Art & - #1

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art &

géopolitique

Emeric Lhuisset Artiste comme baromètre géopolitique ? La relation entre art & géopolitique est au cœur de la réflexion de l’artiste Emeric Lhuisset. Homme de terrain, explorateur et aventurier il se joue de tous les défis. Deux regards sur une même œuvre. Les artistes sont connus pour leur capacité à saisir les idées, les frustrations et les désirs partagés par les membres de leur société. L’expression créative qu’ils perçoivent autour de nous permettent de comprendre les pensées et les émotions qui traversent la société. Ainsi, les artistes contribuent de façon inestimable au discours public. L’art contemporain peut-il fournir aux intervenants politiques des révélations précieuses dans les sociétés qu’ils cherchent à gérer ? Emeric Lhuisset pense que oui. Lors d’une rencontre dans la cour de l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, l’artiste de 28 ans réfléchit sur les liens entre l’art et la géopolitique : « Je me demande constamment la mesure à laquelle un artiste peut avoir un impact sur des guerres et d’autres évènements importants. J’aimerais bien penser qu’ils peuvent contribuer à résoudre les conflits, mais je ne suis pas convaincu. Pourtant, l’art est puissant. Cela m’a frappé quand ils ont couvert la tapisserie du Guernica de Picasso à l’ONU, lorsque Colin Powell s’est adressé au Conseil de Sécurité, demandant l’autorisation pour les Etats-Unis d’entrer en Irak. » Emeric se compare à un journaliste qui raconte une histoire à travers des images à la place des mots. Par « un mélange de vidéo, de photographie, et d’investigation » il explore des thèmes tels que le conflit et sa représentation, la frontière entre le réel et le virtuel, les médias, et la notion de contrôle sur les individus. Il joue

avec les codes du photo-journalisme, car « l’ambiguïté force le public à réfléchir plus profondément sur ce qu’il voit. » Par exemple, dans la série de photographies « images de guerre » (2010), il emploie des formats généralement utilisés dans les reportages, afin de communiquer une certaine urgence vis-à-vis « face au théâtre de guerre Afghan ». Cependant, malgré la représentation de soldats « réels » ayant combattu pour le gouvernement afghan dans des scènes ressemblant à celles recréés dans la série, ces photographies ne documentent pas une guerre réelle. En gérant soigneusement la mise en scène, Emeric transforme les soldats en acteurs qui jouent une version d’eux-mêmes. Chaque détail – de la dentelle couvrant la kalachnikov, jouet faisant allusion à une vieille tradition afghane de décoration des armes, aux compositions ayant pour référence des scènes de batailles des tableaux d’Eduard Detaille pendant la guerre franco-prussienne de 1870-71 – ajoute des couches d’ambiguïté entre le vrai et le faux. Ainsi Emeric brouille les lignes entre le reportage et l’art. Comme un journaliste, il mène des recherches et des analyses sur l’historique de ses sujets, et son art est informé par des enquêtes sur le terrain. Poussé par le désir de se rendre à des endroits où les autres n’osent pas aller, ces enquêtes sur le terrain l’ont mené dans des zones tribales pakistanaises ou des zones contrôlées par les FARC en Colombie. De ce fait, il a finalement gagné la confiance des

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