Catalogue du 15ème Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris

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15e FESTIVAL DES CINÉMAS DIFFÉRENTS ET EXPÉRIMENTAUX DE PARIS


ÉDITO Pour cette 15e édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris, 57 films récents sont présentés dans 6 programmes compétitifs, sélectionnés parmi plus de 800 films et vidéos reçus. Une compétition internationale reconduite depuis quatre ans et une délibération publique pour la remise des prix impliquera plus fortement les spectateurs. Avec les membres du jury, ils prendront part à une discussion afin qu’ensemble ils définissent les modalités qui leur permettront de distinguer 5 films à récompenser. Richesse de l’argumentation, assentiment, polémique ou majorité des voix ? Nous chercherons à travers cet échange à favoriser le partage de la réflexion, des points de vue, dire les possibles et les forces d’une cinématographie faite d’essais, d’expériences, d’abstractions et de narrations bouleversées, à travers des processus formels toujours questionnés. La thématique générale de cette 15e édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris porte sur les usages d’images déjà là, déjà faites. C’est une manière d’interroger notre mémoire intime et collective, notamment à travers les images d’archives. Cette thématique innerve la compétition et s’articule en huit focus selon deux axes : l’un, essentiel, sur le Found Footage, pratique historique du cinéma expérimental dès ses premières Avant-Gardes, se décline en deux événements périphériques anticipant le festival. Le 1er octobre à la Clef, pour une séance intitulée Collage et le 13 octobre au Shakirail avec un panorama found footage contemporain, avant-goûts fameux au punk et poétique Christ, The Movie de Mick Duffield et à la séance Détournement, où la dimension critique de son usage, prend tout son sens dans le réemploi des images et des sons. L’autre axe, porte sur des documentaires élaborés à partir d’archives visuelles et sonores envisagées comme traces et matériaux à un devenir créatif. Une relecture de(s) l’Histoire(s) où ces empreintes, plastiques, idéologiques, historiques et mémorielles revisitées, se révèlent autant qu’elles se transforment. 4 films exemplaires dans leur démarches cinématographiques, 4 films de long métrage, porteurs d’enjeux esthétiques, poétiques et politiques remarquables. Ainsi nous avons le grand honneur et l’immense plaisir de présenter le nouveau film de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, Pays Barbare, lors de notre soirée d'ouverture. Et pour les séances de 20h00, Gym Lumbera avec son premier long métrage Anak Araw Albino. John Akomfrah, co-fondateur du collectif des années 80/90, le Black Audio Film Collective

avec The Nine Muses et Aaron Nikolaus Sievers, cinéaste du collectif Film flamme à Marseille, avec Les Apatrides volontaires. Ces focus Archives se prolongent avec 3 rencontres, organisées vendredi et samedi après-midi par Silvia Maglioni, Enrico Camporesi, Graeme Thomson et Derek Woolfenden. Enfin, nous proposons un ciné-concert en soirée de clôture avec l’intervention du groupe The Dreams sur la projection de Consultorio de Señoras (1926), réalisé par Ricardo et Ramón de Baños sur commande du roi d’Espagne Alfonso XIII. Un détournement musical aujourd’hui nécessaire à la vision de la sexualité patriarcale et hétéro-centrée des têtes couronnées ? La programmation de cette 15e édition du festival et son catalogue sont les fruits d’un travail collectif, de moments d’échanges et de réflexions, parfois mouvementés, souvent passionnés… Discuter, éprouver sa propre conception du cinéma expérimental et différent au contact des autres, projeter les œuvres choisies, autant d’éléments de dialogue que nous souhaitons poursuivre avec le public tout au long du festival et notamment autour d’un verre, dans le jardin automnal des Voûtes. — Laurence Rebouillon


SOMMAIRE 2

COMPÉTITION INTERNATIONALE

3

Jury international

5

Jeudi 17 octobre – Programmes 1 et 2

8

Vendredi 18 octobre – Programmes 3 et 4

10

Samedi 19 octobre – Programmes 5 et 6

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FOCUS ARCHIVES

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Éditorial

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Focus Archives no1 : Séance d’ouverture, Pays barbare

18

Focus Archives no2 : Anak Araw

20

Focus Archives no3 : The nine muses

22

Focus Archives no4 : Les apatrides volontaires

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FOCUS FOUND FOOTAGE, COLLAGE ET DÉTOURNEMENT

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Éditorial

26

Focus collage

28

Focus found footage

32

Focus spécial Crass : Christ, The Movie

33

Focus détournement

34

Articles

35

Francesco Duverger – Origines historiques du found footage

37

Derek Woolfenden – Éloge du found footage

45

Frédéric Tachou – Found footage et fétichisme

48

Sophie Accolas – Ciném @ libre

50

Entretien avec Jacques Fansten – Qu’est-ce que le droit a à faire avec la création ?

54

RENCONTRES DU FESTIVAL

55

Ouvrir l’archive, quelques propos pour une table ronde

57

Flashes of a just archived future

58

De l’influences des rayons gamma sur le comportement des marguerites

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CINÉ-CONCERT – SOIRÉE DE CLÔTURE


compétition   internationale


Nicole Fernández Ferrer

membres du jury international

Nicole Fernández Ferrer dirige le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris (archives, distribution, ateliers audiovisuels, Genrimages, Travelling féministe). Elle anime des projectionsrencontres en prison. Chercheuse, traductrice (espagnol, portugais), elle a donné des conférences à Pékin, Pointe-à-Pitre, Barcelone, Séoul et Taipei. Elle a programmé le Festival du Film gay et lesbien de Paris, le Festival du Films de Femmes de Créteil et travaillé pour Racines noires, Images Caraïbes et l’Institut du Monde Arabe. STÉPHANIE HEUZE Activiste culturelle, Stéphanie Heuze a notamment participé au collectif A Bao A Qou qui a été une des premières structures en France avec Heure Exquise ! dédiée à la distribution et la diffusion d’art vidéo. Auteur, programmatrice, organisatrice du Salon du DVD et du Portail des éditeurs indépendants Cinémas hors circuits, elle gère depuis 10 ans, à Paris, le vidéoclub-librairie Hors-circuits.

Emeric de Lastens Emeric de Lastens, tour à tour ou simultanément : critique, intervenant et historien du cinéma, programmateur, membre des revues Exploding, Cinergon et Vertigo, lecteur au G.R.E.C (Groupe de Recherches et d’essais Cinématographiques), chargé de cours à Paris 3 et dans plusieurs écoles et universités, collaborateur du festival Hors Pistes au Centre Pompidou, et surtout, compagnon de route des cinéastes différents. Actuellement conseiller cinéma aux DRAC de Bourgogne et de Franche-Comté. Dario Marchiori Dario Marchiori est maître de conférences en Histoire des Formes Filmiques à l’Université Lyon 2. Il lui arrive d’écrire et de parler à propos du cinéma moderne, expérimental, documentaire et militant. Il programme des films pour divers événements (« Pologne expérimentale », ENS Lyon 2013 ; « Rencontres Roms », Festival « Filmer à tout prix », Bruxelles 2013). Il a co-dirigé le festival NodoDocFest de Trieste.

Kim Knowles Kim Knowles est commissaire d’exposition et universitaire basée à Londres et à Aberystwyth. Elle est diplômée de l’université d’Edimbourg ou elle a réalisé sa thèse sur les films de Man Ray en 2007. Elle a publié de nombreux articles sur les « avants-gardes » cinématographiques et sur la photographie. Elle est depuis 2009 commissaire d’exposition de la « Black Box », section expérimentale du festival international du film d’Édimbourg. 3


Hannah, Antoine Ledroit, 2013


Sélection de vidéos et de films réalisés en 2012 et en 2013. le Jury International décernera plusieurs prix proposés par : andec Filmtechnik, As’images, Lowave, Mediacapture, Re:Voir, Super8 reversal lab & Paris Expérimental.

JEU. 17 OCT. programmes 1 et 2 PROGRAMME 1 18h00

QUOUSQUE EADEM ? (OR A SELF-PORTRAIT) Tzuan Wu Taiwan, 2012, 9' Lorsqu’on tient une caméra, notre regard est changé, notre perception prise de distorsions. Cet état intermédiaire donne son opacité à l’image qui, faite de cette manière, est aussi opaque qu’elle est changeante et répétitive, tout comme la perception quotidienne de chacun. Ce travail est un essai-vidéo basé sur le chapitre « Quousque Eadem » de l’ouvrage Précis de Décomposition d’Emil Cioran. BETWEEN REGULARITY AND IRREGULARITY Masahiro Tsutani Japon, 2012, 7'50 Une vision chaotique du monde à l’image des impulsions du système nerveux, le regroupement sonore de convulsions. HANNAH Antoine Ledroit France, 2013, 5'10 Inspiré par un extrait du roman Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, ce film est le récit du temps et de souvenirs à l’épreuve de l’isolement. Il est le récit du lent effacement de l’identité d’Hannah, récit qui, lui-même, s’évapore vite en simples successions de cycles et de matières. SÉPARATION Marta Daeuble Rép. Tchèque – France, 2012, 2'40 Séparation est un court-métrage d’animation poétique empreint de nostalgie, exprimant le douloureux chagrin provoqué par la perte de quelqu’un. 5


CAPE CORNWALL CALLING /  ALL THE WHITE HORSES Mark Jenkin Royaume-Uni, 2013, 5'30 Un collage sur la population globale, urbaine comme rurale, et son asservissement à la furie des éléments. C’est le tout premier film à être réalisé en accord avec les règles établies par le Silent Landscape Dancing Grain 13 Film Manifesto, qui promeut une non-esthétique et les avantages du travail fait main sur la pellicule. REHEARSAL Kim Kielhofner Canada, 2012, 2'40 Basé sur les interviews de Meryl Streep, Rehearsal est un film sur la mémorisation et la performance.

A FORA Albert Balasch, Marc Capdevila & Tià Zanoguera Espagne, 2012, 5'15 A fora (Outside), est un texte du poète Albert Balasch. Il y a quelques années, Balasch a commencé une série de collaborations avec le peintre Tia Zanoguera. C’est de ces collaborations que l’idée d’une adaptation comique du texte a surgi. De cette manière fût construit un court-métrage combinant poésie, peinture et animation 2D.

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VOODOO IN THE AFTERNOON Piotr Bockowski & Cristine Brache Chine – Royaume-Uni, 2013, 7' Une femme évoque une fantaisie de bondage en utilisant un sèchecheveux et un cactus, tout en s’emparant des rêves de son amoureux pendant son sommeil. THE REALIST Scott Stark États-Unis, 2013, 40' The realist est un mélodrame expérimental et hautement abstrait, « une histoire d’amour vouée à l’échec » storyboardée à partir de photos scintillantes, peuplées de mannequins de grands magasins, tout droit sortis de l’univers visuel réhaussé qu’est celui de l’étalage vestimentaire, des fashion islands et des vitrines de magasins.

PROGRAMME 2 22h00


LE CHEMIN DES GLACES Philippe Cote France, 2013, 22' À pied, en bateau et en train, le film, tourné en super 8mm, nous emmène de la ville de New York vers les espaces enneigés et glacés, plus loin en direction du nord, dans une progression vers le blanc. AT FIVE IN THE AFTERNOON Mahmoud Khaled Liban, 2012, 6' Cette vidéo est un long monologue explorant les différentes peurs rattachées à une histoire d’amour personnelle et au désir de vivre intensément. Ce monologue est séparé en trois actes consécutifs. L’espace personnel d’une relation amoureuse est déplacé vers l’espace public de la performance, dont l’événement est représenté par la tauromachie. LIFE IS AN OPINION, FIRE A FACT Karen Yasinsky États-Unis, 2012, 9'40

IN THE SUMMER Matthew MacKisack Royaume-Uni, 2013, 14'20 Des jeux formels de mouvements et d’arrêts sur image, de son et de langage, comme l’évocation des ruminations d’un bronzeur sibérien sur la fin de l’humanité. MEMORY THEATRE Thomas Lock Royaume-Uni, 2012, 4'45 Les images utilisées sont tirées d’une série de retours sur mon enfance dans les années 80 jusqu’au jour d’aujourd’hui. Les techniques du collage et du cut-up sont utilisées tout au long du montage, ce qui génère des relations confuses et psychédéliques entres les contenus visuels et sonores. La vidéo est détraquée par un effet de pixellisation tandis que fusionnent différentes strates visuelles, sonores et d’actions directes. Andorre Virgil Vernier France, 2013, 20'

CHIXCULUB – TIERRA EXTRATERRESTRE Helene Garberg Mexique, 2013, 6'30 Visite guidée d’une terre constituée de météores de 65 millions d’années, vécue depuis la banquette arrière d’un taxi à la conduite nauséeuse, et où s’installe progressivement une certaine inattention, la défaillance d’équipements et le manque d’efforts. IMAGINE : [ABSTRACTION NO1] Dagmar Schürrer Allemagne, 2013, 8'20 Cette vidéo revisite les notions de dé-valuation comme échappatoire au cercle de l’économie capitaliste et de ses produits et comme retour à une valeur réelle des objets : architectures disfonctionelles, technologies et imageries obsolètes sont déversées dans le monde digital et constituent autant d’éléments à même d’être recyclés et réutilisés.

Un centre commercial au milieu des montagnes, des pyramides de marchandises, une tour de Le film est construit à partir de verre dédiée aux soins du corps, fragments filmiques pré-existants, Andorre fait miroiter les promesses séquencés d’une manière du bonheur moderne. Mais quand non-narrative. La première image la nuit arrive, les rues retombent montre une femme qui vient dans le silence et Andorre ne de se tuer en sautant dans le vide brille plus que pour elle-même. (reprise de Une femme douce, Robert Bresson). La scène en dessin animé représentant une auto-immolation est montée à l’envers de tel sorte que l’accumulation de la tension narrative est empêchée. Le personnage se place en haut d’une statue de Marc-Aurèle à qui nous devons les mots « la vie est une opinion ». Par l’image et le son, le film suggère différentes définitions de la sérénité. 7


ICI, LÀ-BAS ET LISBOA João Vieira Torres Portugal – France, 2012, 17'40

VEN. 18 OCT. programmes 3 et 4 PROGRAMME 3 18h00

Poème visuel sur un exil intérieur et la rencontre avec une ville que l’on ne voit pas mais qui est présente à travers ses sons et les empreintes thermiques (filmé à la caméra thermique) du corps cartographié de l’un des habitants. RETOUR À LA RUE D’ÉOLE (SIX PEINTURES POPULAIRES) Maria Kourkouta Grèce – France, 2013, 14'15 Fragments insignifiants, retravaillés, remontés, ralentis et mis en boucle, des films populaires grecs des années 50 et 60. Un collage audiovisuel évoquant un voyage de retour en Grèce contemporaine, au centre d’Athènes. IN REPS OF LONG-PLAY Olivia Ciummo États-Unis, 2013, 6'30 Les acteurs imaginaires dirigent le mouvement et le metteur en scène orchestre l’immobilité tout en dirigeant le regard des spectateurs. TIGER Orlan Roy, France, 2013, 20' Film d’amour et de voyage. CIRCLE DANCE Robert Todd États-Unis, 2013, 7' Des tours et virages paisibles, des girations fabriquées et trouvées. CE QUE MON AMOUR DOIT VOIR François Bonenfant France - Portugal, 2013, 12' Trois séquences, distinctes et franches, comme visions d’amour.

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PROGRAMME 4 22h00


SAY SOMETHING ABOUT YOU Camille Richou France, 2013, 14'40

DESCONTEMPORÂNEA Javier Di Benedictis & Fernanda do Canto Brésil - Argentine, 2012, 1'

Deux jeunes garçons en voyage dans un pays lointain décident de partager une chambre d’hôtel pour une nuit. Ils filment alors quelques images qui devaient être effacées le lendemain. Readymade curieux et dérangeant.

Cette vidéo-danse présente différentes expérimentations reliant la danse à l’image en mouvement. Cette première partie se réfère à Annabelle Serpentine Dance (1895), le premier film en couleurs de William K.L. Dickson et Thomas Edison. Celui-ci est mis à l’ordre du jour par l’usage des technologies numériques.

APNÉE DE LA VEILLE Jean-François Magre France, 2013, 4'10 Papillotements, auras, THE THINGS aberrations, images « mentales » Ilich Castillo répondent aux bourdonnements, Équateur, 2012, 5'30 rumeurs et parasites qui tissent notre quotidien sans que D’étranges transformations sont nous ne le remarquions plus. apportées au générique de C’est une sorte de trace The Thing (John Carpenter, 1982). de mémoire sensorielle perdue et faite d’images fantômes, de rémanences, d’acouphènes BUCK FEVER et d’autres phénomènes perceptifs Neozoon à priori non-enregistrables. Allemagne – France, 2012, 5'50 Cette vidéo est un assemblage de vidéos de chasseurs amateurs issues de Youtube. Elle documente la tension du chasseur avant l’abatage et son soulagement ensuite.

RECOMBINANT #2 Olivier Perriquet France, 2013, 4'40 Entrelacs silencieux de deux paysages.

FREE WILLY DEGAUSSED Drone Dungeon États-Unis, 2012, 1'13

BELLES ENDORMIES Léa Rogliano Belgique, 2013, 16'30

Cette vidéo fait partie d’un grand projet, qui doit encore être complété de cinquante vidéos. Pour réaliser ce projet, nous avons collecté une douzaine de VHS trouvées, des bandes de films hollywoodiens. Nous avons procédé à un effacement électromagnétique directement sur le lecteur VHS pour manipuler, distordre et effacer les vidéos lorsque nous les numérisions.

Belles endormies s’empare d’images fixes extraites de la presse féminine, filme des corps et des visages aux yeux fermés, interroge leur silence et leur insuffle une nouvelle vie. Par le détournement des images, nous entrons dans le cauchemar d’une jeune fille de papier, dans ses visions aux antipodes de l’univers de rêve vendu sur les affiches publicitaires.

AMERICAN CAPITALISM, A SELF PORTRAIT Thibault Le Texier France, 2013, 9'50 En 1955, Clifton L. Ganus Jr., professeur d’histoire à l’université Harding dans l’Arkansas, révéla la sainte trinité du capitalisme américain. Ce film de montage est entièrement réalisé à partir d’extraits vidéos et sonores de films institutionnels tirés des archives Prelinger. Il propose de mettre en lumière la dynamique du discours propre au capitalisme américain. A STORY FOR THE MODLINS Sergio Oksman Espagne, 2012, 26' Après avoir participé au film Rosemary’s Baby, Elmer Modlin partit avec sa famille dans un pays lointain et s’enferma dans un sombre appartement… MAGIC MIRROR MAZE Gregg Biermann États-Unis, 2012, 5'10 La fameuse séquence de la galerie des glaces dans La Dame de Shangaï d’Orson Welles est ici transformée en une succession de 4 progressions algorythmiques d’écran en split screen. 9


THE PLASTIC GARDEN IP Yuk-Yiu Hong-Kong, 2013, 11'

sam. 19 OCT. programmes 5 et 6 PROGRAMME 5 16h00

En piratant et se réappropriant le jeu vidéo populaire Call of Duty : Black Ops (2010), the Plastic Garden revisite le symbolisme et la vision noire du drame nucléaire. Les scènes réagencées, dépourvues de fusillades sanglantes, sont tout autant, si ce n’est plus, violentes et meurtrières que dans le jeu original. MOMENTUM Naïmé Perrette France, 2012, 9'25 « Momentum » signifie impulsion, élan. En latin, le sens englobe le mouvement, le changement et l’écoulement du temps. Ici, « Momentum » est une calme apocalypse. Ce film se construit sur une série de tableaux, de visions fantasmées d’un monde qui bascule lentement. HEROES Javier Di Benedictis Brésil, 2013, 4'50 Heroes est un programme pilote pour une télévision web postapocalyptique. Le divertissement et la publicité sont poussés à leur extrême non-sens. Les personnages et événements sont recontextualisés, recyclés et traités comme des choses en plastique, comme s’ils provenaient d’un univers parallèle.

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FRAGMENTS UNTITLED #1 Doplgenger Serbie, 2012, 6'50 Le célèbre discours de Slobodan Milosevic, qui eut lieu au Kosovo le 28 juin 89, fut prononcé devant des milliers de personnes et retransmis par la télévision nationale. Le film de Doplgenger vivisecte les images médiatiques de l’événement de 1989 dans le but de rendre l’invisible et de déconstruire la mémoire. PET TAGGING Neozoon Allemagne – France, 2013, 3'20 Des femmes présentent leurs animaux domestiques dans des vidéos qu’elles publient sur internet. Trente de ces « Pet Tags » présents en masse sur YouTube ont été ici retravaillés. Qu’est ce que la relation entre les animaux domestiques et leurs propriétaires fait apparaître de notre culture, de notre société et de nous-mêmes ?

FALLOUT Paul Turano États-Unis, 2012, 4'30 En vain, un signe marquant le premier anniversaire du dommage collatéral que fût la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima, après le tsunami dont on a bien moins parlé. Avec à l’appui les cartographies mondiales des zones radioactives récupérées sur internet, les prévisions des scientifiques concernant les séquelles de l’événement jurent avec l’allure chatoyante de cette menace. LA VIE DE FRAÜLEIN ERZEBETH EST UNE SORTE DE CHAOS ORGANISÉ Les Soeurs h, Marie Henry & Isabelle Henry Werhlin Belgique – Suisse, 2012, 12' Fraülein Erzebeth a un nom à coucher dehors ou dormir debout. Fraülein Erzebeth fait peur un peu aussi. Dans un franglais étrange – crapuleux – de bas étage, elle nous livre un souvenir d’enfance tout aussi étrange –  surréaliste – poétique – de mauvais goût. De quoi est-il question vraiment ? Nous ne sommes pas tous sûrs d’avoir compris. POST VIEW Pierre Merejkowsky France, 2013, 5'45

SHE LEAVES THE CITY Brian James McGuire Royaume-Uni, 2012, 4' Une femme cherche quelquechose de nouveau dans la ville. BIRDIES BABIES B. Fontanella États-Unis, 2013, 8' Birdies Babies est l’un des derniers travaux d’une série de vidéos non-conceptuelles et suivant le flux de la conscience. Abandonnant toute narration, scénario et schéma, ce film est une exploration de l’aléatoire, où la succession des étapes de montage devient le script lui-même. AMNESIAC ON THE BEACH Dalibor Baric Croatie, 2013, 23'45 L’expérience imminente de la mort pourrait sembler être un événement extraordinairement bizarre, mais cela peut en fait arriver à n’importe qui. Pourquoi devriez-vous être la stigmatisation de votre propre identité fixe et inchangeable, comme si nous n’avions jamais agi, jamais désiré, jamais découvert de manière nouvelle. Maintenant nous pouvons vous donner le cadeau le plus précieux de tous : l’expérience imminente de la mort.

Commentaire du long-métrage En attendant Godard écrit à partir de l’expérience « Tous mécène » sans « s » à la fin.

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PROGRAMME 6 22h00

A FILM Franziska Kabisch Allemagne, 2012, 3'30 À quoi ressemble une maison ? Comment dépeint-on une ville ? Ou un pays ? Quelle est l’image de la France ? Et que suis-je ? Un être humain ? Une femme ? Une sœur ? Une étudiante ? Une artiste ? Un suspect ? A Film est un film sur les noms, les termes et les problèmes qu’ils apportent. THE FUTURE QUEEN OF THE SCREEN Helen Benigson Royaume-Uni, 2012, 9'20 The Future Queen of the Screen se déroule au bord de la Mer Morte, dans un cyber désert. L’histoire se concentre sur deux danseuses engagées dans des batailles. Après avoir intentionnellement téléchargé leurs vidéos sur un site hostile, les danseuses sont contraintes de fuir vers les dunes du désert de la Mer Morte, lieu symbolisant la culpabilité, l’imagination et le fantasme, où elles rejoignent l’espace d’une fille ayant trompé son copain. THE CONSEQUENCE OF NOISE AND SILENCE Alison Ballard Royaume-Uni, 2013, 4'10 Un documentaire expérimental captant l’expérience d’un cyclone au travers d’une dislocation sonore et visuelle. Enveloppés dans le bruit, les résidents de Darwin ont écouté le cyclone Tracy (1974) détruire leurs maisons, laissant 41 000 de ses 47 000 habitants sans abris.

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A CERTAIN PLACE (INSIDE) Viviane Vagh France – Australie, 2013, 7'15

LA MACHINE D’ENREGISTREMENT Noémi Aubry, Tamador Abu Laban, Firas Ramadan & Wisam Al-Jafari France – Palestine, 2013, 9'30

Un voyage intérieur via des images retrouvées, transparentes, Film, super 8, réalisé à Deisheh, des corps enfuis des temps reculés, Palestine. Que signifie là-bas pour faire émerger un jardin. le fait de se munir d'une caméra ? DARNA : A STONE IS A HEART YOU CANNOT SWALLOW Jon Lazam Philippines, 2012, 6'10 Darna, la plus connue des superhéros philippine, est une part indélébile de la culture populaire du pays. Dans cette reprise d’une vieille légende, Darna découvre au réveil que sa pierre magique est devenue aussi grosse que son cœur. Seule dans un monde où le silence est son seul compagnon, elle doit apprendre à accepter l’étiolement de l’amour. STORIA Gérard Cairaschi France, 2013, 6'45

UNBOXING EDEN Neozoon Allemagne – France, 2013, 5' Unboxing Eden est un montage de différentes vidéos YouTube sur les amoureux des serpents et leur animal domestique. Grâce à de courtes séquences, la vidéo montre les moments de premier contact, le danger et la croissance de l’animal, la joie, la peur et la fierté de son propriétaire. À la fin du film, on peut se demander lequel des deux contrôle l’autre ?

AD FOR SELF-IMMOLATION Cristine Brache Chine, 2013, 2'30 Une publicité pour un produit d’auto-immolation abordant les immolations actuelles au Tibet ainsi que les techniques high tech de contrôle et de répression des mouvements de foules utilisées par le gouvernement chinois. WREADING Jesse Malmed États-Unis, 2012, 18'20 Wreading mélange les termes lire et écrire en anglais, une farce sur la fabrication du sens et la divination dispersée.

THE DEVIL Jean-Gabriel Périot France, 2012, 7'50

« Vous ne savez pas qui nous Portés par un chant, images et sommes… » fragments de récits s’entremêlent. Simulacre, rituel magique ou reliFINE THINGS DEGAUSSED gieux, rituel de mort ou de passage, rien n’est explicite dans l’action Drone Dungeon qui se joue entre les personnages, États-Unis, 2012, 2’30 entre l’extrême proximité et l’absolue distance qu’expriment Cette vidéo fait partie d’un grand gestes et corps. projet, qui doit encore être complété de cinquante vidéos. Pour réaliser ce projet, nous avons collecté une douzaine de VHS trouvées, des bandes de films hollywoodiens. Nous avons procédé à un effacement électromagnétique directement sur le lecteur VHS pour manipuler, distordre et effacer les vidéos lorsque nous les numérisions.

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focus   archives


D’où vient que l’on s’intéresse à un sujet ? L’air du temps, les circonstances, une association d’idées, la continuité d’un engagement ?… En 2007, pour la 9 e édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris, nous avions organisé avec Angelica Cuervas Portilla, une table ronde autour de la conservation et de la restauration du cinéma expérimental, avec les acteurs du groupe qui prendrait ultérieurement le nom de 24-25 [1]. Les associations de distribution et de diffusion du cinéma expérimental et de vidéos d’artistes, d’essais documentaire, bénéficiaires en 2008 du plan de numérisation lancé par la Ministère de la Culture, regroupèrent une partie de leurs collections en archives numériques dans le portail 24-25, orchestré par Light Cone et mis en ligne dans sa première version en 2009. La programmation des 40 ans du CJC en 2011, m’immergea de nouveau dans la collection du CJC et m’interrogea une fois encore sur la conservation des œuvres au vu de la dégradation chimique de certaines copies argentiques. En 2012, cette idée d’archives à conserver prit un accent essentiel après la disparition de Marcel Mazé, notamment pour la sauvegarde de son travail de programmateur du Festival International du Jeune Cinéma d’Hyères, et pourquoi pas dans un fond public, la Cinémathèque française en l’occurrence. En 2011, pris de canotage, je fis la découverte de la mise en production d’un nouveau film de Yervant Gianikian et Angela Ricci-Lucchi. Ils sont pour moi les maestros du film d’archives, du film de found footage. Leur relecture analytique du passé et leur transposition au présent des images d’archives, colorisées, ralenties, marque, une fois encore avec ce nouvel opus leur engagement à démasquer un fascisme toujours là, hideux et menaçant, avec et par une puissance formelle incomparable. À la fin de son article « Film d’archives » [2], Yann Beauvais écrivait « Les archives, les banques de données appartiennent souvent à des institutions dont la gestion se révèle très lourde, mais elles sont un mal nécessaire : elles permettent la sauvegarde et la conservation dans les conditions optimales et agissent comme une mémoire qui devient vive à condition qu’elle fasse partager ses trésors ». Je voulais noter quelques-unes de ces initiatives loin des problèmes d’accès aux œuvres et de leurs droits de propriété. John Akomfrah a eu accès à la quasi-totalité des archives visuelles et sonores de Grande-Bretagne, pour The Nine Muses. Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir conduit avec Travelling Féministe, cette proposition de permettre à des artistes de réaliser des œuvres originales à partir de son fond. Nicole Ferrer Fernandez, membre du jury, pourra nous en parler plus longuement au cours du festival. L’histoire officielle et ses archives sont souvent celles des vainqueurs, ignorantes dans ses modes de récit, des voix et des présences des minorités, des sans-papiers, des exilés. Mais comme l’histoire des femmes nous l’a appris : « Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut invente » [3], c’est ce que Gym Lumbera et Aaron Sievers n’ont pas hésité à faire. Un cheminement, du temps, des correspondances et des circonstances, sont à l’origine de la thématique sur les images d’archives et la cohérence de la programmation des focus Archives de cette 15 e édition du festival. Quatre films de long métrage, quatre écarts en somme à nos manuels scolaires et universitaires d’Histoire du xx e siècle et d’Histoire du cinéma. Un processus d’émancipation ? — Laurence Rebouillon [1] Le collectif 24/25 est un groupe de travail rassemblant des représentants d’institutions publiques ayant la charge de collections audiovisuelles (Archives françaises du film/ CNC, BNF, CNAP, INA, MAC/VAL, MAMVP, MNAM/collections Film

et Nouveaux Médias) et des représentants d’associations dont l’objet est la distribution et la diffusion du cinéma expérimental et de vidéos d’artistes (Collectif Jeune Cinéma, Circuit Court, Le Peuple qui manque, Heure Exquise !,

Instants Vidéo, Light Cone, Vidéoformes). [2] 1895, Mille huit cent quatre-vingt-quinze, no41, 2003 [3] Phrase tirée des Guerrières de Monique Wittig, 1969 15


focus archives no1 Soirée d’ouverture pays barbare MER. 16 octobre à 20h00

[1] Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian, Voyages en Russie. Autour des avantgardes, Trafic no33, 2000. [2] Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian, « Notre caméra analytique », Trafic no13, 1995. [3] Tireuse optique de leur élaboration qui leur permet de lire et de reproduire les différents formats de pellicule, de se déplacer à l’intérieur des photogrammes, de moduler leur vitesse de défilement ou encore de les recoloriser. 16

« Notre intention est de ne pas utiliser les archives pour elles-mêmes. Non l’archéologie, ni la nostalgie, mais les archives pour le présent. L’aujourd’hui avec les matériaux d’hier. Manipulations du ready-made pour demain. » [1] Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian. « Renverser les sens premiers » [2]. Re(-)tourner et détourner des prises de vues (ser)viles de leur raison initiale ; classer, étudier et considérer des archives déclassées, dégradées ; les rendre nécessaires, et plus encore, subversives quand  elles paraissent si insignifiantes et inoffensives ; réfléchir le regard, enfin, sur ces surfaces dépolies et le retourner sur lui-même : telle est la lutte patiente et sensible d’Angela Ricci Lucchi et Yervant Gianikian, reprise du geste inaugural duchampien de recyclage – la désinvolture et la dérision en moins. Arpenteurs de la marge, les cinéastes milanais œuvrent à la frontière du documentaire, du film essai et du cinéma expérimental, à la redécouverte d’images devenues invisibles, oubliées ou bannies de l’industrie comme de l’histoire du cinéma. Ainsi se consacrent-ils, depuis la fin des années soixante-dix, à la collecte de films tournés essentiellement au début du xx e siècle : films institutionnels exhumés de fonds d’archives (commandes des armées ou d’entreprises européennes) ou bandes réalisées par des amateurs (explorateurs et aristocrates du vieux continent gardant trace de leurs expéditions), bagatelles de marchés ou fonds en friche sans acquéreurs. En restaurant patiemment ces pellicules, en accordant une nouvelle visibilité à leur corps fragile marqué par la désuétude, rongé par la déliquescence et condamné progressivement à l’aphasie, les cinéastes interrogent l’apparente inactualité de ces objets culturels laissés pour compte. Derrière la banalité (et souvent la beauté) de ces vues, agit à couvert la raison conquérante. La remontée du temps, le (re)montage des vues se donnent ainsi bien moins comme quête d’un ressouvenir que comme enquête sur les logiques d’exploitation et d’asservissement qui ont jalonné l’histoire contemporaine – et auxquelles la représentation cinématographique a pleinement participé. Chaque film s’intègre à un vaste catalogue de gestes et de regards qui ont aussi donné corps à la barbarie et qui rendent compte, à leur façon, de la catastrophe historique qu’aura été le xx e siècle. À travers eux se dessinent les heurts, les disparitions et les exactions qui ont introduit celui-ci : guerres des Balkans (Inventaire balkanique) ; génocide arménien (Hommes, Années, Vie) ; Première Guerre mondiale (la Trilogie de guerre) ; fascisme (Archives italiennes, Le Miroir de Diane, etc.) ; rapines culturelles, coloniales et touristiques (Du Pôle à l’Équateur, Journal africain, etc.)… Autant de théâtres de tourmentes offerts à de nouvelles représentations. Avec une confiance sans cesse renouvelée, ces chiffonniers de la mémoire s’attèlent à débusquer les traces de cette violence dans des vues supposées insignifiantes et anodines. Peut-être justement parce qu’elles sont tournées vers leur seul présent, dans toute leur force d’adhésion et d’immersion, ces productions mineures peuvent-elles révéler, comme nul autre document, les impensés et les conditionnements qui ont contribué à façonner la réalité d’alors. S’enfonçant dans le champ ouvert par les seules images, la reprise de vue à laquelle celles-ci sont soumises en fait imploser les cadres et les limites. Elle les travaille jusqu’à ce qu’elles livrent ce qu’elles masquent et retiennent : la raison dont elles sont l’instrument, ce dont elles se détournent, ce qu’elles refusent de prendre en charge ou neutralisent. Ainsi sont re-tournées dans Oh ! Uomo les vues d’actualité et les films promotionnels qui donnent à voir les soldats revenus de la Grande Guerre, pris en charge par les institutions. Creusées sans cesse par les ralentis et les recadrages opérés par la « caméra analytique » [3], les images révèlent,


derrière une bienveillance ostentatoire, les traces de la barbarie à laquelle a donné lieu la première guerre industrielle. Chair à canon, puis terrain d’expérimentation scientifique, le corps des hommes rescapés n’apparaît, perdu dans la masse des infirmes ou réifié au centre du cadre, que pour servir une nouvelle propagande et pour reconduire la foi dans la technè moderne – qui répare ou masque les sévices auxquels elle a pourtant conduit. Mais le contrechamp possible à ces images fallacieuses ne se logerait-ils pas dans nos propres actualités, toutes empreintes d’optimisme dans la conduite du progrès ? [4] Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, (traduction J. Lacoste), Paris, Payot, 1982, p. 242. [5] Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, thèse VI, Gallimard, Paris, 2000, p. 435.

Le geste de reprise et de détournement des cinéastes va plus loin néanmoins, jusqu’à faire de ces documents du pouvoir (officiels ou informels, tous au profit de la classe dominante) les épreuves d’une contre-histoire. Si le travail sur la temporalité et la matérialité des images filmiques met sans cesse à la question la puissance mimétique des vues, ersatz d’une réalité sujets à caution, s’il permet de les analyser en tant que discours orientés et adressés, il participe également d’une écriture de l’histoire profondément critique. Les ruptures introduites dans le flux du temps cinématographique par les ralentis, les accrocs opérés par les recadrages et les itérations dans le tissu de la représentation, ruinent l’élaboration d’une histoire parfaitement intelligible et continue, que l’on pourrait appréhender dans sa totalité ; vision téléologique de l’histoire, à laquelle l’illusion rétrospective de la nécessité donnerait son sens : celui d’un progrès universel en lequel se résorberaient et se légitimeraient la perdition de sociétés et de millions de vies humaines. L’histoire, et à plus forte raison celle des opprimés, demeure un discontinuum. La catastrophe, nous dit Benjamin, c’est « que les choses continuent à aller ainsi » : le progrès, si l’on veut le penser, doit s’articuler à « l’idée de la catastrophe » [4] et non à celle d’une théodicée immanente à l’histoire. En introduisant la discontinuité, en écartelant les vues pour retenir les indices d’une distance, d’une résistance des individus face à leur exposition imposée, pour restituer une identité à ceux qui se perdent dans la masse anonyme de simples figurants, la reprise pourfend le seul point de vue des vainqueurs. Dans les regards furtifs, ainsi saisis, se condense en une image fulgurante un témoignage jusqu’à présent interdit : la somme des bonheurs bafoués et des espoirs oubliés du passé, la « mémoire involontaire de l’humanité ». « Décrire le passé tel qu’il a été », telle est la sentence illusoire, la vérité spécieuse dont se détourne chacun des films d’Angela Richi Lucci et Yervant Gianikian, actualisant davantage une remémoration telle que Benjamin l’appelait de ses vœux : « La connaissance du passé ressemblerait plutôt à l’acte par lequel à l’homme au moment d’un danger soudain se présentera un souvenir qui le sauve. » [5] Du pouvoir critique des images à leur puissance prophylactique, les archives filmiques s’offrent au présent… pour la suite du monde. — Margaux Serre

pays barbare Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian France, 2013

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focus archives no2 ANAK ARAW jeu. 17 octobre à 20h00

Anak araw : enfant soleil. On connaissait Gym Lumbera pour avoir éclairé les films de cinéastes indépendants philippins (Sherad Anthony Sanchez, John Torres, Shireen Seno, Raya Martin pour la jeune génération, mais aussi et en premier lieu Roxlee, animateur, peintre et cinéaste souvent considéré comme le parrain de cette jeune génération). Derrière le titre de ce premier long-métrage se dessine une problématique de paternité, d’identité, et bien évidemment de lumière. Gym Lumbera y transforme son histoire, celle d’un jeune père qui s’apprête à quitter sa campagne natale pour la ville, l’enfance et l’innocence   pour l’âge adulte, et fait de cet espace, le temps d’un film, un terrain de jeu pour  réveiller l’autre histoire, celle de son pays. Se mêlent alors archives réelles, faits  historiques, et archives inventées ou réinventées, qui semblent produites par la mémoire même d’un jeune homme qui négocie avec l’héritage du colonialisme  américain, venues des profondeurs de l’imaginaire d’une culture marquée par  des invasions et occupations successives, traduites d’un inconscient collectif à  partir des fantasmes, rituels, légendes et modèles d’une communauté. C’est d’ail-  leurs pourquoi, pour un spectateur occidental peu initié au cinéma philippin et à l’histoire des Philippines, les archives réinventées d’Anak Araw semblent à la fois proches et lointaines, rappelant ça et là un western américain, un film de zombie de Romero, un air populaire, autant d’éclats qui renvoient à la culture américaine et qui rejoignent notre mémoire cinématographique. Le fil narratif est mince : un jeune homme apprend l’anglais pour retrouver un  fils qu’il pense avoir aux États-Unis. Un enfant soleil, anak araw, un enfant blanc.  Il glisse sur un fleuve paisible, dictionnaire en main, sous le rugissement de bombes qui n’apparaissent pas à l’écran. A l’aide de ce dictionnaire de traduction  des deux langues officielles du pays, l’anglais et le tagalog, Gym Lumbera déploie une imagerie et un réseau de correspondances et d’analogies qui se dérèglent et se décalent. Si au début du film les mots et les choses correspondent, cheval, vache, chien, poule, chat, peu à peu les hommes se déplacent en bêlant – état de nature résistant à la culture imposée – et l’un d’eux, brebis égarée, traverse les plans comme en quête de quelque chose, tandis qu’apparaît en lettres d’imprimerie le mot chèvre, selon un vieux proverbe philippin, ou peut-être running gag d’une logique bien connue empruntée aux burlesques américains. Car il est bien question dans Anak Araw de la rencontre entre deux langues, le tagalog et l’anglais, deux cultures, philippine et américaine, entre des mots et des choses, entre le souvenir et le rêve, et des images que leurs collusions produisent. Tout le film peut se lire ainsi, selon un principe de double face, de double culture, selon une dialectique de l’anglais et du tagalog, du mot et de la chose, du son et de l’image, du présent et du passé, du lyrisme et de l’ironie, de la vie et de la mort, de l’homme et de l’animal, de l’archive et du souvenir, mais aussi et surtout du noir et du blanc, puisque Gym Lumbera est bien un penseur de lumière. Programme annoncé dès les premiers plans, traversés par des animaux d’une blancheur éclatante, et surtout lors de la séquence des funérailles de Togo, célèbre moitié d’un duo comique populaire aux Philippines, qui a singé les colons japonais pendant l’occupation. À la différence d’un Pelechian qui dans les archives choisirait une dynamique du montage, Gym Lumbera se concentre sur une dialectique interne à l’image, celle de la lumière et des contrastes. Les images qui suivent, réelles ou réinventées, sont successivement sous-exposées, surexposées, intégrant jusqu’à la chimie et la matière même de la pellicule la lutte entre le noir et le blanc, la vie et la mort, qui marque l’histoire des Philippines. Anak araw, l’enfant soleil, l’albinos, est le miracle de la nature qui fait du phi-  lippin un homme à la blancheur éclatante : un tour de magie bien connu des opérateurs de cinéma, et qui n’est pas le seul dans le film. Gym Lumbera s’amuse en effet à déconnecter sons et images, à inverser le temps ou l’accélérer, reprenant à son compte la résistance du duo comique dont il fait un principe, celui

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du dérèglement de la langue institutionnalisée, officialisée, qu’elle soit langue écrite, parlée ou cinématographique – car aux Philippines, le cinéma populaire et local est un cinéma de genre, de comédie populaire, extrêmement codifié et calibré. Dès lors, on peut voir un jeune garçon tomber à l’eau, un autre ou le même porter un masque de plongée, et un aileron de requin tourner autour, et répéter cette chorégraphique selon des axes différents. On peut voir un homme caresser le velours d’un canapé comme si c’était la peau d’une femme, on peut voir une femme taper à la machine sur sa cuisse sans machine, et entendre le son des touches, comme on entend des bombes tomber, ou le plaisir qu’a eu une femme dans une maison au drapeau américain aujourd’hui abandonnée. Avec la séquence des funérailles de Togo, Anak Araw s’ouvre sur une marche funèbre à la forme de résistance au colonialisme qu’entretenaient Pugo et Togo, forme réinventée dès lors que le cinéma, selon Gym Lumbera, renvoie en miroir les spectacles qu’un peuple se donne, passés au crible d’une ironie critique ou d’un détournement poétique. La marche se continue alors en procession aquatique et chorégraphie de groupe ; conduite au rythme de cuivres qui se font entendre, une dernière fois, avant de se taire eux aussi, engloutis dans une jungle luxuriante. Le film se clôt sur des images datées d’aujourd’hui, un homme et une fem-  me, silencieux dans une voiture, écoutent un programme radio. On y diffuse un enregistrement de Nat King Cole en voyage aux Philippines 1961 qui annonce qu’il va chanter Dahil Sa Iyo, chanson populaire philippine. La légende veut que le compositeur de la chanson, Miguel Velarde Jr, ait décliné une proposition d’enregistrement du titre aux Etats Unis malgré la belle somme promise, car il aurait alors fallu traduire le tagalog en anglais. Ironie du sort, c’est Nat King Cole qui, avant de chanter en approximation phonétique, s’excuse auprès d’un peuple à qui on inflige depuis déjà plus de trente ans d’apprendre la langue américaine : « I didn’t have time to learn the words ». — Maureen Fazendeiro ANAK ARAW Gym Lumbera Philippines − États-Unis 2013, 70'

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focus archives no3 the nine muses ven. 18 octobre à 20h00

[1] La musique n’étant pas considérée comme une archive, ils durent payer les droits des morceaux musicaux utilisés. Source audio : interview de David Lawson (producteur) et de John Akomfrah, British Film Institute. [2] « lay bare the stitches of historical construction » [3] « My work always had been since the beginning about the monstruosity of historical narrative ». [4] « a counter memory », John Akomfrah in conversation with Helen Dewitt. www.bfi.org.uk/live/video/470 20

Impossible de concevoir le focus « Archives » de cette 15e édition sans rendre  hommage à la filmographie de John Akomfrah, l’un des membres fondateurs du Black Audio Film Collective. La trajectoire cinématographique du BAFC s’impose d’emblée lorsqu’il s’agit d’apprécier les alliages et les interférences possibles entre cinéma et images d’archives, témoignages et discours historique. Le collectif sort d’ailleurs souvent du format de projection classique comme pour mieux mettre en scène le processus d’archivation lui-même. The Nine Muses fut d’abord présenté sous la forme d’une installation de 45 minutes, Mnémosyne, en 2010. Le projet fut réalisé grâce à une subven-  tion délivrée conjointement par la BBC et le Art Council. Cet appui lui a garanti l’accès à une impressionnante collection audiovisuelle et la possibilité d’obtenir des copies sans en payer les droits [1], ce qui pénalise souvent les productions qui utilisent des images d’archives. The Nine Muses est peut-être le film qui se rapproche le plus des premières productions du réalisateur au sein de la formation du groupe BAFC et de leur premier projet Signs of Empire 1982-84 qui amorce déjà un travail à partir de coupures de journaux comme archives de l’imagerie coloniale. Réalisé avec les moyens du bord, il concentre déjà les enjeux autour desquels se réunit ce collectif : celui de « révéler les points de suture de la fabrique de l’histoire » [2] et de démasquer les mécanismes de racialisation à l’œuvre dans les représentations officielles dominantes. Ce que  le réalisateur appelle « la monstruosité des narrations historiques » [3]. The Nine Muses se réapproprie les figures de L’Odyssée pour revenir sur la dimension épique de toute migration afin de rendre manifeste une « contre-mémoire » et une « contre-mythologie » : « La question de comment imaginer ce que pouvait représenter alors un tel voyage pour ceux qui l’entreprenait est véritablement celle qui m’a embarquée sur ce projet. » [4] L’archive redevient alors un nouveau point de départ pour suggérer d’autres vécus historiques dont la trace manque cruellement. Comme autre point d’ancrage à cette Odyssée, John Akomfrah reprend une image au poète Derek Walcott, celle de l’absence de ruines qui caractérise selon lui toute diaspora et la prive de monuments comme nécessaire socle à l’acte de commémoration. C’est également le paradoxe qui se trame dans toute archive, c’est-à-dire d’être à la fois dépositaire d’une histoire officialisée et la trace d’histoires refoulées. Le film est construit comme un retour vers ce qui pourrait bien être l’origine de la  hantise de l’histoire postcoloniale : l’arrivée d’émigrants incités alors à rejoindre l’utopie occidentale que faisait miroiter la métropole. Retour aux images originelles, d’une population dont la stigmatisation sera largement entretenue par leur représentation télévisuelle, voire même par l’absence de représentation.


[5] « In time, we will demand that which is right. Because for what would be just, will lie outside present demand. In time, it will be right to say there are no story in the riots, only ghost of other stories » Handsworth Songs (1986). [6] The Last Angel of History (1995) est peut-être le film le plus proche du genre de l’uchronie. [7] Jean Fisher développe ce point dans son essai In living memory… archive and testimony in the films of the Black Audio Film Collective In The Ghost of songs (2007) de Kodwo Eshun & Angelica Sagar, éd. Liverpool Univesity Press. [8] Jacques Derrida, Mal d’Archive, éd. Galilée, 1995, p.19. [9] Réponse à une question du public de la masterclass au Sheffield Doc/Fest 2011. [10] Testament retraçait ainsi les conséquences de l’implication communiste de la mère du réalisateur, partie en exil suite au coup d’état de 1966 au Ghana.

Profondément insufflée par les études postcoloniales, alors en plein essor en Grande-Bretagne, cette filmographie n’opère cependant pas un rejet de   l’épistémè occidentale mais la travaille pour mieux la dévoyer. De cette histoire collective qui a duré près de 17 ans émerge Smoking Dogs en 1998 qui fonctionne aujourd’hui comme une société de production, notamment pour la télévision. Malgré le risque de compromis dictés par l’économie de cette industrie, ils tenteront très tôt de porter au plus près de celle-ci les questions historicistes sousjacentes à l’architecture de leurs films, motivés donc par la possibilité d’émettre de l’intérieur du système de représentation qu’ils mettent à mal et non plus depuis ses marges ghettoïsées, c’est-à-dire d’opérer non plus en réaction, ni en opposition, mais pleinement comme une résistance de l’intérieur. Engagé dans une démarche résolument éthique, c’est davantage des formes d’intelligibilités qu’ils recherchent dans la pluralité des narrations historiques qu’ils entremêlent. D’où l’importance accordée aux sons et aux voix dans leur filmographie comme moyen de porter simultanément une histoire allant parfois à l’encontre de celle présentée visuellement. Cette cacophonie bricolée est d’ailleurs largement devenue leur marque de fabrique. Les dissonances obtenues amplifient encore davantage leur caractère séditieux. Elles sont aussi les mieux à même de faire écho littéralement à l’enchevêtrement des histoires invoquées et convoquées. Cette idée de résonance et de mise en écho est résumée très tôt dans Handsworth Songs (1986) en voix off : « Il n’y a pas d’histoire dans les émeutes, seulement les fantômes d’autres histoires »  [5] Cette attention particulière à rendre l’intensité de l’imbrication de ces histoires délivre autant de prises sur l’histoire. Cette asynchronicité devient ici un moyen formel de se défaire de l’emprise coercitive du discours hégémonique. De telle sorte que l’archive n’opère plus sur le mode de « flash back » mais sur celui du « flash forward » [6] . Leur convocation n’est pas justifiée par une démarche rétrospective. Au contraire, elle nous projette de l’avant vers de nouvelles lectures spéculatives, de nouvelles manières de réinvestir des bifurcations possibles à partir de l’opacité même de ces archives [7]. Animé par la nécessité de bricoler et d’expérimenter d’autres moyens formels de raconter ces histoires afin de les dérober à la coercition de l’histoire impériale, la démarche du BAFC a permis d’ouvrir une autre voie à celle de l’approche ethnographie alors toujours dominante. The Nine Muses en est un des derniers aboutissements. Ce geste cinématographique est une démonstration d’éloquence. Il permet tout d’abord de canaliser et d’énoncer l’histoire post-coloniale et celle de l’impérialisme, non pas isolément, mais au regard de questions de classes, de travail et de migration. Il rend également apte à « capitaliser dans une ellipse » [8], c’està-dire à anticiper le potentiel narratif de toute archive. Son éloquence est lyrique et draine avec elle l’énergie de la poésie engagée. En témoignent également l’attention musicale à la composition du film et la recherche constante du potentiel narratif dans l’usage des bruitages [9] sans rejeter la dimension viscérale et émotive que le recours au son peut favoriser. Ce lyrisme est depuis le début imprégné d’histoires familiales et de leurs implications dans la grande [10]. Il n’est pas question ici de prétendre rendre la voix à des archives qui en seraient dépourvues mais de travailler à partir des suggestions de ces archives elles-mêmes. Ce projet délimite un antipode possible vis-à-vis de pratiques ironiques, didactiques ou distanciées comme le sont souvent les films de found footage et de détournement. The Nine Muses est une des dernières propositions lyriques de ramener la grande histoire à l’échelle de celles qu’elle affecte intimement. — Julia Gouin

THE NINE MUSES John Akomfrah Royaume-Uni, 2010, 92' 21


focus archives no4 LES apatrides volontaires sam. 19 octobre à 20h00

Flacky et camarades ou le cheval de fer, le premier film de long-métrage documentaire de Aaron Nikolaus Sievers a été montré à la Cinémathèque Française, en juin dernier dans le cadre du cycle « Cinéma prolétarien, films lumpen en France ». Ce film est réalisé à partir des films tournés dans le Nord-Pas-deCalais, par les mineurs au cours des stages organisés par Pierre Gurgand à la fin des années 70. Ce matériau argentique fut pris en charge et monté par Aaron Nikolaus Sievers à partir de 2003, dans le cadre des travaux menés par le collectif marseillais Film flamme et achevé en 2011. Un film d’archives réalisé avec un très grand respect du matériau (pas de coupes dans les rushes images), de la parole des mineurs et du mode de cinéma direct de Pierre Gurgand. « Il s’agissait tout d’abord d’extraire la parole des mineurs, d’extraire leur mémoire et la remonter à la lumière. On prend le temps de s’asseoir avec eux au  bistro du coin, pour bavarder… Et boire un coup ou écouter un poème… écouter les récits du travail, la haine, le combat… et leur amour aussi. Dans le souffle  difficile des voix de silicosés, ce qui persiste avant tout, c’est cette mémoire de Flaczynski, Flament, Jules et Marguerite Grare, les Debarge, le rire de Paul Beaulieu, les femmes de mineurs polonais, le résistant Moreels et les autres syndicalistes dont on ne sait pas les noms. » Extrait du livre Flacky et camarades (Le cheval de fer). Le cinéma tiré du noir de Aaron Sievers, éditions Commune, 2011. À la fin de ce livre, le texte de Kiyé Simon Luang, cinéaste, écrivain,   présente Les Apatrides Volontaires d’Aaron Nikolaus Sievers : « Journal d’une vie Chroniques de vies une(s) Echo d’un siècle tumultueux Amitiés, Amours Fidélités Construction patiente de l’espace d’existence Reconstruction Pensée Une De l’intime : Levier révolutionnaire Ferment de la révolution Droits de l’homme, Condition d’Apatrides : même combat Échapper aux définitions majuscules qu’en donnent les états Dans leur effort violent pour être didactiques Effort totalitaire L’homme, dans les Déclarations des états, c’est, au mieux, l’oiseau de l’ornithologie Pas question de le laisser chanter sans éditer des fiches d’identité Au pire, volatile en cage L’échappée pour être le titre du film d’Aaron Nikolaus Sievers Sa définition du cinéma dont son film est une construction Au jour le jour… »

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Cette première page m’intriguait et suscitait déjà mon intérêt pour le film. Lors de la projection en 2012 pendant la semaine asymétrique au Polygone étoilé à Marseille, Aaron présenta son film commencé en 2001, comme pas totalement terminé. Il ne l’est pas encore. Je découvrais un film singulier, personnel, où le matériau accumulé (images et sons) constituait « des auto-archives » à mes yeux. Une temporalité de sa mise en œuvre qui correspondait au périple. Une Odyssée, un voyage poétique raconté sur les rives d’un fleuve. « Le Rhin c’est ici que commence mon pays et qu’il finit aussi ». Extrait de la bande-son du film. « Les Apatrides Volontaires est un film en cours, en chantier. Naître allemand et vivre en France, être allemand et un enfant de la guerre froide et des lois d’exception, sont des conditions qui donnent une lecture du monde singulière, un regard déchiré… L’Allemagne de l’Ouest, un pays « tampon », pays rempart contre le communisme. Une poudrière. 1978, un an après la mort à la prison de Stammheim de Andéas Baader, Gudrun Ensslin, Jan-Karl Raspe et les autres de la fraction Armée rouge, c’est la fuite, c’est l’exil volontaire en France. Enfant, la vision de la page du journal schématisant l’intervention du G.S.G. 9 (police Allemande d’intervention anti terroriste) à l’aéroport de Mogadiscio, reste gravée dans la mémoire. Comment décrire quand le passé a le poids des années de plomb ? Quelle joie ressentie en apprenant que les proches n’ont pas participé par conviction à l’idéologie du national socialisme, sans pourtant avoir choisi le maquis ou l’exil ! Comment dire le soulagement de savoir que le grand-père, le docteur Sievers, n’est pas le médecin Sievers qui a effectué des expériences sur les détenus dans les camps ! Il a été envoyé par punition de n’être pas fervent, en première ligne sur le front Russe… Médecin, parmi les éclaireurs, il est mort dans une embuscade des partisans après avoir sauvé un enfant russe d’un accouchement difficile. Disparu, corps et âme, au delà des lignes de front… Peut être que le film est une manière de raconter à une mère ce que son père ne disait pas… Une remontée qui passe, du grand-père au père, du fils vers la mère, un cheminement dans les méandres de ce qui est tu. Le 27 mai 1944, le raid aérien des alliés, pour couper les voies de communications entre le Sud et le Nord de la France en vue du débarquement, est aussi un des points remarquables qui ont vu naître ce projet… Mais peut être que le film ne raconte pas tout ça, ne fait que chercher a raconter en juxtaposant des images et des sons, en posant les ingrédients sur la table. Il cherche à créer une émulsion, un précipité, comme si on pouvait faire cette alchimie, faire de l’or avec du charbon ». — Aaron Nikolaus Sievers LES APATRIDES VOLONTAIRES Aaron Nikolaus Siervers France, 2013, 70'

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focus   found footage   collage   et détournement


« En tout domaine c’est de la connaissance transversale et de l’histoire comparative que surgit la vérité. À l’opposé de la spécialisation. » Alice Becker Ho, Du jargon héritier en bâtardise.

Utilisant comme matériau l’archive, le found footage ou cinéma de retraitement, prend plusieurs formes. L’une des plus pertinentes en est le détournement où sont réutilisées des images pour créer une nouvelle œuvre critique, souvent opposée au message initial. Le collage est une des formes indissociables du détournement dans l’imbrication provoquée d’éléments hétérogènes réunis après avoir été prélevés de leur contexte originel. Notons, récemment, qu’un nouveau terme est apparu pour désigner le found footage, celui de « mashup ». Il s’agit de faire croire à l’invention d’une nouvelle pratique. Ces focus, « Found footage », « Détournement », « Collage », ne cesseront pas de revendiquer une histoire esthétique et expérimentale des plus passionnantes afin de raviver les mémoires sur l’existence présente d’un genre (et appelé communément found footage). Ces séances exceptionnelles, en plus d’offrir un panorama original et singulier au spectateur, mettront en garde celui-ci… Évitons les effets de mode opportunistes (récupération mercantile) qui cherchent à reformuler, puis redéfinir des courants esthétiques et expérimentaux pour mieux se les réapproprier ! « Le détournement se distingue de la citation, procédé souvent utilisé par Debord (parfois de façon voilée), et spécule sur l’absence de qualités présumées de l’élément premier utilisé. C’est donc au cinéma d’exploitation le plus commun qu’il advint d’être “détourné” par les Situs. Du sang chez les Taoïstes, La Dialectique peut-elle casser des briques ?, Les Filles de Kamaré sont les titres de trois films travaillés par René Viénet qui font subir un traitement particulier au cinéma de genre. C’était le début des années 70, le western italien battait de l’aile et était, petit à petit, remplacé dans les salles de quartier par les films asiatiques d’arts martiaux. Par la grâce des sous-titres ou de la post-synchronisation, les combats à mains nues deviennent la figuration de luttes idéologiques ou réelles. » Jean-François Rauger, L’œil qui jouit, « Pratiques du détournement, Agonie des pensées de l’Histoire ». Réemploi d’images préexistantes détournées souvent de leur usage premier, le found footage tire donc son origine d’un principe martial, celui du détournement. En utilisant des images de films d’arts martiaux, La Dialectique peut-elle casser des briques ? a bel et bien incarné cette philosophie martiale : détourner la force de l’adversaire pour l’adopter et la retourner contre elle. Ce détournement est donc avant tout économique : on récupère les images que jettent les studios, celles ingrates des publicités ou des documents institutionnels. Ensuite, il est politique dans sa volonté de s’abstraire aux règles mercantiles et dans son refus de se soumettre à certaines lois qui spéculent (via l’interdit et le « réemploi » hypocrite du « droit d’auteur »), trafiquent et rentabilisent ouvertement (via la réprimande, l’amende) autour des images récupérées par le tout-venant. « – On ne plaisante pas avec la loi. – Pinède ! Vous me faites de la peine… Mais s’il fallait la prendre au sérieux, la loi, la vie deviendrait rapidement invivable ! » Bonne chance ! de Sacha Guitry, 1935. Enfin, le détournement est esthétique (dans ce principe de ready-made et de « collage ») et adopte une multitude de formes que le festival, cette année, va tenter de décliner au travers de ses focus d’une part, et de sa compétition internationale d’autre part, attestant définitivement de la richesse d’un (sous-)genre toujours en activité. — Yves-Marie Mahé, Fabien Rennet, Gloria Morano et Derek Woolfenden

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FOCUS collage : hors les murs, cinéma la clef mar. 1er octobre à 20h00

« Vers la fin de la guerre en Allemagne, plusieurs dadaïstes (Grosz, Heartfield, Ernst), dans leurs critiques de la peinture, détournèrent la photographie de son sens d’imitation pour un usage d’expression. Ainsi naquirent les collages. » Louis Aragon, John Heartfield et la beauté révolutionnaire, 1935. Programmation : Yves-Marie Mahé — Invention cubiste sous le nom de « papiers collés » puis photomontage dadaïste, le collage est présent aussi au cinéma. Il est lié à la notion de détournement. La figure de Gil J. Wolman en est l’exemple. Co-rédacteur avec Guy Debord, en 1956, du texte fondateur sur le détournement, il pratique le collage sous la forme de « l’art scotch ». L’essai documentaire et d’animation d’Alain Jaubert, La disparition, démontre que les tyrans ont toujours détourné les archives photographiques pour réécrire l’histoire. Bien souvent, la personne effacée de la photographie a été auparavant assassinée. On trouve aussi le collage dans un cinéma d’animation expérimental très proche de l’affiche polonaise. Le cinéaste Zbigniew Rybczinski découpe l’image en filtres de couleur tel un livre à dessiner pour enfants. Dans le film Katar du cinéaste d’animation polonais Hieronim Neumann, c’est le principe du découpage qui est mis en avant. David Matarasso découpe des bouts de pellicules pour les assembler figurativement en mosaïque sur une pellicule 35mm avant de la refilmer en 16mm au banc-titre. Le belge Yoann Stehr assemble des bouts de génériques dans un travail proche de celui de Derek Woolfenden pour servir un propos critique. Ce film rejoint les thématiques du found footage et du détournement développées lors de ce festival. Inspiré par l’univers de David Lynch, l’anglais Kiron Hussain assemble différentes images filmées et peintes. La séance s’achèvera par l’avant première du nouveau film du cinéaste croate Dalibor Baric découvert l’an dernier au festival des cinémas différents. Hommage  sincère à La Jetée de Chris Marker, tout en étant une variation du Vampyr de Dreyer, il reprend l’imagerie des films de science-fiction américains durant la guerre froide. Le film est en compétition pour la quinzième édition du   festival. — Yves-Marie Mahé, Fabien Rennet, Gloria Morano, Derek Woolfenden

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KATAR (COLD) Hieronim Neumann 1984, 5’28 Vision fracturée d’une petite fille, dont les symptômes affectent le langage visuel du film jusqu’à ce qu’un médecin la traite. Dellamorte Dellamorte Dellamore David Matarasso 2000, 2’ David Matarasso, s’approprie le film de Michele Soavi, Della Morte Dellamore, en réalisant un travail plastique à même ses images. CONTRE, TOUT CONTRE Yoann Stehr 2010, 6’14 ENTRETIEN AVEC GIL J. WOLMAN 2’ Gil J. Wolman explique sa technique de « l’art scotch » qui consiste à arracher des bandes d’imprimés en utilisant du ruban adhésif pour les repositionner sur des toiles.

Un contre tous et / ou tous contre un. SLICK HORSING Kiron Hussain 2011, 2’22 Allégorie fragmentée.

LA DISPARAITION : VARIATION SUR DES PHOTOS POLITIQUES TRUQUÉES Alain Jaubert 1982, 9’ Animation au banc titre à partir de photos politiques truquées dénonçant les pratiques courantes dans certains régimes où l’élimination politique s’accompagne de la manipulation des images historiques. ZUPA Zbigniew Rybczinski 1975, 8’ Un rêve surréaliste se transforme en une horrible réalité tel le brossage des dents vu de l’intérieur de la cavité buccale. Les choses s’agrandissent, comme à travers un miroir répugnant et représentent une image symbolique de la réalité écrasante.

AMNESIAC ON THE BEACH Dalibor Baric 2013, 23’45 L’experience Near-life peut sembler être un événement extraordinaire mais en fait, elle peut arriver à n’importe qui. 27


« À partir d’un moment, je me suis rendu compte que j’aimais tant les films que je voulais qu’ils m’appartiennent. » Quentin Tarantino

FOCUS foundfootage : hors les murs, shakirail

Programmation : Derek Woolfenden, pour Khalid. Remerciements à Patrick Fuchs, Fabien Rennet, Yves-Marie Mahé et Curry Vavart. — Le found footage que défendra le Kino Club dans cette séance mensuelle exceptionnelle au Shakirail (en partenariat avec le festival des cinémas différents) témoigne de la richesse critique, formelle et plastique de cet artisanat finalement mal représenté, mal défendu. Du cinéma de fiction au cinéma expérimental, le found footage est un sous-genre représentatif de nos sociétés actuelles que les événements du World Trade Center sont venus d’une certaine manière exploser ! Ses pratiques peuvent tour à tour être associées au « remixage » (écho musical), au « recyclage » (écho écolo), au « remploi » (écho économique). Les films de found footage montrés au Shakirail participent donc d’une sélection « insurrective » qui, je l’espère, rendra visible un sous-genre expérimental bien plus passionnant et subversif que ce que l’on nous a laissé croire jusqu’ici.

dim. 13 octobre à 20h00

Première partie 73 min. AMAZON WOMEN ON THE MOON Joe Dante, Carl Gottlieb, Peter Horton, John Landis & Robert K. Weiss États-Unis, 1987, 5' (extrait) L’extrait choisi est le segment Video Pirates de R. K. Weiss, avec W. Marshall (Blacula), qui pastiche (dans la durée proche d’une annonce publicitaire) la tradition hollywoodienne du film de pirates que vient de réactualiser Roman Polanski avec son Pirates (1986), et tout en faisant un hommage subversif à l’action illégale (et répréhensible) de « pirater » les vidéos du commerce… Robert K. Weiss est plus connu pour être le producteur de Dragnet, des Blues Brothers et de Hamburger Film Sandwich.

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FEMME FATALE Brian De Palma France, 2002, 2' (bande annonce) La bande annonce de Femme fatale de Brian De Palma est une véritable proposition analytique du film dont il n’est finalement que l’instrument promotionnel ! Elle aurait été montée par Bill Pankow, le monteur du long-métrage. Parfois, la publicité relève de bien plus d’audace et de propositions formelles qu’une œuvre dont le cadre (un festival par exemple) suffit à asseoir sa vaine autorité. SHOCKER Wes Craven (avec P. Berg & M. Pileggi) États-Unis, 1989, 10' (extrait) Shocker participe de la vision critique d’une génération de cinéastes certainement hantée par la paranoïa américaine des années 50 liée à la « chasse aux sorcières » (ce que traduit l’idée du déplacement de corps en corps par l’intermédiaire de la propagande télévisuelle) où contamination et consommation s’entremêlent finalement autant que Maccarthysme et Reaganisme.


LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000 Narciso Ibañez Serrador Espagne, 1976, 7' (générique) Chef d’œuvre du cinéma de genre espagnol et pamphlet politique alarmiste où les enfants représenteraient – à l’instar des zombies de George A. Romero ou du travail structurel et expérimental de Revisions de Chris Oakley (présenté au Festival des Cinémas différents de 2012) – le Tiers-monde et toutes les victimes des guerres du xx e siècle. Le générique en est le cadre cyniquement didactique (via un « diaporama » d’images historiques connues) et le film son extension allégorique horrifique. Pasqualino Settebellezze Lina Wertmüller Italie, 1975, 4'33 (prologue) Les images d’archives, confrontant le monde politique en ruines entre Mussolini et Hitler, sont commentées, non sans ironie, par les paroles du génial Enzo Janacci à qui l’on doit entre autres la chanson titre de Romanzo Popolare de Mario Monicelli (1974). D’autres exemples de prologues / génériques qui se (dé)jouent des images d’archives : Et vint le jour de la vengeance de Fred Zinnemann et Izo de Takeshi Miike (avec l’accompagnement vocal et musical de Tomokawa Kazuki).

L’ARMÉE DES MORTS Zack Snyder États-Unis, 2004, 2'35 (générique) Le générique du film a été réalisé par la société Prologue Films, une agence de réalisateurs à la sensibilité graphique très créative (Kyle Cooper, Kurt Mattila). Ce générique virtuose mêle véritables et fausses images d’archives entrecoupées d’une typographie ensanglantée. Les intermittences vidéos, habiles et stylisées, servent de raccords pour fondre et contaminer littéralement le texte et l’image, mais servent aussi à traiter d’une façon économique une catastrophe mondiale fictive (prophétique ?). La chanson de cet extrait choisi est The Man Comes Around du grand Johnny Cash. SUSPENSION OF BELIEF Wago Kreider États-Unis, 2010, 5'20 Il s’agit d’un flicker continu juxtaposant des images de deux classiques d’Hollywood et des plans capturés au Musée The Intrepid Air and Space de New York. 9 / 11 Stratis Vouyoucas France, 2002, 5'

POLA X Leos Carax France, 1999, 1'20 (prologue) Il s’agit du prologue du film où l’on entend une voix caverneuse récitant un vers d’Hamlet sur des images d’archives de guerre accompagnées par la musique enragée de Scott Walker. Le film est une adaptation de Pierre ou les ambiguïtés de Herman Melville.

Film structuraliste qui fait très étrangement écho à certains films de Keith Sanborn (The Zapruder Footage, 1999) et à The Politics of Perception (1973) de Kirk Tougas. L’image répétée d’une des deux tours jumelles de WTC s’écroulant lors des attentats de septembre 2001 alterne avec la neige télévisuelle. L’idée formelle est simple, mais immédiate, et la répétition d’une même image provoque paradoxalement la confusion de celle-ci pour son spectateur. En effet, la meilleure manière de cacher quelquechose est la mise en évidence ; on se souviendra alors du dernier film d’Hitchcock (Complot de famille) et de la fameuse cachette du diamant… Ou comme le dit Sanjuro dans le film éponyme de Akira Kurosawa, « On voit mal ce qui est trop près ». 29


GHOST : IMAGE, VISUAL ESSAYS No4 Al Razutis Allemagne, 1976-1979, 9'30 Quand le cinéma expérimental s’intéresse au fantastique par l’intermédiaire d’un effet formel s’inspirant consciemment (ou pas) des figures propres au Test de Rorschach… Ou comment des procédés scientifiques (ou structurels et formels) deviennent fantastiques, voire ésotériques. Ce film peut également être perçu comme un traité théorique formel sur le cinéma fantastique où s’entremêlent Murnau, Buñuel, Whale et Cocteau. THE CATALOGUE Chris Oakley Royaume-uni, 2004, 5'30 Ce film est la représentation symbolique du système d’étude de marchés qui classifie les individus en utilisant un large panel d’informations, puis évalue leur pouvoir d’achat et leurs besoins futurs. SCARFACE – The Short Version BROmance France, 2006, 1'39 Voici un compendium exemplaire de la collecte maniaque et précise chez certains auteurs de found footage. Le film est à la fois une synthèse narrative du long métrage de Brian DePalma, mais aussi une analyse formelle pertinente et ludique. POSTFACE Frederic Moffet Canada, 2011, 7'20

Films de Mozinor (France) COSMOS 99 : CHUCK NORRIS (2005, 1'17) RODRIGUEZ (2006, 1'08) BITE IT – ou un dimanche après-midi pourri (2006, 1'10) LE CHINOIS EST MORT NTM version (2006, 1'40) CHUCK NORRIS FACTS – ceci n’est pas un détournement, juste un documentaire (2008, 0'55) Dans la tradition de La Classe américaine : Le Grand Détournement (1993) de Michel Hazanavicius et Dominique Mézerette, Mozinor à lui seul incarne aujourd’hui, et sur le net français, le détournement potache et artisanal des grandes figures du petit comme du grand écran. Cet auteur n’a pas Canal+ derrière lui, mais il est armé d’un microphone et d’un amour vache pour les grands films et / ou leurs célébrités.

Seconde partie 70 min.

Postface jette un regard sur la filmographie de Montgomery Clift dont la vie privée et la carrière se sont effondrées suite à un accident de voiture CROP DUSTER OCTET survenu en 1956, le laissant avec un visage balafré Gregg Biermann et en partie paralysé. Quand la vie des stars États-Unis, 2011, 5'30 hollywoodiennes se greffe sur leurs films et les drops numériques deviennent comparables au travail « Dans Crop Duster Octet, l’emblématique séquence plastique sur pellicule d’un Rondepierre. Ou encore, “Crop Duster” de La mort aux trousses d’Hitchcock, comment une vedette de cinéma finit incarcérée où Cary Grant est à plusieurs reprises attaqué par sa propre image dont il a perdu le contrôle… par un petit avion plongeant du ciel, est décomposée en huit bandes horizontales, chacune étant légèrement décalée de la suivante. Comme la scène (et, en particulier, le corps de Grant) est continuellement déconstruite, les motifs de l’action sont réaffirmés et intensifiés, pour culminer en un crescendo de convergence. » Jaimie Baron, LA Filmforum 30


TROUBLE IN THE IMAGE Pat O’Neill États-Unis, 1996, 38' Pat O’Neill est un maître des effets d’optique ayant influencé toute une génération de techniciens hors pair en effets spéciaux (Adam Beckett, Robert Blalack, Chris Casady, Larry Cuba…) mais également le cinéaste autrichien expérimental Peter Tscherkassky. DÉHISCENCE Marc Plas France, 1997, 4' En souvenir du montage discrépant du cinéma lettriste (Isou, Lemaître), d’autres films traitent aussi bien d’un décalage sonore devenant la parfaite illustration ironique des images montrées : Le Dobermann, histoire et caractéristiques (2012) de Fabien Rennet, Fred Enemy (2000) d’Olivier Fouchard ou encore C’est bon pour la morale (2005) d’Yves-Marie Mahé. DEBBIE DOES ASCII (AN ASCII PORN FROM A 1981 BBS) Clint Enns Canada, 2009, 1'21 Debbie does ascii est une vidéo animée grâce au jeu de caractères codés ASCII (American Standard Code for Information Interchange). Le film crypté utilisé est Debbie Does Dallas de Jim Clark, un porno célèbre de 1978 (avec Bambi Woods). Réinvention formelle et plastique de la représentation des corps au cinéma permise, ironiquement, grâce à l’influence des chaînes cryptées donnant à voir plutôt qu’elles ne censurent.

SYNC Marco Brambilla Royaume-Uni – États-Unis, 2006, 1'52 Extrait du film collectif Destricted qui participe (dans le segment de Brambilla) à l’inventaire d’un thème, d’un geste, voire d’un « stéréotic » (propre à certains films de Matthias Muller). THE ACTION David Matarasso France, 2012, 3'30 On a préféré montrer cette perle rare plutôt que le film surestimé Fast Film (2003) de Virgil Widrich, et on vous invite à venir voir la séance « Collage » aux Voûtes où l’on verra le premier film de son réalisateur, Dellamorte Dellamorte Dellamore (2000). BLOW JOB François Rabet France, 2008, 2'30 « Film téléchargé à 300 kilobites par seconde ! Où les pixels se font exploser la rondelle ! » F.R. PIGALLE VORTEX Fiston et Arthur France, 2012, 3' Le montage du film est dû au dysfonctionnement d’une cabine vidéo d’un sex-shop à Pigalle et a été filmé « à la volée » par un téléphone portable. Le génie du film c’est ce réflexe prédateur à capter l’improbable : une cabine vidéo d’un sexshop fait son propre montage en « dégueulant » littéralement ce qu’elle donne à voir tous les jours. TUEURS NÉS Oliver Stone États-Unis, 1994 (générique de fin)

REMOVED Naomi Uman Mexique – États-Unis, 1999, 6' Travail sur pellicule qui est non sans rappeler Colour of Love (1994) de Peggy Ahwesh ou Va Te Faire Enculer (1998) d’Yves-Marie Mahé.

Sur le thème des amants criminels en fuite, Tueurs Nés est aussi une variation moderne de La nuit du chasseur de Charles Laughton où Robert Mitchum se serait substitué à une boîte de Pandore remplie d’images dans un montage proche de la chaîne MTV. Le film est contemporain d’un cinéma marqué par la citation. Reservoir Dogs de Tarantino, Les Nerfs à vif de Scorsese, L’Esprit de Caïn de De Palma, Dracula de Coppola, Lost Highway de Lynch. 31


FOCUS SPÉCIAL crass sam. 19 octobre à 18h00 Les membres de Crass ont ouvert la voie à l’idée selon laquelle la musique pouvait être incluse dans une volonté sociale, et que le punk ne se limitait pas uniquement à sa forme musicale. Apparu à la fin des années 1970 et considéré à l’époque comme un groupe de hippies, Crass expérimenta à Dial House, dans l’Essex, une sorte de communauté artistique, un collectif informel dont le groupe fut la partie la plus visible. Dans cette Factory punk ouverte à tous et où l’on pouvait tout aussi bien apprendre à faire du pain que des bombes, des musiciens, graphistes, cinéastes, poètes, militants, y développèrent une « philosophie punk » : le DIY. Car si la musique était pour eux la forme poétique d’un discours politique, le détournement et le sabotage furent également l’un de leurs moyens d’expression privilégiés. Les membres de Crass demeurent ainsi un exemple significatif de l’association entre musique et engagement concret (voire l’action directe) et se sont imposés comme la base d’une « industrie culturelle » morale. Conçu pour être projeté durant les concerts de Crass, Christ, The Movie est à l’image du plus important groupe anarcho-punk : expérimental, cru, bruyant, politique et sans concession. Aux deux premières parties composées de collages antimilitaristes sur fond de musique bruitiste succède Yes Sir I will, long clip illustrant l’album du même nom. — Fabien Rennet Ce programme aura également lieu le vendredi 18 octobre, à 19h00, aux Trinitaires (12, rue des Trinitaires, Metz) en présence du réalisateur. Entrée libre. Une programmation Seconda Voce. CHRIST, THE MOVIE Mick Duffield Royaume-Uni, 1990, 82' En présence du réalisateur

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« Une phrase appartient moins à son auteur qu’à celui qui l’utilise le mieux ». Patrick Straram, La veuve blanche et noire un peu détournée, 1967.

FOCUS détournEment dim. 20 octobre à 16h00

Programmation : Yves-Marie Mahé et Fabien Rennet — Amorcé par le lettrisme et développé par les situationnistes, le détournement a pour œuvre matrice La dialectique peut-elle casser des briques ? de René Vienet en 1973. Auparavant, en 1968, Lubtchansky filme les affiches détournées dans le métro parisien pour le Service de la recherche de l’ORTF. Les américains de Culturcide, beuglent par dessus un clip sur l’Éthiopie en modifiant les paroles hypocrites de l’original. Les allemands Kämmerer et Meiberger manipulent le montage d’un western pour en faire une œuvre métaphysique fendard en 2005. Eric Faden aborde la question du droit d’auteur par le biais de Walt Disney. Les membres fondatrices du Centre Audiovisuel Simone De Beauvoir commentent à l’aide d’intertitres une émission de télé particulièrement sexiste.

LES POÈTES DANS LE MÉTRO Jean-Claude Lubtchansky 1968, 4'12 Reportage sur les inscriptions portées sur les affiches et les murs du métro en 1968. THEY AREN’T THE WORLD Culturcide 1984, 4'29 Les paroles de la chanson caritative pour l’Éthiopie sont modifiées par les américains de Culturcide.

AIM Björn Kämmerer & Karoline Meiberger 2005, 2'30 Un found footage issu d’un western a été manipulé jusqu’au point de ne plus traduire l’intrigue : la caméra empêche un brigand armé de tirer, ce qui débouche sur un conflit grotesque. La confrontation armée reste coincée dans un staccato battant et le spectateur – bien qu’il soit habitué à ce type de narration – reste sur sa faim.

A FAIR(Y ) USE TALE Eric Faden 2007, 10' « L’idée était d’expliquer la notion américaine de droits d’auteur et du fair use tout en l’illustrant. Et comme Walt Disney Company défend particulièrement ses droits d’auteur, nous nous sommes dit qu’un film entièrement basé sur leurs œuvres serait un bon test sur ce concept d’usage légal. » Eric Faden. MASO ET MISO VONT EN BATEAU Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig & Loana Wieder 1975, 55' Détournement humoristique, par quatre réalisatrices irrévérencieuses, d’une émission de Bernard Pivot avec Françoise Giroud, alors secrétaire d’État à la condition féminine. 33


articles


Francesco Duverger

origines historiques du found footage Il existe dans l’histoire du cinéma une pratique spécifique qui fait du réemploi  son principe fondateur et sa condition de possibilité. Cette pratique dénomée  found footage consiste dans la reprise d’images et de sons extraits d’œuvres préexistantes auxquelles le montage et parfois un traitement physique de la pellicule  confèrent un sens inédit, souvent aux antipodes du sens original. La réappropriation de vieux films provenant de sources disparates comme matériau brut pour créer de nouveaux films coïncide avec les origines du cinéma et constitue une des procédures critiques prédominantes au sein du cinéma expérimental.

[1] William Wees, Recycled Images, The Art and Politics of Found Footage Films, New York City, Anthology Film Archives, 1993. [2] Jay Leyda, Films Beget Films, New York, Hill and Wang, 1964.

Connus sous le nom de compilation film, film d’archives, collage, assemblage, film de montage ou film recyclés, les travaux qui incorporent du found footage peuvent assumer différentes formes. William C. Wees a simplifié la question en proposant une classification qui reconduit la pratique du found footage à trois différentes typologies – compilation, collage et appropriation –,  en remarquant toutefois comment certains films peuvent s’inscrire dans ces trois catégories. Wees associe le film de compilation au réalisme documentaire, le collage à une esthétique moderne propre au film d’avant-garde et l’appropriation à l’esthétique postmoderne du vidéoclip [1]. Auparavant dans son étude historique sur le film de montage, Jay Leyda avait retracé l’histoire des films de compilation et observé comment les possibilités de manipulation développées par cette pratique ont fortement été exploitées à des fins de propagande [2]. Pour illustrer son propos, il cite un exemple de manipulation mis en œuvre par Francis Doublier, un opérateur des Frères Lumières. En 1898, lors d’une projection de vues animées dans un quartier juif au Sud de la Russie, il tire profit de l’intérêt du public pour l’affaire Dreyfus en remontant certaines bobines issues de la collection Lumières. Doublier prélève donc différentes séquences – aucune d’entre elles comportant la moindre référence à Dreyfus – et les remonte en créant une séquence accompagnée par un commentaire écrit qui donne l’illusion aux spectateurs d’assister à un documentaire sur l’arrestation, le procès et l’incarcération de Dreyfus sur l’Île du Diable. Selon Jay Leyda, ce film contient déjà les caractéristiques qui définiront le film de compilation. Tout d’abord, les plans sont extraits d’autres films qui ne doivent pas nécessairement avoir de liens entre eux. Ensuite, le choix des fragments est motivé par un concept (thématique, critique, narratif) qui détermine l’ordre d’assemblage. Enfin, la présence constante d’une voix off ou dans ce cas d’un commentaire écrit permet de créer un fil conducteur entre les images et le concept. La pratique du réemploi est également présente durant les années 1920 en Union  Soviétique, en particulier dans les films d’Esfir’ Šub qui retravaillent les archives pré-révolutionnaires pour les faire résonner avec le contexte révolutionnaire. En remontant les images d’actualités tournées entre 1912 et 1917  35


dans La Chute de la dynastie des Romanov (1927) ou bien les films de famille de Nicolas II dans Léon Tolstoï et la Russie de Nicolas II (1928), Šub associe deux mondes qui s’ignorent et fait émerger l’ironie et le sens de l’absurde, en attribuant à ces archives une nouvelle dimension et une force émotive qu’elles ne possédaient pas à priori. Enfin durant la Seconde Guerre Mondiale, les films de compilationservent une idéologie militariste, notamment aux USA où la série W hy We Fight (1942-1945) réalisée en grande partie par Frank Capra, a pour objectif d’encourager les jeunes à s’enrôler dans l’armée, en faisant appel à un mélange de patriotisme, d’idéaux démocratiques et de description des atrocités commises par les forces de l’Axe.

Collage et avant-garde Le collage, qui naît avec les expérimentations cubistes de Braque et Picasso en 1912, met en crise à travers la collision de fragments d’objets issus de la vie quotidienne, l’unité organique jusqu’alors attribuée à l’œuvre d’art, et s’affranchit  ainsi de la notion de réalisme. Pour les cinéastes d’avant-garde, le modèle de référence n’est plus représenté par la réalité historique propre aux films de compilation mais plutôt par les médias de masse dont les images déversées ne demandent qu’à être arrachées à leur contexte et réinscrites dans des collages qui  interrogeront de façon critique, l’origine médiatique de ces images. La corrélation étroite entre le collage et le found footage d’avant-garde est mise en évidence  par le film Rose Hobart (1936) de Joseph Cornell, un artiste initialement reconnu pour ses collages et ses boîtes constituées de photographies et d’objets trouvés.  Cornell récupère dans un marché aux puces du New Jersey, une copie 16mm d’East of Borneo (George Stevens, 1931), un film d’aventure de série B produit par Universal, dont il ne retient que les plans de son actrice Rose Hobart et une série de stock-shots, ajoutant des fragments de films scientifiques et comme bande son un morceau latino-americain de Nestor Amaral, Holyday in Brazil. Par un principe de synthèse temporelle, la narration du film original devient alors inintelligible, Cornell transformant ainsi un film exotique mineur en un portrait fétichiste d’une actrice oubliée. Également issu du collage et de l’assemblage, Bruce Conner est certainement l’un des premiers artistes à recourir à un usage explicitement critique du found footage. Dans A Movie (1958), par la réappropriation de rebuts de l’imaginaire médiatique américain (films de série B, girlie movies, films éducatifs, cinéjournaux), Conner formule une critique de la société de consommation et de sa fascination pour le spectacle de la destruction. À l’instar des Lettristes Maurice Lemaître et Isidore Isou dans leurs films respectifs Le Film est déjà commencé ? (1951) et Traité de bave et d’éternité (1951), Conner d’une part réaffirme la matérialité du film à travers une série d’interventions physiques sur la pellicule, d’autre part en montant les amorces de pellicule, révèle au public toute une dimension graphique du cinéma rigoureusement exclue et interdite lors d’une projection traditionnelle. A Movie constitue encore aujourd’hui un modèle théorique et formel dont se   réclame une certaine partie des cinéastes contemporains qui recourent au found  footage. En effet, dans les travaux des cinéastes présentés dans ce Festival, malgré la diversité des stratégies d’appropriation deployée et des supports utilisés,  une constante critique partagée avec le film de Conner persiste néanmoins. On retrouve donc dans les programmes conçus par Derek Woolfenden, la même volonté de subvertir les structures narratives traditionnelles, de manipuler les significations idéologiques inscrites dans les images et au final de remettre en question les fondements naturellement admis du langage filmique. 36


Derek Woolfenden Remerciements à Patrick Fuchs.

ÉLOGE du found footage En guise d’introduction… Morceaux choisis (ou petit Cadavre Exquis)

pour Khalid   « Le found footage, littéralement métrage trouvé, désigne à la fois un courant et une pratique cinématographique ayant pour point de départ la réutilisation de matériaux filmiques ou sonores préexistants. Par extension cette définition désigne le même procédé chez les artistes vidéastes, et ne se limite donc pas au support pellicule. […]. Vaches, moutons, chèvres, chameaux… Nombre d’animaux ont l’habitude d’avaler de la nourriture et, plus tard, de la régurgiter : c’est une technique propre aux ruminants, rendue possible par leur estomac compliqué, fait de quatre compartiments. L’homme omnivore a pris de son côté le penchant de recycler des images, peut-être tout simplement pour mieux les regarder. » Julia d’Artemare, Recyclage cinématographique : mode de remploi, Mémoire de fin d’études et de recherche à l’ENS Louis Lumière, 2009. « L’esprit qui préside à la créativité, c’est toujours de réunir des choses qui, apparemment, sont différentes. Toutes ces histoires de films, c’est la rencontre de choses différentes. […]. Chaque fois qu’une chose rencontre une autre chose, une connaissance nouvelle s’installe. Le fait même qu’une chose en rencontre une  autre crée une poétique, crée une liaison, une manière de construire des choses. […].  Lautréamont ne parlait que de ça quand il disait “Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie”. » Entretien avec Marc’O, Bonus DVD de la revue Les périphériques vous parlent, « Les conditions du visible ». « À défaut de pouvoir le caractériser par sa radicalité formelle, on a cherché à  définir négativement le cinéma expérimental par sa résistance à l’économie tra-  ditionnelle du film, en marge de laquelle il se construirait : refus de la diffusion  de masse et de l’exploitation commerciale des œuvres, refus de la narration, refus de la division des tâches (scénario, tournage, montage…), refus de l’abstraction  du support que le cinéma narratif traite comme une simple fenêtre ouverte sur le monde, au profit d’une valorisation de ses propriétés plastiques, etc. Mais là encore cette tentative de clarification tourne court : ainsi qu’en témoignent les pratiques de la remise en scène (le remake) et du remontage (le found footage), le cinéma expérimental se constitue souvent par prélèvements dans l’histoire du cinéma et, inversement, les procédés expérimentaux finissent un jour ou l’autre par s’intégrer au lexique usuel de la production traditionnelle. S’il existe  une coupure entre cinéma expérimental et cinéma industriel, celle-ci se passe à  l’intérieur du système industriel, entre un cinéma de création et un cinéma à visée strictement marchande. Certains cinéastes parviennent à s’accommoder ou   à exploiter les contraintes de la production industrielle, d’autres non, et l’on pour-  rait avancer que les cinéastes expérimentaux, en déplaçant la fabrique du film  du studio à l’atelier, ouvrent le cinéma à l’univers des arts plastiques. » PhilippeAlain Michaud, livret du dvd Le mouvement des images, Centre Pompidou. 37


1. ORIGINES MÉCONNUES (OCCULTÉES OU NON AVOUÉES) DU FOUND FOOTAGE « Les premiers exemples de réutilisation d’images répondent moins à une surabondance de matériaux visuels qu’à un souci d’économie. L’utilisation d’archives naît lors de la première décennie du 20e siècle, une fois le cinéma établi en corporation d’entreprise : de vieilles images d’archives servent à illustrer les actualités ou fournissent à bon marché des plans d’exposition pour courts-métrages documentaires. Aux débuts du cinéma soviétique, les kinoks produisent de nouveaux montages par nécessité, le matériel de tournage et la pellicule étant difficiles à trouver. Les fameuses expériences de montage de Lev Koulechov emploient des bobines recyclées de l’univers publicitaire ; en utilisant des extraits du comédien pré-révolutionnaire Ivan Mosjoukine pour illustrer ce que l’on appellera plus tard l’effet Koulechov, il crée ce qui pourrait être considéré comme le premier film remixé. »  Ed Halter, Recycle It, A look at found footage cinema, from the silent era to Web 2.0, site web Moving Image Source, 2008. On associe le found footage à certaines images montées qui circulent à foison sur internet et qui ne sont autres que des clips vidéos sans grande originalité et aux formules esthétiques éculées. Le remploi d’image (ou found footage) est hypocritement accusé et taxé aujourd’hui alors qu’il est fondamentalement interdépendant du régime esthétique hollywoodien comme du cinéma mondial. En voici les principaux pôles : – L’utilisation des images d’archives pour renforcer l’aspect inédit, unique du film, mais aussi son caractère « crédible » et sa dimension économique. Les images d’archives peuvent faire intégralement parties d’un remontage (La guerre d’un seul homme de Edgardo Cozarinsky). Les images archivées de guerre sont utilisées à foison par l’industrie hollywoodienne comme l’atteste ces titres parmi tant d’autres : Première Victoire de Otto Preminger, Les Chemins de la Gloire ou Air Force de Howard Hawks, Les Forçats de la gloire de William Wellman. Et même des images scientifiques y sont exploitées dans un film habile comme Les soucoupes volantes attaquent de Fred F. Sears ou Le Jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise : « La séquence où les lumières de toutes les villes du monde s’éteignent a été réalisée par le Département des Effets Spéciaux de la Fox. Il s’est servi des actualités en faisant des arrêts sur l’image, tout en doublant d’autres pour que les gens puissent bouger au milieu des voitures stoppées.  Dans certains cas je crois qu’ils ont poussé le souci de perfection jusqu’à peindre quelques raccords. Mais la base de toute cette séquence a été l’utilisation   de stock-shots. » (Entretien avec Robert Wise, paru dans Écran, février 1972) Dans la production italienne des « années de plomb », et même avant (l’attentat et la panique générale réemployés par Mario Monicelli pour Un héros de notre temps, via la télévision) : le « zaponage » des identités de la foule dans les images d’archives du générique du film Viol en première page de Marco Bellocchio, certaines images de coupe de Cadavres exquis de Francesco Rosi, Nous voulons les colonels de Monicelli, le défilé militaire ridiculisé par la fiction dans le montage parallèle du General in rittrata de Monicelli toujours et tiré du film 38


à sketchs Messieurs et Mesdames, Bonsoir. Ou Cannibal Holocaust qui joue des vraies exécutions animales filmées d’un œil volontairement complaisant et des simulacres de morts humaines afin que le spectateur fasse un transfert et mélange la barbarie avec sa représentation… – Le principe de « stock shot » (banque d’images) est indissociable du cinéma hollywoodien. En effet, on retrouve certains plans d’un film à l’autre, des plans de coupe identiques d’un cinéaste à un autre à l’image de certains décors réutilisés ! On peut reconnaître le même plan des pylônes télégraphiques des Pionniers de la Western union de Fritz Lang dans La charge Héroïque de John Ford. Ou la charrette en feu et les plans de bison au début du film toujours dans Les Pionniers de la western union et Buffalo Bill de William Wellman. William Lustig utilisera aussi des plans qu’aurait tourné Dario Argento (Inferno) pour son film Maniac (plans de coupe nocturnes, au-dessus de la ville de New York). Des carambolages de voitures dans certains films italiens se retrouvent également d’un film à l’autre (La Rançon de la peur et Brigade spéciale de Umberto Lenzi). – La découpe du comédien devant un fond d’images projetées (du cache contre-cache au travelling matte, la transparence de la back projection à la front projection). Ce procédé économique (et de sécurité pour l’équipe technique comme pour les comédiens) transforme certaines images (celles apparaissant derrière le comédien) en toile de fond décorative et s’y soumettent en faveur de l’autorité de celle favorisant la vedette. D’une certaine manière, il s’agit également d’un remploi d’images au regard d’une certaine hétérogénéité à l’intérieur d’un même plan… Hitchcock en a fait une figure de style, Walsh une dynamique rythmique, et le film hollywoodien une économie redoutable que certains cinéastes réussirent à briser malgré tout à quelques reprises (John Ford, William Wellman, Jules Dassin, André De Toth pour ne citer qu’eux). – Les plans de coupe réalisés par une seconde équipe peuvent être également  considérés comme réemployés, surtout ceux montrant des paysages (le western) ou montrant un aspect social que la fiction va venir se réapproprier pour le montage de certaines de ses ellipses : les plans de pêche du Harpon rouge de Hawks, les plans de troncs d’arbre que l’on fait échoir dans le fleuve de La Vallée des géants de Felix E. Feist à Come and get it de William Wyler (et Howard Hawks), les plans de grands travaux du Rebelle de King Vidor à Gouverneur malgré lui de Preston Sturges. Les Cadavres ne portent pas de costard de Carl Reiner transforme une douzaine de classiques du film noir américain en « stock shot » et plans de coupe afin de mieux fondre Steve Martin dans le « décor ». – La manipulation d’images : Godzilla de Ishiro Honda modifié avec ses ajouts de scènes additionnelles par les Américains (avec Raymond Burr filmé par Terry O. Morse pour faciliter la distribution en salles) puis par Luigi Cozzi qui va même coloriser le film. Caligula et ses rajouts de plans pornographiques par le producteur et dans le dos de son réalisateur Tinto Brass. Le Jeu de la mort de Robert Clouse intègre les images de Bruce Lee défunt afin d’exploiter jusqu’au bout sa vedette, Citizen Kane de Orson Welles, Zelig de Woody Allen, La disparition : variations sur des photos politiques truquées de Alain Jaubert, Forrest Gump de Robert Zemeckis (Tom Hanks serre la main du président défunt Kennedy), Capitaine Sky et le monde de demain de Kerry Conran (refaire « vivre » et jouer Laurence Olivier !), Filles du désir (Girlsapoppin) de Kwott Good (« L’essentiel de cet insolite jalon dans la filmographie des voyages dans le temps est constitué d’un montage de 40 bonnes minutes de séquences empruntées à de sublimes burlesques de l’âge d’or du slapstick, souvent méconnus et parfois géniaux », Jean-Pierre Bouyxou, La science-fiction au cinéma), Douce nuit, sanglante nuit 2 de Lee Harry (qui utilise, grâce à l’alibi narratif du flash back, 40 minutes du premier opus que réalisa, quatre ans plus tôt, Charles E. Sellier Jr !)… « Godzilla étant trop court pour les standards des années 70, Cozzi rajoute des scènes du Train de John Frankenheimer, du Retour de Godzilla, du Monstre des temps perdus et du Jour où la Terre prit feu. Il ajoute également des scènes d’actualités montrant des morts et des destructions. » (Jérôme Wybon, rubrique « Mad Cut », Godzilla, Revue Mad Movies nº265, 2013) 39


[1] « Le film est lui-même devenu une sorte d’espace publicitaire par le biais de l’utilisation, au cours de la narration, d’objets et produits de marques bien précises. Cette méthode existe depuis la mainmise des firmes multinationales sur Hollywood et l’utilisation des films comme support de promotion des produits fabriqués par les autres filiales des groupes propriétaires. Le nec plus ultra en la matière réside dans le mariage entre le placement de produits lors du tournage et le tie-in : promotion croisée entre la campagne d’une marque, présente ou non dans le film, et celle du film lors de l’exploitation de celui-ci. Ray-Ban a ainsi triplé les ventes du modèle de lunettes porté par les héros de Men in Black grâce à cette méthode. En France, une demi-douzaine d’agences spécialisées dans ce genre de pratiques existent déjà » (Carlos Pardo, « Marketing contre cinéma d’auteur », Le Monde diplomatique, mai 1998). Plus récemment, Google se superpose sur les deux comiques du film Les stagiaires de Shawn Levy (2013) ou le tube de colle UHU partage la vedette des protagonistes virtuels du film d’animation Moi, moche et méchant 2 de Pierre Coffin et Chris Renaud (2013) ! [2] « Il va de soi que l’on peut non seulement corriger une œuvre ou intégrer divers fragments d’œuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on jugera bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations. » (Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman, Mode d’emploi du détournement, paru initialement dans Les Lèvres Nues, No8, Mai 1956)

– Le contrechamp documentaire est saisissant dans son face à face avec la fiction. Un exemple magnifique est celui de Jacques Perrin, dans La Corruption de Mauro Bolognini, visitant un monastère dans lequel il voudrait aspirer à vivre sa foi. Mais ce contre champ impossible – texture d’image granuleuse traduisant des plans volés et une interdiction de filmer à l’intérieur de ce lieu saint – préfigure l’échec final du jeune protagoniste ; il perdra son innocence au cours d’une croisière estivale orchestrée par son propre père. Il ne pourra donc jamais plus y retourner pour prononcer ses vœux. Ou superposer deux régimes d’images qui ne peuvent communiquer via l’opposition des régimes picturaux représentés, mais qui interchangent leur relation au « réel » dans Libera mon amour de Mauro Bolognini (et Saloon Kitty de Tinto Brass). Dans le cinéma américain, le found footage est à double tranchant : 1. C’est un reflet social (voire clinique) et esthétique d’une période donnée, tel un double monstrueux et négatif : Fondu au noir de Vernon Zimmerman, Tribulation 99 : Alien Anomalies Under America de Craig Baldwin, Trouble in the image de Pat O’Neill… 2. C’est une pratique lucrative qui permet de revitaliser le fonds productif d’un grand Studio : Les cadavres ne portent pas de costard de Carl Reiner, That’s Dancing ! de Jack Haley Jr., Precious Images de Chuck Workman… Et les figures des cartoons que les gros Studios (re-)médiatisent pour faire revivre un filon vendeur surtout s’il triomphe de la clientèle enfantine qui va venir l’éprouver : Qui veut la peau de Roger Rabbit ? de Robert Zemeckis, Space Jam de Joe Pytka, Looney Tunes : Back in Action de Joe Dante… « Le secret de l’industrie moderne, c’est l’utilisation intelligente des résidus. » Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père

2. LE FOUND FOOTAGE, UN BOUC ÉMISSAIRE IDÉAL ? « Inutile de nous soucier des lois qui ne sont pas inscrites dans notre cœur. » Dos Pasos, Terre élue. On peut le constater encore (et surtout) dans le paysage industriel du cinéma que le marketing [1] d’un film ne correspond pas au film dit expérimental et, par extension, au film dit de found footage. Celui-ci recréé un espace de liberté en renouant et récupérant par le montage (via ceux qui convoquent une imagerie figurative et populaire) un scénario originel et un film « affecté » [2], et sans autres prérogatives qu’un amusement critique et esthétique. « Comme on le sait, le marketing n’entre pas en jeu seulement lorsqu’un film est terminé. Il appartient à un mode de pensée économique qui globalise toute l’opération de production, et qui démarre loin en amont du tournage proprement dit. C’est-à-dire, essentiellement, au niveau du scénario. On va donc orienter les choix à ce stade-là vers ce qui peut être prometteur au sens de la recherche du public, cela me paraît inévitable. Ce qui est contraire à la liberté d’expression. Toute commission nommée pour accepter ou refuser un scénario est bien entendu libre de ses choix. C’est la règle du jeu. Néanmoins, elle ne doit en aucun cas avoir comme critère de choix la potentialité économique du

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[3] « On sait que Lautréamont s’est avancé si loin dans cette voie qu’il se trouve encore partiellement incompris par ses admirateurs les plus affichés. Malgré l’évidence du procédé appliqué dans Poésies, particulièrement sur la base de la morale de Pascal et Vauvenargues, au langage théorique – dans lequel Lautréamont veut faire aboutir les raisonnements, par concentrations successives, à la seule maxime – on s’est étonné des révélations d’un nommé Viroux, voici trois ou quatre ans, qui empêchaient désormais les plus bornés de ne pas reconnaître dans les Chants de Maldoror un vaste détournement, de Buffon et d’ouvrages d’histoire naturelle entre autres. » (Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman, Mode d’emploi du détournement, paru initialement dans Les Lèvres nues no8, mai 1956). [4] « Il importe dès lors de les (Projet Blair Witch, Documents interdits, Cannibal Holocaust) considérer pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des trompel’œil, si l’on considère que la fiction n’est rien d’autre qu’un trompe-l’œil qui a intégré le temps. Il devient dès lors possible de les replacer dans une tradition de l’image, et notamment de l’image peinte, qui a pour origine l’image religieuse, puisque c’est un jeu sur la vérité de l’image qui apparaît, parmi d’autres sujets, au travers de leurs scénarios. […] Dans la peinture religieuse, ce sont les saints qui attirent l’attention du spectateur sur ce qu’il convient de vénérer comme vérité, en pointant l’index : non seulement saint Thomas vérifie l’authenticité de la plaie du Christ, mais surtout, par le biais du peintre, il nous la montre. » (Richard Leydier, « Footage de gueule ! », Artpress, Hors série « Représenter l’horreur », mai 2001)

projet, mais uniquement ses qualités artistiques. Or, ici, on voit la dérive qui peut s’amorcer lorsque le ministre lui-même, avec ses gros sabots, réclame et proclame l’avènement d’un cinéma ’ populaire’. […]. On tolère qu’un récit prenne ses racines dans un fait historique ou un problème d’ordre social, et que l’auteur prenne position, mais à condition que les formes du film ne se départent jamais de la narration traditionnelle. Un discours qui participe à la déconstruction de cette narration n’est plus du tout toléré. Et s’il existe encore, il est relégué dans une marge de plus en plus étroite. » Alain Tanner, Ciné-mélanges. Une hypocrisie morale et sociale voudrait associer le found footage à un artisanat facile et opportuniste (associé au phénomène du Vjing ou au suédage qu’a provoqué la sortie du film de Michel Gondry, Soyez sympas, rembobinez). Il y a en effet du bon et du mauvais en toutes choses, mais le found footage que défendra le Kino Club dans cette séance mensuelle exceptionnelle au Shakirail (et en partenariat avec le festival des cinémas différents) voudrait témoigner de la richesse critique, formelle et plastique de cet artisanat finalement mal représenté et mal défendu. Du cinéma de fiction au cinéma expérimental, le found footage est un sous-genre représentatif de nos sociétés actuelles que les évènements du World Trade Center sont venus d’une certaine manière exploser ! Ses pratiques peuvent être tour à tour associées au « remixage » (écho musical), au « recyclage » (écho écolo), au « remploi » (écho économique), mais surtout on oublie que le found footage s’intègre aussi parfaitement à une logique culturelle qui toucha, par exemple la littérature [3] et la peinture [4]. « Alors qu’Esther Shub (pionnière du cinéma russe et du rémploi d’images entre autres) entame ses expériences documentaires, les artistes avant-gardes du 20e siècle commencent de même à utiliser à de nouvelles fins des morceaux d’éphémères produits à grande échelle. Picasso et Braque insèrent des morceaux de journaux dans leurs tableaux ; Walter Benjamin, T.S. Eliot et James Joyce poussent la pratique littéraire de la citation jusqu’au pastiche ; Marcel Duchamp est un pionnier de l’assemblage sculptural avec ses ready-made ; quant au photomontage il s’épanouit dans les œuvres graphiques de John Heartfield, Hannah Höch, et Alexander Rodchenko. Ces œuvres réarrangent la réalité à la volonté artistique de leurs créateurs mais, à la différence des films de compilations, ne tentent pas de masquer leur manipulation. Qu’ils soient cubistes, dadaïstes ou constructivistes, ces artistes ont choisi de déranger les nouvelles réalités des mass medias plutôt que les reproduire, savourant l’illogisme des disjonctions oniriques et imposant de nouvelles façons de voir des images devenues trop banales. » Ed Halter, Recycle It, A look at found footage cinema, from the silent era to Web 2.0, site internet Moving Image Source, 2008. En effet, John Dos Pasos, dans Terre élue, emprunte à plusieurs reprises quelques paragraphes de l’historien Edward Gibbon (Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain) ou encore Roland Barthes construit Fragments d’un discours amoureux en décortiquant, entre autres, Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. Et finalement, même la nouvelle vague de films horrifiques de « faux » found footage (Rec, Redacted, Cloverfield, V/H/S, The Bay…) pourrait s’apparenter au roman épistolaire qui a donné parmi les plus beaux fleurons de la littérature européenne (Lettres persanes, Les Liaisons dangereuses, Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis…) tandis que le found footage expérimental tirerait son origine du centon, genre littéraire pratiquée depuis l’Antiquité tardive qui consistait en une œuvre composée de plusieurs éléments d’autres œuvres et qui étaient agencés et réarrangés de manière à former un nouveau texte. En peinture, le found footage est proche du trompe l’œil. On comprend donc mieux que c’est bien dans le film d’horreur ou le film expérimental que le found footage parodie la dictature « vériste » des caméras et de leur point de vue souvent inquisiteur jusqu’aux débordements les plus absurdes que les 41


deux sous-genres déclinent et exploitent à outrance pour notre plus grand bonheur ! Le film de found footage témoigne aussi de la réappropriation par l’artiste de sa vie réelle, via l’intermédiaire des images qu’il reçoit tous les jours. Notre vie réelle, on le sait, est affectée par un environnement publicitaire de tous les instants qui n’est plus seulement lié à la télévision ou à internet. L’invasion des néons et des marques a déjà été accomplie. « Nous sommes devenus lucides. Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué. “Telle est la vérité, disons-nous. Vous pouvez toujours la discuter, ça ne nous intéresse pas. Mais dans quelques années, il y aura la police, qui vous montrera que j’ai raison.” […]. Oui, l’enfer doit être ainsi : des rues à enseignes et pas moyen de s’expliquer. On est classé une fois pour toutes. » Albert Camus, La chute.

3. DÉFENSES IMMUNITAIRES PROPRES À LA PRATIQUE DU FOUND FOOTAGE « J’avais l’habitude de rire quand les gens me disaient ce que je voulais dire dans mes films ; mais plus tard il m’est venu à l’idée qu’il existe peut-être une manière inconsciente de faire certaines choses et qu’un critique super-intelligent pourrait leur trouver une signification, même si l’on n’est pas très sûr soi-même de ce que l’on veut dire. » Entretien avec Fritz Lang, Cinéma 62, novembre 1962. De nos jours, on vit dans une société occidentale ultra-protectrice qui joue de nos perceptions visuelles pour mieux contrôler notre corps et en faire une valeur marchande, rentable. La vue est notre organe le plus manipulé, et pour cause, c’est par lui qu’on a nos premiers jugements de valeurs les plus rapides et tenaces (préjugés, opinions). C’est pourquoi, le found footage (dé)joue notre perception immédiate (des images utilisées antérieurement ont forcément un air de « déjà vu »), c’est une pratique à la fois critique (récupérer des images, c’est généralement les détourner de leur intention) et ludique (ce détournement implique forcément un jeu). « Nous passons en effet beaucoup trop de temps à nous lamenter sur les images et leurs dangers supposés, nous ferions mieux de nous questionner au contraire sur les raisons pour lesquelles l’être humain s’en est entouré dès l’origine. Car non seulement les images ne nous empêchent pas de penser, mais elles sont même la première condition pour y parvenir. […]. Bref, les modèles cinématographiques n’hypnotisent qu’à la mesure du désir de leur spectateur de l’être. » Serge Tisseron, Comment Hitchcock m’a guéri. Aujourd’hui, tout est une question de mise en boîte du regard, on peut être à la fois scandalisé par un événement médiatique retransmis à la télé et insensible aux êtres démunis qui nous entourent. Tout nous est devenu subjectif. Jamais notre œil n’a été aussi naïf paradoxalement à toutes ces nouvelles technologies audio-visuelles qui se créent. « Le cinéma, quel merveilleux véhicule de propagande pour la vente de produits de toutes sortes ! s’exclame-t-il un jour. Il suffirait de trouver une idée originale pour attirer l’attention du public et, au milieu de la bande, on lâcherait le nom du produit choisi. » Madeleine Malthète-Méliès, Méliès l’Enchanteur. 42


[5] « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire. » (Noam Chomsky) [6] « Dès les années 1950 et 1960, c’est aux États-Unis, que pour la première fois dans une “société démocratique libre”, a été mise au point l’orchestration de tous les modernes moyens techniques d’intimidation mentale : télévision, radio, publicité, presse, cinéma, affiches… Aucun aspect de la vie intellectuelle, sentimentale ou émotive ne fut laissé en repos : l’homme était cerné de toutes parts. Ce qui ne tarda pas à être dénoncé par des intellectuels comme Herbert Marcuse qui, ayant connu la puissance de propagande du nazisme, se révolta contre “la puissance répressive de la société de consommation”. “L’asservissement du consommateur à l’escalade des besoins et des marchandises, écrit Marcuse, et la création continuelle de besoins nouveaux exacerbent les contradictions à l’intérieur du système et nécessitent inéluctablement l’intensification des contrôles répressifs. […] Cela se traduit par la production accélérée d’un vaste déchet, les gadgets, l’obsolescence planifiée, et la marchandise de destruction. Les luxes deviennent des nécessités que l’individu – homme ou femme – doit acquérir sous peine de perdre son ‘statut’ sur le marché compétitif, au travail, dans les loisirs. Cela à son tour aboutit, pour lui, à la perpétuation d’une existence vouée tout entière aux performances aliénées, déshumanisées, à l’obligation d’obtenir un pouvoir d’achat adéquat en trouvant et en conservant un emploi qui reproduit l’asservissement et le système d’asservissement.” » Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses.

Avant les événements ultra-médiatisés du 11 septembre 2001, le found footage  était sans doute beaucoup plus cantonné au cinéma expérimental qu’il ne l’est aujourd’hui. Le found footage, très souvent, se (dé)joue du réel, le mime et s’en moque par l’intermédiaire d’images composites qui traduisent souvent d’un environnement social de plus en plus, lui-même, composé d’images en tous genres (tracts, publicités, marques, enseignes, graffitis,…). Il n’y a plus de distinction entre une « réalité » composite (et proche du zapping télévisuel via les espaces  publicitaires urbains qui nous environnent) et une réalité sociale qui questionne la précarité de l’animal social que nous sommes. C’est cet état des lieux qui   est purement choquant ! Et le compromis cinématographique, si expérimental  soit-il, des plus intéressants témoignant de ce phénomène, est le found footage…  « C’est évidemment dans le cadre cinématographique que le détournement peut atteindre à sa plus grande efficacité, et sans doute, pour ceux que la chose préoccupe, à sa plus grande beauté. Les pouvoirs du cinéma sont si étendus, et l’absence de coordination de ces pouvoirs si flagrante, que presque tous les films qui dépassent la misérable moyenne peuvent alimenter des polémiques infinies entre divers spectateurs ou critiques professionnels. Ajoutons que seul le conformisme de ces gens les empêche de trouver des charmes aussi prenants et des défauts aussi criants dans les films de dernière catégorie. » Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman, Mode d’emploi du détournement, paru initialement dans Les Lèvres Nues, no8, mai 1956.

4. En guise de conclusion… Et pour en finir avec certains malentendus. « L’écran qui, dans le bureau du tyran de Metropolis, lui permet de voir en tout lieu et à tout instant le moindre ouvrier à son poste, n’était en 1926 qu’un cauchemar de science-fiction, le rêve malsain de Big Brother. En 1960, Mabuse-bis (Le Diabolique Docteur Mabuse), claquemuré dans sa pièce secrète, aveugle en apparence, dispose des “mille yeux” de la technologie futuriste, et cette technologie n’a pas à être anticipée, elle existe. La télévision, percée scientifique et démocratique, offre aux démagogues présents et à ceux de l’avenir une chance sans précédent d’aliéner les masses à leur profit. C’est l’hypnose du premier Mabuse étendue aux dimensions de l’univers. » Michel Mesnil, Fritz Lang, Le Jugement. Un autre facteur déclencheur d’une vague de films de found footage correspond à la frustration qui émane d’un régime totalitaire (caché derrière toute démocratie aujourd’hui [5]) dont la principale prérogative économique est de vendre, et donc frustrer le citoyen consommateur à recevoir et non donner. Un processus parallèle fragilise la culture ; on l’historicise pour mieux isoler les canons qu’elle aurait pu représenter ou créer, surtout quand elle a été subversive ! La culture devenue brocante empêche toute relève, toute jeunesse et autre remise en question qui renouvellerait celle-ci et l’aiderait à prendre d’autres formes. Face à cette frustration, le cinéaste de found footage devient artiste martial et prend de force ce que la société lui vend ou donne (à charge de revanche) pour l’incarner dans son film et faire se contredire les idéaux mensongers [6] de celle-ci ; il participe du geste de détournement. 43


[7] « Dans maints domaines, l’Amérique s’est assuré le contrôle du vocabulaire, des concepts et du sens. Elle oblige à énoncer les problèmes qu’elle crée avec les mots qu’elle-même propose. Elle fournit les codes permettant de déchiffrer les énigmes qu’elle-même impose. Et dispose à cet effet de quantité d’institutions de recherche et de boîtes à idées (think tanks), auxquelles collaborent des milliers d’analystes et d’experts. Qui produisent de l’information sur des questions juridiques, économiques et sociales dans une perspective favorable aux thèses néolibérales, à la mondialisation et aux milieux d’affaires. Leurs travaux, généreusement financés, sont médiatisés et diffusés à l’échelle mondiale. Les principaux fabricants de cette propagande secrète –  le Manhattan Institute, la Brookings Institution, l’Heritage Foundation, l’American Enterprise Institute, le Cato Institute – ne lésinent pas à inviter massivement, à leurs séminaires et débats, journalistes, professeurs, fonctionnaires, dirigeants, victimes consentantes de cette persuasion clandestine qui vont ensuite la diffuser partout. En s’appuyant sur le pouvoir de l’information, du savoir et des technologies, les ÉtatsUnis répandent la “bonne parole” et établissent ainsi, avec la passive complicité des dominés, ce qu’on pourrait appeler une oppression affable, ou un délicieux despotisme. Surtout quand ce pouvoir doucereux se double d’un contrôle des industries culturelles et de la domination de notre imaginaire. » Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses.

Le principe économique du cinéaste de found footage relève d’une précarité due à ses origines, mais aussi sous-tend qu’il n’a plus rien à l’exception de ces images qu’il subit (ingurgite) bon ou mal gré. Un cinéaste de found footage rentre donc dans une dialectique forcément critique parce qu’il reconduit des images préexistantes que seul un titre pourrait suffire à détourner, une voix off complémentaire ou le remploi d’autres images au montage : les solutions y sont infinies. L’artiste/vidéaste/cinéaste y fusionne avec le critique dans cette distanciation induite par la reprise d’images. « L’une des caractéristiques de l’avant-garde au xx e siècle est précisément celle-ci : l’autocritique du fait visuel, par ses inéluctables réactions en chaînes, a été déterminante dans tous les autres secteurs de la création. » Pierre Cabanne et Pierre Restany, L’Avant-Garde au xx e siècle. Pourtant, le cinéma de found footage est très mal connu parce que très mal représenté. Soit il est alarmiste et il nourri les diverses théories de complot racoleuses et opportunistes [7] (Dial History de Johan Grimonprez projeté à la Gaîté Lyrique cette année) qui, finalement, ne servent qu’à transformer une réalité en fiction attrayante (« Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation », Debord), voire en film catastrophe (via le montage des derniers films de Michael Moore), ou bien il s’apparente à une longue publicité faisant l’apologie soumise d’une histoire du cinéma bien admise (Final Cut : Ladies and gentlemen de György Palfi). « Les documents rassemblés puis placés dans un cadre de référence sont archivés dans la mémoire, et plus il y a de documents accumulés, plus le court-circuit de l’inspiration de se déclencher. Mais ce n’est pas forcément aussi accidentel. Ce qu’on appelle ’penser hors des sentiers battus’ est peut-être une forme d’état mental détendu plutôt qu’un acte délibéré, état susceptible d’être reconnu et, dans une certaine mesure, cultivé. “Penser hors des sentiers battus”, serait-ce un autre terme pour désigner ce qu’Arthur Koestler appelle la “bissociation” ? Koestler a forgé ce terme pour décrire un phénomène qu’il nomme l’ ’Acte de Création’. C’est l’étincelle qui fait jaillir des concepts originaux, un événement qui a lieu dans un état de demi-conscience ou de distraction, quand l’esprit fait des associations d’idées. Koestler compare ce moment à une sorte de court-circuit mental qui établit une connexion entre deux cadres de référence auparavant séparés. » Alexander Mackendrick, La Fabrique du cinéma ; l’auteur fait ici référence au Cri d’Archimède : l’art de la découverte et la découverte de l’art d’Arthur Koestler. Les films de found footage montrés au Shakirail participent donc d’une sélection « insurrective » qui, je l’espère, rendra visible un sous-genre expérimental bien plus passionnant et subversif qu’on nous a laissé paraître jusqu’ici.

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Frédéric Tachou

found footage ET FÉTICHISME

En se plaçant d’un point de vue spectatoriel, nous, les adultes d’aujourd’hui, pouvons reconnaître sans peine l’importance du rôle que tint le cinéma durant notre enfance. Avant nous déjà, quelques générations en furent aussi imprégnées. Aragon par exemple, appartenant à l’une des toutes premières qui grandit avec l’écran, raconte dans l’un de ses romans comment Anicet, qui est un peu son double, confondait en permanence la fiction et la réalité, interprétant sa propre vie comme le déroulement d’un scénario de film policier formidable de rebondissements et d’imprévus. Nous ne nous attarderons pas sur les phénomènes de masses où l’on voit quantité de gens imiter les tenues vestimentaires et le style de conduite de telle ou telle star, véritables cultes libidinaux collectifs, qui interrogent depuis longtemps les sociologues. Il est évident que plus la structure psychique de l’individu est encore « tendre », si l’on peut dire, plus le cinéma capte facilement son imagination.  Ainsi, nous tous dans notre enfance, avant l’ère des nouveaux « capteurs d’imagination » développés par les nouveaux outils médiatiques, avons grandi, appris et rêvé avec des figures et des situations vues au cinéma et à la télévision. L’un et l’autre nous ont nourri comme une mère. Des philosophes d’ailleurs, considèrent que la consommation culturelle de masse, et plus spécialement celle des films, s’est substituée partiellement aux formes de transmission traditionnelles intergénérationnelles des contenus symboliques. Un peu comme si le cinéma et son rituel, consistant à vivre intensément les aventures des personnages, dispensait du devoir de raconter aux enfants l’Histoire par le prisme de l’histoire familiale et l’histoire familiale par le prisme des anecdotes. Bien sûr, des films importants ont contribué à nous enrichir et élever nos esprits vers des motifs valables, mais pour combien de kilomètres de pellicule et de salves électroniques réduisant le réel à des formules ineptes. La prégnance des films, ou plutôt pour chacun de nous d’un répertoire de films dans lequel, croit-on, résident quelques facteurs ayant déterminé notre individuation, a très souvent débordé notre imagination et atteint notre corps. Cela se manifeste parfois lorsqu’on adopte à l’égard de soi-même un point de vue extérieur pour s’apprécier exactement comme si l’on appréciait un acteur en train de jouer un rôle, et la spirale de l’auto-observation narcissique va parfois très au-delà de l’aliénation ordinaire, devenant même dans certains cas la condition permanente d’un Moi dissocié, un peu comme Anicet dans le roman. On peut résumer tout cela en disant que le cinéma modela grandement notre vie intérieure et aussi notre créativité. C’est sur ce second point précisément que vont porter mes remarques. Les images que nous avons vues dans les films constituent donc un catalogue d’expériences assez comparables à des expériences vécues. C’est surtout valable pour celles qui nous font voir/ vivre ce qui est rarement visible / viable : le crash d’un avion, le naufrage d’un 45


navire, les explosions, l’action de tuer ou d’être tué, le risque de la chute fatale dans des moments d’extrême péril en frôlant le vide, perdant le contrôle, trébuchant, défaillant, les face-à-faces décisifs où se joue le destin et s’énoncent des paroles mythiques, etc. Et nous réitérons inlassablement le désir de revoir/ revivre ces choses afin de maintenir le plus longtemps possible en activité le cordon ombilical qui nous lia à nôtre mère Le cinéma. Une des méthodes pour y parvenir consiste non pas à inventer de nouvelles images comme le font la plupart des cinéastes, mais à se nourrir inlassablement de celles qui ont déjà été faites. Si le cinéphile s’est installé sur le versant passif de cette méthode, le cinéaste pratiquant le found-footage s’est lui installé sur son versant actif. La tentation est grande d’analyser la pratique cinématographique du found footage, qui rappelons-le consiste à reconstruire du cinéma à partir de fragments de films épars, dans les termes où le psychanalyste André Green parle de la création, autrement dit en appliquant à un acte de re-création, re-construction, des critères originellement destinés à la création et à la construction. La création, pense-t-il, se situe entre l’incréable et la rencontre avec l’autre par l’entremise de l’œuvre élevée au statut d’objet « transnarcissique ». L’incréable est la source, la réserve dont on hérite et d’où l’on tire le pouvoir de créer, comme nous n’obtenons le pouvoir d’agir qu’en étant séparés du corps de la mère, corps de sa créatrice auquel on reste ancrés pourtant. L’objet transnarcissique est l’œuvre achevée consommée par l’autre. A. Green parle du lecteur, donc du texte littéraire comme objet transnarcissique, mais nous pouvons appliquer cela au film dans un sens plus collectif quand l’auteur et le récepteur deviennent des doubles réciproques. Dans l’œuvre se projette le narcissisme de l’un, le spectateur, qui y rencontre pour s’y unir le narcissisme projeté par l’autre, le créateur. Baudelaire décrivait cette rencontre avec la notion de tempérament : « L’individualisme bien entendu » ou « complexe de sensibilité et de raison » du récepteur, en l’occurrence le critique, entre en harmonie à travers l’œuvre avec le tempérament de son auteur. Leurs passions partagées les confondent et stimulent la raison vers des intuitions élevées. Avec le found footage, la mère, la matrice, le corps incréé d’où le cinéaste tire son pouvoir de créer est le cinéma lui-même. Comment les images du cinéma peuvent-elles à ce point supplanter les images surgies des fantasmes inconscients attachées aux premiers objets investis motivant chez le créateur l’enchaînement de toutes ses créations ? Qu’est-ce qui le pousse à renoncer à l’énergie du désir narcissique et de l’individuation, à n’être pas créateur mais plutôt re-créateur ? Il y a certainement là un mobile psychique qui tiendrait d’une stratégie d’occultation, de refoulement, ou peut-être à la présence d’une autorité introjectée interdisant au cinéaste de found footage l’accès à son histoire d’avant/derrière le cinéma. Dans tous les cas, le cinéma ferait parfaitement « écran » à l’incréable authentique en tant que lieu de son double mystifiant. Mais l’analyse du créateur n’est pas le sujet. Avec le cinéma comme matrice, le cinéaste de found footage trouve donc ses motivations dans le réservoir presque infini de toutes les images qui ont été tournées, comme si elles constituaient les atomes du corps premier auquel il serait ancré, autrement dit du corps dont lui-même serait fait. L’image, loin de le séduire par son pouvoir d’illusion faisant croire que ce que l’on voit existe bel et bien, derrière, le séduit en tant que réalisation magique : l’image n’est pas l’image de quelque chose mais un en soi recelant sa propre vérité. Au moment où il est d’abord spectateur, le cinéaste de found footage ne reconnaît personne d’autre que Soi dans l’image, parce que son fantasme est l’image et l’image est son fantasme. Il n’y a pas de narcissismes, de je, en jeu. Lorsque dans un second temps il ré-assemble les images collectées ou qui lui sont venues (provocant comme dans ces montages aléatoires à partir d’un zapping télévisuel l’illusion magique que l’on révèle du média son texte inconscient), il se pose comme passeur d’un fantasme non-individué. Son savoir-faire se 46


réduit en effet à la recombinaison du déjà fait. Son je est déjà confondu avec le nous dans lequel il invite chacun à se fondre afin de partager le plaisir de renouer avec le cinéma comme matrice. Il y a quelque chose de religieux dans cette messe où chacun par l’amour du cinéma doit se reconnaître comme partie constitutive de ce tout bienfaisant, ou au contraire dans la conjuration de ses côtés malfaisants : nous nous souvenons de Surplus (2008) d’Artist duo Doplegenger présenté l’an passé, recomposant le texte de l’obsession sexuelle oppressante des clips publicitaires. Cette œuvre fascinante ne visant pas le discours, démontre peut-être même la vanité de toute ambition qui chercherait à en construire un sur ce thème. En se plaçant d’un point de vue créatoriel, il y a surtout de la part du cinéaste de found footage une attitude fétichiste en ce qu’elle tient du déni. Le déni consisterait à refuser d’apercevoir et de nommer derrière les images le processus d’élaboration idéologique et industriel visant à nous séduire, nous subjuguer, nous tromper et nous conditionner. Avec le temps et l’acculturation à ses règles complexes de signification, nous reconnaissons généralement avoir été trompés par le cinéma lorsque nous étions enfants, et découvrons le chiffre de son système : il n’est que produit d’un calcul visant à synchroniser toutes nos émotions et nos imaginations sur les mêmes motifs, à les fondre dans un rythme unique. Alors nous acceptons ce pacte implicite posé par la représentation cinématographique : l’image ne prouve rien, la vérité n’est pas dans le signifiant mais dans sa manœuvre, dans les règles grammaticales cinématographiques ritualisées, dans les motivations idéologiques et psychologiques de ceux qui les créent. Pour sauver sa foi dans l’image et arrêter le regard avant qu’il ne découvre le visage hideux de la matrice authentique – je veux dire celui de la vie palpitante de ce qui a été, pillé et saccagé par les barbares de l’industrie du spectacle – le cinéaste de found footage réinvente une grammaire imprévisible, parfois improbable, reliant des fragments atomisés dans un tissu qu’il voudrait imperméable à tout plan imposé par les lois du système, où l’image pourrait enfin créer ses propres lois et nous convaincre qu’il n’y a rien à voir derrière. Il y a enfin cette revendication d’une démarche subversive souvent invoquée par les cinéastes de found footage, consistant à croire qu’en lui arrachant ses images on affaiblit le « système ». Nous vîmes par exemple sur l’écran de notre festival en 2011 cette œuvre étonnante de sophistication thématique et de raffinements esthétiques, je veux parler de Maria Theresia und Ihre 16 Kinder (2010) du collectif autrichien BitteBitte JaJa, qui laisse un goût très curieux parce qu’au fond, nous ne savons pas très bien quel est le point de vue des auteurs à l’égard de l’histoire impériale autrichienne. Une foi restée crédule dans le pouvoir de l’image en soi a inhibé une partie de la violence critique qu’aurait pu porter un acte intégralement créateur. À l’opposé du cinéaste de found footage, il y a celui qui gratte la pellicule, déchire le ventre de la matrice mystifiante…

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Sophie Accolas

CINÉM@ LIBRE

Alors qu’une infime partie des films expérimentaux est actuellement visible sur les plateformes audiovisuelles d’Internet, la majorité d’entre eux n’attend   qu’une diffusion marginale – lors de festivals ou de rétrospectives consacrées. Dans la longue histoire de ces films dits différents, la pellicule a longtemps servi de support privilégié, hélas malaisé à la diffusion, puis l’apparition de la vidéo a fait beaucoup pour la circulation alternative, mais il a fallu attendre les moyens numériques pour que la transmission à grande échelle puisse avoir lieu : pour seul exemple, le Traité de bave et d’éternité d’Isidore Isou ne fut posté qu’en février 2010 sur Internet alors qu’il était paru tout d’abord en 2008 en DVD, et que sa sortie en salle remontait à 1951. Est-il raisonnable de devoir attendre les soixante-dix ans que le droit d’auteur prescrit pour projeter, sans autorisation particulière, des œuvres expérimentales ? Ne serait-il pas opportun que ces films échappent aux circuits commerciaux en participant à la culture du don et de la gratuité. C’est toute la question du piratage, des téléchargements et de la diffusion des films appartenant aux bien commun où des auteurs signent aujourd’hui sous licence art libre, sous Copyleft (copie autorisée, concept inventé par Don Hopkins en 1984), sous Creative Commons. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer son appartenance au monde du libre mais de convoquer les principes de cet art de vivre. Le feu collectif Kassandre initiait cette pratique en signant ses films sous licence art libre (artlibre.org) et  en soulignant l’importance de la diffusion, de la copie et de la transformation de l’œuvre. Dans l’article Les remixes et mashups intéressent la ministre de la culture (2013), Guillaume Champeau indique une des propositions soumises à l’étude du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique concernant les « œuvres transformatives » afin de permettre aux amateurs – au sens défini par le philo-  sophe des techniques Bernard Stiegler – de récupérer une partie de l’œuvre d’un artiste -dont les droits d’auteur sont toujours en cours- en l’intégrant à leurs créations aux finalités non commerciales. Ce droit de citation et d’emprunt de toute création audiovisuelle est actuellement interdit par la législation.  De nombreux militants du logiciel libre, de l’art libre (Libre Accès), du copyleft  (Copyleft Attitude), soulignent l’importance de l’échange basé sur « l’autorisation de copier, diffuser et transformer les œuvres dans le respect du droit d’auteur ». Ils refusent les fameux DRM empêchant le téléchargement et agissant de manière restrictive. Actuellement, les libristes de la Quadrature du Net et de   SavoirsCom1 militent pour une légalisation du partage non marchand des œuvres  protégées et informent les internautes sur leurs droits et libertés sur Internet. 48


La déclaration d’indépendance du Cyberespace signée par John Perry Barlow en 1996 a été suivie plus d’une décennie plus tard par des manifestes qui défendent une certaine idée de la liberté numérique, la free culture, l’open access, l’art libre : Manifeste des humanités numériques (2011), Manifeste de SavoirsCom1 (2012). L’industrie culturelle qui privilégie les labels et les productions mainstream ne se préoccupe pas de répondre aux spécificités des labels indépendants ou des films expérimentaux car, au contraire, tout en faisant mine de s’en désintéresser, elle pratique un étouffement mesuré. Pour s’en abstraire, le choix de l’auto-édition et de l’auto-production permet à un grand nombre d’auteurs de garder la liberté de leur création qui leur est accessible en se passant des curateurs, producteurs, et intermédiaires multiples de la chaîne opératoire de production ou de la division du travail social. Le crowdfunding, système de financement direct d’une œuvre par le public intéressé, héritier des souscriptions populaires, fonctionne depuis plus d’une décennie et permet à des illustres inconnus de réaliser des films expérimentaux ou indépendants hors des circuits traditionnels avec ses contreparties obligatoires. Ainsi des œuvres marginales peuvent accéder par ce moyen aux circuits de diffusion. Les plateformes de crowdfunding spécialisées dans le cinéma : People For Cinema sur Ulule (Fr), Touscoprod (Fr), Kickstarter (US) et plus largement Flattr (2010, donation par micro-paiement), KissKissBankBank (Fr), la SARD (Société d’acceptation et de répartition des dons), ont permis la réalisation de courts ou de longs métrages. Des rémunérations alternatives sous forme de « contribution créative » (Philippe Aigrain), sont défendues par SavoirsCom1 et la Quadrature du Net tandis que d’autres ont créé leur propre réseau de souscription sans passer par les sites dédiés. Au delà des réalisateurs, les cinéphiles sont directement concernés, comme le groupe de la Mexicaine de Perforation, qui projetait en 2003 des films piratés dans les catacombes, aux arènes de Chaillot, sous la cinémathèque de Paris. Depuis octobre 2012, Lazar Kunstmann membre du collectif Urban Experiment (La culture en clandestins, L’UX, 2009) a mis en ligne sur Viméo, le film Panthéon, mode d’emploi consacré aux pratiques de ces groupes issus de la culture clandestine que tout un chacun peut télécharger. Jean-Luc Godard, figure de précurseur de la génération de la Nouvelle Vague, avait mis Film Socialisme en VOD (Vidéo à la demande) avant sa sortie en salle, et répondait à Juan Branco dans l’ouvrage Réponses à Hadopi, suivi d’un entretien avec Jean-Luc Godard « Si quelqu’un veut l’œuvre, qu’il la copie ».

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QU’EST-CE QUE LE DROIt A À VOIR AVEC LA CRÉATION ? ! ! !

JF : Jacques Fansten PM : Pierre Merejkowsky FT : Frédéric Tachou

PM

Le Talmud, ça appartient à tout le monde ! Les écrits d’Auschwitz, ils restent, personne n’y touche ! Je ne vois pas pourquoi vous venez avec vos règlements, votre droit, votre idée de propriété ! La pensée, tronquée ou pas tronquée, elle est éternelle. Ce qui a été fait a été fait, ce qui a été dit a été dit et c’est éternel. Qu’est-ce que le droit, qui est toujours un droit bourgeois de propriété, a à faire avec la création ? !!… Rien

JF

La propriété n’a peut-être rien à voir avec la création, mais elle a à voir avec l’exploitation des œuvres. Des tas d’activités marchandes en profitent, pourquoi l’auteur, qui vit dans le monde comme il est, n’y aurait-il pas droit ? Bon, le Talmud, c’est vrai, on peut l’interpréter autant que l’on veut, mais personne ne le modifie. De même, rien ne vous interdit de diverger sur l’interprétation d’une œuvre mais je défends l’idée qu’il faut en protéger l’intégrité. Aujourd’hui, l’humanité vit une situation inédite avec le numérique : une œuvre, notamment audiovisuelle, est reproductible à l’identique sans que l’on puisse distinguer l’original de sa copie, voire de sa transformation. Or chaque œuvre est la vision unique de quelqu’un, à un moment donné. Si un artiste décide de donner son œuvre sans contrepartie, c’est son choix, je n’ai rien à dire là-dessus, mais, qu’il le veuille ou non, l’intégrité de sa création reste sa propriété. Ça s’appelle le « droit moral ».

PM

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Jacques Fansten, actuel président de la SACD, a accepté avec beaucoup d’amabilité la discussion libre que nous lui avions proposée. Autant que nous, il prit plaisir à des heurts d’arguments. Nus et francs, nous avons tenté de cerner avec notre seule force cérébrale quelques Idées (avec un grand « I » comme P. Merejkowsky le rappelle sans cesse).

À ce compte là tout est propriété, votre femme est propriété…

JF

Ça n’a rien à voir, l’intégrité d’un être humain n’est pas assimilable à un objet que je crée. Même si j’espère que vous ne considérez pas que vous pouvez à votre guise couper le bras de celui-ci ou la tête de celle-là. Défendre l’intégrité d’une œuvre, c’est affirmer qu’elle appartient à notre mémoire commune et qu’elle ne peut pas être transformée au gré des humeurs, des modes, ou des intérêts de quelques uns. C’est l’idée même d’Histoire et de civilisation qui me semble être en jeu là dedans.

PM

Votre point de vue est légitime, mais là ou ça coince c’est quand vous et vos semblables dans vos sociétés d’auteurs vous parlez au nom de tous les auteurs. D’ailleurs je vous interdis de parler au nom de tous les auteurs !


JF

Je vous rassure, vous n’avez pas besoin de me l’interdire : je ne parle pas au nom de tous les auteurs ! Mais seulement au nom de ceux qui ont choisi d’être membres de la SACD, en connaissant et en acceptant des règles qui ont été définies par d’autres auteurs, ceux qu’ils élisent pour ça. La SACD est le produit d’une histoire. Elle a été fondée par Beaumarchais qui était outré de la façon dont les Comédiens Français utilisaient les œuvres à leur guise sans rétribuer leurs auteurs. Il a réuni les auteurs de son temps et ensemble ils ont obtenu d’être protégés et rémunérés en fonction de l’utilisation de leurs œuvres : ils ont inventé les principes du droit d’auteur que nous appliquons encore aujourd’hui. Auparavant, pour survivre ou pour faire financer leurs créations, auteurs et artistes n’avaient que les mécènes et leur bon vouloir. Je considère que c’est un progrès même si je n’ai jamais dit que c’était l’aboutissement de l’histoire.

FT

Je reviens sur le Talmud, c’est une œuvre qui bénéficie d’une sorte de pacte social, d’aura, qui fait qu’elle est considérée comme sacrée. L’œuvre constituée possède cette puissance qui fait qu’elle résistera à toutes les agressions, et d’autre part l’artiste crée dans un environnement de contraintes qui font parfois que des agents extérieurs, la société, l’économie, le soviet suprême, le producteur, agissent sur lui. Ce qui n’empêche pas le créateur d’assumer le résultat. Pour moi, la notion d’intégrité de l’œuvre est relative. Grâce à sa puissance, l’œuvre constituée résiste à la corruption il sera toujours possible de la retrouver sous sa forme intègre.

JF

L’expérience, et notamment l’histoire du cinéma, prouvent le contraire. Combien de films ont disparu ou ont été massacrés ? Bien sûr, les contraintes font partie de la création mais, à un moment, un artiste a considéré son œuvre achevée et, à partir de là, lui seul a le droit de la modifier. Nous nous battons pour que qui que ce soit, la censure, un distributeur, un marchand voire un projectionniste, ne puisse l’amputer. Ceci recouvre aussi le cas où un autre artiste voudrait reprendre partie ou totalité de l’œuvre sans l’accord de celui qui l’a faite.

FT

Nous allons d’ailleurs nous intéresser dans notre festival à des artistes qui réinvestissent et qui détournent, prennent des morceaux et reconstruisent du discours. Est-ce une démarche créative selon vos principes et comment articuler cela avec la notion d’intégrité de l’œuvre ?

JF

Ça peut évidemment être une démarche créative, et qui va sans doute se développer : quand une technique ouvre de nouvelles possibilités, elles sont inévitablement explorées. Mais ce doit être structuré avec un minimum de règles. Que diriez-vous si un bout d’une de vos œuvres, tronqué, servait de propagande à des idées contraires aux vôtres ? Si votre musique accompagnait une armée en guerre ou si votre image faisait vendre des lessives ? Je le répète, chacun peut accepter à sa guise que d’autres utilisent son œuvre, mais il est seul à pouvoir l’autoriser. Il est essentiel de conserver l’intégrité des œuvres terminées parce qu’elles sont une parcelle de la mémoire de l’humanité. C’est la somme de ces regards uniques sur le monde qui nous a constitués et qui nous aide à vivre.

FT

Les sociétés d’auteurs ne font que sanctionner des rapports décidés par le marché entre des auteurs commerciaux qui gagnent beaucoup et les autres qui ne gagnent rien. Comment compenser ces déséquilibres ?

JF

On peut contester l’ordre établi et rêver de révolution, en attendant il faut bien respecter les lois de son temps. Or la loi dit qu’un auteur est rémunéré proportionnellement à l’exploitation de son œuvre. Donc les sociétés d’auteurs sont des « sociétés de perception et de répartition de droits ». Chaque diffuseur 51


paie un pourcentage de son chiffre d’affaire pour l’ensemble des droits de diffusion sur son antenne, et ces droits sont répartis entre les œuvres qui y sont diffusées. TF1 paie infiniment plus qu’une petite chaîne indépendante. Alors, c’est sûr, la diffusion sur une grande chaîne rapporte plus aux auteurs que celle sur un petit diffuseur. En même temps, les auteurs de chacun des répertoires ont la possibilité d’établir des règles particulières. Par exemple, pour le cinéma, depuis longtemps, les cinéastes les plus populaires, dont les films sont diffusés aux heures de grande écoute, ont décidé que les droits cinéma, par diffuseur, seraient les mêmes quelle que soit l’heure de diffusion : c’est un geste fort en faveur des plus fragiles. De même, la rémunération minutaire d’un court-métrage est bien plus forte que celle d’un long. Autre exemple : vous savez que nous avons obtenu une redevance, dite de « copie privée », sur la vente de tous les supports vierges permettant les enregistrements. Eh bien nous avons obtenu aussi que la loi oblige à ce que 25% de ces sommes soient consacrées à des actions culturelles, gérées par les élus et non par le marché. PM

Voilà, vous redistribuez en fonction du chiffre d’affaire des chaînes. TF1 et Canal+ ont remplacé les mécènes du Moyen-Âge. Mais pourquoi devrais-je admettre cette réalité comme un cadre immuable contre lequel je ne peux rien ? Pour moi, l’auteur n’est auteur qu’à partir du moment ou il s’interroge sur les cadres !

JF

Un, je n’ai jamais dit que c’était immuable. Deux, des mécanismes de régulation me semblent un progrès par rapport au bon vouloir des mécènes. Trois, vous dites vouloir sortir des cadres et vous commencez par définir sur quelles règles on serait auteur ou pas… Nous considérons que nous n’avons pas à émettre de jugement sur la valeur d’une œuvre ou d’un auteur. On représente nos cinquante quatre mille mandants et les décisions sont prises par des votes. Bon, je ne dis pas que je suis content de l’état de la société, mais au présent, et c’est la raison de mon engagement, nous pouvons tenter de contribuer, modestement, à en corriger quelques défauts.

PM

Moi je propose que toutes les recettes de la SACD soient réparties de la façon suivante : on retire les frais de gestion - si la Cour des comptes a dit qu’ils étaient honnêtes c’est qu’ils le sont -, et on répartit entre tous les adhérents qui reçoivent un cinquante quatre millième de la somme.

JF

Génial ! Vous pouvez le proposer mais les auteurs qui aujourd’hui sont rémunérés quitteront illico la SACD !

PM

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Tant mieux, qu’ils s’en aillent les auteurs bourgeois !

JF

Mais alors les diffuseurs qui paient pour avoir le droit de diffuser leurs œuvres ne paieront plus rien. Il restera quel argent à répartir ? J’ajoute deux remarques : d’abord, dans votre système, qui va décréter qui est auteur ou pas, puisque la diffusion n’aura plus d’importance ? La somme, devenue hypothétique, vous allez la partager en quelques 60 millions ? Ensuite, la notion « d’auteur bourgeois », généralisée, me semble un peu simpliste. Vigo, Bunuel, Pialat, Garrel, auteurs bourgeois ? J’ai la conviction qu’en défendant tous les auteurs, avec leurs particularités, nous défendons la vraie diversité.

FT

Le portrait de la Joconde sur lequel Duchamp a dessiné des moustaches pour faire L.H.O.O.Q., n’aurait pas été possible s’il y avait eu des ayant-droits sur cette œuvre.

JF

Des règles existent, par exemple des droits reconnus à la parodie et au pastiche. Certains procès ont même été gagnés contre des ayant-droits. Avec le cinéma, ça se complique toujours parce qu’il y a deux types de propriétés :


une propriété morale, celle de l’auteur, et une propriété matérielle, celle du producteur sur le négatif ou les copies. Mais, pour reprendre votre exemple, quand Duchamp met des moustaches à la Joconde, la Joconde originale continue d’exister. Ce que je défends, c’est que l’œuvre originale continue d’exister. Pour le reste, tout peut être discuté et va évoluer avec les pratiques. FT

Autrement dit, le droit au pillage, consistant à investir ce monde de la culture  et de l’image orienté vers l’abêtissement général pour, dans une attitude folle, en arracher des bribes et reconstituer du discours, ne pose pas problème ?

JF

Je n’ai pas dit ça. D’abord, ça me semble un peu hâtif d’affirmer que « le monde de la culture et le l’image » participe dans son ensemble et sans nuance à ce que vous appelez « l’abêtissement généralisé ». Ensuite, ce que vous appelez le droit au pillage dépend de chaque cas particulier. Si vous reprenez des morceaux de dialogue d’un film, par exemple Bizarre, bizarre, personne ne vous le reprochera, mais un film qui ne serait fait que du dialogue de Prévert, ce serait plus problématique. Encore une fois, nous nous battons pour faire respecter le droit moral d’un auteur, qui peut ou pas accepter que son œuvre soit détournée.

FT

Que pensez-vous du libre accès à toutes les œuvres que permettent les   nouveaux médias ?

JF

D’abord, nous réclamons depuis longtemps ce que nous appelons « l’exploitation permanente et suivie » des œuvres. C’est-à-dire qu’une œuvre doit être toujours facilement et légalement visible quelque part : depuis l’arrivée du numérique c’est techniquement possible. Ensuite, qu’est-ce que ce « libre accès » ? Aujourd’hui, des multinationales font des fortunes colossales en faisant payer pour un accès, qu’elles osent prétendre gratuit, à des œuvres sur lesquelles elles n’ont aucun droit et, pire, auxquelles elles n’ont en rien participé. Ce sont les seuls diffuseurs qui évitent de contribuer au financement de ce qu’ils diffusent. Elles utilisent habilement les failles juridiques, notamment européenne, pour échapper à toute responsabilité, aussi bien fiscale que culturelle. C’est stupéfiant qu’elles aient réussi à parer de l’aura libertaire les pires mécanismes d’un capitalisme sauvage ! Bien sûr, Internet est un outil formidable et tout auteur rêve que son œuvre soit vue le plus possible. Mais cela pose deux questions essentielles : comment rémunérer les auteurs et comment produire des œuvres nouvelles ? Pour faire des films, en tout cas sur le modèle que nous connaissons, il faut beaucoup d’argent. Ceux qui financent, par exemple les chaînes de télévision, mais aussi d’autres, ont en échange un droit d’exclusivité d’une durée déterminée. Il faut protéger ces exclusivités, quand elles contribuent au financement de l’œuvre. Au-delà, l’œuvre doit être disponible très facilement, à la condition qu’il y ait une rémunération pour les auteurs et une remontée d’argent pour financer d’autres œuvres. C’est pourquoi les œuvres doivent être disponibles sur des sites encadrés et il faut combattre les sites pirates, notamment ceux qui sont marchands. La SACD a négocié récemment un petit pourcentage avec Daily Motion et avec You Tube. Des auteurs commencent à toucher une rémunération au clic, c’est un début. Mais, tant qu’une autre économie ne sera pas crédible, il faut conserver notre système de financement des films : c’est lui qui a permis qu’un cinéma français divers survive quand beaucoup d’autres se sont effondrés. Ce système, quoiqu’on puisse lui reprocher, est vertueux : les gros succès financent l’avance sur recettes, les aides ou le fond de soutien, donc les films plus difficiles. Mais aussi beaucoup d’œuvres d’autres pays : sans le CNC et notre mutualisation, il n’y aurait pas de cinéma africain, peu de cinéma palestinien comme israélien, moins de cinéma d’Amérique Latine. Notre défense du droit d’auteur est d’abord une défense de la liberté de créer, c’est en tout cas comme ça que nous la voyons. 53


rencontres


OUVRIR L’ARCHIVE QUELQUES PROPOS POUR UNE TABLE RONDE VEN. 18 octobre à 14h00

Ce vaste thème (« l’archive ») est suffisant à donner le vertige, surtout au vu de la littérature inhérente au sujet, qui s’avère être de plus en plus conséquente. N’étant pas question ici de résumer l’état de la recherche autour de cet objet, il vaudrait mieux alors rechercher quelques raisons personnelles qui m’ont poussées à concevoir cet espace de réflexion à l’intérieur du festival. Qu’est-ce qui m’attire dans les archives ? J’y ai travaillé pendant un certains temps, à la fois en tant que chercheur et comme « archiviste » au sens propre, et je pense que, en ce qui concerne celles qui touchent au film, leur attrait dérive essentiellement d’une rencontre : celle avec la matière pelliculaire. Dans les tâches quotidiennes de n’importe quelle cinémathèque le rapport à la matière est la relation vitale de l’archiviste. Toutefois c’est précisément à partir de cette relation très concrète que la pensée autour de l’archive peut se dégager.

affirmé Derrida dans son Mal d’Archive). Et justement à cause de cet accès restreint et sélectif, il y a des figures qui prennent en charge la tâche d’interpréter les contenus de l’archive.

Le point de départ de cette table ronde devrait être alors une considération très simple et pourtant souvent oubliée : chaque geste de « monstration » concernant les archives devient opération herméneutique, et donc non-neutre. Celui qui s’intéresse aux archives doit évidemment effectuer un choix, une sélection. Et la valorisation des contenus suit ce même principe. Le soin apporté n’est jamais innocent : pour quelque chose qui s’expose, qui est donné à voir, il y aura toujours des éléments destinés à rester dans l’ombre. Et encore, opérer une sélection, il s’agit de voir quelle lecture s’impose sur l’objet, ou quelle est sa mise en perspective, quel cadre et quelles clefs de lecture apporter. Les conditions de « monstration » des objets issus des Il suffit de jeter un coup d’œil aux archives s’avèrent être le noeud cruétagères remplies de bobines pour cial dans leur découverte, une forme que des questions surgissent sponta- d’écriture qu’il faudra questionner. nément à l’esprit : je n’aurais jamais Cette table ronde regroupe des le temps de tout voir, ni de tout connaître de ce qu’elles contiennent. jeunes chercheurs, choisis en fonction Non seulement le temps me fait défaut, de leurs respectives compétences et mais la connaissance aussi. Que dire parcours professionnels, qui touchent en effet de ces dépôts qui demeurent un spectre ample de la question (à la inconnus, des bribes de pellicules fois d’un point de vue théorique et anonymes et souvent non datées qui pratique). À leur tour les intervenants inévitablement apparaissent dans ces sélectionneront un objet (et pas néceslieux ? Ces objets, qui m’ont précédé sairement des images en mouvement) et qui me survivront, deviennent la qu’ils réputent emblématique ou prosource d’un questionnement inépui- blématique. Le débat s’articulera par sable. Finalement c’est une interro- la suite sur des questions autour de gation que le travail de recherche ne la « mise en exposition », au sens large, fait qu’amplifier et, au lieu de vider des matériaux d’archive. ces objets de mystère, en souligne le Comment montrer l’archive ? Qu’il côté ambigu ou encore leur ductilité. Certains peuvent s’en approprier : s’agisse d’images, de manifestations quelques uns s’en servent aux fins artistiques, de la programmation, d’une création artistique (les cinéastes ou encore de l’exposition de matéqui relèvent de la production que l’on riaux non-filmiques, les réponses nomme, non sans imprécision, found ne peuvent pas être univoques. Cet footage), d’autres (commissaires espace de discussion se veut préciséou programmateurs) s’attachent à ment comme le lieu de problématisatrouver une façon de les montrer. tion de ces pratiques, étant donné que Ouvrir l’archive : pourquoi ce titre ? « l’archive », peu importe sa nature, Etymologiquement, l’archive serait reste, par essence, inépuisable et forceprécisément un lieu auquel l’accès n’est ment inaccessible dans son intégralité. pas ouvert (comme l’a très clairement  — Enrico Camporesi 55


Intervenants

Enrico Camporesi

Adeena Meyest

Enrico Camporesi écrit sur les images mobiles pour plusieurs revues et il est rédacteur de La furia umana. Il prépare une thèse en cotutelle sur des problèmes de restauration et de muséologie du cinéma expérimental à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et à l’Université de Bologne. Il travaille aussi en tant que programmateur, collaborant notamment avec le département film du Centre Pompidou.

Adeena Meyest, critique et chercheur dans le cadre du projet « Cinéma exposé » mené à l’École cantonale d’art de Lausanne. Parmi ses publications récentes : « Cinéma élargi », Décadrages. Cinéma, à travers champs, n.21-22, 2012 (co-édité avec François Bovier) et « Rancière as Foucauldian ? » in Foucault, Biopolitics and Governmentality (Jakob Nilsson & Sven-Olov Wallenstein éds.), Södertörn Philosophical Studies, 2013.

Anna Briggs Anna Briggs, doctorante à l’Université Paris 7 – Paris Diderot, est archiviste du patrimoine cinématographique et audiovisuel. Elle est spécialisée dans la conservation du cinéma amateur et documentaire, les pratiques curatoriales, la programmation et l’éducation à l’image. Lydie Delahaye Lydie Delahaye, diplômée de Beauxarts de Paris, est doctorante à l’Université Paris 8 – Vincennes-SaintDenis. Sa recherche en cours, sous la direction de Christian Delage, porte le titre Déterritorialisation du film d’archive : statut et enjeu des films d’archives au musée.

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Martina Panelli Martina Panelli, doctorante en cotutelle à l’Université Paris 8 – VincennesSaint-Denis et à l’Université de Udine, écrit actuellement une thèse sur le rapport entre réécriture et autoportrait notamment dans le film de found footage au féminin. Elle a publié des textes dédiés au cinéma expérimental (sur des cinéastes tels que Louise Bourque ou Heinz Emigholz) et fait partie de la rédaction de Digicult.


FLASHES OF A JUST ARCHIVED FUTURE VEN. 18 octobre à 16h30

Silvia Maglioni Graeme Thomson

Suivant l’esprit et la méthode du ciné-tract, le projet tube-tract interroge la possibilité de l’émergence d’un Silvia Maglioni et Graeme Thomson nouveau cinéma politique à partir du sont les auteurs de deux longsmontage et de la recomposition crimétrages, Facs of Life (2009) et tique du flux d’images qui circule sur In Search of UIQ (2013). Leur travail, les médias viraux comme youtube, en qui intègre la réalisation de films, saisissant les signes et les symptômes des expositions, des eventworks, qui resurgissent aux moments de lutte des tube-tracts, des émissions radio pour offrir une lueur spéculative du et des publications, a été présenté futur dont ils sont le pressentiment. dans plusieurs festivals, musées et Après la projection de Blind Data, le espaces d’art internationaux (FIDnouveau tube-tract de leur série en Marseille, BAFICI, Jihlava, Tate Britain, cours de réalisation, Silvia Maglioni Ludwig Museum, Serralves, Bétonsalon. et Graeme Thomson se livreront à REDCAT, Castello di Rivoli). une conversation visuelle avec l’historienne d’art Francesca Martinez à partir de ses recherches autour de BLOB, BLIND DATA l’émission télé expérimentale post-  Silvia Maglioni & Graeme Thomson situationiste qui pendant plus de vingt Royaume-Uni, 1990, 82' ans a procédé à l’archivage et à la représentation quotidienne de l’ombre du spectacle de la médiacratie italienne.  57


CONFÉRENCE Influences directes ou indirectes du cinéma expérimental sur le cinéma traditionnel de fiction SAM. 19 octobre à 14h00

[1] « Ce ne sera pas long, ça tient en une phrase : Godard a tout piqué à Maurice Lemaître ! » Yves-Marie Mahé Charade, S. Donen, générique de Maurice Binder, 1963 2001 : A Space Odyssey, S. Kubrick, 1968 The Hired Hand, P. Fonda, 1971 58

DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES « Sans décoration ni collier d’ordre, j’aurai l’air aussi nu qu’une volaille plu mée pa r m i tous ces oiseau x constellés de médailles dit-il en riant. » Dos Pasos, Terre élue Des influences directes ou indirectes du cinéma expérimental sur le cinéma traditionnel de fiction est une modeste tentative pour vulgariser le cinéma expérimental auprès des amateurs accoutumés aux règles du cinéma traditionnel. Chaque intervenant (cinq en tout) ne fera qu’esquisser un chapitre où s’entremêlera donc expérimental et pure fiction, mais contredira à coup sûr une histoire du cinéma bien plus complexe (voire conf use) que celle autoritaire et exclusive qu’on nous a laissé paraître jusqu’ici. « Ce ne sont pas des cinéastes expérimentaux (du moins strictement  expérimentaux) qui ont trouvé les principaux trucs ou f igures dont jouent à l’envie les films expérimentaux : le montage rapide, pouvant culminer dans des successions de plans de quelques photogrammes seulement, est inventé par Gance dans son Napoléon (1927) ou Vertov dans

L’Homme à la caméra (1929), le figement subit de l’image par René Clair dans Paris qui dort (1923). Et ne parlons pas de la surimpression, connue dès Méliès. Quand le cinéaste expérimental commence, l’expérimentation est souvent déjà faite : simplement, il va l’utiliser systématiquement, non comme une expérimentation, justement, mais comme un élément formel, comme un pion dans une stratégie plastique. En vérité, nous sommes dans deux mondes séparés, où les choses n’ont pas le même sens. Et la Symphonie diagonale, film abstrait de Viking Eggeling (1924), n’est pas plus l’avant-garde de La Règle du jeu (1939) ou de L’Avventura (1960) qu’un poème phonétique d’Hugo Ball n’est l’avant-garde d’un roman de Virginia Woolf ou qu’une pièce de musique électro-acoustique n’est l’avant-garde d’une comédie musicale à claquettes. Le film expérimental et le film narratif pour grand public obéissent à des logiques différentes et les innovations qui font avancer l’un n’intéressent que rarement l’autre : l’un, comme on a vu, bouge au gré des grandes révolutions artistiques, car c’est en somme un art plastique ou un cousin des arts plastiques : l’autre au gré des révolutions littéraires ou des changements socio-politiques (voyez le néo-réalisme, la Nouvelle Vague). Car l’un est plutôt du côté des formes et l’autre du côté des significations. » Dominique   Noguez, Le cinéma autrement.


Des pionniers seront abordés ou simplement cités pour revoir et mettre à mal une histoire du cinéma universitaire, dogmatique et inébranlable : Esther Shubb, Lev Koulechov, Slavko Vorkapich et le phénomène des premiers ciné-clubs dans les années 20. Des phénomènes esthétiques et graphiques comparaîtront : le générique de film (Saul Bass, Maurice Binder), la publicité et le clip. Et comment ils entretiennent des liens très étroits avec le cinéma expérimental. On s’intéressera aussi bien à des exemples particuliers que généraux : Godard et son inspiration du cinéma lettriste [1], Hitchcock et la London Film Society, Kubrick et ses goûts expérimentaux repoussant les limites formelles de la fiction (le cas de 2001 est exemplaire), le phénomène du Datamoshing, Ken net h A nger et son hér itage monstrueux pour des générations de cinéastes : Lionel Soukaz, Pierre Clémenti, Rainer Werner Fassbinder, Ken Russell, Kathryn Bigelow, David Lynch, Martin Scorsese…

Des bouleversements historiques et sociaux (Maccarthysme, Vietnam…) seront tout aussi déterminants pour évoquer l’impact médiatique des images amateurs de Zapruder (l’assassinat de Kennedy en 1963) comme celles anonymes et collectives des attentats du World Trade Center (2001), et l’inf luence toujours prégnante aujourd’hui de ces images dans le film horrifique de « faux » found footage (Cloverfield, Redacted, Chronicle). Et comment ce bouleversement social ira de pair avec celui esthétique qui n’épargnera pas une nouvelle génération d’auteurs avides d’images nouvelles et radicales du moment qu’elles réinventent la perception. En effet, l’influence des cinéastes expérimentaux comme Stan Brakhage, Paul Sharits, Ken Jacobs, Andy Warhol, Peter Kubelka, Jonas Mekas, Maya Deren ou Hollis Frampton sur des cinéastes comme Tobe Hooper, Brian De Palma, Paul Schrader, ou encore David Lynch, est criante dans certains de leurs films (et grâce à la complicité du programmateur Amos Vogel ou des professeurs Haig Manoogian et Wilford Leach aux États-Unis).

Des partenariats étonnants seront évoqués : Jean Painlevé et Jean Vigo, Salvador Dali et Luis Buñuel, Len Lye et Alfred Hitchcock, Oskar Fischinger et Walt Disney, Pat O’Neill et Melvin Van Peebles, Scott Bartlett et Francis Ford Coppola…

« C’est au cours des années soixante que le film indépendant centre son intérêt non plus sur l’érotique du corps mais sur un autre objet premier de désir : le corps du cinéma luimême. » Annette Michelson, Peinture, cinéma, peinture.

« - Quel est le cinéaste   qui vous a le plus influencé ? - Abe Zapruder. - Comment l’épelez-vous ? - K-E-N-N-E-D-Y. » Special Effects de Larry Cohen

On verra également comment, en France, l’importance d’une chaîne comme l’ORTF et son influence doit  être déterminée et réévaluée au-  jourd’hui, ainsi que Jean-Christophe Averty, précurseur de l’art vidéo. 59


Enfin, il sera question des aspects te c h n iques  [ 2 ] i nte r dép e nd a nt s d’expérimentations nouvelles pour raconter le futur, l’improbable ou l’irreprésentable : The Trip, Le Mystère Andromède, La Planète des singes, la saga Star Trek, Tron, Le Trou noir, Star Wars (et le Sound Design), Superman, Au-delà du réel, Wolfen, Predator, Elmer le remue méninges…

« La tireuse optique ou truca fait passer les effets spéciaux de l’ère de l’artisanat à l’ère industrielle. Mise au point en France par Debrie en 1924, puis par Linwood Dunn aux USA en 1929, elle permet de relier entre elles différentes images et leurs caches sans aucune difficulté. En facilitant le compositing d’images, elle favorise

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le développement d’effets en tous genre, du décor basique au monstre géant. » Réjane Hamus-Vallée, Les effets spéciaux. Nous n’oublierons pas d’évoquer certains films inclassables [3] pour leurs défis techniques et esthétiques à rebours du train-train productif d’un certain âge d’or : Lifeboat (1943) et La Corde (1948) de Hitchcock [4] (une longue transparence d’une heure et demie pour l’un, le plan séquence truqué pour l’autre), La Dame du lac de Robert Montgomey (1947) (vision subjective continue), T he T hief de Russel Rouse (1952) et Hic de Gyorgi Palfi (aucune ligne de dialogue !), Happy End de Oldrich Lipsky (le film est entièrement à l’envers), Themroc de Claude Faraldo et les langues perdues ou oubliées d’Incubus (en langue esperanto !) de Leslie Stevens, de La Passion du Christ ou d’Apocalypto de Mel Gibson… D’autres facteurs historico-esthétiques seront évoqués, que l’on vous promet riches de documents visuels détournés, rares ou oubliés. « Donnons de l’espace en plus, des moments sans rien, des sons immotivés – voilà la subversion expérimentale. »  Dominique Noguez, Éloge du cinéma expérimental.


[2] Des effets spéciaux sur le tournage (Cocteau) à la post production du film (Epstein). Des effets d’optique de Pat O’Neill à Peter Kuran et Douglas Trunbull. Du travail des lumières d’un Mario Bava, d’un Ken Middleham ou d’un Jack Cardiff aux maquillages de Cecil Holland, Lon Chaney, Perc Westmore, Maurice Seiderman, Jack Pierce, Jack Dawn, Rob Bottin, Dick Smith… De la rétroprojection (ou « transparence »), de la projection frontale (Walter Thorner) et de l’image par image (Ladislas Starewitch, Alexandre Alexeieff, Willis O’Brien, Norman McLaren, Karel Zeman, Ray Harryhausen, Phil Tippet) à la tireuse optique (Linwood G. Dunn, John P. Fulton, Pavel Klushan). La perspective forcée, la maquette (Gordon Jennings), la peinture sur verre (Albert Whitlock), le matte painting (Eugen Schüffan), le travelling matte (« cache en mouvement » : Fleischer, Disney), l’animatronique (Stan Winston), le numérique (morphing, mapping, key frame, motion capture, rotoscopie), les expériences bruitistes et sonores (Murray Spivack, Jimmy Mc Donald, Ben Burtt)…

Évidemment, vous l’aurez compris, « Le capitalisme s’y prend toujours il s’agira d’un pot pourri absolument de la même manière pour neutraliser non exhaustif pour trois raisons une force contestataire, il la couvre essentielles. d’or, du coup elle n’est plus du tout contestataire, et rentre dans le rang. » La première : la durée nous sera limi- De Palma à propos de Get to know your tée face à l’ampleur du sujet traité. rabbit dans Brian De Palma, Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent La deuxième : une Histoire du ciné-  Vachaud ma doit être renouvelée urgemment pour rompre avec celle universitaire Conférence animée par Derek ou opportuniste et mercantile qui Woolfenden. Les intervenants, assied, toujours plus, la politique des dont les idées de chacun ont inspiré auteurs. Ne vous méprenez pas, on se ce texte, sont Fabien Rennet, Yvessert d’eux afin de mieux vendre les Marie Mahé, Julien Bibard, Emeric produits dérivés leur étant rattachés. de Lastens et Derek Woolfenden. Remerciements à Colin Verot, Patrick La troisième : cette conférence doit Fuchs, Guillaume Lebourg, être poursuivie et complétée par cha- Stéphane du Mesnildot, David cun d’entre vous afin d’aiguiser nos Matarasso, Christophe Bichon (Light perceptions pour qu’elles soient plus Cone), Martin Zarka (Blast Production) critiques et performantes. et à l’Association Curry Vavart.

[3] D’autres films, singuliers, sont à citer : Le mystère Picasso et L’Enfer de Henri-Georges Clouzot, House de Nobuhiko Obayashi, Suspiria de Dario Argento, Sombre de Philippe Grandrieux, Zidane, un portrait du xxi e siècle de Douglas Gordon et Philippe Parreno, Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani, la plupart des films de Sogo Ishii. [4] Et les dérivés des films en temps réel : Phone Game (Joel Schumacher, 2002), Douze hommes en colère (Sidney Lumet, 1957), Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1962), Le train sifflera trois fois (Fred Zinnemann, 1952), Before Sunset (Richard Linklater, 2005), 16 blocs (Richard Donner, 2006), Tape (Richard Linklater, 2001), 11:14 (Greg Marcks, 2003), Silent House (Chris Kentis et Laura Lau, 2012). Merci à Topito (sur le net) pour cette liste ! Altered states, K. Russell, 1980 La Prisonnière, H. Clouzot, 1968 They Live, J. Carpenter, 1988 Predator, J. McTiernan, 1987 61


CINÉ-CONCERT   SOIRÉE   DE CLÔTURE


cinéconcert soirée de clôture DIM. 20 octobre À 21h00

Intervention musicale du groupe noise tropical messin The Dreams sur une projection du film pornographique Consultorio de Señoras. Le titre en français serait : Cabinet de gynécologie. Aux côtés de ses frères, Le confesseur et Le ministre, ce film de Ramón et Ricardo de Baños semble annoncer un programme excentrique et fou. C’est bien le cas. Commandés aux deux cinéastes catalans pionniers du cinéma ibérique pour le compte du roi érotomane Alphonse xiii en 1926, ces trois films pornographiques sont exceptionnels. En plus d’être pornographiques, ils traitent savamment d’un sujet métaphysique, celui de l’homme dominé par ses impulsions. Dans Consultorio de Señoras, c’est l’homme de science. Qui représente-t-il ? Le maître (le roi) ou l’esclave (son serviteur infidèle) ? La Cinémathèque de Valence a restauré les trois copies 35mm nitrate en 1991. Nous remercions Jose Luis Rado, l’ayant droit de ce film et Victor Radoselovics qui nous ont très aimablement autorisés à vous montrer ce volet d’un étonnant triptyque.

Consultorio de Señoras Ramón & Ricardo de Baños Espagne, 1926

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dates et LIEUX DU FESTIVAL

L’ÉQUIPE DU FESTIVAL

REMERCIEMENTS DE L’ÉQUIPE DU FESTIVAL

PARTENAIRES DU FESTIVAL

Du 16 au 20 Octobre : Les Voûtes 19 rue des Frigos Paris, 13 e Métro ligne 14 – RER C Bibliothèque F. Mitterrand

Presidente du Collectif Jeune Cinéma et directrice du fesitval : Laurence Rebouillon laurence.rebouillon @cjcinema.org

L’équipe du festival remercie tous les membres du CJC qui ont travaillé bénévolement à la réalisation de cette édition 2013.

Le CJC bénéficie du soutien du CNC, de la DRAC Île-de-France, du Conseil Régional Île-de-France et de la Ville de Paris.

Le Mardi 1er Octobre : Cinéma La Clef 54, rue Daubenton, Paris, 5 e Métro ligne 7 Censier-Daubenton

Direction éditoriale : Frédéric Tachou

Le Dimanche 13 Octobre : Shakirail 72, rue Riquet Paris, 18 e Métro ligne 12 Max Dormoy

POUR PLUS D’INFORMATIONS

09 83 39 09 59 festival@cjcinema.org www.cjcinema.org

Comité de programmation compétition et programmation : Julia Gouin, Victor Gresard Yves-Marie Mahé, Gloria Morano, Laurence Rebouillon Fabien Rennet & Derek Woolfenden Coordination du festival et admnistration : Julia Gouin festival @cjcinema.org Chargé de distribution : Victor Gresard victor.gresard @cjcinema.org Stagiaires assistants à la coordination : Francesco Duverger & Sacha Golemanas Projectionniste : Nicolas Reno

L’archive et ses multiples détournements constituent le fil rouge de cette quinzième édition du festival. C’est pourquoi l’iconographie des pages de titre du présent ouvrage est extraite d’une dizaine de catalogues antérieurs publiés par le Collectif Jeune Cinéma (1970-80).

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Presse : press@cjcinema.org Conception graphique : Atelier Tout Va Bien ateliertoutvabien.com Impression : Tiré à 1000 exemplaires sous les presses de l’Imprimerie Darantière (Quetigny, 21)

Le CJC remercie également pour leurs participations, leurs idées et leur soutien : Raphaël Bassan, Julien Bibard, Sylvie Brenet, Maureen Fazendeiro, Patrick Fuchs, Patrice Herr Sang, Catherine Libert, Guillaume Lebourg, David Matarasso, Stéphane du Mesnildot, Rodolphe Olcèse, Sophie Orlando, Patrick Perrin (Musiques Volantes), Orlan Roy, Seconda Voce, Margaux Serre, Hadrien Touret, Nicolas Tochet & Pauline Husser (Metz en Scènes), Curry Vavart, Colin Verot, Pierre Wayser, Martin Zarka. Et un grand merci à tous les cinéastes et les artistes qui ont permis à cette 15 e édition de voir le jour, ainsi qu’aux membres des jurys, aux programmateurs et à tous les invités.

En partenariat avec AS’images, Andec Filmtechnik, Lowave, Mediacaptrue, Re:Voir, Paris Expérimental Super8 Reversal Lab Kino Club, collectif négatif Curry Vavart et Seconda Voce


ANNONCE

ANNONCE

Home Movie Day 2013 Samedi 19 Octobre

Programme André Almuro Les rituels du désir-plaisir

Le Home Movie Day est une journée consacrée aux films amateurs, aux archives et aux films de famille. Cet événement est organisé à l’échelon international depuis plus de 10 ans et à Paris depuis 4 ans, par l’association L’Inversible. Y sont présentés des films provenant de collections privées (associations, archives, cinémathèques, ou films personnels conservés par les familles) en format 8mm, Super 8, 9,5mm et 16mm. Lors de cette journée, il sera possible également de faire vérifier les films que vous amènerez, sortis de vos greniers, de vos archives personnelles…

Une séance proposée par le Collectif Jeune Cinéma dans le cadre du Festival Chéries-Chéris.

Pour plus d’informations : homemoviedayparis.fr

Pour plus d'infomations : cheries-cheris.com

Date à venir Forum des Images – Paris Cette séance est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir une démarche cinématographique particulière, dans laquelle le traitement artisanal du support Super 8 célèbre des perceptions du corps singulières… l’ensemble de ses nombreuses créations n’est que l’expression visible d’une recherche permanente du plaisir, de la jouissance auxquels il consacrait sa vie. Et si démarche ou attitude il y avait, elle était probablement celle d’un hédoniste.


CALENDRIER

14h00

16h00

18h00

20h00

22h00

MARDI 01 OCTOBRE

FOCUS COLLAGE Hors les murs → Cinéma La Clef

DIMANCHE 13 OCTOBRE

FOCUS  FOUND FOOTAGE Hors les murs → Le Shakirail

MERCREDI 16 OCTOBRE

SÉANCE D’OUVERTURE FOCUS ARCHIVES No1 Pays Barbare → Les Voûtes

COCKTAIL D’OUVERTURE → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 1 → Les Voûtes

FOCUS  ARCHIVES No2 Anak Araw → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 2 → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 3 → Les Voûtes

FOCUS ARCHIVES No3 The Nine Muses → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 4 → Les Voûtes

FOCUS ARCHIVES No4 Les Apatrides volontaires → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 6 → Les Voûtes

JEUDI 17 OCTOBRE

VENDREDI 18 OCTOBRE

RENCONTRE Ouvrir l’archive Table ronde → Les Voûtes

SAMEDI 19 OCTOBRE

RENCONTRE Influences directes ou indirectes du cinéma expérimental sur le cinéma traditionnel de fiction → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Programme 5 → Les Voûtes

FOCUS SPÉCIAL CRASS Christ, The Movie → Les Voûtes

DIMANCHE 20 OCTOBRE

COMPÉTITION INTERNATIONALE Délibération publique du jury et remise des prix → Les Voûtes

FOCUS DÉTOURNEMENT → Les Voûtes

COMPÉTITION INTERNATIONALE Reprise des films primés → Les Voûtes

RENCONTRE Flashes of a just archived future → Les Voûtes

SOIRÉE DE CLÔTURE Consultorio de Señoras Ciné-concert et fête de clôture → Les Voûtes


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