AFRIKADAA #3 VISIBILITY

Page 3

EDITO : Débattre de la visibilité des invisibles c’est comme ré-invoquer la naissance d’Afrikadaa. Nous sommes une revue indépendante destinée à la critique artistique, sociale, culturelle et politique. Elle est née du constat d’invisi­ bilité relative à la promotion et la diffusion de la scène artistique non-occidentale. Dans La condition noire. Essai sur une minorité française (Folio/Actuel, 2009) l’historien Pape Ndiaye affirme : « Nous voulons être invisibles du point de vue de notre vie sociale, et par conséquent que les torts et les méfaits qui nous affectent en tant que Noirs soient efficacement réduits. Mais nous voulons êtres visibles du point de vue de nos identités culturelles noires, de nos apports précieux et uniques à la société et à la culture françaises... » Les notions du visible et de l’invisible seront confrontées, tout au long de ce numéro. Les auteurs réunis ici, chacun en ce qui le concerne, laisse l’invi­sible apparaître, résonner, interroger, créer, témoigner, subir, jouer. Le visible se décline au pluriel des invisibilités qu’habite la rumeur des paroles tues, atten­dues et non prononcées. Le visible est un espace géographique où peut retentir la voix des silencieux : le partage y opère malgré le refus de les voir ou de les en­tendre. L’invisible lutte pour se faire connaître par-delà les frontières, il lutte pour ne pas sombrer dans l’oubli total. Il m’était impossible d’aborder la thématique de visibility sans me référer à Homme invisible, pour qui chantes tu ? du Noir américain Ralph Ellison (Grasset & Fasquelles, 2002). Il n’est pas facile de parler de ce roman. C’est une œuvre forte et intemporelle ; les questions identitaires y sont centrales. L’identité individuelle, telle qu’il la traite, disparaît derrière l’identité sociale. Ainsi c’est le stéréotype qu’on voit et non pas la personne. Construit comme une autobiographie, il constitue le récit des expériences qui amènent le narrateur à la conclusion qu’il est socialement invi­sible. Plus qu’un simple roman, c’est une véritable réflexion sociologique et artistique. Le narrateur affirme : « Je suis un homme qu’on ne voit pas. Non, rien de commun avec ces fantômes qui hantaient Edgar Poe ; rien à voir, non plus, avec les ectoplasmes de vos productions hollywoodiennes. Je suis un homme réel, de chair et d’os, de fibres et de liquides — on pourrait même dire que je possède un esprit. Je suis invisible, comprenez bien, simplement parce que les gens refusent de me voir. Comme les têtes sans corps que l’on voit parfois dans les exhibitions foraines, j’ai l’air d’avoir été entouré de miroirs en gros verre déformant. Quand ils s’approchent de moi, les gens ne voient que mon environnement, eux-mêmes, ou des fantasmes de leur imagination — en fait, tout et n’importe quoi, sauf moi. » (Prologue) L’art cherche à rendre visible l’invisible pour nous épargner des réponses toutes faites. Tel est aussi l’idéal poursuivi par notre revue : contribuer à éclairer autant que faire se peut sur la période de grande incertitude intellectuelle et politique que nous traversons actuellement. L’espoir culturel est l’alter­native que nous offrons à notre présent. Une revue com­me la nôtre doit y aider. Un nouveau vocabulaire de la critique est à ré- inventer pour nos imaginaires fragmentés. Pascale Obolo

3


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.