Konin (837-909) successeur de Maître Tōzan Ryokai. 7 Maître Seppō Gison (822-907) successeur de Maître Tokuzan Senkan. 4 5

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sa pratique et sa compréhension sont une parfaite réalisation du commencement, du déroulement et de l'aboutissement8. Nous devrions, par la pratique, comprendre l'existence d'un vieux Bouddha. 7. Le grand Maître Daishō du temple de Kōtakuji a reçu la transmission du sixième Patriarche Enō. Maître Daishō était respecté de tous. Il n'a pas été qu'un l'enseignant - parmi tant d'autre - de quatre génération d'empereurs, ces derniers ont porté son palanquin pour le ramener à la cour impérial. Il fut également prié par Brahma d'enseigner aux êtres célestes. Un jour, un moine lui demanda : - qu'est ce que l'esprit originel des vieux Bouddhas ? Il lui répondit : - tuiles, haies, murs et pierres. La question du moine sous-tend qu'il ait déjà compris le sens de l'esprit originel des vieux Bouddhas et qu'il ait réalisé que l'esprit originel est partout. Tuiles, haies, murs et pierres sont “tuiles, haies, murs et pierres“ de l'esprit originel des vieux Bouddhas. La question du moine atteste de son niveau de compréhension. “Fleurs, herbes, montagnes, vallées et rivières “sont le corps et l'esprit originel des vieux Bouddhas. Les neuf montagnes et les huit océans qui sont les contingences du monde sont l'ancien visage – soleil et lune - des Bouddhas et la peau et les os des vieux Bouddhas. L'esprit originel des vieux Bouddhas est la pratique, l'éveil et le cœur des Bouddhas. 8.

C'est l'esprit originel, l'esprit de l'homme ordinaire qui transcende l'ancien et le nouveau. Cet esprit originel et éternel est une chaise en bambou ou en bois. Les mots ne peuvent le décrire ou le dévoiler. Et bien même si vous arrivez de rencontrer un éveillé il vous sera impossible d'assimiler sa compréhension. O moine ! Que devons nous faire ? Si ce n’est de ne pas perdre de vue que le Karam et la vacuité ne sont rien d'autre que l'esprit originel et le mode d’être des Bouddhas. En ce moment, tous deux sont.

9. Dans ces deux esprits il y a détachement. C'est pour cette raison que Daishō répondit “ tuiles, haies, murs et pierres “. Le sens de ses propos est : l'esprit originel des vieux Bouddhas est “ tuiles, haies, murs et pierres “. A ce niveau de compréhension il ne peut 8

Il est fait référence à une phrase qui se trouverait dans le Soūtra du Lotus. 40


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y avoir qu'un réel détachement. La réalisation de l'esprit originel des vieux Bouddhas ne contient que tuiles, haies, murs et pierres. 10. Nous pouvons poser la question suivant : - qu’elle forme peuvent avoir les murs ? - Est-ce que les murs ont-ils une forme définie ou non ? Apparaissent-ils ou non ? - Nous devrions faire sorte de assimiler tous ces aspects de l'esprit originel des vieux Bouddhas ? - Peu nous importe où il peut bien apparaître – ciel, terre, dans ce monde, dans un autre monde - ce n'est rien que “tuiles, haies, murs et pierres“. Il ne peut jamais être souillé, même par un minuscule grain de poussière. 11. Un jour un moine demanda au Maître Zengen Chukuo9 : - Qu'est ce que l'esprit originel des vieux Bouddhas ? Il lui répondit : - La destruction du monde. Le moine de lui dire : - Pourquoi donc la destruction du monde ? Le maître lui répondit : - C'est plutôt la destruction de mon corps. “Le monde “ veut dire que le monde est le monde de Bouddha, et qu'il n'a jamais eu de monde qui n'a été celui de Bouddha. “ La destruction de mon corps “ veut dire que rien n'existe sans lui. N'allez surtout pas penser qu'il vous faille vous détruire. Au moment de la “ destruction “ l'esprit originel des vieux Bouddhas commence graduellement à protéger le monde entier. Au moment de la “ destruction “, autant chaque existence que toutes les existences sont perçues comme l'esprit originel des vieux Bouddhas.

9 Successeur de Maître Dogo Enchi (769-835). Il était le cuisinier [Tenzo] au Mont Dogo-zan. On raconte, qu’un jour, il réalisa la Voie en entendant un enfant chanté le Kannon-Kyo.

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Kobussushin |古佛心

Si en cet instant nous gardons le contrôle de nous-mêmes nous exprimons l'esprit originel des vieux Bouddha. Il est certain que l'esprit originel des vieux Bouddha existait avant et après les sept Bouddha. Avant et après les Bouddha la fleur de l'esprit originel des vieux Bouddha Fleurit et donne beaucoup fruits. Avant même qu'il ait “ l'esprit originel des vieux Bouddhas “ l'esprit originel est. Sokushin zebutsu | 即心是仏 Présenté à l'assemblée des moines au temple de Rokuharamitsu le 29 Avril 1243, retranscrit par Ejō le 12 mai 1244.

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[10] Daigo | 大悟 Compréhension absolue.

大 Dai. Peut se traduire par “grand“, important ou étendu. 悟 Go. Percevoir, discerner, comprendre. Pourquoi : Compréhension absolue ? Certains traducteurs traduisent Go | 悟 par Eveil ou Satori | 悟り ou réalisation. Satori peut se traduire par “ compréhension ou éveil spirituel“. Eveil et réalisation dans le Shōbōgenzō sont deux termes qui ne sont pas aisé à définir. Nous avons fait le choix de traduire Daigo | 大悟 par compréhension absolue en référence au Genjō Kōan. Nous utilisons dans cette traduction indifféremment les deux notions celle de l’éveil et celle de la compréhension et quand il peut y avoir confusion nous avons préféré laisser le terme “Daigo“. Mots clés Eveil, illusion, Bouddha. Noms Clés : Bouddha, daigo. Phrases clés : Au lieu d'affirmer qu'un homme de l'éveil parfait accroît sa compréhension, il est souhaitable de dire que même un homme de l'éveil développe sa compréhension.


Daigo | 大悟

Texte 1. La véritable transmission de la grande Voie s'est propagée de Patriarche en Patriarche, sans s'altérer, grâce à l’expérience et à la pratique de l'éveil. La compréhension absolue s'exprime sans discontinuer, mais il ne faut pas vous attachez à cette idée. Si malheureusement vous l'êtes, votre pratique végétera. Vous devez vous détacher complètement de cette notion et ne jamais la rechercher ou en devenir dépendant. 2. Les formules - avec ou sans éveil la destination finale sera atteinte, réfléchir à deux fois avant de vouloir l'éveil, renoncer à l'éveil et s'en aller librement - démontrent que vouloir s'en libérer demande d'outrepasser la notion d'une compréhension qui serait absolue. L'activité journalière des Bouddhas et des Patriarches est Daigo et pourtant, ils n'en font pas grand cas. Tout en étant sous l'influence du temps, leur éveil le maîtrise. C'est le dessein de Daigo. Les personnes ordinaires ne peuvent pas comprendre, parce qu'elles sont attachées à trop de choses, mais les Bouddhas ont la capacité d'y parvenir, parce qu'ils ont la clé de la grande libération. Tous les Bouddhas y sont parvenus au moyen de cette compréhension absolue, afin d'actualiser le sens incontestable de la réalisation dans leur vie quotidienne. Ils l'ont fait tout en étant détachés de l'idée même de l'éveil. Daigo ne se soucie guère de savoir celui qui est un Bouddha ou celui qui ne l'est pas. 3. Les hommes ont tous leur propre méthode pour parvenir à la compréhension absolue. Certains ont une attitude innée à transcender la souffrance et à s'en détacher à chaque étape de leur existence1. D'autres arrivent au détachement par la Shogo |生悟 ; Sho |生 en sanskrit. jāti, utpāda qui peut se traduire par la vie, la production venant à l'existence. Dans le Yogâcāra et l’Abhidharmakośa, il signifie le surgissement des dharmas comme la naissance, ou la vie des êtres.

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compréhension de leur moi en étudiant leur peau, leur chair, leurs os et leur moelle. D'autres encore apprennent comme un Bouddha. Ils n'ont pas une connaissance innée des choses ou d'eux-mêmes, mais ils l'obtiennent tout de même en outrepassant le monde des oppositions. Et puis il y a ceux qui arrivent à la compréhension du Soi 2 sans avoir recours à la maîtrise des soūtras, leur véritable nature se manifeste d'ellemême. Les Hommes sont tous différents, différente est leur compréhension de la réalisation. Tout le monde possède les facultés de concevoir le fonctionnement et le sens de leur véritable nature. Puisque nous possédons tous cette aptitude innée à nous comprendre vraiment, nous pouvons prétendre à l'éveil, à recevoir le sceau de la transmission et à pratiquer la Voie bouddhique. Il est dit des Bouddhas, quand ils atteignent la compréhension absolue, qu'ils s'en retournent à leur nature véritable de Bouddha, leur première demeure. 4. Devenir Bouddha, c'est avoir une compréhension de Bouddha et le vivre avec audace. L'éveil existe naturellement. Il englobe les trois mondes, les centaines de brins d'herbes, les quatre éléments, les Bouddhas, les Patriarches et les kōans. En perpétuelle effervescence, il se manifeste de luimême, si bien que nous pouvons dire que cet instant, c'est celui de notre propre éveil. 5. Vous pouvez toujours chercher avec acharnement, mais sous la Dynastie des Tang, vous ne trouverez personne qui ne soit pas éveillé, disait le grand Maître Esho3. La dynastie des Tang ne se rapporte ni à un lieu, ni à une époque. Il fait référence à notre corps et à notre esprit, n'allez donc pas croire qu'ils se trouvent en un endroit spécifique. C'est pour cette raison qu'il a dit : « il est difficile de trouver un être non_éveillé sous la dynastie des Tang, pour nous révéler que notre moi véritable, celui du passé et celui du présent, est éveillé4.

Ref. Lire le livret 1 Genjō kōan |現成公案 du Shōbōgenzō. Maître Rinzai Gigen (815-867) sucesseur du maître Obaku ki-un. Esho est son nom posthume. 4 Ces propos du Maître Rinzai sont reportés dans le Kosonshuku-goroku. 2 3

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Daigo | 大悟

Dans tous les récits, les bûcherons dans les montagnes ou les pêcheurs sur les mers sans distinction ont eu l'éveil ». Comme Rinzai a enseigné la Voie véritable, ses dires ne peuvent être mis en doute. Si les disciples étudient son enseignement, ils ne perdront pas leur temps. Toutefois, il serait souhaitable qu'ils étudient aussi l'enseignement des autres Patriarches. 6. C'est trop commode de prétendre que les gens non_ éveillés sont difficiles à trouver. Il faudrait encore réaliser la difficulté d'en trouver et de ne pas négliger qu’il puisse y avoir des personnes qui ont une compréhension partielle à l'apparence tout à fait respectable. N'avez-vous jamais rencontré ce genre d’individu ? Interroger Maître Rinzai sur le sujet aurait été instructif. Même s'il est difficile de trouver des êtres non_éveillés sous la Dynastie des Tang, il ne faudrait pas en faire une généralité. Cherchez plutôt dans toutes les grandes dynasties s'il n'y en a pas un seul qui le soit à moitié5. Est-ce facile ou difficile à comprendre ? Si vous êtes à même de saisir cela, on pourra dire de vous que vous êtes un Bouddha ou un Patriarche. 7. Que se passerait-il, demanda un moine au Maître Hochi de Kegonji 6, si un homme à la compréhension absolue avait des illusions ? Un miroir cassé ne réfléchira plus, les fleurs tombées ne peuvent plus être repiquées sur la branche, répondit Kegon. Il révéla la vérité au moine, bien que ce ne soit qu'un échange de point de vue. Ce genre de propos était courant au monastère de Kegon ou chez ses disciples. C'est pour cette raison que l'on dit que son monastère est celui des Patriarches et des Bouddhas. 8. Lorsque nous disons un homme à la compréhension parfaite, nous faisons référence à quelqu'un, qui à l’origine ne l'avait pas, qui l'aurait obtenu quelque part ou l’aurait gardé secret. Cet éveil s'exprime librement dans le Bouddha et dans l'hémicycle où s'enseigne le Dharma, sans pour autant qu'un novice aguerri ne l'obtienne. Le pur éveil est omniprésent, Hannin|半人 ; 半 moitié, 人 personne, en oposition à Ichinin| 一 人. Maitre Kegon Kyujo successeur de maître Tozan Ryokai. Hochi est son nom posthume.

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même si nous ne pouvons pas l'inciter à se manifester. Il ne peut être défini comme une absence d'illusion. Nous ne pouvons pas affirmer qu’il y a assurément pure illusion s'il y a pur éveil. Au lieu d'affirmer qu'un homme à compréhension absolue accroît son éveil, il est souhaitable de dire que même un homme de l'éveil développe sa compréhension. 9. Que se passerait-il si un homme à la compréhension absolue avait des illusions ? C'est la véritable question. Et la réponse de Kegon nous est précieuse - finalement la question et la réponse sont dignes des Bouddhas et des Patriarches. Un homme à la compréhension absolue est-il comparable à un non_éveillé ? Comment un homme à la compréhension absolue peut-il avoir des illusions ? Peut-il changer ses illusions en compréhension ? Peut-il transformer ses illusions en compréhension ou alors sont-ce les illusions qui ont le dessus ? S'il transforme ses illusions en compréhension, pouvons-nous encore les appeler des illusions ? Ces questions méritent que l'on y réfléchisse sérieusement. 10. Le souhait est de parvenir à statuer sur le fait de savoir s'il est possible à l'homme à la compréhension absolue d'avoir des illusions. La réponse de Kegon va droit au but et il statue que compréhension et l'illusion sont comme deux mains d'un même corps. Nous pouvons faire un parallèle entre le fait d'accroître ses illusions et celui d'un chef qui ne saurait pas reconnaître son fils et vice-versa. Daigo reconnaît un chef comme un chef, et un fils comme un fils. Si on ajoutait une pincée de plus ou si on soustrayait une bonne partie à la compréhension, on n'y verrait rien. Il serait peut-être possible de rencontrer un homme à la compréhension absolue lors de l'examen de la transformation de ses illusions et de la découverte d'une cause cachée. Il serait judicieux de voir si nous n'avons pas les mêmes illusions que lui. 11. La réponse de Kegon - un miroir brisé ne réfléchira7 jamais plus - concerne le moment même où le miroir se brise. Elle ne concerne en aucun cas le principe du miroir avant qu'il ne

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Fujusho | 不重照 (jap.) 47


Daigo | 大悟

soit brisé 8. On peut imaginer que cette réponse veut dire qu'un homme à la compréhension absolue ne tombe jamais dans les illusions. Même si cela semble correct, si vous pensez ainsi, vous manquerez l'essentiel. Kegon fait référence au moment où l'homme à la compréhension absolue tombe dans les illusions. 12. Lorsque les fleurs tombent9, elles ne font que tomber. C'est tout et ce n'est rien d'autre. Peu importe à quelle hauteur elles sont. Elles tombent et c'est tout. Quand le miroir est cassé, c'est le temps de s'en détacher, sans penser au fait qu'il ne réfléchira plus. C'est l'étape du détachement. Se poser la question au sujet du miroir brisé ou des fleurs qui tombent, c'est avoir une grande compréhension des illusions d'un homme éveillé. Ne pensez pas comme la plupart des gens, à savoir : si quelqu'un à la compréhension absolue devient un Bouddha, est-il différent des gens ordinaires, ou c'est l'éveil qui fait en sorte que les Bodhisattva reviennent dans le monde pour essayer de sauver les autres. Ce que nous étudions n'est pas de savoir la différence qu'il y a entre l'éveil et l'illusion, entre un Bouddha et un homme ordinaire. Dans notre cas, la compréhension absolue est différente de la prise de conscience des Bodhisattva. 13. Daigo est sans commencement et sans fin, l'illusion aussi. Daigo n'est pas un objet, alors l'illusion ne peut pas l'atteindre. Daigo contient l'illusion [grande ou petite] et ne dépend d'aucunes distinctions. Daigo est, tout simplement. Il est la neige qui recouvre la montagne, les rochers et les arbres. La compréhension absolue des Bouddhas concerne les êtres sensibles et la compréhension des êtres sensibles illumine la compréhension absolue des Bouddhas. Il n'y a pas de distinction entre les deux. Daigo n'est pas une fonction qui dépend de nous ou des autres. Il emplit tout, il est le centre de la vie à la fois dans l'éveil et dans l'illusion. L'illusion ne peut que rechercher Daigo et nous ne pouvons jamais trouver Daigo hors des illusions.

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Hakyo |破鏡 (jap.) Raku Ge |落華 (jap.) 48


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14. - L'Eveil est-il nécessaire à nos contemporains ? demanda un moine à Kyozan 10 pour le compte de Keisho Beiko 11. - L'éveil existe, comment en douter12, répondit Kyozan. Le moine s'en retourna près de Keisho Beiko et lui reporta les dires de Kyozan. 15. Quelle merveilleuse réponse, seul un grand Maître zen aurait pu la donner ! dit Kyozan, puis il fit l’éloge de Kyozan. Nos contemporains représentent l'éternel présent. Mille ans peuvent exister dans le présent, et notre vie dans le présent est le champ de nos investigations. La compréhension doit se faire par notre corps et par notre esprit, mais sûrement pas à partir des interprétations d'autrui. Nous devons être au fait que toutes les choses sont contenues dans notre moi originel. Nous devons rechercher la clé avec un esprit pur. 16. Récemment encore, sous la dynastie des Sung, il y avait des moines qui ne se rasaient pas la tête et ne comprenaient rien aux enseignements du Bouddha, même après de longues années d'études. Ils s'efforçaient sans relâche à devenir des Bouddhas et à attendre l'éveil. Pour eux, c'était cela le fondement de la pratique bouddhique. Que ces gens étaient stupides ! Ils n'ont jamais côtoyé le véritable enseignement, si bien qu'ils pensaient que leur zazen suffisait, en essayant d'obtenir l'éveil, figés dans leur posture. C'est parce qu'ils étaient attachés à cette idée d'éveil qu'ils ont perdu l'occasion de rencontrer de véritables maîtres - ils étaient paresseux et fainéants, perdaient leur temps et comprenaient les enseignements du Bouddha de travers. 17. Les moines d'aujourd'hui sont confus quant au fait de savoir si l’éveil est nécessaire aux gens d'aujourd'hui. Si vous prétendez que l'éveil existe, ils vous rejetteront. Si vous leur dites que l'éveil est partout, alors ils vous demanderont : « Où

Maître Kyoan Ejaku (807-883). Maître Keicho Beiko successeur de Maître Isan Reiyu. 12 Dai ni tō |第二頭 (jap.) Quelque chose qui est impossible ou superflu.. Une métaphore souvent utilisée dans les textes Abhidharma. 10 11

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Daigo | 大悟

se trouve l'éveil dans notre quotidien? Est-ce vraiment l’éveil ? Avons-nous vraiment besoin de l’éveil ? » 18. Les moines d'aujourd'hui pensent qu'il y a deux possibles : le non_ éveil et l'éveil. Ils s'imaginent que le non_éveil devient l'éveil et que l'on obtient cela de quelqu'un ou de quelque part. C'est prétendre que le non_éveil est, et a toujours été, une forme de l'éveil. C'est prétendre que l'éveil d'aujourd'hui n'est que l'éveil d'hier - l'éveil ne commence pas au moment de sa perception. Par conséquent, toutes choses, dans l'instant, sont l'éternel présent de l'éveil. C'est cela la compréhension absolue, c'est Daigo.

Daigo | 大悟 Prononcé devant les moines à Kannondori, Kōshōhōrinji, le 20 janvier 1243 et retranscrit par Ejō en mars 1244 à Kippoji.

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[11] Zazengi | 坐禪儀 Protocole pour la méditation assise.

坐禪 Za. Translittération du Sankrit āsana pour assise, posture. 禪 Zen. Translittération du Sankrit dhyāna - en chinois T’chan en japonais Zen - pour médiation | 靜慮, concentration ou contemplation. 儀 Gi. Principe, méthode, manière, façon de faire. Pourquoi : Protocole pour la méditation assise ? Protocole veut dire : description précise des conditions et du déroulement d'une expérience. Mots clés Posture, assise, coussin, zazen, lotus, demi-lotus. Noms Clés : Bouddha. Phrases clés : Zazen en soi est la pratique parfaite de l'éveil.


Zazengi | 坐禪儀

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1. Pratiquer le zen1, c’est pratiquer la méditation assise2. Pour la pratique de zazen3, utilisez un tapis épais et choisissez un endroit calme4 qui ne soit pas humide et qui ne soit pas à la merci des courants d'air. Comme la posture utilisée est la même que celle de Shākyamuni quand il eut l'éveil, considérez l'endroit où vous êtes assis comme le siège de diamant5. 2. Par le passé, certains moines ont pratiqué l'assise sur de grosses pierres6 et les disciples directs du Bouddha ont utilisé des coussins d'herbe. 3. De jour comme de nuit, utilisez un éclairage diffus. Le lieu choisi ne doit pas être trop sombre, il doit être chaud l'hiver, frais l'été. Soyez confiant et cessez toutes activités mentales. Ne pensez ni au temps, ni aux circonstances et encore moins aux bonnes et aux Translittération du Sankrit dhyāna - en chinois T’chan en japonais Zen - pour médiation|靜慮, concentration ou contemplation. 2 Sanzen | 参禅 (jap.) ; le premier caractère San |参 signifie pratiquer ou examiner soigneusement lors d’un entretien privé, le Maître et le disciple examine ensemble la compréhension de ce dernier. Le terme le plus utilisé est dokusan |独参 (jap.). Dans ce passage Dōgen semble utiliser le terme Sanzen | 参禅 pour signifier la pratique de Zazen comme examen “ privée “ de sa compréhension [sanzen wa zazen nari] cf. Fukanzazengi | 普勧坐禅儀 al. 5. 3 Zazen|坐禪 (jap.) méditation assise. 4 Jōssho |静處 (jap.) endroit tranquille, lieu isolé ; ce terme désigne soit une forêt ou une montagne ou encore un monastère. 5 Référence à l’épisode de la vie du Bouddha qui eut l’éveil sous l’arbre de la bodhi, visible encore aujourd’hui à Bodh-Gayā en Inde. 6 Exemple Maître Sekitō Kisen |石頭希遷 (700-790). Disciple de Daikan Enō |慧能 l'auteur du Sandokai |参同契, mais aussi du Soan No Gin qui peut se traduire en français par “Chant de la hutte de chaume“. 1

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mauvaises pensées7. Zazen n'est pas une période consacrée à la réflexion et encore moins à l'intériorisation. Ne pensez pas à devenir un Bouddha8. Détachez-vous9 de l'idée d'être assis ou couché10. Mangez et buvez sobrement11. Ne perdez pas votre temps. Concentrez-vous uniquement sur votre pratique de Zazen. Prenez exemple sur le cinquième Patriarche Konin12 du mont Obai, tous ses faits et gestes étaient conditionnés par la pratique de zazen. 4. Quand vous vous asseyez en zazen, revêtez le kesa13 et utilisez un petit coussin rond14. Ne vous asseyez pas au milieu du coussin. Placez vos fesses sur la partie frontale. Croisez vos jambes et posez-les sur la natte. La base de votre colonne vertébrale doit reposer sur le coussin. C'est la posture qui a été transmise de Bouddha en Bouddha, de Patriarche en Patriarche. 5. Vous pouvez aussi vous asseoir dans la posture dite du lotus ou du demi-lotus15. Dans la posture du lotus, le pied droit est posé sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite. Les jambes sont à l'horizontale et le dos parfaitement droit. Dans la posture du demi-lotus, seul le pied gauche est sur la cuisse droite et le pied droit est plié à l'horizontale sous la cuisse gauche. 6. Desserrez votre robe, placez correctement votre Kesa et redressez-vous. Placez votre main droite sur le pied gauche et la

Référence aux dires du sixième patriarche Enō : “ne pensez, ni au bien ni au mal“. Réf. Entretien entre maîtres Enō et Mazu. Cf. Zazen shin | 坐禪箴. 9 Ici le verbe est datsuraku |脱落 (jap.), le même utilisé dans shinjin datsuraku |身心脱落. Cf. Hokyō-ki |寶慶記. 10 Deux des quatre activités quotidiennes : marcher, se tenir debout, s’asseoir, et se coucher ; Gyō ō zaga | 行 往坐臣人. Mais parfois cette expression est utilisée aussi pour signifier le fait de ne pas s’agiter. 11 Cf. Hokyō-ki |寶慶記. 12 Maître Daiman Kōnin |弘忍. 13 Kasaya (skt) Kesa |袈裟 (jap.) Le vêtement caractéristique des moines bouddhistes. 14 Za| 座 ici Za le sens de siège et Fu|蒲 jonc, zafu littéralement veut dire siège de jonc. Aujourd’hui c’est un coussin rempli de kapok. 15 Kekka-fuza |結跏趺坐 (jap.) lotus complet ; Hanka-fuza |半跏 趺坐 demi lotus. 7 8

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Zazengi | 坐禪儀

main droite dans la main gauche16, les pousses s'effleurent. Les deux mains sont placées contre le corps. Le haut des pouces doit être à la hauteur de votre nombril. Souvenez-vous que votre dos doit être bien droit. Ne vous penchez ni vers l'avant, ni vers l'arrière et ni à gauche, ni à droite. Vos oreilles sont dans l'alignement de vos épaules, et votre nez est dans un même plan que votre nombril. Placez votre langue contre le palais. Respirez par le nez, les dents et les lèvres se touchent. Vos yeux doivent être mi-clos17. Après être bien installé, prenez une profonde respiration. Votre posture doit être aussi stable qu'une montagne. 7. Penser sans penser. Comment ? En utilisant le non_penser. C'est cela la merveilleuse18 pratique de zazen - l'assise. Pratiquer zazen ce n’est pas étudier la méditation, ce n’est pas un moyen pour obtenir l’éveil, c’est l'action complètement aboutie19 de Bouddha. Zazen en soi est la pratique parfaite de l'éveil.

Zazengi | 坐禪儀 Enseignement donné En novembre 1243 aux moines de Kippōji.

Hokkai-jōin | 法界定印 (jap.) mudrā cosmique. Cf. Hokyō-ki |寶慶記 18 Cf. Soūtra du lotus. 19 Fu senna no shushō |不深汚の修證, pratique et examen non souillé ; shushō | 修證 (jap.) samudāgama (skt) la réalisation induite (conséquence de la pratique). 16 17

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[14] Kūge |空華 Fleurs dans le ciel.

空 Kū. Espace, ciel, mais aussi utilisé pour vide “çūnyatā“ (skt). 華 Ge. Fleurs. Pourquoi : Fleurs dans le ciel ? Nous avons préféré cette traduction à celle de “ fleurs de la vacuité “ pour garder cette métaphore utilisée dans le soūtra de l’Eveil parfait d’Aśvaghosa1 – Perception de fleurs “ irréelles “ dans le ciel causée par un désordre ophtalmique2. Pour ne pas alourdir le texte, nous avons choisi parfois de ne pas traduire le terme “ kūge“. Mots clés : Fleur dans le ciel, vacuité, lotus, kūge. Noms Clés : Bouddha. Phrases Clés : Chaque kūge émane de la terre et une terre dans chaque floraison de kūge. Une fleur de lotus bleu s'épanouit au cœur du feu.

1 ASVAGHOSA

: Le Soūtra de l’Eveil parfait, éd. Fayard collection Trésor du Bouddhisme, traduction française de Catherine Despreux, p. 53. 2 Comme des taches devant les yeux provoquées par les fragments opaques de cellules dans l’humeur vitreuse [Muscae volitantes] ou taie.


Kūge |空華

Texte

« Une fleur à cinq pétales fleurit, Les fruits murissent, c’est ainsi3. »

1. Si vous voulez comprendre le véritable sens de ces vers de Bodhidharma, vous devez chercher l’instant où la fleur s’épanouit. Le temps de la fleur est le temps des cinq pétales. Discerner la vérité d’une fleur à cinq pétales, résulte de ce que déclare Bodhidharma : « je suis venu sur cette terre pour transmettre le Dharma, afin de sauver toutes les personnes égarées [qui souffrent de leurs illusions]. » 2. “ Les fruits murissent, c’est ainsi “ c’est discerner la vérité du fruit chez autrui [les effets de la pratique]. Nous devrions le faire spontanément. Dans le monde ordinaire se trouve la cause [pratique]. Dans le monde ordinaire se trouve le fruit [effet]. Par la pratique de cette relation de cause à effet, nous réalisons l’essence [les fruits murissent]. Ce qui est ainsi est en réalité le “ moi4 “ qui est inévitablement le “ toi “. C’est ainsi, quand notre moi est le Soi véritable5, il n’appartient ni à nous, ni aux autres - ce sont les cinq agrégats et les quatre éléments. Etre ainsi6 au-delà de toute dualité 3 Jinen |自然 : Ji |自soi-même, Nen |然 ce qui est ainsi de soi-même, état naturel (jap.). Nous avons préféré traduire Jinen par : c’est ainsi. Mais ce terme peut aussi vouloir dire automatiquement spontanément, naturellement. Il peut aussi parfois être traduit par 眞如 : tathatā. 4 Jiko |自己 : Ji |自, Ko |己 le moi, soi-même (jap.). 5 Cf le livret n°1, Genjō Kōan |現成公案. 6 Mu I Shin Jin |無位真人 (jap.) la personne vraie sans statut, qui ne se distingue plus par sa personnalité, son sexe, sa race et son niveau social. Ces propos de Maître Rinzai

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et de toutes notions : de forme, d’appellation, de moi ou de quelqu’un d’autre, demande de comprendre et d’admettre que “ les fruits murissent en tant que fruit “ veut dire qu’il y a un temps de floraison et un temps pour les fruits. 3. Par exemple, c’est comme une fleur de lotus7 bleu qui fleurit dans les pays chauds. Si elle n’a pas d’endroit où fleurir, alors il ne pourrait y avoir l’étoile du matin pour guider Shākyamuni vers l’éveil. L’important, c’est qu’il y a d’innombrable lotus bleu - dans le passé et dans le présent – dans la lueur d’une étoile scintillant au firmament. Si vous avez la chance de faire l’expérience des chaleurs tropicales, vous ferez l’expérience du lotus bleu. 4. Un ancien Patriarche aurait déclaré : « une fleur de lotus bleu s’épanouit au cœur du feu8. » Pour comprendre le “ cœur9 du feu “, il nous faut savoir où cette fleur s’épanouit. Pour y arriver, vous devez vous débarrasser de vos vues personnelles et de celles des dieux. Si vous doutez de l’existence de ce lotus bleu, vous doutez aussi qu’un simple lotus puisse pousser dans l’eau, qu’une fleur puisse être présente sur une branche ou sur un rameau. S’il vous reste un doute, alors doutez aussi de la perception que vous avez de ce monde où vous demeurez10. Et pourtant vous n’en doutez pas. 5. Si vous n’atteignez pas le même stade que les Patriarches, vous ne pourrez pas comprendre que le monde apparaît lorsqu’éclot sont consignés dans le “ recueil de Linji | 臨濟錄 “ et se rapportent à la nature vraie, ou à la nature_Bouddha qui est immanente chez chaque personne. Mu I Shin Jin |無位真人 (jap.) fait aussi référence à quelqu'un qui s'est éveillé à sa vraie nature. 7 Ubara |優鉢羅 (jap.), utpala (skt). Utpala : nom d'une fleur de la famille des nymphéacées [nénuphar, lis d’eau, lotus] qui est décrite, selon différents textes, comme étant rouge, verte, ou blanche. 8 Référence à un poème de Maître Dōan Satsu, dans le Keitoku-dento-roku |景徳伝灯録. 9 Ici, il n’est pas question de Shin |心 mais concrètement là où se elle trouve. 10 Kiseken | 器世間 bhājana-loka (skt) : se traduit par “ monde de réceptacle “, “ monde de récipient “, “monde non-sensible “, etc. En raison du karma, les êtres sensibles sont dans l’attachement et l’appropriation, pas uniquement matérielle, mais aussi conceptuelle. Selon la doctrine du Yogācāra, c’est la perception qu’ont les êtres sensibles du monde dans lequel ils vivent. 57


Kūge |空華

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une fleur11. Quand la fleur s’épanouit, ce n’est pas un pétale qui fleurit mais toute la fleur, et quand une fleur fleurit, toutes les fleurs fleurissent successivement12. Si vous saisissez ce principe, alors vous pouvez comprendre comment vient l’automne. Cependant, nous ne devons pas seulement clarifier le sens du printemps et de l’automne, de leurs fleurs, de leurs fruits, mais aussi comprendre nos propres fleurs et nos propres fruits. 6. Les fleurs et les fruits ont leur propre espace-temps et inversement l’espace-temps, a lui aussi ses propres fleurs et fruits. Toutes les sortes d’herbes ont chacune leurs propres fleurs. Chaque arbre a sa fleur propre et son propre fruit. Et si nous comparons les hommes aux arbres, chaque homme possède sa propre fleur. Les arbres desséchés ont aussi leurs propres fleurs. 7. Parmi toutes ces choses, il y a kūge. Si vous considérez cette fleur uniquement sur le plan des idées, alors vous ne serez jamais à même de percevoir sa véritable couleur, car vous ne discernez que son apparence - votre vision étant limitée - non pas son essence, celle d’une fleur dans le ciel. 8. Il n’est fait notion de kūge que dans la doctrine bouddhique. Les personnes étrangères à la Voie de Bouddha ne peuvent pas entendre le mot “ kūge “ ni même en faire l’expérience. Seuls les Bouddhas et les Patriarches ont une compréhension parfaite13 des fleurs dans le ciel, des fleurs sur terre et des fleurs dans le monde. Puisque kūge est le seul moyen dont disposent les Patriarches, alors le monde des Bouddhas et les enseignements des Bouddhas ne sont rien d’autre que kūge. 9. Quand Shākyamuni dit : « les personnes qui ont l’œil couvert d’une taie et qui ont une vision défectueuse distinguent parfois l’image d’une fleur dans le ciel, cette fleur est kūge. » “ L’œil 11 Texte de Maître

Prajñātara, le Maître de Bodhidharma : « une fleur éclot et le monde apparaît », dans le Keitoku-dento-roku |景徳伝灯録. Une autre traduction de ce texte faite par Kosen Nishiyama : « quand une fleur éclot, c’est le monde tout entier qui devient le printemps ». 12 Zensansan |前三三 ; Gosansan| 後三三 (jap.) : trois avant et trois après encore l’un après l’autre, successivement, simultanément ; cf. le livret n°12, Tsuki |都機. 13 Kaku ryō|覺了(jap.) Pratyavagama (skt) : compréhension, ou appréhender clairement. 58


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couvert d’une taie “ désigne le point de vue erroné de ceux qui conjecturent. Par conséquent, ils font exister les concepts comme les trois mondes14, les six voies d’existence, ils spéculent sur la présence ou non de la nature de Bouddha. Ils pensent que si l’œil couvert d’une taie est soigné, alors la fleur dans le ciel disparaît, et ils finissent par affirmer que le ciel est originellement sans fleurs. 10. Les Bouddhas se sont toujours efforcés d’expliciter la notion de kūge, il est regrettable qu’il y ait encore tant de personnes ne sachant pas la signification et la particularité de cette fleur. Il semble qu’elle puisse être appréhendée ni par les gens ordinaires15 ni par ceux qui ne suivent pas la Voie bouddhique. C’est par la pratique de kūge que les Tathāgata reçoivent la robe, le siège pour enseigner, la demeure, qu’ils parviennent à la vérité et que les fruits murissent. L’interaction entre l’acte de Shākyamuni tenant une fleur en silence et le sourire de Mahākāśyapa16 est une relation d’esprit à esprit renouvelée en voyant kūge à partir d’une vision rétablie. Kūge existe dans le Trésor de la vraie Loi et l’esprit serein du nirvāna, et elle se transmet de Patriarche en Patriarche. Éveil, nirvāna, réalité de notre véritable nature sont chacun un des cinq pétales de kūge. 11. Shākyamuni disait : « c’est comme si une personne ayant une taie sur l’œil voyait des fleurs dans le ciel. Si on enlevait cette taie, les fleurs disparaîtraient dans le vide. » La majorité des moines ne comprennent pas ce qu’est que la vacuité, alors ils ne peuvent pas comprendre le véritable sens de kūge. Comme ils ne comprennent pas kūge, ils sont inaptes à reconnaître, à rencontrer puis à être une personne ayant une taie sur l’œil. C’est de la rencontre avec une personne ayant une taie sur l’œil qu’il est possible de comprendre le véritable sens de kūge et que la fleur dans le ciel se volatilise. Ceux qui ont une approche du petit véhicule pensent qu’une fois la fleur disparue, elle ne peut plus réapparaître. Quand Sengai|三界 : les trois mondes. Comprendre la relation qui régente le nirvāna, la réalité et l'existence, c'est enlever la taie sur l'œil. 16 Makakashō| 摩訶迦葉 : Disciple du Bouddha, le premier pour l'observance de la discipline (shila), dont le nom d'avant la conversion est Pippali ; Maître Keizan Jokin ; Den Kō Roku |伝光録, la transmission de la lampe, chap .2. 14 15

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Kūge |空華

kūge n’est plus vue, où s’en est-elle allée ? Ils ne retiennent que le fait qu’elle devrait être abandonnée. Ainsi, ils laissent s’échapper l’occasion de comprendre ce qui en résulte, comme la germination, la maturation puis le renoncement à la fleur dans le ciel. Comme les Bouddhas ont semé les graines de la Voie et l’éveil associé à la pratique jusqu’à l’obtention du fruit, kūge sème les graines de la vacuité. Cependant, certains des disciples pensent qu’il n’y a que le ciel au-dessus de leur tête. Ils pensent que kūge n’est qu’un nuage errant d’est en ouest, et de haut en bas au gré du vent. Ils n’ont jamais assimilé que les quatre éléments, comme les plaines, les montagnes, les rivières et finalement toutes les choses de ce monde ne sont que kūge. Malheureusement, certains des disciples ne peuvent voir au-delà du monde des phénomènes. Dans leur conception, kūge n’existe que parce qu’il ya une taie sur l’œil et ils ne peuvent imaginer qu’il puisse y avoir d’autres raisons. 12. Un Bouddha, une personne éveillée, qui a l’illumination parfaite ou qui est au-delà de l’éveil se compare, dans le bouddhisme authentique, à quelqu’un qui a une taie sur l’œil. Certaines personnes pensent qu’elle cache une toute autre vérité. C’est une erreur de penser ainsi. Dans certaines occasions, il est possible de voir une fleur parce qu’il y a une taie sur l’œil. Mais cela proviendrait uniquement de la recherche de l’éveil sans avoir réalisé que la maladie elle-même est la racine de l’éveil. 13. Si nous comprenons les conditions de la taie sur l’œil, nous pouvons comprendre kūge et se détacher des deux. Nous pouvons les percevoir comme une circonstance de la réalité et comme une condition absolue. Et plus encore, chaque circonstance est l’univers tout entier exprimant sa propre vérité. [Rien ne manque, rien n’est de trop]. La taie sur l’œil et kūge sont ainsi. Elles ne sont pas concernées par le passé, le présent et le futur ou par le commencement, ni par le déroulement, ni par la fin. Elles sont indépendantes de la production et de la destruction, même si tout l’univers est régi par le cycle de naissance et de mort. 14. Il y a plusieurs méthodes pour appréhender kūge : celles qui découleraient du point de vue de la taie sur l’œil, de l’observation par la vision de l’esprit, par la vision des Bouddhas, par la vision des Patriarches, par la vision de la Voie, par la vision de l’illumination, par la vision des 3000 ans, par celle des 800 ans, par 60


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la vision infinie et par la vision illimitée. La fleur représente les multitudes de formes de l’existence dont l’essence est la vacuité. Chaque forme spécifique de vacuité peut être vue dans une fleur coupée. La vacuité universelle fleurit comme une fleur. Nous devrions savoir que le ciel n’est rien d’autre qu’un simple brin d’herbe dont la fleur fleurit dans l’espace. C’est comme les fleurs d’une touffe d’herbes en pleine floraison. Habituellement, il n’y a pas de fleur dans le ciel. Dans la Voie du Tathāgata, ordinairement, il n’y a pas de fleur. Mais à présent, il y a des fleurs comme celles du pêcher, du prunier et du saule. 15. Considérons le dicton suivant : « hier, les pruniers n’ont pas fleuri, ils doivent attendre le printemps. » Lorsque le printemps vient naturellement, les arbres fleurissent. C’est le temps des fleurs, de la floraison. Ils devront comprendre que chaque chose a sa propre période de fructification. Cela ne peut pas être détérioré. Les pruniers fleuriront toujours, les pêchers, les saules aussi, sans malentendu. Similairement, la fleur dans le ciel ne peut jamais être troublée, ni détériorée. 16. Par l’observation des différentes couleurs de kūge, vous pouvez constater que la vacuité offre tous les cas possibles de fruit. Étudiez le printemps et l’automne de la fleur dans le ciel, vous verrez les fleurs s’épanouir, puis se faner. Comme kūge a des milliers de formes, le printemps a d’innombrables aspects et le printemps et l’automne ont un passé et un présent. Si après tout cela, vous pensez encore que kūge n’est pas une fleur réelle, alors votre compréhension de l’enseignement du Bouddha est limitée. Si après avoir entendu l’enseignement de Shākyamuni, vous pensez encore que kūge n’existe pas originellement, alors vous manquez de pratique et vous devrez chercher davantage à comprendre. 17. Un Patriarche17 aurait dit : « autrefois, les fleurs n’étaient jamais en fleur. ». Cela veut dire qu’il n’y a pas de naissance ou de destruction et par conséquent pas de fleur qui fasse en sorte que l’essence soit permanente. Ne perdez pas votre temps dans des arguments inutiles. Ne soyez pas attachés à la relation qu’il peut y Référence à Maître Taiso Eka |慧可 (487–593) ; cf. Maître Keizan Jokin : le Den Kō Roku |伝光録 la transmission de la lampe et le Keitoku-dento-roku |景徳伝灯録.

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Kūge |空華

avoir entre la fleur et le temps. La fleur a différentes colorations, mais les couleurs à elles seules ne définissent pas leurs formes. Non seulement les fleurs ont leur propre cycle, mais chaque instant a sa couleur comme le bleu, le jaune, le rouge, le blanc. Le printemps apporte les fleurs, qui amènent le printemps. Il n’y a pas d’opposition entre les deux. 18. Chōtokutsu - un esprit brillant, disciple laïc de Sekisō18 - pour consigner sa réalisation, écrivit ceci : « la lumière sublime éclaire sereinement chaque grain de sable du Gange. » C’est cette nitescence qui se réalise comme “ carrée des moines “, “ galerie des Bouddhas “, “ bâtiment administratif “ et “ trois portes19. “ « Chaque grain de sable du Gange » se réalise par la sublime lumière et chaque grain de sable se réalise comme “ lumière sublime “. « Les saints et les gens ordinaires vivent chacun dans ma propre maison. » Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune différence entre les saints et les gens ordinaires, mais qu’il ne faut pas faire de discrimination. Si vos décisions les plus intimes se fondent sur l’esprit de Bouddha, vous serez à même d’atteindre la réalisation. Toutes les intentions religieuses devraient émaner de l’esprit de Bouddha et guider, comme il se doit, la réalisation de la vérité. Nos intentions religieuses devraient prendre appui sur notre conscience intérieure profonde, sinon les nuages d’illusions apparaîtront. 19. « Si l’idée que l’on se fait des six organes est erronée, la réalité ne peut pas être clairement perçue. » Les six organes des sens [les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit] fonctionnent conjointement, en harmonie. Ils sont comme des nuages lourds de pluie entourant le sommet du Mont Sumeru. 20. « Même si les passions sont tranchées, nous souffrons encore de ce mal. » Ce mal est différent du mal ordinaire. Ce sont les maux des Bouddhas et des Patriarches. Quand toutes les passions sont Sekisō Keisho |石霜慶諸 (807-888), disciple de Dogo Enchi |道吾圓智 Référence au livret N°15, Kōmyō |光明. Les trois portes correspondent aux trois accès du monastère. 18 19

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tranchées, ce mal augmente. De ce fait, détachement et illusions existent conjointement et les illusions possèdent la faculté de se dissoudre elles-mêmes. 21. « C’est une erreur de nier ou d’affirmer la vérité. » S’enfuir ou affronter la vérité est préjudiciable. Même si la vérité pouvait s’apercevoir en de telles attitudes, qui pourrait mesurer la distance qu’il y a entre la supercherie et la vérité ? 22. « Toute relation renferme le détachement. » L’interdépendance produit indéfiniment des relations harmonieuses. C’est le détachement. Attachement et détachement doivent fonctionner conjointement et librement dans votre vie. 23. « Nirvāna et Samsāra sont les fleurs dans le ciel, kūge. » Le nirvāna doit être atteint par tous les Bouddhas, les Patriarches et les disciples. La naissance et la mort sont le corps réel de l’homme. Les racines, les tiges, les feuilles, les fruits et les formes de chaque fleur sont kūge. De la vacuité, elle produit ses fruits et dans le ciel du vide infini, elle plante ses graines. Depuis que les trois mondes sont un pétale de kūge en fleur, ils ne sont pas différents, kūge est la vraie forme des phénomènes, la vraie forme de la fleur du prunier, du saule ou du pêcher. 24. À quoi ressemble le Bouddha ? demanda Maître Rinkun du mont Fuyō au Maître Shishin de Kishu, lorsqu’il lui rendit visite. - Je vous donnerai bien une réponse, mais me croirez-vous ? - Et pourquoi donc douterai-je de la parole d’un Maître ? rétorqua Rinkun. - En tant que ce que vous êtes, à vous-même. - Alors que dois-je faire ? - Quand un voile persistant trouble votre vision, les fleurs dans le ciel se faneront, lui répondit Maître Shishin. 25. Ce que voulait dire Shishin, c’est de faire nôtre le degré de réalisation de Bouddha. C’est l’actualisation de la vision de Bouddha qui a été comprise par tous les Bouddhas - c’est l’œil et le 63


Kūge |空華

trésor de la vraie Loi. Kūge s’actualise d’elle-même dans nos yeux et vice versa. Si notre vision est influencée par kūge, nous pouvons voir les choses telles qu’elles sont en réalité. Nous pouvons voir kūge dans tout l’univers entier - dans le ciel, dans les fleurs, dans nos yeux et dans notre corps. L’expression « fleur dans le ciel » doit aussi être explicitée. Voici ce qu’en dit le grand Maître Kōshō du mont Rōya : « c’est avec profondeur et mystère que les Bouddhas observent la fleur dans le ciel. Pour voir cette fleur, vous devez avoir la même compréhension des Bouddhas. Si vous faites de la sorte, vous pouvez percevoir les Bouddhas du passé. Si ce n’est pas le cas, alors les hinayanistes et les pratyeka-buddha seront fous de joie. » Faites attention, n’allez surtout pas penser que les Bouddhas sont réels, pour l’instant, ils ne sont que “ les fleurs dans le ciel “. Tous les Bouddhas vivent là ; ils n’ont aucune place ailleurs pour vivre. Kūge n’a que faire des notions telles qu’être, non_être, vide, forme. Elle n’est que la manifestation de tous les Bouddhas. Vous devriez savoir, à défaut de le comprendre, que kūge existe. Les spécialistes des soūtras et de l’Abhidharma peuvent entendre le mot kūge, mais seuls les Bouddhas entretiennent une relation naturelle avec elle. L’essence du bouddhisme est révélée à la fois dans kūge et dans la fleur poussant sur terre. 26. Le Maître zen Etetsu - de la lignée de Ryōzan - du mont Sekimon qui vivait au temps de la dynastie Sung, était un excellent Maître. Un jour, un moine lui posa la question suivante : - Qu’est-ce qui est comparable à un trésor caché dans la montagne ? En réalité, il voulait dire “ à quoi ressemble le Bouddha ou à quoi ressemble la Voie ? “ Sekimon répondit : - Kūge émane de la terre. Nous aimerions tous pouvoir la posséder, mais il n’y a aucun moyen de l’obtenir. Sa réponse semble être sans rapport avec le sujet. L’interprétation que l’on donne, est que kūge ne pousse que dans la vacuité. Si personne ne sait comment elle pousse dans la vacuité, comment 64


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pourrions-nous savoir de quelle façon elle peut bien pousser sur la terre ? Peut-être que Sekimon le savait, lui. 27. “ De la terre “ inclut tous les stades de la croissance - début, milieu et fin. Kūge pousse et fleurit partout dans le monde. Mais si vous la poursuivez afin de l’obtenir, il n’y a aucun endroit où vous pourrez la trouver. Chaque kūge émane de la terre et une terre survient dans chaque floraison de kūge. En conclusion, on ne peut dire qu’une chose : c’est kūge qui porte et fait mûrir les fruits autant sur terre que dans les cieux.

Kūge | 空華 Enseignement donné aux moines à Kannondōrï le 10 mai 1243 retranscrit par Ejo en janvier 1244 et en août 1318.

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[21] Zenki | 全機 Etat dynamique.

全 Zen. Complètement, entièrement. 機 Ki. Signe, indication, présage, symptôme. Capacité pour qu’une chose soit produite lors du contact avec une autre chose. Pourquoi : Etat dynamique ? En lisant le texte de Maître Dōgen, on apprend que la vie comme la mort est un état de mouvement, un état dynamique, un état instantané. Mots clés : Manifester, dynamique, réalisation. Noms Clés : Kokugon, Engo. Phrases Clés : La vie est un état dynamique qui se révèle ; inversement la mort est un état dynamique qui se manifeste.


Zenki | 全機

Texte

1. La grande Voie de tous les Bouddhas, quand elle est parfaitement acquise, est la réalisation de la libération de la souffrance1. Nous devons nous libérer des affres de la vie dans la vie, et de celles de la mort dans la mort. La vie est un état dynamique, la mort est aussi un état dynamique. Ainsi, il y a entrée dans la vie et la mort2 comme sortir de la vie et la mort. La vie, c'est la réalisation de la libération de la souffrance. La réalisation de la libération de la souffrance, c’est la vie. La vie et la mort ne sont qu’expression de l’état dynamique. S'en détacher complètement, c'est s'immerger entièrement dans la vie et dans la mort3. 2. La réalisation de l'éveil est la vie véritable – la libération totale de la souffrance. Quand nous réalisons l'éveil, le sens de la vie et de la mort devient totalement clair. Cependant, l’instant de chacun des mouvements dynamiques4 ne peut être défini ni par la conscience, ni par la connaissance, ni par les notions telles que grand ou petit, infini ou fini, long ou court, près ou loin. 3. Notre vie concrète est constituée d’instants dynamiques et ces

1 Tōdatsu |透脫 (jap.). Entre autre dans le “ Japanese-English Zen Buddhist Dictionary (Yokoi) “ - ce terme est traduit par : exempt de souffrance, libération ou encore détachement. La réalisation de la libération de la souffrance est, pour Maître Dōgen, l’existence comme expression de l’Eveil, l’expression du Soi véritable. Livret n°1, Genjō Kōan |現成公案. 2 Vie et mort, samsāra (skr), souffrance ; c’est pour cela qu’il y a “ entrer “ dans la souffrance et “ sortir “ de la souffrance. 3 Comprendre la vie et la mort est un des moyens avec lequel les Bodhisattvas obtiennent leur salut et celui des autres. 4 Kikan |透閑 (jap.). C’est l’instant où il y a changement d’état.

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DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'Œil de la Vraie Loi

instants dynamiques sont constituants de la vie. La vie n’est pas ce qui vient ou ce qui passe, elle n’est pas ce qui apparaît ou ce qui disparaît. La vie est un état dynamique qui se révèle, inversement la mort est un état dynamique qui se manifeste. En ce qui concerne le soi, il y a la vie et il y a la mort. C'est le sens qui est donné à la nature incommensurable de la pratique bouddhique. Si nous réfléchissons sur notre vie présente et si, graduellement, nous nous éveillons, le monde commence à se manifester à nous dans sa véritable apparence. Chaque état dynamique de la vie contient l'univers tout entier. Chaque instant détient complètement l'existence. 4. La vie est comme être sur un bateau. Même si nous contrôlons la voile, le gouvernail, les rames, le bateau, ses qualités restent inchangées : nous en avons absolument besoin pour survivre. Inversement, le bateau ne peut fonctionner correctement sans nous. L'homme et le bateau se complètent harmonieusement, exprimant totalement l'interdépendance. Quand l'homme et le bateau fonctionnent ensemble et forment une entité, toutes les activités du ciel, toute l'eau et tout le rivage aussi proviennent du même temps et du même espace. En quelque sorte, toutes les circonstances travaillent ensemble harmonieusement. C'est de cette manière que la vie et notre existence fonctionnent conjointement. 5. Selon Maître Engo Kokugon5, « la vie est un état dynamique qui se révèle. La mort est un état dynamique qui se révèle. » Vous devez étudier et comprendre ses propos. Ces deux dimensions ne s'opposant pas, elles existent ensemble dans l'expérience de l'univers tout entier. Elles n'ont aucun rapport avec l'espace et le temps. 6. 『 L’état dynamique se réalise dans la vie et la mort, et rien ne peut lui faire obstruction. Chacun des états dynamiques de la vie et de la mort sont uniques. Ils ne sont pas totalement différents, mais pas totalement identiques. Ils ne sont pas multiples. Ce qui n’est pas perçu comme vie ou mort est aussi expression de l’état dynamique. Chacun a sa propre vie, chacun a sa propre mort. Par 5

Engo Kokugon |圜悟克勤 (980-1052). Maître de la lignée de Maîte Rinzai. 69


Zenki | 全機

cela, nous pouvons découvrir la véritable nature de notre existence. L’état dynamique de l’existence est comme un homme qui plie ou étire le bras6. L’état dynamique s’accomplit, car il contient les pouvoirs d’actualisation de la divine lumière. 7』 7. Vie et mort apparaissent à chaque instant. Elles apparaissent instantanément, naturellement, sans y penser. Si nous nous y efforçons sérieusement, nous pouvons percevoir leur apparence. Au moment de la réalisation, la vie et la mort deviennent complètement claires. Surtout, n'allez pas penser qu’il n’y a pas d’état dynamique antérieur pouvant empêcher ce qui se manifeste à l’instant. Chaque instant est l’expression d’un état dynamique. Comprendre cela, c'est la réalisation sans fin qui se renouvelle sans cesse.

Zenki | 全機 Prononcé au château du Daimyo Hatanō Izumono Kami Yoshishige, le 17 décembre 1242 par Ejō.

6 Phrase extraite du Kan Muryōju Kyō : “ dès que la vie se termine, comme un homme dans la force de l'âge qui plie et étend son bras, on renaît dans le monde des pays de l’ouest. “ 7 Paragraphe difficile à traduire, Dōgen semble vouloir expliciter une complexité comparable au paradoxe de Zénon. Nous avons favorisé la traduction de l’Abbé Kōsen Nishiyama.

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[65] Nyoraizenshin | 如來全身 Le corps intégral du Tathāgata.

如來 Nyorai. Traduction chinoise du terme sanskrit tathāgata “ainsi venu“ un des dix qualificatifs donnés du Bouddha. 全 Zen. Complètement, entièrement 身 Shin. Corps Pourquoi : Le corps intégral du Tathāgata ? Non seulement il est question de la somme de toutes les parties constituant Tathāgata, mais cette entièreté semblerait faire l'objet d'aucune diminution, d'aucune restriction. Le terme qui nous a semblé juste d’utiliser est “ intégral “. Mots clés : Relique, tathāgata, éveil, éveil parfait, nyoraizenshin Noms Clés : Shākyamuni, Shishaku, Rajagrha, Grdhrakūta. Phrases Clés : Dans la réalité tangible, ce stūpa renferme le corps intégral du Tathāgatha, le soūtra du lotus renferme par conséquent l’entièreté de Nyoraizenshin.


Nyoraizenshin | 如來全身

Texte

1. Shākyamuni, lors d'une halte au Pic de Vautour1, au nord-est de Rajagrha, dit : « Yakuo2, où que tu ailles, expose, lis, chante et copie ce soūtra3. Où que tu te trouves, construis un stūpa et décore-le avec sept matériaux précieux (or, argent, émeraude, nacre, agate, corail, ambre). Construis-le, le plus haut, le plus grand et le plus majestueux que tu peux. Tu n'as pas besoin de déposer de reliques, car il contiendra déjà le corps intégral du Tathāgatha. Pour lui montrer ton respect et ta dévotion, décore-le avec des fleurs, de l'encens, des colliers de pierres précieuses et des ornements d'or. Joue de la musique, compose des chants et des poèmes en son honneur. Quiconque rendra hommage à ce stūpa de cette manière, sûrement, croisera l’inégalable éveil parfait 4. » 2. “ Soūtra “ est la somme totale de tous ces différents actes tels qu'exposer, lire et copier. Les soūtras et la décoration du stūpa avec les sept matériaux précieux sont l’aspect du réel5. C'est pour cela qu'il faut que ce stūpa soit immense, car il doit être à la mesure de jissō. Dans la réalité tangible, ce stūpa renferme le corps intégral du Tathāgatha. Par conséquent, le soūtra du lotus renferme l’entièreté de Nyoraizenshin. En y regardant de près, nous pouvons aussi faire le constat que le fait d'exposer, de lire, de chanter et de copier, recèle également l’entièreté de Nyoraizenshin. Lorsque nous exprimons notre respect en offrant Grdhrakūta (skr) |耆闍崛 (chn.), Ryojusen |靈鷲山 (jap.) : le pic des vautour ou mont des vautours ; Grdhra (skt) vautour |鷲. Bouddha et ses disciples passaient la période de la mousson dans la région de Rajagrha cernée de cinq montagnes dont Grdhrakūta. 2 Yakuo Bosatsu |藥王菩薩 , le bodhisattva roi des remèdes cf. Soūtra du Lotus Saddharmapundarika-sutra (skr) chap n° XXIII. 3 Ici il est question du Soūtra du Lotus. 4 Anuttara-samyak-sambodhi |阿耨多羅三藐三箁提 (chn.) 5 Jissō|實相 : Aspect du réel cf Shohō Jissō|諸法實相 livret n°43. 1

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DŌGEN | SHŌBŌGENZŌ | Trésor de l'Œil de la Vraie Loi

des fleurs, de l'encens ou toute autre chose, c'est encore une autre figure de jissō. Cet acte renferme tous les soūtras et le Tathāgatha. Nous honorons le Tathāgatha de cette manière, parce qu'il est la vérité en soi. C'est pour cette raison que nous n'avons pas besoin de reliques dans le stūpa. 3. Lorsque le Bouddha transmet le Dharma, ses paroles valent de l'or. L'écouter est la meilleure des vertus. Quiconque se prosterne sincèrement devant ce stūpa et l'honore, se rapprochera de l’inégalable éveil parfait. Dans le sens d’imminent mais surtout pas dans celui de physiquement proche. Exposer, chanter et copier le soūtra du lotus, c'est comme si on regardait à l'intérieur du stūpa. Nous devrions être très reconnaissants d'avoir cette possibilité d'accéder à l’inégalable éveil parfait. 4. C’est ainsi, les soūtras recèlent l’entièreté de Nyoraizenshin. Se prosterner devant les soūtras, c'est exactement comme se prosterner devant le Tathāgatha. Être reconnaissant en l'honorant, c'est être reconnaissant envers le Tathāgatha. En quelque sorte, le soūtra en lui-même est la relique du Bouddha. Comprendre cela, c'est voir la relique du Bouddha. Nous ne pourrons jamais posséder la Voie bouddhique si nous ne réalisons pas que le soūtra du lotus est l’aspect réel de tous les phénomènes6. Exposer, lire, chanter et copier le soūtra du lotus, c'est recevoir les reliques7 du Bouddha, c'est la Voie du pur éveil. Par “ soūtra “, nous désignons les os des Bouddhas du passé, du présent, du futur, moines, Shākyamuni, lions, statues, icônes, hommes, reliques des Bouddhas et des Patriarches vivant dans la grande dynastie des Sung. 5. J'ai pratiqué la Voie des Bodhisattvas durant maintes années. Les vertus d'une telle vie ne peuvent se tarir, aurait dit Shākyamuni devant une assemblée de moines. Tout ce que l'on peut inventorier comme reliques de Bouddha - les trois trésors, les soūtras - compose son existence dans l'éternité. La durée de vie d'un Bodhisattva ne peut être mesurée, le résultat serait

6 Shohō Jissō|諸法實相 (jap) Tous les phénomènes exprimant la vérité universelle et éternelle cf Shohō Jisso|諸法實相 livret n°43. 7 Le choix a été fait d’utiliser le terme relique en place du mot “os “.

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Nyoraizenshin | 如來全身

astronomique8. Elle transcende l'univers tout entier. Les soūtras renferment l’existence ininterrompue de Tathāgata. 6. Shakyamuni Bouddha a maîtrisé tous les types de difficultés. Après d'innombrables Kalpas de pratiques, il accumula toutes sortes de vertus, mais il ne cessa pas pour autant de rechercher la Voie des Bodhisattvas. Il n'y a aucun endroit - des atomes aux univers les plus vastes - où les êtres sensibles ne peuvent être sauvés par les efforts de dévotion d'un Bodhisattva. Shākyamuni a pratiqué la Voie des bodhisattvas pour que tous les êtres sensibles puissent atteindre eux aussi l’inégalable éveil parfait, disait le Bodhisattva Chishaku9. Maintenant, nous pouvons apercevoir qu'un milliard de mondes ne représente qu'une partie infinitésimale de l’esprit pur de Bouddha et que la pomme de la main du Bouddha peut contenir l'univers tout entier. Toutefois, nous devons comprendre que le corps intégral du Tathāgata dans son entièreté n'est pas influencé par l'étendue de sa vie ou autre chose, et que ses os ne dépendent pas d'un état physique acquis antérieur ou postérieur à sa manifestation dans ce monde. Sa pratique ininterrompue était l'expression et l'expérience de la matrice de Bouddha qui devint la peau, la chair, les os et la moelle du Bouddha. Même après être parvenu à l'état de Bouddha, il continua à pratiquer avec plus de ferveur. Et même si tous les êtres sensibles dans une infinité de monde étaient sauvés, il n'abandonnerait pas sa pratique. Sa pratique est l'activité suprême du corps intégral du Tathāgata.

Nyoraizenshin | 如來全身 Ceci a été prononcé devant les moines le 15 février 1244 à Kippōji et recopié le 23 juin 1279 à Eiheiji.

Une infinité de kalpa - mesure védique du temps. Un kalpa est égal à : 311 040 milliards d'années ou la durée d'un “ battement de cils “ de Govinda, seigneur suprême et infini. 9 Prajnakuta (skr) : bodhisattva ; accumulation de Sagesse, Chishaku|智積 (jap.) cf.Soūtra du Lotus chap.XXII. 8

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[91] Shōji |生死 Naître et mourir.

生 Shō. Peut se traduire par naître (umareru), vivre (ikiru), la vie 死 Ji ou Shi. Peut se traduire par mourir, décéder, la mort. Pourquoi : Naître et mourir ? Shōji aurait pu être traduit littéralement par naissance et mort ou la vie et la mort. Shō et Ji ou Shi donnent en sanskrit : jaati pour naissance et marana pour mourir ou encore samsāra1 tout simplement. Nos avons préféré traduire Shōji par deux verbes à l’infinitif “ naître et mourir “ pour rendre ce sens de l’existence comme espace et temps du possible. Parfois le terme Shōji est utilisé comme tel dans le texte traduit. Mots clés Nirvana, processus, éphémère, naissance, mort. Noms Clés : Bouddha, Jozan Shinei, Kassan Zen'e Phrases clés : Hors du processus de la naissance et de la mort, il n'existe pas de Bouddha. Pour accepter le processus de la naissance et de la mort comme le nirvāna, il n'est nul besoin de l'avoir en horreur ou de rechercher le nirvāna.

Composition de terme à partir de Shōji , Samsāra |生死涅槃 , transmigration ; samsāra dukkha |生死大苦, cycle de naissance et de cessation. 1


Shōji |生死

Texte

Quand un Bouddha n'est plus dans le processus de la souffrance, il n'y a ni naissance, ni mort. Hors du processus de la naissance et de la mort, il n'existe pas de Bouddha2. 1. Nous devons ces propos aux Maîtres Kassan Zen'e et Jozan Shinei3. Ils étaient des hommes de bon sens et nous devrions étudier avec soin ce qu'ils ont dit. Si vous souhaitez vous détacher du processus de la souffrance, il est essentiel de comprendre leurs propos. 2. Essayer de trouver Bouddha hors de Shōji4, c'est comme pointer le nord sur une carte quand vous voulez aller au sud, ou rechercher la grande Ourse en scrutant la partie sud du ciel. Si vous agissez ainsi, vous vous égarerez dans votre quête. 3. Pour accepter le processus de la naissance et de la mort comme le nirvāna, il n'est nul besoin d’avoir la naissance et de la mort en horreur ou de rechercher le nirvāna. C'est seulement de cette manière que vous pourrez vous détacher du processus de la souffrance. 4. C'est une erreur de croire que la naissance se transforme en mort. La vie est un état intégral, possédant une période distincte avec déjà un passé et un possible futur. C'est ce que veut dire dans

2 Expression extraite du Keitoku-dento-roku |景徳伝灯録 ; recueil chinois de la transmission de la lampe chap.7. 3 Kassan Zen'e (805-881) et Jōzan Shinei (771-853) 4 Samsāra ou monde de la souffrance.

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le bouddhisme le terme de non_naître5. L'arrêt de la vie est aussi un état intégral, une période particulière avec déjà un passé et un possible futur. L’extinction est vue comme non_extinction6. Lorsque l'on parle de naissance, il n'y a rien d'autre que naître. Lorsque l'on parle de mort, il n'y a rien d'autre que mourir. Quand toutes deux surviennent, nous devons les accepter telles qu'elles sont. Ne rejetez ou ne désirez rien d'autre. 5. Etre Bouddha c’est aussi naître et mourir. Si vous détestez et rejetez ce fait, alors vous ne deviendrez jamais Bouddha. Mais si vous vous y attachez, vous ne deviendrez non plus Bouddha et vous n’en connaîtrez que l’apparence. C'est seulement lorsque vous serez en mesure de ne plus détester Shōji et que vous aurez cessé de désirer le nirvāna, que vous pénétrerez l'esprit du Bouddha. N'essayez surtout pas de le définir avec votre esprit ou de le décrire avec vos mots. Lorsque vous aurez abandonné le corps et l'esprit7, alors la réalité du Bouddha vous guidera. Si vous suivez cette Voie, vous vous détacherez de Shōji. Sans effort et sans l'aide du mental, vous deviendrez Bouddha. Si vous comprenez cela, il n’y a plus aucun attachement. 6. C'est la Voie facile pour devenir Bouddha. Ne créez pas le mal, ne soyez pas attaché à Shōji. Ayez une profonde compassion pour tous les êtres sensibles. Respectez ceux qui sont au-dessus de vous et soyez aimable envers ceux qui sont au-dessous. Abandonnez haine et envie, peine et mesquinerie. C'est ce que l'on entend par être Bouddha. Ne recherchez rien d'autre. Shōji | 生死 Aucune date et aucun lieu mentionnés.

Fushō |不生 non_naissance. Notion développée également dans le Genjō kōan cf.Livret N°1. 6 Fumetsu |不滅 non_extinction ; metsu | 滅 peut vouloir dire tomber en ruine, périr. 7 Shinjindatsuraku |身心脱落 (jap.) 5

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Bibliographie

Traductions NISHIYAMA Kōsen, Shōbōgenzō : The Eye and Treasury of the True Law, Nakaya shobō, Japan Publications 1988, 697p. NISHIJIMA Gudo & CROSS Chodo Master Dogen's Shōbōgenzō, Booksurge Llc ; 2005, 4 Vol. YOKOI Yuho, & DAIZEN Victoria Zen Master Dōgen : an introduction with selected writing, Weatherhill ; 1976. 217 p. Etudes et essais ABE Masao, A study of Dōgen: His Philosophy and Religion, State University of New York Press; 1991, 251 p. ABE Masao, The Heart of Dōgen’s Shōbōgenzō, State University of New York Press; 2002, 118 p. DESHIMARU Taizen, Vrai zen, Introduction au Shōbōgenzō, Boutique Zen ; 1990, 259 p. CLERY Thomas F, Zen essay by Dōgen, University of Hawaii Press; 1986, 132 p. CLERY Thomas F, Rational zen: The Mind of Dōgen Zenji , Shambhala Pubns; 1992, 225 p.


Bibliographie

FAURE Bernard, La vision Immédiate : nature éveil et tradition selon le Shōbōgenzō, Le Mail ; 1987, 189 p. KIM Hee Jin, Dōgen Kigen, Univ.Arizona; 1982,384 p. KIM Hee Jin, Eihei Dōgen: Mytical realist, Wisdom Publications; 2004,320 p. KIM Hee Jin, Dogen on Meditation and Thinking, State University of New York Press; 2007, 169 p. LA FLEUR Willian R, Dogen Studies, University of Hawaii Press; 1985, 172 p. TAMABASHI Kazuaki, The essential teaching of zen Master Dogen, Shambhala Publications; 2000, 368 p. ORIMO Yoko, Le Shōbōgenzō de maître Dōgen, La Vraie Loi, Trésor de l’œil, éditions Sully ; 2003, 590 p. Revues. Aquinas and Dogen on Entrance into the Religious Life, Journal article by Douglas K. Mikkelson; Buddhist-Christian Studies, Vol. 25, 2005. Language in Derrida and Dōgen, Journal article by Toby Avard Foshay; Philosophy East & West, Vol. 44, 1994. 16 p. Doctrine and the concept of truth in Dōgen Shōbōgenzō, Dale S. Wright, Journal of the American Academy of Religion, Vol 54, No. 2 , 1986 , 257-277p. Stanford Encyclopedia of Philosophy , Dōgen et Sōtō zen text

project.

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Dictionnaires.

Zengaku daijiten (Komazawa U) A Glossary of Zen Terms (Inagaki) Japanese-English. Buddhist Dictionary (Daitō shuppansha). Kattō gosen (Mujaku Dōchū). Digital Dictionary of Buddhism. Vocabulaire Pali-français, éditions Aydar. Dictionnaire Sanskrit-français, éditions Jean Maisonneuve. Dictionnaire de la sagesse orientale, éditons Robert Laffont. Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme, Phillipe Cornu ; éditions Seuil.

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Vocable Anuttara-samyak-sambodhi | 阿耨多羅三藐三箁提 Bodai Shin | 菩提心 Bosatsu |菩薩 Byojoshin |平常心 Chishaku |智積 Cho Ga |長河 Dori | 道理 Fumetsu |不滅 Fushō |不生 Gi | 儀 Go |悟 Gō | 業 Gō | 劫 Go un |五 蘊

L’inégalable éveil parfait. Esprit d’éveil. Bodhisattva. L’esprit normal, esprit dans la réalité des trois mondes Prajnakuta (skr). Le bodhisattva accumulation de Sagesse. La voie lactée. Factuel. Non_extinction. Metsu | 滅 Tomber en ruine, périr. Non_naissance. Protocole, principe, méthode, manière, façon de faire. Percevoir, discerner, comprendre. Actes, action, karman (skr) Kalpa (Skr), Eon. La forme, la perception, la conception mentale, la volonté et la conscience Skandha (skt).

Hanka-fuza |半跏 趺坐 Hen | 片 Hokkai-jōin | 法界定印 Jiko |自己 Jinen |自然

Demi-lotus. Partie, fragment ; 心片 | esprit fragmenté. Mudrā cosmique. Ji |自, Ko |己 le moi, soi-même, ego. Ji |自soi-même, Nen |然 être ainsi, état naturel (jap.). Nous avons préféré traduire Jinen par : c’est ainsi. Mais ce terme peut aussi vouloir dire automatiquement spontanément, naturellement. Il peut aussi parfois être traduit par 眞如 : Tathatā.

Jissō |實相 Kaku ryō |覺了

Aspect du réel. Pratyavagama (skt) : compréhension, ou appréhender clairement.


Vocable Kanjizai-Bosatsu |観自在菩薩 Kekka-fuza |結跏趺坐 Kesa |袈裟 Ki | 機

Kikan | 透閑 Kiseken | 器世間

Kū |空 Mu I Shin Jin |無位真人

Nyorai | 如來

Avalokitesvara, le Bodhisattva de la compassion. Lotus complet. Kasaya (skt) Le vêtement caractéristique des moines bouddhistes. Dynamique, signe, indication, présage, symptôme. Capacité pour qu’une quelque chose soit produite lors du contact avec une autre chose. C’est l’instant où il y a changement d’état. Bhājana-loka (skt) : se traduit par “ monde de réceptacle “, “ monde de récipient “, “monde non-sensible “, etc. En raison du karma, les êtres sensibles sont dans l’attachement et l’appropriation, pas uniquement matérielle, mais aussi conceptuelle. Selon la doctrine du Yogācāra, c’est la perception qu’ont les êtres sensibles du monde dans lequel ils vivent. Espace, ciel, mais aussi utilisé pour vide “çūnyatā“ (skt). La personne vraie sans statut, qui ne se distingue plus par sa personnalité, son sexe, sa race et son niveau social. Ces propos de Maître Rinzai sont consignés dans le “ recueil de Linji | 臨濟錄 “ et se rapportent à la nature vraie, ou à la nature_Bouddha qui est immanente chez chaque personne. Mu I Shin Jin |無位真人 (jap.) fait aussi référence à quelqu'un qui s'est éveillé à sa vraie nature. Traduction chinoise du terme sanskrit Tathāgata “ainsi venu“ un des dix qualificatifs donnés du Bouddha.

Ryojusen | 靈鷲山

Grdhrakūta (skr) |耆闍崛 (chn.), le pic des vautour ou mont des vautours ; Grdhra (skt) vautour |鷲. Bouddha et ses disciples passaient la période de la mousson dans la région de Rajagrha cernée de cinq montagnes dont Grdhrakūta.

Samsāra Nirvāna | 生死涅槃 Samsāra dukkha | 生死大苦

Transmigration. Cycle de naissance et de cessation de la souffrance. Les trois mondes.

Sengai |三界

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Senika

Symbole de l'hérésie ou de celui qui ne suit pas la Voie Bouddhique.

Shin | 心

Regroupe tous les sens suivants : le cœur, l’esprit, les dispositions d’esprit, les pensées, la réalité absolue ou en sanskrit : citta (esprit) manas (mens) – karida (organe) – irida (conscience). Abandonner le corps et l’esprit Entre autre dans le “ Japanese-English Zen Buddhist Dictionary (Yokoi) “ - ce terme est traduit par : exempt de souffrance, libération ou encore détachement. La réalisation de la libération de la souffrance est, pour Maître Dōgen, l’existence comme expression de l’Eveil, l’expression du Soi véritable. Utpala (skt) : nom d'une fleur de la famille des nymphéacées [nénuphar, lis d’eau, lotus] qui est décrite, selon différents textes, comme étant rouge, verte, ou blanche.

Shinjindatsuraku |身心脱落 Tōdatsu |透脫

Ubara |優鉢羅

Shō | 証 Shohō Jissō |諸法實相 Yadoru | 宿 Yakuo Bosatsu |藥王菩薩 Zensansan |前三三 ; Gosansan| 後三三

Un éveil visible pouvant être exhibé contrairement à kaku | 覺. Tous les phénomènes exprimant la vérité universelle et éternelle. Se loger résider. Le bodhisattva roi des remèdes. Zensansan |前三三 ; Gosansan| 後三三 ; : trois avant et trois après encore l’un après l’autre, successivement, simultanément.

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BOULLI – EDITIONS

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