La Quinzaine littéraire n°1

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liophilie, livres de olubs et fo .......c.ts de Doche


SOMMAIRE

La Quinzaine littéraire

François Erval, Maurice Nadeau

Conseiller, Joseph Breithach Directeur artistique Pierre Bernard Administrateur, Jacques Lory

3

LE LIVRE DE LA QUINZAINE

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UN TEXTE INÉDIT

8

ROMANS FRANÇAIS

Rédaction, administration: 7

13 rue de Nesle, Paris 6. Téléphone 033.51.97.

Imprimerie :

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LETTRE D'ALLEMAGNE

9

VOYAGES

Coty. S.A. n rue Ferdinand-Gamhon Paris

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ROMANS ÉTRANGERS

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HISTOIRE LITTÉRAIRE

Publicité:

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La Publicité littéraire : 71 rue des Saints-Pères, Paris 6. Téléphone: 548.78.21. Publicité générale: au journal.

13 14

POÉSIE

18

PHOTOGRAPHIE

17

ART

18

BIBLIOPHILIE

19

PHILOSOPHIE

Abonnements : Un an : 42 F, vingt-trois numéros. Six mois: 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger: Un an: 50 F. Six mois 30 F.

20

Règlement par mandat, chèque hancaire, chèque postal. C.C.P. Paris 15.551.53. 22

HISTOIRE

24

RELIGION

25

ÉCONOMIE POLITIQUE

28

POLICIERS

28

SCIENCES

Crédits photographiques : p. p. p. p. p. p. p. p. p.

6. Photo F. Rohoth. 9. Photos Klein, éd. du Seuil. 13. Photo Viollet. 16. Doc. Archives photogr. 17, 20, 21. Photos Viollet. 23. Doc. Cluh des Lihraires. 27, 27. Artistes Associés. 29. Photos Norhert Perreau. 29. Photo Nohert Perreau.

Copyright La Quinzaine littéraire Paris, 1966.

PARIS 30

J .-M.-G. Le Clézio Le Déluge Samuel Beckett : Assez Fernand Comhet : Schrumm Schrumm Gisèle Prassinos : Le Grand Repas Jean Cayrol Midi-Minuit

par Maurice N adeau

par Marie-Claude de Brunhoff

par Josane Duranteau par Dieter Zimmer

Luigi Barzini : Les Italiens Alexandre Soljénitzine La Maison de Matriona George D. Painter : Marcel Proust Villiers de l'Isle-Adam Tzvetan Todorov : Les formalistes russes Jacques Prévert Fatras Yvan Christ : L'âge d'or de la photographie Henri Focillon : Art d'occident Le rare n'est pas toujours le heau Vieux papiers Jean Piaget : Sagesse et illusion de la philosophie Louis Althusser, J. Rencière, P. Macherey, E. Balibar, R. - Estelet : Lire Le Capital François Furet, Denis Richet La Révolution : des Etats Généraux au 9 Thermidor Nûr Ali, Shâh Elâhî L'ésotérisme kurde Claude Bruclain : Le socialisme et l'Europe Kingsley Amis : Le dossier James Bond Jacques-Merleau Ponty Cosmologie du xxe siècle Ionesco à la Comédie Française

par Jean·François Revel par Piotr RawLcz par Roland Barthes par Albert-Marie Schmidt par François Wahl par lUaurice Saillet par Jean A. Keim par lean-Louis Ferrier par Lucien Galimand par Pascal Pia par Jean T. Desanti

par François Chatelet

par Marc Ferro

par Alexandre Bennigsen par Bernard Cazes par Jean·Louis Bory par Raphaël Pividal par Geneviève Sarde

TOUS LES LIVRES

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MARCEL PROUST PAR GEORGE D. PAINTER (( la grande biographie proustienne est enfin née. )) JEAN-FRANÇOIS REVEL, « L'Express

mercure' de france

H.


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

La fin du Itlonde? J.-M. Le Clézio

Le Déluge Gallimard éd. 15 F « L'homme qui marche » est un thème familier à J.-M.-G. Le Clézio. Porte ce titre une des nouvelles de son admirable recueil La Fièvre, que je préfère, je le dis tout de suite, à ce quelque peu monstrueux Déluge. Déjà, dans le Procès-Verbal, son héros était atteint de déambulation, cette maladie moderne dont Molloy offre le parfait exemple. Moderne et fort ancienne si l'on songe à tous les Tristans, à tous les Jasons qui vont. chercher ailleurs, loin de chez eux, un improbable salut et qui reviennent après s'être plus ou moins cognés aux limites de la condition humaine. L'homme est ainsi fait qù'il ne peut se contenter de son sort et le supporter. II lui faut marcher sans trêve ni repos vers les horizons que son imagination lui découvre, dans l'espoir, non de les trouver plus habitables, mais de se donner à lui-même une raison de vivre, d'exister. A la différence de ses aînés, toute· fois, le « quêteur » contemporain sait de science certaine qu'il poursuit un leurre et s'enivre d'un mirage.

Les suites d'un suicide Dans Le Déluge, on n'est même pas assuré que François Besson cherche quoi que ce soit. Simplement, il ne peut rester dans sa chambre dont les quatre murs l'emprisonnent et où il est trop longtemps demeuré en tête-à-tête avec lui-même, affronté à une peine dont on ne nous dit rien mais dont on deVine qu'elle pourait constituer un des motifs de sa fuite la perte définitive d'un amour dont on n'est pas sûr qu'il ait été jamais formulé. II aimait peut-être Anna qui s'est empoisonnée pour des raisons imprécises, quoique fortes, et qui lui a légué, sous forme de bande enregistrée, le journal de son agonie. Singulier cadeau, et bien de. notre époque! II écoute ses dernières paroles, dont il peut à volonté ô raffinement de la technique! varier le timbre et le débit, réentendre indéfini· ment, afin de cultiver en lui un désespoir qui vient de plus loin et qui le jette, hagard, dans les rues cette grande ville de la Côte que nous connaissions déjà par Le Procès-Verbal et les nouvelles de La Fièvre. II y déambule, sans but ni raison, et il ne lui advient, au regard de nos· sens rassis, que des aventûres mineures. II s'assied dans un café et casse un verre, émigre dans un autre et joue aux « flippers », rencontre Josette avec qui il avait rendez-vous et La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

ne parvient pas à s'expliquer avec elle. Pourtant, elle se trouve à côté de lui dans un lit, nue et endormie, et il la contemple longuement, détaillant· jusqu'à satiété le grain de sa peau et les menues imperfections de son corps. Puis le voici en conversation avec un aveugle, marchand de journaux, avec une femme rousse dont il tire l'horoscope et avec laquelle il vit durant quelques jours, avant de reprendre le large. Un grand chien jaune meurt, agité de soubresauts, dans un caniveau, au milieu d'un cercle de curieux. François Besson, revient dans sa chambre pour y brûler des papiers et se débarrasser définitivement de son passé. Il repart avec un sac de camping, connaît la faim, la soif, la solitude, entre dans une église et s'y confesse, s'accroupit au pied d'un immeuble et, par humiliation, tend la main aux passants, s'embauche dans un chantier de terrassement, tue, dans la nuit, sous l'arche d'un pont, un rôdeur dont le manège invisible l'effrayait, prend un car qui le mène loin dans la campagne. Il rejoint enfin le bord de mer où il s'affale, sur le dos, près d'un dépotoir, et fixant le soleil dans une coulée de larmes, il se laisse aveugler par lui. Voilà la trame des événements, tels qu'ils se laissent saisir par le lecteur, et revécus dans leur chronologie, alors que la chronologie est pas mal bousculée et peutêtre même mise cul par-dessus tête. C'est ainsi que le suicide d'Anna ne nous est révélé qu'à la fin de l'ouvrage, quand Besson fait revivre au magnétophone le signal par lequel l'agonisante l'avertira qu'elle est morte : la chute du verre qu'elle tenait à la main· et qui se brise sur le parquet.

La mort dans la vie En fait, le narrateur, qui parle indifféremment à la première ou à la troisième personne, se tient hors du temps et même, si l'on ose dire, «au-dessus» du temps, embrassant d'un regard qu'il faut bien appeler «second» et sa propre histoire - infime - et l'histoire du monde depuis ses origines jusqu'au delà de sa fin. S'il se meut, en apparence, dans un décor solide, précis jusque dans ses moindres détails, habité, s'il y joue son rôle d'acteur vagabond pt contemplatif, il sait, et nous savons avec lui, que la moindre chiquenaude, le moindre coup de vent, un éternuement risquent de faire s'écrouler ce décor vide, rongé de l'intérieur, qui menace à tout moment de tomber en cen· dres. Le «déluge» a eu lieu et tout à la fois se poursuit. Déluge d'eau ou déluge de feu sous une forme qu'on peut imaginer ato-

mique et qui a soudain figé hommes et choses dans l'apparence qu'ils avaient au moment .de la catastrophe, faisant d'eux de simples assemblages de poussière. Au regard du narrateur, l'effritement depuis longtemps commencé se poursuit, dans l'ignorance des vivants qui ne savent pas non plus qu'en naissant ils entraient déjà dans la mort. En se laissant consumer par le soleil qui s'est foré un chemin jusqu'aux viscè-

res qu'il réduit en fumée, François Besson ne fait que raccourcir la durée du processus. II aura peut-être été le seul vivant dans un monde de fantômes. Il ne faut voir là, pensons-nous, nulle allégorie, nul symbole. La force de Le Clézio, sa maîtrise, son pouvoir de conviction, étonnants chez un auteur si jeune, sont tels qu'il nous oblige à prendre ce qu'il dit pour argent comptant. II nous installe dans sa vision et nous contraint à voir par ses yeux. Il nous mène par la main dans son dédale sans que nous éprouvions même le sentiment du fantastique. Le dépaysement viendrait plutôt de l'attention soutenue qu'il nous force à porter au banal, au commun, au quotidien. Il possède en effet un pouvoir rare, le don poétique d'abolir les frontières, toutes les frontières, celles qui séparent l'homme des choses, celles des choses entre elles, celles de l'homme divisé, compartimenté, recroquevillé dans le· sentiment vague d'exister. L'épisode du caillou, dans le Procès-verbal, celui de l'arbre avec lequel le narrateur se confond, . sont ici multipliés, amplifiés, et, à la vérité se succèdent jusqu'à animer, de l'intérieur, un monde vibrant jusque dans ses atomes. Grâce à ce double regard, nous sommes le marchand de journaux aveugle, la femme rousse, l'enfant qui se raconte des histoires

d'Indiens, le verre qui, au café, se brise, la mer qui monte à l'as· saut de la digue, la tempête qui souffle, tandis que nous parëourent de long en large l'agitation vibrionnaire des rueS, la circulation démentielle des automobiles. Comme le narrateur, nous sommes à la fois écartelés, dispersés aux quatre coins de l'horizon et nous tenons en même temps l'univers dans notre poing. Le Clézio a naturellement retrouvé le yin et yang chinois ou ce qu'on dit être le secret de participation du zen. A côté de ce don, il y a des trucs, efficaces certes, mais plaqués à la façon de ces papiers collés qu'aimaient les peintres de 1920 ou de ces objets hétéroclites dont le Pop'Art fait ses tableauxsculptures: récits extraits tout chauds de «bandes dessinées» ou de romans.photos, mélodrames écrits par un enfant de six ans, conversations dérisoires saisies au vol, décalcomanies sans retouche d'une réalité à ras de terre. Ces morceaux d'un réel tout cru s'agrègent parfois mal au courant d'une parole qui, pour être simple, se tient à une certaine hauteur et qui, souvent épique, voudrait apocalyptique. C'est pourquoi je préfère, non par vain souci de perfection formelle, les nouvelles de la Fièvre, plus restreintes dans leur objet et circonscrites dans leur propos, plus «littéraires» aussi si l'on veut. Car, on s'en doute, le Déluge c'est également des mots qui tombent en cataracte et sous lesquels, surtout au début, il faut ployer le dos avant de prendre pied quelque part. On dirait que la vision a du mal à s'organiser et que voulant conjuguer les effets destructeurs de l'eau et du feu, l'auteur se trouve pris entre deux éléments contradictoires. Se croit-on installé dans cette vision qu'on tombe dans de successifs trous d'air: ces fameux rappels à la réalité la plus quotidienne. Et comment croire tout à fait à la mort d'un monde que l'auteur a rendu si vivant?

Une belle œuvre II n'empêche que le Déluge est une belle et grande œuvre devant laquelle on n'a pas le droit de faire la fine bouche, surtout si l'on songe à maints romanciers nouveaux englués dans la recherche du «rien ». Le Clézio a quelque chose à dire et il ne laisse pas effrayer par les « grands sujets ». Son audace, son talent, . l'ampleur de sa vision réduisent à leur juste mesure les remarques tatillonnes qu'on vient de formuler et que des livres comme le sien supportent allégrement.

Maurice Nadeau 3


UN TEXTE INÉDIT

SAMUEL BECKETT Tout ce qui précède oublier. place daus la sienne. Quelquefois Quand le temps aurait fait son humain se décomposait en dewc Je ne peux pas beaucoup à la elles se lâchaient. L'étreinte mol· œuvre. segments égaux. Ceci grâce a.u fois. Ça laisse à la plume le temps lissait et elles, tombaient chacune Si l'on, me posait la question fléchissement des genoux quiracde noter. Je ne la vois pas mais de son côté. De longues minutes dans les formes voulues je dirais courcissait le seèQnd. Par une je l'entends là-bas derrière. C'est souvent avant 'qu'elles se repren- que oui en effet c'est la fin de rampe de cinquante pour. cent sa dire le silence. Quand elle s'ar- nent. Avant que la sienne repren- cette promenade qui fut ma vie. tête frôlait .le sol. Je ne sais pas rête je continue. QuelquefQis elle ne la mienne. C'étaient des gants Disons ,les quelque onze mille à quoi il devait ce goût. A l'amour refuse. Quand elle refuse je con- de fil assez collants. Loin d'amor- derniers kilomè'trcs. A oompter de la' terre et des mille. parfums tinue. Trop: de silence je ne ·peux tir les formes' ils les accusaient du jour où' pour la première fois et teintes des fleurs. Ou plus, bê· pas. Ou c'est ma voix trop faible en' les s·implifiant. Le mien était il me toucha un mot de son infir,· tement à des impératifs d'ordre par moments. Celle qui sort de. naturelleJllent trop lâche pendant mité en disant qu'à son avis elle anatomique. Il n'a jamais soulevé moi. Voilà pour l'art et la ma. des années. Mais je ne tardai pas avait atteint son. sommet. L'ave- la question. Le sommet atteint nière. .. . à .le remplir.· Il me trouvait des lui donna raison. Celui tout hélas il fallait redescendre. Je faisais tout ce qu'il .désirait.. niains de Verseau; C'est une mai- au moins dont nous allions faire Pour pouvoir de temps à' autre Je 'le désirais aU88i. Pour lui.' . son du ciel.· , du passé ensemble. jouir dUf:liel il se servait d'une 'Chaque foÎ8qu'il. désirait' Une Tout me vient de lui. Je ne le , Je, vois les fleurs à mes pieds petite glace Tonde. L'ayallt .voilé.e chose· moi aus!li. Pour lui. Il .redirai pail chaque fois à propos et' ce sont les autres que je vois. de son souffle et ensuite' frottée n'avait qu'à dire quelle chose. de telle' et telle connaissance. Celles que nous' foulions en ca· contre son mollet il y cherchait -Quand il ne désiraitrien moi non ·L'art de combiner ou combina- dence. 'Ce sont d'ailleurs les mê· les constellations. JeJ'aU s'écriaitplus. Si bien que je ne vivais pas toire pas ma faute. C'est une mes. il en parlant de la Lyre ou. désirs. S'il avajt· désiré une tuile· du ciel. Pour' le 'reste je Contrairement à ce que je Cygne. Et souvent il ajoutait que chose pour moi je l'aurais désirée dirais non coupable. m'étais longtemps plu à imaginer le ciel n'avait rien. 'aussi. Le. bonheur par exemple. Notre rencontre. Tout en étant il n'était pas aveugle. Seulement Nous n'étions pàs à la montaOu la gloire. Je n'avais que les . très voûté déjà il me faisait l'ef- paresseux. Un jour il s'arrêta et gne cependant. Je devinais par désirs qu'il manifestait. Mais il '. fet d'un géant. Il finit par avoir en cherchant ses mots me décrivit instants à l'horizon une mer dont . 'devait les manifester tous. Tous . le tronc à, l'h6rizontale. Pour sa Vue. Il conclut, en disant qu'à le niveau me paraissait supérieur ses désirs et besoins. Quand il se baiancer il. écar- son avis elle ne baisserait plus. au nôtre. Serait·ce le fond de taisait, il devait être comme .moi. tait les jambes et ployait les ge- Je ne sais pas jusqu'à quel point quelque vaste lac é.vaporé ou vidé Quand il me 'disait' de .lui lécher noux. Ses' pieds de plus en plus il ne se faisait pas illusion. Je par le bas? Je ne me suis pas le pénis je me jetais dessus. J'en plats se tournaient vers l'exté- ne me suis pas posé la question. posé .la question, tirais de la satisfaction. Nous de- rieur. Son horizon se hornait au Quand je m'inclinais pour rece· Toutes ces n9tions sont de lui. vions avoir les mêmes satisfac- sol qti'il foulait. Minuscule tapis voir la communication j'entre. Je ne fais que les comhiner, à ma tions. Les mêmes besoins et les mouvant de turf et de fleurs écra- voyais qui louchait vers moi un façon. DQnné quatre ou cinq vies mêmes satisfactions. sées. Il me donnait la main à la œil rose et bleu apparemment im· comme celle-là j'aurais pu lais· Un jour il me dit de le laisser. manière d'un grand singe fatigué pressionné. ser une trace•. C'est le verbe qu'il employa. Il en levant le coude au maximum. Il lui arrivait de s'arrêter sans N'empêche que survenaient ne devait plus en avoir pour long- Je n'avais qu'à me redresser pour rien dire. Soit que finalement. il assez souvent ces sortes de ..pains· temps. Je ne sais pas si en disant le dépasser de trois têtes et de- n'e-at rien à dire. Soit que tout de sucre hauts d'une centaine' de cela il voulait que je le quitte ou mie. Un jour il s'arrêta et m'ex- en ayant quelque chose à dire il mètres. Je levais à regret les yeux seulement que je m'éloigne un pliqua en cherchant ses mots que y renonçât finalement. Je m'in· et repérais le plus proche souinstant. Je ne me suis pas posé la l'anatomie est un tout. clinais comme d'habitude pour vent à l'horizon. Ou au lieu' de question. Je ne me' suis jamais Au début quand il parlait qu'il n'ait pas à se répéter et nous nous éloigner de celui d'où nous posé que ses questions à lui. Quoi c'était tout en allant. Il me sem- restions ainsi. Pliés en deux les venions de descendre nous· l'ëscaqu'il en soit je filai sans me re- ble. Ensuite tantôt allant et tantôt têtes se touchant. Muets la main ladions de nouveau. tourner. Hors de portée de sa arrêté. Enfin arrêté uniquement. dans la main. Pendant que tout Je parle de notre dernière dévoix j'étais hors de sa vie. C'est Avec ça toujours plus bas. Pour autour de nous les minutes s'ajou. cennie comprise entre les deux' peut·être ce qu'il désirait. On lui éviter d'avoir à dire la même . taient aux minutes. Tôt ou tard événement8 que j'ai dits. Elle re· voit des questions sans se les po· chose deux fois à la file je devais son pied s'arrachait aux fleurs et couvre les précédentes qui ont dû ser. Il ne devait plus en avoir m'incliner profondément. Il s'ar- nous repartions.. Quitte à nous lui ressembler comme des sœurs. pour longtemps. Moi en revan- rêtait et attendait que je prenne arrêter de nouveau au bout de. C'est à ces années englouties qu'il che j'en avais encore pour long- la pose. Dès que du coin de l'œil quelques pas. Pour qu'il dise en· es.t raisonnable d'imputer ma fortemps. J'étais d'une tout autre il entrevoyait ma tête à côté de la fin ce qu'il avait sur le cœur ou mation. Car je ne me souviens génération. Ça n'a pas duré. Main- sienne il lâchait ses murmures. de nouveau y renonce. d'avoir rien appris pendant celles tenant que je pénètre dans la Neuf fois sur dix ils ne me concerD'autres cas 'principaux se pré- dont j'ai souvenir. C'est avec ce nuit j'ai comme des lueurs dans naient pas. Mais il voulait que sentent à l'esprit. Communica· raisonnement que je me calme le crâne. Terre iugrate mais pas tout soit entendu et jusqu'aux tion continue immédiate avec re- quand, je tombe en arrêt devant totalement. Donné trois ou quatre éjaculations et bribes de patenâ- départ immédiat. Même chose mon savoir. vies j'aurais pu arriver à quelque tres qu'il lançait au sol fleuri. avec redépart retardé. CommuniJ'ai situé ma,disgrâce tout près' chose.' , I l s'arrêta donc et attendit que cation continue retardée avec re- d'un sommet. Eh bien non ce fut Je devais avoir dans les six ans' ma' tête arrive avant de me dire départ immédiat. Même .chose sur le plat dans un grand calme. quand il me prit par la main. Je de le laisser. Je dégageai preste- avec redépart retardé. Communi. En me retournant je l'aurais TU sortais de l'enfance à peine. Mais ment ma main et filai sans me cation discontinue immédiate avec là même où je l'avais laissé. Un je ne tardai pas à en sortir tout retourner. Deux pas et il me per- redépart immédiat. Même chose rien .m'aurait fait comprendre ma à fait. C'était la main gauche. dait à jamais. Nous nous étions avec redépart retardé. Communi· méprise si méprise il y eut. Dans Etre à droite le mettait au sup- scindés si c'est cela qu'il désirait. cation discontinue retardée avec les années qui suivirent je pliee. Nous avancions donc de Il causait rarement géodésie. redépart immédiat. Même chose cluaÎ8 pas la possibilité de le re· front la main dans la main. Une Mais nous avons dû parcourir avec redépart retardé. tronver. Là même où je l'avais paire de gants nous suffisait. Les plusieurs fois l'équivalent de C'est donc alors que j'aurai laissé sinon ailleurs. Ou de l'èn· mains libres ou extérieures pen- l'équateur terrestre. A raison vécu ou jamais. Dix ans au bas tendre m'appeler. Tout en me didaient nues. II n'aimait pas sen- d'environ cinq kilomètres par mot. Depuis le jour où ayant pro- . sant qu'il n'en avait plus pour tir contre sa peau une peau étran- jour et nuit en moyenne. Nous mené longuement sur ses ruines longtemps. Mais je n'y comptais gère. Les muqueuses ce n'est pas nous réfugions dans l'arithméti- sacrées le dos de la main gauche pas trop, Car je ne levais guère pareil. Il lui arrivait néanmoins que. Que de calculs mentaux ef· il lança son pronostic. les yeux des fleurs. Et lui n'avait de se déganter. Il me fallait alors fectués de concert pliés en deux! celui de ma disgrâce supposée. plus de voix. Et comme si cela en faire autant. Nous parcourions Nous élevions ainsi à la troisième Je revois l'endroit à un pas de la ne suffisait pas j'allais me répéainsi une centaine de mètres les puissance des nombres ternaires cime. Deux pas droit devant moi tant qu'il n'en avait plus pour extrémités se touchant nues. Ra· entiers. Parfois sous une pluie et déjà je dévalaÎ8 l'autre ver· longtemps. De sorte que je ne rement davantage. Ça lui suffisait. diluvienne. Tant bien que mal sant. Si je m'étais retourné je ne tardai pas à ne plus y compter du tout. Si l'on me posait la question je se gravant au fur et à mesure l'aurais pas vu. dirais que les mains dépareillées dans sa mémoire les cubes s'accu· Il aimait grimper et moi aussi Je ne sais plus le temps qu'il sont peu faites pour l'intimité. roulaient. En vue de l'opération par conséquent. Il réclamait les fait. Mais du temps de ma vie il La mienne ne trouva jamais sa inverse à un stade ultérieur. pentes les plus raides. Son corps était d'une douceur éternelle.


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Comme si la terre s'était endormie au point vernal. Je parle de notre hémisphère à nous. De lourdes pluies perpendiculaires et brèves nous cueillaient à l'improviste. Sans assombrissement sensible du ciel. Je n'aurais pas re· marqué l'absence de vent s'il n'en avait pas parlé. Du vent qui n'était plus., Des tempêtes qui l'avaient laissé debout. Il faut dire qu'il n'y avait rien à emporter. Les Heurs elles-mêmes étaient sans tige et plaquées au sol à là, manière des nénuphars. Plus question qu'elles brilleJ.lt à la boutonnière. Nous .ne comptions pas les jours. Si j'arrive à dix ans c'est grâce. à notre podomètre. ParC01US final divisé par parcours journalier moyen. Tant de jours. Diviser. Tel chiffre la veille du jour du sacrum. Tel autre la veille de ma disgrâce. Moyenne journalière toujours à jour. Soustraire. Diviser. La nuit. Longue comme le jour dims cet équinoxe sans fin. Elle tombe et nous continuons. Nous repartons avant l'aube. Pose au repos. Pliés en trois emboîtés l'un dans l'autre. Deu· xième équerre aux genoux. Moi à l'intérieur. Comme un seul homme nous changions de Hanc quand il en manifestait le désir. Je le sens la nuit contre moi de tout son long tordu. Plus que de dormir il s'agissait de s'étendre. Car nous marchions dans un demi-sommeil. De la main supérieure il me tenait et touchait là où il voulait. Jusqu'à un certain point. L'autre se retenait à mes cheveux. Il parlait tout bas aes choses qui pour lui n'étaient plus et ponr moi n'avaient pu être. Le vent dans les tiges aériennes. L'ombre et l'abri des forêts. Il n'était pas bavard. Cent mots par jour et nuit èn moyenne. Echelonnés. Guère plus d'un mil· lion au total. Beaucoup de redites. D'éjaculations. De quoi efHeurer la matière à peine. Que sais-je du destin de l'homme? Je me suis pas posé la' question. Je suis davantage au courant des radis. Eux il les avait aimés. Si j'en voyais un je le nommerais sans hésitation. Nous vivions de Heurs. Voilà pour la sustentation. Il s'arrêtait et sans avoir à se baisser attra· pait une poignée de corolles. Puis repartait en mâchonnant. Elles exerçaient dans l'ensemble une action calmante. Nous étions dans l'ensemble calmes. De plus en plus. Tout l'était. Cette notion de calme me vient de lui. Sans lui je ne l'aurais pas eue. Je m'en vais maintenant tout effacer sauf les Heurs. Plus de pluies. Plus de mamelons. Rien que nous deux nous traînant dans les Heurs. Assez mes vieux seins sentent ses vieilles mains:

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Samuel Beckett La Quinzaine littéraire, 15

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1966

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ROSNY AINI: L'Etonnant Voyage de Hareton Ironcastle

RIDER HAGGARD - 5he ANDRE HARDELLET - Le seuil du Jardin .Collection

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Catalogue franco sur demande

JEAN-JACQUES PAUVERT EDITEUR 8, ,rue de Nesle _. (Paris Vie'


ROMANS FRANÇAIS

La Dlort Fernand Combet SchrummSchrumm Jean-Jacques Pauvert éd. 21 F SchrummSchrumm n ' est pas « un copain » qui s'est inscrit pour une croisière du Club Médi· terranée, loin de là, et pourtant M. SchrummSchrumm, excursionniste de première classe qui n'est plus donc un néophyte, se trouve soudain précipité dans une aven· ture on ne peut plus inattendue : des garçons fardés et un chef de convoi qui joue de la lanière de cuir, le font, monter de ,force dans un car pour !'excursion le aux Sables mouvants. Schrumm Schrumm proteste, c'était là chose prévue et on l'attache avec des menottes à son- lIiège. En gnie des autres voyageurs ilarrive à Malentfmdu, le point' de dé· part central de l'excursion, un lieu clos de barbelés et de murail· les où l'on ne pénètre qu'après une invitation et en récitant la prièré numéro 1 :

A u Directeur de

,rExcursion,

mer·

tiquement son libre-arbitre, il doit se plier aux lois du plan établi par le Saint Directeur. Mais ce Démiurge, existe-t-il? Est·ce un homme, une idée? Est·il vrai qu'on lui inflige quotidiennement des visions atroces jouées par une vieille comédienne de Grand Gui· gnol? Réalité et théâtre s'imbri· quent à merveille dans ce conte sadique. Si les images sont sou·

FernimdCo1nbet

tci

Pour rObsc·urité chassée, Pour la tempête apaisée; Pour ce mur extraordinairement [haut, merci. Pour la folie domptée, Pour le désespoir calmé, , , POlir les sables incroyablement [ beaux, merci.

veut d'un ,baroque outrancier Fernand Combet fait preuve au contraire d'u'ne grande rigueur de style et cela lui permet les élu'cubtations ' les - plusoséès, il les a toutes cerclées de fer. Ce n'est pas un roman agréable à lire mai;; &on humour noir est fascinant car 'De confortables appartcments et ,tout est constl'llit, pensé" pesé. des repas substantiels sont annon- Malgré soi on est entraîné vers ces cés mais en 'fait Malentendu est fameux Sables Mouvants. uneprisoD. atroce... Le lecteur' croit avoir compris : voici un Kafka' des' Loisirs, une satire laphysique 'des lieux de vacances' Il 0 P u 1 a ir e s, Malentendu c'est Saint·Raphaël le 15 août t.. Eh Gisèle Prassinos bien, non, ce roman est beaucoup Le grand repas. plus ,complexe; les symboles se Grasset éd. 12 F ;; u c c è den 1. SchrummSchrumm avoue ne rien y comprendre mais il veut partir pour les Sables mouLa frontière entre le Surréalisvants et èela lui donne le courage me et la Poésie a toujours été difde supporter les pires humilia· ficile à tracer et Gisèle Prassinos tions et des tests psychologiques s'amuse à sauter tantôt d'un côté aussi variés que pénibles. Il passe tantôt de l'autre. Le GrarUl Repar ,un sombre dédale, mortel pas se passe donc à la fois «Depour les non·initiés ; il entend des dans » et « Dehors ». trains où l'on jette des hommes « Dedans » c'est la grande maienchaînés et ce ne sont que des son où le narrateur, un jeune hruitages ; il doit visiter la pisso- homme sensible et enfantin, habitière originelle, monument ancien 'te ,avec sà mère. Vieille maison de et vénérable ; puis on le poursuit famille avec des couloirs, de beaux revolver en main dans le jardin meubles, une lingerie où l'odeur secret du Prince Directeur. Ces des fers à repasser trop chauds tests sont-ils de véritables tests? rappelle le caramel, et une, gran ' cac h é dans de cÙisine où se prépare le Grand un placard assiste à uhe orgie à la 'Repas, réception 'saisonnière, traGilles de Rais et plus tard il est ditionqui n'a plus de Sens main, témoin d'une exécution où tenant que le faste' est terni et la r.eaux, accusé ei spectateurs sem- famille presque éteinte. Mais blent des personnages ,sortis d'une ',quelle joie,' quelle agitation pour toile d'Ensor. Les réactions de les préparatifs de cette fête ; pen· SèhrumkI sont analysées dant des jours eedes nuits, on' aset jugées par lesèspionsqui tique, on sort la' plus belle argen· festtmt Malentendu, par le coltme1 terie et surtout, la mère confecLouise·:Qonne, par leSous-Direc- tionne des 'pâtês, des plats de teur, par ,le Grand, Inquisiteur... des ,puddings dignes de TOJit ex;cursionniste perd 8utoma- la table d'Un roi. Le narrateur est

me-

heureux, ainsi protégé par l'autorité, la douceur de sa mère qui régit tout ce remue-ménage comme si sa vie en dépendait. Mais il faut parfois sortir de ce lieu douillet pour aller « Dehors ». « Dehors » les cauchemars les plus épouvantables terrorisent le narrateur : une femme - qu'il avait pris d'abord pour un fauteuil de style - s'approche méchamment de lui en tendant une coupe où nagent des triangles d'aspect meurtrier... une autre fois, la femme de l'épicier, une toute pe· tite poupée, lui serv.ant, du gros sel, s'enlise dans les cristaux qui la rongent jusqu'à ce, que le garçon l'y enfonce totalement..: Mais envoyé comIlle messager chez, une antiquaire invisible, il se heurte, à des, potiches rangées comme une armée de soldats menaçants. La <Jureté, la rugosité de ces aventures liquéfient ce jeune homme comme Salvador Dali ses montres. Voilà les deux atmosphères, les deux pays qui bouleversent diversement le narrateur; mais dans la Grande :Maison 'un drame se joue' : un personnage, qui <Je, forme visible que lorsqu'il boit quelques gouttes d'eau, oncle auréolé d'une mort mystérieuse, ami croyait-on, nouvelle cause de bonheur même, va bous· culer le calme établi. Gisèle Prassinos a su broder une triste et hellè histoire d'amour. Rien n;est affirmé, tout est esquissé en trans. parence et pourtant la tragédie est là. Il est étonnant de voir com· ment avec des images évanescen· tes un poète est capable de pein. dre des sentiments, de les retrouver dans un passé brumeux. Il suffit que Gisèle Prassinos effleure un amour du bout de ses doigts, pour que tout tremble et se transforme. Ce qu'elle ne dit pas est plus important que les réactions étranges qu'elle souligne. Elle utilise l'insolite comme des parures et de même elle fait tourner les mots jusqu'à trouver le:ur facette la plus irisée. Le Grand Repas est certainement le meilleur ro-

Gisèle Prassinos

man de Gisèle Prassinos; la petite fille si, douée, admirée par les Surréalistes, est maintenant un vé· ritable poète du roman.

Marie-Claude de Brunholl

Jean Cayrol Midi Minuit. Le Seuil éd. 15 F Il arrive que l'hôtel pour voya· geurs devienne seul habitable. Au moins provisoirement. Il arrive que le provisoire puisse lui·même, seul, être accepté. Au moins tout de suite. C'est que l'état d'Urgen. ce est proclamé. Toutes les sonnettes d'alarme de l'être l'annoncent à la fois. Il faut fuit, et se retirer, - et chercher le lieu le plus neutre, pour y emporter toutes les muettes clameurs de la, panique, et attendre. C'est ce que fait Martine, dans l'hôtel de, Madame. Rotenburg. , On peut se demander, à lire ,Je dernier roman de Jean l'auteur, à sa manière, ne cherche pas pour, son propre compte « l'euphorie de l'étranger »', Car il tourne le dos à ses propres traditions, comme à une ville trop familière; il s'éloigne de sesthè· mes préférés; peut·être il renOncerait, s'il pouvait, tout à fait à son stvle : il évite tous les cane. fours prêts à 'lui rappeler d,es sou· venirs qu'il connaît trop. Avec Mi· di Minuit, Jean Cayrol tente de Se tenir à distance. Il braque ses jécteurs 'sur l'histoire de Martine, et veut se faire oublier. Martine a enlevé soil fils, pour cette fugue au' bord de la mer. Patrick lui ressemble un peu, - par une certaine façon de tenir la tête. Mais il va ressembler de plus en plus à Gilbert, le Mari: il a envie d'un microscope et d'une règle ,à calculer. Il est soi· gneux, opaque, il juge. Martine, seule avec lui, est regardée conti· nuellement. Et s'en plaint. Les maris brasseurs d'affaires fuient d'abstraction en abstraction : rush sur les ventes, circuit des investissemeTits, volume des transactions, secteurs privilégiés, exercice écoulé, aVeC comme corollaires et sur le plan psychologique, phénomène inflationniste, re· doutable fléchissement, les grandes vedettes internationales du, pétrole, bourse sensibilisée... A se tenir si loin de soi, on réussit à ne pas changer, - sans âge dès trente ans, intouchable. L'envi'ronnement immédiat doit être en ordre, dans un ordre absolu': ba· gages parfaits, dîners parfaits, ser· vice parfait, épouse parfaite. Tout ce qui dérange est détestable. Aimer dérange à tout instant. Martine est le désordre même. Elle accroche à chaque minute vécue. Elle voit les couleurs, elle écoute les voix plus que les paroles, - elle s'attarde, elle traîne avec une attention un peu hagar. de : sa fuite à elle l'entraîne au fond du présent. Elle sent, elle touche, - elle déplore que les repas ne durent pas plus longtemps : elle est si près des cno· ses quand elle peut les manger! La fugue de Martine et de son fils est rythmée par les rencontres


, ees

et la folie avec des nourritures : Le hall était désert. Martine découvrit dans une coupe des tranches de cake, elle en prit une, sans se presser, mais sa' main tremblait. Ne pas se hâter surtout, ouvrir délicatement le papier en suivant la collure, mordre le pourtour un peu brûlé du cake, faire rouler .sous la langue les fruits confits... Il y a les agapes projetées, et les vraies, et presque toujours la présence de la faim, qui est une curiosité. La curiosité de Martine ne sait où se poser. Pour son mari, tout ce qui n'est pas l'essentiel n'a aucune importance : et l'essentiel, c'est la continuité dc son dessein ambitieux. Mais Martine n'aime un peu l'argent que pour le dépen'ser en fille pàuvre, - à acheterce qui lui fait à aider ses amis. Si elle aime' un peu l'argent, c'est en liasses, pour le dilapider. Les diamants de son trenté-quatrième anniversaire (un hijou car-ré qui ne se démodera pas, selon Gilbert) sont allés à l'égout. Pas très raisonnable, ee geste; Pas ralsonnahle, MartinI'. En cher- . <,hant· hien dans sa parenté, je qu'on la découHirait peutplI'l' petite-nièce de l'Edmée du Choix des Elues, illventée par J l'ail Giraudoux. Toutes deux accusées de la étrange Le mêIlle' danger les'alti,"e : regarder ll's ..hoses si fixeml'Ilt qu'elles voil'Ilt au travers. Et 'lue! regard déeon('('rtant, pour I"ohscrvateur! Et 'Iuelle vision impn"'\"lIC, pour d,a(:une, - à la l'lus lIIenue des oc ... Cet intéressallt vl'rtige les PCIIl'he sur des abîmcs' répertoriés en Le chemin de ni:te est prodigieux : la chute lc délire risque la banalité. ...je ruse avec la vérité, je n'a11lMiore pas ma situation, à quoi' bon se croire, malheureuse devant un étranger, il pourrait me juger par méprise, de toutes manières, c'est la fin qui sera vraie, quand je serai en danger devant n'importe qui. Lecteurs, nous sentons que ce danger J.lous concerne: l'angoisse, on le sait, se plaît surtout aux zones frontalières. Que l'héroïne, éblouie, tombe, comme neige, dans l'indicible de la folie, - et tout le roman sans doute du côté des jugements sans ambiguïté, là. où les uns sont sains' et les autres malades. Nous y perdrons alors, et c'est tant pis, notre malaise. Nous cesserons de nous demander où finit la rêverie, où commence l'halo lucination, - et qui est aliéné : le mari mécanique, fou de peur au moindre imprévu, ou cette égarée, qui ne reconnaît pas son chemin, oublie l'heure, perd ses valises, absorbée à ue rien faire. L'auteur aura répondu à nos quèstions. Le devait-il ? Les gens parlent, avec des phraLa Quinzaine littéraire. 15 mars 1966

ses de tous les jours, qui sonnent comme dans une catllédrale, et provoquent la stupeur. « Ce n'est pas un temps de saison... Comment savoir ? Tout le monde sait. Tout le monde le dit « Vous n'avez pas l'air dans votre assiette ». Tout le monde est dans son assiette, et dit n'importe quoi, des mots interchangeables, usés, qui ne sont à personne, qui ne veulent rien dire, - q'ui font l'accord de tous. Martine essaie de bonne foi ce langage, - auprès de son fils, excellent interlocuteur puisqu'il n'écoute pas : « Tu ne manges pas, tu avales »... « Ne pas aussi vite, tu vas te faire mal... ». Mais ce bon sens vainement 'emprunté tomhe d'elle comme une cape. Il faudrait trop de contorsiolls pour le retenir. Elle se retrouve avec naturel dans la stupeur passionnée de son attente peuplée de visions. Plusieurs d'entre elles déguisent ou frôlent le Secret, le Rcmords, la Chose enfouir, - l'Inavoué. Cc rapt vécu, ou hien imaginé? POlir une conscience un peu délieate, il n'y a pas grande diffé'"l'II;'e entre le poids du mal eom et celui du 'mal urt peu trop vin'ment évoqué, ne serait·ce 'Iu'un jour. Ce scra "à la police de si Martinc cst oui ou non eoupable devant lcs homnies. Sa culpabiIlté profonde vit ailleurs. Aux dernières' lignes du livre, il y a un revolver. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus fort. Il y a vioknces hil'II pires que celle-Iii. Et l'ires aussi que la folie. Car entrer solennellement en démence, c'est déposer le sceptre, l't la couronne, et le Secret. C'est renoncer à l'extrême et périlleu vigilance du chemin de crête. C'est devenir aux yeux de tous le personnage du malach;, dont tout l'l'ut être accepté. C'est aussi rendre à chacun la sécurité compromise : ce regard irritant, ce tegard inquiétant, qui mettait en question l'absurde quotidien, sous la lampe de la dinique, devient objet; ses contestations, devenues dérisoires, ne sont plus l'appel troublant d'une conscience, mais les symptômes rassurants du mal d'un seuI. Chaque fois qu'un fou est reconnu pour tel,. effectivement la société s'en porte mieux : ainsi donc le délire de Martine délivre tout le monde. Et le lecteur, qui n'y tenait pas. La mort et la folie peuvent tout conclure, bien sûr, à coups de cymbales et de revolvers. Mais la petite phrase mélodique incompa. rable du personnage et du roman n'en est pas résolue. En dépit des accords violents du mouvement final où rien n'est ménagé, une fois le livre refermé, c'est elle que nous garderons en mémoire, difficile, interrogative, et, malgré l'auteur, toujours inachevée. Josan,! Duranteau

collection d'essais au format de poche dirigée par françois erval

HUIT TEXTES INEDITS IMPORTANTS

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et totalitarisme L'homme et l'animal Wagner et l'esprit romantique

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LETTRE D'ALLEMAGNE

Un chansonnier et un oratorio L'affaire Peter Weiss et l'affaire WoH Bierman sont les deux événements littéraires qui ont le plus occupé l'Allemagne ces dernières smnaines. Le premier est un auteur dramatique, le second, un chansonnier. Mais l'agitation soulevée est plus politique que littéraire. Pour comprendre ce qui s'est passé, il ne faut pas perdre de vue qu'en Allemagne l'antagonisme entre capitalisme et communisme ne se joue pas en vase cros mais qu'il oppose deux structures sociales délimitées par une des frontières les plus meurtrières du monde moderne et' qui ne se reconnaissent l'une l'autre que pour se conspuer. Weiss et Biermann, chacun à sa manière, ont refusé de jouer la carte de la guerre froide. Peter Weiss, lauréat du Prix Lessing, âgé de 50 ans et résidant à Stockholm est l'auteur de Marat qui lui a acquis une audience mondiale. Dans sa dernière pièce, fInstrltction (sous-titre : Oratorio en onze il s'attaque au problème d'Auschwitz en s'inspirant très étroitement des comptes rendus du proci:s de Francfort. Mais si les interrogatoires de ceux qui eurent à répondre des crimes commis à Auschwitz lui ont fourni la matière première de sa pièce, il a su leur donner un style et une ordonnance tels que le lecteur ou le spectateur qui, à travers eux, découvre graduellement, de l'arrivée des trains' de marchandises jusqu'aux fours crématoires, le fonctionnement de l'usi'ne à meurtres qui a nom Auschwitz, est mené, quelles que soient ses défenses, jusqu'au bout de l'horreur. Weiss ne prétend pas expliquer Auschwitz; il se propose simplement de regarder en face des faits monstrueux et de contraindre son spectateur à le suivre. Tout ce qui peut avoir un caractère anecdotique est délibérément banni. Rien ne permet au spectateur de se laisser distraire. Weiss utilise exclusivement des documents authentiques. Le seul commentaire qu'il s'autorise est cette réflexion, qu'il met dans la bonche d'un des témoins, à un endroit particulièrement significatif de la pièce: «Laissons là les attitudes sublimes. L'univers concentrationnaire échapper à notre entendement? L'ordre qui régnait ici ne nous était-il pas familier dès l'origine? ,A nous d'en supporter la conclusion logique, c'est-à-dire l'exploitation de l'homme 'par l'homme menée jusqu'à une dimension qu'on n'avait jamais connne jusque-là ». C'est ce passage de fInstruction qui a attiré les fondres de tous les adversaires occidentaux de Weiss. Il y a actuellement en Allemagne une véritable école de théâtre vérité. Weiss; cependant, à la différence d'un Heinar Kipphard' retraçant le procès du phy8

sicien Oppenheimer, n'a pas tenté la gageure de reconstituer en décors réels, sur une scène de théâtre, le camp d'Auschwitz ou la salle d'audience de Francfort. Bien que son théâtre soit plus éloigné du montage, de la bande d'actualités que celui de n'importe lequel des auteurs évoqués plus haut, il serre, plus que tout autre, la vérité essentielle. I.e succès de flnstruction a été i m men s e. Dix-sept théâtres, à l'Ouest comme à l'Est, ont présenté la pièce le même jour ; toutes les chaînes de radio l'ont retransmise; la télévision s'y intéresse; des metteurs en scène de tous les pays cherchent à en acquérir les droits. Le débat est ouvert. Les critiques contestent la validité de cette tentative désespérée en vue « d'assujettir le passé ». Ils accusent les théâtres et la radio de ne s'y être prêtés que pour se dédouaner à bon compte. Et qp.e dire du thème de la pièce! Le mot d'Adorno: Après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poèmes, repris par Enzensberger dans la Modification: Toute œuvre d'art désormais doit pouvoir être confrontée à Auschwitz, domine toujours la littérature - allemande d'après-guerre. Et voilà Auschwitz devenu le sujet d'une œuvre littéraire, quand ce serait par le truchement d'un procès! Auschwitz réduit aux proportions d'un divertissement pour esthètes! Le théâtre ne va-t-il pas trop loin? Les critiques, cependant, sont vite dépassés par 1 e s événements. Weiss, en effet, au cours de multiples interviews et commentaires, déclare qu'il ne lui est plus possible de « rester en tiers » dans la discussion qui oppose capitalistes et communistes, comme il s'était encore contenté de le faire dans sa précédente pièce en se gardant de résoudre le conflit entre l'individualiste Sade et le révolutionnaire Marat. Le moment est venu pour lui de prendre parti et il choisi le socialisme. Les fonctionnaires de la République Démocratique Allemande qui ne sont guère habitués à voir affluer des émigrants à leurs frontières, croient avoir trouvé en Peter Weiss un allié inespéré. Si, jusque là, les œuvres de Weiss avaient reçu' un' accueil mitigé, l'homme est fêté dans tout le pays. Une lecture publique de rInstruction, qui a toutes les apparences d'une affaire d'Etat, a lieu à la Chambre des Députés. A l'Ouest, au contraire, on ne voit plus en Weiss qu'un renégat. Bien qu'il n'ait jamais caché qu'il a ses propres idées sur le socialisme, en matière de liberté d'opinion et d'expression tout particulièrement, idées qui, d'évidence, ne coïncident pas avec celles des dirigeants de la R.D.A., il est ex-

posé à un feu nourri de la part des journaux fédéraux. Interdiction lui est faite d'écrire en allemand, toute représentation de flnstruction est dénoncée comme « entreprise de mauvais goût », lavage de cerveau et propagande subversive. Sont particulièrement remarquées les attaques de l'éditorialiste de Die W elt, lequel affirme que si Weiss a refusé de jeter un voile sur la part prise par certains industriels dans l'aménagement d'Auschwitz, c'est par esprit de parti. Pour Die Welt, il y a là propagande et sabotage d'autant plus perfide de

Le Kurfürstendanlm, à Berlin.Ouest.

la démocratie occidentale que Weiss s'est servi pour ce faire d'un thème tabou. Quant à la presse de l'Allemagne Populaire, elle voit dans la pièce la haine et findignation que doivent susciter ces corrupteurs de la nation qui, en Allemagne Occidentale, occupent à nouveau tous les hauts emplois après avoir réussi à esquiver des condamnations graves au cours du procès d'Auschwitz. Pas un mot, et pour cause, sur l'état d'esprit qui avait rendu Auschwitz possible. Levée de boucliers à l'Ouest; triomphe à l'Est ; mais cela ne revient-il pas au même? WoH Biermann, lui, est âgé de trente ans et vit à Berlin-Est. Communiste notoire, son père fut assassiné par les nazis. Biermann, qui a quitté Hambourg dep'uis des années pour s'établir en R.D.A., est un homme qui dit oui à son pays mais sa façon de le dire déplaît excessivement aux vieux bureaucrates. La' liberté d'action qu'on lui est représentative des fluctuations du climat culturel de la R.D.A. Ses chansons, qui se réclament de François Villon, remportent un immense succès auprès de la jeunesse. Son premier recueil de poè-

mes (La Harpe en fil de fer, allusion à sa guitare, aux barbelés qui séparent les deux Allemagnes et au Tambout de Grass) -a: été tiré à des milliers d'exemplaires et on a lancé, avec le même succès, un disque de ses chansons. A Berlin-Est, par contre, tout projet de ce genre a été étouffé dans l'œuf et l'effervescence de la jeunesse a si bien inquiété les dirigeants qu'elle a donné lieu à une campagne de presse, entièrement dirigée contre les dernières chansons de Biermann, et dont le style, allant de l'injure simple à l'accusation de perversion sexuel-

L'ex-Staline Allee, à Berlin·Est.

le (le bruit court que les difficultés de Biermann viènnent eil gran· de partie d'un mot malheureux qu'il aurait fait sur la fille d'un haut dignitaire, laquelle, d'après lui conserverait sa chemise nleue avec les insignes du parti jusque dans la chambre à coucher -et nul n'ignore la pudibonderie des di· rigeants dela R.D.A.), en passant par toute la chaîne des slogans chers aux « apparatchicks », rappelle les périodes les plus noires du stalinisme. Le tout aboutissant à une motion du Comité Central par laquelle il est décidé de pren· dre des mesures énergiques pour ramener à la raison « tous ces éléments indisciplinés et », motion approuvée, par esprit de pénitence, par l'Association des Ecrivains. Dans l'une des chansons incri. minées, il était question de Fredi Roshmeisl, le draineur de Bückow, qui fut rossé, arrêté et condamné à trois mois de prison pour avoir serré de près sa fiancée au bal. Biermann, y applaudissait d'ailleurs aux transformations qui s'étaient dernièrement amorcées dans ce domaine : Il était pour le socialisme - il était pour le nouveau régime - mais le régime de Bückow, il n'en voulait plus. Dans une autre chanson, Biermann, in-


VOYAGES

COllllllent est lIlort

Raphaël sultant li nos camarades soldats qui, au péril de leur vie, font leur devoir de patriotes et de socialistes aux frontières, mettait en scène le fantôme de Villon, jouant de la harpe, la nuit, sur les fils barbelés. On reproche à Biermann qui ose dire tout haut ce que tout le monde pense, d'attaquer dans le dos les for.ces humanistes de r Allemagne de rOuest. Et voici le point où l'affaire Weiss et l'affaire Biermann se rejoignent. Weiss se déclare solidaire de Biermann, sa conception du socialisme ne lui permettant pas d'en ex· clure la liherté d'opinion. Les fonctiounaires du parti auront-ils le dernier mot? Rien ne permet de prévoir qu'ils pourront aller à l'encontre du mouvement de solidarité des jeunes artistes de la R.D.A., qui ont refùsé en bloc de hurler avec les loups, et des écrivains de la République Fédérale dont nul, apparemment, ne s'est senti attaqué par Bier· mann. Le bruit court que Biermann a été convoqué dernièrement devant une commission de ces « éléphants de hureau » sur lesquels il a fait une chanson : Ceux qui jadis ne tre1J1blaient pas devant les mitrailleuses - _Crèvent devant ma guitare - Dès que ouvre ma grande gueule, c'est la panique - Dès que j'arrive avec mes chansons, r éléphant de bureau sue, de la trompe. Il lui a été notifié qu'il aurait à s'abstenir désormais de toute attaque contre le régime. Biermann aurait répondu que cela ne le concernàit pas car il n'avait jamais cherché à attaquer le socialisme. A l'Ouest, on continue à éditer, à lire, jouer Weiss. A l'Est, Biermann est inteJ;"dit polU' une période indéterminée. Et des deux côtés, une fois de plus, les héros de la guerre froide ont fait leurs pe· tites· affaires,Ja main dans' la main .:- et la vérité, une fois de plus, a fait les frais de .l'opération. Dieter\Zimmer

i

vulgarisation historique, si prospère en France. Le vulgarisateur historique imite l'historien sérieux, et donc trompe le public. Le journaliste du passé ne prétend ni apporter du neuf ni être complet : son art est dans la mise en œuvre du récit. et cet art découle d'Un des genres principaux du journalisme anglais et américain - genre qui est toujours resté en France extrêmement rabougri, malgré quelques tentatives - le profile.

Luigi Barzini Les Italiens. Traduit par Claudine Hermann Collection L'Air du Temps Gallimard éd. 22 F Le gros livre de M. Luigi Bar· zini, Italien pourvu d'une forma· tion anglo-américaine, écrivant tantôt en anglais, tantôt en italien, est un chef-d'œuvre de journalisme, ce qui d'ailleurs était souhaitable étant donné la collection dans laquelle il paraît, et que di· rige, comme chacun sait, M. Pierre Lazareff. Mais chacun sait éga. lement que le talent journalistique peut s'exercer de deux manières : soit en apportant des in· formations inédites et des observations nouvelles, soit en arran· geant agréablement des informations et des idées déjà connues, ou fàusses mais généralement acceptées, de telle manière que le lecteur ait l'impression, justifiée ou non, d'avoir épuisé un sujet, d'en avoir fait le tour, «le l'avoir' pénétré de l'intérieur, et .. cela sans avoir jamais ressenti la m.oindr.e fatigue ni éprouvé la moi.ndre contrariété. .Contrariant, certes, M. Barzini ne l'est pas. Ecrivant pour les milliers ,de touristes qui vienIlJlnt. chaque année en Italie, et pour ceux venus d'Amérique' (son livre est un best·seller aux Etats.Unis), M. Barzini leur con· firme l'image des Italiens qu'ils se font sans doute déjà : l'Italien est un être essentiellement amou· reux, la prostituée italienne 'ne fait pas du' tout l'amour pour de l'argent, elle transcende son commerce avec une di.stinction et un raffinement uniques, la vie italienne est un perpétuel spectacle, un théâtre permanent, une extériori· sation vitalisante pour le spectateut" nordique avachi, mais en même temps les Italiens' sont· très secrets, impénétrables. La force de l'amour italien est démontrée par la fréquence du crime passionnel - encore .qu'il soit. non moins démontr.é que le « crime d'hon-

Soleil et ombre italiens.

neur » est inspiré par tout sauf par l'amour. M. Barzini nous fait d'ailleurs savoir qu'il est hostile au divorce et qu'il se réjouit de ne l'avoir jamais vu adopté dans son pays, attitude légèrement surprenante puisque sa biographie nous apprend .qu'il est député du parti libéral. Cela ne l'empêche pas, il est vrai, de mettre à l'actif de Mussolini la paix avec l'Eglise, alors qu'à mon humble sens le concordat a été .une {'.atastrophe pour l'Italie moderne. Quoique les hypothèses de caractériologie collective de l'auteur, y compris les défauts qu'il prête aux Italiens car il a soin d'équilibrer (un implacable réalisme, la dissimulation - qui n'exclut pas la spontanéité la plus totale, tout dépend de la page à laquelle on ouvre le livre) relèvent largement de la, convention, on lit pourtant ces Italiens en .raison d'un indiscutable talent de journaliste du passé. Le journalisme du passé est un genre typiquement anglosaxon, qui n'a rien à voir avec la

M. Barzini excelle ici dans les profiles d'Italiens ou d'étrangers venus en Italie, depuis le condottière anglais John Hawkwood, dont le nom italianisé, Giovanni Acuto, est mêlé à tant de guerres entre cités médiévales, jusqu'à Winckelmann et Addington Ay. monds. Ses pages sur Cola di Rien· zo, le « restaurateur » de la Répn. blique. romaine au XVIe, sur Cagliostro, sur Guichardin, Machiavel ou enfin sur Mussolini sont de la très' bonne lecture supérieure de plage - expression toute pla. tonique d'ailleurs, puisqu'il y' a désormais beaucoup plus de livres à lire..sur. Ja plage que de plages librés, où' de places libres sur les plages occupées. Le journaliste du passé. n'est pa.s exempt d'erreurs, cela .va de soi. C'est ainsi que M. Barzini (p. 220) fait mourir Ra· phaël d'excès sexuels alors qu'il ressort clairement des témoigna. ges contemporains qu'il trépassa d'une br.oncho-pneumonie. Musso· lini également, d'après notre auteur, était « prématurément usé » par sa vie sexuelle. Cette idée du « sexe qui tue » se trouve déjà dans le Court traité de Spinoza. Le philosophe affirme catégori. quement que l'amour physique fait mourir jeune ; mais sa chasteté ne lui servit de rien, puisqu'il mourut lui-même à 42 ans. Selon la théorie Spinoza-Barzini, l'humanité serait devenue de plus en plus vertueuse, pnisque l'allonge. ment de la vie humaine en notre siècle est un fait notoire. Jean-François Revel

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La souffrance des huntbles

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De cette distorsion qui parais. sait irréversible des rapports en· tre les mots et la réalité qu'ils sont censés cerner partout ail· leurs, de cette déformation quasi. universelle de la sémantique, im· posée par Staline à tout un peu· pIe, par quels moyens les écri· vains allaient·ils en guérir la lan· gue et la littérature russes? De quelle façon allaient·ils reconsti· tuer un langage « normal », resti. tuer aux mots leur signification usuelle afin de traduire dans l'art une expérience historique cauchemardesque? Renoqer avec les grands surréalistes avant la lcttl'e, du siècle dernier, Gogol et DOHtoïevski, puiser dans les ressourœs du haroque et de l'expressionniHlllc, Cette voie choi· sie par un Tl'l"tz-Siniavski ou par un Arjak-Danicl n'est apparemment pas la "oic unique. L'exem· pIe de rautcur d'Une Journée d'Ivan Dl'IlÎssovitch est là pour prouver qu'un retour à d'au· tres SOlll"Ces, au grand réalisme du • XIX'> sii·c1e, à celui de Tolstoï • ou de Leskov peut à l'étape ac· : tuelle de révolution russe mener • à des (l'uvres également importan• tantes, chargécs de vé· • rité. • Les qualités d'écrivain d'Alexan· • dre Soljénitsyne, cet ex·officier de • l'Année Rouge pendant la derniè· • re guerre, ex.déporté d'un camp • Foviétique, professeur anonyme • (lans un lycée de province, qui • d'un jour à l'autre, à travers son • récit «concentrationnaire» s'était • imposé à la Russie et au monde • comme maître incontestahle de la • langue, comme observateur infini• ment attentif, comme témoin par• mi les plus lucides de l'époque, : ces qualités ne faiblissent pas • (Ians les trois récits puhliés en • Francc tout récemment sous le ti· • tre La Maison de • A l'encontre d'un Tertz-Siniav• ski, Soljénitsyne évite des images : et fantastiques, utilise • peu les métaphores, ne donne pas • dans le symbole ou dans l'allégo· • rie. Econome à l'extrême de ses • moyens, il dissèque le comporte. • ment de ses personnages avec pré: cision, reconstitue leurs dialogues • dans leur simplicité apparente et • l'on pourrait le prendre à premiè• l'e vue pour un photographe, pour • un reporter honnête, n'était la di· : mension du langage, n'était la • consciente et même • raffinée de la narration, n'était • "urtout la pitié qui pour être dis· • et avare de paroles, reste • pourtant toute présente dans le • lexte et octrOIe . a'}'œuvre un 1y• l'isme souvent digne d'un Tchek• !Jov. Soljénitsyne est passé maître • de l' « unclerstatement » mais cet • « understatePlent » qui tient tout : pntier dans le langage na rien • tIe commun avec les « onlissions »

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les grands problèmes moraux

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décennies qui, en témoignant sur son pays et son époque, se con· tente pour des raisons extra-litté· l'aires de vérités partielles. Un exemple de eet « understatement » ? Soljénitsyne n'a aucun hesoin (artistique) d'employer le mot « épnration stalinienne » lorsque deux personnages, un garçon ayant à peine dépassé la vingtaine et un acteur vieillissant se rencontrent au début de la guerre russo-allemande, à la gare perdne de Krétchétovka. L'acteur dit « 1937 » et le lecteur comprend tout de suite que, pour la généra. tion alors adulte, cette année se confond avec le massacre et la dé· portation de millions d'innocents, avec le silence et la terreur mol'· tels imposés à tout un peuple. Pour le très jeune officier qui, en 1937, n'était qu'un étudiant vi· vant parmi ses camarades, cette année n'est que celle de la guerre d'Espagne, vue dans sa perspecti. ve comme nne aventure romanti· que, exaltante et lointaine.

Deux générations Mais la charge dramatique de ce récit intitulé « L'inconnu de Krétchétovka » est aillenrs : cette différence du langage eutre les deux générations, perçue tout au long de leur dialogue, mène à une injustice et à un malheur. Le jeune officier, honnête, hon et idéa· liste, fait arrêter comme « es· pion » le vieil acteur qni s'était enfui, sans papiers d'identité, de l'encerclement allemand. L'offi· cier est de bonne foi. Comment un Soviétique, un vrai, pourraitil, en effet, ignorer que la ville de Tsaritsyne porte depuis helle lurette le nom glorieux de Stalin· grad ? Oui, le jeune officier formé entièrement dans le temps sta· linien, l'idéaliste qui cherche dé· sespérément à adapter le langage ahstrait de la propagande (pour lui le seul réel) à une réalité qui s'écroule et s'éparpille, ce jeune homme pouvait et devait même soupçonner son aîné dont le système de références était à l'oppo. sé du sien. Mais le lecteur, lui, entend la vérité ultime, évidente, contenne àans le dernier cri de l'acteur : « Vous m'arrêtez... Ce qne vous faites est irréparahle ! ». Je me sonviens encore de millions d'affiches qui, dans ces années précédant la guerre, clamaient dans les villes et les villa· ges soviétiques : Chaqu.e ennemi sera écrasé su.r son propre terri· toire, sans qu'il parvienne à violer nos frontières sacrées. Je me souviens de notre stupéfaction tota· le, de notre désespoir face à l'avance foudroyante de l'ennemi. Un garçon entière· ment par la propagande officielle, ce hon lieutenant 7otov, où pou· vait·il chercher les raisons de ce démenti sanglant, sinon dans les

attitudes et les paroles d'nn pero sonnage pour lui totalement iIi· compréhensible? Car certains ponts, certains chaînons entre les générations successives qui constituent normalement la continui· té, la mémoire historique d'un peuple, ont été volontairement annihilés par la terreur stalinienne. La puissance de l'évocation con· tenue dans ce récit apparemment simple, réaliste, libre de toute grandiloquence, par endroits même humoristique, fait frémir comme le pire des cauchemars. Dans le premier récit, La Mai· son de Matriona, qni donne son titre au recneil français, Soljénitsyne trace à l'aide de traits minuscules le portrait d'une vieille paysanne russe, veuve, mère de six enfants morts en bas âge, vivant dans la misère, éliminée comme « inutile » du kolkhose, simple, proche de la terre, infiniment généreuse, aidant avec un désintéressement total les autres, plus ri· ches et plus malins qu'elle. Cette paysanne, logeuse du narrateur qni habite sa cabane après nn long séjour dans des camps lointains, meurt dans un accident cau· sé par la cupidité et l'égoïsme de ses proches. La description saisissante de la misère kolkhozienne, des ahus d'une bnreaucratie stupide, des « combines » auxquelles se livrent des gens afin de survivre, l'opposition entre le « pays réel» et le « pays légal », qui se dégage de ce récit à· travers mille détails de la vie quotidienne, tout cela me paraît relativement secondaire face à ce portrait de la vieille pay· sanne. Elle n'est pas sans avoir d'ancêtres illustres dans les lettres russes, tel le personnage de Karataiev dans Guerre et Paix, ou ce· lui du paysan Ivan Denissovitch Choukhov - héros du récit «con· centrationnaire» de Soljénitsyne. Et l'attitude, non seulement al" tistique, mais également philoso. phique et « humaine » de Soljé. nitsyne apparaît, à mon sens, entièrement dans ce portrait. Il n'a pas de sympathie pour des perf;Qnnages « importants » couron· nés de succès, pour les rassasiés et les habiles, pour ceux qui cher. chent à occuper plus de place qu'il ne convient sur le théâtre hondé de la vie. Son amour et sa pitié vont vers les humbles, les simples et les faibles qui, en dernière instance, détiennent plus de force authentique et de vérité que les « forts », tributaires de valeurs fallacieuses. Cet homme mûri par la souf· france, ce maître·écrivain hyper. lucide et conscient de ses moyens artistiques, rejoint par cette atti. tude ses grands .prédécesseurs de la littérature russe. N'a-t-elle pas su, comme aucune autre, se pencher avec tendresse vers l'abîme vertigineux de la souffrance des humhles? Piotr Rawicz


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Les vies parallèles George D. Painter Marcel Proust. 1871·1903 : les années de jeunesse Mercure de France éd. 28,80 F Rien, à première vue, ne pré· dispose la vie de Proust au pres· tige des grandes biographies. Ce n'est pas une vie adolescente (Rim. baud), aventureuse (Byron), tita· nesque (Balzac) ou tragique (Van Gogh) ; c'est la vie d'un fils de famille mondain, oisif, riche (et l'on sait combien nous sommes aujourd'hui, envers l'al" gent de l'écrivain), dont le dé· cor, mi.haussmanien, mi·normand, est celui d'une histoire bourgeoise, ironisée ordinairement sous le nom de «belle époque », matière . à films plus que substance litté· raire. Et pourtant il se produit ceci : la vie de Proust est passion. nante, comme le prouvent le suc· Cf>S du livre de Painter et le plai. sir très vif, singulier même, quc nous y prcnons. Pourquoi ?

L'jnigme d'une vie Sans doutc rœuH"c dc Proust a déjà quelquc rapport immédiat avec le genre hiogral'hiquc, puis· que cette œuvrc uniquc, ccttc somme, est le récit d'unc vic qui va de l'enfance à l'écriture, en sorte que Marcel et son narrateur sont un peu comme ces héros dc l'antiquité, que Plutarque a cou· plés dans ses Vies Parallèles. Mais ici un premier paradoxe surgit, somme toute décevant: prises dans leur extension non dans leur suhstance), les vies paraI. lèles de Proust et de son narra· teur ne se rejoignent qu'en des points très rares; ce que l'un et l'autre ont en commun, c'est une série fort élémentaire d;événe. iIlents ou plutôt d'articulations: une longue période mondaine, un deuil violent (mère ou grandmi're), une retraite subie (dans une maison de santé), une sécession volontaire (dans la chambre de liège) , destinée à élaborer l'œuvre. Ces points communs ont la même position dans la durée de l'œuvre et de la vie, mais il faut reconnaître qu'ils n'ont pas du tout le même rôle : la mort de sa mère a opéré dans la vie de Proust un partage décisif: celle de la grand-mère ne change rien à l'existence du narrateur, dont tout le chagrin est délégué à sa mère (substitution d;ailleurs énigmati. que sur laquelle il faudrait s'interroger) ; et d'autre part, la retraite subie de Proust est très courte (quelques semaines dans une clinique à Boulogne), celle du nar· rateur (dans le Temps Retrouvé) est fort longue, puisqu'il découvre ensuite un monde étrangement affublé du masque de la vieillesse. En somme, entre la vie vécue et la vie écrite, il n'y a pas analogie, La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

mais seulement homologie. Nous avons là deux esquisses qui scmblent bien reliées selon un certain rapport d'allusion, mais ce rap· port reste mat : il est ou trop clair ou trop profond. Alors, d'où vient l'énigme de ces deux vies paraI. lèles? Encore une fois, pourquoi pouvons·nous lire la vie de Proust avec l'espèce d'avidité que nous mettons à «dévorer» une histoire ?

L'usage des biographies La vérité, c'est que, très paradoxalement, la vie de Proust nous oblige à critiquer l'usage qu.e nous faisons ordinairement biographies. D'habitude, nous considérons que la vie d'un écrivain doit nous renseigner sur son œuvre; nous voulons retrouver une sorte ,le causalité entre les aventures vécues et les épisodes narrés, comIIlC si lcs unes produisaient les a11 tl"CS ; nous croyons que le travail du hiographe authentifie l'œuvre, qui nous paraît plus «vraie» si l'on nous montre qu'elle a été vécue, tant nous avons le préjugé te· nace que l'art est au fond illusion et qu'il faut, chaque fois qu'il est possible, le lester d'un peu de réalité, d'un peu de contingence. Or la vie de Proust nous oblige à renverser ce préjugé; ce n'est pas .la vie de Proust que nous retrouvons dans son œuvre, c'est son (l'uvre que nous retrouvons dans la vie de ProU:it. Lire l'ouvrage de Painter (qui a pour qualité son extrême transparence), ce n'est pas découvrir l'origine de la Recherche, c'est lire un douhle du roman, comme si Proust avait écrit deux fois la même œuvre: dans son livre et dans sa vie. Nous ne nous disons pas (c'est du moins lc sentiment que j'ai eu) : Montcsquiou est décidément bien le modèle de Charlus, mais tout au contraire : il y a du Charlus dans Montesquiou, il y a du Balbec dans Cabourg, il y a de l'Alhertine dans Agostinelli.

Un monde platonicien

Autrement dit (du moins avec Proust), ce n'est pas la vie qui informe l'œuvre, c'est l'œuvre qui irradie, explose dans la vie et disperse en elle les mille fragments qui semblent lui préexister. Doa· san, Lorrain, Montesquiou, Wilde ne composent pas Charlus, c'est Charlus qui essaime et germe dans ces quelques figures réelles, au nombre d'ailleurs variable, que chaque biographie augmente ma· licieusement. Or cette lecture paradoxale est conforme à ce que nous entrevoyons de la philosophie de Proust (notamment depuis le livre de G. Deleuze sur Proust et les Signes) : le monde prous-

tien est un monde platonicien (beaucoup plus que bergsonien), il est peuplé d'essences, et ce sont ces essences qui sont dispenoées dans l'œuvre et la vie de Proust: l'essenc(' (Charlus, Balbec, Albertine, la «petite phrase») se fragmente sans s'altérer, ses parcelles indiminuées vont se loger dans des apparences dont il importe peu finalement qu'elles soient fictives ou réelles.

Proust dans notre vie Nous comprenons alors combien il est vain de chercher les « clefs» de la Recherche. Le monde ne· fournit pas les clefs du livre, c'est le livre qui ouvre le monde. Certes la vie de Proust luimême offre un champ privilégié à la dispersion des essences, mais ce champ n'est pas le seul possihle. Chacune de nos vies particulières peut s'offrir à recevoir les essences proustiennes; d'où ee sentinlent constant de retrouver le monde de Proust dans notre vie (tout comme Swann retrouvait la Charité de Giotto ou le doge Loredan de Rizzo dans la servante aux asperges ou dans son cocher Rémi). Qui ne rencontre encore aujourd'hui, en 1966, autour de lui, M. de Norpois discourant sur la littérature ou Octave·dans-Ieschoux, jeune homme inculte mais <'ompétent en bars, sports et vêtements? La vérité de Proust ne vicnt pas d'une copie géniale de la « réalité », mais d'une réflexion philosophique sur les essences et sur l'art. Aussi, en dépit du para· doxe, lorsque le lecteur lit la vie de Proust non point comme antérieure mais comme ultérieure à son œuvre, c'est.lui qui a raison et non le critique qui essaierait d'expliquer l'œuvre de Proust par sa vie.

Ni auteur ni personnage

On peut énoncer autrement ce paradoxe biographique: les vies de Marcel et du narrateur constituent deux plans offerts à la dispersion des mêmes essences ; mais ce qui n'est plus parallèle entre eux, parce qu'unique, confondu, identique, c'est l'écriture: c'est là où les parallèles se rejoignent. Lorsque Marcel s'enferme dans sa chambre de liège, c'est pour écrire ;. lorsque le narrateur dit adieu au monde (lors de la matinée Guermantes), c'est pour enfin commencer son livre. Autrement dit, c'est seulement alors que les deux vies parallèles marient indissolublement leurs durées: l'écriture du narrateur est à la lettre l'écriture de Marcel: il n'y a ni auteur, ni personnage, il n'y a plus qu'une écriture. Roland Barthes

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• HISTOIRE LITTÉRAIRE

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Villiers de l'Isle-Adam Le prétendant. Drame en cinq actes et en prose texte établi et présenté par P.-G. Castex et A.-W. Raitt J Corti éd. 15 F Villiers de l'Isle-Ada,m "Contes fantastiques."Collection l'Age d'Or Flammarion éd. 9,75 F

Avec une patience et une opiniâtreté de fourmi, hutinant" dans les lieux les plus étranges, écumant les bibliothèques, dépouiJlant les collections privées, mettant à la question maints témoins compétents, A.-W. Raitt, cet oxfordien distingué, a réuni tous les "éléments mentaux et les notions esthétiques ou philosophiques qui pourraient permettre d'expliquer, voire d'élucider, les divers mystères de l'œuvre et de la personne de Villiers de l'Isle-Adam. Les remarques, dont il émaille ou conclut ses immenses recherches, sont, sinon négatives, du moins désabusées. Certes, Villiers obtient une audience exceptionnelle auprès des écrivains symbolistes. Causeur plein de faconde qui, pareil à Oscar Wilde, corrige sans cesse et adapte l'expression de ses idées, il se plaît à enseigner ceux qui l'écoutent, à leur indiquer leur vocation particulière. Maeterlinck ne craint pas d'écrire :

Ma vie a deux versants: avant, après Villiers. D'un côté, l'ombre; de l'autre, la lumière.

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A.-W. Raitt Villiers de rIsIe-Adam et le mouve";"'ent symboliste. José Corti éd. 36 F

On en fait un autre Pic de la • Mirandole, capable de disserter de • omni re scibili. On croit qu'il dé· • tient tous les secrets spirituels propres à apporter à la littérature irançaise les prémices d'un renou• veau. Mallarmé, abusé, durant quelques années, le juge plus apte • que lui-même à composer le livre absolu dont il rêve. On estime que, selll en France, au prix d'un la• beur acharné, facilité par une in: tuition quasi-divine, il a parfaite. ment entendu le wagnérisme, l'hé. • gélianisme, l'occultisme. • En fait, comme le démontre dé• licatement A. W. Raitt, il n'a de ces doctrines qu'une connaissance

le texte intégral des trois émissions d'Burope No 1 qui "ont marqué la campagne

Albert-Marie Schmidt devait collaborer régulièrement à La Quinzaine littéraire. Il nous are· mis cette étude quelques jours avant d'être tué accidentellement. Nous avons perdu un ami dont le souvenir nous accompagnera.

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assez hâtive, puisée dans des manuels de vulgarisation ou des ouvrages de seconde main. Mais il supplée à ce manque" d'informa-

tion directe par les prodigieuses inventions de son imagination créatrice. Il excelle à donner aux concepts qu'il emprunte l'aspect d'une expérience personnelle, en interprétant de façon poétiquement tendancieuse les phénomènes qu'il perçoit et les événements auxquels il assiste. Il dit, entre autres, de son chien, nommé Satin : C'est un chien hasardeux, un saturnien. On ne saura jamais ce qu'il cache de démoniaque. Satin, voyant un de ses congénères mourir avec douceur... empressé et guilleret s'approche du ma,.. lade et lui renifle effrontément dans r oreille. A partir de ce moment, le moribond, jusqu'alors résigné et paisible, s'agita en contorsions frénétiques et trépassa comme un mauvais larron. Villiers en déduit que Satin lui a soufflé le doute et qu'il sert d'habitacle à l'âme de Baudelaire.

Une répugnance maladive C'est ainsi qu'au cours de longs monologues qui ont pour théâtre soit quelque taverne de la rive droite, soit l'appartement de :Mallarmé, il fabrique des entités mythologiques dont ses compères s'emparent a vi d e men t. Je me trompe : des golems plutôt. Mais ceux-ci, comme l'on sait, n'ont d'activité que celle que leur permet certaine marque verbale gra· vée sur leur front. Ils dépendent donc entièrement de la parole orale de Villiers. Lorsque ce der· nier se tait, ils s'étiolent et dégénèrent. Comment les récupérer, les utiliser? Quels que soient leurs ef· forts, les écrivains symbolistes n'y parviennent guère. Quant à Villiers, il éprouve, jusqu'à la fin de ses jours, Ulle répugnance maladive à coucher par écrit ce qu'il a dit avec magnificence. Il désespère les éditeurs et les directeurs de revues. Quand Villiers se décide à ligoter des lignes d'un texte les figurines significatives qu'il anime de ses saillies et de ses épigrammes, il n'arrive jamais à se tenir pour satisfait de ses soins :

Il promettait sa copie, note A. W. Raitt, l'ajournait, la retirait, changeait cr avis, renvoyait en re· tard, bouleversait le tout sur épreuves. Hésitations compréhensibles au risque de m'attirer l'inimitié des villierolâtres, je ne craindrai pas d'avouer que son écriture ne me semble presque jamais au point. Elle manque d'unité fondamentale. Un rien lui fait perdre le ton requis. Les propos qu'elle comprend sont tantôt lâchés et quasi-vulgaires, tantôt exagéré. ment retenus, pincés, prétentieux.

Seul Axel offre les charmes d'un style soutenu. A. W. Raitt me reproche d'avoir axé une modeste étude que j'ai jadis consacrée à Villiers presque exclusivement sur le côté satirique de son œuvre. Mais lui-même, comme Monnier Joseph Prud'homme et Jarry Ubu, n'aimait-" il pas à revêtir Tribulat Bonho. met, son golem et son masque de prédilection? Entre 1867 et 1887, le trésor des histoires qui le concernent s'est enrichi continuellement. Et pourtant, à la différence de Monnier et de Jarry, il ne hausse pas, malgré qu'il en ait, ce personnage d'une sombre jovialité à la dignité d'un type littéraire. Bien que Tribulat Bonhomet exprime à merveille l'essence du bourgeois, intendant méticuleux, féroce, borné, des jardins de la" terre, il a moins d'existence que Prud'homme ou Ubu. J'estime, en revanche, avec A. W. Raitt, que Villiers a doté de prestiges nouveaux le type, emprunté à Baudelaire, de la femme belle et mystérieuse, inaccessible à toute vie proprement humaine et à tout sentiment humain, ayant choisi de se consacrer à une virginité inviolable. Mais statue de glace qui représente r esprit humain ayant conquis la connaissance et la vérité suprêmes, recélant en puissance Hérodiade et La Jeune Parque, est parcourue parfois, me semble-t-il, par d'ardentes ondes passionnelles. Elle se change alors en ce que je nommerais une preuse. Apparentée à ces nymphes de Diane Cruelle, dévoratrices de mâles, qui terrorisaient les poètes français du XVIe siècle, elle est la meneuse de tous les jeux du monde. Le Prétendant, rétractation de Morgane, dont P.-G. Castex et A. W. Raitt nous procurent enfin le texte demeuré inédit, accompagné de précieux éclaircissements, se réduit au conflit qui oppose deux Armide, ivres d'impérialisme Morgane et Lady Hamilton. Si Villiers s'abstient de donner à la conjuration napolitaine, dont il retrace les péripéties, des causes externes admissibles, c'est qu'elle trouve sa justification profonde dans la soif érotique de pouvoir qui ravage et ravit ces deux protagonistes féminins." Quoiqu'elles semblent se disputer la possession d'un homme, elles n'ignorent pas la gratuité de ce qui les emporte. Elles s'accomplissent dans une révolte assumée et dans une rébellion qu'on dompte. Elles ne s'y perdent point. Et rien n'exténue leur noir optimisme. Si -on leur compare leurs coinparses masculins, ceux-ci paraissent obsédés par une conscience tatillonne. Ils s'évertuent à examiner -leur situation : leurs inspiratrices, se plaçant superbement au centre de tout, négligent de consi-dérer_ les plus simples références. Pessimistes, ils tendent à une négativité dionysiaque. Le plus sub·


Les forlD.alistes russes til d'entre eux, Montecelli, avoue: Je suis un ennuyé et c'est par curiosité que je me passionne... bref, j'y vois nettement... et je suis d'une sincérité... sinistre. Disciple de Joseph de Maistre, partisan d'un état autocrate et fortement hiérarchisé, il se persuade que les hommes ne font pas l'histoire. Il s'abandonne pourtant au courant de celle-ci et prend des initiatives qui lui paraissent à la fois plaisantes et inefficaces : Les principes, qui furent notre élément, ne sont pris au sérieux désormais ni par les rois, ni par les gentilshommes, ni par les peuples. Nous sommes emportés dans un mouvement qu'il est aussi impossible d'entraver que de conduire et nous servirons son élan même en essayant de réagir contre lui.

Assez mal construit, mais plein de suspensions d'intérêt qui en accroissent le pathétique foncier, Le Prétendant ne comporte aucune de ces spéculations de philosophie occulte dont Villiers éblouissait les membres de son cercle étroit. Aux yeux des amateurs communs d'aujourd'hui, il reste pourtant l'un des maîtres du genre fantastique. Au vrai, l'a-t-il souvent cul· tivé? Les écrivains fantastiques dignes de ce nom décrivent, avec des précautions souveraines, l'intrusion dans la familière réalité quo· tidienne d'un je-ne-sais-quoi qui demeure innommé. Or Villiers, lorsqu'il rapporte quelque anecdote étrange, suggère presque toujours une explication plausible des faits qu'il vient de révéler. Dans l'anthologie, judicieusement compilée qu'a publiée récemment Henri Parisot, seul L'Intersigne est purement fantastique. Les autres textes que renferme ce reM cueil peignent surtout des états d'angoisse ou des expériences psychiques dangereusement prolongées jusqu'à un abominable terme. Ils sont insolites plutôt que fantastiques. Précurseur et initiateur du Symbolisme, Villiers de l'Isle-Adam ne fournirait plus à notre temps que des motifs de curiosité et d'admiration érudites, si, dans L'Eve future, il n'avait traité, de façoJ!, magistrale, les thèmes principaux que varient aujourd'hui les auteurs de fictions scientifiques, les assortissant d'un rappel des op. tions fondamentales d'un humanisme hégélien qui risque, hélas ! maintenant d'être tenu pour dérisoire. Albert-Marie Schmidt La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

Théorie de la littérature textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits par Tzvetan Todorov, préface de Roman Jakobson. Collection Tel Quel Le Seuil éd. 19,50 F Le « structuralisme » qui est en train d'envahir l'ensemble de l'anthropologie, est parti de la linguistique; et à l'intérieur même de la linguistique, il a une triple origine : l'école formaliste russe, le cercle linguistique de Prague, et bien entendu les successeurs de Saussure. Trois groupes, notons·le en passant, où quelqu'un se retrouve toujours : Jakobson. Or, si nous connaissions par les traductions de Troubetzkoy et de Jakobson la phonologie de Prague, en revanche le mouvement russe, le plus ancien, celui où nous pressentions comme la préhistoire de tout le mouvement « forma· liste » contemporain, nous était jusqu'ici pratiquement inabordable. C'est dire l'importance des traductions que publie T. Todo· rov : nous allons apprendre un peu de ce passé proche dont nous avons directement hérité et qui étrangement nous restait fort clos.

La littéralité L'école dite par la suite « for· maliste » est née autour de 1915 à Moscou et à Petrograd dans les milieux proches (qui s'y fût atten· du ?) du futurisme, et elle a disparu vers 1928 sous la pression du stalinisme. Ce qui frappe d'abord, c'est combien ces jeunes critiques étaient russes, et combien leur façon d'être russes reste parente de celle qu'on trouvait au temps de Gogol ou de Dostoïevski : c'est le même sens du groupe et de la polémique, le même goût pour des théories ambitieusement synthétiques, la même difficulté à les ex· poser de façon abstraite et continue, le même penchant pour la digression (où se trouve d'ordinaire l'essentiel), enfin le même hUM mour paradoxal. Constatation frappante en ce qu'elle montre que la rupture entre deux Russies, ce n'est pas la révolution mais bien la période stalinienne qui l'a marquée. Mais venons aux textes. D'abord, les « formalistes » n'ont jamais prétendu détenir une doctrine, ni même élaborer une méthode définitive pour l'étude de la littérature. Leur règle, sans cesse répétée, est de se laisser guider par leur objet. « Nous n'avons pas de principes dogmatiques tels qu'ils risqueraient de nous entraver et de nous interdire l'accès aux faits. Nous ne pouvons pas garantir nos schémas si l'on essaye de les appliquer à des faits que nous ne connaissons pas : les faits peuvent exiger que les principes

soient modifiés. » (Eikhenbaum) En réalité, il y a dans une discipline comme celle-ci plus qu'il n'y semble : se plier à l'observation du fait littéraire, c'est refuser de le confondre avec d'autres faits, ceux qui relèvent de la biographie de l'auteur, de l'ethnologie, de l'histoire. L'objet d'une étude qui se prétend une étude de r art doit être constitué par les traits caractéristiques qui distinguent r art des autres domaines d'activité intellectuelle, lesquels ne sont pour cette étude qu'un matériau ou un outil. (Tynianov) D'où la célèbre formule de Jakob. son : ce qu'il faut retenir dans la littérature, c'est la « littéralité » (literaturnost').

Art et image Le pas « formaliste » suit direc· tement de là. La critique symboliste, qui dominait en Russie au début de ce siècle, tenait pour acquis que l'art est une pensée par images, et que connaître un auteur, c'est inventorier les images dont il use. Chklovski et ses amis n'auront pas de mal à démontrer que l'image reste extérieure à l'œuvre, que d'ailleurs les images sont ce qu'il y a de moins propre à un auteur - on retrouve les mêmes images à travers toute une époque; ce qui au contraire est caractéristique, ce sont les procédés: les règles d'organisation nou· velles auxquelles se trouve soumis le discours quand on passe du discours quotidien au discours littéraire, et du discours d'un auteur à celui d'un autre. Il convient en somme d'élargir l'idée de style, de la dilater jusqu'à lui faire recouvrir l'idée de littérature tout entière. A en juger par les textes qu'a rassemblé.. T. Todorov, cette étude des procédés a, au cours des douze années qu'a vécu l'écoJe formaliste, été développée essentiellement sur trois points : la langue poétique, la structure du récit, l'histoire de la littérature.

Les futuristes Le futurisme (moins celui de Maïakovski que celui de ses amis) maltraitait, comme tout mouvement d'avant-garde, le « sens » des mots et prétendait ne choisir un terme que pour le pur plaisir « transrationnel » de le prononcer. Le premier coup de maître des formalistes fut de prendre au sérieux ce jeu provocant et d'y voir la clef de toute poésie : ne se laisser guider, les soucis de la communication pratique é tan t écartés, que par « une fonction verbale autonome ». Ce qui ne veut rien dire de moins que ceci : à côté de la langue quotidienne, il en existe une autre, poétique, et

où des éléments formels seuls interviennent. Chez le poète apparaît d'abord rimage indéfinie d'un complexe lyrique doué de structure phonique et rythmique et c'est par la suite que cette structure transrationnelle s'articule en mots signifiants. (Brik) En termes modernes, on pourrait écrire que la langue poétique se décroche de la langue quotidienne pour n'en conserver - dans leur vérité que les valeurs morphologiques.

Les motivations La « métrique », par quoi on définit d'ordinaire le vers, ne donne qu'une approximation très pauvre de l'unité dynamique propre au parler poétique. Au fil des années, les formalistes ont été amenés à étudier, sur des poèmes russes classiques ou modernes, le rôle formateur des sons (non la valeur émotive du son isolé mais ]a façon dont en s'enchaînant les sons déterminent la construction du vers) et surtout le rôle du rythme comme iplpulsion motri· ce, principe d'organisation caché qui semble bien dominer tous les autres, fondement constructif àu vers déterminant tous ses élé. ments, acoustiques et non acoustiques. (Eikhenbaum) Par la suite, ils devaient étudier la part qui revient dans l'organisation du poème à la syntaxe et à la sémantique - une sémantique spéciale, qui joue surtout sur les sens « marginaux » du mot : entre la langue poétique et la langue vulgaire, l'écart tendait ainsi à s'atténuer, mais il restait bien entendu que le poème est une hiérarchie de procédés s'intégrant les uns aux autres, en sorte que Tynianov peut écrire : « Le « matériau » ne déborde pas les limites de la forme, le matériau est également formel; et c'est une erreur que de le confondre avec des éléments extérieurs à la construction ». L'analyse des « procédés de composition » - nous dirions plutôt : des structures de récit - est particulièrement frappante parce qu'elle révèle la présence de procédés bien repérables, et datables, là précisément où on s'attendait le moins à en trouver : dans la « matière » (le « sujet » du conte. En montrant, par exemple, que le récit « par paliers » de l'épopée (où des scènes plus ou moins semblables se répètent) n'est pas le fait d'un accident mais une structure parfaitement établie, avec ses lois propres; en montrant que si le personnage y pa· raît inconsistant, c'est que la pero manence de son caractère impor. te moins que la succession de ses aventures - on retourne les ter· mes traditionnels et on établit que la forme compte plus que ce qu'elle informe. Mieux encore: en découvrant la parenté de certains

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POÉSIE

• • ARTHUR KOESTLER Le cri d'archimède

RAYMOND ARON Essai sur les libertés

JACQUES ELLUL Exegèse des nouveaux lieux communs

VANCE PACKARD Une société sans défense

, HUBERTBROCHIER --Le miracle économique' .... japonais· .

• , : N,lORTON H:'HALPERIN

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• types de compositions avec des • procédés stylistiques (ainsi des dé· • veloppements par «amplifica. • tion » ou « conversion » dont • parle Propp) , on est près de suggé. • rer que la structure du récit est • comme un élargissement des figu. : res du style. Et quand enfin on • peut poser que le récit n'est rien • d'autre que sa façon de s'organi• ser (ainsi, c'est la loi même du • roman qui veut que sa fin soit • lente et diluée, tandis que la nou• velle s'achève d'un coup et sur : un temps fort - Eikhenhaum), on • n'a même plus d'opposition entre • une forme et· une matière : les • «motivations» de l'action s'intè• grent à la construction.

Jacques Chastenet L'ANGLE TERRE D.'A lJ JOU RD' HUI

"L'HEURE H"

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des classiques: Louis Armand et Michel Drancourt, PL,AIDOYER POUR L'AVENIR Alfred Sauvy LA MONTEE DES JEUNES

Maurice Chavardes LE 6 FEVRIER 1934

Jean Marc de Foville L'ENTRÉE DES ALLEMANDS A PARIS des classiques: H.R. Trevor-Roper LES DERNIERS JOURS . DE HITLER John Toland BANZAI

de'Pearl HiJrbourg à Midway

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LA MOSCOVIE DU XVIe SIECLE vue pa.r un ambassadeuroccidental,

HERBERSTEIN

L'AMERIQUE ESPAGNOLE EN 1800 vue par un savant aUemand,

HUMBOLDT

L'EMPIRE DU ,GRAND TURC vu par un sujet de Louis XIV,

TflEVENOT

LEJAPON DUXVmeSIECLE vu par un botaniste suéaOis,

THUNB(RG

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Les formalistes russes

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La'chine et la bombe

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Malraux et Lacan

poème à une psychologie beaucoup moins sûre où l'articulation (à leurs yeux seule valable) se distingue de l'audition. C'est ainsi encore que dans .les textes où Brik définit le rythme comme une sorte de principe dynamique sous.ja.cent à tout le poème, une espèce d'unité substantielle intérieure et fluide, une qualité du mouvement qu'il ne faut pas confondre avec ses traces, il est difficile de ne pas reconnaître une influence bergsonienne qui ne peut qu'ôter de sa rigueur à l'analyse. Au lieu de rester une figure objectivement assignable dans le texte, le procédé passe ici sous le texte, dans l'expérience subjective de l'auteur ou du lecteur : c'est perdre presque tout le profit scientifique d'une lecture formaliste.

Dans le même ordre d'idées, Pendant les dernières années du on est bien obligé de tenir pour groupe, celles qui suivirent la ré· dérisoire la fin que les formalistes volution, les formalistes apparais- ont parfois cru devoir chercher sent soucieux d:interpréter l'his- aux procédés de l'art: la singulatoire de la littérature. Leur point risation. Tandis que les lois comde départ est le concept de sé- munes de la perception sont l'harie : il existe une série littéraire bitude et l'automatisme, pour ren· à l'intérieur de laquelle se pour· dre la sensation de la vie, pour suit une évolution spécifique, à sentir les objets, pour éprouver côté de (et en liaison avec) les que la pierre est de pierre, il autres séries des mœurs, ·de l'éco- existe ce que on appelle r art... nomie, etc. Derrière la succession procédé de singularisation des factuelle des écoles, on découvre objets et procédé qui consiste à alors (comme le fera plus tard Mal- obscurcir la forme, à augmenter raux, comme le faisait déjà Wolf- la difficulté et la durée de la perflin) un enchaînement dialectique ception. (Chklovski). Où l'on voit des styles : La rwuvelle forme une fois encore ce .qu'on perd, ten'apparaît pas pour exprimer un nant de l'objectif, à vouloir en contenu nouveau, mais pour rem· sortir. placer l'ancienne forme qui a déjà perdu son caractère ,esthétique. (Chklovski). Plus subtilement, les 2. Par delà ces incertitudes, il a formaliste,s font remarquer que la manqué aux formalistes de reconpermanence d'un procédé peut naître le rôle .JP. pilote et mieux : cacher un changement, plus im- de modèle constituant qui revient portant, de fonction: ainsi, dans de droit à la linguistique dans différents systèmes d'écriture, l'ar- toute étude structurale du dischaïsme introduit le style noble, cours. A maintes reprises, les forou le style abstrait, ou la paro- malistes ont «brûlé », reconnaisdie... Nous sommes encore une sant dans des procédés littéraires fois renvoyés à l'organisation hié- . l'agrandissement de certains traits rarchique de formes intégrées. morphologiques de la langue ou de certaines figures de style. Mais ... Il serait naïf de prétendre il leur a manqué pour aller plus juger ces résultats avec cinquante loin une analyse rigoureuse de la ans de retard. Ce serait reprocher langue comme système de signes aux formalistes de n'avoir pu lire où s'articulent entre eux respecti· les derniers Jakobson, Levi- vement signifiants et signifiés, Strauss, Barthes ou cette· jeune etc; . et l'idée d'une sémiologie critique que marque l'influence comme linguistique généralisée. Il de Lacan. Quelques remarques est tout à fait saisissant que le sont pourtant nécessaires : seul texte des formalistes où nous trouvions une parfaite lucidité de la méthode - un programme de 1. Les principes des formalistes travail publié par Jakobson et Tysont, plus peut-être qu'il n'y pa- nianov en 1928, au moment même raît d'abord, marqués par la pen- où l'école était contrainte de dissée de leur temps. Si on croit paraître, et qui constitue en somdiscerner une référence heureuse me son dernier acte - est aussi à la Phénoménologie de Husserl celui où pour la première fois pa· dans la préoccupation de laisser raît le nom et la leçon de Sausparler l'objet seul à étudier, il sure. L'expérience vaut pour nous faut convenir qu'ailleurs les for· comme une contre-épreuve; la malistes ont cru bien inutilement linguistique fournit (au sens le devoir chercher une .base psycho- plus fort de ce mot) le seul mo· logique aux procédés de l'art. dèle pour une étude formelle du C'est ainsi qu'ils rapportent le discours. rôle bien établi des sons dans le François Wahl

r

Jacques Prévert Fatras avec cinquante-sept images composées par l'auteur. Collection Le point du Jour N.R.F. éd. 29 F. Selon Littré, un fatras - «fatrâ; l's se lie : un fa-trâ·z insipide» - est un «amas confus de choses» et, par extension, un « amas de choses fastidieuses, paroles ou écrits ». On se demande bien pourquoi Jacques Prévert, qui a comme on sait le génie des titres, a choisi ce mot quelque peu péjoratif. Serait-ce une perche tendue au lecteur de tout poil, du mauvais au meilleur, pour qu'il opine férocement (oui... z-insipide!) ou se récrie tumultueusement (ah mais non... z-épatant!) ou n'est-ce pas plutôt une manière d'hommage aux lointaines Fatrasies de Philippe de Beaumanoir, que Georges Bataille remit na· guère en circulation ?

Quelle que soit... Quelle que soit la clé de l'énigme, il convient sans attendre de féliciter vivement René Bertelé, qui conçut ce beau livre «où s'égaille (dit avec une feinte négligence l'éditeur de Prévert) un choix de reproductions de ses collages parmi les textes qu'il a écrits dans ces dernières années ». Au vrai, tout est en bon ordre dans Fatras.

Un double « accrochage» Et plutôt qu'un album dont on tourne plus ou moins distraitement les feuillets, c'est une expo· sition qu'il importe de visiter à pas comptés, tant le double «accrochage» des textes et des images (rappelons en passant que Bertelé prit une large part à la mise en place de la grande ré· trospective Henri Michaux du Musée d'Art Moderne) a été mûrement réfléchi et méticuleusement .agencé en vue de faire apparaître leurs concordances - ou leurs discordances, qui ne sont pas d'une moindre saveur.

A l'orée A l'orée de Fatras, c'est-à-dire sur le premier plat de la couverture, nous sommes accueillis par un beau grand cerf qui s'est réfugié, en rupture de harde, dans le désert de Retz. La plume d'oie en main et l'écritoire sur les genoux, cet élégantissime calligraphie à n'en pas douter ses mémoires. Prévert nous dira bientôt dans les siens - titre provi-


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Le

livre de Prévert dédie à l'abbé Viénot une suave illustration du mariage chrétien, tout à fait dans le vent de la Sainte Utérinité et de l'Imma· culée Contraception. Enfin (faute de place, nous en passons beau· coup, et des meilleures), il nous montre, dans Minette et «les roues fulgurantes », que Mademoiselle Prévert a de qui tenir mains jointes, elle récite avec ferveur son Pater noster - et ne redoute point les cataclysmes lorsqu'ils sont beaux.

Je vous salis, ma rue

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Arrêtons là notre inventaire, qui peut induire à penser que, dans ce livre d'images, le poète proprement et improprement dit ne s'est rien foulé. Je vous salis, ma rue, La belle vie ou le monologue de la chèvre de Monsieur "Pablo, qui volent déjà de bouche en bouche, nous assurent heureusement que la bonne parole n'est pas près de tarir, et les choses étant ce qu'elles sont, que le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat.

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Merveilleux petits assassins Un collage inédit de Jacques Prévert.

soire «Mémoires d'Outre-Table » comment ils firent connaissance, du temps où les porteurs de chandelier vaguaient encore librement sur les chemins de la Fête à Neuilly ou de la Grande Jatte.

Fenêtre d'Isis Fenêtre d'lzis: grâce à six feuilles et une plume, c'est un masque qui nous épie du tréfonds des âges. Suit l'inscription:

comme on sait, avec exemples à l'appui, les règles de l'art des Equivoques. Celles de Prévert vont de la contrepéterie (<< Ah mes salauds, c'est Salomé! ») aux amphibologies à deux ententes ou entend-trois (<< Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche»), et de plus perfec. tionnées encore, qui ont autant d'entrées que le métro Châtelet.

bigarrures

Autres bigarrures: sur le thème «les règles de la guerre », Prévert constitue, en toute objectivité et équanimité, une anthologie de galimatias prélevés dans la bonne presse progressiste, régrescar (nous résumons) les chiens siste ou stagnante ainsi que et la boue sont propres, et ceux dans les meilleurs auteurs, de qui ne «savent» pas les chiens Maurice Barrès à Pierre Teilhard et la boue ne sont pas propres. de Chardin. Les perles de ce derCette évidence - on n'ose dire nier sont, pour le moins, de vingtce poème, car il n'y a rien là qui quatre carats. chante ou qui charme - nous ar· Côté collages, notre bigarreur rive elle aussi du tréfonds des s'en donne à cœur joie: il animaâges: c'est la vérité de parole à lise sans vergogne les créatures l'état pur. que Dieu fit à son image (entre autres, les saintes femmes portraiturées par Philippe de ChampaiBigarrures gne) et réciproquement, avec un sens exquis de l'habit qui fait le moine, il humanise toutes sortes Puis viennent des Graffiti qui d'animaux. Entre temps, il pré. évoquent les Bigarrures du sei· 'sente l'ambassadeur de Sodome gneur des Accords - lequel fixa, au diable qui s'est fait ermite, et

Faites entrer le chien couvert de boue, Tant pis pour ceux qui n'ai· ment ni les chiens ni la boue.

La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

Mais entre ces paroles à la cano tonade, qui portent en tous lieux la vérité de Prévert, il y a aussi, qu'on y prenne garde, les mots à la fois très simples et très mystérieux des propos qu'il se tient à lui-même - tel ce Rêve, daté «Il décembre 1960, 4 heures du matin» (voir pages 111·112 de Fatras), qui s'enfonce en nous comme une écharde, de sorte que nous ne saurons bientôt plus si nous ne l'avons pas nous-même rêvé ou encore ceux qu'il cueille sur des lèvres aimées :

J'aurai vécu de très beaux jours avec deux merveilleux petits assassins. Ces paroles sont de Janine, dont le beau portrait, page 276, pourrait s'appeler «Janine à l'es· carpolette » - bien qu'il n'y ait pas d'escarpolette. Ce qui en tient lieu, c'est la lettre d'amour, la première que lui adresse Jacques, et qui est le dernier texte de Fatras. Oui, cette prose rythmée par le souvenir, ce large balancement entre le passé et l'avenir, est l'une des «fêtes secrètes» que Prévert se donne privément, afin de desserrer l'étreinte du présent. Cachées «dans la forêt de la mé· moire », ces fêtes ont, littéralement, un pouvoir magique, et telle est notre religion .- c'est vers elles que nous nous tour· nons pour conjurer le mauvais temps. Maurice Saillet

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PHOTOGRAPHIE

Yvan Christ

L'âge d'or de la' photographie. 8 planches en couleurs 160 reproductions en noir Vincent, Fréal et Cie éd. Paris 15 F Yvan Christ a inventé, pour préciser le cadre de ses recherches, un nouveau mot, Photologie, qui désigne une «science nouvelle, non moins fourmillante d'inconnues que l'archéologie ». Sous le couvert de ce néologisme barbare devraient paraître des ouvrages rebutants. Or le livre que nous offre l'auteur est un petit chef-d'œuvre de goût et d'esprit. A part quelques spécialistes et de rares collectionneurs, l'homme cultivé de 1966 ignore tout des anciens photographes, qu'ils soient français, comme ceux dont nous entretient Yvan Christ, ou étrangers. Il oublie trop facilement que pour connaître la seconde moitié du XIX· siècle, il faut évoquer à côté des grands peintres les grands photographes, dont les influences réciproques ne sont pas encore éclaircies; il faut regarder aussi les photographies qui font' revivre devant nos

yeux la voie publique comme l'existence quotidienne. Le volume abondamment illustré, que l'auteur a consacré aux photographes français, est une joie pour les yeux. Le choix des clichés reproduits a été réalisé avec soin et présenté dans une mise en page sûre; à côté de quelques pièces classiques, comme la Seine aux Tuileries de Daguerre, l'Offenbach de Nadar, le Baudelaire de Carjat ou la Fleuriste d'Atget, Yvan Christ a sorti des collections publiques et privées, en particulier de la sien· ne qui est très riche, des images redevenues neuves après de longues décades. Il ne s'est pas contenté de présenter seulement des clichés d'auteurs connus; il a révélé un grand nombre d'anonymes, dont l'importance dans l'histoire de la photographie a été souvent sous-estimée, parce qu'il était impossible de mettre un nom sur l'épreuve. Tout choix dans une immense moisson est toujours personnel, et discutable. Mais les œuvres retenues pOla illustrer l'Age d'or de la Photographie constituent sur les différents plans, paysages, portraits, monuments, un panorama com·

Nadar: Cléo de Mérode.

plet de la photograp'hie française de origines au début du XX· siècle, où Yvan Christ fait avec juste raison une place aux vues stéréoscopiques, aux publications illustrées et aux premières cartes postales. Ce qui est à noter, parce que rare dans les publications de ce genre : le livre n'est pas fait seulement pour être regardé, il mérite aussi d'être lu. Le texte, très court, est d'une forte densité; l'auteur est arrivé à faire tenir sous une forme réduite et claire les grands mouvements, les révolu-

tions techniqjUes et artistiques. Il n'a pas oublié de rappeler l'opinion des contemporains, qu'ils aient énoncé de grosses balourdises ou qu'ils aient prophétisé de façon éclatante. Les grandes hIstoires de la photographie, par leur prix élevé et parfois leur forme ennuyeuse, sont réservées aux spécialistes. L'Age d'or de la Photographie qui les satisfera par la nouvelle documentation qu'elle leur apporte, est également un livre pour le grand public.

Jean A. Keim

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ART

L'Europe entre dans l'histoire Expressions d'un véritable art de penser, à Cluny, à Moissac, à TourLe livre de poche, Hachette éd. nus, surgissent autant d'ensembles 2 volumes : 12 F aux surfaces vives qui se pénètrent, se modulent, se définissent mutuellement. Henri Focillon ne compte pas L'art roman, toutefois, devait seulement parmi les plus presti-, s'attacher à faire « parler» l'égligieux historiens de l'art que la se et les pages que Focillon consaFrance ait produits, mais les qua- cre à la sculpture décorant les lités de son style, sa clarté, son chapiteaux et les tympans complyrisme, en font un écrivaiu à tent parmi les meilleures de l'oul'égal d'Elie Faure ou de Malraux. vrage. L'iconographie romane, Son livre,' Art d'Occident, publié montre-t-il, est de caractère épien 1938 et repris aujourd'hui en deux volumes dans le Livre de Poche, est cousacré à l'étude du moyén.âge roman et gothique. Il constitue, à la fois, l'abrégé et la synthèse de ses travaux. La méthode de Focillon et son but sont précisés d'emblée. Ce que l'auteur a voulu écrire, c'est moins une initiation à l'art du moyenâge ou un manuel d'archéologie qu'une histoire des relations qui s'établissent, dans chaque lieu et dans chaque siècle, entre les faits, les idées et les formes. En outre, entre l'architecture domi· nant l'époque et les autres arts, tels que la sculpture et la peintu· re, il existe des concordances pro· Basilique des Saintes-Maries de la mer. fondes qui, du programme d'un édifice à son plan et à sa décora· tion, couvrent un certain nombre que; cortège de créatures divines de fonctions. ou monstrueuses, de visions sur· Il s'agira, par conséquent, de naturelles, de métamorphoses dégager les règles d'une pensée étroitement imbriquées, elle exprimonumentale dans laquelle se ma· me un vaste songe collectif. Sounifeste une des plus hautes expres- mis aux règles strictes de l'archisions de l'intelligence humaine. teeture, les êtres qui la compoOn en fixera la naissance et on sent sont obligés de s'incurver, de en suivra le développement. On en se 'distendre, de changer pro· montrera l'accord avec la concep- portions pour entrer dans l'ordontion que l'homme médiéval a de nance de la pierre. Souvent, ils lui·même et d€f l'univers. s'inscrivent dans des figures géoIl faut se défaire tout d'abord métriques, comme il arrive au pordu préjugé. que le moyen·âge re- 'tail de Vézelay où apparaissent présente une période de transi- des hommes-cercles, des hommestion. Au, contraire, depuis le vaste rectangles, des hommes-losanges. empire rustique de Charlemagne Il en résulte ce que l'auteur apjusqu'aux premières décennies de pelle une dialectique de l'image. la Renaissance, se crée le génie de Celle·ci, forçant le sculpteur à acl'Occident. Dès le XIe siècle, dans centuer la mimique, à créer le les -différents terroirs, au moment mouvement, lui permet de placer où grandit soudain une société toute une dramaturgie sous les urbaine et marchande à l'intérieur yeux des fidèles. Et, aux jours de du vieil or,drc féodal, apparaissent célébration, c'est le faste polydes constructions nouvelles, fon- chrome des tapisseries et des brodées sur la loi des nombres, (pIi, deries qui viendra se déployer par leurs eomplexité et leurs di- dans l'espace délimité par les voûmensions, deviendront hientôt tes en berceau. d'immenses ('ncyclopédies de piero La naissance de l'art gothique, re. Edifié sur les débris dc l'Anti- J'autre part, est liée à l'essor de quité, les vestil!('s des CUltUl'CS bar- la ville; il culmine dans les cabal'Cs, les apports div(,l"s de thédrales dont les plus importanl'Oricnt, le J1lOyen-âge marque tcs s'élèvent au cœnr des grandes l'entrée de l'Europe dans l'histoi- cités. Aussi, le gothique ne succè· re des formes {'n même temps que de-t·il pas à l'architecture romason accès à la civilisation. ne, tHais passe presque sans tranL'él!lise en particulier, sition d'une forme archaïque à est la conjonction d'une poétiquc une forme jeune et puissante qui et d'une technique; l'architecte ne tarde pas à s'imposer là où le y remplit aussi bien le rôle de géo- 'style roman, demeuré proche des mètre que celui de plasticien. La solutions anciennes, ne s'est que combinaison des masses, l'agence- peu transformé. Cela explique ment des volumes, la solution ap- qu'il ait trouvé dans la région paportée aux problèmes d'équilibre, risienne une terre d'élection dans lé Jeu de la lumière traitée com- laquelle, en dehors du fait qu'il me ur.' YIlatière font de chaque évoluait en milieu urbai.l, n'ayant monument un système complet. pas à éYÎncer d'abord un système Henri Focillon

Art d'Occident.

La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

architectural achevé, il allait pouvoir s'épanouir en toute liberté. D'origine anglo-normande et présente déjà dans certains édifices romans, l'ogive constituera, avec l'arc-boutant, à Chartres, à Notre-Dame de Paris, à Saint-Denis, à Laon, la structure primordiale de son développement. A la fois nervure et élément portant d'une rigidité extrême, c'est elle qui a permis de substituer à la voûte d'arête compacte et massive, la voûte articulée; elle possède une valeur constructive, structurale et optique. L'arc-boutant, en outre, conçu pour répondre aux poussées, a fourni le moyen de défier la pesanteur et d'augmenter la hauteur des parois dressées vers le ciel ainsi que l'ouverture des percées. Son réseau serré d'obliques et de verticales enveloppe les cathédrales d'un volume secondaire; il en situe la nef au centre d'une sorte de cage gigantesque. Alors que l'église romane, conclut Focillon, est un agencement de volumes, nous nous trouvons désormais en présence de l'égliseossature, spéculant sur le vide. Combinaison de forces actives, la solidité en est assurée par le jeu des parties, par la coupe de l'appareil, par la rigueur logique. Aussi on comprendra que la sculpture, au sein de cette arcIii· tecture nouvelle, ne puisse plus remplir le même rôle que par le passé. A Reims, à AnIiens, les stat.ues·colonnes, se détachant du mur

un jeu presque purement décoratif. Tandis que le vitrail introduit partout ses fresques translucides, la puissance monumentale fait place au raffinement de la forme qui nous ramène à ce que la nature offre de familier, expri!lle la piét.é et la dévotion, renonce à se mouvoir dans le drame et le mystère pour reproduire l'image d'un homme déifié. L'aboutissement, c'est l'art de la Sainte-Chapelle, étonnante châsse de pierre et de verre, les roses colossales de Saint-Denis et de No· tre-Dame qui brillent, à l'extrémité de leurs croisillons, comme des roues de feu. Il existe une mobilité presque organique des styles; on ne peut les saisir dans leurs formulations successives qu'en pénétrant leur genèse et en suivant leurs déplacements dans les différents lieux. C'est cette genèse et ce sont ces déplacements que Focillon retrace ici, dans ses descriptions. La documentation, la savante minutie et l'acuité visuelle de l'auteur, enfin, sa connaissance précise des techniques font d'Art d'Occident un ouvrage d'un intérêt exceptionnel. Peut-être le lecteur d'aujourd'hui regrettera-til que les rapports de l'art médiéval avec son infrastructure historique, la liturgie, l'activité du moyen-âge, ne soient trop souvent qu'esquissés sinon simplement affirmés. Tel qu'il vient d'être réédité, cependant, muni de toutes ses notes, suivi d'un glossaire et ac-

Détail du portail sud de la cathédrale de Chartres.

et formant des ensembles scenI' ques, cessent d'évoquer une fonction portante; les figures des t,ympaus deviennent des statUettes rédp.ites à dessein a'fin de ne pas en épouser la courbure de manière trop intime; les chapiteaux autrefois historiés sont réduits à

compagné d'une importante illustration en noir et blanc, il possède cette concision et cette richesse des introductions que seuls les très, grands spécialistes parvenus à l'âge de la maturité peuvent donner.

lean-Louis Ferrier 17


BIBLIOPHILIE

Le rare n'est pas toujours le beau

On pourrait établir, à notre âge de la statistique, que l'édition dite de luxe est surtout florissante dans les périodes économiques incertaines.

Lucien Galimand Dans une préface an palmarès de 1961 du Comité permanent des expositions du livre, Jean Guéhenno écrivait: Il faut que les livres soient, par leur seul aspect, de grandes tentations. Ses tendances didactiques, pé. dagogiques l'avaient poussé à insister, avant de recourir à cette formule, sur l'opportunité de présenter des textes dont la qualité essentielle fut d'offrir «ce qu'on a besoin de savoir ». Cette analyse des conditions de sucèès du livre contemporain, si elle explique un engouement croissant pour le beau livre de documentation, dénonce, implicitement, les risques, voire déjà les déboires que subit l'édition à prétention bibliophilique. Les mérites techniques de maints ouvrages excèdent leur va· leur intellectuelle. Le texte n'est que le prétexte à une démonstration commerciale' d'ingéniosité, de virtuosité dans la typographie, l'illustration. Ce travers, cette ne sont pas seulement déplorables dans l'édition pléthorique - génératrice de soldes qui diffèrent les faillites - des livres d'·art. Ils marquent aussi ce qu'on appelle l'édition de luxe. Aujourd'hui on choisit et plus souvent suscite un texte pour jus· tifier les planches d'un peintre de renom. Cette primauté de l'illustration est un des périh, des vices de la bibliophilie moderne et, par bibliophilie, ilue faut pas désigner seulement l'amour du livre rendu rare soit par la restriction volontaire. de son tirage, soit par la ,disparition accidentelle ou organisée de nombreux exemplaires de son édition originale, mais cet attachement populaire émouvant à la qualité de fabrication et de présentation du livre, serait-il à grande diffusion comme ceux de certaines collections de poche qui sont des réussites artistiques dues à l'évolution des procédés de composition, d'illustration, de brochage, de reliure. La recherche quasi-scientifique et la prospection publicitaire des clientèles étendues présentent un danger. L'éditeur donne l'impres. sion d'œuvrer moins selon ses conceptions personnelles que sui· vant celles décelées, par les mé· thodes de sondage, dans la masse recherchée des clients. On a perçu notre période de bouscu· lade, le loisir de la réflexion manquait. A l'analyse, au commen· taire, .on a donc, par alignement sur la' tendance actuelle des es· prits encore avides, substitué l'image. Cette adaptation apparaît heureuse à certains, tel M. Etien· ne Dennery, administrateur gé. 18

néral de la Bibliothèque Nationale, qui récemment s'en félici· tait en ces termes : Une bonne image, une photographie valent souvent mieux qu'un commentaire. L'art de l'écrivain apparaît presque encombrant! Pour ce qui reste du « Livre de Luxe », dont une diffusion restreinte demeure la caractéristique simpliste essentielle, les mutations sociales ont permis une conversion, une démocratisation du mécénat qui, depuis le XVIIIe siècle, a engagé ou couvert les éditions les plùs réputées. Elles le sont parfois .abusivement, comme certaines réalisations des « Fermiers Généraux» qui font encore l'orgueil et l'appât de catalogues de libraires ignorants, par exemple, du tirage réel des « Contes de la Fon· taine » de 1762. Aujourd'hui, dans la contribution financière, les « Fermiers Généraux » sont remplacés par les souscripteurs, racolés par publicité et visites flatteuses de courtiers. Certains, que leur si· tuation autorise à ne pas regarder à la dépense, se disputent de rares « exemplaires de tête » dont le papier et les dimensions incrongrus méconnaissent que les qualités et les formats sont ancestralement liés à la matière t'III ployée et aux filigranes par }t'squels les anciens fabricants mal'quaient leurs papiers. L'orI!llcil du souscripteur s'enfle si la prétendue novation de la typographie n'est qu'un salmigondis des caractères de la classification de Thibaudeau. A côté de cette minorité foisonnent, pour l'amortissement multiple du coût de l'ouvrage, les ordinaires victimes, socialement plus modestes, des démarcheurs : jeunes gens s'installant dans leur profession libérale, fonctionnaires, tous alléchés, autant que pour leur poste de télévision, par les commodités de la vente à tempérament. Cette tendance à confondre le beau avec l'apparence quantita. tive de la rareté ou l'anomalie n'est pas propre à notre temps. Pierre Dauze, collectionneur et chroniqueur écouté du marché des livres il y a quelque 70 ans, la déplorait déjà en condamnant le goût des bibliophiles d'alors pour le « livre·bibelot » acquis pour «étonner le voisin ». 1 Il prophétisait leur déconvenue Nos amateurs s'apercevront de la faute commise alors qu'il faudra réaliser ces prétendues richesses et ils maudiront les libraires qui les leur ont procurées au lieu de s'en prendre à eux-mêmes, à leur snobisme inintelligent.

1. Une étonnante collection de près de 500 «livres bibelots », notamment de fépoque 1900 a été dispersée, les 15 et 16 février, à rHôtel Drouot, sur présen. tation d'un savant catalogue descriptif de MM. Lefèvre et Guérin. Me Ader a adjugé 6.900 F «La vie des Boule· vards» de Montorgncil, illustré de 200 dessins de Pierre Vida; 5.000 F «Les cousettes» de Louis Morin, avec 32 des· sins originaux de rauteur ajoutés aux

illustrations de Henry Somm; 4.900 F « L'Abbé Tigrane» de Ferdinand Fabre, avec tous les dessins de J.-P. Laurens. De minces ouvrages, sans le moindre intérêt littéraire, illustrés par des graveurs démodés comme de Neuville, Lynch, Leloir, Avril, ont atteint de 50 à 250 F. Mais le lout était habillé de reliures en parfait état, certai",es sous étui, des maî· tres artisan. Champs, Marius Michel, Stroohauts, spécialistes des plats mosaï· qués, des doublures de maroquin rouge. Ces pièces, rendues uniques par l'ano· malie d'un surcroît d'illustrations, originales ou en plusieurs états de tirage, trouveront place de choix auprès d'un vase de Gallé, sous une vitrine de Majorelle, dans ces ensembles «d'art noue veau» 1900 que recommande au snobisme une savante campagne publicitaire.

Vieux papiers' Baudelaire a qualifié d'immoral le commerce des autographes, mais comme il tenait le commer· ce, en général, pour infâme et sa· tanique, ce qu'il dit du trafic des papiers privés ne témoigne pas d'une sévérité particulière. Au demeurant, si ce trafic lui paraissait contraire aux bons principes, Baudelaire comprenait néanmoins fort hien la curiosité des collectionneurs, et quand ceux-ci étaient de ses amis, comme Malassis et Asselineau, il s'ingéniait même à leur être agréable en leur offrant les plus précieuses pièces de son propre courrier. S'il en a eu connaissance, il se sera moins indigné que diverti des roueries d'un astucieux jeune homme qui, entre 1850 et 1860, adressait aux célébrités de l'époque des lettres où il se présentait soit comme un désespéré au bord du suicide, soit comme une pécheresse désireuse de rentrer dans le chemin de la vertu, et sollicitait conseils, suggestions ou encouragements. Ces mystifications ne furent découvertes que quelques années plus tard, lorsque les correspondants de ce Protée eurent la surprise de voir figurer sur les catalogues des marchands les réponses qu'ils avaient faites aux émouvants appels d'un faux W cr· ther ou d'une Manon supposée. George Sand, Rachel, Sainte-Beuve, Vigny, Henri Heine, Proudhon, Montale:pibert et bien d'autres personnages d'importance furent ainsi abusés par ce farceur dont l'identité n'a jamais été parfaitement établie, car il n'est pas sûr que le nom de Ludovic' Picard, qu'on lui donne d'ordinaire, n'ait pas été un de ses nombreux pseudonymes. Mais pour piquante qu'elle soit quelquefois, la correspondance est loin de constituer l'élément principal du marché des autographes. Les manuscrits littéraires retiennent' davantage encore l'attention des amateurs. Il est vrai que l'examen en est souvent des plus ins· tructifs, - d'où le soin quepren. nent certains auteurs d'anéantir eux-mêmes leurs brouillons, de

peur qu'un historien plus ou moins bien intentionné ne vienne un jour déchiffrer à la loupe ce qui se cachait sous leurs ratures. Le hasard a voulu qu'au moment où nous nous attachions à réunir en vue d'une édition nou· velle tous les poèmes de Jules Laforgue, un ensemble de pièces de jeunesse que le poète, vers 1881, envisageait de publier sous le titre Le Sanglot de la Terre, fût discrètement dispersé entre trois ou quatre mains. Grâce il l'ohligeance des acquéreurs, nous avons eu communication de ces textes, qui justifieraient, s'il était uécessaire, l'existence du marché des autographes. Le Laforgue qui s'exprime dans ces feuillets tenus cachés ..depuis le déhut du siècle n'est pas encore le Laforgue des Complaintes, mais on sent qu'il s'apprête à le devenir. Cela est même très sensible dans un hrouillon de poème: La Petite Infanticide, où Laforgue prête la parole à quelque jeune provinciale que l'amour a poussée à Paris et qui vient d'y accoucher, seule, dans un taudis, sous les toits :

o

maisons d'Ossian, ô vent de [province, Je mourrais encor pour peu que [ t' y tinsses Mais ce serait de la . Oh ! je suis blasée Sur toute rosée Le toit est crevé, l'averse qui passe En évier public change ma pail[lasse, est temps que ça cesse. Les gens d'en bas Et les voisins se plaignent Que le plafond déteigne

n

Oh! mère, qu'il me tarde D'avoir là ma mansarde. Le commerce des autographes serait-il immoral, comme l'a tendu Baudelaire, il faut reconnaître que c'est un commerce plein de charme quand il s'exerce sur des pièces comme celle dont nous venons de citer quelques vers. L'immoralité a parfois du bon. Pascal Pia


PHILOSOPHIE

L'enfer des philosophes philosophie et science désignaient une seule et même activité. Par· courir par degrés la totalité offer· te à l'expérience, énoncer à cha· que niveau les lois spécifiques, les unifier en une synthèse théorique, dégager, au sommet, l'ultime fon· }'ai lu avec plaisir et amertu· demellt garant de l'unité du tout me le dernier ouvrage de M. Jean et de la relation des parties ': tel Piaget. Le plaisir naissait de la était le projet (voir par exemple rencontre. A voir exprimées, par les « Principes de la Philosophie un savant dont on admir,e les traM de Descartes). Le philosophe était vaux, des idées que, soi·même, on un savant. Son domaine était le tenait pour vraies, on éprouve réel tel qu'il se montre : il lui quelques satisfactions d'amour· fallait le comprendre en sa di· propre.. Mais, hélas, le plaisir se versité, et il y avait autant de « philosophie» dans l'énoncé des gâte. Voici bientôt dix ans qu'exer. çant le métier de « fabricant de lois du mouvement que dans la philosophes », je produis chaque démonstration de l'existence de année une demi·douzaine d'agré. DieU:. Cet heureux temps n'est plus. gés de philosophie. A lire M. Pia· get, je suis pris du sentiment de Les sciences se sont diversifiées et mon indignité. Si la « philoso. séparées. Chacune exige un ap· phie » ri'a pas d'objet propre, si prentissage spécifique. Bien plus. elle ne donne rien à connaître, s'il A l'intérieur de chaque science ap· n'existe pas de méthode spécifi· paraissent des disciplines distinc· que qui lui convienne, alors je me tes, mettant en œuvre des techni· trouve plus qu'inutile : perni. ques propres dont la maîtrise exi· ge une longue éducation. La Phi· cieux. Pourtant, ayant lu le livre, je losophie comme synthèse des l'ai déposé tranquillement sur ma sciences ne peut être qu'une chi· table et n'ai pas couru me pendre. mère à l'époque où, par la force des choses et les exigences de la division du travail, il n'existe pro· bablement plus de savant qui puis. se présenter la synthèse de sa pro· pre science. Or, le philosophe a survécu hors de son paradis. Comme dit la chanson : « Avant la fin du jour on en connut les suites ». Et M. Piaget a raison de les souligner. L'objet étant confisqué. Mais la prétention demeurait. Il fallait s'efforcer de connaître alors que plus rien n'était donné à connaî. tre. Il fallait donc forger l'objet à connaître ou, du moins, s'effor· cer de trouver sa pâture dans les résidus de l'activité effective de la connaissance. Chercher - dans le meilleur des cas - s'il n'existait pas, dans le tissu des sciences, quelque trou, quelque déchirure Jean Piaget oÙ le philosophe pourrait s'en· gouffrer pour aborder son domai. Davantage : entêté et sournois, je ne réservé et retrouver, en fraude, me promets bien de continuer le paradis perdu. Ou bien, parfois, mon métier. Il semble donc qu'il on se portait aux frontières, ré· y ait dans le dire de M. Piaget gion indécise où l'on se retran· quelque chose qui ne me concerne chait pour scruter l'horizon. Et, pas tout à fait et qui ne concerne cependant, les sciences allaient pas non plus entièrement les jeu. leur train. En quelques chapitres nes gens qui travaillent avec moi : savoureux et cruels M. Piaget sur 'une certaine «philosophie », montre qu'il ne reste rien de ce ils n'ont pas d'illusions. Bien peu capital réservé que le philosophe parmi eux se proposent de recom- prenait tant de soin à thésauri· mencer l'aventure de Bergson, et ser : « conscience », « projet », Husserl ne les passionne qu'à leur signification », autant d' « objets» corps défendant : ils l'analysent, qui ont été soumis à une élabora· ils le comprennent, ils le criti· tion positive, dans une activité quent. à le pratiquer, la scientifique concrète, dont les ré· question est, pour la plupart, dé· sultats, objectivement établis, peu· pourvue de sens. vent être vérifiés par quiconque Dois.je me consoler? Me dire' veut et peut s'en donner la peine. qu'une autre philosophie est en Quant aux interventions «régula. train ·de naître - et d'autres phi. trices » du philosophe des fronIOsOphes? C'est le grand mérite tières dans le domaine des scien· du' livre de M. Piaget de' poser ces, M. Piaget rappelle une mésaclairement une telle. question. . venture 'célèbre survenue à Berg·Il Y eut jadis un' paradis des son qui avait pensé (un temp!') ·philosophes. C'était le temps où Jean Piaget Sagesse et illusion de la philo. sophie. Presses Universitaires de France 12 F

.

La Quinzaine littéraire;

.15 •.mârs 1966

PIERRE ROUANET ------. MIIDIS rBAICI --AUPOUVOIB _ : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ : _ _ : _ _ _ _ _ • _ _ : _ _ : _ _ _ _ _ : _ _ _ _ _

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Un document capital pour la connaissance et la compréhension dune époque Jacques Fauvet· (Le Monde)

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SEIBlllE

par le

Dr Havelock ELLIS

• DIX VOLUMES QUI METTENT FIN AVINGT SIECLES D'HYPOCRISIE ET QUI DISENT TOUT SUR L'AMOUR.

Havelock ELLIS, le grand médecin anglais, a consacré sa vie à J'étude de tous les aspects et de toutes les manifestations de la sexualité. Son œuvre révolutionnaire, dont J'immensité et l'audace stupéfient, était depuis la dernière guerre devenue introuvable: la voici aujourd'hui remise à jour par une équipe d'éminents savants, professeurs de Faculté et médecins, travaillant sous la direction du Pro Hesnard.

Plus de 4 000 pages en 10 volu· mes. 8 professeurs et medeclns, sous la direction du Pro Hesnard • Une introduction generale • 20 prefaces. avant-propos ou avertissements originaux. GOa noIes dl' 1 Editeur. 1 GSO notes de lau· teur • Des centaines d analyses detaillees de cas personnels.

• DES FAITS, DES CHIFFRES, DES CONCLUSIONS. Havelock ELLIS, ce solitaire qui n'a cessé de préparer le bonheur des générations futures, a lutté sans relâche pour réunir, classer, comparer le plus grand nombre de faits possible concernant la vie sexuelle sous toutes les latitudes et dans toutes les civilisations. Le premier, il eut recours aux statistiques. Dans un langage clair, sans terminologie inutile, il a formulé des conclusions qui répondent avec sagesse et précision à toutes les questions posées.

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• L'INDISPENSABLE COMPLEMENT DE L'ŒUVRE GENIALE DE FREUD.

Tout le monde a lu Freud. Dans l'enceinte même du Concile, des théologiens ont admis que la psychanalyse avait renouvelé la vision que nous avons de l'hom'me profond, Cela est vrai. Il importe cependant de souligner le besoin que nous avons d'une description systématique de la totalité des phénomènes sexuels. L'œuvre de Havelock ELLIS se révèle donc comme le complément des ouvrages géniaux du Viennois; elle se présente en

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effet comme une série organisée d'études sur la Pudeur, l'Auto-érotisme, l'Inversion sexuelle, le Symbolisme érotique, l'Edu· cation sexuelle, l'Abstinence, la Prostitution, les Maladies vénériennes, le Mariage, la Science de la procréation, les Dévia· tions sexuelles, l'Ondlnlsme, les Rêves érotiques, les Caractères sexuels secon· dalres et tertiaires, etc. Rién n'y est laissé dans l'ombre, une franchise souveraine met en pleine lumière, à l'usage des adultes, tout ce qui fait la trame de l'existence commune.

Les mesures d'interdiction frappant les quatre premiers volumes de celte coll"ction ont é'té abrogées par un arrété paru au J.O. /e 1" Août dernier.

lfo

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1Cercle du Livre Précieux, 6, rue du Mail, 1

Paris 2'. Veuillez m'envoyer. • en. eucun 're/. nI en"e"ement de me perr, une

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Le jeune Marx

L'enfer

pouvoir réfuter la théOrie de la relativité' dans un ouvrage (<< Durée et simultanéité aujourd'hui retiré de la circulation. La conclusion devrait être que la philosophie est une survivance inutile. Telle n'est pas celle de l'auteur. Pour lui, la philosophie mérite de vivre... pourvu qu'elle ne se propose pas de connaître. Paradoxalement, ce plaidoyer pour la raison scientifique et pour son autonomie s'achève sur une note pre s que existentialiste. L'homme ne vit pas seulement de savoir. Il lui faut se décider, choi· sir:ses valeurs. La philosophie est peut-êtré',Ja sagesse qui, pour chacun, organise ces choix en hiérar· chisant ces valeurs. Si, ayant lu M. Piaget, je n'ai pas décidé de me pendre c'est que, dans son écrit, quelque chose JiJ.e' laisse perplexe. Il ine semble," lorsqu'il parle de philosophie, qu'il est question d'une très vieille dame tout à fait moribonde et que l'on soutient comme on peut à force de drogues et de surali· mentation. Qu'on décide donc de la conduire au tombeau, ce sera une fort bonne chose et nous n'en parlerons plus. Mais peut·être un autre « personnage philosophie que » est·il en train de naître, et qui n'est pas simplement le phi. des « valeurs » ? N'est-il pas possible au philosophe (même traditionnel) de se « recycler » en s'installant bravement ., dans le contenu d'une science pour la pratiquer lui-même? Sa longue fréquentation des maîtres du passé (dont le développement mental ne s'était pas nécessaire· ment arrêté à 13 ans je l'espère) lui permettrait de prendre une conscience critique de cette scien· ce dans ses modalités et sa cons· titution.

Critiques forcées N'y a-t·il pas là un « objet » pour le philosophe ? Le même objet que celui du savant, bien entendu, mais envisagé et déployé différèmment? Les analyses de M. Piaget n'excluent pas une telle perspective. Je crois même quant à moi qu'un tel phisophe com· mence Ce qui me décide à mon métier. J'ajoute que certaines des cciti· . ques me paraissent forcées. Sar· tre par exemple n'est pas seule· ment l'auteur de « l'esquisse d'une théorie des émotions Ignorer l'évolution de la: pensée' depuis « l'Imaginaire» jusqu'à la « Critique de la raison dialectique » est iinpossible sans ·parti-pris. Il reste que le point ae vue de M. Piaget ne peut laisser le «. phi. losophe » indifférent. En raison même des travaux qui le nOlurissent il . devrait le' porter à entreprendre son examen de conscience. Jean T. Dèsanti 20

Louis Althusser, Jacques Ren· cière, Pierre Macherey, Etienne Balibar, Roger Estelet

Lire le Capital Collection Théories, n O II et III François Maspéro éd. T.l : 18,80 F T.2 : 21,60 F

avions perdu l'habitude, la question des possibilités et du statut d'une théorie scientifique de la culture. Il nous rappelle - heureusement· -.ce que n'eal.pal' le marxisme, un humanisme éperdu et' éclectique, toujours prêt à recueillir un '« message ». pourvu qu'il aille dans le «sens l'his· toire (quelle «histoire» et quel sens ?) Il fauttoüie la spontanéité naïve des héritiers de Hee:el Dour

Le succès historique du marxisme a un revers: l'am· vre théorique de Marx est cons· tamment et systématiquement né· gligée. Le fait est là : depuis 1883, date de la mort de Marx, plus sûrement encore, depuis 1895, date de la mort de Engels, on fait dire au «marxisme originaire» n'impc>rte quoi; oIl. prend çà et là des citations, on confQnd Marx et ceux qui, ultérieurement, au gré des circonstances et des luttes politiques, l'ont interprété; on mêle dans une rhétorique de mau· vais aloi, au sein même des textes de Marx, ceux qui ont une inten· tion explicitement scientifique et ceux qui ressortissent à la polé· mique occasionnelle, ceux qui correspondent à sa période de formation et ceux qui témoignent d'une théorie qui a solidement Marx assuré ses fondements. A la vérité, les contingences du combat politique, les escroqueries croire que la question du sens de intellectuelles que celles-ci permi. l'histoire - et le refus de cette rent ne sont point seules respon· question - ont le moindre com· sables. Marx est un auteur confus .mencement de· signüication. Il et diffus, un écrivain dont la ri· nous rappelle aussi et surtout qu'à gueur est «à éclipse », un sa.vant l'origine théorique de l'entreprise inquiet, si soucieux de se faire de Marx, il y a une exigence cribien comprendre, qu'il en remet tique qui s'est libérée peu à peu et embrouille souvent son lecteur, des hypothèques qui pesaient sur un militant qui ne sait pas tOUe elle et qui a produit finalement jours bien faire le départ entre des concepts si rigoureux et si l'essentiel et l'accessoire. féconds que nous sommes à peine C'est à partir de cette double en mesure, aujourd'hui, d'en me· confusion - confusion, pour ainsi surer l'efficacité scientifique. dire, involontaire du penseur Ces deux volumes sont des ou· Marx, aux prises avèc des tâches vrages savants: le lecteur serait multiples, confusions idéologiques déçu qui en attendrait une de ces introduites, par la suite, dans le visions tlavalières, si courantes camp du marxisme, par «les actuellement, permettllnt de juger, marxistes » que doit être à coup sûr, «ce qu'il y a de vicomprise l'entreprise de Louis vant et ce qu'il y a de mort chez Althusser. Déjà, Pour Marx, re· Marx» ; le texte - d'une extrême cueil d'articles, paru, il y a trois densité - se présente comme une mois, dans la même collection et introduction ou une invite à la chez le même éditeur, définissait lecture du Capital; à une autre cette perspective d'ensemble: lecture, qui ne soit point simplimettre en évidence, alors que fiante, qui, loin de passer sur les souffle sur le marxisme, de toutes difficultés et les obscurités de parts, le vent des interprétations 1'« expression » de Marx, les dél,irantes, la nature et la mé· exalte et les souligne, afin de thode de la science des sociétés mieux faire apparaître la portée dont, en 1857, la Contribution à d'une révolution de la pratique la Critique de f Economie Politi- théorique jusqu'ici théoriquement que établit les principes ei que incomprise et, cependant, utilisée réalise, dix ans plus tard, le livre en d'autres domaines et concerpremier du Capital. nant d'autres objets - par Freud, En fait, Lire le Capital signale en particulier - d'ùne manière une rupture définitive: cet ou- combien fructueuse. vrage collectif, qui a ses hauts et· Jacques Rencière prend pour ses bas, ses profondeurs et ses thème de son analyse le concept coquetteries, ses inventions et ses de critique, tel qu'il est pris dans concessions à la stylistique de la les' Manuscrits de 1844 et tel qu'il modernité française, ne constitue est interprèté, par Marx, .dans pas seulement un renouvellement cette «critique de l'économie po· décisif de la pensée marxiste : il litique qu'est le Capital: Pierre pose, avec une rigueur dont nous Macherey s'interroge sur le pro-

cessus ,rexposition du Capital et rend compte, avec rigueur, de la « méthode matérialiste» de Marx: la rigueur scientifique tient dom r élimination de tout ce qui permettrait de confondre le réel le penser : construire un exposé scientifique, cela ne consiste pas à trouver entre eux une combi. naison, ou à déduire fun à partir de l'autre, autrement dit à les mé· langer. Faire une science de la réalité économique, cela veut dire construire un exposé par concepts; une théorie, c'est un agencement de concepts en propositions, et de propositions en suites de propositions, sous une forme démonstra· tive... il s'agit de trouver des in,.. truments pour penser les rapports de la rationalité du concept et de la réalité du réel. (T.I. pp. 220221) . Etienne Balibar élargit encore la perspective: s'interrogeant sur les concepts fondamentaux du ma· térialisme historique, il tente non sans ambigiiité - de résoudre deux questions décisives : celle du statut de l'historicité dans l'œuvre de Marx et celle de la place qu'oc. cupe 1'« agent historique»; son approche - difficile et irritante souvent - est si pénétrante qu'on se demande si le problème de la possibilité de l'histoire comme science - après tant d'errements techniciens ou lyriques - n'est pas posé, enfin, en des termes annonçant une solution sérieuse. Roger Establet préSente un plan du Capital: ce plan remet en question toutes les idées reçues, celles des économistes comme celles des politiques; il signale des articulations que le texte masque et qui lui assurent une vérifé qui, d'ordre logique ou démons· tratif, n'emprunte rien aux facili· tés de la philosophie de l'histoire. N'aurait-il pas mieux valu com· mencer par ce plan destiné à faci· liter cette lecture nouvelle? La mise au point de L. Althusser est révélatrice : Il peut sembler para". doxal de rejeter à la fin du, se· cond volume consacré au Capital, une suite de remarques qui pore tent sur le plan de fœuvre de Marx. Nous nous y sommes réso· lus pour deux raisons: ,rabord parce que le plan du Capital ne peut devenir lui-même objet de réflexion que sous la condition ,rêtre conçu comme findice des problèmes identifiés par la lecture critique de f ouvrage; en· suite parce qu'une «bonne lecture» du plan, résumant cette lecture critique, est la meilleure introduction qui soit, en rapport direct avec le texte de Marx. (T.I. p. 91). En fait, cette légitimation de l'organisation de cet ouvrage col· lectif - réellement collectif a une signification théorique aé· cisive : les chercheurs groupés au· tour de 1.. Althusser. il ne s'agit pas seulement des rédac· teurs nommément cités, mais aussi de ceux qui ont participé aux tra·

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-

LES GRANDES truDES L1TTtRAIRES :

• •

, • a la recherche du- DlarXISDle

: DANIEL ROPS

• "Ces Chrétiens, • • nos frères". • • .. C'est le couronnement d'une œuvre • dont on mesure aujourd'hui l'ampleur • puisqu'elle embrasse Ioule l'histoire de • l'humanité depuis les temps bibliques". • Marcel LOBET - Le Soir

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vaux, dont J.-A. Miller, à qui il a fait souvent référence - ont une perspective commune dont les deux textes de L. Althusser, du Capital à La Philosophie de Marx, l'objet du Capital, définissent l'objectif théorique et la portée polémique. Quant à la portée polémique, pour ne pas dÏJ:e politique, les textes consacrés à l'interprétation humaniste du marxisme dans Pour Marx sont suffisamment clairs: le «mar.xisme officiel» ne se tirera pas plus d'affaire en invoquant les traverses malheureuses de la « philosophie de l'histoire» qu'en excipiant des excès psychologiques fâcheux du «culte de la personnalité ». Mais il y a plus, et plus profond, dans les chapitres de L. Althusser de Lire le Capital: une autre dimension est introduite, qui remet en question dans le droit fil d'une rationalité dont trop d'occasions nous sont données de douter - les perspectives de cette science de l'homme, de cette anthropologie dont chacun rêve pourvu qu'il ait quelque contact avec la psychologie, la sociologie, l'ethnologie, l'histoire ou la géographie... Cela, que L. Althusser récuse définitivement, comme sottise ou

phie de 'l'histoire et les prétendues évidences du donné empirique. La constitution du fait comme fait scientifique suppose l'élaboration du concept, et celle-ci a pour condition la mise en œuvre d'une théorie générale de la société, de la «culture », comme on se plaît à dire aujourd'hui. Cette théorie, Marx la construit en prenant pour thème la nature et le dynamisme de l'économie bourgeoise. Il produit les concepts qui permettent de rendre intelligible cette formation historique et sociale, cette production réelle, qu'est cette société existante. Rendre intelligible? La pratique théorique de Marx montre qu'ici deux séries de conditions doivent être remplies, que L. Althusser analyse et à propos desquelles, tant il est pris' par sa tâche de démystification, il ne donne, au niveau des solutions, que des indications souvent énigmatiques. Il s'agit, en premier lieu, que le système conceptuel produit ait une valeur de connaissance, qu'il permette à celui qui connaît de « s'approprier intellectuellement» ce qu'il y a à connaître. Nous savons bien que les «critères de vérité» jusqu'ici définis, ceux de

Smith, il s'aperçoit, dans un premier temps, que celui-ci « commet une bévue », qu'il ne voit pas ce qu'il y a à voir. Mais, ensuite, nous qui lisons cette critique, nous comprenons que le procédé de Marx, sur quoi il fondera sa méthode, consiste moins à [aire apparaître ce qui n'est pas vu à dénoncer une insuffisance scientifique qu'à révéler la signification des trous, des blancs du texte d'Adam Smith, à déceler la portée de ce décalage entre ce qui est vu et ce qui est non vu (par Adam Smith), alors qu'en vérité, tout le monde peut voir ce qui est en question. Le Capital, tout entier, sera construit selon ce principe d'explication ou d'explicitation des idéologies, c'est-à-dire de ces ensembles intellectuels qui mentent, dans la mesure où ils en disent trop pour ce qu'ils taisent. On n'en finirait pas de signaler les chemins nouveaux qui concernent Marx, mais aussi la recherche scientifique dans son ensemble - que dessine Lire le Capital. Après un tel livre, il est clair qu'un certain nombre de niaiseries, couramment diffusées à propos de Marx, passeront moins bien, qu'il sera moins facile d'assi-

• • .. Les historiens n'écrivaient pas • aussi bien, il y a peu de lustres. L'a{t • procurera durée à ces pages brû• lantesdefoiuneet d'une exigeante rigueur, • et qui sont acte et création". • Louis CHAIGNE • • • • •

PHILIPPE ERLANGER

• " Louis XIV". • •

Prix du Cercle de l'Union 1966

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• .. Un livre qui esl ulle belle leçon humaine et polilique". Michel DEON - Nouvelles Littéraires

• De toutes les biographies que nous a données cet auteur, on peut tenir celleci pour un chef-d'œuvre en son genre". Roger GIRON - France-Soir

LES GRANDES truDES CONTEMPORAINES:

• JACQUES FAUVET· •

--• "Histoire du parti • communiste français". • • •

• .. Souhaitons que Jacques Fauvet puisse un jour écrire un troisième tome, aussi riche et aussi agréable à lire que ces" Vingt cinq ans de drames". Denis RICHET - Nouvel Observateur

• • • • •

que 10l/s ceux qui s'intéressent, par plaisir ou par mélier, à l'histoire de la France conlemporaine se devront d'avoir lu". Pierre NORA - Monde Diplomatique

•• . . . C'esl lin livre IIniqlle en son genre,

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• ANDRÉ FONTAINE

-•• " Histoire

la Guerre Froide". • de lade Révolution d'Octobre à la • Guerre Froide.

•• Vient de paraître.

• LES GRANDES truDES • HISTORIOUES: • •• JEAN DESCOLA

t

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Lénine

Trotsky

comme escroquerie, c'est l'empirisme, c'est la croyance à la signification du fait comme tel, c'est, à la fois, l'interprétation de Marx comme sociologue (ou psychosociologue) et comme philosophe de l'histoire. Marx est théoricien : il est le premier - en ce domaine des sciences humaines - à définir, en connaissance de cause (et d'effet), son objet et sa méthode, comme Galilée et Descartes le furent dans les sciences de la nature, comme Darwin l'a été dans les sciences biologiques. Le matérialisme théorique - c'est-à-dire la pratique théorique du matérialisme (y compris ses conséquences socio-politiques) commence lorsque sont répudiés simultanément les prestiges de la philosoLa Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

• "Histoire Littéraire • de l'Espagne". • •_ Vient de paraître.

la philosophie classique évidence, cohérence - comme ceux du pragmatisme (et, en particulier le fameux succès pratique invoqué souvent par le marxisme sans concept) ne sont pas longtemps recevables. Nous savons que la preuve de validité d'une théorie ne peut être que théorique. Marx ne cesse de le répéter lorsqu'il insiste sur la différence entre le processus d'exposition et le processus réel. Mais .précisément à partir de quoi le processus d'exposition s'élabore-t-il ? C'est la seconde question, l'indication de Lire le Capital est décisive : ce que Marx, explicitement, prend. pour objet de réflexion, c'est sa lecture de l'économie politique anglaise. En lisant Adam

miler Marx et le marxisme empi. riste et historisant, de confondre Le Capital et Plekhanov qui, adouci et nuancé, est resté, au fond, le modèle du marxisme orthodoxe. Il reste que, devant cet ensemble de textes novateurs, on se demande si l'on n'est pas devant un exercice de style. Soyons malveillants! Ces deux volumes sont si profonds et si riches .qu'on peut en venir à cette extrémité. Trop souvent, le lecteur a le sentiment, pour ne pas dire l'idée, qu'on cherche à lui rendre le marxisme supportable et intelligent. Il a l'impression qu'on veut le réconcilier avec un penseur qui, finalement et à plus ample information, a écrit des choses impur

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HORS COLLECTION

ALFRED SAUVY

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"Histoire économique de la France". • "La Démystification d'Alfred Sauvy ne devrait laisser al/cun de nous indifférent". . Roger GIRON - France-Soir

JEAN-FRANÇOIS STEINER

" Treblinka". Préface de Simone de Beauvoir

Vient de paraître.

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HISTOIR'E

.'•• • Marx •

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,COLLECTION AIUJHIVES JULLIARD collection dirigée par pierre nora

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• • • • r-..----------------------------,.• • ouvrages parus • • 1789, LES FRANÇAIS ONT LA PAROLE • "L'ŒIL DE MOSCOU" A PARIS • LES DEUX SCANDALES DE PANAMA • AUSCHWITZ' • • AZINCOURT • SATAN FRANC-MAÇON • LE CONGRÈS DE TOURS, 1920 • RAVACHOL ET LES ANARCHISTES • LES .PROCÈS DE MOSCOU • "OAS PARLE" • • PROCÈS DES COMMUNARDS • L'ANTI-NAPOLÉON •• CAYENNE, .DÉPORTÉS ET BAGNARDS CLEMENCEAU BRISEUR DE GRÈVES • LA DÉCOUVERTE DE L'AFRIQUE • • •

"DREYFUSARDS 1" LES SOCIÉTÉS SECRÈTES EN CHINE JEAN BART ET LA GUERRE DE COURSE

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L..

,,..---'--------------------------------, vient de paraÎtre ALBERT SOBOUL

LE PROCÈS

DE LOUIS XVI Le dossier complet d'un procès. unique. La minùte de vérité des Conventionnels régicides.

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forces politiques

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F,.ançois Chatelet

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L'université et les

Personne ne menace vraiment l'équipe qui a élaboré Lire le Capital. Elle se croit menacée, par l'Université, par ce qu'on appelle les« forces politiques », par les écoles qui ont légitimement ou non, du renom. Elle joue de cette menace pour se masquer, pour freiner l'élan théorique remarqua· ble qui la porte. Il ne faudrait pas que cette science du « caraco tère» puisse être comprise com· me une faiblesse théorique. Gaston Bachelard engagé pratiquement lui aussi - n'hési· tait jamais à déclarer ses amitiés et ses haines. Marx non plus.

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JULLIARD

tantes. Et cela tient probablement au fait que la perspective d'ensemble de ces textes n'est pas clai· rement signalée, qu'il y a trop de « non dit », et qui nous regarde directement. Le projet est, bien sûr, d'aider à lire autrement Le Capital; mais il y a autre chose et plus importante, semble-t-il : lire Le Capital en fonction des progrès épistémologiques accom· plis dans les dernières décennies, ceux que définissent Gaston Ba· chelard et Georges Canguilhem, et aussi ceux qu'imposent la redécouverte de la linguistique saussurienne et les travaux révolutionnaires de Claude Levi·Strauss, de Jacques Lacan, de Michel Foucault. L'usage des notions de « ruptu. rc épistémologique », de « causa· lité de la structure », de phore et de métonymie, le ton de l'ensemble, quelques références en bas de page manifestent constam· ment cette orientation. On ne peut que l'approuver, et cela d'autant plus que les démonstrations de Li. 'ré le Capital démontrent la jus. tesse historique et la légitimité théorique. Il y a cependant un contentieux qui demeure et auquel il n'est jamais fait qu'allusion, La relation du marxisme celui de Marx - à Freud n'est pas claire ; pas clair non plus son rap· port aux recherches de la linguistique, aux textes - trop rares de Jacques Lacan, aux travaux de l'école française. Nous nc réelamons, certes, pas une de ('cs synthèses 1synthétiques ou exclusives) dont sont donnés, aujourd'hui, trop d'exemplcs malheureux. Nous souhaitons simplement que' cette remise à jour scientifique éclatall.te s'opère avçe moins de ruse idéologique, que l'exigence démonstrative ne soit pas le prétexte d'ellipses excessives et que ne s'institue pas - en ce domaine aussi - stratégie si enveloppée qu'elle n'est plus intelligible que de quelques complices,

François Furet, Denis Richet La révolution : Des Etats Généraux au 9 Thermidor. Collection Réalités-Hachette 81,20 F Rompant délibérément avec la tradition jacobine, François Furet qui brise le cours inauguré par Mathiez, poursuivi par Georges et Denis Richet présentent une histoire de la révolution française Lefebvre et Albert Soboul; ils n'empruntent pas pour autant le sillon ouvert par Jacques Bainville ou Pierre Gaxotte ; leur pro· pos est différent, chercher jusqu'à quel point la révolution a répon· du à l'idéal des Lumières, se demander à quels motifs a répondu son mouvement. Projet original, s'il en est, et mené avec maîtl'ise, même si les conclusions suscitent la polémique ou si l'on peut formuler quelques critiques de dé· tail. Loin de rejeter l'immense héritage légué par leurs prédécesseurs, François Furet et Denis Ri· chet l'intègrent à leur démonstration : ainsi cette présentation de la France de Louis XVI emprunte très fidèlement à l'œuvre d'Ernest Labrousse : Le cycle révolutionnaire s'inscrit dans un cycle économique. Non que le second suffi. se à expliquer le premier. Mais il porte à leur paroxysme les ten· sociales et politiques qui lnonlp1It de toute révolution du Surtout il introduit un (1()(1t"(,(1lt venu dans le grand débat ('nlre le. Roi, les privili!I!Ù's pt les bourJ{eoisies urbaines : c' pst. tout simplement le peuple. Du coup, ni le Roi ni les nobles ne' peuvent rien contre la grande alliance du Tiers-Etat que nouent les événe· ments et qui va emporter r Ancien Régime. Même interprétation, très classique, des origines immédiates de ]a révolution; la crise financière, d'où tout est parti, la ré· sistance des privilégiés, en cette période de réaction nobiliaire, la crise de l'été 1789. Peut-être éûton pu marquer d'un caillou blanc la politique de Calonne, plus audacieuse qu'on ne le dit souvent .; mais il importe peu - jusqu'ici, rien à signaler, sinon la haute te· nue de l'information. Mais voilà déjà la tonalité de l'ouvrage et son orientation qui se manifestent : « l'unité » de la ré· volution est mise en question avec vigueur: il n'y eut pas une révolution de 1789 ni même des révolu· tions successives ; il Y a télescopage de trois révolutions autonomes et simultanées qui bouscule le ca· lendrier du réformisme éclairé : celle de rassemblée, celle de Paris et des villes, celle des campagnes. La première seule est celle de la claire conscience politique et de la société de demain; les deux autres mêlent le passé et


._--:COLLECTION •

La Révolution déjacobinisée... T:avenir, les nostalgies et les futurismes. Mobilisées plus par la conjoncture que par la philosophie, elles empruntent autant au vieux millénarisme des pauvres qu'aux idées du siècle. Surtout elles révèlent une dimension nouvelle de la crise que traverse T:ancien régime, et comme l'envers du système, fimpatience et la violence populaire. Dès lors, quand on dit qu'avec la chute du Roi - qui est également la fin d'une expérience commence une seconde révolution, le sens que Richet et Furet donnent à cette appréciation n'est plus le même que celui de Lefebvre : il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle révolution politique, mais vraiment d'une transformation radicale de la situation . révolutionnaire. La révolution dé-

mocratique - celle du 10 août a fermé temporairement à la bourgeoisie française le grand chemin qui devait la conduire au libéra-lisme paisible du XIX· siècle... La guerre lui a fait emprunter une déviation... Avec les Feuillants, les élites formées par le siècle ont disparu de la scène politique. Restent en place désormais des hommes qui doivent tout aux circonstances et qu'une situation exceptionnelle va hisser à des responsabilités que leur formation et leur carrière ,ne les avaient pas prépa-rés à assumer. Il s'agit des Girondins et des Montagnards, dont le règne constitue déjà une déviation par rapport au projet révolutionnaire, tel qu'il fut formulé par les Constituants. L'Histoire a différencié les amis de' Brissot de ceux de Robespierre; mais, notent les auteurs, les contemporains les considéraient comme un bloc et ils différaient seulement sur le plan des mentalités et des psychologies. N'ont-ils pas, les uns et les autres, subi, chacun leur tour, la pression po-

La Quinzaine li. 3raire, 15 mars 1966

pulaire? N'ont-ils pas été contraints et forcés par les Sans-Culottes à instaurer- une terreur politique que les Montagnards ont transformé en dictature devant l'aggravation du péril intérieur et extérieur?

l'impossible persuasion à la possible coercition. Ainsi, à l'arrièreplan de la mentalité populaire resurgissent les deux passions qui ont toujours brûlé les émotions populaires, celle de T:égalité et celle de la punition : la guillotine donne l'illusion de satisfaire T:une et T:autre.

Cette dictature fut par la Convention tout entière parce que la bourgeoisie ne renonçait Cet ouvrage d'une parfaite cohépas à sa conquête essentielle qui rence participe d'une conception était le parlementarisme; les de l'évolution historique que l'on Sans-Culottes en ont été les vic- pourrait qualifier de « réformistimes autant que les aristocrates. te » : selon nos auteurs la révoRobespierre également, qui pour- lution a « dérapé » le 10 août tant avait réussi pendant plus d'un 1792, empruntant une voie qui an à défendre la politique de son n'était plus celle qu'avait prévue gouvernement. Avec lui, ce qui les révolutionnaires ; plus exactetriomphe, montrent Richet et Fu- . ment, la pensée politique du l'et, ce n'est pas la démocratie di- XVIII" siècle, plus une réflexion recte dont rêve la Sans-Culotte- sur les fins que sur les moyens... rie, mais une forme de parlemen- a défini une stratégie réformiste, tarisme ; ce qui naît avec Robes- non une taotique révolutionnaire ; le contraire de la Russie à la veille de 1917, en quelque sorte... Elle imagine mieux les résultats que les modalités : les premiers seuls sont nécessaires; c'est l' tre sens du mot « révolution ».

pierre et avec la Convention montagnarde, c'est la technique du maniement des Chambres. S'appuyant sur les analyses d'Albert Soboul - et en désaccord avec les thèses de Daniel Guérin - , François Furet et Denis Richet montrent qu'il est illusoire de chercher des anticipations dans l'idéal des Sans-Culottes : Ce qui anime leur rêve, c'est T:idéal d'une société où la propriété serait généralisée mais limitée aux besoins personnels, c'est le refus de la concentration capitaliste. Idéal et refus également -réactionnaires qui renouent avec les vieilles « utopies » fon:dées sur un âge d'or passé. Se tournant ensuite contre certaines conclusions d'Albert Soboul, ils ne voient pas dans la Sans-Culotterie le « groupe poli. tiquement le plus avancé de la r,évolution ». Au contraire, ces méthodes leur rappellent irrésistiblement celles des Ligueurs, deux siècles auparavant; avec transfert de

Ainsi, ayant exposé la sene « d'accidents» qui a fait échouer la révolution libérale enfantée par le XVIIIe siècle, ils montrent qu'en fin de compte, elle n'a abouti que bien des décennies plus tard, au XIX· siècle. Interprétation opposée à celle de l'historiographie réactionnaire, qui considère comme « fatale» à partir des journées d'octobre 1789 le glissement continu vers la désintégration sociale et la destruction de l'Etat ; opposée également à l'historiographie héritée de Mathiez, qui voit dans la suite des événements un irrésistible mouvement des masses et qui tend à considérer une révolution seule et unique. Démonstration rigoureuse, menée avec talent - et qui ne soulève que des objections de méthode ; ainsi présentée, elle ne manque pas de convaincre. Mais ne peut-on également considérer qu'il y avait un idéal de 1789, dont chacun avait sa propre représentation, et qu'il a fallu l'échec d'une expérience pour trouver d'autres méthodes; les objectifs restent à peu 'près identiques, mais de plus en plus irréels à mesure qu'on les poursuit avec plus de violence: plutôt q}le trois révolutions, n'aurait-on pas à faire à des objectifs variés! à la ville, à la campagne, etc. qu'on s'efforce d'atteindre selon des méthodes elle.. aussi différentes, mais avec une continuité qui assure à la révolution son unité?.. On peut demander également à Denis Richet et à François Furet pourquoi ils accordent une place privilégiée à la pensée libérale du XVIIIe siècle (puisque ç'est par rapport à elle que, selo!:, eux, la révolution «dévie») alors .qu'ils dis

U

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"LETTRES FRANÇAISES" série dirigée par ROBERT MAUZI professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Lyon

PIERRE VOLTZ

LA COMÉDIE MICHEL LIOURE

LE DRAME JACQUES MOREL

LA TRAGÉDIE JEAN EHRARD 1'/

GUY PALMADE

L'HISTOIRE ROGER FAYOLLE

LA CRITIQUE HENRI LEMAITRE

LA POÉSIE DEPUIS

BAUDELAIRE

* HENRI DREYFUSLE FOYER

TRAITÉ DE PHIWSOPHIE GÉNÉRALE • •

• YVES LE HIR • • • • ANALYSES • STYLISTIQUES • • •

.

:ARMAND COLIN :

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RELIGION

L'ésotérisDle kurde

• La révolution

tinguent eux-mêmes plusieurs révolutions ?... Chicanes qui traduisent seulement l'intérêt pris à un ouvrage aussi vif, aussi riche, aussi novateur. Car ce livre n'apporte pas seulement une interprétation inédite et comme symphonique de l'histoire de la révolution; il innove également sur le plan de la méthode. L'histoire y est présentée à trois niveaux différents: celui de la réflexion historienne, de l'analyse des structures, de la description des faits ou du récit. Peut-être est-ce seulement sur ce dernier plan que nous avons été déçus : les auteurs ont-ils craint de donner à leur ouvrage l'apparence d'un livre facile s'ils ajoutaient les longs développements du récit aux nombreuses illustrations qui enjolivent leur ouvrage? Ont-ils considéré qu'ils devaient éviter les tentations de la petite histoire? Mais le récit détaillé du 9 Thermidor est-il vraiment de la petite histoire? Et les massacres du Champ de Mars ne méritaient-ils pas un développement particulier? Il en est de même pour le procès du Roi, et d'autres événements encore. Scrupule ou pudeur, Denis Richet et François Furet \ ont répugné à nous décrire les journées populaires, à nous faire partager l'émotion des épisodes dramatiques de la révolution; supposent-ils connus tous les faits qu'ils rapportent? Une autre objection: les nécessités de la mise en page, exigence de l'édition, peut-on penser, et voilà la révolution mise en miettes; les images font perdre le fil du texte. Ainsi la présentation nuit à un exposé d'une qualité rare. Qu'il revienne à nous enveloppé différemment, avec ce qu'il faut d'animation pourrevivre complètement l'épopée révolutionnaire, et l'on aura un des ouvrages les plus pénétrants qui aient été écrits depuis longtemps.

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Marc Ferro

Nûr Ali, Shâh Elâhi L'Esotérisme Kurde. Introduction, notes, -commentaires par Mohammed Mokri Collection Spiritualités Vivantes Albin Michel éd. 18 F Depuis la haute antiquité, le Kurdistan a été un pays de marches entre les grands Empires : Rome ou Byzance, Perse achemanide et sassanide ou Califat abbasside ; plus tard les Empires ottoman, russe et iranien. Aujourd'hui encore ce haut pays, pourtant si proche des grands centres de la civilisation industrielle que sont Bakou, Batoum ou Mossoul, mais aux pieds duquel les vagues de l'histoire semblent s'être arrêtées, reste un véritable conservatoire de races, de langues et de religions disparues partout ailleurs. Les rares visiteurs qui ont eu le privilège de le parcourir, y dé" couvrent une société de clans kurdes et lures dont la structure sociale n'a guère varié depuis le haut Moyen Age. C'est là qu'ont trouvé refuge les derniers descendants des Assyriens qui parlent encore le vieux dialecte araméen et que survivent les derniers fidèles de l'Eglise Nestorienne, celle qui aux temps de l'Empire Mongol dominait toute la Haute Asie. C'est là encore qu'on trouve dans les croyances des Yezidis (accusés par leurs adversaires musulmans et chrétiens d'adorer le Diable) les dernières traces de la religion manichéenne. Parmi les « Gholat » une place à part revient à la secte des Ahlé-Haq, « Gens de la Vérité » ou « Hommes de Dieu », auxquels le Dr Mohammed Mokri a déjà consacré une série d'études et dont le dernier ouvrage vient de paraître chez Albin Michel. On pense que le nombre d'adeptes Ahl-é-Haq atteint près d'un demi-million d'âmes. Ce sont géné-

Pour les profanes que nous sommes, la lecture de l'ouvrage du Dr Mohammed Mokri est une expérience excitante. Tout comme l'initié Ahl-é-Haq, elle nous incite à découvrir derrière l'apparence purement musulmane et le langage presque rustique des « Gens de la Vérité », les échos lointains et affaiblis, mais parfaitement vivants des doctrines spirituelles des gnostiques néoplatoniciens, du Manichéisme et du Mazdéisme iranien. Le dogme central de la religion de Ahl-é-Haq est la croyance aux Théophanies divines, incarnations cycliques de la Divinité - idée étrangère à l'Islam, où l'on retrouve à la fois la doctrine brahmanique des Avatars et l'écoulement des énergies divines, à travers les éons du gnosticisme alexandrin. Dans la prééternité, dans le silence, qui précédait toute création, la Divinité était _enfermée dans une Perle - mythe qui rappelle à la fois l'œuf primordial des Orphiques et dont la mandorla, la gloire en forme d'amende qui entoure le Christ sur les icônes byzantines, est le dernier écho. La mière fois dans la personne de mière fois dans la personne de Khawandigar - le Démiurge autre idée gnostique et manichéenne, puis à travers des cycles, accompagnée dans ses divers avatars par sept anges, qui sont les Sept Immortels du panthéon mazdéen, auxquels s'opposent, les sept démons des ténèbres, eux aussi empruntés aux vieux mythes dualistes du Monde iranien.

Le second point essentiel de la doctrine des « Gens de la Vérité» est la croyance à la métempsychose - également étrangère à l'Islam orthodoxe. Les âmes porteuses d'une parcelle divine - idée manichéenne, doivent parcourir un cycle de réincarnations purificatrices, gravir une échelle de connaissances mystiques, avant d'atteindre le degré ultime qui est celui de l'union avec Dieu. Dans les prescriptions relatives à cette ascension vers la Connaissance, on retrouve tout le symbolisme de la mystique soufie classique, mais aussi quelques réminiscences des antiques religions des mystères. La vie actuelle de la secte des Ahl-é-Haq nous est un peu mieux connue. C'est une vie essentiellement communautaire dont la plupart des rites rappelle ceux des Confréries soufies : par exemple les agapes avec séances extatiques (dhikr) , tandis que d'autres ont une origine non-islamique, tel le jeûne de trois jours (analogue à celui des Yezidis). Certains encore remontent à une époque très ancienne et proviennent vraisemblablement des anciennes sociétés initiatiques, par exemple l'usage des unions spirituelles entre hommes et femmes, qui reçoivent le nom de « frère » et « sœur ». Le caractère ésotérique, le petit nombre de textes authentiques, les difficultés linguistiques pour y accéder (la plupart sont rédigés en dialecte kurde gouranî) , la complexité même de leurs croyances, font que la religion et la vie même des Ahl-é-Haq reste encore très mal connues. Il faut· donc remercier et féliciter le Dr Mohammed Mokri de poursuivre avec constance, autorité et intelligence l'exploration de ce domaine passionnant. Grâce à lui un monde attachant et riche devient accessible aux recherches des historiens des religions, des folkloristes et des sociologues.

Alexandre Bennigsen

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DOMINIQUE AUBIER

DANIEL BOULANGER

Don Quichotte prophète d'Israël

Le chemin des caracoles

"L-cssai de Madame Dominique Aubier constitue une tentative tout à fait originale de pénétration dans le mystére du Quichotte. " François Sonkin (Express) ... Un livre tout à fait exceptionnel." (Combat)

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ralement de petites gens, nomades, paysans artisans. C'est dans ce milieu fruste que s'est conservé un des plus extraordinaires et des plus complexes ensembles de croyances et de mythes dont les symboles tirés de la vie quotidienne des pasteurs et des paysans kurdes sont susceptibles, comme dans toutes les religions ésotériques, d'être déchiffrés suivant le degré de spiritualité de chacun.

NOUVELLES ROBERT LAFFONT

.. Une dizaine de ces nouvelles mérite de devenir des classiques au même titre que des pages de Maupassant ou de Tchekov..." 41 nouvelles - 41 cadeaux A. Ka/da (Express)

ROBERT LAFFONT


*CONOMIE POLITIQUE

SocialisDle et Marché co:nunun· . Claude Bruclain Le Sociali&me et r Europe. Collection Jean Moulin Le Seuil éd. 8,50 F Le socialisme est paralysé par trop de branches mortes qu'il doit élaguer s'il veut retrouver son dynamisme d'antan. Son nouveau ressort, il le trou· par le développement de la personnalité humaine dans le travail et dans le loisir. Pour s'insérer historiquement, il a besoin du cadre européen, qui de son côté n'acquerra quel. que originalité que par le socia· Iisme. Telles sont les trois proposi. tions autour desquelles s'organi. se la réflexion des auteurs' de Le Socialisme et r Europe. De ce livre, c;m peut donc dire qu'il appartient à un genre mainte· nant classique, celui du révision· nisme, mais qu'il s'attache à le renouveler sur bien des points. Les jeunes auteurs qui signent Claude Bruclain (allusion proba. ble à la ville natale du prince de Ligne) se situent dans la lignée de Bernstein, mais la marche des idées leur d'user d'un ma· tériel intellectuel différent 'à bien des éga'rd's, tant au point de vue de la èonception de l'histoire qu'à celui de l'analyse économique. Sur le premier point, C.B. sem· ble (voir p. 90, où figure l'inévita· ble citation de Teilhard de Char· din) reprendre à son compte la vision de certains savants ou philo. sophes de l'histoire selon laquel. le l'évolution dc l'humanité va ou devrait - la conduire vers un stade supérieur où l'homme se dé· pouillera de, son esprit millénaire d'amour de soi ct d'agressivité, et deviendra parfaitement altruiste. De l'analyse économique décou· le la partie critique du livre inti· tulé «Les branches mortes du socialisme », qui préconise unc double révision :

1. Réhabiliter le marché corn· me mécanisme d'intégration des

activités économiques là où il se révèle plus opératoire que la so· lution opposée (que l'on peut appeler avec Gerhard, Colm la solu· tion du budget, ou de l'économie administrée; celle·ci fait appel à un principe d'autorité, et suppose un financement par des prélève. ments obligatoires) ;' définir en même temps les domaines d'où le marché doit être exclu, et ceux où il doit y avoir coexistence entre activités à but lucratif et non lu· cratif (domaine culturel par ex.). 2. Abolir le mythe de la pro· priété publique des moyens de production, c'est·à·dire cesser de croire aux vertus économiques ou antialiénantes de la collectivisa· tion. Pour atténuer sans doute le caractère éminemment sacrilège de cette proposition, C.B. rend au modèle yougoslave un hommagc vibrant, tout en le déclarant d'une efficacité économique contestable (luxe de pays riche, en somme...). Après la critique vient la recons· truction. C'est le but du chapitre II, «Les principes du socialisme», qui se subdivise en deux sections: les objectifs, et les mesures que suppose leur réalisation.

L'Europe politique Avec la troisième partie, «l'Eu· rope, chance du socialisme », nous quittons les problèmes d,e civililla· tion pour les dures réalités de la mise en place du traité de Rome. La thèse, solidement argumentée, tient en trois points : 1. le « socia· Iisme dans un seul pays» est praticable à notre époque ; 2. le Marché commun ne peut par lui· même pallier l'amputation des pouvoirs nationaux et constitue donc un obstacle à une politique socialiste. 3. une Europe politique et un socialisme rénové sont corn· plémentaires et non antagoniques. C'est un livre bref (125 pages effectives imprimées assez gros), et de nos jours, c'est un grand avantage que de se lire rapide.

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REGINE PERNOUD

Aliénor d'Aquitaine Dame scandaleuse ou reine incomparable?

<1 La Quinzaine littéraire, 15 marI 1966

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ment, tout en donnant à réfléchir. Deux questions pourtant se posent, à propos des deux parties du ti· tre. Première question : est·ce bien du socialisme que l'on nous par· le? Si l'on enlève les «branches mortes », ce qui reste - et ce qu'ajoute C.B. - méritent·i1s l'ap. pellation de «socialisme» ? Cette question vient déjà à l'esprit lors· que C.B. parle du passé, car il a un peu trop tendance à qualifier de socialistes les hommes (Jules Ferry) ou les mouvements (syndi. cats américains) simplement par· ce qu'ils ont obéi à des valeurs ou des principes tenus par les auteurs pour socialistes. Lorsqu'il est ques· tion de l'avenir, même impréci· sion, et sous deux formes. Tout se passe comme si dans 'ce livre, le socialisme, et lui seul, avait voca· tion pour redresser «ce, qui ne va pas» dans nos sociétés industriel· les, que ce soit la législation llur l'avortement, l'incluture de masse ou l'orientation de la recherche scientifique. A ce compte, il y a beaucoup de socialistes aux Etats· Unis. En second lieu, l'absence ou l'insuffisance de socialisme consti· tue·t·elle l'unique source de tous nos maux, grands .ou petits? Ne serait·i1 pas finalement plus fée cond de recourir à une analvse qui s'efforcerait de distinguer les vices de fonctionnement dCR sociétés occidentales ce qui relève du système de propriété et du .mode de régulation (le marché), et ce qui est peut.être imputable à la logique de la société techni· cienne ? 1 A cela on peut répondre qu'il s'est constitué autour du mot de socialisme une telle «image de marque» qu'il serait dommage de laisser inemployées ses vertus mo· bilisatrices.

ment une «planification active », celle qui «accepte les faits, mais non les fatalités» (P. Massé). Les auteurs ont le réalisme, et le cou· rage, d'affirmer que l'imperfec. tion des hommes conduit à considérer le marché comme l'un des prix à payer pour une économie plus efficiente, mais ils ne s'inté· ressent pas à une autre conséquence possible de cette même imperfection, à savoir le rôle qui échoit du même coup à l'Etat pour définir et appliquer une politi. que de croissance. On a plaisir à voir que le Plan doit fournir «l'expression chiffrée des grands choix de civilisation », mais n'est· ce pas trop ou trop peu ? Trop, parce qu'après tout, un plan ne dure que cinq ans, ce qui est bien court pour qu'une option aussi importante se dessine nettement. Trop peu, parce qu'il importe que l'on trouve dans le plan l'identifie cation des «incidents de par· cours» et des obstacles dits structurels à la réalisation des objectifs, civilisés ou non, qui auront été approuvés par le corps poli. tique. Or les quelques mesures pratiques dont il est fait mention portent plus sur la répartition des revenus ou ·l'allocation des res· sources à des fins non .directement productives que sur les problèmes de croissance, de productivité ou d'équilibre, alors que c'est là que les risques de divergence avec «nos partenaires» sont les plus grands. Sur le financement de l'in· vestissement, les auteurs indiquent simplement que l'autofinancement est anti-socialiste, et qu'il est plus équitable de recourir aux impôts indirects, qui pourtant sont déjà plus importants en France que dans les autres pays du 'Marché commun.

Craintes françaises L'art de régler les passioDs Ma seconde question s'appuie sur une phrase apparemment ano· dine qui figure p. 125 : «ce qui nous sépare de nos partenaires (européens), ce sont essentielle· ment ces branches mortes aux· quelles nous restons accrochés ». Je ne pense pas que ce soit exact. Il ne s'agit pas ici de savoir si la gauche française a du socialisme une conception plus correcte que celles des socialistes pro-européens d'autres pays, mais de se pronon· cer sur' le style de planification à moyen terme qui convient à un espace européen- intégré. Car c'ellt aussi cela qui est en jeu : si la politiqué est «l'art de régler les passions des hommes et" de les diriger vers le bien de la société (d'Holbach), ce «bien ne se dé· finit pas seulement en termes éthi· ques comme C.B. semble le soutenir. Or on ne nous dit nulle part comment se traduirait ,pratique.

Je sais bien que le débat sur la planification' européenne est faussé par les erreurs tation commises sur le degré réel d'interventionnisme de la planifie cation française ou de 1'« écono· mie sociale de marché» en Alle· magne de l'Ouest. Il se peut 'aussi que certaines appréhensions fran· çaises devant les politiques corn· munautaires en préparation ne soient pas justifiées. Mais socia· listes ou non, nous avons intérêt à réfléchir sur ce que nous som· mes en droit d'att.endre d'uQe mi· se en commun des marchés et de!! politiques économiques, et de plaie der pour, un alignement vers le haut - quitte à discuter sérieuse· ment de ,ce que .« haut et « }>as peuvent bien- vouloir dire en ee domaine. Bernard Cazes

1. Les «'contraintes productivistes» sont sûrement c indignes» d'une civilisation du" progrès technique» (p. 631, mais en sont-elles. si aisément détachables?

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Certaines époques peuvent se réclamer de Don Quichotte ou de Jean Valjean, de Hamlet ou de Sherlock-Holmes, de Don Juan ou du Capitaine Nemo. La nôtre? Ce sera de James Bond. On a les héros qu'on mérite. Les chiffres parlent et Dieu sait si notre époque les écoute : des millions d'exemplaires à travers le monde. En Angleterre, seule, ou à peu près seule, l'Odyssée se risque à concurrencer les aventures de Bond. De là à faire de Fleming notre Homère, et de 007 un combiné d'Ulysse (pour l'astuce), d'Hector (pour la noblesse), d'Achille (pour la bravoure) et de Priam (pour l'activité sexuelle), il n'y a qu'un pas. Ce pas, Kingsley Amis ne se contente pas de le franchir, il le saute. Ce sportif.ès.lettres, citoyen du Royaume-Uni, appartient au milieu universitaire. On sait que toute la fantaisie du monde contemporain s'est réfugiée chez les universitaires anglais. Deir tonnes de fiches assaisonnées d'humour. Voyez Painter, Kingsley Amis est le Painter de Fleming. Mais alors qu'il faudrait sauver Proust de Painter, Amis sauve Fleming du pire enfer qui puisse exister en Angleterre: l'irrespectabilité. La critique anglaise accable James Bond des accusations capitales que sont pour ses compatriotes le snobisme, le sadisme, l'alcoolisme et la muflerie envers les dames. Dans les veines d'Amis, l'encre n'a fait qu'un- tour. Son livre est un cri d'amour en forme de lcttre ouverte à la critique. anglaise, laquelle lettre - tant la conviction d'Amis entend se montrer persuasive est devenue dossier d'avocat. Pour son clierit et ami 007, Amis plaide non coupable. Messieurs les Jurés, James Bond est un excellent citoyen britannique. Son Angleterre se situe au centre droit ; la royauté, (peut-on même poser la question?) est la chose la plus importante du monde; où qu'il se trouve, dès qu'il aperçoit le portrait de son souverain (ou souveraine, cela dépend des dates), 007 fond, rêve de courts de tennis (sur gazon) et des pigeons de Trafalgar Square. Patriotisme au-dessus de tout la preuve? Tous les salauds sont des étrangers, Américains, Bulgares, Nègres-Chinois, Corses, Allemands, Italiens, You. Coréens, Russes, Siciliens, Turcs. Goldfinger a un passeport allemand et c'est un Balte émigré. Comme tout bon citoyen britannique, Bond est raisonna-


LES MATADIIS

Le héros qu'on ntérite blement misogyne: d'une femme au volant, il se méfie; de deux dans une même voiture, il s'écarte; quatre dont une conduisant, c'est la mort assurée. Les femmes sont faites pour la récréation, le repos du guerrier; quand on travaille, elles se fourrent dans vos jambes (Bond dixit), elles embrouillent tout; Enée, Samson, Hercule, tous les 007 de l'Anti· quité mythologique ou biblique vous le diront, vous l'ont dit. En· fin, last but non lcast, dernier brevet de citoyenneté britannique: on ne peut accuser James Bond d'intellectualisme. Bibliothèque spartiate : un livre sur le golf, un sur les cartes, les discours de Kennedy et quelques romans poli. ciers; aucuIle ambition littéraire; aucune culture artistique; tout le monde en Angleterre sait que culture signifie corruption et que ce sont aujourd'hui les gangsters qui aiment Verlaine et Vivaldi. Bref, le bon citoyen du modèle courant. Le frère du Major Thompson. Bond boit, mais sans excès; fume trop, conduit vite, mais comme tout le monde; tue mais pas plus que hien des gens.

Il abat, étrangle, poignarde, ense· velit dans le guano, défencstrc d'un avion trente·huit scélérats et demi (un requin partageant avec lui la responsabilité du trente· neuvième). En. treize volumes, ce n'est pas énorme. Kingsley Amis nous fait remarquer que c'est même modeste si l'on tient compte des soixante-dix autres individus qui, sans son intervention, sont abattus, brûlés vifs dans des voitures accidentées, dévorés par des piranas, empoisonnés, poussés sur une piste de bobsleigh (sans bobsleigh), ensevelis sous une avalan· che, déchiquetés par un chasseneigè, étouffés par un poisson, précipités dans un fleuve à la suite du dynamitage d'un train, La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966

.. C'est un gai savoir que nous enseigne, mals il est' fait d' toute la mélancolie, de toute la crapulerie du monde". François BOTT (L'EXPRESS). .. Un grand écrivain... Des personnages si bien dessinés qu'Ils en deviennent inoubliables ". Vvan AUDOUARD (LE CANARD

Jeln-Pierre Chlbrol LES REBELLES roman

7' tirage . 38.500 ex. .. On dictera des pages des REBELLES, à l'école, comme on dicte du Jules Renard ". Gilbert SIGAUX (L'EXPRESS)... Il Y a encore très peu de livres qui approchent le peuple avec ce frisson, ce souci, celle affection ou celle impatience, ce talent du cœur ". André STJL

êtc., etc., pour rien dire. des pertes en vies humaines, difficiles à chiffrer avec précision mais de l'ordre approximatif de cinq cents, provoquées par la bataille de FortKnox et par la chute de la bombe atomique de Drax parmi les bateaux de la mer du Nord.' Cette mesure en toutes choses, cette médiocrité? respectabilité '! favorisent le fameux processus d'identification. Bond est incassahIe ; il a la permission de tuer en toute impunité; en treize volumes, il n'échoue que deux fois dans ses tentatives de séduction; il promène la désinvolture légèrement cruelle, l'amertume élégante, la solitude secrètement blessée (un chagrin d'amour quelque part) du héros typiquement anglais et superlativement séduisant qu'est le héros byronien. On a envie d'être James Bond. Et on peut l'être. Question d'entraînemcnt, sans doute. S'exercerait-on comme il faut au pistolet ou au judo que l'on deviendrait Bond. D'ailleurs, il n'est pas espion (mot à résonance déplaisante) ni contre-espion, mais agent secret, donc conduit, en même temps qu'au plaisir du jeu clandestin, à la nécessité d'un certain anonymat, à l'utilité de dehors anodins qui pourraient bien être les vôtres, non? Pareille prudence de Fleming dans la désignation des adversaires de Bond, c'est-à-dire des .salauds, qui ont glissé du Smersh au Spectre, de l'UR.S.S. à la société secrète, donc à une dépolitisation qui ne gêne plus au· cune conviction possible. Fleming travaille dans l'exceptionnel mesuré, voilà son secret. Ce qui lui permet d'apprivoiser le fantastique, de domestiquer le merveilleux. Car James Bond, ce Major Thompson qui nous pousse à rêver d'Achille (mais rien à craindre du côté du talon), agit dans un monde que le progrès technique rend fabuleux. C'est au niveau des objets qu'intervient la féérie fascinante. Ils témoignent tous d'un chic fou ou d'un perfectionnement sans limite. Voitures, boissons, montres, armes, valises,

. chaussures-qui-tuent, briquet, hélicoptère, cigarette. lance - fusée nous entraînent dans un univers où nous reconnaissons le nôtre celui d'une technicité galopante - mais qui appartient encore à la science-fiction. Et nous résistons d'autant moins à cet entraînement . que Fleming recourt à une préci. sion dans le détail technique qui sèche le soufije'- surtout chez ceux qui, comme moi, établissent difficilement la différence entre une Beretta et une vache nor· mande. Quand on vous affirme que, avec sa coque en alliage d'alu· minium et de magnésium, ses deux diesels Daimler-Benz à quatre temps suralimentés par un double turbo-compresseur Brown· Boveri, le Disco V olante pouvait déplacer ses 100 tonnes à environ 50 nœuds, avec, à cette vitesse, un rayon d'action de 400 miles et qu'il avait coûté 200.000 livres, que pouvez-vous dire sinon amen? Credo quia absurdum. La littérature a longtemps vécu sur le mer· veilleux païen, puis sur le merveilleux chrétien; il y a eu le merveilleux .breton, avec Mélu· sine et forêts de légende. Voici le merveilleux technique. Le conte de fées moderne. Fleming notre Perrault? A ce métier, James Bond se métamorphose en Petit Poucet d'Eton déjà chaussé des bottes de l'Ogre et qui, prince in· fatigable, réveille toutes les bellcs au bois qui dorment. Ce Petit Poucet là, nous le rc· connaissons. C'est Tintin. Un Tin· tin adulte. Remplacent Milou des nanas fracassantes d'une manipu· lation aussi délicate qu'un moteur électrique (gare à la poignée de châtaignes !), et s'ajoute, aux innombrables gadgets «incarnant» notre civilisation, le sexe considéré lui aussi comme .un gadget, sem· blable à ce revolver à silencieux que James Bond est toujours prêt à braquer sur le monde. La malice de Kingsley Amis en· traîne la conviction. James Bond coupable? Il y a tant de CIrconstances atténuantes...

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=----: Robur le conquérant

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PARIS

• Etrange unIVerS Jacques Merleau-Poll.)

Cosmologie du xx· siècle Gallimard éd. 30 F

La réflexion sur les cosmogonies actuelles présente un caractère original parce que la cosmologie est, dans son essence, philosophique et même métaphysique. Cela ne veut pas dire que le philosophe se meuve de plain-pied dans les modernes théories cosmogoniques, mais il y retrouve ses problèmes et sa solitude de penseur rejeté. La cosmologie présente des traits particuliers qui la rapprochent de disciplines moins apparemment scientifiques : de la philosophie, par exemple. Par l'extension et par la spécificité de son domaine (aucun autre domaine ne peut lui être comparé, puisque, par définition, le sien est unique : c'est l'univers), la cosmologie semble être la propre négation de la science classique. La science, ici, en dehors de toute critique extérieure, se nie elle-même, ou du moins subit une bien étrange métamorphose. -L'observation y a· peu de place : les gigantesques télescopes (le Hale, par exemple) donnent des renseignements qui sont bien dérisoires si on les compare à l'objet étudié. L'œil aidé d'un miroir observe des galaxies distantes de milliards d'années-lumière, les messages reçus sont bien vieux et surtout, bien superficiels; nOU8 apprenons que la galaxie a une forme spirale. Les radio-télescopes perçoivent des informations émises par des mondes invisibles et dont on ne sait rien. Les immenses installations techniques de l'astronomie n'aboutissent qu'à l'œil et à l'oreille qui malgré la multiplication de leurs moyens n'ont pas changé de nature. La mesure est, elle aussi, dans ce domaine, bien paradoxale. Il est diffiéile d'admettre pour l'univers un système fixe de coordonnées spatio-temporelles de type cartésien. Chaque élément de l'univers a son propre temps, et son propre espace ; il est impossible de mesurer la simultanéité de deux instants appartenant à des systèmes différents. Chaque système est en relation avec un observateur imaginaire qui subirait les lois internes de son mond.e. Cependant l'astronome est situé sur la terre, il est obligé mécaniquement d'utiliser une métrique ptoléméenne, c'est-à-dire de faire du système solaire le centre illusoire de mondes étrangers au sien. La mesure n'a, de ce fait, aucune réalité. Le mètre, la minute, se modifient en même temps que l'objet qu'ils mesurent. Les lois elles-inêmes ne sont plus fixes. Telle loi bien établie dans un milieu restreint peut n'avoir plus aucun sens à l'échelle de l'univers. Les lois valables pour les gaz, les principes de conservation ou d'équilibre l1'ont guè-

re plus d'usage. Les efforts pour transposer des théories qui rendent compte de systèmes fermés sont tentants mais discutables. On en vient même à douter de la possibilité d'appliquer, dans cette science, des modèles mathématiques. Etrangement les cosmogonies modernes se passent de formules mathématiques. Ainsi, au moment où d-es fusées partent pour la lune, la cosmologie cesse d'être une science proprement expérimentale. Du moins est-ce l'impression qu'on ressent en lisant Jacques Merleau-Ponty. Quels sont les problèmes? Le déplacement des raies du spectre de toutes les galaxies vers le rouge (red-shift) ne semble s'expliquer que par une fuite générale des astres qui, tous, s'éloignent du système solaire et qui s'écartent tous les uns des autres. S'agit-il d'une métaphore? Peut-on concilier cette fuite avec un mouvement inverse de concentration? Ou bien faut-il prendre au sérieux la métaphore et voir le monde sous l'espèce d'une dispersion sans limite et sans raison ? Les vieux problèmes de l'origine et de la fin du monde sont à nouveau posés. Mais à cette échelle, les termes de commence· ment et d'achèvement n'ont plus de sens. A la limite du temps, le temps n'est plus du temps, et l'espace dans un univers sans limites n'est plus de l'espace. Devant ces difficultés, les théories sont nombreuses qui s'efforcent d'apporter des solutions : univers en expansion qu'une concentration équivalente maintient en équilibre; uni· -vers cyclique qui oscille entre des phases d'expansion et de concentration (et qui donc n'a ni début ni fin, bien que chacune de ses phases soit limitée) ; univers qui tend vers une dispersion totale bien qu'il n'aie jamais vécu un moment particulier de départ. Toutes ces théories cherchent à expliquer le red-shift, elles essayent de penser à l'aide des concepts de la physique ou de la thermo-dynamique des phénomènes qui semblent échapper à toute définition. Car penser l'univers n'estce pas poser qu'en dehors de lui il y a autre chose et que par là il n'est pas universel, qu'il n'est qu'une partie de quelque chose d'encore plus vaste? Etrange univers fait d'astres en état de perpétuelle explosion nucléaire, où l'énergie se dépense en irradiations perdues à tout jamais. Explosions de soleils à l'infini qui tendent vers une entropie totale. Etrange science aussi que la cosmologie. Quelques savants, seulement, s'en occupent (des Anglais surtout), et leurs théories sont peu connues, pourtant elle offre des modèles qui pourraient bien nous aider à penser, peut-être même au-delà des sciences de la nature, je veux dire, dans les sciences de l'homme.

Raphaël Pividal

Plus encore que 1'0déon-Théâtre de France, la Comédie Française consacre. A moins qu'elle n'embaume ?... Serrée dans les bandelettes de la tradition, l'amvre inscrite désormais au répertoire national pourra-t-elle respirer librement, bouger librement, vivre? Questions oiseuses quand il s'agit de Montherlant qui se plaît dans l'air raréfié des cimes. Mais Ionesco ? Il pénètre dans l'auguste Maison, cependant, flanqué de ses deux meilleurs, de ses deux plus inventifs interprètes, les moins suspects le décorateur Jacques Noël, le metteur en scène Jean-Marie Serreau. Tous deux ont profité joyeusement des ressources offertes par notre première scène nationale: ils nous donnent un spectacle admirable. D'où vient que l'on en sort avec un malaise, avec le sentiment que la pièce nous a été refusée ou s'est refusée qu'elle se promenait ailleurs, quelque part, de notre atteinte? Ionesco, dans la Soif et la Faim, ne s'est pas soucié de suivre le fil d'une histoire :- il nous plonge successivement dans trois mondes différents, que seul relie entre eux le sillon continu d'une expérience intérieure, celle de Jean son héros. Premier épisode : la fuite hors des sécurités trop connues, des affections monotones, des mornes culpabilités. J acques Noël a construit autour du couple qui se défait une sorte de caverne humide qu'illumine seul le tulle clair du berceau: les fantasmes naissent des murs crevas la peluche moisit sur les meubles qui s'enlisent dans la vase, et l'on guette malgré soi les champignons d'Amédée proliférant à l'ombre d'un cadavre. Dialogue hésitant, brouillé, un pas en avant deux pas en arrière: Jean tourne dans ses nostalgies et Marie-Madeleine, porteuse d'une incommunicable sagesse, demeure fermée à l'inquiétude vagabonde de l'époux-enfant. L'apparition de l'extravagant fant9me de la tante Adélaïde - l'image même, grotesque et folle, de quelque culpabilité ensevelie hâtera chez Jean la décision de fuir. Un beau jardin lumineux, apparu à Marie - Madeleine émerveillée, après le départ de Jean, sur tout le fond de la scène, figure concrètement cette sagesse assurée dans l'amour, à laquelle Jéan aspire et qu'il finira par reconnaître sans pouvoir l'atteindre. Claude Winter prête à Marie-Madeleine sa blondeur, sa grâce réfléchie, sa parole mesurée. Deuxième épisode: le rendezvous. Une terrasse aux contours nets, entre ciel et terre, sous une clarté vide. C'est un peu la «Cité radieuse» de Tueur sans gages, irréelle, éblouissante et déserte. Jean, après bien des pérégrina-


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Ionesco à la COlD.édie Française tions, doit y retrouver la jeune femme qu'il aime.. Mais. elle ne vient pas et son image même s'estompe, se dilue dans le souvenir, se réduit au seul besoin torturant de sa présence peut-être illusoire. Un long monologue, tâtonnant, des mots et des mots, trop de mots, comme s'il fallait les essayer, les gaspiller tous 'avant de trouver les bons, ou comme on remue le brouillard à deux bras en quête d'une forme qui ne parte pas, en fumée. Mais hélas, depuis le dé-

gogique» qu'ils offrent à leur hôte. Deux clowns, enfermés dans des cages rondes, figurent l'un l'athée, l'autre le croyant. Après un double lavage de cerveau, re· niant leur âme pour \lne platée de ,soupe, l'athée se déclare croyant, le croyant athée. Les voici «démystifiés» : aucun dog: matisme ne résiste, ils sont tous interchangeables, on fait ,ce qu'on veut d'un homme. C.Q.F.D. Un bon' moment de théâtre de théâtre dans le théâtre où

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Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. La phrase pourrait servir d'épigraphe à la SQij et la Faim. Pascal, garant de Ionesco Lu Jamais peut-être ce théâtre n'est apparu plus clairement comme une aventure spiri .une quête de soi à travers le réseau embrouillé de;; doutes, des angoisses, des obsessions.

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CAHIERS LIBRES Danilo Dolci

Ênquêtes sur un· monde nouveau E. Che Guevara

Le socialisme et l'homme à Cu'ba 'Luis Ramirez

Franco Vo Nguyen Giap ... et autrès

Récits Ayant aperçu que le tragique • de la Résistance est comique, Ionesco, en 1950, • donnait avec la Cantatrice chauve _ vietnamienne sa première, toute burlesque, tra-, • gédie, la laissant exploser, allè- • Vo Nguyen Giap gre, méchante à force de santé • Guerre du peuple, - comme Dbu - et toute nour- • rie déjà de ses angoisses, de ses • armée du peuple cauchemars, enracinée dans cet • univers intérieur dont il a entre- • pris depuis quinze ans de cerner • TEXTES A L'APPUI les contours, d'inventorier les tré- : sors. Sous les apparences de Jac- • Paul Nizan ques, de Choubert, d'Amédée, de • Bérenger, il n'a cessé de se por- • Les matérialistes ter sur la scène pour mieux se • de l'antiquité voir, questionneur et questionné • tout ensemble, faisant par le tru· • chement du public l'expérience • VOIX de sa propre réalité. Nous l'avons • vu, adolescent naïf, passer avec • M.-Taos Amrouche horreur et stupeur dans le camp • Le grain magique des adultes, nous l'avons vu par- • courir ses rêves, étouffer dans la • (florilège kabyle) pesanteur, se ranimer pour s'en- • voler, ébloui, léger, vers n'im- • porte quel vert paradis lumineux, • THEORIE nous l'avons vu lutter comique- • ment et vainement contre l'éro- • Louis Althusser sion de l'habitude, contre le ca- • Pour Marx davre de l'amour, contre la mort, • s'évader, léviter, se perdre, re- • Louis Althusser... et autres tomber, recommencer, hésitant, • invincible, chaplinesque, nous: Lire le Capital 1 et Il l'avons vu aux prises avec des • dogmatismes, des maladies col- • lectivés, crier son dégoût tout en • ECONOMIE 'ET SOCIALISME. pleurant secrètement de n'être pas • C. Bettelheim, J. Charrière, comme tout le monde. Le Jean • qu'il nous donne aujourd'hui, cet • H. Marchisio affamé, cet assoiffé, nous est fa- • La construction milier. Ses racines plongent dans • du socialisme le terreau des rêves. La même • sourde culpabilité l'enchaîne dans • en Chine la «maison de l'habitude », le • même espoir ivre l'entraîne. Lê Châu vex:s un problématique ailleurs, • Le Vietnam la chape des dogmatismes l'écrase • absurdement comme toujours, à • so'cialiste l'instant où la réponse est là, à • portée de la main, reconnue et • Osendé Afana inatteignable. • L'économie Oui, par instants, fugitivement, • à la Comédie Française, Ionesco· de l'ouest-africain fut là, naïf, imprévisible, cocasse, : 1 - - - - - - - - - - - - - - 1 énigmatique... Mais, de la para- • SI VOUS VOULEZ doxale banalité pascalienne, les • RECEVOIR GRATUITEMENT. comédiens français n'ont retenu • NOTRE CATALOGUE que les poncifs, s'étant soigneuse- • ment lavés au préalable de tout : soupçon de mystère (ce mystère • M dans les décors, dans la • Adresse ., , .. , . lumière, dans l'orchestration sub- • tile de la mise en scène), appli- • quant à la grisaille titubante • désire recevoir le catalogue F. Masp'ero d'une sourde recherche le pesant : corset d'un irrémédiable métier. • FRANÇOIS MASPERO

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but ue la plece, Robert Hirsch, qui incarne Jean, n'a cessé de forcer, de fausser le personnage. Confiant dans son métier, dans ses moyens plastiques et vocaux, découpant le texte à la scie à métaux, intrépide, vi,revoltant, mimant, surexpressif, il substitue à la fantaisie inquiète du personnage, à ses «blancs », à ses boutades, à ses hésitations brouillonnes, à son désarroi balbutiant la pesante mécanique du tragédien. Le troisième épisode, .les messes noires de la Bonne Auberge, nous introduit dans une sorte de monastère - caserne - prison: trois lieux que le décor de Noël parvient à suggérer simultanément. Jean, harassé, perdu, plus affamé et assoiffé que jamais (mais que de gesticulations inutiles pour nous signifier cette naïve détresse !) Y est accueilli par quelques faux moines onctueux et blafards, étranges meneurs de jeu d'un divertissement «pédaLa Quinzaine littéraire, 15

mars 1966

excelle Jean-Paul Roussillon (que n'est-il à la place de Hirsch!) et que rythment les chœurs contradictoires des moines rouges ei des moines noirs. Nul doute que Jean ne renierait lui aussi n'importe quelle conviction apprise, tant sa faim est grande d'un absolu introuvable, d'une vérité illuminante où s'arrêter enfin. L'image onirique de sa femme et de sa fille, apparue dans la clarté irréelle du Jardin perdu, le fait parvenir à la dernière étape de sa quête: là est, était - là et nulle part ailleurs - la vérité nourrissante, la source apaisante où s'abreuveJ:" Mais Jean, avant de les rejoindre, doit payer sa dette aux faux moines. Le compte des heures de travail qu'on lui réclame forme très vite une folle accumulation de chiffres qui s'inscrivent partout sur les murs tandis que J eau, sur un rythme de plus en plus saccadé et rapide, se met à une tâche qui n'aura sensément pas de fin...

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Histoire Gilbert Badia Les Spartakistes. De la capitulation allemande en 1918 jusqu'à l'assassinat de Rosa Luxembourg. Archives Joel Carmichaël Histoire de la révolution russe. 1917 : de février à novembre Idées

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Littérature Albert Camus Caligula Livre de Poche Eschyle Tragédies. Livre de Poche Bussy.Rabutin Histoire amoureuse des Gaules. 10/18 Dostoïevski

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