Surréalismes J Chénieux-Gendron

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Jacqueline CHÉNIEUX-­‐GENDRON Inventer le réel. Le surréalisme et le roman, 1922-­‐1950, 784 p., 22 € Surréalismes, l’esprit et l’histoire, 496 p., 15 € HONORÉ CHAMPION, Collection Champion classiques 2014 date de parution des deux ouvrages : 03-­‐04-­‐2014

Ces deux ouvrages, depuis longtemps épuisés, ont été entièrement réécrits et leurs notes, réactualisées. Lors de leur première élaboration, leurs ouvertures novatrices avaient été saluées unanimement, avaient valu à leur auteur(e) d’être invitée à enseigner dans des Universités prestigieuses ; le second livre avait été traduit en cinq langues. Or pour la compréhension du surréalisme les trente dernières années ont apporté d’autres éléments : découvertes de manuscrits de travail, éditions complètes des poètes ou prosateurs, catalogues raisonnés des peintres, expositions internationales de grande ambition…La mode aussi a tourné, et le regard parfois réprobateur que l’intelligentsia (surtout française) portait sur ces formes s’est modifié au profit d’une attention plus soutenue. Jacqueline Chénieux a participé à ces travaux. A l’origine simple lectrice passionnée de Marcel Duchamp, d’Yves Bonnefoy ou de Julien Gracq, elle a été associée à de grandes expositions (La Révolution surréaliste, exposition de Werner Spies au MNAM, Centre Georges-Pompidou, 2002 ; Picasso surréaliste, Fondation Beyeler, sous la responsabilité d’Anne Baldassari, 2005, etc.), elle a suivi de très près l’établissement des textes d’André Breton et d’Aragon dans la « Bibliothèque de la Pléiade », elle a accompagné les travaux sur Georges Limbour, prosateur onirique encore trop méconnu, édité l’œuvre de Leonora Carrington en langue française, elle est membre du comité scientifique du site andrebreton.fr, qui répertorie et commente chaque élément de la collection de livres et d’objets laissés par André Breton…Elle a organisé de nombreux colloques internationaux (Royaumont, MNAM Centre Georges-Pompidou…) portant sur les grands enjeux du surréalisme : Du Surréalisme et du plaisir ; Lire le regard : André Breton et la peinture ; Jeu surréaliste et humour noir ; Violence, théorie, surréalisme ; Pensée mythique et surréalisme ; Regards/ mises en scène…Ce qu’il y avait sans doute d’implicite, de « poétique » (on l’avait souligné), dans les premières versions de ces travaux a largement été déplié et explicité.


* L’ampleur de ce regard lui a permis de prendre en compte quelques principes de lecture : 1. Le « texte surréaliste », et en général toute œuvre surréaliste (plastique ou poétique) en appelle à son lecteur/regardeur d’une façon spécifique, où l’implication de l’affect est directement sollicitée. De là la belle compréhension qu’ont manifestée à son égard certains des psychanalystes du XXe siècle (Jacques Lacan pour Dali ; Guy Rosolato pour Breton…). 2. L’œuvre surréaliste émerge au sein d’un groupe d’élection, dont le premier regardeur/lecteur est un autre membre du groupe, avant même d’être destiné à un public. Certaines proses, certains poèmes de Breton par exemple ne peuvent être compris qu’en dialogue (implicite) avec Louis Aragon, et réciproquement. Le discours surréaliste est d’abord discours pluriel, et discours pragmatique (au sens où l’entendent les linguistes). 3. Se situant simultanément à plusieurs « niveaux » d’écriture ou de compréhension visuelle, l’œuvre surréaliste peut donc être comparée à une fable, parfois à un emblème, qui joue avec plusieurs sens et vise l’élaboration d’une éthique. 4. On peut distinguer évidemment plusieurs veines au sein du surréalisme, deux des principales étant commandées par la figure de proue d’André Breton, d’une part, et l’autre par celle d’Aragon ; et dans le domaine plastique, l’une par la figure de Salvador Dali, l’autre par celle de Max Ernst. Formes magiques d’un côté, ou envers du monde ; envers de la langue et fuite dans l’abstraction, de l’autre. 5. Il est important enfin de relier le surréalisme à l’histoire de la pensée au XXe siècle : à l’affût du « nouveau », qui n’est pour eux ni une rêverie ni un concept vide, les surréalistes ont lu et tenté de comprendre toutes les idées qui ont traversé ce siècle de découvertes. Ils ont lu et compris quelque chose de la pensée de Freud, notamment (ce qu’on n’a pas assez mis en évidence) la « seconde topique », et ce que cette dernière implique en repliant le principe de plaisir sur le principe de réalité, travaillé par une énergie « liée », laquelle concerne la création esthétique. Cet approfondissement peut être daté du tournant des années 1927- 1930, et il est très visible chez André Breton. Ils ont lu et compris ce que Paul Valéry relatait dans la NRF de novembre 1919 à propos de la validation par l’expérience (Eddington) de la théorie de la relativité générale en Physique. Ainsi c’est le sens même de « révolution surréaliste » qui est à repenser. La révolution surréaliste n’est pas un simple retournement des valeurs. Elle a cherché, aussi bien dans la littérature et l’art du passé que par l’élaboration de modèles concrets dans la littérature et l’art du présent, à constituer un noyau intense de réflexion et de travail, qui réassumerait les enjeux de l’art : éthique et politique inclus. L’œuvre, les œuvres réalisées ne sont jamais que de petits cas particuliers, ou les « moraines » d’une grande œuvre humaine en devenir.


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