Écart(s) Magazine N°2

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Faire le jeu du bouffon « Dans la salle des fêtes des châteaux glacés de jadis, les seigneurs et leur cour se réchauffaient l’âme et le gosier en s’amusant, la panse pleine, des facéties de leurs bouffons. Acrobates, poètes ou pétomanes, ces gueux en guenilles colorées s’essayaient à la provocation mesurée de rires et moqueries, avec plus ou moins de bonheur, misant sur la fortune d’un bon jeu ou l’espoir d’une bonne main.

donquichotesque pour certains, gloupinesque, pour d’autres, il n’en demeure pas moins pris entre deux feux. Faut-il faire le bouffon pour gagner sa vie ou gagner sa vie pour faire le bouffon ? Faut-il lancer l’attaque à visage découvert ou préserver, par sens de la stratégie ou par goût pour la vie d’agent double, le secret de son identité ? Les tendances, à force de se croiser, finissent peut-être par s’inverser.

Quelques siècles plus tard, la salle des fêtes est à l’abandon, le château de cartes s’est effondré. Les fous, libérés, ont rejoint d’autres dimensions. Papier, radio, télé : une sainte trinité, petit à petit détrônée par de nouvelles formes de liberté. Des scènes sur lesquelles quelques allumés sans le sou tentent tant bien que mal d’amuser les nouvelles masses de va-nu-pieds. Certains, plus téméraires, caressent parfois le désir insensé de faire bouger la foule de miséreux. Derrière la poilade bon marché demeure la critique - plus ou moins acerbe, plus ou moins incisive - d’un monde en perpétuelle crise. Terreau propice ou écran de fumée ?

Mais le pouvoir n’est jamais bien loin. Une main de fer enserre sans cesse les fils accrochés aux membres de bouffons disloqués. Pour peu qu’ils soient encore animés, habités, prêts à mettre leur corps en danger. Malheur à celui qui irait trop loin, qui sortirait de son rôle, même le temps d’une blague, aussi drôle soit-elle. Relégué dans les oubliettes du système, les pires sévices l’attendent. Condamné à survivre dans les marges médiatiques, le pauvre bougre pourra alors se résoudre à errer dans les douves de la société, là où le public est aussi serré que les cordons de sa bourse… »

Qui ose encore aujourd’hui s’attaquer au pouvoir sacralisé ? Qui pour retourner aux puissantes instances d’autorité leur violence ? Qui, sans peur, pour tourner en dérision les foules de geôliers fanatiques de la pensée unique ? Le combat semble, par moments, démesuré ;



Bouffons en zone interdite Les arcanes de la presse satirique Vous pourrirez en enfer, Monsieur Sondron... Le non-sens de la vie Ze Mony Thomas Gunzig n’aime pas les cyclistes Recettes de grand-mères (anarchistes) : la tarte à la crème De galeries amusées

(Noël Godin, Jean-Jacques Rousseau, Jan Bucquoy, Théophile de Giraud)



Sans joker, le fou reste sur le carreau.

Écart(s)


Bouffons en zone interdite Méprises. Amalgames. Confusions entre fiction et réalité. Les siècles passent, l’histoire trépasse, et voilà que le mythe est né. Il existerait un homme à la cour des rois. Un fonctionnaire particulier qui, privé de raison, parlerait la langue de la sagesse aussi bien que celle de l’humour. Mais ce fou avisé, cet oxymore sur pieds, relèverait-il de la légende ? À l’ombre de la folie, les lumières de la raison

Perdus parmi des textes un peu touffus, les fous du roi se fraient un passage jusque dans les comptes et lettres royales du 14ème siècle. Mais prenons garde, à l’instar de Gilles Lecuppre, à distinguer les fous réels de ceux que l’on retrouve dans la littérature. « Nous avons une image du fou ou du bouffon comme quelqu’un de spirituel, d’intelligent, capable de commenter avec drôlerie, décalage mais pertinence l’actualité. Or, le fou qui ramène le roi à sa condition, qui essaie de faire passer des messages philosophiques, est plus dans la lignée de la littérature que de la cour médiévale. » Cette cour, justement, est plus cruelle vis-à-vis de 8

celui que l’on nomme également le simple d’esprit et que l’on traite parfois comme un vulgaire animal de compagnie. « On l’appelle Maître, le titre de respect que l’on donne à ceux qui sortent de l’université, lui donne des vêtements avec de riches étoffes au goût du jour. Et c’est ce contraste entre une position apparemment importante et le caractère risible de ses interventions, de son babil, de ses idioties qui fait rire. » Mille lieues nous séparent des récits de la Table ronde où Daguenet divertit Arthur avec autant d’intelligence que de pitreries, mille et une nuits du fou shakespearien qui empêche le Roi Lear de sombrer dans la folie. À force de coups de plume insistants, la William Dyce Le Roi Lear et le Fou dans la tempête - 1851


Tantôt furieuse, tantôt douce, on l’espère souvent passagère… La folie nous effraie ou nous guide, mais sans cesse nous guette. Lorsqu’elle est intégrée à la sphère du pouvoir qu’elle remet en question, le déséquilibre participe alors à l’équilibre et le non-sens devient un jugement de bon sens. Un aller-retour entre la folie et la sagesse, le fou et son roi que Diderot pointait déjà en 1761 dans son célèbre Neveu de Rameau. « Celui qui serait sage n’aurait point de fou. Celui donc qui a un fou n’est pas sage ; s’il n’est pas sage, il est fou ; et peut-être fut-il roi, le fou de son fou. » Ce fou du roi qui est-il vraiment et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

littérature redessine la réalité, à défaut de pouvoir l’inventer. Le fou de papier devient fou de cour, la folie garante de la raison. Albrecht Dürer – Le fou bande les yeux de la justice La nef des fous - 1494

« Ce n’est qu’à l’époque moderne, à partir du 15ème, voire 16ème siècle, que l’on trouve à la cour des fous plus spirituels, capables de traits d’esprits. » Avec la Nef des fous de Brandt puis l’Eloge de la folie d’Erasme, elle devient créatrice, fascinante. Et voilà que le simplet devient porteur d’un message souvent compliqué et que sa bouche résonne de raison. Folie et rationalité sont telles deux amies qui ne cessent de se chamailler, mais avancent main dans la main. « Dans un mouvement de référence réciproque, elles se récusent toutes deux, mais se fondent l’une par l’autre  », disait Foucault dans son Histoire de la folie à l’âge classique. Le fou du roi est alors pour un temps, pour un temps seulement, la personnification de cette schizophrénie assumée. Gilles Lecuppre précise qu’il est le courtisan qui a la meilleure position – au moins dans l’imaginaire – pour énoncer certaines vérités. « Ils sont dépositaires d’une logique différente, paradoxale mais souvent très efficace. C’est ce décalage qui leur permet la liberté. » Cependant, le règne de

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la folie affranchie et émancipatrice ne durera pas. Le délirant sera progressivement frappé d’ostracisme, enfermé puis interné. S’ils ne sont pas à la cour, où sont donc cachés ces bouffons éclairés, ces sages insensés qui condamnent tout autant qu’ils amusent ? Au Moyen-âge, la critique – souvent anonyme – du pouvoir peut être, selon Gilles Lecuppre, virulente, acerbe, caustique. « Il y a des textes qui circulent soit officiellement, soit sous le manteau, qu’il s’agisse de chansons, de tracts ou de placards dans lesquels on trouve une critique plus ou moins bienveillante à l’égard du roi. » C’est ainsi que sont colportés de village en village les livrets de la Bibliothèque Bleue qui regroupent almanachs, littératures populaires, satires et conseils en tous genres. De l’entretien de la maison à la gestion du royaume, seule l’échelle diffère. Les publics illettrés des campagnes préfèrent quant à eux faire passer de mains en mains des images d’Epinal représentant sujets religieux, devinettes ou scènes populaires. « Dans les villes, les clercs qui s’adonnent au théâtre peuvent également toucher des foules plus larges. Les cérémonies sont également des moments de propagande importants. » Une fois par an, 10

Le Fou Tarot d’Epinal vers 1830

le grotesque carnavalesque renverse les hiérarchies. « On desserre la vis. Ceux qui ont du mal à vivre, qui se sentent opprimés ou contraints peuvent alors se lâcher. Mais ces évènements relèvent presque de l’antinomie, car ils sont encadrés par les clercs eux-mêmes. Le débordement est limité, contrôlé. » La fête est prescrite, l’exutoire circonscrit. Une soupape de sécurité cruciale qui permet au système de tenir en place.


Honoré Daumier - Gargantua – Caricature du Roi Louis-Philippe – 1831. Lithographie qui valut au dessinateur d’être condamné à six mois de prison et à une amende « pour excitation à la haine et au mépris du gouvernement ».

Loin des révoltes populaires, satires et caricatures dorment mais ne meurent pas. « Chez nous, Kroll est un peu tous les jours le fou du roi. Il dessine Albert II, un de ses personnages préférés, en pantoufles et en peignoir », explique Marc Lits. Certains journaux en font leur fond de commerce. Autonomes et fiers de l’être, à l’exception du Journal du Mardi qui réclamait des subventions de l’état pour briser le monopole des grands groupes de presse, ces magazines engagés affirment haut et fort leur ligne éditoriale et politique. Certains poussent le trait à son extrême. Ainsi, l’union d’Ubu et de Pan

Après la chrysalide, vient le grand saut

Fille du drapeau tricolore, la presse satirique est aussi instable que les régimes de l’époque. Au fil des révolutions, les caricaturistes, Daumier en tête, croquent sur le visage des hommes de pouvoir leurs bassesses morales. Indissociables du régime dans lesquels ils évoluent, les nouveaux fous sont aujourd’hui les enfants de la démocratie.

Le trait 1962

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Ci-dessus : Les Guignols de l’Info Jacques Chirac – « Mangez des pommes » - 1994

en a surpris certains. « On frôle parfois les limites du poujadisme, du populisme et des dénonciations tous azimuts » nous confie Marc Lits. On peut dénoncer l’homme, mais sans toucher à sa fonction. « C’est toute la différence avec Ubu Pan qui dénonce toute forme de pouvoir. Il y a presque une remise en cause des systèmes démocratiques. » De manière plus modérée, sans doute, mais pas moins mordante, Thomas Gunzig prend son «Café (bien) serré» sur La Première en attendant l’invité. « Une manière de lui dire qu’on sait qu’il va nous tenir un discours d’expert, d’homme responsable, mais qu’en même temps, on n’est pas dupe ». Radio ou télévision, les sarcasmes formatés 12

sont légions. Et c’est principalement dans cette boite à images mouvantes qui hante jusqu’à nos pièces les plus intimes que le prototype du fou du roi contemporain exerce en maître. « Les Guignols de l’info, qui ont une audience énorme, font depuis plus de vingt ans contre-point au journal officiel. On se moque à la fois des présentateurs vedettes, puisqu’ils deviennent à leur tour des leaders d’opinion, et des hommes politiques. » Les célèbres marionnettes de Canal+ sont loin d’être innocentes. « En 1995, Chirac est en mauvaise posture. Les Guignols le présentent alors comme un ahuri qui croque des pommes. Cette image sympathique a probablement contribué à son élection », continue Marc Lits. Le diver-


Ci-dessus : George W. Bush et Steve Bridges Dîner annuel des correspondants de presse – 2006

tissement ne se veut peut-être pas sérieux, mais dans la Société du Spectacle, comme l’appelle Guy Debord, il joue un rôle important dans l’opinion politique. Thermomètre de l’opinion, sans doute, mais un thermomètre qui influence l’opinion qu’il mesure.

Bush n’avait pas hésité à s’y rendre en compagnie d’un humoriste sosie, brouillant les pistes. Une question s’impose : Quel est le « con » du diner ? Le fou est présidentiel, mais le crime de lèse-majesté reste à l’horizon.

De l’autre coté de l’Atlantique, une cérémonie rituelle ne manque pas d’étonner. Elle joue pour Marc Lits un rôle essentiel. « Une fois par an, cela renvoie presque au renversement carnavalesque, le président des EtatsUnis est invité à un dîner avec tous les correspondants de presse. Dans son discours, il se met en situation délicate, parce qu’il ironise sur lui-même et se tourne un peu en ridicule. » C’est ainsi qu’en avril 2006, Georges W.

Franchir la rivière, mais sans se mouiller (les pieds)

Espace de contestation ? Rappel fondamental de nos libertés ? Et pourtant, d’après Gilles Lecuppre, les anciens et nouveaux fous ne prétendent souvent pas adresser un message politique profond. « Ils s’attaquent à ce qui est superficiel, à ce qui saute aux yeux. Sinon, c’est déjà trop compliqué. » 13


Entretiens avec : Gilles Lecuppre Historien, Maître de conférences à l’Université de Nanterre Opposition et critique du pouvoir au Moyen-Âge Auteur de L’Imposture politique au Moyen Âge. La seconde vie des rois, Paris, PUF, coll. « Le Nœud Gordien », 2005.

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Est-ce que cet engouement pour la surface empêche de traiter les questions de fond ? Le débat restera ici en suspens. Claude Javeau souligne toutefois qu’il est important que ces lieux existent. « Même si parfois, cela vole bas. Ce n’est pas toujours très valorisant pour l’esprit critique, surtout lorsqu’on va jusqu’à des dénonciations privées. » Si, aujourd’hui, ces abus ne mènent plus à des condamnations capitales, certains journalistes ou pamphlétaires paient cher leurs audaces. Stéphane Guillon et Didier Porte – qui chroniquait entre autres dans l’émission de Stéphane Bern « Le Fou du roi » – ne vous diront pas le contraire. Ces deux journalistes avaient été licenciés de France Inter après des chroniques jugées par la direction trop engagées. « À la mort de Baudouin 1er, Charlie Hebdo titre Le roi des cons est mort. La justice belge fait saisir le journal. Du coup, les numéros qui restaient se sont vendus très cher. » Si la liberté d’expression est inscrite dans la constitution, elle n’est pour autant pas absolue, insiste Claude Javeau. « On se moque des puissants, on va même très loin, mais tout de même sous la garantie des puissants puisqu’on passe à la télévision publique. On peut également al-

Charlie Hebdo - 2010


Marc Lits Doyen de la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication Directeur de l’Observatoire du récit médiatique de l’UCL Analyse des productions culturelles et médiatiques Claude Javeau Sociologue, Professeur émérite de l’ULB Chroniqueur régulier au quotidien La Libre Belgique

Charlie Hebdo - 2011

ler prendre caution chez un empereur des médias comme Drucker.» Quelques sujets restent alors tabous et certains hommes intouchables. Percutés. Des artistes percutants.

Dans un monde relativement conformiste, la critique radicale de la société se fait rare. En marge de la société mais rarement de la pensée, les artistes ont leur rôle à jouer. Il arrive souvent qu’ils posent des questions provocantes et provocatrices. Les extravagantes avant-gardes du 20ème siècle, telles que le dadaïsme ou l’internationale situationniste, remettent, par exemple, en cause société de classes et de consommation, conventions politiques et artistiques. Mais leur portée est limitée, leurs messages parfois incompris ou moqués. Alors la question reste ouverte. Qui sont les fous d’aujourd’hui ou de demain et jusqu’où va leur(s) folie(s) ?

J.-M.D.

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Les arcanes de la presse satirique Irrévérencieuse et outrancière, la presse satirique fait rire, irrite ou indiffère. À coup de grosses munitions, elle tire joyeusement sur des cibles bien connues : politiciens sans scrupules, magouilleurs de toutes sortes, censeurs à la barbe fleurie, mollassons du consensus... Mais la galaxie de la presse satirique est plus nébuleuse qu’il n’y paraît. Espiègle ou très sérieuse, rentable ou complètement fauchée, conservatrice ou progressiste, chaque revue tourne sur sa propre orbite et décline la satire à sa manière. Afin de faire le point sur ces vérités et contre-vérités, Ecart(s) Magazine a fait le tour des arcanes de la presse satirique francophone en Belgique, de Liège à Mons en passant par Bruxelles.

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Au cœur de la cité montoise. Nulle trace de Saint-Georges à l’horizon et pourtant... Dans une petite salle des fêtes, se réunissent – presque clandestinement – d’étranges chevaliers des temps modernes, des résistants marginalisés depuis toujours, jamais fatigués de lutter contre leur dernier dragon et sans doute le plus vicieux : le système. Sur plusieurs stands tenus par des joyeux punks aux cheveux longs, s’entassent des littératures contestatrices à la gloire du situationnisme, de l’anticapitalisme ou encore de l’anarchisme. Chaque ligne suinte le complot ; chaque titre laisse entendre que la vérité est ailleurs... L’on trouve également des piles de différents pamphlets portant des noms curieux et originaux : le Batia moûrt soû, le Poiscaille, le Zélium… Ces revues nous ouvrent les pages de la presse satirique. « Le Batia, c’est moi ! » C’est ce que nous dit d’emblée le gars sympa derrière le bar, nous offrant une bière au passage. Le style soixante-huitard et altermondialiste, Serge Poliart est l’instigateur de ce rassemblement de journaux satiriques. Il est aussi le fondateur et l’éditeur responsable du Batia moûrt soû. À l’origine, il s’agissait du nom d’un bistrot littéraire qu’il lança en référence à une ancienne traduction wallonne du Bateau ivre, réalisée en son temps par une maison d’édition louviéroise surréaliste.


Après 3 années d’expositions, de performances théâtrales et de soirées littéraires, Serge ferme son bistrot, la mort dans l’âme, «  parce que je suis un mauvais gestionnaire », concède-t-il en souriant. Afin de ne pas perdre ce public, il décide de lancer le journal de bord du Batia moûrt soû, un ensemble de photocopies grossièrement agrafées. C’est le premier pas de la création d’un journal satirique trimestriel, qui prendra définitivement le large en 1995. Mé-

lange de surréalisme, de dadaïsme et dans la lignée de l’ancien magazine satirique français Hara-Kiri, le Batia donne surtout la priorité aux peintres, aux dessinateurs et aux poètes. Il comprend aussi un peu d’actualité régionale et internationale sous la forme de billets d’humeur et d’opinion. De temps en temps, on y trouve encore la Brucellôse.

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Itinéraire d’un dessinateur satirique

Ubu-Pan : le seul et l’unique ?

Également partie prenante du rassemblement montois, Philippe Decressac dessine au Batia moûrt soû et dans de nombreux autres magazines satiriques (Zélium, Siné, etc.). Après plusieurs années passées pour le compte du groupe Sudpresse en tant que caricaturiste, Philippe décide de tout plaquer : « J’en avais marre de voir mes dessins à côté d’une publicité pour des langes pour bébé ou pire, d’être sucré lors de la mise en page, se souvient-il. À l’époque, Siné venait de se faire virer de Charlie Hebdo. Je lui ai envoyé quelques dessins, histoire de le soutenir. À ma grande surprise, il les a publiés et c’est comme ça que je suis rentré dans le réseau des dessinateurs satiriques ».

« Le plus grand (et le seul) journal satirique de Belgique ». Ce slogan apparaît sur chaque Une de l’hebdomadaire Ubu-Pan, l’autre média qui compte dans le paysage satirique belge. Afin de vérifier cette allégation, Ecart(s) est parti à la rencontre de John-Alexander Bogaerts, l’actuel éditeur responsable et fils de l’ancien rédacteur en chef de la revue. Dans un quartier chic d’Uccle, John-Alexander Bogaerts himself nous reçoit au cœur même du siège d’UbuPan. Derrière un bureau d’affaire spacieux, l’emblème Porsche en étendard, son téléphone ne cesse de sonner. Nous patientons dans des fauteuils confortables, nos yeux parcourent le tapis rouge sur le sol et les nombreuses publications commerciales qui trônent fièrement sur des promontoires. « J’ai des entreprises rentables sur le côté », nous avoue-t-il, le sourire carnassier, laissant entendre qu’Ubu-Pan lui sert de loisir, un jouet grandeur nature pour « s’amuser et déconner ». Mais alors pourquoi mettre en avant un slogan si prétentieux ? « C’est une blague ; on l’a juste fait pour le clin d’œil. Mais il faut dire aussi que nous avons un tirage de 20.000, soit près de 8.000 numéros vendus toutes les semaines et ce, depuis 65 ans. Qui peut en dire autant en Belgique ? » John-Alexander se dit pour-

Régulièrement, Philippe envoie des propositions de dessin à Serge Poliart pour le Batia. « C’est Serge qui décide de les publier ou non et aussi s’il les associe ou pas à un article. Il n’est pas rare qu’il privilégie la puissance du dessin. » Surtout ne jamais illustrer un article et encore moins répéter la même chose. « Que l’on travaille sur une actualité ou un phénomène, l’important est de rester authentique, d’alimenter le débat. Le dessin satirique est un dessin d’opinion : on dit ce qu’on pense tout en essayant d’être intéressant et marrant. »


tant ravi de l’existence des autres journaux satiriques mais ceux-ci restent « anecdotiques » à ses yeux. « Certains collaborateurs d’autres revues viennent d’ailleurs écrire chez moi, tout simplement parce qu’ils ont envie d’être lus ! »

ton se veut sérieux : des « vraies » infos, tout en respectant les règles déontologiques de base, la vérification des sources. « On est un mélange de satire et de journalisme d’investigation, accorde Lucas Piddiu, actuel rédacteur en chef, et parfois, il arrive qu’un article penche plus d’un côté que de l’autre. »

Le Poiscaille sonde le bocal liégeois

Né en 2010, à l’initiative d’étudiants de l’Université de Liège, le Poiscaille sort tous les mois dans plusieurs librairies de la cité ardente. « Il manquait quelque chose dans le paysage médiatique liégeois  », explique Sébastien Varveris, fondateur et éditeur responsable du Poiscaille. Les premiers coups de nageoires sont hésitants ; les rédacteurs se perdent quelque peu dans le vaste océan de l’actualité nationale et internationale, quitte à commenter des choses déjà ultra commentées. Mais très vite, le poiscaille se tourne vers son propre bocal, sondant les grands fonds des politiques liégeoises. « On veut s’inscrire dans le débat politique et public liégeois. » Débouchant sur de l’info neuve, les reportages demandent de plus en plus de temps, de plus en plus d’investigations. Pour parvenir à ses fins, la rédaction recrute directement parmi les bancs de l’ULg, pêchant de jeunes ablettes compétentes, désireuses de se faire les dents avant d’être plongées dans la nasse médiatique… La satire est toujours là mais le

« Anar relax », « anticapitaliste », « progressiste »

Se targuant d’échapper à la terrible épidémie consensuelle généralisée dans les médias, les journaux satiriques s’engagent corps et âme dans un courant idéologique qui ne transparaît pas seulement entre les lignes. Unes, éditos, dessins et autres articles de fonds donnent directement le ton sur les intentions des revues : relativement à gauche pour le Poiscaille, très à gauche pour le Batia et très à droite, voire plus loin, pour Ubu-pan. « On n’est ni de gauche, ni de droite ; on tire sur tout le monde ! On est plutôt des anarchistes relaxes », réplique John-Alexander mais concède qu’Ubu a toujours été catalogué « de droite » depuis sa création. Et le journal fait notamment la part belle à des dessins et des articles islamophobes particulièrement univoques et souvent sous le couvert d’un pseudonyme. Encore une fois, il balaie le sujet d’un revers de la main. « Il y a cent ans, je me serais battu contre 19


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l’extrémisme catholique et ses valeurs moyenâgeuses qui reviennent aujourd’hui sous d’autres formes. Je ne suis pas raciste. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis musulmans. Je n’ai rien contre eux mais il faut bien constater que pour le moment, c’est là que ça déconne : la plupart des attentats sont commis par des islamistes. » Pour John-Alexander, les gens qui les accusent d’être d’extrême-droite viennent de « la vieille gauche bien pensante, celle que l’on trouve planquée dans les cabinets, et les extrémistes de gauche. » Ouvertement pour « l’anticapitalisme », Serge Poliart n’hésite pas à assimiler Ubu-Pan à l’extrême-droite. Selon lui, la seule façon de sortir du système est de privilégier une autre économie, faite de troc et de bénévolat. C’est aussi l’un des buts du journal : supprimer l’argent et les valeurs imposées par ceux qui ont le pouvoir. « J’ai l’impression d’être revenu aux combats de la commune de Paris, fin 19ème siècle ; on supprime des acquis sociaux, on ferme des usines mais sans jamais remettre en question le système ! » L’organisation même du Batia se veut anticapitaliste : aucun collaborateur n’est payé. « Chacun est libre de participer et de profiter de la tribune qu’offre le journal. Je ne parle d’argent qu’avec l’imprimeur. » A cause de son orientation, Serge avoue avoir des difficultés à être distribué, notamment par les AMP, une boite appartenant au Groupe Lagardère. Il sous-entend que le journal Ubu-Pan n’a pas les mêmes problèmes car il bénéficie de beaucoup de soutien à droite...

dans ce clivage gauche/droite, affirme Lucas. Mais si on nous compare avec un journal tel qu’Ubu-Pan, il est clair que l’on paraîtra plus à gauche. » Encore une fois, il réaffirme l’un des points d’honneur du journal : l’investigation. « Nous aimons que nos rédacteurs soient engagés, mais pas qu’ils aient un partis pris avant de commencer un reportage. Ils doivent se confronter aux réalités du terrain avant d’écrire leur article. Chez Ubu-Pan, on sent clairement qu’il y a un parti pris dans leurs articles. Il est difficile de trouver de l’autodérision chez eux. »

S’assumant comme « progressiste » dans son manifeste, le Poiscaille aurait plutôt tendance à pencher vers la gauche. « Nous ne sommes pas

Autre reproche entendu : le sensationnalisme pratiqué à outrance par certains journaux. « Il y a peu, l’un des rédacteurs en chef du

Le fléau de la presse traditionnelle…

Cachés dans l’ombre des grosses cylindrées de l’information, les journaux satiriques font naturellement le procès de la presse traditionnelle. Le réquisitoire est vaste et varié. « Elle va droit dans le mur, prédit JohnAlexander Bogaerts, faisant allusion au grand nombre de quotidiens en Belgique francophone. En plus, ils tuent eux-mêmes leurs ventes en mettant leur contenu sur le net. » John-Alexander remet également en question la liberté de la presse. « Comment voulez-vous taper sur le gouvernement si vous recevez tant de fonds publiques ? Sans parler des publicités et les participations détenues par de grands groupes financiers… Les seuls articles de fond qu’ils peuvent se permettre sont consacrés à la politique étrangère ! » Et d’avouer, en même temps, que le tentaculaire réseau d’Ubu-Pan a des yeux et des oreilles partout où l’information potentiellement compromettante pullule, des cabinets ministériels aux organes de presse traditionnelle.


Ose la Brucellôse... (par le Docteur Lichic)

Laissez-moi me présenter... Je suis le Dr Lichic, titre qui me vient du prestigieux Collège de pataphysique, une société savante et inutile à laquelle participèrent naguère Queneau, Vian, Eco et bien d’autres encore. Cette société sociétaire nous donne des grades, histoire de bien nous rappeler qu’ils ne servent à rien ! Je détiens moimême une chaire en mythographie animale et végétale. J’écris notamment sur le sujet dans la revue de pataphysique la Viridis Candella. Produite par l’Observatoire bruxellois du Clinamen – qui étudie, je vous le rappelle, l’erreur intrinsèque au monde – la Brucellôse est une revue d’urinoir, qui se lit très rapidement, le temps d’une miction... C’est en quelque sorte la revue des mictions impossibles ! Durant cette suspension de temps, celui passé aux toilettes, la Brucellôse vous propose une mic-

tion, littéraire celle-là, composée de petits textes : des aphorismes, des réflexions ou irréflexions, des collages pourris ou scandaleux, des « texticules » comme dirait Queneau. Le tout rassemblé sur une page. Nous éructons ce que nous voulons sans tenir compte d’actionnaires, de patrons ou de publicitaires puants d’aucune sorte ! La Brucellôse est affichée dans une trentaine de café bruxellois, au hasard de nos pérégrinations alcooliques ; là, où nous sentons nos esprits libertaires bouillonner ! Elle est également encartée régulièrement dans le Batia moûrt soû. Il y a quelques années, j’avais envoyé un exemplaire à Serge Poliart pour son édification personnelle... Ou pour qu’il puisse se torcher avec s’il n’aimait pas ! De bonne grâce, il a accepté de publier la page, parfois

groupe Sudpresse a déclaré que la vérité ne pouvait gâcher une bonne info ; cela illustre clairement la manière dont ils conçoivent le métier », illustre Lucas Piddiu qui a d’ailleurs consacré un article « coup de gueule » à ce sujet dans un numéro du Poiscaille.

en couleurs, ce qui donne encore plus de relief à nos collages scandaleux !

S.B.

Ci-dessous : Le Docteur Lichic

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« La presse actuelle est plutôt triste : en privilégiant des faits divers racoleurs qui stigmatisent les étrangers, elle prépare clairement le terrain aux extrémistes », se désole Serge Poliart. Ce dernier constate aussi avec regret l’absence de journal « de gauche » pour contrebalancer les journaux décidément trop à droite à ses yeux. La vérité sur Charlie

Comment ne pas aborder les coups médiatiques réalisés par Charlie Hebdo, en publiant notamment des dessins titillant les intégristes musulmans... «  Charlie fait clairement le jeu du pouvoir », déclare Serge Poliart. « Il a complètement viré à droite ! » John-Alexander, lui, parle de coups médiatiques destinés à doubler les ventes de Charlie Hebdo. « Je ne vois pas l’intérêt de s’attaquer à une communauté pour augmenter les ventes. Ubu-Pan ne s’est jamais attaqué au prophète, encore moins au Coran. Au moment de l’affaire, on a blagué dessus en titrant sur la Une qu’après les dessins, nous avions les

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photos officielles de Mahomet. En fait, on a juste pris la photo de tous les Mohamed qui se présentaient aux élections communales sur les listes PS. C’était d’ailleurs notre meilleure vente. » Le Poiscaille ne se refuserait pas de « rentrer dans le lard » de tous les intégristes mais pas n’importe comment. « On pourrait aborder le sujet via une enquête fouillée mais pas en jouant uniquement sur une Une racoleuse », insiste Sébastien Varveris. Pour Philippe Decressac, c’est un sujet complexe : « d’un côté, on ne peut pas accepter que des gens mal intentionnés jouent sur la peur et la violence afin de susciter l’autocensure, mais d’un autre côté, peut-on stigmatiser une religion pour défendre la liberté d’expression ? En plus, Charlie Hebdo savait qu’il était protégé : l’état français et même la presse traditionnelle étaient derrière lui. Avec un tel soutien, est-ce encore de la presse satirique ? Si le magazine avait attaqué Israël, auraitil eu le même soutien ? Je crois qu’il vaut


mieux laisser les choses se tasser un peu et puis aborder le sujet à froid, en dehors de toute effervescence médiatique. » Le combat de la presse satirique

La presse satirique est un ensemble de productions plus différentes les unes que les autres. Assumant des idéologies (parfois) radicalement antinomiques ; en guerre contre un système économique ou s’en accommodant ; tantôt pour déconner, tantôt très sérieuse mais fustigeant toujours les dérives des médias traditionnels – tous corrompus ! Chaque journal se réclame d’ailleurs du fameux cinquième pouvoir, poursuivant la quête d’un idéal journalistique en voie de disparition, hurlant les vérités que l’on ne peut que chuchoter ailleurs en tremblant. Continuer ainsi le combat donquichottesque pour la liberté d’expression. La moindre actualité, le moindre fait de société sera interprété à la sauce de chaque revue, tombant parfois dans la théo-

rie du complot et d’autres dérives… Avec ses gros sabots, la presse satirique a pourtant le mérite de mettre les pieds dans le plat, de provoquer le débat partout où il ne faut pas et avec des moyens généralement sommaires. « Nous sommes des mourants », nous dira en ricanant le facétieux Dr Lichic, faisant allusion aux difficultés économiques encourues par les journaux satiriques. Mais à l’instar des moulins à vent contre lesquels se bat en vain le personnage de Cervantès, la presse satirique n’a pas encore fini de tourner...

S.B.

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Vous pourrirez en enfer, Monsieur Sondron… Cloitré dans un bureau monastique, penché sur sa table à dessin, Jacques Sondron a les yeux rivés vers l’Avenir. Dessins après dessins, il croque l’actu, prend le parti d’en rigoler plutôt que d’en pleurer. Se venge des puissants qui se croient au-dessus des lois, quitte à subir les attaques répétées de fans courroucés, défendant sauvagement leur veau d’or, vouant le plaisantin aux enfers. Mais ce n’est pas suffisant. Sondron n’est pas assez méchant. Et pour soulager un irrépressible côté « Hyde », son double délicieusement malfaisant, il se tourne régulièrement vers la presse satirique, juste le temps de se défouler, de fourguer des dessins refusés ailleurs… Entre deux caricatures, le trublion du crayon a accepté de répondre à nos questions.

Parlez-nous de votre parcours. Après un graduat en illustration, j’ai commencé par faire un peu de BD ainsi que des dessins pour Tremplin, un magazine pour enfants. J’ai ensuite réalisé des layouts dans le privé, pour la publicité : j’étais chargé de mettre en image les idées des créatifs. Il fallait travailler très vite et c’était bien payé, ce qui me permettait de faite autre chose sur le côté. Mais au bout de quelques années, j’en ai eu marre d’être un technicien.

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Comment avez-vous eu l’idée de vous lancer comme caricaturiste de presse ? À l’époque – on était en 1997 – les caricatures commençaient à se répandre dans la presse belge. Ça me plaisait. Pendant un mois, j’ai suivi l’actualité de manière

assidue et je me suis constitué un book que j’ai soumis aux publications qui ne comportaient pas de dessins. J’ai pensé à L’Avenir, un journal que je connaissais bien ainsi qu’au Soir illustré. Je leur ai proposé mes services ; ils ont accepté. C’est comme ça que je suis entré dans le milieu. Selon vous, quel est le rôle d’une caricature dans la presse ? Le dessin amuse le regard. C’est un appel, il donne envie de lire l’article en vis-à-vis. Dans la presse quotidienne, le dessin est surtout illustratif mais il a quand même une certaine plus-value : réalisé par un artiste, c’est un point de vue décalé sur les informations. Selon moi, ce côté « décalé » est très intéressant. Au milieu des infos très sérieuses, le dessin est une respiration… il permet de


faire passer des émotions et aussi de se moquer de certaines personnes. Le caricaturiste joue un peu le rôle de bouffon du roi… Bouffon du roi ? Que voulez-vous dire ? Je crois que certaines personnes – je pense aux politiciens, chanteurs, sportifs de hautniveau, etc. – ont des comptes à rendre. D’une certaine manière, le caricaturiste est là pour les rappeler à l’ordre. Ils ne peuvent pas tout se permettre et ne sont certainement pas au-dessus des lois. Voilà sa dimension de « fou du roi », c’est-à-dire le seul qui conteste. C’est important dans une société démocratique ; cela s’inscrit dans la lignée du cinquième pouvoir. Et si les dessins de presse ont autant de succès, c’est aussi parce que les articles jouent de moins en moins leur rôle, sans vouloir critiquer mes collègues… Les articles ne seraient donc plus critiques ? Les gens lisent de moins en moins, les journaux ratissent le plus large possible. On ne parle plus que de faits ; on ne donne plus d’opinion. Que ce soit dans Le Soir, La Libre ou L’Avenir, on retrouve partout le même discours. C’est l’opinion générale qui passe et je trouve ça dommage. Mais en même temps, j’ai l’impression que les dessins de presse suivent le même chemin : ils sont de moins en moins virulents... Je ne parlerai pas de censure mais j’ai l’impression que les dessinateurs essaient d’être sympathiques, de faire rire mais en étant moins mordants, moins caustiques. On revient à un côté bien-pensant. Pour vous, les journalistes et les caricaturistes seraient censurés ? Oui. On peut le dire. Bien sûr, pas comme dans certaines dictatures : personne ne va

m’écraser les mains ; je n’ai pas de fatwa sur le dos ; aucune pression ne vient du gouvernement ou de politiciens. En général, ces derniers apprécient ou ne réagissent pas du tout. Les réactions négatives viennent surtout de fans au sens large : les fanatiques religieux mais aussi les fans d’hommes politiques, de sportifs, etc. Par exemple, si je dessine Di Rupo qui se fait crucifier, j’aurai peut-être une réaction d’un gars du PS qui se plaindra via courrier, e-mail, Facebook aussi. J’ai d’ailleurs eu une aventure avec ce réseau. Laquelle ? Après avoir posté des caricatures de prêtres pédophiles, mon compte Facebook a été bloqué deux ou trois fois et ce, à cause de dénonciations d’utilisateurs, choqués par le caractère sexuel des dessins… Mais pour revenir à la censure de la presse traditionnelle, je dirai ceci : il est important de savoir pour qui on bosse. Par exemple, L’Avenir est un journal qui, à l’origine, visait un public plutôt catholique et royaliste. Les


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choses ont évolué mais comme les lecteurs sont âgés de 7 à 77 ans, je ne peux pas faire n’importe quoi ; pas de sexe ou de dessins trop méchants. Ceci dit, je ne me censure jamais. Je dessine sans me poser de questions. Une fois le dessin terminé, je réfléchis au support qui conviendrait le mieux : L’Avenir, mon compte Facebook ou encore les magazines satiriques. Justement, parlons des magazines satiriques, vers lesquels vous vous tournez rapidement, notamment le Journal du mardi… À l’époque c’était un nouveau magazine, très à gauche et très « rentre dedans ». Comme j’appréciais énormément son ton, j’ai offert mes services. J’avais quartier libre, sans aucune censure. Jusqu’à la fin du magazine, j’ai tenu une rubrique intitulée « qu’en dites-vous Monsieur Sondron ? » sur une actualité que je choisissais et j’illustrais quelques articles. Vous avez souvent dit que Le Journal du mardi vous permettait d’exprimer votre côté « Hyde »… Quand j’avais des idées sur un sujet d’actualité, je gardais généralement les gentilles pour L’Avenir et j’utilisais les méchantes pour Le Journal du Mardi. La presse satirique me permet vraiment de me défouler. Je me sens d’ailleurs très proche des dessinateurs satiriques français tels que dans Charlie ou Siné, avec leur humour très « rentre dedans » et méchant. Ça fait du bien de temps en temps.

Que pensez-vous de la presse satirique en Belgique ? Le problème, c’est qu’à côté des journaux traditionnels, il n’y a finalement qu’un seul grand journal satirique, Ubu-Pan et qui est très à droite. Je ne dirais pas extrême droite mais très à droite malgré tout. Ce journal m’avait d’ailleurs approché mais j’avais refusé. Pourquoi ? J’aurais pu dessiner pour eux mais j’avais des réserves avec certains articles. Même si le dessin est indépendant, le contexte reste très important. Dans un contexte particulier, un dessin qui dénonce le racisme pourrait lui-même passer pour raciste ! Beaucoup ne savent pas remettre les choses dans leur contexte. En plus, le fait qu’aucun journaliste d’Ubu-Pan ne signe ses articles me gênait. Pour moi, un article qui n’est pas signé ne vaut pas la peine d’être lu. On est dans un pays libre et on peut exprimer ses opinions. Par la simplification qu’elle implique, la caricature peut-elle être dangereuse ? C’est son gros problème. Contrairement à un article, il est difficile d’apporter des nuances dans un dessin. La caricature simplifie et synthétise toujours. En même temps, le caricaturiste en a toujours pleinement conscience ; il est de mauvaise foi et c’est sa plus grande qualité. Le danger vient surtout du contexte. Imaginons que je fasse un dessin contre la burqa pour Ubu-Pan, je risque d’être traité de raciste.

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Par vos dessins, avez-vous déjà choqué une communauté ? Oui, ça m’est arrivé. Mais il s’agit d’un problème plus général, qui va bien au-delà de l’Islam et des religions : c’est celui du fan(atisme). J’ai eu des réactions incendiaires de fans de Justine Henin suite à l’un de mes dessins ! Après des caricatures sur les prêtres pédophiles, une femme m’a souhaité de pourrir en enfer... Heureusement, ce n’est resté qu’au stade de courrier. Que pensez-vous de Charlie Hebdo et de ses multiples remous médiatiques ? Personnellement, je trouve que Charlie Hebdo a toujours joué son rôle. Souvenezvous : des caricatures de Mahomet sortent d’abord au Danemark. Pendant deux mois,

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rien ne se passe. Puis, des personnes les diffusent sur le net en les associant à des images provocantes qui n’ont rien à voir (un mec déguisé en cochon en l’occurrence). C’est sous cette forme que les caricatures arrivent dans certains pays où elles sont immédiatement récupérées par des intégristes aux intentions peu louables. Des manifestations sont lancées. Ça alarme la sphère politique et on commence à en parler. En France, des personnes publient les caricatures pour soutenir les dessinateurs danois. Parmi eux, Charlie Hebdo qui titre sur leur couverture « C’est dur d’être aimé par des cons ». La couverture disait clairement que les cons sont les intégristes et pas les musulmans en général. Parce qu’il y a des menaces, il ne faudrait plus rire ? Charlie hebdo


a tapé sur les catholiques et les juifs pendant de nombreuses années et personne ne disait rien. C’est la fonction de ce genre de journal, c’est son rôle. Mais les fanatiques n’aiment pas l’humour car l’humour combat la peur, ce qui fonde leur pouvoir finalement. Actuellement, vous dessinez pour le Poiscaille, un jeune journal satirique liégeois… Ce sont eux qui m’ont contacté pour que je les soutienne. Que je sois leur parrain en quelque sorte. J’ai trouvé ça très sympa et très intéressant même si je pense que le Poiscaille pourrait être plus virulent encore. Je n’ai aucune honte à bosser pour L’Avenir mais j’ai besoin d’exprimer mon côté satirique, plus encore depuis la disparition du Journal

du Mardi. Je me suis pris au jeu et tous les mois, je leur fais un ou plusieurs dessins de manière bénévole. Le Poiscaille est vraiment un journal qui a de la valeur même si je crois qu’il se cherche encore. Son public est plutôt restreint, ses possibilités d’expansion aussi, surtout s’il reste sur Liège. Cela dit, il me donne la possibilité de faire du dessin caustique tout en étant publié.

S.B.

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Le non-sens

de la vie Place du marché, au cœur de la cité ardente. André Stas et Michel Antaki nous retrouvent dans un café. Le régent de la chaire d’aliénation mentale au Collège de Pataphysique et l’ancien président de la Fédération internationale des éjaculateurs précoces ne manquent pas de titres à rallonge, ni de faits d’arme subversifs. Se préparant à une longue nuit, les deux trublions, espiègles et goguenards, se remémorent joyeusement leurs méfaits d’hier et d’aujourd’hui. Les bières se suivent, les vannes aussi. Les paradoxes et les contre-sens pataphysiques s’accumulent ; une véritable philosophie de vie semble prendre forme sous nos yeux… Avant de disparaître mystérieusement dans un nuage éthylique. Selon vous, qu’est-ce qu’un fou du roi ? Stas : Hé bien, c’est les deux faces de la même médaille. Le bouffon, c’est celui qui dit la vérité, celui qui dit « le roi est nu » ; celui qui, sous couvert de folie ou d’excentricités, parvient à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas… Une sorte de régulateur social aussi. 30

Antaki : Il est absolument nécessaire au pouvoir. Stas : Le sceptre et la marotte sont les deux faces de la même chose. Et un roi qui ne se permet pas d’avoir un bouffon, c’est un despote ! Pensez-vous rentrer vous-mêmes dans cette appellation ? A : Oui, je crois que je joue ce rôle. Á l’époque, le Cirque Divers était subsidié par les pouvoirs publics ; ils se sont littéralement payés un bouffon ! C’était un lieu de débats, de rencontres, d’expositions et de soirée à thème… S : C’était une marginalité tolérée… jusqu’à un certain point ! A : On pouvait se permettre de dire ce que les autres ne disaient pas, aller dans des endroits où les gens ne vont pas, faire des parallèles qui ne sont pas faits ailleurs. C’est ça être fou du roi, il n’y a pas de « tiens, on ne peut pas en parler ! » Moi, j’ai commencé à faire le bouffon à l’université pour mon mémoire. Je me suis déguisé en explorateur célèbre et j’ai traité les européens comme l’occident l’avait fait avec les colonies, en réalisant une enquête sur comment on vit ici. C’est un paradoxe. Le bouffon travaille toujours sur le mensonge et le paradoxe ! S (en rigolant) : Le mensonge est le paradoxe universel !


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Comment s’est fait la création du Cirque Divers ? S : Dans la vie, il y a des moments propices pour qu’il se passe quelque chose. Un groupe, un courant, une revue, etc. Les énergies se rencontrent ; des gens ont envie de faire quelque chose. On dirait une sorte de miracle mais ça s’est produit tout le temps dans ma vie. Et puis ça dure ce que ça dure. Il y a des moments où il n’y a rien, on n’a rien envie de faire… A : Le Cirque était avant tout un espace ouvert. Plein de gens sont venus de l’extérieur. Finalement, je n’étais que le concierge… S : Ça fonctionnait comme une auberge espagnole et c’est d’ailleurs comme ça que je suis arrivé dans le projet. Je m’emmerdais dans l’enseignement, j’ai découvert le Cirque et je suis parti travailler là-bas. A : Je me souviens qu’on a fait un truc appelé « la spectacularisation du quotidien », en référence à Debord et sa « Société du spectacle ». On proposait aux gens de venir faire sur scène ce qu’ils faisaient au quotidien. Ça a marché à mort !

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Pourrait-on qualifier votre posture de marginale ? S : On a toujours été marginaux… A : Moi, je préfère dire que nous sommes en dehors. Marginal, ça donne l’impression qu’on est tout petit… S : Vous, vous êtes à l’écart et nous, nous sommes en dehors. (Tout le monde se marre…)

Blague à part, est-ce une place nécessaire pour le fou ? A : Oui, le bouffon est obligé d’être en dehors pour être en liberté, pour avoir un autre point de vue. Lorsqu’on a lancé le Cirque Divers, il y avait toute une mouvance issue des années 60, les fous littéraires, les pataphysiciens… S (en tapant du poing sur la table) : On est des vrais soixante-huitards, on était dedans ! A : Mais on a toujours gardé le même regard… S : Changer le monde, transformer la vie. Pourquoi se contenter du donné qui est idiot alors qu’il y a moyen de faire mieux ? C’est un état d’esprit permanent… A : … et il n’y a pas de raison que ça change ! Actuellement, on poursuit ça avec l’asbl « D’une certaine gaieté ». On organise la fête du cul, la rencontre internationale de l’insulte… Et ça marche à mort ! Il y a toujours un aspect « provoc » avec le bouffon ? A : Dire que le roi est nu, est-ce une provocation ou est-ce une vérité ? Le fait de pointer le paradoxe, c’est une vérité ! Vous cherchez à retrouver du bon sens ? A : Non, c’est plutôt le fait de questionner le paradoxe qui serait le bon sens… S : Pour retrouver le bon sens, il faut prendre la mauvaise direction… A : Le bouffon, s’il ne s’interroge pas sur lui-même, il utilise les autres pour s’interroger lui-même. Moi, je m’interroge sur moi-même.


En parlant de bon sens, André Stas, pouvez-vous nous parler du Collège de Pataphysique ? S : Je suis régent de la chaire fondamentale d’aliénation mentale, travaux pratiques. Je m’occupe des fous littéraires, de l’expression plastique de la folie et bien sûr de l’aliénation mentale dans la vie de tous les jours… La pataphysique n’a ni commencement ni fin. Elle est de toute éternité. Les premiers à en parler sérieusement furent les nominalistes grecs. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve car l’eau coule. De même, on ne peut jamais faire deux fois la même chose : quand on refait une chose, on a toujours en mémoire la première fois, donc on ne fait pas la même chose. Tout est différent tout le temps. Il n’y a que des exceptions et donc il ne saurait y avoir de règles ni de lois… Pour faire face aux problèmes qui nous arrivent et qui relèvent toujours de l’exception, il faut imaginer les solutions. L’imaginaire est la seule solution ! A (après un blanc et en souriant) : Et ça vous intéresse tout ça ? S : … Comme tout est différent tout le temps, tout est équivalent. Rien ne peut avoir une valeur au-dessus de l’autre ; tout est intéressant de la même manière. On peut lire un texte littéraire ou une posologie d’un médicament avec le même intérêt, le même sérieux, le seul sérieux qui soit, le sérieux pataphysique.

C’est une manière de tout accepter… S : C’est surtout une manière de ne jamais s’emmerder, d’être toujours devant quelque chose de nouveau. Et vous Michel Antaki, n’avez-vous jamais songé à participer à ce collège ? A : On ne m’a jamais vraiment demandé mais de mon côté, j’ai été le président de la fédération internationale des éjaculateurs précoces pendant des années. La question à se poser est : est-ce nous qui sommes précoces ou sont-elles tardives ? Et c’est quoi, être précoce ? Jamais je n’ai eu de demande d’adhésion, ni de queue devant ma fédération, ce qui est plutôt un comble. J’ai dissous la fédération et je suis désormais le président de la fédération des bandeurs mous… S : La question à se poser c’est de savoir si les éjaculateurs précoces provoquent des enfants prématurés… A : Je reviens à votre question de la provoc. Ici, systématiquement, on dit comment il faut faire, comment il faut être… S : Le mode d’emploi ! A : Exactement ! Et le fou est là pour faire un pied-de-nez… S : Pied au cul,oui ! A : … questionner la société. Le bouffon questionnerait donc ce qui est censé être établi ? A : C’est un questionnement sur le point de vue… Einstein a inventé la relativité, or, elle n’est jamais entrée dans les mœurs. Elle est

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Mauvaise graine - André Stas - 2001 (avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Alain de Waseige - Galerie 100 Titres)

restée dans la science… Sociétalement, j’ai raison. C’est le paradoxe final ! S : J’ai déraison… Avez-vous déjà eu des problèmes suite à vos provocations ? S : Lorsque l’on animait ensemble « Radio Titanic », une émission de radio sur la RTBF, nous recevions chaque semaine un paquet de lettres d’insultes d’auditeurs choqués par nos horreurs… A : Ce n’étaient pas des horreurs ! S : … les vérités que nous assénions ! A : Notre slogan c’était : « Auparavant, la situation était grave mais pas désespérée. Maintenant, la situation est désespérée, mais c’est pas grave ! » On était précurseurs pour plein de trucs. Par exemple, on a lancé une émission qui s’appelait « S’il te plait, dessine-moi un mutant » et qui a débouché plus tard sur des émissions telles que « Striptease ». On rencontrait des gens dans les marges de la société… S : … des chanteurs de rue, des sectes, des collectionneurs fous… A : On était libre pour parler de tout et puis un jour, on nous a priés de partir… S : On a eu un problème aussi lors d’une exposition organisée au Cirque Divers. Il y avait une image de Jan Bucquoy complètement nu et elle a été censurée. Les œuvres ont été confisquées. On a remis au mur des photocopies des images confisquées et on a eu des scellés sur la galerie ! A : À l’époque, un entrefilet du New-York Times en a parlé… S : Non mais tu te rends compte ? Des scellés sur une galerie d’art, du jamais vu ! Ils se sont rendu compte qu’ils avaient été trop loin : ils ont enlevé les scellés et nous, on a organisé une autre exposition en réaction et qui portait cette fois sur la censure ! On a exposé les photos initialement censu-

rées sur les vitres du palais de justice, Place Saint-Lambert et on buvait du champagne comme des cochons ! A : Ça, c’est le bouffon… André Stas, vous définissez les images comme des armes. Qu’entendez-vous par là ? S : Une image, ce n’est pas fait pour décorer, c’est un outil. Je ne fais pas de la provoc pour en faire. Ça se fait tout seul. Il y a deux ans à Anvers, lors d’une de mes expositions, un collage a déclenché un petit scandale. Initialement, il y avait une image de femme en burqa qui tenait une photo ; sur cette dernière, j’ai collé une autre image, le visage d’une autre femme en train de sucer un doigt. Ça s’appelait les trottoirs de Kaboul… ça a gueulé dans la galerie et pas qu’une fois. « On va venir péter tes vitres », « on ne joue pas avec ça »… C’était pourtant juste une image innocente. A : Ici, tout le monde est contre la burqa parce qu’on ne sait pas, soi-disant, reconnaître les personnes… or, avec les cartes d’identités et les petites puces qui vont dessus, on voit tout de suite qui tu es ! S : Des petites puces ? Des morpions tu veux dire ? A : … et donc on peut identifier tout le monde. Au Cirque Divers, on ouvrait la table à tout le monde… S : Le désir humain n’a pas de limites… A : Vous savez, moi, je suis martien et je pense que chez les êtres humains, il y a des gens qui croient et des gens qui croient qu’ils ne croient pas. Ce que je n’admets pas, c’est qu’on vienne m’emmerder en disant « toi, tu as tort ». S : Il faut douter de tout même du fait qu’il faille douter de tout… Que pensez-vous des coups médiatiques perpétrés par Charlie Hebdo ? A : S’attaquer directement à la croyance de l’autre, c’est débile. C’est une idiotie. Actuellement, on tape beaucoup sur les musul-

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mans ce qui a pour effet de les durcir. C’est un plan pour les stigmatiser. Mais c’est une analyse perso. S : Tu crois que les cathos n’ont pas des choses à dire ? Il y a quelques années, on m’avait demandé de réaliser une carte postale pour la Fureur de lire. C’est un collage intitulé « mauvaise graine » : on y voit une petite fille avec toute une série de mots autour d’elle ; elle imagine ce qu’elle veut faire plus tard. En fait, elle aimerait bien faire pute, être dans des palaces, boire du champagne, etc. Tout est traduit dans les mots collés autour d’elle. Une bibliothécaire catho a lancé une incroyable levée de bouclier: « il y a des gros mots, c’est scandaleux ! » Et puis je retrouve mon collage à la une de la Meuse sous le titre « l’image par laquelle le scandale arrive », on en parle au JT… Il y a même eu une interpellation du côté provincial. Et tout ça à cause de mots ! Même pas une image indécente, juste des mots. Non, on ne fait pas ce que l’on veut ! André Stas, vous considérez-vous comme un fou littéraire ? S : Oui ! J’ai vraiment écrit des trucs dingues : un Ubu sans un seul « E », un roman com-

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posé de 750 phrases tirées de 750 bouquins différents. C’est un travail de fou ! Mais je n’aime pas l’appellation, je préfère celle de Queneau qui parlait des hétéroclites. Fou, c’est péjoratif. A : Pour moi, c’est « littéraire » qui a une connotation péjorative… S : La frontière est floue… l’apport de cette littérature est très intéressant et encore une fois c’est un paradoxe. À partir du moment où l’on s’y intéresse, ça sort de la catégorie ; le fou littéraire n’intéresse normalement personne. A : Ça rejoint le truc des éjaculateurs précoces… je suis « fou » à cause d’une norme. Cette norme, il faut la questionner. L’humain n’est-il pas fou ? Regardez toutes les conneries qu’il a faites. S : Il n’a fait que ça. A : On nous a enseigné que c’était les brontosaures qui détruisaient la planète. Ce sont les êtres humains qui font ça ! S : …Au Zaïre, on disait « nos ancêtres les gaulois ! » A : La planète va mourir parce que son intérieur se refroidit. Maintenant on me dit que c’est à cause du réchauffement climatique ! Je rêve, on se fout de moi… C’est le paradoxe.


S : Et le réchauffement en question va amener une nouvelle glaciation ! C’est magnifique ! A : Tout est question de référence et de pataphysique et de questionnement sur la référence… Faire le fou, c’est une manière de mieux vivre ? A : Si vous voulez. C’est pour cela que le bouffon est nécessaire au pouvoir… S : Il remet en question la légitimité de la pensée unique ! A : Exactement. Est-ce aussi la position de l’artiste ? A : Ça dépend lesquels. Jacques Lizène me traite comme artiste. Je préfère me considérer comme un poéticien… S : Faut être protéiforme… (Un vendeur itinérant nous interrompt en chantant) V : C’est moi bidule, le roi de la capsule. On m’appelle popo car je fais du rodéo. Etant fauché, j’essaie de me débrouiller. J’apporte la lumière mais je ne suis pas un allumé. Je ne travaille pas pour Luminus, ni pour l’ALE. Je vends des bics et des crayons avant de me tailler ! Avez-vous un peu de blé pour me dépanner ? Et de m’excuser de vous avoir emmerdé.

(Tout le monde applaudit) A : Ça va chouk ? V : Non. A : Je vois que t’es encore en pleine forme… V (après un blanc) : Nenni, j’ai eu un abcès pendant 4 jours… S : Où ça ? Au trou de balle ? V (faisant mine de l’embrasser) : Te tracasse pas, j’ai mis de la vaseline. S : Généralement, c’est un pet retenu qui fait un abcès au trou du cul… V (à Antaki) : Allez, amène ton petit pète… A : Je t’emmerde ! (Tout le monde se marre) V : Bonne soirée ! Tous : Également ! S (vers nous) : Tu vois notre rapport à la société ? Tu sais, le bouffon n’est pas fou ; il est intelligent. Rien ne dit que l’artiste est un imbécile. Il doit être au courant de l’actu pour avoir des trucs qui ont un intérêt… Tant que je suis en vie je fais ce que j’ai envie…

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Ă€ force de se donner en spectacle, on se retrouve dans les gradins.


Écart(s)


« Ze M « Cela mérite vos applaudissements ! » et ça applaudit, ça valse, ricoche, pleure, rit, touche et envoie au cœur du public.

Parfois la fonte me saisit, honte de laisser trainer mon regard sur ces avant-soirées putassières, honte d’être pris comme cible dans ce pauvre monde des avant-soirées. Mais rien à faire, je m’aventure, je glisse entre deux cadeaux vulgaires d’une chaîne à l’autre et je vérifie l’état des désastres, comme d’autres, la météo, chaque matin, avant le travail. Puis, je coupe, j’en ai assez, ça me suffit pour me redonner courage. Je comprends qu’ils aient supprimé les cours de morale, ça ne tenait plus, fallait être aveugle pour ne pas comprendre que ça tient, tout ça tient, avant ou après les révolutions de printemps-hiver, de jasminchoucroute et tutti quanti, ça tient comme ça, avec ça, et de façon de plus en plus sommaire.

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Sur scène, « Ze Mony », la seule autorité qui vaille, « Ze Mony » a aplati sans vergogne toutes différences, « Ze Mony », le seul pouvoir de la proximité a renvoyé chacune et chacun à sa commune humanité.

« Ze Mony » scène, règne, rayonne, illumine, travaille et tarabuste les frustrations de tous, ronge la selle du cavalier qui s’effondrera plus loin, hors champ, et lamentablement, blatère, aboie, roucoule, geint, grogne, siffle tandis que les sourires baillent, les rires s’exténuent, le public s’amuse. La violence et l’obscénité ne sont rien tant que les montreurs d’aspirateurs, les démonstratrices de coupe-légumes, les potiches en escarpins aux jambes infinies, nunuches à l’œil vif, sont en piste et aimés de tous. L’horloge tourne, le désir monte, l’hystérie gonfle, l’argent se montre, les Fous du roi sont au travail, la culture gagne, la guerre continue, on est heureux… La magnificence d’un système réside dans son évidence, pas dans ses dorures. Ceux qui dérident, ramassent le crottin, en pla-


Mony » cent une bien bonne, font signe aux enfants et embrassent les voisins, c’est nous. On a mis sa plus belle robe, son tee-shirt moulant, l’entrain est de mise, la nation est rassemblée, du blanc au noir, du beur au bauf, on s’amuse ensemble, on est les cocus de la farce, le vivre ensemble version prime-time. Nous, de haut au bas, nous tout entier, la nation rassemblée, du politique à l’assassin, du chercheur à la hardeuse, nous, modestes ou arrogants, mais nous qui marchons dans la lumière et les sourires, nous parfaites icônes de ce que nous fûmes, avant, quand nous n’étions que des individus, des électeurs, soldats, médecins, ajusteurs, infirmières et OS, nous les damnés de la terre, les enfants de l’avenir, nous, le peuple, la plèbe, la masse, sommes devenus le public, la plus-value de ces fonctions anciennes, nous sommes le Client. Le Client de base, celui fabrique le spectacle qu’il regarde, le Client infini (« Ce n’est qu’un jeu, à une autre fois »), le Client toujours heureux d’être là, arraché d’ici, dans

la lumière, là, sous le regard de ceux qui sont n’y sont pas et votent et téléphonent, soutiennent et encouragent.

Les enfants suivent, meilleurs clients encore, ils jouent aux enfants mignons, ils sont vifs et veules, malins et nauséeux, ils font le buzz et on leur fait la bise.Enfantssoldats et de combats douteux, ils y vont, déjà perdus dans l’horizon clinquant des sentiments contrefaçons. Alors, je sors, je promène mon chien et sous les arbres de l’allée, je vois trembloter les images des écrans où « Ze Mony » travaille…sous nos applaudissements. Daniel Simon

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Thomas Gunzig n’aime pas les cyclistes

Thomas Gunzig n’est pas un cas à part. C’est lui qui le dit. Avec ses cafés serrés encore bouillants servis de bon matin sur les ondes, sa position sur l’échiquier médiatico-politique est stratégique, à une heure où la masse des auditeurs s’apprête à engloutir l’info du jour. Entre deux bouchées pressées ou le visage déjà comprimé contre les portes d’un métro à peine refermées. La matinale est un temps fort dans une grille horaire. À l’image de ce qui se fait en France, c’est un moment de grande concentration en humoristes de tous poils, invoqués comme médiateurs d’un jeu de dupes assumé à l’heure de pointe du sarcasme. Diplômé en Sciences politiques, Thomas Gunzig est arrivé là un peu par hasard. C’est lui qui le dit. Repéré pour une interview à l’occasion de la sortie d’un de ses livres et, après des billets remarqués au « Jeu des dictionnaires », il rejoint « Matin Première », émission à laquelle il prête sa plume acérée et sa voix au pas précipité. Ses textes, soignés, le démarquent de la plupart de ses confrères. Ce n’est pas un comédien, alors il s’accroche au micro, entre et sort sans autre provocation que la parole, se livre à un exercice sans cesse sur le fil, tranchant comme l’est le rasoir de l’auditeur, au même moment, planté devant sa glace. Pas un procès. C’est lui qui le dit. Sa proposition est ludique mais invite à la provocation. À l’image de ce gai duel, proposé à son éditeur, Luc Pire, à la Foire du Livre en 2008. L’enjeu : récupérer les droits sur certaines de ses nouvelles. Lui, ceinture marron de karaté, l’emporte sur son adversaire, ceinture rouge de taekwondo. Sans autre forme de procès.

Vous définiriez-vous comme un bouffon ou un fou du roi ? Le bouffon, selon moi, c’est un clown, prêt à faire rire l’assistance. Fou du roi, par contre, cela me convient bien, se moquer des travers de gens qui en sont en théorie plus puissants 42

que soi. C’est plus drôle quand c’est ciblé, que la victime est directement identifiable, mais je pourrais aussi m’en prendre aux intégristes de tous genres - qu’ils soient catholiques, musulmans, juifs, on s’en fout. Il est arrivé une fois que je fasse un billet sur la manifestation anti-


avortement. Tout le monde avait l’air de bien s’entendre là-dessus ; il y avait des imams, des gens de la synagogue et de l’église catholique. C’est important, dans une société, démocratique ou non, qu’il y ait la possibilité de rire du pouvoir – qui est toujours assez violent, d’ailleurs, le pouvoir (quand le conseil des ministres vote l’austérité, c’est violent, très violent…). Rire de ça, c’est un remède moral,

cela permet d’envisager le pouvoir autrement, de le désacraliser, aussi. Toutes les forces humoristiques qui travaillent là-dedans sont des rouages parmi d’autres de la démocratie. Porter un discours sur le politique, ce n’était pas vraiment quelque chose de prémédité. Pas du tout. Je n’ai pas tellement l’impression 43


d’exercer mon métier quand je suis là, mais plutôt de faire ça de manière accidentelle et temporaire. Ce n’est ni une vocation, ni une volonté ; je n’ai pas envie de faire carrière làdedans. Cela me rend service financièrement, car ce n’est pas toujours évident de vivre de mes seuls droits d’auteur. Là où je ressens du vrai plaisir, c’est en écrivant des romans ou des spectacles, que je peux soigner, qui me permettent d’aller chercher des émotions qui vont au-delà du bon mot. Mon activité à la radio phagocyte pas mal de temps. Je n’ai plus publié de bouquin depuis trois ans. Dans ce que vous décrivez, il y a aussi une forme de performance. Alain Gerlache, qui fait un autre billet plus tard dans l’émission («MediaTIC», ndlr), me dit : « Quand tu viens avec un mauvais billet, tu le lis comme si c’était le meilleur de la semaine ». C’est un bon conseil. Et même les textes que je trouve justes, ils sont, quoi qu’il arrive jetables. Ils ont une valeur dans l’instant, parlent avec l’actualité du jour, de la veille.

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Mais une semaine après, ils ne valent plus rien. L’avantage de la radio, c’est qu’il s’agit d’un média très léger, sans doute le plus léger des

médias. On rentre, on lit, on ressort. C’est peutêtre même plus léger que l’écrit, qui s’inscrit dans une chaîne de travail, de la rédaction à la publication, en passant par la relecture et la mise en page. Je m’étais essayé il y a quelques années à la télévision, avec une émission qui s’appelait les « Bureaux du pouvoir ». L’expérience fut pénible : pour lire un billet d’une durée équivalente, cela me prenait une journée. Quels rapports avez-vous avec les invités ? Avez-vous déjà eu des retours particuliers ? J’ai peu de retours. Avec l’ancien horaire, je me retrouvais quelque fois un moment avec l’invité du jour. C’est toujours un peu délicat quand j’ai été un peu vache quelques minutes avant. Une fois, Laurette Onkelinx m’a dit, en partant, qu’elle n’avait pas du tout aimé ce que j’avais fait. Mais ça n’a pas été plus loin. Et ensuite l’horaire a changé. Sur la page Facebook de La Première, par contre, on reçoit beaucoup de réactions d’auditeurs, surtout avec mes billets sur Mgr. Léonard ou la reine Fabiola. Ce sont des gens qui ont des fans prêts à réagir. Bizarrement, les réactions les plus vives ne sont pas venues directement de l’un de mes textes. Dans un de mes billets sur la journée sans voi-


ture, j’avançais que les cyclistes, ce jour-là, roulaient n’importe comment et qu’en traversant l’avenue Louise avec mes gosses, j’avais failli me faire buter. Georges Lauwerijs a conclu mon billet : « Et donc, Thomas Gunzig n’aime pas les cyclistes ». On a eu droit à pas mal de réactions agressives de la part de cyclistes offensés. Mais la plupart du temps, il n’y a pas de réactions, ou alors, elles sont plus ou moins positives. Cela passe beaucoup par les réseaux sociaux, ce qui est un peu moins engageant. Ceci dit, je m’y intéresse beaucoup. J’aime bien savoir ce que les gens ont pensé de mes billets - même si je sais que normalement je devrais dire que je m’en fous - et s’il n’y avait aucune réaction, cela me désespérerait un peu. Quelles sont les limites que vous vous imposez ? Je pense que dans les sujets que je traite, il n’y a pas d’autocensure du tout. Par contre, plus je sens que je vais être dur avec des personnes, comme par exemple avec Mgr. Léonard ou la reine Fabiola, plus je vais soigner l’écriture, parce qu’il me semble que cela aide à faire passer la pilule. Et puis, il y des matins où je n’ai pas envie de faire mon billet (comme lors de l’accident de car scolaire, dans la nuit,

ou après la fusillade à Liège) et, dans ce cas, je ne le fais pas ; on sent, à ces moments-là, qu’il y a un état de choc. Alors, on peut dire à juste titre que, tous les jours, il y a la guerre en Syrie, par exemple, mais on parle ici d’événements qui touchent tout particulièrement l’humeur de la Wallonie et de la Belgique. Vous avez donc toutes les libertés ? En fait, je ne suis lié par aucun contrat avec la RTBF. Je fais mes billets et puis j’envoie ma note de droits d’auteur une fois par mois. Eux peuvent me dire du jour au lendemain « c’est fini », et moi aussi. Les critiques à l’égard de la RTBF ne manquent pas, mais de ce point de vue, ils sont très corrects. D’ailleurs, je n’aimerais pas devoir faire relire, corriger tel ou tel mot. On sait bien quel jeu on joue. Et on sait bien, aussi, que la place que j’occupe est ultra précaire, et que dès le moment où l’horaire va changer ou qu’ils n’auront plus les moyens de payer les chroniqueurs, ce sera fini. Il n’y aura pas de parachute doré, comme pour Guillon, vu que je n’ai pas de statut. Si j’étais salarié, ce serait moins confortable. Ceci dit, je serais peutêtre moins stressé aussi, sans devoir me demander ce que je ferai si demain ça doit s’arrêter.

R.G.

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Recettes de grand-mères (anarchistes) : la tarte à la crème Ingrédients : - une cuillerée à soupe d’Arsenic - ½ litre de lait - levure (10g) - 5 sucres - farine (390g) - 3 œufs - un sachet de sucre vanillé - acide sulfurique (quantités libres) - quelques bâtons de dynamite fraîche (facultatif)

Pour 1 personne Préparation : 25’ Cuisson : 10’

Mélangez une bonne cuillerée d’arsenic dans un demi-litre de lait (ne lésinez pas sur les quantités). Réchauffez le tout dans un micro-onde en fin de vie.

1. 2.

Dans le liquide bouillant, ajoutez directement la levure du boulanger, 5 sucres et dix centilitres de white spirit croupi (date de péremption faisant foi). Versez ensuite 300 grammes de farine.

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Munissez-vous de gants (astuce : ne jetez rien, pensez à réutiliser vos gants usagés) et malaxez la pâte sans vous brûler. Ensuite, placez-la délicatement dans un moule de forme ronde pour obtenir plus tard un discobole ravageur.


4.

Dans une autre casserole, déposez trois œufs (astuce : ne jetez pas les coquilles), du lait, un sachet de sucre vanillé, un brin d’acide sulfurique, 90 grammes de farine. Mélangez.

5.

Faites chauffer la casserole et laissez épaissir. Profitez de ce moment de répit pour truffer la mixture de clous, vis ou toute autre joyeuseté métallique qui vous tomberait sous la main. N’oubliez pas : le métal, c’est létal !

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7.

Versez la mixture dans le moule, dans lequel se trouve déjà la pâte. Mettre au four, préchauffé au préalable à 180°, pendant quelques minutes puis sortez votre tarte. Pour terminer, vous pouvez, par souci de présentation, ajouter quelques bâtons de dynamite du plus bel effet (on n’est jamais trop prudent).

Il ne vous reste plus qu’à choisir sur le champ une victime orgueilleuse et insupportable (vous avez l’embarras du choix) ! Variantes : A la place du moule rond, pensez à varier les formes, pour le plaisir des petits comme des grands.

Servir directement.

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De galeries

amusées

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Il existe, perdu dans un royaume conquis, un village peuplé de quelques irréductibles. L’occupant, un nouvel empire médiatique aux mains de forces troubles et obscures, continue de frapper à la porte de ces valeureux gardiens de la grande gauloiserie. Dans un jeu consenti, l’envahisseur, perpétuellement envahi à son tour, voudrait goûter à cette recette miracle qui en même temps l’effraie. Tous voudraient se délecter de l’énergie vitale de ces esprits (encore) bouillonnants aussi vite aimés que répudiés. Ils sont pour eux d’amusants personnages décalés ou décadrés, obligeamment poussés hors du champ de la vision, selon les goûts et les modes, les vies et les envies. Sous leurs atours comiques, la critique de ces figures rebelles autorisées reste tolérable,

jusqu’à un certain point. Toujours pointe la menace, pour celui qui ne pourrait plus être contrôlé, de rejoindre le salon des refusés. Ou de son rôle à jamais être prisonnier. Un terrain de jeu pour fauchés, circonscrit et contrôlé, qui s’offre à ce petit monde sympathique de la provocation et de l’attentat burlesque. Leur monde est un village, confidentiel dans les combats quotidiens, où l’anonymat n’a pas (toujours) cours ; tous se connaissent, du pâtissier zélé au tavernier engagé du coin. S’y retrouvent des figures plus ou moins connues, selon leur habilité à manipuler les médias (ou se laisser manipuler par eux). Ou, plus simplement, à nourrir des journalistes en manque de papier recyclé à base de marronnier.


Ils hantent désormais une galerie mi-amusée mi-désabusée dans un monde qui a changé. Héros vieillissants ou anarchistes héritiers de combats passés, leur corps, instrument à stigmates de leurs actions, offre aussi un amer constat : celui de la relève. Du résistant à l’ancien combattant, il n’y a qu’un pas. De ci de là, des tentatives de réponse sont avancées : les Yes Men américains pour les uns, la Brigade des clowns pour les autres. Force est de constater que les alternatives, souffle court de la jeunesse, sont moins visibles que les opérations de leurs aînés. Plus isolées, elles offrent des moments rares et divisés de provoquer ou contredire le pouvoir installé. Difficile d’amadouer à coup de second degré les acteurs médiatiques lorsque les images, nombreuses, migrent à une vitesse effrénée.

Les espaces d’expression ont eux-mêmes migré, mais pour quelle visibilité ? Difficile de résister à l’appétit de l’or quand il est si facile de laisser acheter son rire subversif par l’attrait du tapis rouge déroulé en prime time. Bouffons ou marionnettes, corps ou décor, gloire ou argent ? Des récits de vie qui manqueront peut-être, pour certains, de paillettes, mais certainement pas de mordant.

Textes et photos R.G.

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Noël Godin À une heure qui n’a presque plus rien de matinal, les gorgées de café se succèdent à un rythme soutenu, contrastant avec l’ardeur feutrée de neurones en phase de réveil. Les tasses contenant le précieux breuvage, habillées de créatures cartoonesques, pour certaines, ou souvenirs de bouffonneries grolandaises, pour d’autres, sont à l’image du maître des lieux et son goût fantaisiste pour la citation cocasse. Noël Godin, célèbre critique de cinéma affabulateur, réalisateur et acteur improbable, infatigable provocateur noctambule et entarteur renommé, émerge, dévoilant un esprit espiègle toujours vif et un sens de la formule étudié. « Je ne suis pas d’accord avec ceux qui font de moi un fou du roi. Il y avait une connivence entre les bouffons et le roi ; moi, je suis implacablement antiroyaliste et contre toute forme de pouvoir hiérarchisé. Il n’est pas question d’amuser la galerie pour contribuer au bon fonctionnement du système, ni de servir de soupape de sûreté par mes attentats pâtissiers et autres facéties. On peut évidemment essayer de me mettre dans le rôle du fou du roi mais je ferai tout pour mettre à sac la capsulisation en question. » 50

Élevé avec les barricades soixante-huitardes, le poing encore levé sans craindre l’arthrite, le trublion n’oublie pas, malgré les années, ses contestataires revendications. Définitivement révélé aux yeux du monde à la suite de l’opération fracassante et hyper-médiatisée visant le faciès pieux de Bille Gates, l’entarteur vieillissant redoute l’encroûtement de ses pontifiantes victimes. Après avoir reçu, il y a quelques années déjà, les honneurs de prix et autres glorifications de l’humour, il décide de devenir sa propre proie et de goûter aux plaisirs d’une crème bien fraîche, hommage aux cabrioles déchaînées du cinéma burlesque. « C’est très facile de désamorcer un attentat pâtissier. J’ai moi-même été souvent entarté ; il suffit d’en rire et, immédiatement, cela n’intéresse plus les médias. C’est notre différence avec les situationnistes, que nous adorons, car pour notre part, le combat gloupinesque ne peut exister que par rapport aux médias. En réalité, les parties ne peuvent réellement se jouer qu’avec des photographes de guerre, qui se rendent compte qu’ils peuvent passer tous les barrages et qu’il ne leur en coûtera rien. » L’entartage serait presque un métier, qui seul, ne suffit pas. Sans images, pas d’existence avérée.


/ De l’aigreur

des pompeux cornichons


« Je ne choisis comme cible que des personnes se prenant horriblement au sérieux et ne vivant que par leur image, par procuration. Les plupart de nos victimes le vivent très mal car elles sont accrochées à leur rôle de façon tout à fait rigide. Chaque fois qu’on s’est réunis chez moi pour décider de la victime suivante, lors de monstrueuses agapes, le nom est tombé en trente secondes. Je dis on, parce qu’on est tout un équipage flibustier. »

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À la tête d’une Internationale Pâtissière informe qui n’existerait que « comiquement », Noël Godin chapeaute de véritables opérations organisées menées par un commando aguerri, en parraine d’autres, quand l’occasion se présente. « On privilégie l’attentat pâtissier car il n’y a pas plus éloquent. C’est mieux que les œufs, le fumier, les tomates. On est compris dans le monde entier. C’est une sorte d’esperanto qui marche à fond. Ce qui s’est passé durant mes quinze attentats pâtissiers personnels, c’est qu’on est venus à nous avec des plans d’attaque précis. On n’aurait pas eu PPDA pendant son jogging, Sarkozy, Bill Gates s’ils n’avaient pas été trahis. Chaque attentat pâtissier nécessite de pouvoir déjouer les dispositifs de sécurité, avoir des renseignements précis sur l’heure

où va surgir la victime, le moyen d’arriver jusqu’à elle. Nous avons en effet été de plus en plus organisés, comme la bande à Bader, mais de manière tout à fait burlesque, c’est là la grande différence. » Au détour de nombreuses anecdotes, il nuance cependant, vantant les amusements nostalgiques de l’inévitable aléa : « Malgré toute notre préparation, chaque gloupinade s’est jouée dans l’improvisation la plus délirante. Un des événements les plus mémorables, c’est le quatrième entartage de Bernard-Henri Lévy. Il y en a eu sept. À chaque fois, il a tabassé ses entarteurs. Cette fois-là, à Cannes, on parvient à avoir une invitation, mais le bruit court qu’on va frapper. Il évite la montée des marches. Ivan l’Ukrainien parvient finalement à passer à travers les mailles du filet mais ne peut monter sur scène. Il lance donc sa tarte tel un discobole et miraculeusement, atteint sa cible. Il est littéralement tabassé par le service de sécurité. C’est Jan Bucquoy qui surgit alors en s’écriant : ‘‘Arrêtez, arrêtez, je suis l’ambassadeur de Belgique’’. Et ils l’ont cru. » Si la cause rassemble de plus en plus de sympathisants, si les vidéos témoignant de ces hauts faits grouillent sur la toile, Noël Godin déplore un manque d’occasions concrètes de souiller


aujourd’hui les puissants. « Depuis des années, chaque fois qu’on me propose des actions, cela ne tient pas la route ou les informateurs se désistent par peur de représailles. » Institué dans la figure de l’ancien combattant presque pensionné, l’enthousiasme et l’ardeur semblent toujours présents. Pourtant, dans un monde qui semble avoir bien changé, chaque sortie se mesure, comme une permission autorisée, après s’en être remis aux auspices. « On me demande souvent si j’ai pris ma retraite. Je ne demande que ça, moi, réaliser des opérations, faire de l’exercice, retrouver la forme. Mais on ne nous monte pas de coups. Et on n’a rien dans la tirelire pour se permettre d’aller à Paris sans garanties.» Le téléphone sonne, n’arrête pas de sonner, depuis des années. Entre professionnels de la presse qui, en manque d’inspiration, se reposent sur les prédictions délectables de ce perturbateur volubile et « discoboles » fraîchement convertis, les sollicitations sont nombreuses. Jusqu’aux émissions de téléréalité japonaises prêtes à l’inviter, contre forte rémunération, pour décliner son célèbre « gloup gloup » dans les versions les plus universelles. Entre adoubement et réappropriation. « Chaque semaine, on me téléphone pour venir s’en prendre à un

chef de bureau ou un contremaître, beaucoup de demandes pour des directeurs d’école aussi. Il y a une guillerette solution ; entarter le patron d’un autre établissement contre quoi on vient entarter le vôtre, pour que ça se passe dans l’impunité la plus totale. Les appels viennent d’un peu partout dans le monde. On me demande conseil. Mais, pour moi, la seule révolution imaginable, c’est lorsque chacun fait sa révolution, comme il l’entend. La guérilla ludique se porte d’ailleurs de mieux en mieux, sans que ce soit médiatisé. D’autres factions ont pris la relève, comme Al-Quaïtarte à Lyon, les B.B.B. (Biotic Baking Brigades, ndlr) aux Etats-Unis ou le mouvement Maurice Gloup, qui est toujours prêt à nous donner un coup de main. Ceci dit, nous avons comme philosophie de toujours veiller à ce que nos victimes soient dans toute la puissance de leur éclat, qu’elles ne soient pas des ambulances sur lesquelles il serait trop facile de tirer. On m’a déjà demandé d’entarter, contre compensation, Catherine Deneuve ou Sharon Stone, mais je refuse catégoriquement, car je ne suis pas un mercenaire, pas un corsaire mais un flibustier ». Dans un coin du lieu, Sylvie, compagne de luttes quotidiennes, allume cigarettes sur ciga-

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rettes, illuminant furtivement les traits d’un visage perdu dans la pénombre de la pièce. Le petit salon, musée domestique, est ceinturé d’étagères pleines de bandes vidéo, de revues et d’ouvrages plus ou moins érudits ou engagés. « Sylvie s’occupe de l’Internationale Pâtissière et de la sécurité. Elle pense toujours à assurer nos arrières. Elle n’entarte pas, car il faut pour cela avoir vraiment envie de le faire. » Sortant alors la tête de ses relectures attendues de toute urgence par les « potes » de Siné Mensuel, elle intervient, au moment de refaire du café. « Mon rôle, c’est que jamais une des cibles ne soit blessée ; je veille à ce qu’elle ne porte pas de lunettes, à ce qu’il n’y ait pas de pépites de chocolat dans la tarte, j’écarte le copain qui serait trop saoul ou agressif. Personne n’a jamais été blessé. À part nous… Le choc, c’est de ne pas être averti. La vraie blessure, elle est dans l’amour propre. » Désormais interdite de séjour au Canada, l’experte logistique des opérations menées par « George le Gloupier », l’alter ego de l’entarteur loufoque, ne se refuse tout de

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même pas le bonheur dégoulinant d’un bon lancer à bout portant. Ce qui vaudra alors au couple d’être arrêté pour avoir conjointement entarté, à Montréal, un candidat politique aussitôt élu. Victimes de sa première décision en tant que dirigeant, les Bonnie et Clyde de l’attentat pâtissier sont mis sous les verrous, libérables contre grosse caution. « Enfin, cinq cent euros, mais pour nous c’était énorme, car on n’avait pas d’argent dans les poches. » Tel serait le prix de l’indépendance. Artistes ou terroristes, agitateurs ou frapadingues, la rançon de la gloire et la conquête du royaume ont un coût (que les contributions dans la presse satirique francophone, souvent à l’œil, ne suffisent que rarement à compenser). Toujours fauché, l’entarteur peut compter sur une solidarité bienveillante de la part de militants, sympathisants et même, parfois, de journalistes censés les abattre en plein vol. «  Contre Jean-Pierre Chevènement, en France, on perd notre procès en cassation. Cela passe dans la législation française. Dorénavant, une tarte à la crème est considérée


en France comme une arme par destination et l’attentat pâtissier comme une violence par nature. Dinguerie totale. On doit sortir beaucoup d’argent, mais on n’a rien. Quand le conte de fée cocasse se produit : on nous monte une ‘‘Gloup Gloup Party’’. Pour alimenter la tombola, Benoit Poelvoorde nous offre le script original de C’est arrivé près de chez vous, Lio nous offre sa culotte mythologique Petit Bateau. C’est une des raisons pour lesquelles on n’arrêtera jamais : cette solidarité loufoque nous fait un bien fou. » C’est cette même solidarité loufoque qui unit les allumés peuplant le cinéma d’un certain Jean-Jacques Rousseau, fait de bric et de broc et du bon vouloir de camarades excités. Dans ses films, Noël Godin joue généralement le rôle du savant aussi fou que lubrique, avec un talent désespérément assuré. « Je joue dans les films de Jean-Jacques pour le plaisir. Je lui dis toujours non d’abord, car c’est un univers très régional et je considère que j’y serais comme un cheveu dans la soupe. Et puis, comme il insiste et insiste, que c’est un

mec totalement délirant – et que je n’aime que les gens un peu cinglés, je me suis laissé entraîner plusieurs fois. Je me suis amusé comme un fou. Je n’aime pas a priori faire l’acteur, mais j’ai joué pas mal de petits rôles, un peu pour le sou ou pour aider des copains, comme mes potes grolandais. Benoît Poelvoorde a dit de moi, à propos du Camping Cosmos de Jan Bucquoy, que j’étais le plus lamentable comédien de la planète, ajoutant ‘‘au point que ça en était fascinant’’. Chaque participation à un film est une aventure déraisonnable en soi, donc je dis oui volontiers mais je dis non à beaucoup d’inconnus. »

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Jean-Jacques

Rousseau

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« Dans les années 60-70, je n’avais pas de masque. J’avais une longue barbe comme l’ayatollah, on aurait dit Jésus Christ. J’avais décidé de ne plus me raser tant que je ne serais pas reconnu comme cinéaste à part entière. Les années ont passé et la barbe a poussé. » Messie wallon du cinéma de l’absurde ou révolutionnaire inoffensif de l’anecdote à rallonge, Jean-Jacques Rousseau, homme d’aujourd’hui ou coursier du futur, ne porte plus de barbe. Des cheveux blancs encore guillerets maintiennent dans le froid de l’hiver un cerveau en surchauffe. Un anneau discret à l’oreille droite. D’épais sourcils noirs et denses bordent des yeux rieurs et inquiets, seul indice connu d’une identité tenue plus ou moins secrète au fil des ans. Là se trouvent sans doute les restes d’une superstition. « Ma mère ne se laissait jamais photographier. La seule photographie que j’ai d’elle, c’est moi qui l’ai faite. Elle trouvait qu’à partir de votre image, on pouvait vous faire du mal, la jeter dans un nid de fourmis et que, le lende-

main, vous en soyez affecté. Je peux donner dix mille hypothèses sur l’origine des extraterrestres. C’est pareil pour le masque, les envoûtements et les nids de fourmis. » Jean-Jacques Rousseau, cinéaste et homonyme célèbre, aime jouer avec son illustre anonymat. Encensé par les défenseurs du bon goût et vomi par les autres, son univers est à l’image de ses propos : un mélange foutraque, tantôt hanté par des savants fous et des S.S. barbus prêts à tout faire péter, tantôt par des rencontres fantaisistes ou fantasmées, dont il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux. « Une mine d’or d’anecdotes. Il en est rempli. Le cinéma que l’on fait est une anecdote en soi. » Un jeu, soit. Pour celui qui accepte, contre quelques plaisirs consentis, de se laisser – un peu – berner. Un jeu d’enfants, donc. « Entre Staline et De Gaulle, c’était mon père. J’étais pris entre les photos de l’un, à gauche, de l’autre, à droite. C’étaient les années 1950. Et puis, on a découvert les goulags.


/ Les voix du maître

de l’absurde


Quand une réalité devient trop absolue, elle devient absurde. Pourquoi fallait-il autant de morts ? Le cinéma de l’absurde est sans doute une réponse à l’absurdité de la réalité. Attention, au départ je ne me définissais pas comme tel, ce sont les gens qui l’ont fait pour moi. J’étais absurde ? Je ne le savais pas. J’étais surréaliste ? Je ne le savais pas. On a aussi cru que j’étais antisémite, partisan du Front National, on a même cherché dans le livre du mouvement raëlien pour faire de moi une sorte de messager du futur. On m’avait rendu fou ! Je ne m’en rendais pas compte mais on m’avait rendu fou ! Puis, cette folie, je l’ai cultivée et j’ai trouvé que ça m’allait bien. Si bien qu’à un moment, à la TV, on disait que j’étais entre le génie et le fou.» Folie et génie, légende et banalité emmêlées contribuent au voile nébuleux porté en toutes circonstances par cet impénétrable illuminé. Son épouse, discrète jusque-là, acquiesce :

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« Les réponses sont à trouver dans la vie de Jean-Jacques Rousseau lui-même. Ses films sont tissés d’événements qu’il a vécus personnellement, qui ne sont pas toujours accessibles au spectateur ». Doublures de luimême ou cousus de fil blanc, ses scénarios, souples comme l’étoffe dont il se drape, sont constellés de personnages apparemment aussi frapadingues que lui. Comme cet Arthur Schopenhauer, autre homonyme un rien célèbre et pseudonyme un rien simplet, rencontré un jour, hagard, à la recherche de son vélo. À l’écran, il apparaît, cycliquement, dans son propre rôle, une roue à la main : « Vous n’avez pas vu mon vélo ? ». Ou cet acteur fétiche, prêt à investir ce qu’il faudra dans le film pour enfin recevoir, même temporairement, les grâces du mariage, après qu’elles se soient refusées à lui pour cause d’apparence ett d’odeurs inconvenantes. Car le maître est entouré de son aéropage. Un


bras droit au prénom variable, une épouse également actrice de ses films, une fille responsable de leurs bandes musicales : voilà les membres proches d’une famille concernée qui rappelle que les tournages de Jean-Jacques Rousseau, guide spirituel, offrent avant tout une expérience collective. L’investissement est à la fois physique et financier, un don de corps et d’argents réunis autour de la figure masquée d’un chef d’orchestre aussi visible qu’invisible. La banqueroute est parfois aussi proche que la déroute : « Les gens viennent parce qu’ils s’amusent ; ils souffrent mais ils s’amusent. Il y en a aussi qui viennent une fois et puis on ne les voit plus. Ils préfèrent tenter leur chance dans la figuration et se vanter de tourner avec Poelvoorde ou Deneuve, même s’ils n’apparaissent qu’une seconde à l’arrière-plan. D’autres viennent de Secret Story. Nous, on n’a pas besoin d’agents ni

d’emmerdes, on travaille sans assurance. Nous sommes des saltimbanques du cinéma. On prend des risques dont celui d’être tué. Des personnages muets jusque-là se mettent à crier en se tordant de douleur ou font des chutes involontaires de plusieurs mètres. Dans La mécanique du rasoir, c’est moi qui ai dû monter la guillotine, avec sa lame de 17 kg. Elle s’est défaite, venant se planter juste à côté de moi. ‘‘Au fond, dans le cinéma de Jean-Jacques Rousseau, ce qui compte, c’est de sauver sa peau’’ m’a dit un jour un journaliste. Ce n’est pas faux ». Si au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, l’homme, à l’entendre, réunirait une belle brochette de demandeurs d’asile, apparemment perdus à la frontière entre la fiction du scénario et celle de leur vie : « J’ai quelques acteurs cultes, comme Henri Bouillon, Noël Godin (qu’on ne peut plus arrêter une fois parti en improvisation), Victor Sergeant (qui

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ne supporte pas qu’on rie dans les films où il tient la vedette), le karatéka-boxeur René Kubla et son beau-frère qui s’est suicidé à cause d’un problème de prostate, Pierre Sibille, qui maintenant veut mettre un entonnoir sur la tête, Philippe Otlet, qui étranglait vraiment les gens. Je crois que j’en ai sauvé du suicide. Pour certains, jouer dans mes films doit être une sorte de thérapie. Sur Casanova Forever, j’avais une actrice qui disait avoir été victime d’une tentative de viol. Elle avait des traces dans le cou. J’ai viré l’acteur, mais après, elle a trouvé d’autres coupables. C’était vraiment son genre de faire ça. Et puis on l’a reprise dans le film pour scier sa jambe. Elle jouait bien, enfin, les scènes où elle souffre, oui. On l’a mise une fois dans un bassin avec de l’électricité. Les rôles comme ça, ça va. Voilà sans doute la thérapie ; elle aurait peut-être voulu être unijambiste pour danser le rock ». Il n’en faut pas plus

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pour contribuer à construire une légende au goût troublant de tous les excès, celle de l’artiste maudit qui sait bien s’entourer dans un fief tout aussi vite dépeuplé. Assistants morts d’anxiété ou brûlés vifs viennent s’ajouter au tableau des disparus, trouvant dans les feuillets périodiques et fripons de La voie du Maître (de l’Absurde) une épitaphe doré : « Ici reposent les combattants du cinéma morts pour le GAGB ». L’attirail militaire dans les films de JeanJacques Rousseau n’a d’égal que le vocabulaire guerrier disséminé un peu partout par ses soins, au détour d’un de ces feuillets ou lors d’une apparition publique toujours attendue, en compagnie de sa « garde prétorienne », le fameux GAGB. Passé du fanatique barbu (plus souvent arrêté par ses airs de terroriste endimanché que pour signer un autographe) à l’homme masqué tout droit sorti d’un braquage à main armée, le cinéaste se


ballade sans ennui du bar Au Napoléon à la boucherie chevaline de Courcelles qu’il aime tant filmer : « Ici, il porte souvent la cagoule, cela ne pose pas de problème, on le connaît. En France, c’est plus compliqué. Pour l’anecdote, il est arrivé une fois qu’il soit introduit sur un ring de catch plutôt que dans la salle de cinéma dans laquelle on l’attendait juste à côté », confie avec malice son acolyte. « En 1996, je rencontre Noël Godin et c’est lui qui voit alors en moi le maître de l’absurde. ‘’JeanJacques Rousseau est un philosophe, le plus grand réalisateur d’Europe… de Belgique… de Wallonie… de Charleroi … ‘’  Il veut me faire jouer dans le film L’œil du cyclone. J’accepte à la condition d’être masqué. Je passe dans un store américain ; cela fait son affaire. Par la suite, il contribuera aussi à faire circuler la légende indienne, à coups d’entités maléfiques. Je suis innocent mais tout d’un coup, je suis devenu coupable, prisonnier de ma cagoule. Le masque commençait à me coller

à la peau. » Le maléfice, presque lancé depuis l’au-delà, vient d’être récemment révoqué, lorsque le tissu de la cagoule prit feu accidentellement au cours d’un rituel loufoque à base d’euro 98, « parce que ça s’embrase plus fort ». Mais la cagoule a aussi ses avantages, « comme de ne jamais vieillir pour le public ou de faire exister plusieurs Jean-Jacques Rousseau en même temps : au BIFF, nous étions trois à répondre aux interviews. Jan Bucquoy ne m’aime pas trop, je crois, car pour lui, on doit avoir le courage et l’audace de montrer son visage. Il est plus subversif que moi ».

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Jan Bucquoy « My name is Jan Bucquoy, je suis le fou du roi. Il faut… tarata ». L’hymne, tiré de la chanson mi-punk mi-techno sous acide du même nom, rythme, au son des basses et des cris indistincts, l’arrestation du célèbre agitateur filmée par Richard Olivier. Grand Place, Bruxelles. Jan Bucquoy vient de jeter à terre une statue de plâtre à l’effigie royale dans un cri sans appel : « Vive la république ! ». Plaqué au sol puis menotté, l’homme retrouve là des sensations connues, d’un bras ramené de force dans le dos, d’une cheville maintenue familièrement par un fonctionnaire zélé, la face léchant le sol pavé de ce haut lieu touristique. Voici faite la démonstration de la violence de l’Etat policier tant décriée par l’agitateur, rescapé d’une Flandre catholique et conservatrice qui l’a vu naître. Quelques années plus tard, loin de l’effervescence médiatique, Jan Bucquoy est toujours debout. Au mur du Dolle Mol, buvette sans âge et haut lieu libertaire qu’il n’a cessé de défendre, pend une photo de lui en pleine arrestation, les muscles tendus en souvenir de ce moment héroïque teinté d’une souffrance révoltée. Tableau de chasse perdu dans une forêt de personnalités exécrées, ces saintes faces encadrées 62

portent un caleçon en guise de couvrechef : son célèbre Musée du slip se trouve à l’étage. « Ce n’est pas moi qui ai dit que j’allais faire le fou du roi, cela vient de la presse. La marge entre l’artiste et le bouffon est étroite. Soit on est en Russie et on vous met dans une mine de sel, soit dans une société démocratique et là, c’est plus facile de vous traiter de fou. Je cite souvent Foucault, pour qui on peut attaquer le pouvoir de trois façons : politique, sexuelle ou par le délire. Dans tous les cas, le pouvoir va censurer. En faisant de toi un fou, faire passer tes propos pour du délire. L’autre façon d’attaquer le pouvoir, c’est par le terrorisme. Tu places des bombes et là, tu as dix fois plus de flics pour restreindre tes libertés ». Lorsqu’il représente Baudoin, roi des belges, avec un slip sur la tête ou dessine le sexe de la reine Fabiola, lorsqu’il s’en prend à Hergé, icône nationale « fasciste », il attaque l’image du sacré édifié sur la nation. Lorsqu’il se lance dans la folle entreprise de décapitation de la statue du roi, lorsqu’il se soumet depuis 2005 au rituel annuel du coup d’état visant à prendre le palais, Jan Bucquoy porte physiquement atteinte à la représentation, un attentat qui détourne le vocabulaire révolutionnaire ou terroriste. « C’est un détourne-


/ La houppette antifasciste(s)


ment qui dit finalement la même chose. Le Belge reste brave, il n’a pas fait la révolution, il en a seulement subi les conséquences. Quand j’essaie de décapiter la statue du roi, je n’essaie pas de le tuer physiquement, je tue le père. On est dans un genre psychanalytique qui me distingue du fou. Et quand j’essaie d’occuper le palais, je suis seul, avec quelques camarades. Je n’ai pas d’arme. Je l’annonce à l’avance et j’enlève en même temps au pouvoir un thème de répression. Si j’étais comme les CCC (Cellules Communistes Combattantes, ndlr), caché dans une cave, on m’infiltrerait pour avoir un coup d’avance. C’est ça qui intéresse le pouvoir. Mais si tu leur communiques ton plan, ils t’attendent et, même, ils râlent si tu n’es pas à l’heure. L’arme est intellectuelle et physique ; c’est la grande différence avec les grands penseurs intellectuels qui préfèrent ne pas sortir de chez eux. Tu représentes un danger, on peut te tirer dessus. J’ai déjà eu trois côtes cassées. Cela ne pourrait pas s’arranger de la sorte dans un autre pays. La Belgique, c’est quelque chose d’un peu flou, ce n’est pas une vraie nation. L’artiste peut en profiter. Le surréalisme ne vient-il pas de là ? » Accompagné de ses conteurs attitrés ou engagé dans une partie ludique avec les médias positionnés sur l’échiquier, le fou accepte finalement – esquive ou retraite ? – de se retrancher dans la tour : « Pour mon traditionnel coup d’état, j’ai d’abord envoyé 64

un communiqué de presse, puis je n’ai plus rien fait. Ce sont les agences de presse qui font tourner l’info. De manière générale, je le fais de moins en moins. Les médias ont changé, les gens sont sous-payés. Pour Noël Godin, l’image est essentielle, il est nécessaire qu’elle circule. Dans mon cas, c’est plutôt inscrit dans le long terme. Dans la tête des gens, je le fais tous les ans à la même période – en mai –, même s’il m’arrive de faire l’impasse quand il pleut ou que je suis à Cannes pour un de mes films. La question n’était pas de s’approprier le pouvoir, car c’est toujours pire après qu’avant. Ma proposition était de faire des élections par loterie, pour une répartition réelle et pas qu’avec des mecs qui ont fait le droit. J’ai arrêté parce que d’autres personnes sont venues se greffer, avec des discours sociaux. Je ne peux pas les empêcher d’être là. Et puis, rien ne dit qu’un jour, je ne recommencerai pas de plus belle. Et là, la police, elle ne sera pas présente. Je serai à l’intérieur. C’est un jeu avec les médias et le pouvoir ». Un jeu ou un pacte avec l’ennemi, qui est aussi privilégié par la religion et le pouvoir. « Tout cela – la religion, les médias et le pouvoir, c’est une façon de maintenir les hiérarchies, de faire aller les gens au travail pour le restant de leur vie, un boulot qu’ils n’aiment pas, pour un salaire de misère. C’est une vie de merde qu’on leur propose. Tout ce qui nous entoure nous berne, fait passer pour naturel ce qui ne l’est pas. Ce qu’on bouffe


est empoisonné et on a quand même détruit une planète. On n’arrête pas le progrès. Mais qu’est-ce que le progrès ? D’abord, c’était de pouvoir recueillir son eau au robinet au lieu d’aller à un kilomètre. Maintenant, l’eau du robinet n’est plus potable, donc vous retournez au supermarché à un kilomètre. Je n’ai pas de boule de cristal, mais on va peut-être revenir vers des valeurs plus simples. On sent que quelque chose est en train de changer. » Tourné vers l’avenir d’un hypothétique prochain coup ou engagé dans le combat des années à égrainer, l’heure, pour le chef de file du regretté parti Banane, est aux bilans. Un échiquier vidé de ses habituels occupants traîne en vitrine. A l’étage du Dolle Mol, théâtre aujourd’hui de procès parodiques appelant régulièrement Maître Bucquoy à la barre, résonnent encore les voix lointaines et étouffées de la bande à Bader, qui aurait trouvé refuge dans cet antre insoumis. On distingue encore dans un bruissement celles du mouvement congolais indépendant alors en exil. « Dernièrement, des anciennes forces vives de l’armée rouge italienne se sont réunies ici. La police était là, ils ont mis des micros. C’est un lieu qui existe depuis quarante ans. On a dû l’occuper pour le garder, on est même allés en prison. Maintenant, on ne paie plus de loyer. Dans les années soixante, pratiquement tous les livres étaient interdits ; les douze positions, la fabrique de bombes artisanales… Il y avait tout une littérature

underground qui venait des Etats-Unis et d’Angleterre. Dans les librairies, la police saisissait tout. Ici, ils ne rentraient pas. » Aux murs, la galerie de portraits officiels détournés amuse toujours les visiteurs : culottes délavées sur la tête, ils sont les reliques d’un combat violent et fratricide, entre l’art et le politique. « L’impact d’un travail comme le mien est infinitésimal. Cela met beaucoup de temps à passer, mais la ligne était juste. Quand vous essayez d’entrer dans un parti politique – comme je l’ai fait, c’est mortel. C’est la répétition d’une hiérarchie. Si vous essayez de changer quelque chose, on vous met dehors. Est-ce que je tire un bilan positif de tout ça ? Au niveau d’une carrière, sûrement pas. Ce n’est pas un exemple à donner à une jeune génération d’artistes. Cela mène au CPAS. À rien du tout. Dans les années soixante, on était à la mode, et beaucoup de personnes ont surfé là-dessus. Il y avait une plateforme, il y avait du monde, des nanas. Aujourd’hui, cette plateforme n’est plus. Ce n’est plus que de la matière pour les chercheurs. Tout a disparu, les filles ont disparu. Et puis, c’est absurde la vie : on naît, on est jeune, on est beau, on nique tout ce qui bouge et après on devient vieux, malade et mort. Cela vous semble raisonnable, ça ? »

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Théophile de Giraud

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« Je suis un être humain en colère contre ce monde, à plein d’égards. Et surtout, du fait d’avoir vu le jour. C’est une violence. Personne n’a demandé à être là. Cette question est au cœur même de mon combat. » Théophile de Giraud, artiste, poète, écrivain et performeur, a son style bien à lui. Cheveux d’un noir profond disposés avec soin dans le chaos le plus organisé, comme appelés vers d’autres cieux, vêtements sombres hérités d’une adolescence rebelle pas tout à fait révolue : voilà un personnage bien reconnaissable, qui n’hésite pas, pour autant, à laisser tomber, au cours de performances nudistes raisonnées, son attirail pour la défense de sa cause. « J’ai toujours été habillé comme je le suis. J’étais déjà en marge avant d’avoir des convictions philosophiques ou politiques. J’ai eu une bonne éducation, de la part de mes parents et du circuit catholique dont je suis un pur produit. C’est peut-être pour cela que je suis en révolte ; je suis un gâté de la vie et je voudrais que tout le monde puisse bénéficier de cela. »

Gâté, peut-être, jusqu’à l’écœurement. « J’avais tout pour moi, je ne manquais de rien, j’étais vachement adapté, mais en même temps, j’ai dû porter ce que j’appelle une croix de merde, parce que mes parents ont fait des erreurs structurelles. J’ai dû m’occuper de ma grand-mère, une vieille femme dépressive, acariâtre, chiante au possible. Elle me recoiffait tout le temps. Ce n’est pas pour rien que je suis toujours décoiffé aujourd’hui. Ça m’a rendu dingue. J’avais perdu le goût de vivre, au point que, à 19 ans, je me jetais d’une falaise. Toute ma révolte est venue de là, d’un environnement familial toxique mais bienveillant. » Ses apparitions dans les médias, sont comptées. Pour lui, son propos dérange, irrite, gratte là où cela fait mal, dans une société gangrenée par des tabous encore bien tenaces. Lors de happenings dénudés souvent réduits par les journalistes à de simples morceaux de bravoure potache ou lorsqu’il s’en prend à la statue du roi


/ Les statues

meurent aussi


Léopold II à coups de pots de peinture, son corps devient le réceptacle furtif de toutes les attentions. Il s’agit de capter le flux des médias et, à travers eux, de sortir le peuple de sa torpeur. « Il faut exploiter le système, rentrer dans la logique marketing de la machine médiatique. Il est impératif d’utiliser les armes et les stratégies de l’ennemi, car l’ennemi, lui, est efficace. Il est grand temps de faire comme le capitalisme, une joint venture de gauche, et que tout le monde arrête de se tirer dans les pattes. Si dans sa vie, chacun de nous faisait une action transgressive et spectaculaire, une seule fois, même petite, les médias seraient obligés de parler de nous. Il faut les bombarder… » Refusant les étiquettes, le poète ne renie pourtant pas ses affinités avec les anarchistes de tous poils, solidaire à leurs causes, pas plus qu’il ne repousse l’héritage familial légué par quelques bienfaiteurs grivois: « Noël Godin et Jan Bucquoy sont des vieux soixante-huitards, ils ont fait les barricades ; bravo. Maintenant, ils attendent la relève. Moi je suis né en soixante-huit, mais en novembre, alors je l’ai vraiment raté, ce tournant. Noël et Jan, ce sont mes pères spirituels. Clairement. Ils ont compris que pour contester, il faut contre-manipuler. Je soutiens les anars radicaux mais en même temps, si tu fais de la casse, tu continues à faire tourner le système. » Théophile de Giraud, anobli non plus par l’épée mais par la crème, est partie prenante de cette petite 68

cour résolument antiroyaliste ; il ne compte plus les hauts faits héroïques et attentats burlesques menés de front, trop pleins d’exaltation et d’ivresses en tous genres. « Il faut savoir qu’une fois, on s’est retrouvés face à la porte du Palais Royal. Jan, ne vous l’a pas raconté, ça ? C’est le meilleur coup d’état qu’on ait fait ! Pour une fois, il n’y avait pas de cordon de flics, alors que c’était toujours annoncé. Il n’y a qu’un jardinier, un peu hébété. On arrive devant la porte : fermée. C’est une serrure basique ; je ne sais pas crocheter les serrures, mais pour celui qui sait y faire, c’est très facile en fait. Finalement, la police militaire, qui défile comme à son habitude, nous voit. Jan leur dit, en flamand, que c’est un coup d’état et qu’ils sont maintenant sous nos ordres. Ils se retiennent de rire. On s’est finalement retrouvés dans le commissariat du Palais Royal. C’était super sympa ! » En cavalier seul, le contestataire Théophile de Giraud s’en est pris, avec la même fougue, à la statue équestre de Léopold II, roi des Belges élevé au rang des grands hommes de la nation et pourtant mené sur le banc des accusés. « En déversant cette gouache rouge sur son visage, je mets en évidence le sang que la Belgique et surtout Léopold II ont fait couler. Encore maintenant, la famille royale vit des dividendes hérités de sa fortune personnelle. Ce qui m’a surtout étonné, c’est l’absence de réaction de sa part. Son silence la rend complice. J’ai par


contre reçu un gros soutien de la communauté congolaise, autant de Matonge que de Kinshasa, de la part de tous les lumumbistes aussi, qui attendent que justice soit faite. Je me suis senti vraiment utile, alors que d’habitude, bon… Et puis, ça a bien fait chier l’extrême droite, qui m’a menacé de me tabasser. C’est clair que je suis anarchiste. Ailleurs, cela se passerait mal. Ici, les policiers riaient. Je suis techniquement en procès, mais on va arriver à la date de prescription. J’ai pu organiser une soirée pour récolter des fonds et rembourser les frais de nettoyage, grâce à une belle solidarité. » Malgré un manifeste pour leur déboulonnement, sort déjà réservé aux Hitler et autres Staline coulés dans le bronze, les statues royales restent de marbre. Elles sont toujours là, insensibles au pas de l’histoire. « J’ai raté ma vocation. Ma passion, c’est la musique. Malheureusement, je chante faux. À la base, je suis juste un footballeur. J’étais bon pour ça, c’est tout. » Loin des terrains, Théophile de Giraud trouve finalement dans la performance physique les moyens de partir à l’attaque, à visage et corps découverts, de quelques interdits marqués à la culotte par une société jugée trop défensive. « Avec mes performances, je souhaite briser des peurs partagées, dont celle du sexe dans l’espace public. Je suis comme tout le monde, j’aime baiser - ou faire l’amour. Je suis réellement nudiste, dès qu’il fait chaud. Mais c’est aussi

un outil, un moyen de me faire entendre. Je suis plus choqué par un flic avec un flingue, et tous les symboles de la violence que l’on véhicule si facilement dans les films, que par un sexe à l’air. C’est le premier pôle de censure dans la société. On instrumentalise les enfants, pour vendre et contrôler, justifier des interdits. Cela permet de bannir le sexe vrai de l’espace social. Alors que les gens sont natalistes ! » Voilà sans doute le nerf de la guerre, le cœur d’un combat démesuré face au colosse médiatique. L’auteur de L’art de guillotiner les procréateurs déplore en effet le boycott d’un sujet essentiel et cher à ses yeux : le problème de « surpolupopulation mondiale » à travers la question de l’anti-natalisme, et plus encore, du dénatalisme. « Le problème n’est pas tellement celui du mode de vie actuel, même s’il est réel ; c’est surtout le nombre de personnes qui pratiquent ce mode de vie. Je ne suis pas le seul à le dire et souffrir de cette censure dans les médias; je pense à Michel Tarrier ou David Attenborrough, célèbre présentateur de la BBC. L’anti-natalisme, c’est militer pour le droit donné à chacun de ne pas vouloir d’enfants. Dans la société actuelle, les femmes sont sans cesse bombardées, mises sous pression par les amis, les collègues, les parents. Ces femmes ont le droit de ne pas faire d’enfants et même, elles aident la société, au contraire de ce qu’on laisse penser. Au69


jourd’hui, si je veux faire passer mon message, je me suis rendu compte que je ne devais pas faire une manif, mais plutôt une fête pour les non-parents. Corinne Maier avait déjà enfoncé le clou avec son No Kid. Maintenant, je crois que c’est passé, tous les médias ont parlé de ce truc. Mais au niveau dénatalisme, ce n’est pas gagné. » Une idée qui, depuis le pasteur Thomas Malthus, a fait des petits. « Malthus était quand même un sale con. Il faut cependant reconnaître que son théorème était juste : la population croît de façon exponentielle mais les ressources disponibles sont à peu près toujours les mêmes. Il faudrait ouvrir les yeux aux gens, arrêter les politiques na-

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talistes, les allocations familiales, et même, encourager les femmes qui arrivent à la ménopause sans avoir procréé avec des allocations dédiées. Il serait aussi nécessaire de penser à une formation à la parentalité. Peut-être que les futures parents réfléchiraient davantage à ce qui les attend. La gauche et les écolos ne veulent rien entendre, mais si tout le monde fait plus de deux enfants, on va à la catastrophe. Il y là a un oubli historique : c’est la gauche qui s’est battue pour le droit à l’avortement et la pilule. Et en France, au début du siècle passé, on a eu les néo-malthusiens, des gens de gauche, qui ont fait de la taule à cause de leurs idées. C’est facile pour les décroissants économiques pari-


siens de parler de réduire leur empreinte au niveau mondial. Le niveau global, ce n’est pas le niveau local. J’aimerais bien voir la leur. Paul Ariès, qui est totalement contre les décroissants démographiques (dont je fais partie), c’est une de mes cibles d’entartages futures. Là, c’est parce que je suis en surmenage depuis des années et que je me reconstruis tout doucement… »

tôt que de rentrer dans un système et d’être prêt à me prostituer. Vivre, pour moi, ce n’est pas survivre. J’aime beaucoup le vieux dicton ‘‘ Live fast, die young ’’. Avec André Stas, on rit beaucoup de ça : on est en train de se rendre compte qu’on devient vieux et qu’on est toujours là. Souvent on gâche tout le présent au bénéfice de la vie. Pourquoi ce culte de la vie longue ? »

Emblématique représentant des heureux nonparents, l’esprit éclairé de Théophile de Giraud avance vers la nébuleuse obscurité de son destin, ferme dans ses résolutions, mais en bonne compagnie. Guidé par la flamme vacillante d’un monde meilleur hanté d’illuminés. « J’ai préféré être un parasite définitif plu-

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Vous êtes un bouffon ? Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul.


Écart(s)


Équipe

Rédaction et reportages: Sylvain Bayet, Julie-Marie Duro, Renaud Grigoletto Graphisme et mise en page : Gérôme Mariette Photos : Renaud Grigoletto Illustrations : Julien Mariette (entractes illustrés), Gérôme Mariette (Recettes de grand-mères anarchistes)


Remerciements

Merci à Gilles Lecuppre (Maître de conférences à l’Université de Nanterre), Claude Javeau (Sociologue, Professeur émérite de l’ULB) et Marc Lits (Directeur de l’Observatoire du récit médiatique de l’UCL) pour le partage de leurs connaissances et de leurs réflexions éclairées, posant les bases historiques de la thématique abordée. Merci à Serge Poliart, Philippe Decressac, le Dr Lichic, Sébastien Varveris et Lucas Pidiu, John-Alexander Bogaerts pour leurs verbes acerbes, leur propos à rebrousse-poil et leur regard impliqué dans la réalisation d’un panorama sur la presse satirique francophone. Merci à Jacques Sondron pour le temps qu’il nous a consacré dans le feu brûlant de l’actualité et à Thomas Gunzig pour l’entretien matinal aux doux relents d’un café pas trop serré.

Merci également à la bande de sympathiques allumés composée de Noël Godin, Jan Bucquoy, Jean-Jacques Rousseau, Théophile de Giraud, André Stas et Michel Antaki, ainsi que tous les autres amis imaginaires ou réels hantant, de près ou de loin, ces récits de vie. La rédaction d’Ecart(s) Magazine remercie particulièrement les personnes qui ont contribué à la qualité du contenu proposé et notamment : • Daniel Simon (écrivain, éditeur et animateur d’ateliers d’écriture) pour son texte Ze Mony • Jacques Sondron pour sa parlante caricature ; • Valentin Mélon pour son illustration des arcanes de la presse satirique ; • André Stas pour avoir autorisé la publication du collage Mauvaise graine, ainsi qu’Alain de Wasseige (Galerie 100 Titres) et Thomas Jungblut (graphiste et metteur en page du livre Collages : André Stas) pour avoir facilité cette publication.



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