Delguste

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1 Après-midi d’étude APPpsy du 11 décembre 2004. Intervention de Bernard Delguste :

Nouveaux soucis pour la psychanalyse. Quelles sont les conséquences inévitables de la rencontre du modèle pragmatique dominant avec la psychanalyse comme théorie et pratique ?

Introduction Mon intervention aujourd’hui vise à essayer de cerner les soucis nouveaux, en tous cas quelques uns, auxquels la psychanalyse est confrontée et par rapport auxquels il lui est demandé de répondre, de réagir. Et cette réaction sera ellemême évaluée et comportera une portée importante pour ce qu'il en sera de son avenir et de sa survie. Ce propos est assez personnel, c’est ma façon d’essayer de comprendre le type d’adversité particulière à laquelle la psychanalyse a à faire aujourd’hui. Je tenterai dans un premier temps de contextualiser cette adversité, c'est à dire de circonscrire le champ actuel de cette adversité, d'en chercher les racines, de mettre en évidence ses infiltrations dans les conceptions nouvelles de dispositifs thérapeutiques et d'en dégager les modalités de contestation avec si on peut dire le modèle psychanalytique. Il s’agira plus tard ou une autre fois si cela s’avère pertinent de problématiser cette adversité, autrement dit, de la décomposer et de lui opposer sur divers flans des thématiques ou des idées à visée polémique. J'ouvrirai seulement dans ce sens quelques pistes imparfaites et fragmentaires en conclusion. Je partage donc avec vous cette analyse personnelle. Sans doute aujourd’hui, la psychanalyse a-t-elle raison de se faire quelques soucis. Et les psychanalystes de ma génération, ce serait à discuter, ont parfois un peu de mal à considérer leur héritage : c’est bien plutôt la critique idéologique de la psychanalyse aujourd’hui qui prend le devant de la scène par rapport à la critique visant la scientificité de la psychanalyse. En effet, les médias véhiculent parfois une idée de la psychanalyse comme un discours réactionnaire, technophobe, homophobe, discours qui n’est plus à l’avant-garde de la pensée et qui serait à mettre aux oubliettes de l’histoire (comme le suggère le sujet de notre rencontre ; le crépuscule des dieux)1. La question de la scientificité apparaît moins actuelle dans la mesure où la science elle-même a fait et continue de faire l’objet de nombreuses critiques. Cependant il faut reconnaître que régulièrement la

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Cette adversité idéologique mériterait à elle seule de longs débats. Une pince par laquelle saisir ce qu'il en est de cette adversité est le rapport de tension existant entre la psychanalyse et certaines questions ou revendications adressées au champ social comme par exemple le choix du patronyme ou la parentalité homosexuelle . Ces revendications sociales et identitaires, en secouant les fondements structuraux de la psychanalyse, provoqueraient une mutation de cette dernière en une anthropologie dogmatique.


2 psychanalyse se retrouve devant le tribunal des sciences dures rejetée dans la non rationalité 2. Mon propos aujourd’hui n’est pas d’aborder ces difficultés idéologiques mais plutôt, je parlais de contextualiser, d’essayer de circonscrire le contexte global de référence avec lequel la psychanalyse doit se débrouiller, dans lequel la psychanalyse est bien malgré elle plongée aujourd’hui. Ce contexte, je l'ai appelé le modèle pragmatique. La psychanalyse à mon sens aujourd’hui a à faire au paradigme pragmatique, c’est ce modèle-là qui constitue le contexte actuel ; contexte par rapport auquel la psychanalyse a à se positionner, réagir, interagir, etc. La charnière de mon propos est la suivante : 1 le pragmatisme , qu’est que c’est, définition, actualité, 2 le modèle pragmatique ou le pragmatisme élevé au rang de paradigme, 3 rapport pragmatisme et champ des interventions thérapeutiques, conséquences pour la psychanalyse, 4 conclusions provisoires et problématisation : extension du domaine de la lutte.

Le modèle pragmatique : tentative de définition Avant d'aborder théoriquement ce concept, je souhaite dire que je l’ai retrouvé récemment, et c’est ce qui à susciter mon désir d’en savoir plus et de vous le communiquer, à la journée d’étude de l’Equipe, journée intitulée "Symptôme et lien social". Notre collègue Alfredo Zénoni l'utilisait pour ce qu'il en est de la clinique psychanalytique des psychoses dans le sens suivant, je cite : "passer de la dimension structurale (parole, interprétation) à la dimension pragmatique (construction dans laquelle le symptôme psychotique est compatible avec le lien social)". Dans cette perspective, la pratique psychanalytique avec les psychoses se donnait une visée de "branchement avec la réalité, compatibilité avec le social, remise dans le discours". Restait alors en question, et ce fût débattu longuement, le statut de cette visée : s'agit-il en effet d'une normalisation ou d'une normativisation ? Le débat autour du statut de cette visée mobilisait de multiples subtilités linguistiques tant il est vrai – mais l’est-ce vraiment encore - que le retour d'une notion aussi proche de celle d'adaptation déplait aux psychanalystes. Notons encore deux points : tout d’abord que ce terme de pragmatique se retrouve dans la sémiologie psychiatrique sous sa forme privative d'apragmatisme qui signifie la difficulté pour le sujet de conduire efficacement ses actions en vue d'une fin. Nous pouvons le retrouver dans divers tableaux cliniques comme les dépressions graves ou les états de démence. En quoi l’introduction de ce concept n’est –il pas soutenu par l’idéalité d’un sujet plein, efficace, compétent, ordonné ? En tout cas, l’archéologie ou la généalogie de ce concept dans le champ psychiatrique mériterait toute une étude. Et enfin, second point, il nous faut 2

Ainsi le livre de Sokal Alan et Bricmont Jean : "Impostures intellectuelles", Paris, Odile Jacob, 1997.


3 écarter pour notre propos deux champs conceptuels voisins : la pragmatique et le néopragmatisme. La première est équivalente à la sémiotique qui est l’étude générale des signes. Le second consiste en une courant philosophique américain contemporain, auquel le philosophe Richard Rorty3 est associé, et qui sur base du pragmatisme se propose de dépasser ce dernier en intégrant divers éléments de la pensée européenne. C’est donc un écartement provisoire dû à ma méconnaissance de ce mouvement. Provisoire parce qu’il se pourrait que ce courant contienne des ressources conceptuelles dont la psychanalyse aurait à moyen terme à profiter. Revenons à cette notion de pragmatisme et approfondissons –là : il faut savoir que ce terme a déjà une longue histoire dans notre tradition de pensée et qu’on le retrouve sous une diversité de sens. Ainsi, au sens de l’adjectif, nous dit le Lalande : « un homme est pragmatique au sens où il est dans l’action, une chose est pragmatique dans la mesure où elle se révèle efficace, utile, solide »4.

De la sorte, l’action efficace ou le succès s’oppose à la connaissance spéculative (qui ne relève pas de l’action) et à l’obligation morale (qui ne relève pas nécessairement du succès). Par la suite, nous est-il précisé dans le même ouvrage, pragmatique s’apparente à : «réel, efficace, susceptibles d’applications utiles par opposition à ce qui oiseux ou même purement verbal ». Le pragmatisme, au sens de la doctrine, représente un courant moderne de pensée très influent aux USA. Dans la pensée américaine moderne, trois noms y sont associés : Charles Saunders Peirce, William James et John Dewey. Ce courant n’est pas uniforme, il s’est diversifié et d’ailleurs, deux des trois auteurs en question ne se sont pas entièrement reconnus dans cette appellation de pragmatique. L’un a parlé de pragmaticisme, l’autre d’instrumentalisme. Je livre à présent quelques repères doctrinaux propres à chacun de ces auteurs. Le nom de C.S. Peirce est habituellement joint au livre fameux « Comment rendre nos idées claires ? ». Son intention était bien entendu de se débarrasser de la philosophie spéculative, des formules creuses et des théories purement verbales au profit de l’action et cela par l’intermédiaire d’une maxime qui s’énonce comme suit : « Considérons l’objet d’une de nos idées et représentons-nous tous les effets imaginables pouvant avoir un intérêt pratique quelconque que nous attribuons à cet objet : je dis que notre idée de l’objet n’est rien de plus que la somme des idées de tous ses effets. ».

Les effets pratiques visés par cette maxime sont ceux réalisant l’existence d’une expérience possible qui sera ou non conforme à l’anticipation de l’esprit. D’où le primat de l’action sur la théorie. Par ailleurs, sur le plan de la méthode, Peirce prêtait foi dans la méthode scientifique car elle représente le meilleur chemin pour rendre l’action la plus efficace possible. 3

A titre informatif : « L’homme spéculaire », Paris, Seuil, 1990 et « Conséquences du pragmatisme : essais, 1972-1980, Paris, Seuil, 1993. 4 Lalande, pp. 802-803


4 William James, frère du célèbre écrivain et fondateur de la psychologie expérimentale, s’ouvre également à la question critique et méthodologique – que sommes-nous en vérité à même de pouvoir connaître ?- et trouve une solution dans l’empirisme. Les idées qui sont présentes dans notre esprit, dans notre conscience ou idées abstraites ne sont pas une source valable de connaissance. Seul l’empirisme, c'est-à-dire la connaissance sensible venant des faits observables, des perceptions objectives, peut fournir un chemin recevable de connaissance. La véritable pensée n’est pas la pensée spéculative mais la pensée qui se met au service de la résolution de problèmes, celle qui se met au profit de l’action pratique et de l’expérience efficace. Et une doctrine, au sens d’un ensemble de pensée, est vraie dans la mesure où elle se révèle utile et profitable. Ainsi le critère de vérité est enlevé à l’ordre spéculatif pour être ramené à l’ordre pratique. Quant à John Dewey, qui a eu une très grande influence dans la pensée américaine et qui a soutenu très fortement la valeur de l’engagement social et politique du philosophe, il soumet la portée et la valeur des théories à la pratique pour en juger empiriquement des effets. Les théories –politiques, pédagogiques, etc.- n’ont de sens que mesurées aux effets positifs ou négatifs qu’elles induisent dans la réalité pratique. Vérité et valeur sont donc radicalement dépendantes de l’expérience humaine. Comme le souligne G. Hottois, pour Dewey : « est vraie, une idée ou une théorie qui réussit à résoudre le problème qui l’a suscitée, a de la valeur une conduite ou un état qui, à l’expérience, apporte satisfaction (bonheur). »5

Cette nécessité de mise à l’épreuve du pratique concerne tous les aspects de la vie et donc de la vie humaine aussi. Il n’y a pas pour Dewey de différence fondamentale entre des opérations naturelles comme la digestion et des opérations acquises comme la parole ou l’honnêteté. Cela le conduit à promouvoir une généralisation de la méthode empirique à l’homme et de la sorte une naturalisation de l’homme en niant toute véritable essence humaine. Le contexte sociopolitique le plus propice à cette volonté d'accroissement maximal du champ pratique et expérimental est le libéralisme, promoteur de la démarche d’entreprendre, prédicateur du meilleur avenir et glorificateur du progrès.

Le paradigme pragmatique Ma thèse serait donc la suivante : je soutiens ceci que de ces théories ressort ou émerge un modèle qui aujourd’hui est généralisé, que ce modèle pragmatique y inclus son rapport à la vérité, son rejet de la pensé spéculative, son abolition du sens moral, son culte de l’utilité et de l’efficacité, son recours à la méthode empirique et sa naturalisation de l’homme - est élevé au rang de paradigme dans nos sociétés occidentales actuelles. Par paradigme, il faut entendre la matrice, l’ensemble des engagements, des idées partagées par une communauté en vue de réduire ou de résoudre les problèmes auxquels elle est confrontée. 5

Hottois, p.276


5 Le modèle pragmatique est donc celui auquel la communauté se réfère aujourd’hui lorsqu’il s’agit de penser et de résoudre des situations complexes. La psychanalyse dans sa petite histoire a évidemment déjà été confrontée aux paradigmes : celui empirico-scientifique du temps de Freud ou celui structuraliste du temps de Lacan. Notons cette particularité : il faut dire que la psychanalyse du temps de Freud ne prend son tranchant qu'au risque de ne pas concéder à se réduire à ce modèle, la psychanalyse échappe à ce modèle. Le symptôme hystérique, acte de naissance de la psychanalyse, cache et révèle la vérité d’un savoir qui n’est pas intelligible dans les catégories habituelles du modèle empirico-scientifique. Tandis que le modèle structuraliste cher à Lacan et à d’autres consiste à aligner la psychanalyse dans l’ordre des sciences humaines dominées par le langage. Ainsi le rapport que la psychanalyse jusqu’à présent entretient avec sa condition paradigmatique est de deux types : extraction fondatrice du temps de Freud, inclusion englobante chez Lacan. Si aujourd’hui il est vrai que le modèle pragmatique domine, alors nous pouvons nous poser au moins deux questions : quel type de rapport la psychanalyse entretient-elle avec ce modèle et qu’en serait-il d’une psychanalyse poststructuraliste ?

Paradigme pragmatique et champ des interventions thérapeutiques Ce modèle pragmatique vient bien en effet bousculer la psychanalyse (ainsi que les diverses autres conceptions thérapeutiques) d’une part et d’autre part vient susciter la production de nouvelles représentations de l’action thérapeutique. Nous assistons de la sorte aujourd’hui de manière spectaculaire, in vivo si on veut, à l’émergence de nouveaux dispositifs de savoirs-pouvoirs (pour reprendre les termes foucaldiens) qui tentent en se fondant sur des arguments pragmatiques à s'attribuer une place dominante sur le marché des thérapies ; TPAE, RIT, et thérapie intégrative. Je voudrais préciser, avant d’entrer un peu dans ces nouveaux dispositifs, un point sur lequel il faut rester attentif : ce qui est nouveau, c’est que ces dispositifs ne sont pas un parmi d’autres, ce qu’on a toujours connu et pourquoi pas, il y a toujours eu une diversité d’agencements thérapeutiques, le marché a toujours été florissant ; ce qui est véritablement nouveau c’est que ces dispositifs bénéficient d’une forte légitimité du fait de leur congruence avec le modèle pragmatique. La psychanalyse bousculée Pour confirmer cet inconfort actuel de la psychanalyse, je reprendrai le commentaire que Daniel Widlöcher6 nous propose dans un texte intéressant et particulièrement réfléchi puisqu’il s’agit d’un travail de synthèse débouchant sur une interrogation anxieuse concernant l’avenir de la psychanalyse. Dans ce texte, l’auteur tente de recenser les divers obstacles qui se présentent et qui 6

Widllöcher, pp.640 et suite.


6 continueront à se présenter sur le chemin de la psychanalyse. Et à propos des exigences, que je qualifie de pragmatique, de notre temps, il dit : « … il faut ajouter les pressions qu’exerce une planification des soins. Dans un souci à la fois technique et économique, les gestionnaires de la santé proposent de codifier avec rigueur les bonnes pratiques thérapeutiques. On cherche à préciser les stratégies en fonction de la catégorisation nosologique. On s’assure ainsi que les malades bénéficieront des meilleurs traitements, garantissant la gestion du coût de la maladie au meilleur prix. Une tendance se fait jour pour ordonner les choix thérapeutiques en fonction d’impératifs économiques, et, comme la prescription de médicaments coûte moins cher qu’une psychothérapie, celle-ci est souvent reléguée dans une position seconde comme méthode de recours en cas d’échec. »

Un peu plus loin, autre souci pragmatique : « La nécessité d’une évaluation s’est développée depuis une vingtaine d’année pour des raisons diverses. Il y a d’abord des raisons générales. La nécessité d’évaluer les pratiques qui caractérisent les relations entre les individus est devenue une exigence éthique aussi bien que technique. Cette exigence est liée à l’extension de la notion de responsabilité, tant collective (la qualité de la méthode) qu’individuelle (la qualité des applications). Cette évolution se retrouve dans de nombreux domaines ; aussi bien dans ceux de la pédagogie et de la médecine que dans la gestion des biens sociaux et de la vie politique. (…) A ces exigences de nature éthique on doit ajouter les contraintes exercées par les exigences économiques et le coût de la santé. Toutes ces contraintes pèsent sur la psychanalyse. D’autant plus que celle-ci en tant que médecine de l’âme, est tenue pour un instrument de pouvoir particulièrement important dans la société moderne. Face à une opinion publique et à des décideurs de la santé publique exigeants, il est nécessaire que les psychanalystes et les organisations psychanalytiques développent des outils d’évaluation et des stratégies de recherche appropriés, dans le double but de préciser l’utilité de la psychanalyse selon des critères à définir et d’évaluer le degré de réussite du traitement. Même si la pression sociale est moins forte dans ce domaine, il y va de l’éthique de nos institutions d’améliorer les moyens dont nous disposons, d’évaluer les effets observés et de les comparer avec les effets attendus ».

Un peu avant : « la présence de la psychanalyse dans les pratiques de soin reposera de plus en plus sur la démonstration de son efficacité ».

Ainsi que nous pouvons le lire, nous constatons qu’effectivement la psychanalyse est bousculée par les revendications pragmatiques. Il faut noter très clairement que l’auteur ne délégitimise pas ces revendications, au contraire, pour lui, elles relèvent d’exigences conformes à l’esprit de notre temps. Par conséquent, l’attitude dédaigneuse habituellement prônée dans les institutions psychanalytiques face à ces exigences est tout à fait déplacée non seulement sur le plan scientifique mais aussi sur le plan historique car cette attitude témoigne d’un anachronisme qui risquerait bien d’être préjudiciable à l’avenir de la psychanalyse. Pour l’auteur, il est donc temps d’inventer des outils valables de réponse, des critères pertinents de discussion. Mais il ne s’engage pas plus avant dans cette voie 7.

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Une autre attitude que nous pouvons percevoir face à ces exigences pragmatiques de notre temps du côté des psychanalystes est une sorte de raidissement doctrinal où la répétition en chœur des thèses fondatrices fait obstacle au débat en supprimant toute possibilité de discussion.


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Nouveaux dispositifs thérapeutiques Préambule ; je ne suis pas un spécialiste de ces dispositifs, je ne possède que quelques sources, je suis tout à fait inexpérimenté dans ces domaines et je m’excuse à l’avance de les présenter de manière trop simpliste ou trop grossière mais il m’a été simplement donné l’occasion de les rencontrer fortuitement, et d’entendre de-ci de-là des commentaires. Il ne s’agit pas pour moi de problématiser actuellement ces dispositifs (c’est à dire de les soumettre à la réflexion critique sur divers plans : sociologique, épistémologique, éthique et autres) mais simplement de montrer leur affinité, leur correspondance avec le paradigme pragmatique et corollairement leur gain en terme de légitimité. Traitements psychologiques empiriquement fondés : TAPE On se basera sur l’article de Ladouceur et collègues8, article qui se veut une synthèse critique sur les TPAE. Les TPAE ne sont pas à proprement parlé des thérapies. Sous ce vocable, essayent plutôt de se rassembler des thérapeutiques qui partagent un trait commun, précisément celui d’être « fondé empiriquement ». Ce trait commun n’est pas sans poser des difficultés reconnues par les auteurs, sur divers plans comme celui entre autres de la définition des termes « fondé » et « empirique ». L’essentiel n’étant point trop de s’attarder aux définitions mais de mettre en action leur objectif. Le but des TPAE est d’identifier et de classer les interventions psychologiques en fonction des troubles psychiques, de soutenir la promotion de manuel de traitement (uniformisation des prises en charge) de façon à faire en sorte que les facteurs subjectifs (ou variables dépendantes) soient les plus réduits possibles. Bref, tenter de répondre à cette question : « quel type de comportement de la part d’un thérapeute est le plus efficace avec quels types de patients pour produire quel type de changement .» 9

Afin de pouvoir répondre au mieux à cette question, il faut mettre en action un dispositif donnant des informations fiables et comparatives sous forme d’enquêtes, de questionnaires et d’études de groupe de comparaison. On voit bien en quoi un tel dispositif, congruent au modèle pragmatique, à pour visée de faire rapport au politique et d’infléchir en retour la distribution des flux financiers. Le problème général qui se pose ici à la société et auquel la référence au modèle pragmatique via les TPAE pense répondre, c’est la rationalisation des soins de santé. En ce sens, la visée politique des TPAE est indéniable et dans cette perspective, ici, une série de réponse sont clairement données là où Wildlochër pour la psychanalyse se voyait dérouté.

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Ladouceur et autres.

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p.60


8 La réduction des incidents traumatiques : RIT10 « La réduction d’incidents traumatiques est une technique simple, de type individuel, utilisée dans le traitement des expériences traumatiques. Elle traite les aspects émotionnels et cognitifs de l’expérience traumatique d’une façon qui libère la personne des symptômes et des sensations reliées au trauma, quelque soit le moment où il s’est produit. Après le traitement, les souvenirs traumatiques n’affectent plus la personne et sont même souvent perçus comme bénins. Cette technique est à la fois directive et centrée sur la personne. »11

Dans cette échappée thérapeutique que constitue la RIT, on constate un éclectisme théorique qui n’est pas discuté, au contraire, cette éclectisme est valorisé au nom de la diversité et de l’ouverture. La seule visée de réduction symptomatique est on ne peut plus nette. Cette simple visée emporte bien entendu d’emblée une adhésion positive, fi étant fait de toute métapsychologie digne de ce nom. Ici aussi bien sûr il est fait référence de manière indirecte aux coûts des soins de santé, mais surtout la RIT se présente comme un remède simple au moment où surgit une énorme question sociale aujourd’hui, question qui est celle du trauma et de ses implications dans de multiples champs : le pédophile comme nouvelle figure du pervers, la création d’un champ épistémologique nouveau –la victimologie- en lien avec la mise en cause des institutions traditionnelles jusqu’à la démocratie elle-même, la montée des revendications des droits subjectifs pour les victimes, etc. Le RIT, qui ne s’encombre pas de toutes ces futilités, se veut une réponse pragmatique (optimalisation de la réponse face à un problème complexe auquel la société est nouvellement confrontée), simple, limitée, efficace en terme de réduction de troubles invalidants à l’émergence de la question du trauma. Les thérapies intégratives12 Ce courant reposerait sur deux postulats : un seul modèle ne peut prétendre résoudre efficacement ou s’attaquer positivement à l’ensemble de la psychopathologie vu sa grande diversité et un trouble psychique doit faire l’objet s’il veut être réduit efficacement d’une intégration de plusieurs modèle (tout modèle comporte du bon). Dans ce courant, le champ des interventions psy ressemble à un self-service où il s’agirait pour le thérapeute de choisir le menu le meilleur pour répondre à une situation clinique particulière. Cette promotion de la liberté de choix des techniques et des outils, bien en phase avec une certaine conception de l’individu contemporain, laisse penser que l’issue d’une thérapie ne s’expliquerait que par le bon ou mauvais choix des outils pragmatiques utilisés, laissant de côté toute pensée de la subjectivité. De ces quelques petites notes, partielles et sans doute orientées, sur les nouveaux agencements thérapeutiques, il devient clair que la question du futur de la psychanalyse face à ces dispositifs pragmatiques nous entraîne sur un nouveau terrain. Que devient ce rapport psychanalyse/dispositifs pragmatiques actuels : il ne s’agit plus d’une opposition directe, d’un duel, de conflits d’écoles, 10

www.mieux-etre.org/interactif/article.php3?id_article=220 Programme du CFIP, p .24, juillet 2003. 12 www.arabpsynet.com/Archives/OP/OP.Nassar.LesTPAE.htm 11


9 d’argumentations théoriques, de controverses sur l’exégèse des textes des maîtres, etc., puisque la psychanalyse peut à l’occasion dans ces nouveaux dispositifs être convoquée soit comme source théorique, soit comme arme pratique. En réalité, ce rapport auparavant duel est dissous par le fait même que le modèle pragmatique s’impose comme tribunal, au nom de la science et de l’efficacité, des bonnes pratiques thérapeutiques, ces dernières en définitive étant les seules légitimes et réalistes à conduire le jugement.

Extension du domaine de la lutte Pour conclure, en reprenant ce titre un peu guerrier d’un livre de Michel Houellebecq, je souhaiterais indiquer des pistes théoriques et réflexives pour engager des discussions polémiques, à l’instar de ce que Widlöcher nous incite à faire, contre cette inflation du modèle pragmatique. Il s’agit bien d’y répondre, de s’y confronter, car en effet, les psychanalystes ne peuvent plus se contenter d’une position d’indignation ou de retrait dédaigneux devant par exemple les instruments de comptage rationalisant, les demandes d’évaluation, les enquêtes de satisfaction du client, etc., bref, devant tous ces instruments pratiques de l’idéologie pragmatique. Nous en sommes donc arrivé au moment de problématisation, moment juste esquissé. Une première piste serait bien sûr de s’intéresser à ce courant de pensée contemporain animé par Richard Rorty appelé néo-pragmatisme. Une seconde piste, et celle-ci a une portée globale, est d’affûter nos appareils critiques, de soutenir une pensée critique qui ne soit pas malveillante vis-à-vis des avancées contemporaines de la raison ou vis-à-vis du modèle pragmatique dans son ensemble, mais une pensée qui donne une visibilité au travail réflexif propre au champ des sciences humaines, une pensée donc qui encouragerait une réflexion critique sur différents points, entre autres : -la question du sens ; cette dernière, relevant nécessairement de dispositifs herméneutiques visant à déchiffrer les grands systèmes symboliques, n’est pas réductible à ses dimensions pragmatiques, -la question de l’efficacité technique et la fascination qui en découle ; il s’agirait de montrer que l’efficacité dans le champ clinique relève d’un autre ordre que l’efficacité dans le champ technique,13 -la question de la vérité ; il s’agirait ici de réhabiliter cette catégorie de la vérité au dépend de celle d’évaluation (même si cette dernière de nouveau possède une légitimité), à l’instar du philosophe Alain Badiou, pour qui la vérité se distingue du savoir en tant qu’elle n’est en aucun cas la conclusion d’un processus rationnel mais qu’au contraire elle surgit de ce processus comme une dimension soustractive, -la logique du symptôme ; il faudrait redonner au symptôme une véritable portée anthropologique et ainsi l’instituer non pas seulement au rang d’ un accident du sujet mais surtout comme une condition du sujet. Marcel Gauchet nous aiderait 13

J’avais dans un autre contexte essayé de développer cette question au départ du livre de F. Jullien en caractérisant l’efficacité technique de fermée, universelle et spectaculaire alors que l’efficacité clinique serait plutôt ouverte, singulière et discrète.


10 dans cette direction lui qui fait du champ psychiatrique un vecteur de l’anthropologie, -sur la méthode ; il s’agirait ici à propos de l’empirisme de ne pas se contenter simplement d’argument d’autorité se fondant uniquement sur l’objectivité naturelle de la perception et ainsi de réengager les épistémologies critiques, la phénoménologie, les catégories de l’intentionnalité, etc., -le choix d’une orientation thérapeutique ; ce choix ne s’opère pas en terme de self-service comme si le candidat thérapeute était placé devant le comptoir des orientations possibles. En résumé ; redonner une profondeur à la pensée spéculative, critique, réflexive, mobiliser et rendre visible cette pensée autour de questions polémiques devraient pouvoir servir d’alternative valable aux outrances du modèle pragmatique.

BIBLIOGRAPHIE Hottois Gilbert : « De la renaissance à la postmodernité. Une histoire de la philosophie moderne et contemporaine », De Boeck, Bruxelles, 2002. Jullien François : « Traité de l’efficacité », Grasset, Paris, 1996. Ladouceur R., Boisvert J.M., Loranger M., Morin C.M., Pépin M., Blais M.C., Les traitements psychologiques appuyés empiriquement: Etat de la question et critique, Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive, 2003, 13, 2: 53-65. Lalande André : « Vocabulaire technique et critique de la philosophie », Quadrige/PUF, Paris, 1997. Widlöcher Daniel : « La psychanalyse : actif et passif » in Collectif : Un siècle de philosophie 1900-2000, Gallimard, Paris, 2000, pp. 639-667.


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